Marcel Proust
À l′ombre des jeunes filles en fleurs -- [Within A Budding Grove]
Édition bilingue, français-English, de Miguel Garci-Gomez
Translated From The French By C. K. Scott Moncrieff
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TOME II
Première partie

TOME II
Part I
Madame Swann at Home

Ma mère, quand il fut question d′avoir pour la première fois M. de Norpois à dîner, ayant exprimé le regret que le Professeur Cottard fût en voyage et qu′elle-même eût entièrement cessé de fréquenter Swann, car l′un et l′autre eussent sans doute intéressé l′ancien Ambassadeur, mon père répondit qu′un convive éminent, un savant illustre, comme Cottard, ne pouvait jamais mal faire dans un dîner, mais que Swann, avec son ostentation, avec sa manière de crier sur les toits ses moindres relations, était un vulgaire esbrouffeur que le Marquis de Norpois eût sans doute trouvé selon son expression, «puant». Or cette réponse de mon père demande quelques mots d′explication, certaines personnes se souvenant peut-être d′un Cottard bien médiocre et d′un Swann poussant jusqu′à la plus extrême délicatesse, en matière mondaine, la modestie et la discrétion. Mais pour ce qui regarde celui-ci, il était arrivé qu′au «fils Swann» et aussi au Swann du Jockey, l′ancien ami de mes parents avait ajouté une personnalité nouvelle (et qui ne devait pas être la dernière), celle de mari d′Odette. Adaptant aux humbles ambitions de cette femme, l′instinct, le désir, l′industrie, qu′il avait toujours eus, il s′était ingénié à se bâtir, fort au-dessous de l′ancienne, une position nouvelle et appropriée à la compagne qui l′occuperait avec lui. Or il s′y montrait un autre homme. Puisque (tout en continuant à fréquenter seul ses amis personnels, à qui il ne voulait pas imposer Odette quand ils ne lui demandaient pas spontanément à la connaître) c′était une seconde vie qu′il commençait, en commun avec sa femme, au milieu d′êtres nouveaux, on eût encore compris que pour mesurer le rang de ceux-ci, et par conséquent le plaisir d′amour-propre qu′il pouvait éprouver à les recevoir, il se fût servi, comme un point de comparaison, non pas des gens les plus brillants qui formaient sa société avant son mariage, mais des relations antérieures d′Odette. Mais, même quand on savait que c′était avec d′inélégants fonctionnaires, avec des femmes tarées, parure des bals de ministères, qu′il désirait de se lier, on était étonné de l′entendre, lui qui autrefois et même encore aujourd′hui dissimulait si gracieusement une invitation de Twickenham ou de Buckingham Palace, faire sonner bien haut que la femme d′un sous-chef de cabinet était venue rendre sa visite à Madame Swann. On dira peut-être que cela tenait à ce que la simplicité du Swann élégant, n′avait été chez lui qu′une forme plus raffinée de la vanité et que, comme certains israélites, l′ancien ami de mes parents avait pu présenter tour à tour les états successifs par où avaient passé ceux de sa race, depuis le snobisme le plus naet la plus grossière goujaterie, jusqu′à la plus fine politesse. Mais la principale raison, et celle-là applicable à l′humanité en général, était que nos vertus elles-mêmes ne sont pas quelque chose de libre, de flottant, de quoi nous gardions la disponibilité permanente; elles finissent par s′associer si étroitement dans notre esprit avec les actions à l′occasion desquelles nous nous sommes fait un devoir de les exercer, que si surgit pour nous une activité d′un autre ordre, elle nous prend au dépourvu et sans que nous ayons seulement l′idée qu′elle pourrait comporter la mise en uvre de ces mêmes vertus. Swann empressé avec ces nouvelles relations et les citant avec fierté, était comme ces grands artistes modestes ou généreux qui, s′ils se mettent à la fin de leur vie à se mêler de cuisine ou de jardinage, étalent une satisfaction naîµ¥ des louanges qu′on donne à leurs plats ou à leurs plates-bandes pour lesquels ils n′admettent pas la critique qu′ils acceptent aisément s′il s′agit de leurs chefs-d′uvre; ou bien qui, donnant une de leurs toiles pour rien, ne peuvent en revanche sans mauvaise humeur perdre quarante sous aux dominos. My mother, when it was a question of our having M. de Norpois to dinner for the first time, having expressed her regret that Professor Cottard was away from home, and that she herself had quite ceased to see anything of Swann, since either of these might have helped to entertain the old Ambassador, my father replied that so eminent a guest, so distinguished a man of science as Cottard could never be out of place at a dinner-table, but that Swann, with his ostentation, his habit of crying aloud from the housetops the name of everyone that he knew, however slightly, was an impossible vulgarian whom the Marquis de Norpois would be sure to dismiss as — to use his own epithet — a ‘pestilent′ fellow. Now, this attitude on my father′s part may be felt to require a few words of explanation, inasmuch as some of us, no doubt, remember a Cottard of distinct mediocrity and a Swann by whom modesty and discretion, in all his social relations, were carried to the utmost refinement of delicacy. But in his case, what had happened was that, to the original ‘young Swann′ and also to the Swann of the Jockey Club, our old friend had added a fresh personality (which was not to be his last), that of Odette′s husband. Adapting to the humble ambitions of that lady the instinct, the desire, the industry which he had always had, he had laboriously constructed for himself, a long way beneath the old, a new position more appropriate to the companion who was to share it with him. In this he shewed himself another man. Since (while he continued to go, by himself, to the houses of his own friends, on whom he did not care to inflict Odette unless they had expressly asked that she should be introduced to them) it was a new life that he had begun to lead, in common with his wife, among a new set of people, it was quite intelligible that, in order to estimate the importance of these new friends and thereby the pleasure, the self-esteem that were to be derived from entertaining them, he should have made use, as a standard of comparison, not of the brilliant society in which he himself had moved before his marriage but of the earlier environment of Odette. And yet, even when one knew that it was with unfashionable officials and their faded wives, the wallflowers of ministerial ball-rooms, that he was now anxious to associate, it was still astonishing to hear him, who in the old days, and even still, would so gracefully refrain from mentioning an invitation to Twickenham or to Marlborough House, proclaim with quite unnecessary emphasis that the wife of some Assistant Under-Secretary for Something had returned Mme. Swann′s call. It will perhaps be objected here that what this really implied was that the simplicity of the fashionable Swann had been nothing more than a supreme refinement of vanity, and that, like certain other Israelites, my parents′ old friend had contrived to illustrate in turn all the stages through which his race had passed, from the crudest and coarsest form of snobbishness up to the highest pitch of good manners. But the chief reason — and one which is applicable to humanity as a whole — was that our virtues themselves are not free and floating qualities over which we retain a permanent control and power of disposal; they come to be so closely linked in our minds with the actions in conjunction with which we make it our duty to practise them, that, if we are suddenly called upon to perform some action of a different order, it takes us by surprise, and without our supposing for a moment that it might involve the bringing of those very same virtues into play. Swann, in his intense consciousness of his new social surroundings, and in the pride with which he referred to them, was like those great artists — modest or generous by nature — who, if at the end of their career they take to cooking or to gardening, display a childlike gratification at the compliments that are paid to their dishes or their borders, and will not listen to any of the criticism which they heard unmoved when it was applied to their real achievements; or who, after giving away a canvas, cannot conceal their annoyance if they lose a couple of francs at dominoes.
Quant au Professeur Cottard, on le reverra, longuement, beaucoup plus loin, chez la Patronne, au château de la Raspelière. Qu′il suffise actuellement, à son égard, de faire observer ceci: pour Swann, à la rigueur le changement peut surprendre puisqu′il était accompli et non soupçonné de moi quand je voyais le père de Gilberte aux Champs-Elysées, où d′ailleurs ne m′adressant pas la parole il ne pouvait faire étalage devant moi de ses relations politiques (il est vrai que s′il l′eût fait, je ne me fusse peut-être pas aperçu tout de suite de sa vanité car l′idée qu′on s′est faite longtemps d′une personne, bouche les yeux et les oreilles; ma mère pendant trois ans ne distingua pas plus le fard qu′une de ses nièces se mettait aux lèvres que s′il eût été invisiblement entièrement dissous dans un liquide; jusqu′au jour où une parcelle supplémentaire, ou bien quelque autre cause amena le phénomène appelé sursaturation; tout le fard non aperçu, cristallisa et ma mère devant cette débauche soudaine de couleurs déclara, comme on eût fait à Combray que c′était une honte et cessa presque toute relation avec sa nièce). Mais pour Cottard au contraire, l′époque où on l′a vu assister aux débuts de Swann chez les Verdurin était déjà assez lointaine; or les honneurs, les titres officiels viennent avec les années; deuxièmement, on peut être illettré, faire des calembours stupides, et posséder un don particulier, qu′aucune culture générale ne remplace, comme le don du grand stratège ou du grand clinicien. Ce n′est pas seulement en effet comme un praticien obscur, devenu à la longue, notoriété européenne, que ses confrères considéraient Cottard. Les plus intelligents d′entre les jeunes médecins déclarèrent, — au moins pendant quelques années, car les modes changent étant nées elles-mêmes du besoin de changement, — que si jamais ils tombaient malades, Cottard était le seul maître auquel ils confieraient leur peau. Sans doute ils préféraient le commerce de certains chefs plus lettrés, plus artistes, avec lesquels ils pouvaient parler de Nietsche, de Wagner. Quand on faisait de la musique chez Madame Cottard, aux soirées où elle recevait, avec l′espoir qu′il devint un jour doyen de la Faculté, les collègues et les élèves de son mari, celui-ci au lieu d′écouter, préférait jouer aux cartes dans un salon voisin. Mais on vantait la promptitude, la profondeur, la sûreté de son coup d′il, de son diagnostic. En troisième lieu, en ce qui concerne l′ensemble de façons que le Professeur Cottard montrait à un homme comme mon père, remarquons que la nature que nous faisons paraître dans la seconde partie de notre vie, n′est pas toujours, si elle l′est souvent, notre nature première développée ou flétrie, grossie ou atténuée; elle est quelquefois une nature inverse, un véritable vêtement retourné. Sauf chez les Verdurin qui s′étaient engoués de lui, l′air hésitant de Cottard, sa timidité, son amabilité excessives, lui avaient, dans sa jeunesse, valu de perpétuels brocards. Quel ami charitable lui conseilla l′air glacial? L′importance de sa situation lui rendit plus aisé de le prendre. Partout, sinon chez les Verdurin où il redevenait instinctivement lui-même, il se rendit froid, volontiers silencieux, péremptoire, quand il fallait parler, n′oubliant pas de dire des choses désagréables. Il put faire l′essai de cette nouvelle attitude devant des clients qui ne l′ayant pas encore vu, n′étaient pas à même de faire des comparaisons, et eussent été bien étonnés d′apprendre qu′il n′était pas un homme d′une rudesse naturelle. C′est surtout à l′impassibilité qu′il s′efforçait et même dans son service d′hôpital, quand il débitait quelques-uns de ces calembours qui faisaient rire tout le monde, du chef de clinique au plus récent externe, il le faisait toujours sans qu′un muscle bougeât dans sa figure d′ailleurs méconnaissable depuis qu′il avait rasé barbe et moustaches. As for Professor Cottard, we shall meet him again and can study him at our leisure, much later in the course of our story, with the ‘Mistress,′ Mme. Verdurin, in her country house La Raspelière. For the present, the following observations must suffice; first of all, in the case of Swann the alteration might indeed be surprising, since it had been accomplished and yet was not suspected by me when I used to see Gilberte′s father in the Champs-Elysées, where, moreover, as he never spoke to me, he could not very well have made any display of his political relations. It is true that, if he had done so, I might not at once have discerned his vanity, for the idea that one has long held of a person is apt to stop one′s eyes and ears; my mother, for three whole years, had no more noticed the salve with which one of her nieces used to paint her lips than if it had been wholly and invisibly dissolved in some clear liquid; until one day a streak too much, or possibly something else, brought about the phenomenon known as super-saturation; all the paint that had hitherto passed unperceived was now crystallised, and my mother, in the face of this sudden riot of colour, declared, in the best Combray manner, that it was a perfect scandal, and almost severed relations with her niece. With Cottard, on the contrary, the epoch in which we have seen him assisting at the first introduction of Swann to the Verdurins was now buried in the past; whereas honours, offices and titles come with the passage of years; moreover, a man may be illiterate, and make stupid puns, and yet have a special gift, which no amount of general culture can replace — such as the gift of a great strategist or physician. And so it was not merely as an obscure practitioner, who had attained in course of time to European celebrity, that the rest of his profession regarded Cottard. The most intelligent of the younger doctors used to assert — for a year or two, that is to say, for fashions, being themselves begotten of the desire for change, are quick to change also — that if they themselves ever fell ill Cottard was the only one of the leading men to whom they would entrust their lives. No doubt they preferred, socially, to meet certain others who were better read, more artistic, with whom they could discuss Nietzsche and Wagner. When there was a musical party at Mme. Cottard′s, on the evenings when she entertained — in the hope that it might one day make him Dean of the Faculty — the colleagues and pupils of her husband, he, instead of listening, preferred to play cards in another room. Yet everybody praised the quickness, the penetration, the unerring confidence with which, at a glance, he could diagnose disease. Thirdly, in considering the general impression which Professor Cottard must have made on a man like my father, we must bear in mind that the character which a man exhibits in the latter half of his life is not always, even if it is often his original character developed or withered, attenuated or enlarged; it is sometimes the exact opposite, like a garment that has been turned. Except from the Verdurins, who were infatuated with him, Cottard′s hesitating manner, his excessive timidity and affability had, in his young days, called down upon him endless taunts and sneers. What charitable friend counselled that glacial air? The importance of his professional standing made it all the more easy to adopt. Wherever he went, save at the Verdurins′, where he instinctively became himself again, he would assume a repellent coldness, remain silent as long as possible, be peremptory when he was obliged to speak, and not forget to say the most cutting things. He had every opportunity of rehearsing this new attitude before his patients, who, seeing him for the first time, were not in a position to make comparisons, and would have been greatly surprised to learn that he was not at all a rude man by nature. Complete impassivity was what he strove to attain, and even while visiting his hospital wards, when he allowed himself to utter one of those puns which left everyone, from the house physician to the junior student, helpless with laughter, he would always make it without moving a muscle of his face, while even that was no longer recognisable now that he had shaved off his beard and moustache.
Disons pour finir qui était le marquis de Norpois. Il avait été ministre plénipotentiaire avant la guerre et ambassadeur au Seize Mai, et, malgré cela, au grand étonnement de beaucoup, chargé plusieurs fois depuis, de représenter la France dans des missions extraordinaires — et même comme contrôleur de la Dette, en Égypte, où grâce à ses grandes capacités financières il avait rendu d′importants services — par des cabinets radicaux qu′un simple bourgeois réactionnaire se fût refusé à servir, et auxquels le passé de M. de Norpois, ses attaches, ses opinions eussent dû le rendre suspect. Mais ces ministres avancés semblaient se rendre compte qu′ils montraient par une telle désignation quelle largeur d′esprit était la leur dès qu′il s′agissait des intérêts supérieurs de la France, se mettaient hors de pair des hommes politiques en méritant que le Journal des Débats lui-même, les qualifiât d′hommes d′État, et bénéficiaient enfin du prestige qui s′attache à un nom aristocratique et de l′intérêt qu′éveille comme un coup de théâtre un choix inattendu. Et ils savaient aussi que ces avantages ils pouvaient, en faisant appel à M. de Norpois, les recueillir sans avoir à craindre de celui-ci un manque de loyalisme politique contre lequel la naissance du marquis devait non pas les mettre en garde, mais les garantir. Et en cela le gouvernement de la République ne se trompait pas. C′est d′abord parce qu′une certaine aristocratie, élevée dès l′enfance à considérer son nom comme un avantage intérieur que rien ne peut lui enlever (et dont ses pairs, ou ceux qui sont de naissance plus haute encore, connaissent assez exactement la valeur), sait qu′elle peut s′éviter, car ils ne lui ajouteraient rien, les efforts que sans résultat ultérieur appréciable, font tant de bourgeois, pour ne professer que des opinions bien portées et de ne fréquenter que des gens bien pensants. En revanche, soucieuse de se grandir aux yeux des familles princières ou ducales au-dessous desquelles elle est immédiatement située, cette aristocratie sait qu′elle ne le peut qu′en augmentant son nom de ce qu′il ne contenait pas, de ce qui fait qu′à nom égal, elle prévaudra: une influence politique, une réputation littéraire ou artistique, une grande fortune. Et les frais dont elle se dispense à l′égard de l′inutile hobereau recherché des bourgeois et de la stérile amitié duquel un prince ne lui saurait aucun gré, elle les prodiguera aux hommes politiques, fussent-ils francs-maçons, qui peuvent faire arriver dans les ambassades ou patronner dans les élections, aux artistes ou aux savants dont l′appui aide à «percer» dans la branche où ils priment, à tous ceux enfin qui sont en mesure de conférer une illustration nouvelle ou de faire réussir un riche mariage. But who, the reader has been asking, was the Marquis de Norpois? Well, he had been Minister Plenipotentiary before the War, and was actually an Ambassador on the Sixteenth of May; in spite of which, and to the general astonishment, he had since been several times chosen to represent France on Extraordinary Missions — even as Controller of the Public Debt in Egypt, where, thanks to his great capability as a financier, he had rendered important services — by Radical Cabinets under which a reactionary of the middle classes would have declined to serve, and in whose eyes M. de Norpois, in view of his past, his connexions and his opinions, ought presumably to have been suspect. But these advanced Ministers seemed to consider that, in making such an appointment, they were shewing how broad their own minds were, when the supreme interests of France were at stake, were raising themselves above the general run of politicians, were meriting, from the Journal des Débats itself, the title of ‘Statesmen,′ and were reaping direct advantage from the weight that attaches to an aristocratic name and the dramatic interest always aroused by an unexpected appointment. And they knew also that they could reap these advantages by making an appeal to M. de Norpois, without having to fear any want of political loyalty on his part, a fault against which his noble birth not only need not put them on their guard but offered a positive guarantee. And in this calculation the Government of the Republic were not mistaken. In the first place, because an aristocrat of a certain type, brought up from his cradle to regard his name as an integral part of himself of which no accident can deprive him (an asset of whose value his peers, or persons of even higher rank, can form a fairly exact estimate), knows that he can dispense with the efforts (since they can in no way enhance his position) in which, without any appreciable result, so many public men of the middle class spend themselves — to profess only the ‘right′ opinions, to frequent only the ‘sound′ people. Anxious, on the other hand, to increase his own importance in the eyes of the princely or ducal families which take immediate precedence of his own, he knows that he can do so by giving his name that complement which hitherto it has lacked, which will give it priority over other names heraldically its equals: such as political power, a literary or an artistic reputation, or a large fortune. And so what he saves by avoiding the society of the ineffective country squires, after whom all the professional families run helter-skelter, but of his intimacy with whom, were he to profess it, a prince would think nothing, he will lavish on the politicians who (free-masons, or worse, though they be) can advance him in Diplomacy or ‘back′ him in an election, and on the artists or scientists whose patronage can help him to ‘arrive′ in those departments in which they excel, on everyone, in fact, who is in a position to confer a fresh distinction or to ‘bring off′ a rich marriage.
Mais en ce qui concernait M. de Norpois, il y avait surtout que, dans une longue pratique de la diplomatie, il s′était imbu de cet esprit négatif, routinier, conservateur, dit «esprit de gouvernement» et qui est, en effet, celui de tous les gouvernements et, en particulier, sous tous les gouvernements, l′esprit des chancelleries. Il avait puisé dans la carrière, l′aversion, la crainte et le mépris de ces procédés plus ou moins révolutionnaires, et à tout le moins incorrects, que sont les procédés des oppositions. Sauf chez quelques illettrés du peuple et du monde, pour qui la différence des genres est lettre morte, ce qui rapproche, ce n′est pas la communauté des opinions, c′est la consanguinité des esprits. Un académicien du genre de Legouvé et qui serait partisan des classiques, eût applaudi plus volontiers à l′éloge de Victor Hugo par Maxime Ducamp ou Mézières, qu′à celui de Boileau par Claudel. Un même nationalisme suffit à rapprocher Barrès de ses électeurs qui ne doivent pas faire grande différence entre lui et M. Georges Berry, mais non de ceux de ses collègues de l′Académie qui ayant ses opinions politiques mais un autre genre d′esprit, lui préfèreront même des adversaires comme MM. Ribot et Deschanel, dont à leur tour de fidèles monarchistes se sentent beaucoup plus près que de Maurras et de Léon Daudet qui souhaitent cependant aussi le retour du Roi. Avare de ses mots non seulement par pli professionnel de prudence et de réserve, mais aussi parce qu′ils ont plus de prix, offrent plus de nuances aux yeux d′hommes dont les efforts de dix années pour rapprocher deux pays se résument, se traduisent, — dans un discours, dans un protocole — par un simple adjectif, banal en apparence, mais où ils voient tout un monde. M. de Norpois passait pour très froid, à la Commission, où il siégeait à côté de mon père, et où chacun félicitait celui-ci de l′amitié que lui témoignait l′ancien ambassadeur. Elle étonnait mon père tout le premier. Car étant généralement peu aimable, il avait l′habitude de n′être pas recherché en dehors du cercle de ses intimes et l′avouait avec simplicité. Il avait conscience qu′il y avait dans les avances du diplomate, un effet de ce point de vue tout individuel où chacun se place pour décider de ses sympathies, et d′où toutes les qualités intellectuelles ou la sensibilité d′une personne ne seront pas auprès de l′un de nous qu′elle ennuie ou agace une aussi bonne recommandation que la rondeur et la gaieté d′une autre qui passerait, aux yeux de beaucoup pour vide, frivole et nulle. «De Norpois m′a invité de nouveau à dîner; c′est extraordinaire; tout le monde en est stupéfait à la Commission où il n′a de relations privées avec personne. Je suis sûr qu′il va encore me raconter des choses palpitantes sur la guerre de 70.» Mon père savait que seul peut-être, M. de Norpois avait averti l′Empereur de la puissance grandissante et des intentions belliqueuses de la Prusse, et que Bismarck avait pour son intelligence une estime particulière. Dernièrement encore, à l′Opéra, pendant le gala offert au roi Théodose, les journaux avaient remarqué l′entretien prolongé que le souverain avait accordé à M. de Norpois. «Il faudra que je sache si cette visite du Roi a vraiment de l′importance, nous dit mon père qui s′intéressait beaucoup à la politique étrangère. Je sais bien que le père Norpois est très boutonné, mais avec moi, il s′ouvre si gentiment.» But in the character of M. de Norpois there was this predominant feature, that, in the course of a long career of diplomacy, he had become imbued with that negative, methodical, conservative spirit, called ‘governmental,′ which is common to all Governments and, under every Government, particularly inspires its Foreign Office. He had imbibed, during that career, an aversion, a dread, a contempt for the methods of procedure, more or less revolutionary and in any event quite incorrect, which are those of an Opposition. Save in the case of a few illiterates — high or low, it makes no matter — by whom no difference in quality is perceptible, what attracts men one to another is not a common point of view but a consanguinity of spirit. An Academician of the kind of Legouvé, and therefore an upholder of the classics, would applaud Maxime Ducamp′s or Mezière′s eulogy of Victor Hugo with more fervour than that of Boileau by Claudel. A common Nationalism suffices to endear Barrés to his electors, who scarcely distinguish between him and M. Georges Berry, but does not endear him to those of his brother Academicians who, with a similar outlook on politics but a different type of mind, will prefer to him even such open adversaries as M. Ribot and M. Deschanel, with whom, in turn, the most loyal Monarchists feel themselves more closely allied than with Maurras or Léon Daudet, although these also are living in the hope of a glorious Restoration. Miserly in the use of words, not only from a professional scruple of prudence and reserve, but because words themselves have more value, present more subtleties of definition to men whose efforts, protracted over a decade, to bring two countries to an understanding, are condensed, translated — in a speech or in a protocol — into a single adjective, colourless in all appearance, but to them pregnant with a world of meaning, M. de Norpois was considered very stiff, at the Commission, where he sat next to my father, whom everyone else congratulated on the astonishing way in which the old Ambassador unbent to him. My father was himself more astonished than anyone. For not being, as a rule, very affable, his company was little sought outside his own intimate circle, a limitation which he used modestly and frankly to avow. He realised that these overtures were an outcome, in the diplomat, of that point of view which everyone adopts for himself in making his choice of friends, from which all a man′s intellectual qualities, his refinement, his affection are a far less potent recommendation of him, when at the same time he bores or irritates one, than are the mere straightforwardness and good-humour of another man whom most people would regard as frivolous or even fatuous. “De Norpois has asked me to dinner again; it′s quite extraordinary; everyone on the Commission is amazed, as he never has any personal relations with any of us. I am sure he′s going to tell me something thrilling, again, about the ‘Seventy war.” My father knew that M. de Norpois had warned, had perhaps been alone in warning the Emperor of the growing strength and bellicose designs of Prussia, and that Bismarck rated his intelligence most highly. Only the other day, at the Opera, during the gala performance given for King Theodosius, the newspapers had all drawn attention to the long conversation which that Monarch had held with M. de Norpois. “I must ask him whether the King′s visit had any real significance,” my father went on, for he was keenly interested in foreign politics. “I know old Norpois keeps very close as a rule, but when he′s with me he opens out quite charmingly.”
Quant à ma mère, peut-être l′Ambassadeur n′avait-il pas par lui-même le genre d′intelligence vers lequel elle se sentait le plus attirée. Et je dois dire que la conversation de M. de Norpois était un répertoire si complet des formes surannées du langage particulières à une carrière, à une classe, et à un temps — un temps qui, pour cette carrière et cette classe-là, pourrait bien ne pas être tout à fait aboli — que je regrette parfois de n′avoir pas retenu purement et simplement les propos que je lui ai entendu tenir. J′aurais ainsi obtenu un effet de démodé, à aussi bon compte et de la même façon que cet acteur du Palais-Royal à qui on demandait où il pouvait trouver ses surprenants chapeaux et qui répondait: «Je ne trouve pas mes chapeaux. Je les garde.» En un mot, je crois que ma mère jugeait M. de Norpois un peu «vieux jeu», ce qui était loin de lui sembler déplaisant au point de vue des manières, mais la charmait moins dans le domaine, sinon des idées — car celles de M. de Norpois étaient fort modernes — mais des expressions. Seulement, elle sentait que c′était flatter délicatement son mari que de lui parler avec admiration du diplomate qui lui marquait une prédilection si rare. En fortifiant dans l′esprit de mon père la bonne opinion qu′il avait de M. de Norpois, et par là en le conduisant à en prendre une bonne aussi de lui-même, elle avait conscience de remplir celui de ses devoirs qui consistait à rendre la vie agréable à son époux, comme elle faisait quand elle veillait à ce que la cuisine fut soignée et le service silencieux. Et comme elle était incapable de mentir à mon père, elle s′entraînait elle-même à admirer l′Ambassadeur pour pouvoir le louer avec sincérité. D′ailleurs, elle goûtait naturellement son air de bonté, sa politesse un peu désuète (et si cérémonieuse que quand, marchant en redressant sa haute taille, il apercevait ma mère qui passait en voiture, avant de lui envoyer un coup de chapeau, il jetait au loin un cigare à peine commencé); sa conversation si mesurée, où il parlait de lui-même le moins possible et tenait toujours compte de ce qui pouvait être agréable à l′interlocuteur, sa ponctualité tellement surprenante à répondre à une lettre que quand venant de lui en envoyer une, mon père reconnaissait l′écriture de M. de Norpois sur une enveloppe, son premier mouvement était de croire que par mauvaise chance leur correspondance s′était croisée: on eût dit qu′il existait, pour lui, à la poste, des levées supplémentaires et de luxe. Ma mère s′émerveillait qu′il fut si exact quoique si occupé, si aimable quoique si répandu, sans songer que les «quoique» sont toujours des «parce que» méconnus, et que (de même que les vieillards sont étonnants pour leur âge, les rois pleins de simplicité, et les provinciaux au courant de tout) c′était les mêmes habitudes qui permettaient à M. de Norpois de satisfaire à tant d′occupations et d′être si ordonné dans ses réponses, de plaire dans le monde et d′être aimable avec nous. De plus, l′erreur de ma mère comme celle de toutes les personnes qui ont trop de modestie, venait de ce qu′elle mettait les choses qui la concernaient au-dessous, et par conséquent en dehors des autres. La réponse qu′elle trouvait que l′ami de mon père avait eu tant de mérite à nous adresser rapidement parce qu′il écrivait par jour beaucoup de lettres, elle l′exceptait de ce grand nombre de lettres dont ce n′était que l′une; de même elle ne considérait pas qu′un dîner chez nous fût pour M. de Norpois un des actes innombrables de sa vie sociale: elle ne songeait pas que l′Ambassadeur avait été habitué autrefois dans la diplomatie à considérer les dîners en ville comme faisant partie de ses fonctions et à y déployer une grâce invétérée dont c′eût été trop lui demander de se départir par extraordinaire quand il venait chez nous. As for my mother, perhaps the Ambassador had not the type of mind towards which she felt herself most attracted. I should add that his conversation furnished so exhaustive a glossary of the superannuated forms of speech peculiar to a certain profession, class and period — a period which, for that profession and that class, might be said not to have altogether passed away — that I sometimes regret that I have not kept any literal record simply of the things that I have heard him say. I should thus have obtained an effect of old-fashioned courtesy by the same process and at as little expense as that actor at the Palais-Royal who, when asked where on earth he managed to find his astounding hats, answered, “I do not find my hats. I keep them.” In a word, I suppose that my mother considered M. de Norpois a trifle ‘out-of-date,′ which was by no means a fault in her eyes, so far as manners were concerned, but attracted her less in the region — not, in this instance, of ideas, for those of M. de Norpois were extremely modern — but of idiom. She felt, however, that she was paying a delicate compliment to her husband when she spoke admiringly of the diplomat who had shewn so remarkable a predilection for him. By confirming in my father′s mind the good opinion that he already had of M. de Norpois, and so inducing him to form a good opinion of himself also, she knew that she was carrying out that one of her wifely duties which consisted in making life pleasant and comfortable for her husband, just as when she saw to it that his dinner was perfectly cooked and served in silence. And as she was incapable of deceiving my father, she compelled herself to admire the old Ambassador, so as to be able to praise him with sincerity. Incidentally she could naturally, and did, appreciate his kindness, his somewhat antiquated courtesy (so ceremonious that when, as he was walking along the street, his tall figure rigidly erect, he caught sight of my mother driving past, before raising his hat to her he would fling away the cigar that he had just lighted); his conversation, so elaborately circumspect, in which he referred as seldom as possible to himself and always considered what might interest the person to whom he was speaking; his promptness in answering a letter, which was so astonishing that whenever my father, just after posting one himself to M. de Norpois, saw his handwriting upon an envelope, his first thought was always one of annoyance that their letters must, unfortunately, have crossed in the post; which, one was led to suppose, bestowed upon him the special and luxurious privilege of extraordinary deliveries and collections at all hours of the day and night. My mother marvelled at his being so punctilious although so busy, so friendly although so much in demand, never realising that ‘although,′ with such people, is invariably an unrecognised ‘because,′ and that (just as old men are always wonderful for their age, and kings extraordinarily simple, and country cousins astonishingly well-informed) it was the same system of habits that enabled M. de Norpois to undertake so many duties and to be so methodical in answering letters, to go everywhere and to be so friendly when he came to us. Moreover she made the mistake which everyone makes who is unduly modest; she rated everything that concerned herself below, and consequently outside the range of, other people′s duties and engagements. The letter which it seemed to her so meritorious in my father′s friend to have written us promptly, since in the course of the day he must have had ever so many letters to write, she excepted from that great number of letters, of which actually it was a unit; in the same way she did not consider that dining with us was, for M. de Norpois, merely one of the innumerable activities of his social life; she never guessed that the Ambassador had trained himself, long ago, to look upon dining-out as one of his diplomatic functions, and to display, at table, an inveterate charm which it would have been too much to have expected him specially to discard when he came to dine with us.
Le premier dîner que M. de Norpois fit à la maison, une année où je jouais encore aux Champs-Élysées, est resté dans ma mémoire, parce que l′après-midi de ce même jour fut celui où j′allai enfin entendre la Berma, en «matinée», dans Phèdre, et aussi parce qu′en causant avec M. de Norpois je me rendis compte tout d′un coup, et d′une façon nouvelle, combien les sentiments éveillés en moi par tout ce qui concernait Gilberte Swann et ses parents différaient de ceux que cette même famille faisait éprouver à n′importe quelle autre personne. The evening on which M. de Norpois first appeared at our table, in a year when I still went to play in the Champs-Elysées, has remained fixed in my memory because the afternoon of the same day was that upon which I at last went to hear Berma, at a matinée, in Phèdre, and also because in talking to M. de Norpois I realised suddenly, and in a new and different way, how completely the feelings aroused in me by all that concerned Gilberte Swann and her parents differed from any that the same family could inspire in anyone else.
Ce fut sans doute en remarquant l′abattement où me plongeait l′approche des vacances du jour de l′an pendant lesquelles, comme elle me l′avait annoncé elle-même, je ne devais pas voir Gilberte, qu′un jour, pour me distraire, ma mère me dit: «Si tu as encore le même grand désir d′entendre la Berma, je crois que ton père permettrait peut-être que tu y ailles: ta grand′mère pourrait t′y emmener.» It was no doubt the sight of the depression in which I was plunged by the approach of the New Year holidays, in which, as she herself had informed me, I was to see nothing of Gilberte, that prompted my mother one day, in the hope of distracting my mind, to suggest, “If you are still so anxious to hear Berma, I think that your father would allow you perhaps to go; your grandmother can take you.”
Mais c′était parce que M. de Norpois lui avait dit qu′il devrait me laisser entendre la Berma, que c′était, pour un jeune homme, un souvenir à garder, que mon père, jusque-là si hostile à ce que j′allasse perdre mon temps à risquer de prendre du mal pour ce qu′il appelait, au grand scandale de ma grand′mère, des inutilités, n′était plus loin de considérer cette soirée préconisée par l′ambassadeur comme faisant vaguement partie d′un ensemble de recettes précieuses pour la réussite d′une brillante carrière. Ma grand′mère qui, en renonçant pour moi au profit que, selon elle, j′aurais trouvé à entendre la Berma, avait fait un gros sacrifice à l′intérêt de ma santé, s′étonnait que celui-ci devînt négligeable sur une seule parole de M. de Norpois. Mettant ses espérances invincibles de rationaliste dans le régime de grand air et de coucher de bonne heure qui m′avait été prescrit, elle déplorait comme un désastre cette infraction que j′allais y faire et, sur un ton navré, disait: «Comme vous êtes léger» à mon père qui, furieux, répondait: « — Comment, c′est vous maintenant qui ne voulez pas qu′il y aille! c′est un peu fort, vous qui nous répétiez tout le temps que cela pouvait lui être utile.» But it was because M. de Norpois had told him that he ought to let me hear Berma, that it was an experience for a young man to remember in later life, that my father, who had hitherto been so resolutely opposed to my going and wasting my time, with the added risk of my falling ill again, on what he used to shock my grandmother by calling ‘futilities,′ was now not far from regarding this manner of spending an afternoon as included, in some vague way, in the list of precious formulae for success in a brilliant career. My grandmother, who, in renouncing on my behalf the profit which, according to her, I should have derived from hearing Berma, had made a considerable sacrifice in the interests of my health, was surprised to find that this last had become of no account at a mere word from M. de Norpois. Reposing the unconquerable hopes of her rationalist spirit in the strict course of fresh air and early hours which had been prescribed for me, she now deplored, as something disastrous, this infringement that I was to make of my rules, and in a tone of despair protested, “How easily led you are!” to my father, who replied angrily “What! So it′s you that are not for letting him go, now. That is really too much, after your telling us all day and every day that it would be so good for him.”
Mais M. de Norpois avait changé sur un point bien plus important pour moi, les intentions de mon père. Celui-ci avait toujours désiré que je fusse diplomate, et je ne pouvais supporter l′idée que même si je devais rester quelque temps attaché au ministère, je risquasse d′être envoyé un jour comme ambassadeur dans des capitales que Gilberte n′habiterait pas. J′aurais préféré revenir aux projets littéraires que j′avais autrefois formés et abandonnés au cours de mes promenades du côté de Guermantes. Mais mon père avait fait une constante opposition à ce que je me destinasse à la carrière des lettres qu′il estimait fort inférieure à la diplomatie, lui refusant même le nom de carrière, jusqu′au jour où M. de Norpois, qui n′aimait pas beaucoup les agents diplomatiques de nouvelles couches lui avait assuré qu′on pouvait, comme écrivain, s′attirer autant de considération, exercer autant d′action et garder plus d′indépendance que dans les ambassades. M. de Norpois had also brought about a change in my father′s plans in a matter of far greater importance to myself. My father had always meant me to become a diplomat, and I could not endure the thought that, even if I did have to stay for some years, first, at the Ministry, I should run the risk of being sent, later on, as Ambassador, to capitals in which no Gilberte dwelt. I should have preferred to return to the literary career that I had planned for myself, and had been abandoned, years before, in my wanderings along the Guermantes way. But my father had steadily opposed my devoting myself to literature, which he regarded as vastly inferior to diplomacy, refusing even to dignify it with the title of career, until the day when M. de Norpois, who had little love for the more recent generations of diplomatic agents, assured him that it was quite possible, by writing, to attract as much attention, to receive as much consideration, to exercise as much influence, and at the same time to preserve more independence than in the Embassies.
— Hé bien! je ne l′aurais pas cru, le père Norpois n′est pas du tout opposé à l′idée que tu fasses de la littérature, m′avait dit mon père. Et comme assez influent lui-même, il croyait qu′il n′y avait rien qui ne s′arrangeât, ne trouvât sa solution favorable dans la conversation des gens importants: «Je le ramènerai dîner un de ces soirs en sortant de la Commission. Tu causeras un peu avec lui pour qu′il puisse t′apprécier. Écris quelque chose de bien que tu puisses lui montrer; il est très lié avec le directeur de la Revue des Deux-Mondes, il t′y fera entrer, il réglera cela, c′est un vieux malin; et, ma foi, il a l′air de trouver que la diplomatie, aujourd′hui! . . . » “Well, well, I should never have believed it. Old Norpois doesn′t at all disapprove of your idea of taking up writing,” my father had reported. And as he had a certain amount of influence himself, he imagined that there was nothing that could not be ‘arranged,′ no problem for which a happy solution might not be found in the conversation of people who ‘counted.′ “I shall bring him back to dinner, one of these days, from the Commission. You must talk to him a little, and let him see what he thinks of you. Write something good that you can shew him; he is an intimate friend of the editor of the Deux-Mondes; he will get you in there; he will arrange it all, the cunning old fox; and, upon my soul, he seems to think that diplomacy, nowadays ——!”
Le bonheur que j′aurais à ne pas être séparé de Gilberte me rendait désireux mais non capable d′écrire une belle chose qui pût être montrée à M. de Norpois. Après quelques pages préliminaires, l′ennui me faisant tomber la plume des mains, je pleurais de rage en pensant que je n′aurais jamais de talent, que je n′étais pas doué et ne pourrais même pas profiter de la chance que la prochaine venue de M. de Norpois m′offrait de rester toujours à Paris. Seule, l′idée qu′on allait me laisser entendre la Berma me distrayait de mon chagrin. Mais de même que je ne souhaitais voir des tempêtes que sur les côtes où elles étaient les plus violentes, de même je n′aurais voulu entendre la grande actrice que dans un de ces rôles classiques où Swann m′avait dit qu′elle touchait au sublime. Car quand c′est dans l′espoir d′une découverte précieuse que nous désirons recevoir certaines impressions de nature ou d′art, nous avons quelque scrupule à laisser notre âme accueillir à leur place des impressions moindres qui pourraient nous tromper sur la valeur exacte du Beau. La Berma dans Andromaque, dans Les Caprices de Marianne, dans Phèdre, c′était de ces choses fameuses que mon imagination avait tant désirées. J′aurais le même ravissement que le jour où une gondole m′emmènerait au pied du Titien des Frari ou des Carpaccio de San Giorgio dei Schiavoni, si jamais j′entendais réciter par la Berma les vers: My happiness in the prospect of not being separated from Gilberte made me desirous, but not capable, of writing something good which could be shewn to M. de Norpois. After a few laboured pages, weariness made the pen drop from my fingers; I cried with anger at the thought that I should never have any talent, that I was not ‘gifted,′ that I could not even take advantage of the chance that M. de Norpois′s coming visit was to offer me of spending the rest of my life in Paris. The recollection that I was to be taken to hear Berma alone distracted me from my grief. But just as I did not wish to see any storms except on those coasts where they raged with most violence, so I should not have cared to hear the great actress except in one of those classic parts in which Swann had told me that she touched the sublime. For when it is in the hope of making a priceless discovery that we desire to receive certain impressions from nature or from works of art, we have certain scruples about allowing our soul to gather, instead of these, other, inferior, impressions, which are liable to make us form a false estimate of the value of Beauty. Berma in Andromaque, in Les Caprices de Marianne, in Phèdre, was one of those famous spectacles which my imagination had so long desired. I should enjoy the same rapture as on the day when in a gondola I glided to the foot of the Titian of the Frari or the Carpaccios of San Giorgio dei Schiavoni, were I ever to hear Berma repeat the lines beginning,
«On dit qu′un prompt départ vous éloigne de nous, Seigneur, etc.» “On dit qu′un prompt départ vous éloigne de nous, Seigneur — —”
Je les connaissais par la simple reproduction en noir et blanc qu′en donnent les éditions imprimées; mais mon cur battait quand je pensais, comme à la réalisation d′un voyage, que je les verrais enfin baigner effectivement dans l′atmosphère et l′ensoleillement de la voix dorée. Un Carpaccio à Venise, la Berma dans Phèdre, chefs-d′uvre d′art pictural ou dramatique que le prestige qui s′attachait à eux rendait en moi si vivants, c′est-à-dire si indivisibles, que si j′avais été voir des Carpaccio dans une salle du Louvre ou la Berma dans quelque pièce dont je n′aurais jamais entendu parler, je n′aurais plus éprouvé le même étonnement délicieux d′avoir enfin les yeux ouverts devant l′objet inconcevable et unique de tant de milliers de mes rêves. Puis, attendant du jeu de la Berma, des révélations sur certains aspects de la noblesse, de la douleur, il me semblait que ce qu′il y avait de grand, de réel dans ce jeu, devait l′être davantage si l′actrice le superposait à une uvre d′une valeur véritable au lieu de broder en somme du vrai et du beau sur une trame médiocre et vulgaire. I was familiar with them from the simple reproduction in black and white which was given of them upon the printed page; but my heart beat furiously at the thought — as of the realisation of a long-planned voyage — that I should at length behold them, bathed and brought to life in the atmosphere and sunshine of the voice of gold. A Carpaccio in Venice, Berma in Phèdre, masterpieces of pictorial or dramatic art which the glamour, the dignity attaching to them made so living to me, that is to say so indivisible, that if I had been taken to see Carpaccios in one of the galleries of the Louvre, or Berma in some piece of which I had never heard, I should not have experienced the same delicious amazement at finding myself at length, with wide-open eyes, before the unique and inconceivable object of so many thousand dreams. Then, while I waited, expecting to derive from Berma′s playing the revelation of certain aspects of nobility and tragic grief, it would seem to me that whatever greatness, whatever truth there might be in her playing must be enhanced if the actress imposed it upon a work of real value, instead of what would, after all, be but embroidering a pattern of truth and beauty upon a commonplace and vulgar web.
Enfin, si j′allais entendre la Berma dans une pièce nouvelle, il ne me serait pas facile de juger de son art, de sa diction, puisque je ne pourrais pas faire le départ entre un texte que je ne connaîtrais pas d′avance et ce que lui ajouteraient des intonations et des gestes qui me sembleraient faire corps avec lui; tandis que les uvres anciennes que je savais par cur, m′apparaissaient comme de vastes espaces réservés et tout prêts où je pourrais apprécier en pleine liberté les inventions dont la Berma les couvrirait, comme à fresque, des perpétuelles trouvailles de son inspiration. Malheureusement, depuis des années qu′elle avait quitté les grandes scènes et faisait la fortune d′un théâtre de boulevard dont elle était l′étoile, elle ne jouait plus de classique, et j′avais beau consulter les affiches, elles n′annonçaient jamais que des pièces toutes récentes, fabriquées exprès pour elle par des auteurs en vogue; quand un matin, cherchant sur la colonne des théâtres les matinées de la semaine du jour de l′an, j′y vis pour la première fois — en fin de spectacle, après un lever de rideau probablement insignifiant dont le titre me sembla opaque parce qu′il contenait tout le particulier d′une action que j′ignorais — deux actes de Phèdre avec Mme Berma, et aux matinées suivantes Le Demi-Monde, les Caprices de Marianne, noms qui, comme celui de Phèdre, étaient pour moi transparents, remplis seulement de clarté, tant l′uvre m′était connue, illuminés jusqu′au fond d′un sourire d′art. Ils me parurent ajouter de la noblesse à Mme Berma elle-même quand je lus dans les journaux après le programme de ces spectacles que c′était elle qui avait résolu de se montrer de nouveau au public dans quelques-unes de ses anciennes créations. Donc, l′artiste savait que certains rôles ont un intérêt qui survit à la nouveauté de leur apparition ou au succès de leur reprise, elle les considérait, interprétés par elle, comme des chefs-d′uvre de musée qu′il pouvait être instructif de remettre sous les yeux de la génération qui l′y avait admirée, ou de celle qui ne l′y avait pas vue. En faisant afficher ainsi, au milieu de pièces qui n′étaient destinées qu′à faire passer le temps d′une soirée, Phèdre, dont le titre n′était pas plus long que les leurs et n′était pas imprimé en caractères différents, elle y ajoutait comme le sous-entendu d′une maîtresse de maison qui, en vous présentant à ses convives au moment d′aller à table, vous dit au milieu des noms d′invités qui ne sont que des invités, et sur le même ton qu′elle a cité les autres: M. Anatole France. Finally, if I went to hear Berma in a new piece, it would not be easy for me to judge of her art, of her diction, since I should not be able to differentiate between a text which was not already familiar and what she added to it by her intonations and gestures, an addition which would seem to me to be embodied in the play itself; whereas the old plays, the classics which I knew by heart, presented themselves to me as vast and empty walls, reserved and made ready for my inspection, on which I should be able to appreciate without restriction the devices by which Berma would cover them, as with frescoes, with the perpetually fresh treasures of her inspiration. Unfortunately, for some years now, since she had retired from the great theatres, to make the fortune of one on the boulevards where she was the ‘star,′ she had ceased to appear in classic parts; and in vain did I scan the hoardings; they never advertised any but the newest pieces, written specially for her by authors in fashion at the moment. When, one morning, as I stood searching the column of announcements to find the afternoon performances for the week of the New Year holidays, I saw there for the first time — at the foot of the bill, after some probably insignificant curtain-raiser, whose title was opaque to me because it had latent in it all the details of an action of which I was ignorant — two acts of Phèdre with Mme. Berma, and, on the following afternoons, Le Demi-Monde, Les Caprices de Marianne, names which, like that of Phèdre, were for me transparent, filled with light only, so familiar were those works to me, illuminated to their very depths by the revealing smile of art. They seemed to me to invest with a fresh nobility Mme. Berma herself when I read in the newspapers, after the programme of these performances, that it was she who had decided to shew herself once more to the public in some of her early creations. She was conscious, then, that certain stage-parts have an interest which survives the novelty of their first production or the success of a revival; she regarded them, when interpreted by herself, as museum pieces which it might be instructive to set before the eyes of the generation which had admired her in them long ago, or of that which had never yet seen her in them. In thus advertising, in the middle of a column of plays intended only to while away an evening, this Phèdre, a title no longer than any of the rest, nor set in different type, she added something indescribable, as though a hostess, introducing you, before you all go in to dinner, to her other guests, were to mention, casually, amid the string of names which are the names of guests and nothing more, and without any change of tone:—“M. Anatole France.”
Le médecin qui me soignait — celui qui m′avait défendu tout voyage — déconseilla à mes parents de me laisser aller au théâtre; j′en reviendrais malade, pour longtemps peut-être, et j′aurais en fin de compte plus de souffrance que de plaisir. Cette crainte eût pu m′arrêter, si ce que j′avais attendu d′une telle représentation eût été seulement un plaisir qu′en somme une souffrance ultérieure peut annuler, par compensation. Mais — de même qu′au voyage à Balbec, au voyage à Venise que j′avais tant désirés — ce que je demandais à cette matinée, c′était tout autre chose qu′un plaisir: des vérités appartenant à un monde plus réel que celui où je vivais, et desquelles l′acquisition une fois faite ne pourrait pas m′être enlevée par des incidents insignifiants, fussent-ils douloureux à mon corps, de mon oiseuse existence. Tout au plus, le plaisir que j′aurais pendant le spectacle, m′apparaissait-il comme la forme peut-être nécessaire de la perception de ces vérités; et c′était assez pour que je souhaitasse que les malaises prédits ne commençassent qu′une fois la représentation finie, afin qu′il ne fût pas par eux compromis et faussé. J′implorais mes parents, qui, depuis la visite du médecin, ne voulaient plus me permettre d′aller à Phèdre. Je me récitais sans cesse la tirade: The doctor who was attending me — the same who had forbidden me to travel — advised my parents not to let me go to the theatre; I should only be ill again afterwards, perhaps for weeks, and should in the long run derive more pain than pleasure from the experience. The fear of this might have availed to stop me, if what I had anticipated from such a spectacle had been only a pleasure for which a subsequent pain could so compensate as to cancel it. But what I demanded from this performance — just as from the visit to Balbec, the visit to Venice for which I had so intensely longed — was something quite different from pleasure; a series of verities pertaining to a world more real than that in which I lived, which, once acquired, could never be taken from me again by any of the trivial incidents — even though it were the cause of bodily suffering — of my otiose existence. At best, the pleasure which I was to feel during the performance appeared to me as the perhaps inevitable form of the perception of these truths; and I hoped only that the illness which had been forecast for me would not begin until the play was finished, so that my pleasure should not be in any way compromised or spoiled. I implored my parents, who, after the doctor′s visit, were no longer inclined to let me go to Phèdre. I repeated, all day long, to myself, the speech beginning,
«On dit qu′un prompt départ vous éloigne de nous», [BR>cherchant toutes les intonations qu′on pouvait y mettre, afin de mieux mesurer l′inattendu de celle que la Berma trouverait. Cachée comme le Saint des Saints sous le rideau qui me la dérobait et derrière lequel je lui prêtais à chaque instant un aspect nouveau, selon ceux des mots de Bergotte — dans la plaquette retrouvée par Gilberte — qui me revenaient à l′esprit: «Noblesse plastique, cilice chrétien, pâleur janséniste, princesse de Trézène et de Clèves, drame Mycénien, symbole delphique, mythe solaire», la divine Beauté que devait me révéler le jeu de la Berma, nuit et jour, sur un autel perpétuellement allumé, trônait au fond de mon esprit, de mon esprit dont mes parents sévères et légers allaient décider s′il enfermerait ou non, et pour jamais, les perfections de la Déesse dévoilée à cette même place où se dressait sa forme invisible. Et les yeux fixés sur l′image inconcevable, je luttais du matin au soir contre les obstacles que ma famille m′opposait. Mais quand ils furent tombés, quand ma mère — bien que cette matinée eût lieu précisément le jour de la séance de la Commission après laquelle mon père devait ramener dîner M. de Norpois — m′eût dit: «Hé bien, nous ne voulons pas te chagriner, si tu crois que tu auras tant de plaisir, il faut y aller», quand cette journée de théâtre, jusque-là défendue, ne dépendit plus que de moi, alors, pour la première fois, n′ayant plus à m′occuper qu′elle cessât d′être impossible, je me demandai si elle était souhaitable, si d′autres raisons que la défense de mes parents n′auraient pas dû m′y faire renoncer. D′abord, après avoir détesté leur cruauté, leur consentement me les rendait si chers que l′idée de leur faire de la peine m′en causait à moi-même une, à travers laquelle la vie ne m′apparaissait plus comme ayant pour but la vérité, mais la tendresse, et ne me semblait plus bonne ou mauvaise que selon que mes parents seraient heureux ou malheureux. «J′aimerais mieux ne pas y aller, si cela doit vous affliger», dis-je à ma mère qui, au contraire, s′efforçait de m′ôter cette arrière-pensée qu′elle pût en être triste, laquelle, disait-elle, gâterait ce plaisir que j′aurais à Phèdre et en considération duquel elle et mon père étaient revenus sur leur défense. Mais alors cette sorte d′obligation d′avoir du plaisir me semblait bien lourde. Puis si je rentrais malade, serais-je guéri assez vite pour pouvoir aller aux Champs-Élysées, les vacances finies, aussitôt qu′y retournerait Gilberte. A toutes ces raisons, je confrontais, pour décider ce qui devait l′emporter, l′idée, invisible derrière son voile, de la perfection de la Berma. Je mettais dans un des balances du plateau, «sentir maman triste, risquer de ne pas pouvoir aller aux Champs-Élysées», dans l′autre, «pâleur janséniste, mythe solaire»; mais ces mots eux-mêmes finissaient par s′obscurcir devant mon esprit, ne me disaient plus rien, perdaient tout poids; peu à peu mes hésitations devenaient si douloureuses que si j′avais maintenant opté pour le théâtre, ce n′eût plus été que pour les faire cesser et en être délivré une fois pour toutes. C′eût été pour abréger ma souffrance et non plus dans l′espoir d′un bénéfice intellectuel et en cédant à l′attrait de la perfection, que je me serais laissé conduire non vers la Sage Déesse, mais vers l′implacable Divinité sans visage et sans nom qui lui avait été subrepticement substituée sous son voile. Mais brusquement tout fut changé, mon désir d′aller entendre la Berma reçut un coup de fouet nouveau qui me permit d′attendre dans l′impatience et dans la joie cette «matinée»: étant allé faire devant la colonne des théâtres ma station quotidienne, depuis peu si cruelle, de stylite, j′avais vu, tout humide encore, l′affiche détaillée de Phèdre qu′on venait de coller pour la première fois (et où à vrai dire le reste de la distribution ne m′apportait aucun attrait nouveau qui pût me décider). Mais elle donnait à l′un des buts entre lesquels oscillait mon indécision, une forme plus concrète et — comme l′affiche était datée non du jour où je la lisais mais de celui où la représentation aurait lieu, et de l′heure même du lever du rideau — presque imminente, déjà en voie de réalisation, si bien que je sautai de joie devant la colonne en pensant que ce jour-là, exactement à cette heure, je serais prêt à entendre la Berma, assis à ma place; et de peur que mes parents n′eussent plus le temps d′en trouver deux bonnes pour ma grand′mère et pour moi, je ne fis qu′un bond jusqu′à la maison, cinglé que j′étais par ces mots magiques qui avaient remplacé dans ma pensée «pâleur janséniste» et «mythe solaire»: «les dames ne seront pas reçues à l′orchestre en chapeau, les portes seront fermées à deux heures.» “On dit qu′un prompt départ vous éloigne de nous — ”[BR> seeking out every intonation that could be put into it, so as to be able better to measure my surprise at the way which Berma would have found of uttering the lines. Concealed, like the Holy of Holies, beneath the veil that screened her from my gaze, behind which I invested her, every moment, with a fresh aspect, according to which of the words of Bergotte — in the pamphlet that Gilberte had found for me — was passing through my mind; “plastic nobility,” “Christian austerity” or “Jansenist pallor,” “Princess of Troezen and of Cleves” or “Mycenean drama,” “Delphic symbol,” “Solar myth”; that divine Beauty, whom Berma′s acting was to reveal to me, night and day, upon an altar perpetually illumined, sat enthroned in the sanctuary of my mind, my mind for which not itself but my stern, my fickle parents were to decide whether or not it was to enshrine, and for all time, the perfections of the Deity unveiled, in the same spot where was now her invisible form. And with my eyes fixed upon that inconceivable image, I strove from morning to night to overcome the barriers which my family were putting in my way. But when those had at last fallen, when my mother — albeit this matinée was actually to coincide with the meeting of the Commission from which my father had promised to bring M. de Norpois home to dinner — had said to me, “Very well, we don′t wish you to be unhappy; — if you think that you will enjoy it so very much, you must go; that′s all;” when this day of theatre-going, hitherto forbidden and unattainable, depended now only upon myself, then for the first time, being no longer troubled by the wish that it might cease to be impossible, I asked myself if it were desirable, if there were not other reasons than my parents′ prohibition which should make me abandon my design. In the first place, whereas I had been detesting them for their cruelty, their consent made them now so dear to me that the thought of causing them pain stabbed me also with a pain through which the purpose of life shewed itself as the pursuit not of truth but of loving-kindness, and life itself seemed good or evil only as my parents were happy or sad. “I would rather not go, if it hurts you,” I told my mother, who, on the contrary, strove hard to expel from my mind any lurking fear that she might regret my going, since that, she said, would spoil the pleasure that I should otherwise derive from Phèdre, and it was the thought of my pleasure that had induced my father and her to reverse their earlier decision. But then this sort of obligation to find a pleasure in the performance seemed to me very burdensome. Besides, if I returned home ill, should I be well again in time to be able to go to the Champs-Elysées as soon as the holidays were over and Gilberte returned? Against all these arguments I set, so as to decide which course I should take, the idea, invisible there behind its veil, of the perfections of Berma. I cast into one pan of the scales “Making Mamma unhappy,” “risking not being able to go on the Champs-Elysées,” and the other, “Jansenist pallor,” “Solar myth,” until the words themselves grew dark and clouded in my mind′s vision, ceased to say anything to me, lost all their force; and gradually my hesitations became so painful that if I had now decided upon the theatre it would have been only that I might bring them to an end, and be delivered from them once and for all. It would have been to fix a term to my sufferings, and no longer in the expectation of an intellectual benediction, yielding to the attractions of perfection, that I would let myself be taken, not now to the Wise Goddess, but to the stern, implacable Divinity, featureless and unnamed, who had been secretly substituted for her behind the veil. But suddenly everything was altered. My desire to go and hear Berma received a fresh stimulus which enabled me to await the coming of the matinée with impatience and with joy; having gone to take up, in front of the column on which the playbills were, my daily station, as excruciating, of late, as that of a stylite saint, I had seen there, still moist and wrinkled, the complete bill of Phèdre, which had just been pasted up for the first time (and on which, I must confess, the rest of the cast furnished no additional attraction which could help me to decide). But it gave to one of the points between which my indecision wavered a form at once more concrete and — inasmuch as the bill was dated not from the day on which I read it but from that on which the performance would take place, and from the very hour at which the curtain would rise — almost imminent, well on the way, already, to its realisation, so that I jumped for joy before the column at the thought that on that day, and at that hour precisely, I should be sitting there in my place, ready to hear the voice of Berma; and for fear lest my parents might not now be in time to secure two good seats for my grandmother and myself, I raced back to the house, whipped on by the magic words which had now taken the place, in my mind, of “Jansenist pallor” and “Solar myth”; —“Ladies will not be admitted to the stalls in hats. The doors will be closed at two o′clock.”
Hélas! cette première matinée fut une grande déception. Mon père nous proposa de nous déposer ma grand′mère et moi au théâtre, en se rendant à sa Commission. Avant de quitter la maison, il dit à ma mère: «Tâche d′avoir un bon dîner; tu te rappelles que je dois ramener de Norpois?» Ma mère ne l′avait pas oublié. Et depuis la veille, Françoise, heureuse de s′adonner à cet art de la cuisine pour lequel elle avait certainement un don, stimulée, d′ailleurs, par l′annonce d′un convive nouveau, et sachant qu′elle aurait à composer, selon des méthodes sues d′elle seule, du buf à la gelée, vivait dans l′effervescence de la création; comme elle attachait une importance extrême à la qualité intrinsèque des matériaux qui devaient entrer dans la fabrication de son uvre, elle allait elle-même aux Halles se faire donner les plus beaux carrés de romsteck, de jarret de buf, de pied de veau, comme Michel-Ange passant huit mois dans les montagnes de Carrare à choisir les blocs de marbre les plus parfaits pour le monument de Jules II. Françoise dépensait dans ces allées et venues une telle ardeur que maman voyant sa figure enflammée craignait que notre vieille servante ne tombât malade de surmenage comme l′auteur du Tombeau des Médicis dans les carrières de Peitraganta. Et dès la veille Françoise avait envoyé cuire dans le four du boulanger, protégé de mie de pain comme du marbre rose ce qu′elle appelait du jambon de Nev′-York. Croyant la langue moins riche qu′elle n′est et ses propres oreilles peu sûres, sans doute la première fois qu′elle avait entendu parler de jambon d′York avait-elle cru — trouvant d′une prodigalité invraisemblable dans le vocabulaire qu′il pût exister à la fois York et New-York — qu′elle avait mal entendu et qu′on aurait voulu dire le nom qu′elle connaissait déjà. Aussi, depuis, le mot d′York se faisait précéder dans ses oreilles ou devant ses yeux si elle lisait une annonce de: New qu′elle prononçait Nev′. Et c′est de la meilleure foi du monde qu′elle disait à sa fille de cuisine: «Allez me chercher du jambon chez Olida. Madame m′a bien recommandé que ce soit du Nev′-York.» Ce jour-là, si Françoise avait la brûlante certitude des grands créateurs, mon lot était la cruelle inquiétude du chercheur. Sans doute, tant que je n′eus pas entendu la Berma, j′éprouvai du plaisir. J′en éprouvai dans le petit square qui précédait le théâtre et dont, deux heures plus tard, les marronniers dénudés allaient luire avec des reflets métalliques dès que les becs de gaz allumés éclaireraient le détail de leurs ramures; devant les employés du contrôle, desquels le choix, l′avancement, le sort, dépendaient de la grande artiste — qui seule détenait le pouvoir dans cette administration à la tête de laquelle des directeurs éphémères et purement nominaux se succédaient obscurément — et qui prirent nos billets sans nous regarder, agités qu′ils étaient de savoir si toutes les prescriptions de Mme Berma avaient bien été transmises au personnel nouveau, s′il était bien entendu que la claque ne devait jamais applaudir pour elle, que les fenêtres devaient être ouvertes tant qu′elle ne serait pas en scène et la moindre porte fermée après, un pot d′eau chaude dissimulé près d′elle pour faire tomber la poussière du plateau: et, en effet, dans un moment sa voiture attelée de deux chevaux à longue crinière allait s′arrêter devant le théâtre, elle en descendrait enveloppée dans des fourrures, et, répondant d′un geste maussade aux saluts, elle enverrait une de ses suivantes s′informer de l′avant-scène qu′on avait réservée pour ses amis, de la température de la salle, de la composition des loges, de la tenue des ouvreuses, théâtre et public n′étant pour elle qu′un second vêtement plus extérieur dans lequel elle entrerait et le milieu plus ou moins bon conducteur que son talent aurait à traverser. Je fus heureux aussi dans la salle même; depuis que je savais que — contrairement à ce que m′avaient si longtemps représenté mes imaginations enfantines, — il n′y avait qu′une scène pour tout le monde, je pensais qu′on devait être empêché de bien voir par les autres spectateurs comme on l′est au milieu d′une foule; or je me rendis compte qu′au contraire, grâce à une disposition qui est comme le symbole de toute perception, chacun se sent le centre du théâtre; ce qui m′explique qu′une fois qu′on avait envoyé Françoise voir un mélodrame aux troisièmes galeries, elle avait assuré en rentrant que sa place était la meilleure qu′on pût avoir et au lieu de se trouver trop loin, s′était sentie intimidée par la proximité mystérieuse et vivante du rideau. Mon plaisir s′accrut encore quand je commençai à distinguer derrière ce rideau baissé des bruits confus comme on en entend sous la coquille d′un uf quand le poussin va sortir, qui bientôt grandirent, et tout à coup, de ce monde impénétrable à notre regard, mais qui nous voyait du sien, s′adressèrent indubitablement à nous sous la forme impérieuse de trois coups aussi émouvants que des signaux venus de la planète Mars. Et, — ce rideau une fois levé, — quand sur la scène une table à écrire et une cheminée assez ordinaires, d′ailleurs, signifièrent que les personnages qui allaient entrer seraient, non pas des acteurs venus pour réciter comme j′en avais vus une fois en soirée, mais des hommes en train de vivre chez eux un jour de leur vie dans laquelle je pénétrais par effraction sans qu′ils pussent me voir — mon plaisir continua de durer; il fut interrompu par une courte inquiétude: juste comme je dressais l′oreille avant que commençât la pièce, deux hommes entrèrent sur la scène, bien en colère, puisqu′ils parlaient assez fort pour que dans cette salle où il y avait plus de mille personnes on distinguât toutes leurs paroles, tandis que dans un petit café on est obligé de demander au garçon ce que disent deux individus qui se collettent; mais dans le même instant étonné de voir que le public les entendait sans protester, submergé qu′il était par un unanime silence sur lequel vint bientôt clapoter un rire ici, un autre là, je compris que ces insolents étaient les acteurs et que la petite pièce, dite lever de rideau, venait de commencer. Elle fut suivie d′un entr′acte si long que les spectateurs revenus à leurs places s′impatientaient, tapaient des pieds. J′en étais effrayé; car de même que dans le compte rendu d′un procès; quand je lisais qu′un homme d′un noble cur allait venir au mépris de ses intérêts, témoigner en faveur d′un innocent, je craignais toujours qu′on ne fût pas assez gentil pour lui, qu′on ne lui marquât pas assez de reconnaissance, qu′on ne le récompensât pas richement, et, qu′écuré, il se mît du côté de l′injustice; de même, assimilant en cela le génie à la vertu, j′avais peur que la Berma dépitée par les mauvaises façons d′un public aussi mal élevé, — dans lequel j′aurais voulu au contraire qu′elle pût reconnaître avec satisfaction quelques célébrités au jugement de qui elle eût attaché de l′importance — ne lui exprimât son mécontentement et son dédain en jouant mal. Et je regardais d′un air suppliant ces brutes trépignantes qui allaient briser dans leur fureur l′impression fragile et précieuse que j′étais venu chercher. Enfin, les derniers moments de mon plaisir furent pendant les premières scènes de Phèdre. Le personnage de Phèdre ne paraît pas dans ce commencement du second acte; et, pourtant, dès que le rideau fut levé et qu′un second rideau, en velours rouge celui-là, se fut écarté, qui dédoublait la profondeur de la scène dans toutes les pièces où jouait l′étoile, une actrice entra par le fond, qui avait la figure et la voix qu′on m′avait dit être celles de la Berma. On avait dû changer la distribution, tout le soin que j′avais mis à étudier le rôle de la femme de Thésée devenait inutile. Mais une autre actrice donna la réplique à la première. J′avais dû me tromper en prenant celle-là pour la Berma, car la seconde lui ressemblait davantage encore et, plus que l′autre, avait sa diction. Toutes deux d′ailleurs ajoutaient à leur rôle de nobles gestes — que je distinguais clairement et dont je comprenais la relation avec le texte, tandis qu′elles soulevaient leurs beaux péplums — et aussi des intonations ingénieuses, tantôt passionnées, tantôt ironiques, qui me faisaient comprendre la signification d′un vers que j′avais lu chez moi sans apporter assez d′attention à ce qu′il voulait dire. Mais tout d′un coup, dans l′écartement du rideau rouge du sanctuaire, comme dans un cadre, une femme parut et, aussitôt à la peur que j′eus, bien plus anxieuse que pouvait être celle de la Berma, qu′on la gênât en ouvrant une fenêtre, qu′on altérât le son d′une de ses paroles en froissant un programme, qu′on l′indisposât en applaudissant ses camarades, en ne l′applaudissant pas elle, assez; — à ma façon, plus absolue encore que celle de la Berma, de ne considérer dès cet instant, salle, public, acteurs, pièce, et mon propre corps que comme un milieu acoustique n′ayant d′importance que dans la mesure où il était favorable aux inflexions de cette voix, je compris que les deux actrices que j′admirais depuis quelques minutes n′avaient aucune ressemblance avec celle que j′étais venu entendre. Mais en même temps tout mon plaisir avait cessé; j′avais beau tendre vers la Berma mes yeux, mes oreilles, mon esprit, pour ne pas laisser échapper une miette des raisons qu′elle me donnerait de l′admirer, je ne parvenais pas à en recueillir une seule. Je ne pouvais même pas, comme pour ses camarades, distinguer dans sa diction et dans son jeu des intonations intelligentes, de beaux gestes. Je l′écoutais comme j′aurais lu Phèdre, ou comme si Phèdre, elle-même avait dit en ce moment les choses que j′entendais, sans que le talent de la Berma semblât leur avoir rien ajouté. J′aurais voulu — pour pouvoir l′approfondir, pour tâcher d′y découvrir ce qu′elle avait de beau, — arrêter, immobiliser longtemps devant moi chaque intonation de l′artiste, chaque expression de sa physionomie; du moins, je tâchais, à force d′agilité morale, en ayant avant un vers mon attention tout installée et mise au point, de ne pas distraire en préparatifs une parcelle de la durée de chaque mot, de chaque geste, et, grâce à l′intensité de mon attention, d′arriver à descendre en eux aussi profondément que j′aurais fait si j′avais eu de longues heures à moi. Mais que cette durée était brève! A peine un son était-il reçu dans mon oreille qu′il était remplacé par un autre. Dans une scène où la Berma reste immobile un instant, le bras levé à la hauteur du visage baignée grâce à un artifice d′éclairage, dans une lumière verdâtre, devant le décor qui représente la mer, la salle éclata en applaudissements, mais déjà l′actrice avait changé de place et le tableau que j′aurais voulu étudier n′existait plus. Je dis à ma grand′mère que je ne voyais pas bien, elle me passa sa lorgnette. Seulement, quand on croit à la réalité des choses, user d′un moyen artificiel pour se les faire montrer n′équivaut pas tout à fait à se sentir près d′elles. Je pensais que ce n′était plus la Berma que je voyais, mais son image, dans le verre grossissant. Je reposai la lorgnette; mais peut-être l′image que recevait mon il, diminuée par l′éloignement, n′était pas plus exacte; laquelle des deux Berma était la vraie? Quant à la déclaration à Hippolyte, j′avais beaucoup compté sur ce morceau où, à en juger par la signification ingénieuse que ses camarades me découvraient à tout moment dans des parties moins belles, elle aurait certainement des intonations plus surprenantes que celles que chez moi, en lisant, j′avais tâché d′imaginer; mais elle n′atteignit même pas jusqu′à celles qu′none ou Aricie eussent trouvées, elle passa au rabot d′une mélopée uniforme, toute la tirade où se trouvèrent confondues ensemble des oppositions, pourtant si tranchées, qu′une tragédienne à peine intelligente, même des élèves de lycée, n′en eussent pas négligé l′effet; d′ailleurs, elle la débita tellement vite que ce fut seulement quand elle fut arrivée au dernier vers que mon esprit prit conscience de la monotonie voulue qu′elle avait imposée aux premiers. Alas! that first matinée was to prove a bitter disappointment. My father offered to drop my grandmother and me at the theatre, on his way to the Commission. Before leaving the house he said to my mother: “See that you have a good dinner for us to-night; you remember, I′m bringing de Norpois back with me.” My mother had not forgotten. And all that day, and overnight, Françoise, rejoicing in the opportunity to devote herself to that art of the kitchen — of which she was indeed a past-master, stimulated, moreover, by the prospect of having a new guest to feed, the consciousness that she would have to compose, by methods known to her alone, a dish of beef in jelly — had been living in the effervescence of creation; since she attached the utmost importance to the intrinsic quality of the materials which were to enter into the fabric of her work, she had gone herself to the Halles to procure the best cuts of rump-steak, shin of beef, calves′-feet, as Michelangelo passed eight months in the mountains of Carrara choosing the most perfect blocks of marble for the monument of Julius II— Françoise expended on these comings and goings so much ardour that Mamma, at the sight of her flaming cheeks, was alarmed lest our old servant should make herself ill with overwork, like the sculptor of the Tombs of the Medici in the quarries of Pietrasanta. And overnight Françoise had sent to be cooked in the baker′s oven, shielded with breadcrumbs, like a block of pink marble packed in sawdust, what she called a “Nev′-York ham.” Believing the language to be less rich than it actually was in words, and her own ears less trustworthy, the first time that she heard anyone mention York ham she had thought, no doubt — feeling it to be hardly conceivable that the dictionary could be so prodigal as to include at once a ‘York′ and a ‘New York′— that she had misheard what was said, and that the ham was really called by the name already familiar to her. And so, ever since, the word York was preceded in her ears, or before her eyes when she read it in an advertisement, by the affix ‘New′ which she pronounced ‘Nev′.′ And it was with the most perfect faith that she would say to her kitchen-maid: “Go and fetch me a ham from Olida′s. Madame told me especially to get a Nev′-York.” On that particular day, if Françoise was consumed by the burning certainty of creative genius, my lot was the cruel anxiety of the seeker after truth. No doubt, so long as I had not yet heard Berma speak, I still felt some pleasure. I felt it in the little square that lay in front of the theatre, in which, in two hours′ time, the bare boughs of the chestnut trees would gleam with a metallic lustre as the lighted gas-lamps shewed up every detail of their structure; before the attendants in the box-office, the selection of whom, their promotion, all their destiny depended upon the great artist — for she alone held power in the theatre, where ephemeral managers followed one after the other in an obscure succession — who took our tickets without even glancing at us, so preoccupied were they with their anxiety lest any of Mme. Berma′s instructions had not been duly transmitted to the new members of the staff, lest it was not clearly, everywhere, understood that the hired applause must never sound for her, that the windows must all be kept open so long as she was not on the stage, and every door closed tight, the moment that she appeared; that a bowl of hot water must be concealed somewhere close to her, to make the dust settle: and, for that matter, at any moment now her carriage, drawn by a pair of horses with flowing manes, would be stopping outside the theatre, she would alight from it muffled in furs, and, crossly acknowledging everyone′s salute, would send one of her attendants to find out whether a stage box had been kept for her friends, what the temperature was ‘in front,′ who were in the other boxes, if the programme sellers were looking smart; theatre and public being to her no more than a second, an outermost cloak which she would put on, and the medium, the more or less ‘good′ conductor through which her talent would have to pass. I was happy, too, in the theatre itself; since I had made the discovery that — in contradiction of the picture so long entertained by my childish imagination — there was but one stage for everybody, I had supposed that I should be prevented from seeing it properly by the presence of the other spectators, as one is when in the thick of a crowd; now I registered the fact that, on the contrary, thanks to an arrangement which is, so to speak, symbolical of all spectatorship, everyone feels himself to be the centre of the theatre; which explained to me why, when Françoise had been sent once to see some melodrama from the top gallery, she had assured us on her return that her seat had been the best in the house, and that instead of finding herself too far from the stage she had been positively frightened by the mysterious and living proximity of the curtain. My pleasure increased further when I began to distinguish behind the said lowered curtain such confused rappings as one hears through the shell of an egg before the chicken emerges, sounds which speedily grew louder and suddenly, from that world which, impenetrable by our eyes, yet scrutinised us with its own, addressed themselves, and to us indubitably, in the imperious form of three consecutive hammer-blows as moving as any signals from the planet Mars. And — once this curtain had risen — when on the stage a writing-table and a fireplace, in no way out of the ordinary, had indicated that the persons who were about to enter would be, not actors come to recite, as I had seen them once and heard them at an evening party, but real people, just living their lives at home, on whom I was thus able to spy without their seeing me — my pleasure still endured; it was broken by a momentary uneasiness; just as I was straining my ears in readiness before the piece began, two men entered the theatre from the side of the stage, who must have been very angry with each other, for they were talking so loud that in the auditorium, where there were at least a thousand people, we could hear every word, whereas in quite a small café one is obliged to call the waiter and ask what it is that two men, who appear to be quarrelling, are saying; but at that moment, while I sat astonished to find that the audience was listening to them without protest, drowned as it was in a universal silence upon which broke, presently, a laugh here and there, I understood that these insolent fellows were the actors and that the short piece known as the ‘curtain-raiser′ had now begun. It was followed by an interval so long that the audience, who had returned to their places, grew impatient and began to stamp their feet. I was terrified at this; for just as in the report of a criminal trial, when I read that some noble-minded person was coming, against his own interests, to testify on behalf of an innocent prisoner, I was always afraid that they would not be nice enough to him, would not shew enough gratitude, would not recompense him lavishly, and that he, in disgust, would then range himself on the side of injustice; so now attributing to genius, in this respect, the same qualities as to virtue, I was afraid lest Berma, annoyed by the bad behaviour of so ill-bred an audience — in which, on the other hand, I should have liked her to recognise, with satisfaction, a few celebrities to whose judgment she would be bound to attach importance — should express her discontent and disdain by acting badly. And I gazed appealingly round me at these stamping brutes who were about to shatter, in their insensate rage, the rare and fragile impression which I had come to seek. The last moments of my pleasure were during the opening scenes of Phèdre. The heroine herself does not appear in these first scenes of the second act; and yet, as soon as the curtain rose, and another curtain, of red velvet this time, was parted in the middle (a curtain which was used to halve the depth of the stage in all the plays in which the ‘star′ appeared), an actress entered from the back who had the face and voice which, I had been told, were those of Berma. The cast must therefore have been changed; all the trouble that I had taken in studying the part of the wife of Theseus was wasted. But a second actress now responded to the first. I must, then, have been mistaken in supposing that the first was Berma, for the second even more closely resembled her, and, more than the other, had her diction. Both of them, moreover, enriched their parts with noble gestures — which I could vividly distinguish, and could appreciate in their relation to the text, while they raised and let fall the lovely folds of their tunics — and also with skilful changes of tone, now passionate, now ironical, which made me realise the significance of lines that I had read to myself at home without paying sufficient attention to what they really meant. But all of a sudden, in the cleft of the red curtain that veiled her sanctuary, as in a frame, appeared a woman, and simultaneously with the fear that seized me, far more vexing than Berma′s fear could be, lest someone should upset her by opening a window, or drown one of her lines by rustling a programme, or annoy her by applauding the others and by not applauding her enough; — in my own fashion, still more absolute than Berma′s, of considering from that moment theatre, audience, play and my own body only as an acoustic medium of no importance, save in the degree to which it was favourable to the inflexions of that voice — I realised that the two actresses whom I had been for some minutes admiring bore not the least resemblance to her whom I had come to hear. But at the same time all my pleasure had ceased; in vain might I strain towards Berma′s eyes, ears, mind, so as not to let one morsel escape me of the reasons which she would furnish for my admiring her, I did not succeed in gathering a single one. I could not even, as I could with her companions, distinguish in her diction and in her playing intelligent intonations, beautiful gestures. I listened to her as though I were reading Phèdre, or as though Phaedra herself had at that moment uttered the words that I was hearing, without its appearing that Berma′s talent had added anything at all to them. I could have wished, so as to be able to explore them fully, so as to attempt to discover what it was in them that was beautiful, to arrest, to immobilise for a time before my senses every intonation of the artist′s voice, every expression of her features; at least I did attempt, by dint of my mental agility in having, before a line came, my attention ready and tuned to catch it, not to waste upon preparations any morsel of the precious time that each word, each gesture occupied, and, thanks to the intensity of my observation, to manage to penetrate as far into them as if I had had whole hours to spend upon them, by myself. But how short their duration was! Scarcely had a sound been received by my ear than it was displaced there by another. In one scene, where Berma stands motionless for a moment, her arm raised to the level of a face bathed, by some piece of stagecraft, in a greenish light, before a back-cloth painted to represent the sea, the whole house broke out in applause; but already the actress had moved, and the picture that I should have liked to study existed no longer. I told my grandmother that I could not see very well; she handed me her glasses. Only, when one believes in the reality of a thing, making it visible by artificial means is not quite the same as feeling that it is close at hand. I thought now that it was no longer Berma at whom I was looking, but her image in a magnifying glass. I put the glasses down, but then possibly the image that my eye received of her, diminished by distance, was no more exact; which of the two Bermas was the real? As for her speech to Hippolyte, I had counted enormously upon that, since, to judge by the ingenious significance which her companions were disclosing to me at every moment in less beautiful parts, she would certainly render it with intonations more surprising than any which, when reading the play at home, I had contrived to imagine; but she did not attain to the heights which Œnone or Aricie would naturally have reached, she planed down into a uniform flow of melody the whole of a passage in which there were mingled together contradictions so striking that the least intelligent of tragic actresses, even the pupils of an academy, could not have missed their effect; besides which, she ran through the speech so rapidly that it was only when she had come to the last line that my mind became aware of the deliberate monotony which she had imposed on it throughout.
Enfin éclata mon premier sentiment d′admiration: il fut provoqué par les applaudissements frénétiques des spectateurs. J′y mêlai les miens en tâchant de les prolonger, afin que par reconnaissance, la Berma se surpassant, je fusse certain de l′avoir entendue dans un de ses meilleurs jours. Ce qui est du reste curieux, c′est que le moment où se déchaîna cet enthousiasme du public, fut, je l′ai su depuis, celui où la Berma a une de ses plus belles trouvailles. Il semble que certaines réalités transcendantes émettent autour d′elles des rayons auxquels la foule est sensible. C′est ainsi que, par exemple, quand un événement se produit, quand à la frontière une armée est en danger, ou battue, ou victorieuse, les nouvelles assez obscures qu′on reçoit et d′où l′homme cultivé ne sait pas tirer grand chose, excitent dans la foule une émotion qui le surprend et dans laquelle, une fois que les experts l′ont mis au courant de la véritable situation militaire, il reconnaît la perception par le peuple de cette «aura» qui entoure les grands événements et qui peut être visible à des centaines de kilomètres. On apprend la victoire, ou après-coup quand la guerre est finie, ou tout de suite par la joie du concierge. On découvre un trait génial du jeu de la Berma huit jours après l′avoir entendue, par la critique, ou sur le coup par les acclamations du parterre. Mais cette connaissance immédiate de la foule étant mêlée à cent autres toutes erronées, les applaudissements tombaient le plus souvent à faux, sans compter qu′ils étaient mécaniquement soulevés par la force des applaudissements antérieurs comme dans une tempête une fois que la mer a été suffisamment remuée elle continue à grossir, même si le vent ne s′accroît plus. N′importe, au fur et à mesure que j′applaudissais, il me semblait que la Berma avait mieux joué. «Au moins, disait à côté de moi une femme assez commune, elle se dépense celle-là, elle se frappe à se faire mal, elle court, parlez-moi de ça, c′est jouer.» Et heureux de trouver ces raisons de la supériorité de la Berma, tout en me doutant qu′elles ne l′expliquaient pas plus que celle de la Joconde, ou du Persée de Benvenuto l′exclamation d′un paysan: «C′est bien fait tout de même! c′est tout en or, et du beau! quel travail!», je partageai avec ivresse le vin grossier de cet enthousiasme populaire. Je n′en sentis pas moins, le rideau tombé, un désappointement que ce plaisir que j′avais tant désiré n′eût pas été plus grand, mais en même temps le besoin de le prolonger, de ne pas quitter pour jamais, en sortant de la salle, cette vie du théâtre qui pendant quelques heures avait été la mienne, et dont je me serais arraché comme en un départ pour l′exil, en rentrant directement à la maison, si je n′avais espéré d′y apprendre beaucoup sur la Berma par son admirateur auquel je devais qu′on m′eût permis d′aller à Phèdre. M. de Norpois. Je lui fus présenté avant le dîner par mon père qui m′appela pour cela dans son cabinet. A mon entrée, l′ambassadeur se leva, me tendit la main, inclina sa haute taille et fixa attentivement sur moi ses yeux bleus. Comme les étrangers de passage qui lui étaient présentés, au temps où il représentait la France, étaient plus ou moins — jusqu′aux chanteurs connus — des personnes de marque et dont il savait alors qu′il pourrait dire plus tard quand on prononcerait leur nom à Paris ou à Pétersbourg, qu′il se rappelait parfaitement la soirée qu′il avait passée avec eux à Munich ou à Sofia, il avait pris l′habitude de leur marquer par son affabilité la satisfaction qu′il avait de les connaître: mais de plus, persuadé que dans la vie des capitales, au contact à la fois des individualités intéressantes qui les traversent et des usages du peuple qui les habite, on acquiert une connaissance approfondie, et que les livres ne donnent pas, de l′histoire, de la géographie, des moeurs des différentes nations, du mouvement intellectuel de l′Europe, il exerçait sur chaque nouveau venu ses facultés aiguës d′observateur afin de savoir de suite à quelle espèce d′homme il avait à faire. Le gouvernement ne lui avait plus depuis longtemps confié de poste à l′étranger, mais dès qu′on lui présentait quelqu′un, ses yeux, comme s′ils n′avaient pas reçu notification de sa mise en disponibilité, commençaient à observer avec fruit, cependant que par toute son attitude il cherchait à montrer que le nom de l′étranger ne lui était pas inconnu. Aussi, tout en me parlant avec bonté et de l′air d′importance d′un homme qui sait sa vaste expérience, il ne cessait de m′examiner avec une curiosité sagace et pour son profit, comme si j′eusse été quelque usage exotique, quelque monument instructif, ou quelque étoile en tournée. Et de la sorte il faisait preuve à la fois, à mon endroit, de la majestueuse amabilité du sage Mentor et de la curiosité studieuse du jeune Anacharsis. Then, at last, a sense of admiration did possess me, provoked by the frenzied applause of the audience. I mingled my own with theirs, endeavouring to prolong the general sound so that Berma, in her gratitude, should surpass herself, and I be certain of having heard her on one of her great days. A curious thing, by the way, was that the moment when this storm of public enthusiasm broke loose was, as I afterwards learned, that in which Berma reveals one of her richest treasures. It would appear that certain transcendent realities emit all around them a radiance to which the crowd is sensitive. So it is that when any great event occurs, when on a distant frontier an army is in jeopardy, or defeated, or victorious, the vague and conflicting reports which we receive, from which an educated man can derive little enlightenment, stimulate in the crowd an emotion by which that man is surprised, and in which, once expert criticism has informed him of the actual military situation, he recognises the popular perception of that ‘aura′ which surrounds momentous happenings, and which may be visible hundreds of miles away. One learns of a victory either after the war is over, or at once, from the hilarious joy of one′s hall porter. One discovers the touch of genius in Berma′s acting a week after one has heard her, in the criticism of some review, or else on the spot, from the thundering acclamation of the stalls. But this immediate recognition by the crowd was mingled with a hundred others, all quite erroneous; the applause came, most often, at wrong moments, apart from the fact that it was mechanically produced by the effect of the applause that had gone before, just as in a storm, once the sea is sufficiently disturbed, it will continue to swell, even after the wind has begun to subside. No matter; the more I applauded, the better, it seemed to me, did Berma act. “I say,” came from a woman sitting near me, of no great social pretensions, “she fairly gives it you, she does; you′d think she′d do herself an injury, the way she runs about. I call that acting, don′t you?” And happy to find these reasons for Berma′s superiority, though not without a suspicion that they no more accounted for it than would for that of the Gioconda or of Benvenuto′s Perseus a peasant′s gaping “That′s a good bit of work. It′s all gold, look! Fine, ain′t it?”, I greedily imbibed the strong wine of this popular enthusiasm. I felt, all the same, when the curtain had fallen for the last time, disappointed that the pleasure for which I had so longed had been no greater, but at the same time I felt the need to prolong it, not to depart for ever, when I left the theatre, from this strange life of the stage which had, for a few hours, been my own, from which I should be tearing myself away, as though I were going into exile, when I returned to my; own home, had I not hoped there to learn a great deal more about Berma from her admirer, to whom I was indebted already for the permission to go to Phèdre, M. de Norpois. I was introduced to him before dinner by my father, who summoned me into his study for the purpose. As I entered, the Ambassador rose, held out his hand, bowed his tall figure and fixed his blue eyes attentively on my face. As the foreign visitors who used to be presented to him, in the days when he still represented France abroad, were all more or less (even the famous singers) persons of note, with regard to whom he could tell, when he met them, that he would be able to say, later on, when he heard then — names mentioned in Paris or in Petersburg, that he remembered perfectly the evening he had spent with them at Munich or Sofia, he had formed the habit of impressing upon them, by his affability, the pleasure with which he was making their acquaintance; but in addition to this, being convinced that in the life of European capitals, in contact at once with all the interesting personalities that passed through them and with the manners and customs of the native populations, one acquired a deeper insight than could be gained from books into the intellectual movement throughout Europe, he would exercise upon each newcomer his keen power of observation, so as to decide at once with what manner of man he had to deal. The Government had not for some time now entrusted to him a post abroad, but still, as soon as anyone was introduced to him, his eyes, as though they had not yet been informed of their master′s retirement, began their fruitful observation, while by his whole attitude he endeavoured to convey that the stranger′s name was not unknown to him. And so, all the time, while he spoke to me kindly and with the air of importance of a man who is conscious of the vastness of his own experience, he never ceased to examine me with a sagacious curiosity, and to his own profit, as though I had been some exotic custom, some historic and instructive building or some ‘star′ upon his course. And in this way he gave proof at once, in his attitude towards me, of the majestic benevolence of the sage Mentor and of the zealous curiosity of the young Anacharsis.
Il ne m′offrit absolument rien pour la Revue des Deux-Mondes, mais me posa un certain nombre de questions sur ce qu′avaient été ma vie et mes études, sur mes goûts dont j′entendis parler pour la première fois comme s′il pouvait être raisonnable de les suivre, tandis que j′avais cru jusqu′ici que c′était un devoir de les contrarier. Puisqu′ils me portaient du côté de la littérature, il ne me détourna pas d′elle; il m′en parla au contraire avec déférence comme d′une personne vénérable et charmante du cercle choisi de laquelle, à Rome ou à Dresde, on a gardé le meilleur souvenir et qu′on regrette par suite des nécessités de la vie de retrouver si rarement. Il semblait m′envier en souriant d′un air presque grivois les bons moments que, plus heureux que lui et plus libre, elle me ferait passer. Mais les termes mêmes dont il se servait me montraient la Littérature comme trop différente de l′image que je m′en étais faite à Combray et je compris que j′avais eu doublement raison de renoncer à elle. Jusqu′ici je m′étais seulement rendu compte que je n′avais pas le don d′écrire; maintenant M. de Norpois m′en ôtait même le désir. Je voulus lui exprimer ce que j′avais rêvé; tremblant d′émotion, je me serais fait un scrupule que toutes mes paroles ne fussent pas l′équivalent le plus sincère possible de ce que j′avais senti et que je n′avais jamais essayé de me formuler; c′est dire que mes paroles n′eurent aucune netteté. Peut-être par habitude professionnelle, peut-être en vertu du calme qu′acquiert tout homme important dont on sollicite le conseil et qui sachant qu′il gardera en mains la maîtrise de la conversation, laisse l′interlocuteur s′agiter, s′efforcer, peiner à son aise, peut-être aussi pour faire valoir le caractère de sa tête (selon lui grecque, malgré les grands favoris), M. de Norpois, pendant qu′on lui exposait quelque chose, gardait une immobilité de visage aussi absolue, que si vous aviez parlé devant quelque buste antique — et sourd — dans une glyptothèque. Tout à coup, tombant comme le marteau du commissaire-priseur, ou comme un oracle de Delphes, la voix de l′ambassadeur qui vous répondait vous impressionnait d′autant plus, que rien dans sa face ne vous avait laissé soupçonner le genre d′impression que vous aviez produit sur lui, ni l′avis qu′il allait émettre. He offered me absolutely no opening to the Revue des Deux-Mondes, but put a number of questions to me on what I had been doing and reading; asked what were my own inclinations, which I heard thus spoken of for the first time as though it might be a quite reasonable thing to obey their promptings, whereas hitherto I had always supposed it to be my duty to suppress them. Since they attracted me towards Literature, he did not dissuade me from that course; on the contrary, he spoke of it with deference, as of some venerable personage whose select circle, in Rome or at Dresden, one remembers with pleasure, and regrets only that one′s multifarious duties in life enable one to revisit it so seldom. He appeared to be envying me, with an almost jovial smile, the delightful hours which, more fortunate than himself and more free, I should be able to spend with such a Mistress. But the very terms that he employed shewed me Literature as something entirely different from the image that I had formed of it at Combray, and I realised that I had been doubly right in abandoning my intention. Until now, I had reckoned only that I had not the ‘gift′ for writing; now M. de Norpois took from me the ambition also. I wanted to express to him what had been my dreams; trembling with emotion, I was painfully apprehensive that all the words which I could utter would not be the sincerest possible equivalent of what I had felt, what I had never yet attempted to formulate; that is to say that my words had no clear significance. Perhaps by a professional habit, perhaps by virtue of the calm that is acquired by every important personage whose advice is commonly sought, and who, knowing that he will keep the control of the conversation in his own hands, allows the other party to fret, to struggle, to take his time; perhaps also to emphasize the dignity of his head (Greek, according to himself, despite his sweeping whiskers), M. de Norpois, while anything was being explained to him, would preserve a facial immobility as absolute as if you had been addressing some ancient and unhearing bust in a museum. Until suddenly, falling upon you like an auctioneer′s hammer, or a Delphic oracle, the Ambassador′s voice, as he replied to you, would be all the more impressive, in that nothing in his face had allowed you to guess what sort of impression you had made on him, or what opinion he was about to express.
«Précisément, me dit-il tout à coup comme si la cause était jugée et après m′avoir laissé bafouiller en face des yeux immobiles qui ne me quittaient pas un instant, j′ai le fils d′un de mes amis qui, mutatis mutandis, est comme vous (et il prit pour parler de nos dispositions communes le même ton rassurant que si elles avaient été des dispositions non pas à la littérature, mais au rhumatisme et s′il avait voulu me montrer qu′on n′en mourait pas). Aussi a-t-il préféré quitter le quai d′Orsay où la voie lui était pourtant toute tracée par son père et sans se soucier du qu′en dira-t-on, il s′est mis à produire. Il n′a certes pas lieu de s′en repentir. Il a publié il y a deux ans, — il est d′ailleurs beaucoup plus âgé que vous, naturellement, — un ouvrage relatif au sentiment de l′Infini sur la rive occidentale du lac Victoria-Nyanza et cette année un opuscule moins important, mais conduit d′une plume alerte parfois même acérée, sur le fusil à répétition dans l′armée bulgare, qui l′ont mis tout à fait hors de pair. Il a déjà fait un joli chemin, il n′est pas homme à s′arrêter en route, et je sais que, sans que l′idée d′une candidature ait été envisagée, on a laissé tomber son nom deux ou trois dans la conversation et d′une façon qui n′avait rien de défavorable, à l′Académie des Sciences morales. En somme, sans pouvoir dire encore qu′il soit au pinacle, il a conquis de haute lutte une fort jolie position et le succès qui ne va pas toujours qu′aux agités et aux brouillons, aux faiseurs d′embarras qui sont presque toujours des faiseurs, le succès a récompensé son effort.» “Precisely;” he suddenly began, as though the case were now heard and judged, and after allowing me to writhe in increasing helplessness beneath those motionless eyes which never for an instant left my face. “There is the case of the son of one of my friends, which, mutatis mutandis, is very much like yours.” He adopted in speaking of our common tendency the same reassuring tone as if it had been a tendency not to literature but to rheumatics, and he had wished to assure me that it would not necessarily prove fatal. “He too has chosen to leave the Quai d′Orsay, although the way had been paved for him there by his father, and without caring what people might say, he has settled down to write. And certainly, he′s had no reason to regret it. He published two years ago — of course, he′s much older than you, you understand — a book dealing with the Sense of the Infinite on the Western Shore of Victoria Nyanza, and this year he has brought out a little thing, not so important as the other, but very brightly, in places perhaps almost too pointedly written, on the Repeating Rifle in the Bulgarian Army; and these have put him quite in a class by himself. He′s gone pretty far already, and he′s not the sort of man to stop half way; I happen to know that (without any suggestion, of course, of his standing for election) his name has been mentioned several times, in conversation, and not at all unfavourably, at the Academy of Moral Sciences. And so, one can′t say yet, of course, that he has reached the pinnacle of fame, still he has made his way, by sheer industry, to a very fine position indeed, and success — which doesn′t always come only to agitators and mischief-makers and men who make trouble which is usually more than they are prepared to take — success has crowned his efforts.”
Mon père, me voyant déjà académicien dans quelques années, respirait une satisfaction que M. de Norpois porta à son comble quand, après un instant d′hésitation pendant lequel il sembla calculer les conséquences de son acte, il me dit, en me tendant sa carte: «Allez donc le voir de ma part, il pourra vous donner d′utiles conseils», me causant par ces mots une agitation aussi pénible que s′il m′avait annoncé qu′on m′embarquait le lendemain comme mousse à bord d′un voilier. My father, seeing me already, in a few years′ time, an Academician, was tasting a contentment which M. de Norpois raised to the supreme pitch when, after a momentary hesitation in which he appeared to be calculating the possible consequences of so rash an act, he handed me his card and said: “Why not go and see him yourself? Tell him I sent you. He may be able to give you some good advice,” plunging me by his words into as painful a state of anxiety as if he had told me that, next morning, I was to embark as cabin-boy on board a sailing ship, and to go round the world.
Ma tante Léonie m′avait fait héritier en même temps que de beaucoup d′objets et de meubles fort embarrassants, de presque toute sa fortune liquide — révélant ainsi après sa mort une affection pour moi que je n′avais guère soupçonnée pendant sa vie. Mon père, qui devait gérer cette fortune jusqu′à ma majorité, consulta M. de Norpois sur un certain nombre de placements. Il conseilla des titres à faible rendement qu′il jugeait particulièrement solides, notamment les Consolidés Anglais et le 4% Russe. «Avec ces valeurs de tout premier ordre, dit M. de Norpois, si le revenu n′est pas très élevé, vous êtes du moins assuré de ne jamais voir fléchir le capital.» Pour le reste, mon père lui dit en gros ce qu′il avait acheté. M. de Norpois eut un imperceptible sourire de félicitations: comme tous les capitalistes, il estimait la fortune une chose enviable, mais trouvait plus délicat de ne complimenter que par un signe d′intelligence à peine avoué, au sujet de celle qu′on possédait; d′autre part, comme il était lui-même colossalement riche, il trouvait de bon goût d′avoir l′air de juger considérables les revenus moindres d′autrui, avec pourtant un retour joyeux et confortable sur la supériorité des siens. En revanche il n′hésita pas à féliciter mon père de la «composition» de son portefeuille «d′un goût très sûr, très délicat, très fin». On aurait dit qu′il attribuait aux relations des valeurs de bourse entre elles, et même aux valeurs de bourse en elles-mêmes, quelque chose comme un mérite esthétique. D′une, assez nouvelle et ignorée, dont mon père lui parla, M. de Norpois, pareil à ces gens qui ont lu des livres que vous vous croyez seul à connaître, lui dit: «Mais si, je me suis amusé pendant quelque temps à la suivre dans la Cote, elle était intéressante», avec le sourire rétrospectivement captivé d′un abonné qui a lu le dernier roman d′une revue, par tranches, en feuilleton. «Je ne vous déconseillerais pas de souscrire à l′émission qui va être lancée prochainement. Elle est attrayante, car on vous offre les titres à des prix tentants.» Pour certaines valeurs anciennes au contraire, mon père ne se rappelant plus exactement les noms, faciles à confondre avec ceux d′actions similaires, ouvrit un tiroir et montra les titres eux-mêmes, à l′Ambassadeur. Leur vue me charma; ils étaient enjolivés de flèches de cathédrales et de figures allégoriques comme certaines vieilles publications romantiques que j′avais feuilletées autrefois. Tout ce qui est d′un même temps se ressemble; les artistes qui illustrent les poèmes d′une époque sont les mêmes que font travailler pour elles les Sociétés financières. Et rien ne fait mieux penser à certaines livraisons de Notre-Dame de Paris et d′uvres de Gérard de Nerval, telles qu′elles étaient accrochées à la devanture de l′épicerie de Combray, que, dans son encadrement rectangulaire et fleuri que supportaient des divinités fluviales, une action nominative de la Compagnie des Eaux. My Aunt Léonie had bequeathed to me, together with all sorts of other things and much of her furniture, with which it was difficult to know what to do, almost all her unsettled estate — revealing thus after her death an affection for me which I had hardly suspected in her lifetime. My father, who was trustee of this estate until I came of age, now consulted M. de Norpois with regard to several of the investments. He recommended certain stocks bearing a low rate of interest, which he considered particularly sound, notably English consols and Russian four per cents. “With absolutely first class securities such as those,” said M. de Norpois, “even if your income from them is nothing very great, you may be certain of never losing any of your capital.” My father then told him, roughly, what else he had bought. M. de Norpois gave a just perceptible smile of congratulation; like all capitalists, he regarded wealth as an enviable thing, but thought it more delicate to compliment people upon their possessions only by a half-indicated sign of intelligent sympathy; on the other hand, as he was himself immensely rich, he felt that he shewed his good taste by seeming to regard as considerable the meagre revenues of his friends, with a happy and comforting resilience to the superiority of his own. He made amends for this by congratulating my father, without hesitation, on the “composition” of his list of investments, selected “with so sure, so delicate, so fine a taste.” You would have supposed, to hear him, that he attributed to the relative values of investments, and even to investments themselves, something akin to aesthetic merit. Of one, comparatively recent and still little known, which my father mentioned, M. de Norpois, like the people who have always read the books of which, you imagine, you yourself alone have ever heard, said at once, “Ah, yes, I used to amuse myself for some time with watching it in the papers; it was quite interesting,” with the retrospective smile of a regular subscriber who has read the latest novel already, in monthly instalments, in his magazine. “It would not be at all a bad idea to apply for some of this new issue. It is distinctly attractive; they are offering it at a most tempting discount.” But when he came to some of the older investments, my father, who could not remember their exact names, which it was easy to confuse with others of the same kind, opened a drawer and shewed the securities themselves to the Ambassador. The sight of them enchanted me. They were ornamented with cathedral spires and allegorical figures, like the old, romantic editions that I had pored over as a child. All the products of one period have something in common; the artists who illustrate the poetry of their generation are the same artists who are employed by the big financial houses. And nothing reminds me so much of the monthly parts of Notre-Dame de Paris, and of various books by Gérard de Nerval, that used to hang outside the grocer′s door at Combray, than does, in its rectangular and flowery border, supported by recumbent river-gods, a ‘personal share′ in the Water Company.
Mon père avait pour mon genre d′intelligence un mépris suffisamment corrigé par la tendresse pour qu′au total, son sentiment sur tout ce que je faisais fut une indulgence aveugle. Aussi n′hésita-t-il pas à m′envoyer chercher un petit poème en prose que j′avais fait autrefois à Combray en revenant d′une promenade. Je l′avais écrit avec une exaltation qu′il me semblait devoir communiquer à ceux qui le liraient. Mais elle ne dut pas gagner M. de Norpois, car ce fut sans me dire une parole qu′il me le rendit. The contempt which my father had for my kind of intelligence was so far tempered by his natural affection for me that, in practice, his attitude towards anything that I might do was one of blind indulgence. And so he had no qualm about telling me to fetch a little ‘prose poem′ which I had made up, years before, at Combray, while coming home from a walk. I had written it down in a state of exaltation which must, I felt certain, infect everyone who read it. But it was not destined to captivate M. de Norpois, for he handed it back to me without a word.
Ma mère, pleine de respect pour les occupations de mon père, vint demander, timidement, si elle pouvait faire servir. Elle avait peur d′interrompre une conversation où elle n′aurait pas eu à être mêlée. Et, en effet, à tout moment mon père rappelait au marquis quelque mesure utile qu′ils avaient décidé de soutenir à la prochaine séance de Commission, et il le faisait sur le ton particulier qu′ont ensemble dans un milieu différent — pareils en cela à deux collégiens — deux collègues à qui leurs habitudes professionnelles créent des souvenirs communs où n′ont pas accès les autres et auxquels ils s′excusent de se reporter devant eux. My mother, who had the most profound respect for all my father′s occupations, came in now, timidly, to ask whether dinner might be served. She was afraid to interrupt a conversation in which she herself could have no part. And indeed my father was continually reminding the Marquis of some useful suggestion which they had decided to make at the next meeting of the Commission; speaking in the peculiar tone always adopted, when in a strange environment by a pair of colleagues — as exclusive, in this respect, as two young men from the same college — whose professional routine has furnished them with a common fund of memories to which the others present have no access, and to which they are unwilling to refer before an audience.
Mais la parfaite indépendance des muscles du visage à laquelle M. de Norpois était arrivé, lui permettait d′écouter sans avoir l′air d′entendre. Mon père finissait par se troubler: «J′avais pensé à demander l′avis de la Commission . . . » disait-il à M. de Norpois après de longs préambules. Alors du visage de l′aristocratique virtuose qui avait gardé l′inertie d′un instrumentiste dont le moment n′est pas venu d′exécuter sa partie, sortait avec un débit égal, sur un ton aigu et comme ne faisant que finir, mais confiée cette fois à un autre timbre, la phrase commencée: «Que bien entendu vous n′hésiterez pas à réunir, d′autant plus que les membres vous sont individuellement connus et peuvent facilement se déplacer.» Ce n′était pas évidemment en elle-même une terminaison bien extraordinaire. Mais l′immobilité qui l′avait précédée la faisait se détacher avec la netteté cristalline, l′imprévu quasi malicieux de ces phrases par lesquelles le piano, silencieux jusque-là, réplique, au moment voulu, au violoncelle qu′on vient d′entendre, dans un concerto de Mozart. But the absolute control over his facial muscles to which M. de Norpois had attained allowed him to listen without seeming to hear a word. At last my father became uneasy. “I had thought,” he ventured, after an endless preamble, “of asking the advice of the Commission . . . ” Then from the face of the noble virtuoso, who had been sitting inert as a player in an orchestra sits until the moment comes for him to begin his part, were uttered, with an even delivery, on a sharp note, and as though they were no more than the completion (but scored for a different voice) of the phrase that my father had begun, the words: “of which you will not hesitate, of course, to call a meeting; more especially as the present members are all known to you personally, and there may be a change any day.” This was not in itself a very remarkable ending. But the immobility that had preceded it made it detach itself with the crystal clarity, the almost malicious unexpectedness of those phrases in which the piano, silent until then,‘takes up at a given moment, the violoncello to which one has just been listening, in a Mozart concerto.
«Hé bien, as-tu été content de ta matinée? me dit mon père, tandis qu′on passait à table, pour me faire briller et pensant que mon enthousiasme me ferait juger par M. de Norpois. Il est allé entendre la Berma tantôt, vous vous rappelez que nous en avions parlé ensemble, dit-il en se tournant vers le diplomate du même ton d′allusion rétrospective, technique et mystérieuse que s′il se fût agi d′une séance de la Commission. “Well, did you enjoy your matinée?” asked my father, as we moved to the dining-room; meaning me to ‘shew off,′ and with the idea that my enthusiasm would give M. de Norpois a good opinion of me. “He has just been to hear Berma. You remember, we were talking about it the other day,” he went on, turning towards the diplomat, in the same tone of retrospective, technical, mysterious allusiveness as if he had been referring to a meeting of the Commission.
«Vous avez dû être enchanté, surtout si c′était la première fois que vous l′entendiez. M. votre père s′alarmait du contre-coup que cette petite escapade pouvait avoir sur votre état de santé, car vous êtes un peu délicat, un peu frêle, je crois. Mais je l′ai rassuré. Les théâtres ne sont plus aujourd′hui ce qu′ils étaient il y a seulement vingt ans. Vous avez des sièges à peu près confortables, une atmosphère renouvelée, quoique nous ayons fort à faire encore pour rejoindre l′Allemagne et l′Angleterre, qui à cet égard comme à bien d′autres ont une formidable avance sur nous. Je n′ai pas vu Mme Berma dans Phèdre, mais j′ai entendu dire qu′elle y était admirable. Et vous avez été ravi, naturellement?» “You must have been enchanted, especially if you had never heard her before. Your father was alarmed at the effect that the little jaunt might have upon your health, which is none too good, I am told, none too robust. But I soon set his mind at rest. Theatres to-day are not what they were even twenty years ago. You have more or less comfortable seats now, and a certain amount of ventilation, although we have still a long way to go before we come up to Germany or England, which in that respect as in many others are immeasurably ahead of us. I have never seen Mme. Berma in Phèdre, but I have always heard that she is excellent in the part. You were charmed with her, of course?”
M. de Norpois, mille fois plus intelligent que moi, devait détenir cette vérité que je n′avais pas su extraire du jeu de la Berma, il allait me la découvrir; en répondant à sa question, j′allais le prier de me dire en quoi cette vérité consistait; et il justifierait ainsi ce désir que j′avais eu de voir l′actrice. Je n′avais qu′un moment, il fallait en profiter et faire porter mon interrogatoire sur les points essentiels. Mais quels étaient-ils? Fixant mon attention tout entière sur mes impressions si confuses, et ne songeant nullement à me faire admirer de M. de Norpois, mais à obtenir de lui la vérité souhaitée, je ne cherchais pas à remplacer les mots qui me manquaient par des expressions toutes faites, je balbutiai, et finalement, pour tâcher de le provoquer à déclarer ce que la Berma avait d′admirable, je lui avouai que j′avais été déçu. M. de Norpois, a man a thousand times more intelligent than myself, must know that hidden truth which I had failed to extract from Berma′s playing; he knew, and would reveal it to me; in answering his question I would implore him to let me know in what that truth consisted; and he would tell me, and so justify me in the longing that I had felt to see and hear the actress. I had only a moment, I must make what use I could of it and bring my cross-examination to bear upon the essential points. But what were they? Fastening my whole attention upon my own so confused impressions, with no thought of making M. de Norpois admire me, but only that of learning from him the truth that I had still to discover, I made no attempt to substitute ready-made phrases for the words that failed me — I stood there stammering, until finally, in the hope of provoking him into declaring what there was in Berma that was admirable, I confessed that I had been disappointed.
— «Mais comment, s′écria mon père, ennuyé de l′impression fâcheuse que l′aveu de mon incompréhension pouvait produire sur M. de Norpois, comment peux-tu dire que tu n′as pas eu de plaisir, ta grand′mère nous a raconté que tu ne perdais pas un mot de ce que la Berma disait, que tu avais les yeux hors de la tête, qu′il n′y avait que toi dans la salle comme cela.» “What′s that?” cried my father, annoyed at the bad impression which this admission of my failure to appreciate the performance must make on M. de Norpois, “What on earth do you mean; you didn′t enjoy it? Why, your grandmother has been telling us that you sat there hanging on every word that Berma uttered, with your eyes starting out of your head; that everyone else in the theatre seemed quite bored, beside you.”
— «Mais oui, j′écoutais de mon mieux pour savoir ce qu′elle avait de si remarquable. Sans doute, elle est très bien . . . » “Oh, yes, I was listening as hard as I could, trying to find out what it was that was supposed to be so wonderful about her. Of course, she′s frightfully good, and all that . . . ”
— «Si elle est très bien, qu′est-ce qu′il te faut de plus?» “If she is ‘frightfully good,′ what more do you want?”
— «Une des choses qui contribuent certainement au succès de Mme Berma, dit M. de Norpois en se tournant avec application vers ma mère pour ne pas la laisser en dehors de la conversation et afin de remplir consciencieusement son devoir de politesse envers une maîtresse de maison, c′est le goût parfait qu′elle apporte dans le choix de ses rôles et qui lui vaut toujours un franc succès, et de bon aloi. Elle joue rarement des médiocrités. Voyez, elle s′est attaquée au rôle de Phèdre. D′ailleurs, ce goût elle l′apporte dans ses toilettes, dans son jeu. Bien qu′elle ait fait de fréquentes et fructueuses tournées en Angleterre et en Amérique, la vulgarité je ne dirai pas de John Bull ce qui serait injuste, au moins pour l′Angleterre de l′ère Victorienne, mais de l′oncle Sam n′a pas déteint sur elle. Jamais de couleurs trop voyantes, de cris exagérés. Et puis cette voix admirable qui la sert si bien et dont elle joue à ravir, je serais presque tenté de dire en musicienne!» “One of the things that have undoubtedly contributed to the success of Mme. Berma,” resumed M. de Norpois, turning with elaborate courtesy towards my mother, so as not to let her be left out of the conversation, and in conscientious fulfilment of his duty of politeness to the lady of the house, “is the perfect taste that she shews in selecting her parts; thus she can always be assured of success, and success of the right sort. She hardly ever appears in anything trivial. Look how she has thrown herself into the part of Phèdre. And then, she brings the same good taste to the choice of her costumes, and to her acting. In spite of her frequent and lucrative tours in England and America, the vulgarity — I will not say of John Bull; that would be unjust, at any rate to the England of the Victorian era — but of Uncle Sam has not infected her. No loud colours, no rant. And then that admirable voice, which has been of such service to her, with which she plays so delightfully — I should almost be tempted to describe it as a musical instrument!”
Mon intérêt pour le jeu de la Berma n′avait cessé de grandir depuis que la représentation était finie parce qu′il ne subissait plus la compression et les limites de la réalité; mais j′éprouvais le besoin de lui trouver des explications; de plus, il s′était porté avec une intensité égale, pendant que la Berma jouait, sur tout ce qu′elle offrait, dans l′indivisibilité de la vie, à mes yeux, à mes oreilles; il n′avait rien séparé et distingué; aussi fut-il heureux de se découvrir une cause raisonnable dans ces éloges donnés à la simplicité, au bon goût de l′artiste, il les attirait à lui par son pouvoir d′absorption, s′emparait d′eux comme l′optimisme d′un homme ivre des actions de son voisin dans lesquelles il trouve une raison d′attendrissement. «C′est vrai, me disais-je, quelle belle voix, quelle absence de cris, quels costumes simples, quelle intelligence d′avoir été choisir Phèdre! Non, je n′ai pas été déçu!» My interest in Berma′s acting had continued to grow ever since the fall of the curtain, because it was then no longer compressed within the limits of reality; but I felt the need to find explanations for it; moreover it had been fixed with the same intensity, while Berma was on the stage, upon everything that she offered, in the indivisibility of a living whole, to my eyes and ears; there was nothing separate or distinct; it welcomed, accordingly, the discovery of a reasonable cause in these tributes paid to the simplicity, to the good taste of the actress, it attracted them to itself by its power of absorption, seized hold of them, as the optimism of a drunken man seizes hold of the actions of his neighbour, in each of which he finds an excuse for emotion. “He is right!” I told myself. “What a charming voice, what an absence of shrillness, what simple costumes, what intelligence to have chosen Phèdre. No; I have not been disappointed!”
Le buf froid aux carottes fit son apparition, couché par le Michel-Ange de notre cuisine sur d′énormes cristaux de gelée pareils à des blocs de quartz transparent. The cold beef, spiced with carrots, made its appearance, couched by the Michelangelo of our kitchen upon enormous crystals of jelly, like transparent blocks of quartz.
« — Vous avez un chef de tout premier ordre, madame, dit M. de Norpois. Et ce n′est pas peu de chose. Moi qui ai eu à l′étranger à tenir un certain train de maison, je sais combien il est souvent difficile de trouver un parfait maître queux. Ce sont de véritables agapes auxquelles vous nous avez conviés là.» “You have a chef of the first order, Madame,” said M. de Norpois, “and that is no small matter. I myself, who have had, when abroad, to maintain a certain style in housekeeping, I know how difficult it often is to find a perfect master-cook. But this is a positive banquet that you have set before us!”
Et, en effet, Françoise, surexcitée par l′ambition de réussir pour un invité de marque un dîner enfin semé de difficultés dignes d′elle, s′était donné une peine qu′elle ne prenait plus quand nous étions seuls et avait retrouvé sa manière incomparable de Combray. And indeed Françoise, in the excitement of her ambition to make a success, for so distinguished a guest, of a dinner the preparation of which had been obstructed by difficulties worthy of her powers, had given herself such trouble as she no longer took when we were alone, and had recaptured her incomparable Combray manner.
— Voilà ce qu′on ne peut obtenir au cabaret, je dis dans les meilleurs: une daube de buf où la gelée ne sente pas la colle, et où le buf ait pris parfum des carottes, c′est admirable! Permettez-moi d′y revenir, ajouta-t-il en faisant signe qu′il voulait encore de la gelée. Je serais curieux de juger votre Vatel maintenant sur un mets tout différent, je voudrais, par exemple, le trouver aux prises avec le buf Stroganof. “That is a thing you can′t get in a chophouse — in the best of them, I mean; a spiced beef in which the jelly does not taste of glue and the beef has caught the flavour of the carrots; it is admirable! Allow me to come again,” he went on, making a sign to shew that he wanted more of the jelly. “I should be interested to see how your Vatel managed a dish of quite a different kind; I should like, for instance, to see him tackle a boeuf Stroganoff.”
M. de Norpois pour contribuer lui aussi à l′agrément du repas nous servit diverses histoires dont il régalait fréquemment ses collègues de carrière, tantôt en citant une période ridicule dite par un homme politique coutumier du fait et qui les faisait longues et pleines d′images incohérentes, tantôt telle formule lapidaire d′un diplomate plein d′atticisme. Mais, à vrai dire, le critérium qui distinguait pour lui ces deux ordres de phrases ne ressemblait en rien à celui que j′appliquais à la littérature. Bien des nuances m′échappaient; les mots qu′il récitait en s′esclaffant ne me paraissaient pas très différents de ceux qu′il trouvait remarquables. Il appartenait au genre d′hommes qui pour les uvres que j′aimais eût dit: «Alors, vous comprenez? moi j′avoue que je ne comprends pas, je ne suis pas initié», mais j′aurais pu lui rendre la pareille, je ne saisissais pas l′esprit ou la sottise, l′éloquence ou l′enflure qu′il trouvait dans une réplique, ou dans un discours et l′absence de toute raison perceptible pourquoi ceci était mal et ceci bien, faisait que cette sorte de littérature m′était plus mystérieuse, me semblait plus obscure qu′aucune. Je démêlai seulement que répéter ce que tout le monde pensait n′était pas en politique une marque d′infériorité mais de supériorité. Quand M. de Norpois se servait de certaines expressions qui traînaient dans les journaux et les prononçait avec force, on sentait qu′elles devenaient un acte par le seul fait qu′il les avait employées et un acte qui susciterait des commentaires. M. de Norpois, so as to add his own contribution to the gaiety of the repast, entertained us with a number of the stories with which he was in the habit of regaling his colleagues in “the career,” quoting now some ludicrous sentence uttered by a politician, an old offender, whose sentences were always long and packed with incoherent images, now some monumental epigram of a diplomat, sparkling with attic salt. But, to tell the truth, the criterion which for him set apart these two kinds of phrase in no way resembled that which I was in the habit of applying to literature.. Most of the finer shades escaped me; the words which he repeated with derision seemed to me not to differ very greatly from those which he found remarkable. He belonged to the class of men who, had we come to discuss the books that I liked, would have said: “So you understand that, do you? I must confess that I do not understand, I am not initiated;” but I could have matched his attitude, for I did not grasp the wit or folly, the eloquence or pomposity which he found in a statement or a speech, and the absence of any perceptible reason for one′s being badly and the other′s well expressed made that sort of literature seem more mysterious, more obscure to me than any other. I could distinguish only that to repeat what everybody else was thinking was, in politics, the mark not of an inferior but of a superior mind. When M. de Norpois made use of certain expressions which were ‘common form′ in the newspapers, and uttered them with emphasis, one felt that they became an official pronouncement by the mere fact of his having employed them, and a pronouncement which would provoke a string of comment.
Ma mère comptait beaucoup sur la salade d′ananas et de truffes. Mais l′Ambassadeur après avoir exercé un instant sur le mets la pénétration de son regard d′observateur la mangea en restant entouré de discrétion diplomatique et ne nous livra pas sa pensée. Ma mère insista pour qu′il en reprit, ce que fit M. de Norpois, mais en disant seulement au lieu du compliment qu′on espérait: «J′obéis, madame, puisque je vois que c′est là de votre part un véritable oukase.» My mother was counting greatly upon the pineapple and truffle salad. But the Ambassador, after fastening for a moment on the confection the penetrating gaze of a trained observer, ate it with the inscrutable discretion of a diplomat, and without disclosing to us what he thought of it. My mother insisted upon his taking some more, which he did, but saying only, in place of the compliment for which she was hoping: “I obey, Madame, for I can see that it is, on your part, a positive ukase!”
— «Nous avons lu dans les «feuilles» que vous vous étiez entretenu longuement avec le roi Théodose, lui dit mon père.» “We saw in the ‘papers that you had a long talk with King Theodosius,” my father ventured.
— «En effet, le roi qui a une rare mémoire des physionomies a eu la bonté de se souvenir en m′apercevant à l′orchestre que j′avais eu l′honneur de le voir pendant plusieurs jours à la cour de Bavière, quand il ne songeait pas à son trône oriental (vous savez qu′il y a été appelé par un congrès européen, et il a même fort hésité à l′accepter, jugeant cette souveraineté un peu inégale à sa race, la plus noble, héraldiquement parlant, de toute l′Europe). Un aide-de-camp est venu me dire d′aller saluer Sa Majesté, à l′ordre de qui je me suis naturellement empressé de déférer.» “Why, yes; the King, who has a wonderful memory for faces, was kind enough to remember, when he noticed me in the stalls, that I had had the honour to meet him on several occasions at the Court of Bavaria, at a time when he had never dreamed of his oriental throne — to which, as you know, he was summoned by a European Congress, and indeed had grave doubts about accepting the invitation, regarding that particular sovereignty as unworthy of his race, the noblest, heraldically speaking, in the whole of Europe. An aide-de-camp came down to bid me pay my respects to his Majesty, whose command I hastened, naturally, to obey.”
— «Avez-vous été content des résultats de son séjour?» “And I trust, you are satisfied with the results of his visit?”
— «Enchanté! Il était permis de concevoir quelque appréhension sur la façon dont un monarque encore si jeune, se tirerait de ce pas difficile, surtout dans des conjonctures aussi délicates. Pour ma part je faisais pleine confiance au sens politique du souverain. Mais j′avoue que mes espérances ont été dépassées. Le toast qu′il a prononcé à l′èlysée, et qui, d′après des renseignements qui me viennent de source tout à fait autorisée, avait été composé par lui du premier mot jusqu′au dernier, était entièrement digne de l′intérêt qu′il a excité partout. C′est tout simplement un coup de maître; un peu hardi je le veux bien, mais d′une audace qu′en somme l′événement a pleinement justifiée. Les traditions diplomatiques ont certainement du bon, mais dans l′espèce elles avaient fini par faire vivre son pays et le nôtre dans une atmosphère de renfermé qui n′était plus respirable. Eh bien! une des manières de renouveler l′air, évidemment une de celles qu′on ne peut pas recommander mais que le roi Théodose pouvait se permettre, c′est de casser les vitres. Et il l′a fait avec une belle humeur qui a ravi tout le monde et aussi une justesse dans les termes, où on a reconnu tout de suite la race de princes lettrés à laquelle il appartient par sa mère. Il est certain que quand il a parlé des «affinités» qui unissent son pays à la France, l′expression pour peu usitée qu′elle puisse être dans le vocabulaire des chancelleries, était singulièrement heureuse. Vous voyez que la littérature ne nuit pas, même dans la diplomatie, même sur un trône, ajouta-t-il en s′adressant à moi. La chose, était constatée depuis longtemps, je le veux bien, et les rapports entre les deux puissances étaient devenus excellents. Encore fallait-il qu′elle fut dite. Le mot était attendu, il a été choisi à merveille, vous avez vu comme il a porté. Pour ma part j′y applaudis des deux mains.» “Enchanted! One was justified in feeling some apprehension as to the manner in which a Sovereign who is still so young would handle a situation requiring tact, particularly at this highly delicate juncture. For my own part, I reposed entire confidence in the King′s political sense. But I must confess that he far surpassed my expectations. The speech that he made at the Elysée, which, according to information that has come to me from a most authoritative source, was composed, from beginning to end, by himself, was fully deserving of the interest that it has aroused in all quarters. It was simply masterly; a trifle daring, I quite admit, but with an audacity which, after all, has been fully justified by the event. Traditional diplomacy is all very well in its way, but in practice it has made his country and ours live in an hermetically sealed atmosphere in which it was no longer possible to breathe. Very well! There is one method of letting in fresh air, obviously not one of the methods which one could officially recommend, but one which King Theodosius might allow himself to adopt — and that is to break the windows. Which he accordingly did, with a spontaneous good humour that delighted everybody, and also with an aptness in his choice of words in which one could at once detect the race of scholarly princes from whom he is descended through his mother. There can be no question that when he spoke of the ‘affinities′ that bound his country to France, the expression, rarely as it may occur in the vocabulary of the Chancellories, was a singularly happy one. You see that literary ability is no drawback, even in diplomacy, even upon a throne,” he went on, turning for a moment to myself. “The community of interests had long been apparent, I quite admit, and the relations of the two Powers were excellent. Still, it needed putting into words. The word was what we were all waiting for, it was chosen with marvellous aptitude; you have seen the effect it had. For my part, I must confess I applauded openly.”
— «Votre ami, M. De Vaugoubert, qui préparait le rapprochement depuis des années, a dû être content.» “Your friend M. de Vaugoubert will be pleased, after preparing for the agreement all these years.”
— «D′autant plus que Sa Majesté qui est assez coutumière du fait avait tenu à lui en faire la surprise. Cette surprise a été complète du reste pour tout le monde, à commencer par le Ministre des Affaires étrangères, qui, à ce qu′on m′a dit, ne l′a pas trouvée à son goût. A quelqu′un qui lui en parlait, il aurait répondu très nettement, assez haut pour être entendu des personnes voisines: «Je n′ai été ni consulté, ni prévenu», indiquant clairement par là qu′il déclinait toute responsabilité dans l′événement. Il faut avouer que celui-ci a fait un beau tapage et je n′oserais pas affirmer ajouta-t-il avec un sourire malicieux, que tels de mes collègues pour qui la loi suprême semble être celle du moindre effort, n′en ont pas été troublés dans leur quiétude. Quant à Vaugoubert, vous savez qu′il avait été fort attaqué pour sa politique de rapprochement avec la France, et il avait dû d′autant plus en souffrir, que c′est un sensible, un cur exquis. J′en puis d′autant mieux témoigner que bien qu′il soit mon cadet et de beaucoup, je l′ai fort pratiqué, nous sommes amis de longue date, et je le connais bien. D′ailleurs qui ne le connaîtrait? C′est une âme de cristal. C′est même le seul défaut qu′on pourrait lui reprocher, il n′est pas nécessaire que le cur d′un diplomate soit aussi transparent que le sien. Cela n′empêche pas qu′on parle de l′envoyer à Rome, ce qui est un bel avancement, mais un bien gros morceau. Entre nous, je crois que Vaugoubert, si dénué qu′il soit d′ambition en serait fort content et ne demande nullement qu′on éloigne de lui ce calice. Il fera peut-être merveille là-bas; il est le candidat de la Consulta, et pour ma part, je le vois très bien, lui artiste, dans le cadre du palais Farnèse et la galerie des Carraches. Il semble qu′au moins personne ne devrait pouvoir le haî°» mais il y a autour du Roi Théodose, toute une camarilla plus ou moins inféodée à la Wilhelmstrasse dont elle suit docilement les inspirations et qui a cherché de toutes façons à lui tailler des croupières. Vaugoubert n′a pas eu à faire face seulement aux intrigues de couloirs mais aux injures de folliculaires à gages qui plus tard, lâches comme l′est tout journaliste stipendié, ont été des premiers à demander l′aman, mais qui en attendant n′ont pas reculé à faire état, contre notre représentant, des ineptes accusations de gens sans aveu. Pendant plus d′un mois les ennemis de Vaugoubert ont dansé autour de lui la danse du scalp, dit M. de Norpois, en détachant avec force ce dernier mot. Mais un bon averti en vaut deux; ces injures il les a repoussées du pied, ajouta-t-il plus énergiquement encore, et avec un regard si farouche que nous cessâmes un instant de manger. Comme dit un beau proverbe arabe: «Les chiens aboient, la caravane passe.» Après avoir jeté cette citation, M. de Norpois s′arrêta pour nous regarder et juger de l′effet qu′elle avait produit sur nous. Il fut grand, le proverbe nous était connu. Il avait remplacé cette année-là chez les hommes de haute valeur cet autre: «Qui sème le vent récolte la tempête», lequel avait besoin de repos, n′étant pas infatigable et vivace comme: «Travailler pour le Roi de Prusse.» Car la culture de ces gens éminents était une culture alternée, et généralement triennale. Certes les citations de ce genre, et desquelles M. de Norpois excellait à émailler ses articles de la Revue, n′étaient point nécessaires pour que ceux-ci parussent solides et bien informés. Même dépourvus de l′ornement qu′elles apportaient, il suffisait que M. de Norpois écrivit à point nommé — ce qu′il ne manquait pas de faire —: «Le Cabinet de Saint-James ne fut pas le dernier à sentir le péril» ou bien: «l′émotion fut grande au Pont-aux-Chantres où l′on suivait d′un il inquiet la politique égoî²´e mais habile de la monarchie bicéphale», ou: «Un cri d′alarme partit de Montecitorio», ou encore «cet éternel double jeu qui est bien dans la manière du Ballplatz». A ces expressions le lecteur profane avait aussitôt reconnu et salué le diplomate de carrière. Mais ce qui avait fait dire qu′il était plus que cela, qu′il possédait une culture supérieure, cela avait été l′emploi raisonné de citations dont le modèle achevé restait alors: «Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances, comme avait coutume de dire le Baron Louis.» (On n′avait pas encore importé d′Orient: «La victoire est à celui des deux adversaires qui sait souffrir un quart d′heure de plus que l′autre comme disent les Japonais»). Cette réputation de grand lettré, jointe à un véritable génie d′intrigue caché sous le masque de l′indifférence avait fait entrer M. de Norpois à l′Académie des Sciences Morales. Et quelques personnes pensèrent même qu′il ne serait pas déplacé à l′Académie Française, le jour où voulant indiquer que c′est en resserrant l′alliance russe que nous pourrions arriver à une entente avec l′Angleterre, il n′hésita pas à écrire: «Qu′on le sache bien au quai d′Orsay, qu′on l′enseigne désormais dans tous les manuels de géographie qui se montrent incomplets à cet égard, qu′on refuse impitoyablement au baccalauréat tout candidat qui ne saura pas le dire: «Si tous les chemins mènent à Rome, en revanche la route qui va de Paris à Londres passe nécessairement par Pétersbourg.» “All the more so that his Majesty, who is quite incorrigible, really, in some ways, had taken care to spring it on him as a surprise. And it did come as a complete surprise, incidentally, to everyone concerned, beginning with the Foreign Minister himself, who — I have heard — did not find it at all to his liking. It appears that someone spoke to him about it and that he replied, pretty sharply, and loud enough to be overheard by the people on either side of them: ‘I have been neither consulted nor informed!′ indicating clearly by that that he declined to accept any responsibility for the consequences. I must own that the incident has given rise to a great deal of comment, and I should not go so far as to deny,” he went on with a malicious smile, “that certain of my colleagues, for whom the supreme law appears to be that of inertia, may have been shaken from their habitual repose. As for Vaugoubert, you are aware that he has been bitterly attacked for his policy of bringing that country into closer relations with France, which must have been more than ordinarily painful to him, he is so sensitive, such an exquisite nature. I can amply testify to that, since, for all that he is considerably my junior, I have had many dealings with him, we are friends of long standing and I know him intimately. Besides, who could help knowing him? His is a heart of crystal. Indeed, that is the one fault that there is to be found with him; it is not necessary for the heart of a diplomat to be as transparent as all that. Still, that does not prevent their talking of sending him to Rome, which would be a fine rise for him, but a pretty big plum to swallow. Between ourselves, I fancy that Vaugoubert, utterly devoid of ambition as he is, would be very well pleased, and would by no means ask for that cup to pass from him. For all we know, he may do wonders down there; he is the chosen candidate of the Consulta, and for my part I can see him very well placed, with his artistic leanings, in the setting of the Farnese Palace and the Caracci Gallery. At least you would suppose that it was impossible for any one to hate him; but there is a whole camarilla collected round King Theodosius which is more or less held in fief by the Wilhelmstrasse, whose inspiration its members dutifully absorb, and these men have done everything in their power to checkmate him. Not only has Vaugoubert had to face these backstairs intrigues, he has had to endure also the insults of a gang of hireling pamphleteers who later on, being like every subsidised journalist the most arrant cowards, have been the first to cry quits, but in the interval had not shrunk from hurling at our Representative the most fatuous accusations that the wit of irresponsible fools could invent. For a month and more Vaugoubert′s enemies had been dancing round him, howling for his scalp,” M. de Norpois detached this word with sharp emphasis. “But forewarned is forearmed; as for their insults, he spurned them with his foot!” he went on with even more determination, and with so fierce a glare in his eye that for a moment we forgot our food. “In the words of a fine Arab proverb, ‘The dogs may bark; the caravan goes on!′” After launching this quotation M. de Norpois paused and examined our faces, to see what effect it had had upon us. Its effect was great, the proverb being familiar to us already. It had taken the place, that year, among people who ‘really counted,′ of “He who sows the wind shall reap the whirlwind,” which was sorely in need of a rest, not having the perennial freshness of “Working for the King of Prussia.” For the culture of these eminent men was an alternate, if not a tripartite and triennial culture. Of course, the use of quotations such as these, with which M. de Norpois excelled in jewelling his articles in the Revue, was in no way essential to their appearing solid and well-informed. Even without the ornament which the quotations supplied, it sufficed that M. de Norpois should write at a given point (as he never failed to write): “The Court of St. James′s was not the last to be sensible of the peril,” or “Feeling ran high on the Singers′ Bridge, which with anxious eyes was following the selfish but skilful policy of the Dual Monarchy,” or “A cry of alarm sounded from Montecitorio,” or yet again, “That everlasting double-dealing which is so characteristic of the Ballplatz.” By these expressions the profane reader had at once recognised and had paid deference to the diplomat de carrière. But what had made people say that he was something more than that, that he was endowed with a superior culture, had been his careful use of quotations, the perfect example of which, at that date, was still: “Give me a good policy and I will give you good finances, to quote the favourite words of Baron Louis“: for we had not yet imported from the Far East: “Victory is on the side that can hold out a quarter of an hour longer than the other, as the Japanese say.” This reputation for immense literary gifts, combined with a positive genius for intrigue which he kept concealed beneath a mask of indifference, had secured the election of M. de Norpois to the Académie des Sciences Morales. And there were some who even thought that he would not be out of place in the Académie Française, on the famous day when, wishing to indicate that it was only by drawing the Russian Alliance closer that we could hope to arrive at an understanding with Great Britain, he had not hesitated to write: “Be it clearly understood in the Quai d′Orsay, be it taught henceforward in all the manuals of geography, which appear to be incomplete in this respect, be his certificate of graduation remorselessly withheld from every candidate who has not learned to say, ‘If all roads lead to Rome, nevertheless the way from Paris to London runs of necessity through St. Petersburg.′”
«Somme toute, continua M. de Norpois en s′adressant à mon père, Vaugoubert s′est taillé là un beau succès et qui dépasse même celui qu′il avait escompté. Il s′attendait en effet à un toast correct (ce qui après les nuages des dernières années était déjà fort beau) mais à rien de plus. Plusieurs personnes qui étaient au nombre des assistants m′ont assuré qu′on ne peut pas en lisant ce toast se rendre compte de l′effet qu′il a produit, prononcé et détaillé à merveille par le roi qui est maître en l′art de dire et qui soulignait au passage toutes les intentions, toutes les finesses. Je me suis laissé raconter à ce propos un fait assez piquant et qui met en relief une fois de plus chez le roi Théodose cette bonne grâce juvénile qui lui gagne si bien les curs. On m′a affirmé que précisément à ce mot d′«affinités» qui était en somme la grosse innovation du discours, et qui défraiera, encore longtemps vous verrez, les commentaires des chancelleries, Sa Majesté, prévoyant la joie de notre ambassadeur, qui allait trouver là le juste couronnement de ses efforts, de son rêve pourrait-on dire et, somme toute, son bâton de maréchal, se tourna à demi vers Vaugoubert et fixant sur lui ce regard si prenant des Oettingen, détacha ce mot si bien choisi d′«affinités», ce mot qui était une véritable trouvaille sur un ton qui faisait savoir à tous qu′il était employé à bon escient et en pleine connaissance de cause. Il paraît que Vaugoubert avait peine à maîtriser son émotion et dans une certaine mesure, j′avoue que je le comprends. Une personne digne de toute créance m′a même confié que le roi se serait approché de Vaugoubert après le dîner, quand Sa Majesté a tenu cercle et lui aurait dit à mi-voix: «Etes-vous content de votre élève, mon cher marquis?» “In short,” M. de Norpois went on, addressing my father, “Vaugoubert has won himself considerable distinction from this affair, quite beyond anything on which he can have reckoned. He expected, you understand, a correctly worded speech (which, after the storm-clouds of recent years, would have been something to the good) but nothing more. Several persons who had the honour to be present have assured me that it is impossible, when one merely reads the speech, to form any conception of the effect that it produced when uttered — when articulated with marvellous clearness of diction by the King, who is a master of the art of public speaking and in that passage underlined every possible shade of meaning. I allowed myself, in this connexion, to listen to a little anecdote which brings into prominence once again that frank, boyish charm by which King Theo-dosius has won so many hearts. I am assured that, just as he uttered that word ‘affinities,′ which was, of course, the startling innovation of the speech, and one that, as you will see, will provoke discussion in the Chancellories for years to come, his Majesty, anticipating the delight of our Ambassador, who was to find in that word the seal, the crown set upon all his labours, on his dreams, one might almost say, and, in a word, his marshal′s baton, made a half turn towards Vaugoubert and fixing upon him his arresting gaze, so characteristic of the Oettingens, fired at him that admirably chosen word ‘affinities,′ a positive treasure-trove, uttering it in a tone which made it plain to all his hearers that it was employed of set purpose and with full knowledge of the circumstances. It appears that Vaugoubert found some difficulty in mastering his emotion, and I must confess that, to a certain extent, I can well understand it. Indeed, a person who is entirely to be believed has told me, in confidence, that the King came up to Vaugoubert after the dinner, when His Majesty was holding an informal court, and was heard to say, ‘Well, are you satisfied with your pupil, my dear Marquis?′
«Il est certain, conclut M. de Norpois, qu′un pareil toast a plus fait que vingt ans de négociations pour resserrer les deux pays, leurs «affinités», selon la pittoresque expression de Théodose II. Ce n′est qu′un mot, si vous voulez, mais voyez, quelle fortune il a fait, comme toute la presse européenne le répète, quel intérêt il éveille, quel son nouveau il a rendu. Il est d′ailleurs bien dans la manière du souverain. Je n′irai pas jusqu′à vous dire qu′il trouve tous les jours de purs diamants comme celui-là. Mais il est bien rare que dans ses discours étudiés, mieux encore, dans le prime-saut de la conversation il ne donne pas son signalement — j′allais dire il n′appose pas sa signature — par quelque mot à l′emporte-pièce. Je suis d′autant moins suspect de partialité en la matière que je suis ennemi de toute innovation en ce genre. Dix-neuf fois sur vingt elles sont dangereuses. “One thing, however,” M. de Norpois concluded, “is certain; and that is that a speech like that has done more than twenty years of negotiation towards bringing the two countries together, uniting their ‘affinities,′ to borrow the picturesque expression of Theodosius II. It is no more than a word, if you like, but look what success it has had, how the whole of the European press is repeating it, what interest it has aroused, what a new note it has struck. Besides it is distinctly in the young Sovereign′s manner. I will not go so far as to say that he lights upon a diamond of that water every day. But it is very seldom that, in his prepared speeches, or better still in the impulsive flow of his conversation, he does not reveal his character — I was on the point of saying ‘does not affix his signature′— by the use of some incisive word. I myself am quite free from any suspicion of partiality in this respect, for I am stoutly opposed to all innovations in terminology. Nine times out of ten they are most dangerous.”
— Oui, j′ai pensé que le récent télégramme de l′empereur d′Allemagne n′a pas dû être de votre goût, dit mon père. “Yes, I was thinking, only the other day, that the German Emperor′s telegram could not be much to your liking,” said my father.
M. de Norpois leva les yeux au ciel d′un air de dire: «Ah! celui-là! D′abord, c′est un acte d′ingratitude. C′est plus qu′un crime, c′est une faute et d′une sottise que je qualifierai de pyramidale! Au reste si personne n′y met le hola, l′homme qui a chassé Bismarck est bien capable de répudier peu à peu toute la politique bismarckienne, alors c′est le saut dans l′inconnu.» M. de Norpois raised his eyes to heaven, as who should say, “Oh, that fellow!” before he replied: “In the first place, it is an act of ingratitude. It is more than a crime; it is a blunder, and one of a crassness which I can describe only as pyramidal! Indeed, unless some one puts a check on his activities, the man who has got rid of Bismarck is quite capable of repudiating by degrees the whole of the Bismarckian policy; after which it will be a leap in the dark.”
— Et mon mari m′a dit, monsieur, que vous l′entraîneriez peut-être un de ces étés en Espagne, j′en suis ravie pour lui. “My husband tells me, sir, that you are perhaps going to take him to Spain one summer; that will be nice for him; I am so glad.”
— Mais oui, c′est un projet tout à fait attrayant et dont je me réjouis. J′aimerais beaucoup faire avec vous ce voyage, mon cher. Et vous, madame, avez-vous déjà songé à l′emploi des vacances? “Why, yes; it is an idea that greatly attracts me; I amuse myself, planning a tour. I should like to go there with you, my dear fellow. But what about you, Madame; have you decided yet how you are going to spend your holidays?”
— J′irai peut-être avec mon fils à Balbec, je ne sais. “I shall perhaps go with my son to Balbec, but I am not certain.”
— Ah! Balbec est agréable, j′ai passé par là il y a quelques années. On commence à y construire des villas fort coquettes: je crois que l′endroit vous plaira. Mais puis-je vous demander ce qui vous a fait choisir Balbec? “Oh, but Balbec is quite charming, I was down that way a few years ago. They are beginning to build some very pretty little-villas there; I think you′ll like the place. But may I ask what has made you choose Balbec?”
— Mon fils a le grand désir de voir certaines églises du pays, surtout celle de Balbec. Je craignais un peu pour sa santé les fatigues du voyage et surtout du séjour. Mais j′ai appris qu′on vient de construire un excellent hôtel qui lui permettra de vivre dans les conditions de confort requises par son état. “My son is very anxious to visit some of the churches in that neighbourhood, and Balbec church in particular. I was a little afraid that the tiring journey there, and the discomfort of staying in the place might be too much for him. But I hear that they have just opened an excellent hotel, in which he will be able to get all the comfort that he requires.”
— Ah! il faudra que je donne ce renseignement à certaine personne qui n′est pas femme à en faire fi. “Indeed! I must make a note of that, for a certain person who will not turn up her nose at a comfortable hotel.”
— L′église de Balbec est admirable, n′est-ce pas, monsieur, demandai-je, surmontant la tristesse d′avoir appris qu′un des attraits de Balbec résidait dans ses coquettes villas. “The church at Balbec is very beautiful, sir, is it not?” I inquired, repressing my sorrow at learning that one of the attractions of Balbec consisted in its pretty little villas.
— Non, elle n′est pas mal, mais enfin elle ne peut soutenir la comparaison avec ces véritables bijoux ciselés que sont les cathédrales de Reims, de Chartres, et à mon goût, la perle de toutes, la Sainte-Chapelle de Paris. “No, it is not bad; but it cannot be compared for a moment with such positive jewels in stone as the Cathedrals of Rheims and Chartres, or with what is to my mind the pearl among them all, the Sainte-Chapelle here in Paris.”
— Mais l′église de Balbec est en partie romane? “But, surely, Balbec church is partly romanesque, is it not?”
— En effet, elle est du style roman, qui est déjà par lui-même extrêmement froid et ne laisse en rien présager l′élégance, la fantaisie des architectes gothiques qui fouillent la pierre comme de la dentelle. L′église de Balbec mérite une visite si on est dans le pays, elle est assez curieuse; si un jour de pluie vous ne savez que faire, vous pourrez entrer là, vous verrez le tombeau de Tourville. “Why, yes, it is in the romanesque style, which is to say very cold and lifeless, with no hint in it anywhere of the grace, the fantasy of the later gothic builders, who worked their stone as if it had been so much lace. Balbec church is well worth a visit, if you are in those parts; it is decidedly quaint; on a wet day, when you have nothing better to do, you might look inside; you will see the tomb of Tourville.”
— Est-ce que vous étiez hier au banquet des Affaires étrangères, je n′ai pas pu y aller, dit mon père. “Tell me, were you at the Foreign Ministry dinner last night?” asked my father. “I couldn′t go.”
— Non, répondit M. de Norpois avec un sourire, j′avoue que je l′ai délaissé pour une soirée assez différente. J′ai dîné chez une femme dont vous avez peut-être entendu parler, la belle madame Swann.» Ma mère réprima un frémissement, car d′une sensibilité plus prompte que mon père, elle s′alarmait pour lui de ce qui ne devait le contrarier qu′un instant après. Les désagréments qui lui arrivaient étaient perçus d′abord par elle comme ces mauvaises nouvelles de France qui sont connues plus tôt à l′étranger que chez nous. Mais curieuse de savoir quel genre de personnes les Swann pouvaient recevoir, elle s′enquit auprès de M. de Norpois de celles qu′il y avait rencontrées. “No,” M. de Norpois smiled, “I must confess that I renounced it for a party of a very different sort. I was dining with a lady whose name you may possibly have heard, the beautiful Mme. Swann.” My mother checked an impulsive movement, for, being more rapid in perception than my father, she used to alarm herself on his account over things which only began to upset him a moment later. Anything unpleasant that might occur to him was discovered first by her, just as bad news from France is always known abroad sooner than among ourselves. But she was curious to know what sort of people the Swanns managed to entertain, and so inquired of M. de Norpois as to whom he had met there.
— Mon Dieu . . . c′est une maison où il me semble que vont surtout . . . des messieurs. Il y avait quelques hommes mariés, mais leurs femmes étaient souffrantes ce soir-là et n′étaient pas venues, répondit l′ambassadeur avec une finesse voilée de bonhomie et en jetant autour de lui des regards dont la douceur et la discrétion faisaient mine de tempérer et exagéraient habilement la malice. “Why, my dear lady, it is a house which (or so it struck me) is especially attractive to gentlemen. There were several married men there last night, but their wives were all, as it happened, unwell, and so had not come with them,” replied the Ambassador with a mordancy sheathed in good-humour, casting on each of us a glance the gentleness and discretion of which appeared to be tempering while in reality they deftly intensified its malice.
— Je dois dire, ajouta-t-il, pour être tout à fait juste, qu′il y va cependant des femmes, mais . . . appartenant plutôt . . ., comment dirais-je, au monde républicain qu′à la société de Swann (il prononçait Svann). Qui sait? Ce sera peut-être un jour un salon politique ou littéraire. Du reste, il semble qu′ils soient contents comme cela. Je trouve que Swann le montre même un peu trop. Il nommait les gens chez qui lui et sa femme étaient invités pour la semaine suivante et de l′intimité desquels il n′y a pourtant pas lieu de s′enorgueillir, avec un manque de réserve et de goût, presque de tact, qui m′a étonné chez un homme aussi fin. Il répétait: «Nous n′avons pas un soir de libre», comme si ç‘avait été une gloire, et en véritable parvenu, qu′il n′est pas cependant. Car Swann avait beaucoup d′amis et même d′amies, et sans trop m′avancer, ni vouloir commettre d′indiscrétion, je crois pouvoir dire que non pas toutes, ni même le plus grand nombre, mais l′une au moins, et qui est une fort grande dame, ne se serait peut-être pas montrée entièrement réfractaire à l′idée d′entrer en relations avec Madame Swann, auquel cas, vraisemblablement, plus d′un mouton de Panurge aurait suivi. Mais il semble qu′il n′y ait eu de la part de Swann aucune démarche esquissée en ce sens. Comment encore un pudding à la Nasselrode! Ce ne sera pas de trop de la cure de Carlsbad pour me remettre d′un pareil festin de Lucullus. Peut-être Swann a-t-il senti qu′il y aurait trop de résistances à vaincre. Le mariage cela est certain n′a pas plu. On a parlé de la fortune de la femme, ce qui est une grosse bourde. Mais, enfin, tout cela n′a pas paru agréable. Et puis Swann a une tante excessivement riche et admirablement posée, femme d′un homme qui, financièrement parlant, est une puissance. Et non seulement elle a refusé de recevoir Mme Swann, mais elle a mené une campagne en règle pour que ses amies et connaissances en fissent autant. Je n′entends pas par là qu′aucun parisien de bonne compagnie ait manqué de respect à Madame Swann . . . Non! cent fois non! Le mari était d′ailleurs homme à relever le gant. En tous cas, il y a une chose curieuse, c′est de voir combien Swann, qui connaît tant de monde et du plus choisi, montre d′empressement auprès d′une société dont le moins qu′on puisse dire est qu′elle est fort mêlée. Moi qui l′ai connu jadis, j′avoue que j′éprouvais autant de surprise que d′amusement à voir un homme aussi bien élevé, aussi à la mode dans les coteries les plus triées, remercier avec effusion le Directeur du Cabinet du Ministre des Postes, d′être venu chez eux et lui demander si Mme Swann pourrait se permettre d′aller voir sa femme. Il doit pourtant se trouver dépaysé; évidemment ce n′est plus le même monde. Mais je ne crois pas cependant que Swann soit malheureux. Il y a eu, il est vrai, dans les années qui précédèrent le mariage d′assez vilaines manuvres de chantage de la part de la femme; elle privait Swann de sa fille chaque fois qu′il lui refusait quelque chose. Le pauvre Swann, aussi naqu′il est pourtant raffiné, croyait chaque fois que l′enlèvement de sa fille était une coî­£idence et ne voulait pas voir la réalité. Elle lui faisait d′ailleurs des scènes si continuelles qu′on pensait que le jour où elle serait arrivée à ses fins et se serait fait épouser, rien ne la retiendrait plus et que leur vie serait un enfer. Hé bien! c′est le contraire qui est arrivé. On plaisante beaucoup la manière dont Swann parle de sa femme, on en fait même des gorges chaudes. On ne demandait certes pas que plus ou moins conscient d′être . . . (vous savez le mot de Molière), il allât le proclamer urbi et orbi; n′empêche qu′on le trouve exagéré quand il dit que sa femme est une excellente épouse. Or, ce n′est pas aussi faux qu′on le croit. A sa manière qui n′est pas celle que tous les maris préféreraient, — mais enfin, entre nous, il me semble difficile que Swann qui la connaissait depuis longtemps et est loin d′être un maître-sot, ne sût pas à quoi s′en tenir, il est indéniable qu′elle semble avoir de l′affection pour lui. Je ne dis pas qu′elle ne soit pas volage et Swann lui-même ne se fait pas faute de l′être, à en croire les bonnes langues qui, vous pouvez le penser, vont leur train. Mais elle lui est reconnaissante de ce qu′il a fait pour elle, et, contrairement aux craintes éprouvées par tout le monde, elle paraît devenue d′une douceur d′ange». Ce changement n′était peut-être pas aussi extraordinaire que le trouvait M. de Norpois. Odette n′avait pas cru que Swann finirait par l′épouser; chaque fois qu′elle lui annonçait tendancieusement qu′un homme comme il faut venait de se marier avec sa maîtresse, elle lui avait vu garder un silence glacial et tout au plus, si elle l′interpellait directement en lui demandant: «Alors, tu ne trouves pas que c′est très bien, que c′est bien beau ce qu′il a fait là, pour une femme qui lui a consacré sa jeunesse?», répondre sèchement: «Mais je ne te dis pas que ce soit mal, chacun agit à sa guise.» Elle n′était même pas loin de croire que, comme il le lui disait dans des moments de colère, il l′abandonnerait tout à fait, car elle avait depuis peu entendu dire par une femme sculpteur: «On peut s′attendre à tout de la part des hommes, ils sont si mufles», et frappée par la profondeur de cette maxime pessimiste, elle se l′était appropriée, elle la répétait à tout bout de champ d′un air découragé qui semblait dire: «Après tout, il n′y aurait rien d′impossible, c′est bien ma chance.» Et, par suite, toute vertu avait été enlevée à la maxime optimiste qui avait jusque-là guidé Odette dans la vie: «On peut tout faire aux hommes qui vous aiment, ils sont idiots», et qui s′exprimait dans son visage par le même clignement d′yeux qui eût pu accompagner des mots tels que: «Ayez pas peur, il ne cassera rien.» En attendant, Odette souffrait de ce que telle de ses amies, épousée par un homme qui était resté moin longtemps avec elle, qu′elle-même avec Swann, et n′avait pas elle d′enfant, relativement considérée maintenant, invitée aux bals de l′Élysée, devait penser de la conduite de Swann. Un consultant plus profond que ne l′était M. de Norpois eût sans doute pu diagnostiquer que c′était ce sentiment d′humiliation et de honte qui avait aigri Odette, que le caractère infernal qu′elle montrait ne lui était pas essentiel, n′était pas un mal sans remède, et eût aisément prédit ce qui était arrivé, à savoir qu′un régime nouveau, le régime matrimonial, ferait cesser avec une rapidité presque magique ces accidents pénibles, quotidiens, mais nullement organiques. Presque tout le monde s′étonna de ce mariage, et cela même est étonnant. Sans doute peu de personnes comprennent le caractère purement subjectif du phénomène qu′est l′amour, et la sorte de création que c′est d′une personne supplémentaire, distincte de celle qui porte le même nom dans le monde, et dont la plupart des éléments sont tirés de nous-mêmes. Aussi y a-t-il peu de gens qui puissent trouver naturelles les proportions énormes que finit par prendre pour nous un être qui n′est pas le même que celui qu′ils voient. Pourtant il semble qu′en ce qui concerne Odette on aurait pu se rendre compte que si, certes elle n′avait jamais entièrement compris l′intelligence de Swann, du moins savait-elle les titres, tout le détail de ses travaux, au point que le nom de Ver Meer lui était aussi familier que celui de son couturier; de Swann, elle connaissait à fond ces traits du caractère, que le reste du monde ignore ou ridiculise et dont seule une maîtresse, une sur, possèdent l′image ressemblante et aimée; et nous tenons tellement à eux, même à ceux que nous voudrions le plus corriger, que c′est parce qu′une femme finit par en prendre une habitude indulgente et amicalement railleuse, pareille à l′habitude que nous en avons nous-mêmes, et qu′en ont nos parents, que les vieilles liaisons ont quelque chose de la douceur et de la force des affections de famille. Les liens qui nous unissent à un être se trouvent sanctifiés quand il se place au même point de vue que nous pour juger une de nos tares. Et parmi ces traits particuliers, il y en avait aussi qui appartenaient autant à l′intelligence de Swann qu′à son caractère, et que pourtant en raison de la racine qu′ils avaient malgré tout en celui-ci, Odette avait plus facilement discernés. Elle se plaignait que quand Swann faisait métier d′écrivain, quand il publiait des études, on ne reconnut pas ces traits-là autant que dans les lettres ou dans sa conversation où ils abondaient. Elle lui conseillait de leur faire la part la plus grande. Elle l′aurait voulu parce que c′était ceux qu′elle préférait en lui, mais comme elle les préférait parce qu′ils étaient plus à lui, elle n′avait peut-être pas tort de souhaiter qu′on les retrouvât dans ce qu′il écrivait. Peut-être aussi pensait-elle que des ouvrages plus vivants, en lui procurant enfin à lui le succès, lui eussent permis à elle de se faire, ce que chez les Verdurin elle avait appris à mettre au-dessus de tout: un salon. “In all fairness,” he went on, “I must add that women do go to the house, but women who belong rather — what shall I say — to the Republican world than to Swann′s” (he pronounced it “Svann′s”) “circle. Still, you can never tell. Perhaps it will turn into a political or a literary salon some day. Anyhow, they appear to be quite happy as they are. Indeed, I feel that Swann advertises his happiness just a trifle too blatantly. He told us the names of all the people who had asked him and his wife out for the next week, people with whom there was no particular reason to be proud of being intimate, with a want of reserve, of taste, almost of tact which I was astonished to remark in so refined a man. He kept on repeating, ‘We haven′t a free evening!′ as though that had been a thing to boast of, positively like a parvenu, and he is certainly not that. For Swann had always plenty of friends, women as well as men, and without seeming over-bold, without the least wish to appear indiscreet, I think I may safely say that not all of them, of course, nor even the majority of them, but one at least, who is a lady of the very highest rank, would perhaps not have shewn herself inexorably averse from the idea of entering upon relations with Mme. Swann, in which case it is safe to assume that more than one sheep of the social flock would have followed her lead. But it seems that there has been no indication on Swann′s part of any movement in that direction. “What do I see? A Nesselrode pudding! As well! I declare, I shall need a course at Carlsbad after such a Lucullus-feast as this. “Possibly Swann felt that there would be too much resistance to overcome. The marriage — so much is certain — was not well received. There has been some talk of his wife′s having money, but that is all humbug. Anyhow, the whole affair has been looked upon with disfavour. And then, Swann has an aunt who is excessively rich and in an admirable position socially, married to a man who, financially speaking, is a power. Not only has she refused to meet Mme. Swann, she has actually started a campaign to force her friends and acquaintances to do the same. I do not mean to say that anyone who moves in a good circle in Paris has shewn any actual incivility to Mme. Swann. . . . No! A hundred times no! Quite apart from her husband′s being eminently a man to take up the challenge. Anyhow, there is one curious thing about it, to see the immense importance that Swann, who knows so many and such exclusive people, attaches to a society of which the best that can be said is that it is extremely mixed. I myself, who knew him in the old days, must admit that I felt more astonished than amused at seeing a man so well-bred as he is, so much at home in the best houses, effusively thanking the Chief Secretary to the Minister of Posts for having come to them, and asking him whether Mme. Swann might take the liberty of calling upon his wife. He must feel something of an exile, don′t you know; evidently, it′s quite a different world. I don′t think, all the same, that Swann is unhappy. It is true that for some years before the marriage she was always trying to blackmail him in a rather disgraceful way; she would take the child away whenever Swann refused her anything. Poor Swann, who is as unsophisticated as he is, for all that, sharp, believed every time that the child′s disappearance was a coincidence, and declined to face the facts. Apart from that, she made such continual scenes that everyone expected that, from the day she attained her object and was safely married, nothing could possibly restrain her and that their life would be a hell on earth. Instead of which, just the opposite has happened. People are inclined to laugh at the way in which Swann speaks of his wife; it′s become a standing joke. Of course, one could hardly expect that, conscious, more or less of being a —(you remember Molière′s line) he would go and proclaim it urbi et orbi; still that does not prevent one from finding a tendency in him to exaggerate when he declares that she makes an excellent wife. And yet that is not so far from the truth as people imagine. In her own way — which is not, perhaps, what all husbands would prefer, but then, between you and me, I find it difficult to believe that Swann, who has known her for ever so long and is far from being an utter fool, did not know what to expect — there can be no denying that she does seem to have a certain regard for him. I do not say that she is not flighty, and Swann himself has no fault to find with her for that, if one is to believe the charitable tongues which, as you may suppose, continue to wag. But she is distinctly grateful to him for what he has done for her, and, despite the fears that were everywhere expressed of the contrary, her temper seems to have become angelic.” This alteration was perhaps not so extraordinary as M. de Norpois professed to find it. Odette had not believed that Swann would ever consent to marry her; each time that she made the suggestive announcement that some man about town had just married his mistress she had seen him stiffen into a glacial silence, or at the most, if she were directly to challenge him, asking: “Don′t you think it very nice, a very fine thing that he has done, for a woman who sacrificed all her youth to him?” had heard him answer dryly: “But I don′t say that there′s anything wrong in it. Everyone does what he himself thinks right.” She came very near, indeed, to believing that (as he used to threaten in moments of anger) he was going to leave her altogether, for she had heard it said, not long since, by a woman sculptor, that “You cannot be surprised at anything men do, they′re such brutes,” and impressed by the profundity of this maxim of pessimism she had appropriated it for herself, and repeated it on every possible occasion with an air of disappointment which seemed to imply: “After all, it′s not impossible in any way; it would be just my luck.” Meanwhile all the virtue had gone from the optimistic maxim which had hitherto guided Odette through life: “You can do anything with men when they′re in love with you, they′re such idiots!” a doctrine which was expressed on her face by the same tremor of an eyelid that might have accompanied such words as: “Don′t be frightened; he won′t break anything.” While she waited, Odette was tormented by the thought of what one of her friends, who had been married by a man who had not lived with her for nearly so long as Odette herself had lived with Swann, and had had no child by him, and who was now in a definitely respectable position, invited to the balls at the Elysée and so forth, must think of Swann′s behaviour. A consultant more discerning than M. de Norpois would doubtless have been able to diagnose that it was this feeling of shame and humiliation that had embittered Odette, that the devilish characteristics which she displayed were no essential part of her, no irremediable evil, and so would easily have foretold what had indeed come to pass, namely that a new rule of life, the matrimonial, would put an end, with almost magic swiftness, to these painful incidents, of daily occurrence but in no sense organic. Practically everyone was surprised at the marriage, and this, in itself, is surprising. No doubt very few people understand the purely subjective nature of the phenomenon that we call love, or how it creates, so to speak, a fresh, a third, a supplementary person, distinct from the person whom the world knows by the same name, a person most of whose constituent elements are derived from ourself, the lover. And so there are very few who can regard as natural the enormous proportions that a creature comes to assume in our eyes who is not the same as the creature that they see. It would appear, none the less, that so far as Odette was concerned people might have taken into account the fact that if, indeed, she had never entirely understood Swann′s mentality, at least she was acquainted with the titles, and with all the details of his studies, so much so that the name of Vermeer was as familiar to her as that of her own dressmaker; while as for Swann himself she knew intimately those traits of character of which the rest of the world must remain ignorant or merely laugh at them, and only a mistress or a sister may gain possession of the revealing, cherished image; and so strongly are we attached to such eccentricities, even to those of them which we are most anxious to correct, that it is because a woman comes in time to acquire an indulgent, an affectionately mocking familiarity, such as we ourselves have with them, or our relatives have, that amours of long standing have something of the sweetness and strength of family affection. The bonds that unite us to another creature receive their consecration when that creature adopts the same point of view as ourself in judging one of our imperfections. And among these special traits there were others, besides, which belonged as much to his intellect as to his character, which, all the same, because they had their roots in the latter, Odette had been able more easily to discern. She complained that when Swann turned author, when he published his essays, these characteristics were not to be found in them as they were in his letters, or in his conversation, where they abounded. She urged him to give them a more prominent place. She would have liked that because it was these things that she herself preferred in him, but since she preferred them because they were the things most typical of himself, she was perhaps not wrong in wishing that they might be found in his writings. Perhaps also she thought that his work, if endowed with more vitality, so that it ultimately brought him success, might enable her also to form what at the Verdurins′ she had been taught to value above everything else in the world — a salon.
Parmi les gens qui trouvaient ce genre de mariage ridicule, gens qui pour eux-mêmes se demandaient: «Que pensera M. de Guermantes, que dira Bréauté, quand j′épouserai Mlle de Montmorency?», parmi les gens ayant cette sorte d′idéal social, aurait figuré, vingt ans plus tôt, Swann lui-même. Swann qui s′était donné du mal pour être reçu au Jockey et avait compté dans ce temps-là faire un éclatant mariage qui eût achevé, en consolidant sa situation de faire de lui un des hommes les plus en vue de Paris. Seulement, les images que représentent un tel mariage à l′intéressé ont, comme toutes les images, pour ne pas dépérir et s′effacer complètement, besoin d′être alimentées du dehors. Votre rêve le plus ardent est d′humilier l′homme qui vous a offensé. Mais si vous n′entendez plus jamais parler de lui, ayant changé de pays, votre ennemi finira par ne plus avoir pour vous aucune importance. Si on a perdu de vue pendant vingt ans toutes les personnes à cause desquelles on aurait aimé entrer au Jockey ou à l′Institut, la perspective d′être membre de l′un ou de l′autre de ces groupements, ne tentera nullement. Or, tout autant qu′une retraite, qu′une maladie, qu′une conversion religieuse, une liaison prolongée substitue d′autres images aux anciennes. Il n′y eut pas de la part de Swann, quand il épousa Odette, renoncement aux ambitions mondaines car de ces ambitions-là, depuis longtemps Odette l′avait, au sens spirituel du mot, détaché. D′ailleurs, ne l′eût-il pas été qu′il n′en aurait eu que plus de mérite. C′est parce qu′ils impliquent le sacrifice d′une situation plus ou moins flatteuse à une douceur purement intime, que généralement les mariages infamants sont les plus estimables de tous (on ne peut en effet entendre par mariage infamant un mariage d′argent, n′y ayant point d′exemple d′un ménage où la femme, ou bien le mari se soient vendus et qu′on n′ait fini par recevoir, ne fût-ce que par tradition et sur la foi de tant d′exemples et pour ne pas avoir deux poids et deux mesures). Peut-être, d′autre part, en artiste, sinon en corrompu, Swann eût-il en tous cas éprouvé une certaine volupté à accoupler à lui, dans un de ces croisements d′espèces comme en pratiquent les mendelistes ou comme en raconte la mythologie, un être de race différente, archiduchesse ou cocotte, à contracter une alliance royale ou à faire une mésalliance. Il n′y avait eu dans le monde qu′une seule personne dont il se fût préoccupé, chaque fois qu′il avait pensé à son mariage possible avec Odette, c′était, et non par snobisme, la duchesse de Guermantes. De celle-là, au contraire, Odette se souciait peu, pensant seulement aux personnes situées immédiatement au-dessus d′elle-même plutôt que dans un aussi vague empyrée. Mais quand Swann dans ses heures de rêverie voyait Odette devenue sa femme, il se représentait invariablement le moment où il l′amènerait, elle et surtout sa fille, chez la princesse des Laumes, devenue bientôt la duchesse de Guermantes par la mort de son beau-père. Il ne désirait pas les présenter ailleurs, mais il s′attendrissait quand il inventait, en énonçant les mots eux-mêmes, tout ce que la duchesse dirait de lui à Odette, et Odette à Madame de Guermantes, la tendresse que celle-ci témoignerait à Gilberte, la gâtant, le rendant fier de sa fille. Il se jouait à lui-même la scène de la présentation avec la même précision dans le détail imaginaire qu′ont les gens qui examinent comment ils emploieraient, s′ils le gagnaient, un lot dont ils fixent arbitrairement le chiffre. Dans la mesure où une image qui accompagne une de nos résolutions la motive, on peut dire que si Swann épousa Odette, ce fut pour la présenter elle et Gilberte, sans qu′il y eût personne là, au besoin sans que personne le sût jamais, à la duchesse de Guermantes. On verra comment cette seule ambition mondaine qu′il avait souhaitée pour sa femme et sa fille, fut justement celle dont la réalisation se trouva lui être interdite et par un veto si absolu que Swann mourut sans supposer que la duchesse pourrait jamais les connaître. On verra aussi qu′au contraire la duchesse de Guermantes se lia avec Odette et Gilberte après la mort de Swann. Et peut-être eût-il été sage — pour autant qu′il pouvait attacher de l′importance à si peu de chose — en ne se faisant pas une idée trop sombre de l′avenir, à cet égard, et en réservant que la réunion souhaitée pourrait bien avoir lieu quand il ne serait plus là pour en jouir. Le travail de causalité qui finit par produire à peu près tous les effets possibles, et par conséquent aussi ceux qu′on avait cru l′être le moins, ce travail est parfois lent, rendu un peu plus lent encore par notre désir — qui, en cherchant à l′accélérer, l′entrave — par notre existence même et n′aboutit que quand nous avons cessé de désirer, et quelquefois de vivre. Swann ne le savait-il pas par sa propre expérience, et n′était-ce pas déjà, dans sa vie, — comme une préfiguration de ce qui devait arriver après sa mort, — un bonheur après décès que ce mariage avec cette Odette qu′il avait passionnément aimée — si elle ne lui avait pas plu au premier abord — et qu′il avait épousée quand il ne l′aimait plus, quand l′être qui, en Swann, avait tant souhaité et tant désespéré de vivre toute sa vie avec Odette, quand cet être là était mort? Among the people to whom this sort of marriage appeared ridiculous, people who in their own case would ask themselves, “What will M. de Guermantes think, what will Bréauté say when I marry Mlle, de Montmorency?”, among the people who cherished that sort of social ideal would have figured, twenty years earlier, Swann himself, the Swarm who had taken endless pains to get himself elected to the Jockey Club, and had reckoned at that time on making a brilliant marriage which, by consolidating his position, would have made him one of the most conspicuous figures in Paris. Only, the visions which a marriage like that suggests to the mind of the interested party need, like all visions, if they are not to fade away and be altogether lost, to receive sustenance from without. Your most ardent longing is to humiliate the man who has insulted you. But if you never hear of him again, having removed to some other place, your enemy will come to have no longer the slightest importance for you. If one has lost sight for a score of years of all the people on whose account one would have liked to be elected to the Jockey Club or the Institute, the prospect of becoming a member of one or other of those corporations will have ceased to tempt one. Now fully as much as retirement, ill-health or religious conversion, protracted relations with a woman will substitute fresh visions for the old. There was not on Swann′s part, when he married Odette, any renunciation of his social ambitions, for from these ambitions Odette had long ago, in the spiritual sense of the word, detached him. Besides, had he not been so detached, his marriage would have been all the more creditable. It is because they imply the sacrifice of a more or less advantageous position to a purely private happiness that, as a general rule, ‘impossible′ marriages are the happiest of all. (One cannot very well include among the ‘impossible′ marriages those that are made for money, there being no instance on record of a couple, of whom the wife or even the husband has thus sold himself, who have not sooner or later been admitted into society, if only by tradition, and on the strength of so many precedents, and so as not to have two conflicting standards.) Perhaps, on the other hand, the artistic, if not the perverse side of Swann′s nature would in any event have derived a certain amount of pleasure from coupling with himself, in one of those crossings of species such as Mendelians practise and mythology records, a creature of a different race, archduchess or prostitute, from contracting a royal alliance or from marrying beneath him. There had been but one person in all the world whose opinion he took into consideration whenever he thought of his possible marriage with Odette; that was, and from no snobbish motive, the Duchesse de Guermantes. With whom Odette, on the contrary, was but little concerned, thinking only of those people whose position was immediately above her own, rather than in so vague an empyrean. But when Swann in his daydreams saw Odette as already his wife he invariably formed a picture of the moment in which he would take her — her, and above all her daughter — to call upon the Princesse des Laumes (who was shortly, on the death of her father-in-law, to become Duchesse de Guermantes). He had no desire to introduce them anywhere else, but his heart would soften as he invented — uttering their actual words to himself — all the things that the Duchess would say of him to Odette, and Odette to the Duchess, the affection that she would shew for Gilberte, spoiling her, making him proud of his child. He enacted to himself the scene of this introduction with the same precision in each of its imaginary details that people shew when they consider how they would spend, supposing they were to win it, a lottery prize the amount of which they have arbitrarily determined. In so far as a mental picture which accompanies one of our resolutions may be said to be its motive, so it might be said that if Swann married Odette it was in order to present her and Gilberte, without anyone′s else being present, without, if need be, anyone′s else ever coming to know of it, to the Duchesse de Guermantes. We shall see how this sole social ambition that he had entertained for his wife and daughter was precisely that one the realisation of which proved to be forbidden him by a veto so absolute that Swann died in the belief that the Duchess would never possibly come to know them. We shall see also that, on the contrary, the Duchesse de Guermantes did associate with Odette and Gilberte after the death of Swann. And doubtless he would have been wiser — seeing that he could attach so much importance to so small a matter — not to have formed too dark a picture of the future, in this connexion, but to have consoled himself with the hope that the meeting of the ladies might indeed take place when he was no longer there to enjoy it. The laborious process of causation which sooner or later will bring about every possible effect, including (consequently) those which one had believed to be most nearly impossible, naturally slow at times, is rendered slower still by our impatience (which in seeking to accelerate only obstructs it) and by our very existence, and comes to fruition only when we have ceased to desire it — have ceased, possibly, to live. Was not Swann conscious of this from his own experience, had there not been already, in his life, as it were a préfiguration of what was to happen after his death, a posthumous happiness in this marriage with this Odette whom he had passionately loved — even if she had not been pleasing to him at first sight — whom he had married when he no longer loved her, when the creature that, in Swann, had so longed to live, had so despaired of living all its life in company with Odette, when that creature was extinct?
Je me mis à parler du comte de Paris, à demander s′il n′était pas ami de Swann, car je craignais que la conversation se détournât de celui-ci. «Oui, en effet, répondit M. de Norpois en se tournant vers moi et en fixant sur ma modeste personne le regard bleu où flottaient, comme dans leur élément vital, ses grandes facultés de travail et son esprit d′assimilation. Et, mon Dieu, ajouta-t-il en s′adressant de nouveau à mon père, je ne crois pas franchir les bornes du respect dont je fais profession pour le Prince (sans cependant entretenir avec lui des relations personnelles que rendrait difficiles ma situation, si peu officielle qu′elle soit), en vous citant ce fait assez piquant que, pas plus tard qu′il y a quatre ans, dans une petite gare de chemins de fer d′un des pays de l′Europe Centrale, le prince eut l′occasion d′apercevoir Mme Swann. Certes, aucun de ses familiers ne s′est permis de demander à Monseigneur comment il l′avait trouvée. Cela n′eût pas été séant. Mais quand par hasard la conversation amenait son nom, à de certains signes imperceptibles si l′on veut, mais qui ne trompent pas, le prince semblait donner assez volontiers à entendre que son impression était en somme loin d′avoir été défavorable.» I began next to speak of the Comte de Paris, to ask whether he was not one of Swann′s friends, for I was afraid lest the conversation should drift away from him. “Why, yes!” replied M. de Norpois, turning towards me and fixing upon my modest person the azure gaze in which floated, as in their vital element, his immense capacity for work and his power of assimilation. And “Upon my word,” he added, once more addressing my father, “I do not think that I shall be overstepping the bounds of the respect which I have always professed for the Prince (although without, you understand, maintaining any personal relations with him, which would inevitably compromise my position, unofficial as that may be), if I tell you of a little episode which is not without point; no more than four years ago, at a small railway station in one of the countries of Central Europe, the Prince happened to set eyes on Mme. Swann. Naturally, none of his circle ventured to ask his Royal Highness what he thought of her. That would not have been seemly. But when her name came up by chance in conversation, by certain signs — imperceptible, if you like, but quite unmistakable — the Prince appeared willing enough to let it be understood that his impression of her had, in a word, been far from unfavourable.”
— «Mais il n′y aurait pas eu possibilité de la présenter au comte de Paris? demanda mon père. “But there could have been no possibility, surely, of her being presented to the Comte de Paris?” inquired my father.
— Eh bien! on ne sait pas; avec les princes on ne sait jamais, répondit M. de Norpois; les plus glorieux, ceux qui savent le plus se faire rendre ce qu′on leur doit, sont aussi quelquefois ceux qui s′embarrassent le moins des décrets de l′opinion publique, même les plus justifiés, pour peu qu′il s′agisse de récompenser certains attachements. Or, il est certain que le comte de Paris a toujours agréé avec beaucoup de bienveillance le dévouement de Swann qui est, d′ailleurs, un garçon d′esprit s′il en fut. “Well, we don′t know; with Princes one never does know,” replied M. de Norpois. “The most exalted, those who know best how to secure what is due to them, are as often as not the last to let themselves be embarrassed by the decrees of popular opinion, even by those for which there is most justification, especially when it is a question of their rewarding a personal attachment to themselves. Now it is certain that the Comte de Paris has always most graciously recognised the devotion of Swann, who is, for that matter, a man of character, in spite of it all.”
— Et votre impression à vous, quelle a-t-elle été, monsieur l′ambassadeur? demanda ma mère par politesse et par curiosité. “And what was your own impression, your Excellency? Do tell us!” my mother asked, from politeness as well as from curiosity.
Avec une énergie de vieux connaisseur qui tranchait sur la modération habituelle de ses propos: All the energy of the old connoisseur broke through the habitual moderation of his speech as he answered:
— «Tout à fait excellente!» répondit M. de Norpois. “Quite excellent!”
Et sachant que l′aveu d′une forte sensation produite par une femme, rentre à condition qu′on le fasse avec enjouement, dans une certaine forme particulièrement appréciée de l′esprit de conversation, il éclata d′un petit rire qui se prolongea pendant quelques instants, humectant les yeux bleus du vieux diplomate et faisant vibrer les ailes de son nez nervurées de fibrilles rouges. And knowing that the admission that a strong impression has been made on one by a woman takes its place, provided that one makes it in a playful tone, in a certain category of the art of conversation that is highly appreciated, he broke into a little laugh that lasted for several seconds, moistening the old diplomat′s blue eyes and making his nostrils, with their network of tiny scarlet veins, quiver.
«Elle est tout à fait charmante!» “She is altogether charming!”
— «Est-ce qu′un écrivain du nom de Bergotte était à ce dîner, monsieur?» demandai-je timidement pour tâcher de retenir la conversation sur le sujet des Swann. “Was there a writer of the name of Bergotte at this dinner, sir?” I asked timidly, still trying to keep the conversation to the subject of the Swanns.
— Oui, Bergotte était là, répondit M. de Norpois, inclinant la tête de mon côté avec courtoisie, comme si dans son désir d′être aimable avec mon père, il attachait tout ce qui tenait à lui une véritable importance et même aux questions d′un garçon de mon âge qui n′était pas habitué à se voir montrer tant de politesse par des personnes du sien. Est-ce que vous le connaissez? ajouta-t-il en fixant sur moi ce regard clair dont Bismarck admirait la pénétration. “Yes, Bergotte was there,” replied M. de Norpois, inclining his head courteously towards me, as though in his desire to be pleasant to my father he attached to everything connected with him a real importance, even to the questions of a boy of my age who was not accustomed to see such politeness shewn to him by persons of his. “Do you know him?” he went on, fastening on me that clear gaze, the penetration of which had won the praise of Bismarck.
— Mon fils ne le connaît pas mais l′admire beaucoup, dit ma mère. “My son does not know him, but he admires his work immensely,” my mother explained.
— Mon Dieu, dit M. de Norpois (qui m′inspira sur ma propre intelligence des doutes plus graves que ceux qui me déchiraient d′habitude, quand je vis que ce que je mettais mille et mille fois au-dessus de moi-même, ce que je trouvais de plus élevé au monde, était pour lui tout en bas de l′échelle de ses admirations), je ne partage pas cette manière de voir. Bergotte est ce que j′appelle un joueur de flûte; il faut reconnaître du reste qu′il en joue agréablement quoique avec bien du maniérisme, de l′afféterie. Mais enfin ce n′est que cela, et cela n′est pas grand′chose. Jamais on ne trouve dans ses ouvrages sans muscles ce qu′on pourrait nommer la charpente. Pas d′action — ou si peu — mais surtout pas de portée. Ses livres pèchent par la base ou plutôt il n′y a pas de base du tout. Dans un temps comme le nôtre où la complexité croissante de la vie laisse à peine le temps de lire, où la carte de l′Europe a subi des remaniements profonds et est à la veille d′en subir de plus grands encore peut-être, où tant de problèmes menaçants et nouveaux se posent partout, vous m′accorderez qu′on a le droit de demander à un écrivain d′être autre chose qu′un bel esprit qui nous fait oublier dans des discussions oiseuses et byzantines sur des mérites de pure forme, que nous pouvons être envahis d′un instant à l′autre par un double flot de Barbares, ceux du dehors et ceux du dedans. Je sais que c′est blasphémer contre la Sacro-Sainte École de ce que ces Messieurs appellent l′Art pour l′Art, mais à notre époque, il y a des tâches plus urgentes que d′agencer des mots d′une façon harmonieuse. Celle de Bergotte est parfois assez séduisante, je n′en disconviens pas, mais au total tout cela est bien mièvre, bien mince, et bien peu viril. Je comprends mieux maintenant, en me reportant à votre admiration tout à fait exagérée pour Bergotte, les quelques lignes que vous m′avez montrées tout à l′heure et sur lesquelles j′aurais mauvaise grâce à ne pas passer l′éponge, puisque vous avez dit vous-même en toute simplicité, que ce n′était qu′un griffonnage d′enfant (je l′avais dit, en effet, mais je n′en pensais pas un mot). A tout péché miséricorde et surtout aux péchés de jeunesse. Après tout, d′autres que vous en ont de pareils sur la conscience, et vous n′êtes pas le seul qui se soit cru poète à son heure. Mais on voit dans ce que vous m′avez montré, la mauvaise influence de Bergotte. Évidemment, je ne vous étonnerai pas en vous disant qu′il n′y avait là aucune de ses qualités, puisqu′il est passé maître dans l′art tout superficiel du reste, d′un certain style dont à votre âge vous ne pouvez posséder même le rudiment. Mais c′est déjà le même défaut, ce contre-sens d′aligner des mots bien sonores en ne se souciant qu′ensuite du fond. C′est mettre la charrue avant les bufs, même dans les livres de Bergotte. Toutes ces chinoiseries de forme, toutes ces subtilités de mandarin déliquescent me semblent bien vaines. Pour quelques feux d′artifice agréablement tirés par un écrivain, on crie de suite au chef-d′uvre. Les chefs-d′uvre ne sont pas si fréquents que cela! Bergotte n′a pas à son actif, dans son bagage si je puis dire, un roman d′une envolée un peu haute, un de ces livres qu′on place dans le bon coin de sa bibliothèque. Je n′en vois pas un seul dans son uvre. Il n′empêche que chez lui, l′uvre est infiniment supérieure à l′auteur. Ah! voilà quelqu′un qui donne raison à l′homme d′esprit qui prétendait qu′on ne doit connaître les écrivains que par leurs livres. Impossible de voir un individu qui réponde moins aux siens, plus prétentieux, plus solennel, moins homme de bonne compagnie. Vulgaire par moments, parlant à d′autres comme un livre, et même pas comme un livre de lui, mais comme un livre ennuyeux, ce qu′au moins ne sont pas les siens, tel est ce Bergotte. C′est un esprit des plus confus, alambiqué, ce que nos pères appelaient un diseur de phébus et qui rend encore plus déplaisantes par sa façon de les énoncer, les choses qu′il dit. Je ne sais si c′est Loménie ou Sainte-Beuve, qui raconte que Vigny rebutait par le même travers. Mais Bergotte n′a jamais écrit Cinq-Mars, ni le Cachet rouge, où certaines pages sont de véritables morceaux d′anthologie. “Good heavens!” exclaimed M. de Norpois, inspiring me with doubts of my own intelligence far more serious than those that ordinarily distracted me, when I saw that what I valued a thousand thousand times more than myself, what I regarded as the most exalted thing in the world, was for him at the very foot of the scale of admiration. “I do not share your son′s point of view. Bergotte is what I call a flute-player: one must admit that he plays on it very agreeably, although with a great deal of mannerism, of affectation. But when all is said, it is no more than that, and that is nothing very great. Nowhere does one find in his enervated writings anything that could be called construction. No action — or very little — but above all no range. His books fail at the foundation, or rather they have no foundation at all. At a time like the present, when the ever-increasing complexity of life leaves one scarcely a moment for reading, when the map of Europe has undergone radical alterations, and is on the eve, very probably, of undergoing others more drastic still, when so many new and threatening problems are arising on every side, you will allow me to suggest that one is entitled to ask that a writer should be something else than a fine intellect which makes us forget, amid otiose and byzantine discussions of the merits of pure form, that we may be overwhelmed at any moment by a double tide of barbarians, those from without and those from within our borders. I am aware that this is a blasphemy against the sacrosanct school of what these gentlemen term ‘Art for Art′s sake,′ but at this period of history there are tasks more urgent than the manipulation of words in a harmonious manner. Not that Bergotte′s manner is not now and then quite attractive. I have no fault to find with that, but taken as a whole, it is all very precious, very thin, and has very little virility. I can now understand more easily, when I bear in mind your altogether excessive regard for Bergotte, the few lines that you shewed me just now, which it would have been unfair to you not to overlook, since you yourself told me, in all simplicity, that they were merely a childish scribbling.” (I had, indeed, said so, but I did not think anything of the sort.) “For every sin there is forgiveness, and especially for the sins of youth. After all, others as well as yourself have such sins upon their conscience, and you are not the only one who has believed himself to be a poet in his day. But one can see in what you have shewn me the evil influence of Bergotte. You will not, of course, be surprised when I say that there was in it none of his good qualities, since he is a past-master in the art — incidentally quite superficial — of handling a certain style of which, at your age, you cannot have acquired even the rudiments. But already there is the same fault, that paradox of stringing together fine-sounding words and only afterwards troubling about what they mean. That is putting the cart before the horse, even in Bergotte′s books. All those Chinese puzzles of form, all these deliquescent mandarin subtleties seem to me to be quite futile. Given a few fireworks, let off prettily enough by an author, and up goes the shout of genius. Works of genius are not so common as all that! Bergotte cannot place to his credit — does not carry in his baggage, if I may use the expression — a single novel that is at all lofty in its conception, any of those books which one keeps in a special corner of one′s library. I do not discover one such in the whole of his work. But that does not exclude the fact that, with him, the work is infinitely superior to the author. Ah! there is a man who justifies the wit who insisted that one ought never to know an author except through his books. It would be impossible to imagine an individual who corresponded less to his — more pretentious, more pompous, less fitted for human society. Vulgar at some moments, at others talking like a book, and not even like one of his own, but like a boring book, which his, to do them justice, are not — such is your Bergotte. He has the most confused mind, alembicated, what our ancestors called a diseur de phébus, and he makes the things that he says even more unpleasant by the manner in which he says them. I forget for the moment whether it is Loménie or Sainte-Beuve who tells us that Vigny repelled people by the same eccentricity. But Bergotte has never given us a Cinq-Mars, or a Cachet Rouge, certain pages of which are regular anthology pieces.”
Atterré par ce que M. de Norpois venait de me dire du fragment que je lui avais soumis, songeant d′autre part aux difficultés que j′éprouvais quand je voulais écrire un essai ou seulement me livrer à des réflexions sérieuses, je sentis une fois de plus ma nullité intellectuelle et que je n′étais pas né pour la littérature. Sans doute autrefois à Combray, certaines impressions fort humbles, ou une lecture de Bergotte, m′avaient mis dans un état de rêverie qui m′avait paru avoir une grande valeur. Mais cet état, mon poème en prose le reflétait: nul doute que M. de Norpois n′en eût saisi et percé à jour tout de suite ce que j′y trouvais de beau seulement par un mirage entièrement trompeur, puisque l′ambassadeur n′en était pas dupe. Il venait de m′apprendre au contraire quelle place infime était la mienne (quand j′étais jugé du dehors, objectivement, par le connaisseur le mieux disposé et le plus intelligent). Je me sentais consterné, réduit; et mon esprit comme un fluide qui n′a de dimensions que celles du vase qu′on lui fournit, de même qu′il s′était dilaté jadis à remplir les capacités immenses du génie, contracté maintenant, tenait tout entier dans la médiocrité étroite où M. de Norpois l′avait soudain enfermé et restreint. Paralysed by what M. de Norpois had just said to me with regard to the fragment which I had submitted to him, and remembering at the same time the difficulties that I experienced when I attempted to write an essay or merely to devote myself to serious thought, I felt conscious once again of my intellectual nullity and that I was not born for a literary life. Doubtless in the old days at Combray certain impressions of a very humble order, or a few pages of Bergotte used to plunge me into a state of musing which had appeared to me to be of great value. But this state was what my poem in prose reflected; there could be no doubt that M. de Norpois had at once grasped and had seen through the fallacy of what I had discovered to be beautiful simply by a mirage that must be entirely false since the Ambassador had not been taken in by it. He had shewn me, on the other hand, what an infinitely unimportant place was mine when I was judged from outside, objectively, by the best-disposed and most intelligent of experts. I felt myself to be struck speechless, overwhelmed; and my mind, like a fluid which is without dimensions save those of the vessel that is provided for it, just as it had been expanded a moment ago so as to fill all the vast capacity of genius, contracted now, was entirely contained in the straitened mediocrity in which M. de Norpois had of a sudden enclosed and sealed it.
— Notre mise en présence, à Bergotte et à moi, ajouta-t-il en se tournant vers mon père, ne laissait pas que d′être assez épineuse (ce qui après tout est aussi une manière d′être piquante). Bergotte voilà quelques années de cela, fit un voyage à Vienne, pendant que j′y étais ambassadeur; il me fut présenté par la princesse de Metternich, vint s′inscrire et désirait être invité. Or, étant à l′étranger représentant de la France, à qui en somme il fait honneur par ses écrits, dans une certaine mesure, disons, pour être exacts, dans une mesure bien faible, j′aurais passé sur la triste opinion que j′ai de sa vie privée. Mais il ne voyageait pas seul et bien plus il prétendait ne pas être invité sans sa compagne. Je crois ne pas être plus pudibond qu′un autre et étant célibataire, je pouvais peut-être ouvrir un peu plus largement les portes de l′Ambassade que si j′eusse été marié et père de famille. Néanmoins, j′avoue qu′il y a un degré d′ignominie dont je ne saurais m′accommoder, et qui est rendu plus écurant encore par le ton plus que moral, tranchons le mot, moralisateur, que prend Bergotte dans ses livres où on ne voit qu′analyses perpétuelles et d′ailleurs entre nous, un peu languissantes, de scrupules douloureux, de remords maladifs, et pour de simples peccadilles, de véritables prêchis-prêchas (on sait ce qu′en vaut l′aune), alors qu′il montre tant d′inconscience et de cynisme dans sa vie privée. Bref, j′éludai la réponse, la princesse revint à la charge, mais sans plus de succès. De sorte que je ne suppose pas que je doive être très en odeur de sainteté auprès du personnage, et je ne sais pas jusqu′à quel point il a apprécié l′attention de Swann de l′inviter en même temps que moi. A moins que ce ne soit lui qui l′ait demandé. On ne peut pas savoir, car au fond c′est un malade. C′est même sa seule excuse.» “Our first introduction — I speak of Bergotte and myself ——” he resumed, turning to my father, “was somewhat beset with thorns (which is, after all, only another way of saying that it was not lacking in points). Bergotte — some years ago, now — paid a visit to Vienna while I was Ambassador there; he was presented to me by the Princess Metternich, came and wrote his name, and expected to be asked to the Embassy. Now, being in a foreign country as the Representative of France, to which he has after all done some honour by his writings, to a certain extent (let us say, to be quite accurate, to a very slight extent), I was prepared to set aside the unfavourable opinion that I hold of his private life. But he was not travelling alone, and he actually let it be understood that he was not to be invited without his companion. I trust that I am no more of a prude than most men, and, being a bachelor, I was perhaps in a position to throw open the doors of the Embassy a little wider than if I had been married and the father of a family. Nevertheless, I must admit that there are depths of degradation to which I should hesitate to descend, while these are rendered more repulsive still by the tone, not moral, merely — let us be quite frank and say moralising — that Bergotte takes up in his books, where one finds nothing but perpetual and, between ourselves, somewhat wearisome analyses, torturing scruples, morbid remorse, and all for the merest peccadilloes, the most trivial naughtinesses (as one knows from one′s own experience), while all the time he is shewing such an utter lack of conscience and so much cynicism in his private life. To cut a long story short, I evaded the responsibility, the Princess returned to the charge, but without success. So that I do not suppose that I appear exactly in the odour of sanctity to the gentleman, and I am not sure how far he appreciated Swann′s kindness in inviting him and myself on the same evening. Unless of course it was he who asked for the invitation. One can never tell, for really he is not normal. Indeed that is his sole excuse.”
— Et est-ce que la fille de Mme Swann était à ce dîner, demandai-je à M. de Norpois, profitant pour faire cette question d′un moment où, comme on passait au salon, je pouvais dissimuler plus facilement mon émotion que je n′aurais fait à table, immobile et en pleine lumière. “And was Mme. Swann′s daughter at the dinner?” I asked M. de Norpois, taking advantage, to put this question, of a moment in which, as we all moved towards the drawing-room, I could more easily conceal my emotion than would have been possible at table, where I was held fast in the glare of the lamplight.
M. de Norpois parut chercher un instant à se souvenir: M. de Norpois appeared to be trying for a moment to remember; then:
— «Oui, une jeune personne de quatorze à quinze ans? En effet, je me souviens qu′elle m′a été présentée avant le dîner comme la fille de notre amphitryon. Je vous dirai que je l′ai peu vue, elle est allée se coucher de bonne heure. Ou elle allait chez des amies, je ne me rappelle pas bien. Mais je vois que vous êtes fort au courant de la maison Swann.» “Yes, you mean a young person of fourteen or fifteen? Yes, of course, I remember now that she was introduced to me before dinner as the daughter of our Amphitryon. I may tell you that I saw but little of her; she retired to bed early. Or else she went out to see a friend — I forget. But I can see that you are very intimate with the Swann household.”
— «Je joue avec Mlle Swann aux Champs-Élysées, elle est délicieuse.» “I play with Mlle. Swann in the Champs-Elysées, and she is delightful.”
— «Ah! voilà! voilà! Mais à moi, en effet, elle m′a paru charmante. Je vous avoue pourtant que je ne crois pas qu′elle approchera jamais de sa mère, si je peux dire cela sans blesser en vous un sentiment trop vif.» “Oh! so that is it, is it? But I assure you, I thought her charming. I must confess to you, however, that I do not believe that she will ever be anything like her mother, if I may say as much without wounding you in a vital spot.”
— «Je préfère la figure de Mlle Swann, mais j′admire aussi énormément sa mère, je vais me promener au Bois rien que dans l′espoir de la voir passer.» “I prefer Mlle. Swann′s face, but I admire her mother, too, enormously; I go for walks in the Bois simply in the hope of seeing her pass.”
— «Ah! mais je vais leur dire cela, elles seront très flattées.» “Ah! But I must tell them that; they will be highly flattered.”
Pendant qu′il disait ces mots, M. de Norpois était, pour quelques secondes encore, dans la situation de toutes les personnes qui, m′entendant parler de Swann comme d′un homme intelligent, de ses parents comme d′agents de change honorables, de sa maison comme d′une belle maison, croyaient que je parlerais aussi volontiers d′un autre homme aussi intelligent, d′autres agents de change aussi honorables, d′une autre maison aussi belle; c′est le moment où un homme sain d′esprit qui cause avec un fou ne s′est pas encore aperçu que c′est un fou. M. de Norpois savait qu′il n′y a rien que de naturel dans le plaisir de regarder les jolies femmes, qu′il est de bonne compagnie dès que quelqu′un nous parle avec chaleur de l′une d′elles, de faire semblant de croire qu′il en est amoureux, de l′en plaisanter, et de lui promettre de seconder ses desseins. Mais en disant qu′il parlerait de moi à Gilberte et à sa mère (ce qui me permettrait, comme une divinité de l′Olympe qui a pris la fluidité d′un souffle ou plutôt l′aspect du vieillard dont Minerve emprunte les traits, de pénétrer moi-même, invisible, dans le salon de Mme Swann d′attirer son attention, d′occuper sa pensée, d′exciter sa reconnaissance pour mon admiration, de lui apparaître comme l′ami d′un homme important, de lui sembler à l′avenir digne d′être invité par elle et d′entrer dans l′intimité de sa famille), cet homme important qui allait user en ma faveur du grand prestige qu′il devait avoir aux yeux de Mme Swann, m′inspira subitement une tendresse si grande que j′eus peine à me retenir de ne pas embrasser ses douces mains blanches et fripées, qui avaient l′air d′être restées trop longtemps dans l′eau. J′en ébauchai presque le geste que je me crus seul à avoir remarqué. Il est difficile en effet à chacun de nous de calculer exactement à quelle échelle ses paroles ou ses mouvements apparaissent à autrui; par peur de nous exagérer notre importance et en grandissant dans des proportions énormes le champ sur lequel sont obligés de s′étendre les souvenirs des autres au cours de leur vie, nous nous imaginons que les parties accessoires de notre discours, de nos attitudes, pénètrent à peine dans la conscience, à plus forte raison ne demeurent pas dans la mémoire de ceux avec qui nous causons. C′est d′ailleurs à une supposition de ce genre qu′obéissent les criminels quand ils retouchent après coup un mot qu′ils ont dit et duquel ils pensent qu′on ne pourra confronter cette variante à aucune autre version. Mais il est bien possible que, même en ce qui concerne la vie millénaire de l′humanité, la philosophie du feuilletoniste selon laquelle tout est promis à l′oubli soit moins vraie qu′une philosophie contraire qui prédirait la conservation de toutes choses. Dans le même journal où le moraliste du «Premier Paris» nous dit d′un événement, d′un chef-d′uvre, à plus forte raison d′une chanteuse qui eut «son heure de célébrité»: «Qui se souviendra de tout cela dans dix ans?» à la troisième page, le compte rendu de l′Académie des Inscriptions ne parle-t-il pas souvent d′un fait par lui-même moins important, d′un poème de peu de valeur, qui date de l′époque des Pharaons et qu′on connaît encore intégralement. Peut-être n′en est-il pas tout à fait de même dans la courte vie humaine. Pourtant quelques années plus tard, dans une maison où M. de Norpois, qui se trouvait en visite, me semblait le plus solide appui que j′y pusse rencontrer, parce qu′il était l′ami de mon père, indulgent, porté à nous vouloir du bien à tous, d′ailleurs habitué par sa profession et ses origines à la discrétion, quand, une fois l′Ambassadeur parti, on me raconta qu′il avait fait allusion à une soirée d′autrefois dans laquelle il avait «vu le moment où j′allais lui baiser les mains», je ne rougis pas seulement jusqu′aux oreilles, je fus stupéfait d′apprendre qu′étaient si différentes de ce que j′aurais cru, non seulement la façon dont M. de Norpois parlait de moi, mais encore la composition de ses souvenirs; ce «potin» m′éclaira sur les proportions inattendues de distraction et de présence d′esprit, de mémoire et d′oubli dont est fait l′esprit humain; et, je fus aussi merveilleusement surpris que le jour où je lus pour la première fois, dans un livre de Maspero, qu′on savait exactement la liste des chasseurs qu′Assourbanipal invitait à ses battues, dix siècles avant Jésus-Christ. While he was uttering these words, and for a few seconds after he had uttered them, M. de Norpois was still in the same position as anyone else who, hearing me speak of Swann as an intelligent man, of his family as respectable stockbrokers, of his house as a fine house, imagined that I would speak just as readily of another man equally intelligent, of other stockbrokers equally respectable, of another house equally fine; it was the moment in which a sane man who is talking to a lunatic has not yet perceived that his companion is mad. M. de Norpois knew that there was nothing unnatural in the pleasure which one derived from looking at pretty women, that it was a social convention, when anyone spoke to you of a pretty woman with any fervour, to pretend to think that he was in love with her, and to promise to further his designs. But in saying that he would speak of me to Gilberte and her mother (which would enable me, like an Olympian deity who has taken on the fluidity of a breath of wind, or rather the aspect of the old greybeard whose form Minerva borrows, to penetrate, myself, unseen, into Mme. Swann′s drawing-room, to attract her attention, to occupy her thoughts, to arouse her gratitude for my admiration, to appear before her as the friend of an important person, to seem to her worthy to be invited by her in the future and to enter into the intimate life of her family), this important person who was going to make use, in my interests, of the great influence which he must have with Mme. Swann inspired in me suddenly an affection so compelling that I had difficulty in restraining myself from kissing his gentle hands, white and crumpled, which looked as though they had been left lying too long in water. I even sketched in the air an outline of that impulsive movement, but this I supposed that I alone had observed. For it is difficult for any of us to calculate exactly on what scale his words or his gestures are apparent to others. Partly from the fear of exaggerating our own importance, and also because we enlarge to enormous proportions the field over which the impressions formed by other people in the course of their lives are obliged to extend, we imagine that the accessories of our speech and attitudes scarcely penetrate the consciousness, still less remain in the memory of those with whom we converse, It is, we may suppose, to a prompting of this sort that criminals yield when they ‘touch up′ the wording of a statement already made, thinking that the new variant cannot be confronted with any existing version. But it is quite possible that, even in what concerns the millennial existence of the human race, the philosophy of the journalist, according to which everything is destined to oblivion, is less true than a contrary philosophy which would predict the conservation of everything. In the same newspaper in which the moralist of the ‘Paris column′ says to us of an event, of a work of art, all the more forcibly of a singer who has enjoyed her ‘crowded hour′: “Who will remember this in ten years′ time?” overleaf does not the report of the Académie des Inscriptions speak often of a fact, in itself of smaller importance, of a poem of little merit, which dates from the epoch of the Pharaohs and is now known again in its entirety? Is it not, perhaps, just the same in our brief life on earth? And yet, some years later, in a house in which M. de Norpois, who was also calling there, had seemed to me the most solid support that I could hope to find, because he was the friend of my father, indulgent, inclined to wish us all well, and besides, by his profession and upbringing, trained to discretion, when, after the Ambassador had gone, I was told that he had alluded to an evening long ago when he had seen the moment in which I was just going to kiss his hands, not only did I colour up to the roots of my hair but I was stupefied to learn how different from all that I had believed were not only the manner in which M. de Norpois spoke of me but also the constituents of his memory: this tittle-tattle enlightened me as to the incalculable proportions of absence and presence of mind, of recollection and forgetfulness which go to form the human intelligence; and I was as marvellously surprised as on the day on which I read for the first time, in one of Maspero′s books, that we had an exact list of the sportsmen whom Assurbanipal used to invite to his hunts, a thousand years before the Birth of Christ.
— Oh! monsieur, dis-je à M. de Norpois, quand il m′annonça qu′il ferait part à Gilberte et à sa mère, de l′admiration que j′avais pour elles, si vous faisiez cela, si vous parliez de moi à Mme Swann, ce ne serait pas assez de toute ma vie pour vous témoigner ma gratitude, et cette vie vous appartiendrait! Mais je tiens à vous faire remarquer que je ne connais pas Mme Swann et que je ne lui ai jamais été présenté.» “Oh, sir,” I assured M. de Norpois, when he told me that he would inform Gilberte and her mother how much I admired them, “if you would do that, if you would speak of me to Mme. Swann, my whole life would not be long enough for me to prove my gratitude, and that life would be all at your service. But I feel bound to point out to you that I do not know Mme. Swann, and that I have never been introduced to her.”
J′avais ajouté ces derniers mots par scrupule et pour ne pas avoir l′air de m′être vanté d′une relation que je n′avais pas. Mais en les prononçant, je sentais qu′ils étaient déjà devenus inutiles, car dès le début de mon remerciement, d′une ardeur réfrigérante, j′avais vu passer sur le visage de l′ambassadeur une expression d′hésitation et de mécontentement et dans ses yeux, ce regard vertical, étroit et oblique (comme, dans le dessin en perspective d′un solide, la ligne fuyante d′une de ses faces), regard qui s′adresse à cet interlocuteur invisible qu′on a en soi-même, au moment où on lui dit quelque chose que l′autre interlocuteur, le Monsieur avec qui on parlait jusqu′ici — moi dans la circonstance — ne doit pas entendre. Je me rendis compte aussitôt que ces phrases que j′avais prononcées et qui, faibles encore auprès de l′effusion reconnaissante dont j′étais envahi, m′avaient paru devoir toucher M. de Norpois et achever de le décider à une intervention qui lui eût donné si peu de peine, et à moi tant de joie, étaient peut-être (entre toutes celles qu′eussent pu chercher diaboliquement des personnes qui m′eussent voulu du mal), les seules qui pussent avoir pour résultat de l′y faire renoncer. En les entendant en effet, de même qu′au moment où un inconnu, avec qui nous venions d′échanger agréablement des impressions que nous avions pu croire semblables sur des passants que nous nous accordions à trouver vulgaires, nous montre tout à coup l′abîme pathologique qui le sépare de nous en ajoutant négligemment tout en tâtant sa poche: «C′est malheureux que je n′aie pas mon revolver, il n′en serait pas resté un seul», M. de Norpois qui savait que rien n′était moins précieux ni plus aisé que d′être recommandé à Mme Swann et introduit chez elle, et qui vit que pour moi, au contraire, cela présentait un tel prix, par conséquent, sans doute, une grande difficulté, pensa que le désir, normal en apparence, que j′avais exprimé, devait dissimuler quelque pensée différente, quelque visée suspecte, quelque faute antérieure, à cause de quoi, dans la certitude de déplaire à Mme Swann, personne n′avait jusqu′ici voulu se charger de lui transmettre une commission de ma part. Et je compris que cette commission, il ne la ferait jamais, qu′il pourrait voir Mme Swann quotidiennement pendant des années, sans pour cela lui parler une seule fois de moi. Il lui demanda cependant quelques jours plus tard un renseignement que je désirais et chargea mon père de me le transmettre. Mais il n′avait pas cru devoir dire pour qui il le demandait. Elle n′apprendrait donc pas que je connaissais M. de Norpois et que je souhaitais tant d′aller chez elle; et ce fut peut-être un malheur moins grand que je ne croyais. Car la seconde de ces nouvelles n′eût probablement pas beaucoup ajouté à l′efficacité, d′ailleurs incertaine, de la première. Pour Odette, l′idée de sa propre vie et de sa propre demeure n′éveillant aucun trouble mystérieux, une personne qui la connaissait, qui allait chez elle, ne lui semblait pas un être fabuleux comme il le paraissait à moi qui aurais jeté dans les fenêtres de Swann une pierre si j′avais pu écrire sur elle que je connaissais M. de Norpois: j′étais persuadé qu′un tel message, même transmis d′une façon aussi brutale m′eût donné beaucoup plus de prestige aux yeux de la maîtresse de la maison qu′il ne l′eût indisposée contre moi. Mais, même si j′avais pu me rendre compte que la mission dont ne s′acquitta pas M. de Norpois fût restée sans utilité, bien plus, qu′elle eût pu me nuire auprès des Swann, je n′aurais pas eu le courage, s′il s′était montré consentant, d′en décharger l′ambassadeur et de renoncer à la volupté, si funestes qu′en pussent être les suites, que mon nom et ma personne se trouvassent ainsi un moment auprès de Gilberte, dans sa maison et sa vie inconnues. I had added these last words from a scruple of conscience, and so as not to appear to be boasting of an acquaintance which I did not possess. But while I was uttering them I felt that they were already superfluous, for from the beginning of my speech of thanks, with its chilling ardour, I had seen flitting across the face of the Ambassador an expression of hesitation and dissatisfaction, and in his eyes that vertical, narrow, slanting look (like, in the drawing of a solid body in perspective, the receding line of one of its surfaces), that look which one addresses to the invisible audience whom one has within oneself at the moment when one is saying something that one′s other audience, the person whom one has been addressing — myself, in this instance — is not meant to hear. I realised in a flash that these phrases which I had pronounced, which, feeble as they were when measured against the flood of gratitude that was coursing through me, had seemed to me bound to touch M. de Norpois and to confirm his decision upon an intervention which would have given him so little trouble and me so much joy, were perhaps (out of all those that could have been chosen, with diabolical malice, by persons anxious to do me harm) the only ones that could result in making him abandon his intention. Indeed, when he heard me speak, just as at the moment when a stranger with whom we have been exchanging — quite pleasantly — our impressions, which we might suppose to be similar to his, of the passers-by, whom we have agreed in regarding as vulgar, reveals suddenly the pathological abyss that divides him from us by adding carelessly, as he runs his hand over his pocket: “What a pity, I haven′t got my revolver here; I could have picked off the lot!” M. de Norpois, who knew that nothing was less costly or more easy than to be commended to Mme. Swann and taken to her house, and saw that to me, on the contrary, such favours bore so high a price and were consequently, no doubt, of great difficulty, thought that the desire, apparently normal, which I had expressed must cloak some different thought, some suspect intention, some pre-existent fault, on account of which, in the certainty of displeasing Mme. Swann, no one hitherto had been willing to undertake the responsibility for conveying a message to her from me. And I understood that this office was one which he would never discharge, that he might see Mme. Swann daily, for years to come, without ever mentioning my name. He did indeed ask her, a few days later, for some information which I required, and charged my father to convey it to me. But he had not thought it his duty to tell her at whose instance he was inquiring. So she would never discover that I knew M. de Norpois and that I hoped so greatly to be asked to her house; and this was perhaps a less misfortune than I supposed. For the second of these discoveries would probably not have added much to the efficacy, in any event uncertain, of the first. In Odette the idea of her own life and of her home awakened no mysterious disturbance; a person who knew her, who came to see her, did not seem to her a fabulous creature such as he seemed to me who would have flung a stone through Swann′s windows if I could have written upon it that I knew M. de Norpois; I was convinced that such a message, even when transmitted in so brutal a fashion, would have done far more to exalt me in the eyes of the lady of the house than it would have prejudiced her against me. But even if I had been capable of understanding that the mission which M. de Norpois did not perform must have remained futile, nay, more than that, might even have damaged my credit with the Swanns, I should not have had the courage, had he shewn himself consenting, to release the Ambassador from it, and to renounce the pleasure — however fatal its consequences might prove — of feeling that my name and my person were thus brought for a moment into Gilberte′s presence, in her unknown life and home.
Quand M. de Norpois fut parti, mon père jeta un coup d′il sur le journal du soir; je songeais de nouveau à la Berma. Le plaisir que j′avais eu à l′entendre exigeait d′autant plus d′être complété qu′il était loin d′égaler celui que je m′étais promis; aussi s′assimilait-il immédiatement tout ce qui était susceptible de le nourrir, par exemple ces mérites que M. de Norpois avait reconnus à la Berma et que mon esprit avait bus d′un seul trait comme un pré trop sec sur qui on verse de l′eau. Or mon père me passa le journal en me désignant un entrefilet conçu en ces termes: «La représentation de Phèdre qui a été donnée devant une salle enthousiaste où on remarquait les principales notabilités du monde des arts et de la critique a été pour Mme Berma qui jouait le rôle de Phèdre, l′occasion d′un triomphe comme elle en a rarement connu de plus éclatant au cours de sa prestigieuse carrière. Nous reviendrons plus longuement sur cette représentation qui constitue un véritable événement théâtral; disons seulement que les juges les plus autorisés s′accordaient à déclarer qu′une telle interprétation renouvelait entièrement le rôle de Phèdre, qui est un des plus beaux et des plus fouillés de Racine et constituait la plus pure et la plus haute manifestation d′art à laquelle de notre temps il ait été donné d′assister.» Dès que mon esprit eut conçu cette idée nouvelle de «la plus pure et haute manifestation d′art», celle-ci se rapprocha du plaisir imparfait que j′avais éprouvé au théâtre, lui ajouta un peu de ce qui lui manquait et leur réunion forma quelque chose de si exaltant que je m′écriai: «Quelle grande artiste!» Sans doute on peut trouver que je n′étais pas absolument sincère. Mais qu′on songe plutôt à tant d′écrivains qui, mécontents du morceau qu′ils viennent d′écrire, s′ils lisent un éloge du génie de Châteaubriand, ou évoquant tel grand artiste dont ils ont souhaité d′être l′égal, fredonnant par exemple en eux-mêmes telle phrase de Beethoven de laquelle ils comparent la tristesse à celle qu′ils ont voulu mettre dans leur prose, se remplissent tellement de cette idée de génie qu′ils l′ajoutent à leurs propres productions en repensant à elles, ne les voient plus telles qu′elles leur étaient apparues d′abord, et risquant un acte de foi dans la valeur de leur uvre se disent: «Après tout!» sans se rendre compte que, dans le total qui détermine leur satisfaction finale, ils font entrer le souvenir de merveilleuses pages de Châteaubriand qu′ils assimilent aux leurs, mais enfin qu′ils n′ont point écrites; qu′on se rappelle tant d′hommes qui croient en l′amour d′une maîtresse de qui ils ne connaissent que les trahisons; tous ceux aussi qui espèrent alternativement soit une survie incompréhensible dès qu′ils pensent, maris inconsolables, à une femme qu′ils ont perdue et qu′ils aiment encore, artistes, à la gloire future de laquelle ils pourront jouir, soit un néant rassurant quand leur intelligence se reporte au contraire aux fautes que sans lui ils auraient à expier après leur mort; qu′on pense encore aux touristes qu′exalte la beauté d′ensemble d′un voyage dont jour par jour ils n′ont éprouvé que de l′ennui, et qu′on dise, si dans la vie en commun que mènent les idées au sein de notre esprit, il est une seule de celles qui nous rendent le plus heureux qui n′ait été d′abord en véritable parasite demander à une idée étrangère et voisine le meilleur de la force qui lui manquait. After M. de Norpois had gone my father cast an eye over the evening paper; I dreamed once more of Berma. The pleasure which I had found in listening to her required to be made complete, all the more because it had fallen far short of what I had promised myself; and so it at once assimilated everything that was capable of giving it nourishment, those merits, for instance, which M. de Norpois had admitted that Berma possessed, and which my mind had absorbed at one draught, like a dry lawn when water is poured on it. Then my father handed me the newspaper, pointing me out a paragraph which ran more or less as follows:— The performance of Phèdre, given this afternoon before an enthusiastic audience, which included the foremost representatives of society and the arts, as well as the principal critics, was for Mme. Berma, who played the heroine, the occasion of a triumph as brilliant as any that she has known in the course of her phenomenal career. We shall discuss more fully in a later issue this performance, which is indeed an event in the history of the stage; for the present we need only add that the best qualified judges are unanimous in the pronouncement that such an interpretation sheds an entirely new light on the part of Phèdre, which is one of the finest and most studied of Racine′s creations, and that it constitutes the purest and most exalted manifestation of dramatic art which it has been the privilege of our generation to witness. Immediately my mind had conceived this new idea of “the purest and most exalted manifestation of dramatic art,” it, the idea, sped to join the imperfect pleasure which I had felt in the theatre, added to it a little of what was lacking, and their combination formed something so exalting that I cried out within myself: “What a great artist!” It may doubtless be argued that I was not absolutely sincere. But let us bear in mind, rather, the numberless writers who, dissatisfied with the page which they have just written, if they read some eulogy of the genius of Chateaubriand, or evoke the spirit of some great artist whose equal they aspire to be, by humming to themselves, for instance, a phrase of Beethoven, the melancholy of which they compare with what they have been trying to express in prose, are so filled with that idea of genius that they add it to their own productions, when they think of them once again, see them no longer in the light in which at first they appeared, and, hazarding an act of faith in the value of their work, say to themselves: “After all!” without taking into account that, into the total which determines their ultimate satisfaction, they have introduced the memory of marvellous pages of Chateaubriand which they assimilate to their own, but of which, in cold fact, they are not the authors; let us bear in mind the numberless men who believe in the love of a mistress on the evidence only of her betrayals; all those, too, who are sustained by the alternative hopes, either of an incomprehensible survival of death, when they think, inconsolable husbands, of the wives whom they have lost but have not ceased to love, or, artists, of the posthumous glory which they may thus enjoy; or else the hope of complete extinction which comforts them when their thoughts turn to the misdeeds that otherwise they must expiate after death; let us bear in mind also the travellers who come home enraptured by the general beauty of a tour of which, from day to day, they have felt nothing but the tedious incidents; and let us then declare whether, in the communal life that is led by our ideas in the enclosure of our minds, there is a single one of those that make us most happy which has not first sought, a very parasite, and won from an alien but neighbouring idea the greater part of the strength that it originally lacked.
Ma mère ne parut pas très satisfaite que mon père ne songeât plus pour moi à la «carrière». Je crois que soucieuse avant tout qu′une règle d′existence disciplinât les caprices de mes nerfs, ce qu′elle regrettait, c′était moins de me voir renoncer à la diplomatie que m′adonner à la littérature. «Mais laisse donc, s′écria mon père, il faut avant tout prendre du plaisir à ce qu′on fait. Or, il n′est plus un enfant. Il sait bien maintenant ce qu′il aime, il est peu probable qu′il change, et il est capable de se rendre compte de ce qui le rendra heureux dans l′existence.» En attendant que grâce à la liberté qu′elles m′octroyaient, je fusse, ou non, heureux dans l′existence, les paroles de mon père me firent ce soir-là bien de la peine. De tout temps ses gentillesses imprévues m′avaient, quand elles se produisaient, donné une telle envie d′embrasser au-dessus de sa barbe ses joues colorées que si je n′y cédais pas, c′était seulement par peur de lui déplaire. Aujourd′hui, comme un auteur s′effraye de voir ses propres rêveries qui lui paraissent sans grande valeur parce qu′il ne les sépare pas de lui-même, obliger un éditeur à choisir un papier, à employer des caractères peut-être trop beaux pour elles, je me demandais si mon désir d′écrire était quelque chose d′assez important pour que mon père dépensât à cause de cela tant de bonté. Mais surtout en parlant de mes goûts qui ne changeraient plus, de ce qui était destiné à rendre mon existence heureuse, il insinuait en moi deux terribles soupçons. Le premier c′était que (alors que chaque jour je me considérais comme sur le seuil de ma vie encore intacte et qui ne débuterait que le lendemain matin) mon existence était déjà commencée, bien plus, que ce qui allait en suivre ne serait pas très différent de ce qui avait précédé. Le second soupçon, qui n′était à vrai dire qu′une autre forme du premier, c′est que je n′étais pas situé en dehors du Temps, mais soumis à ses lois, tout comme ces personnages de roman qui, à cause de cela, me jetaient dans une telle tristesse, quand je lisais leur vie, à Combray, au fond de ma guérite d′osier. Théoriquement on sait que la terre tourne, mais en fait on ne s′en aperçoit pas, le sol sur lequel on marche semble ne pas bouger et on vit tranquille. Il en est ainsi du Temps dans la vie. Et pour rendre sa fuite sensible, les romanciers sont obligés, en accélérant follement les battements de l′aiguille, de faire franchir au lecteur dix, vingt, trente ans, en deux minutes. Au haut d′une page on a quitté un amant plein d′espoir, au bas de la suivante on le retrouve octogénaire, accomplissant péniblement dans le préau d′un hospice sa promenade quotidienne, répondant à peine aux paroles qu′on lui adresse, ayant oublié le passé. En disant de moi: «Ce n′est plus un enfant, ses goûts ne changeront plus, etc.», mon père venait tout d′un coup de me faire apparaître à moi-même dans le Temps, et me causait le même genre de tristesse, que si j′avais été non pas encore l′hospitalisé ramolli, mais ces héros dont l′auteur, sur un ton indifférent qui est particulièrement cruel, nous dit à la fin d′un livre: «il quitte de moins en moins la campagne. Il a fini par s′y fixer définitivement, etc.» My mother appeared none too well pleased that my father no longer thought of ‘the career′ for myself. I fancy that, anxious before all things that a definite rule of life should discipline the eccentricity of my nervous system, what she regretted was not so much seeing me abandon diplomacy as the prospect of my devoting myself to literature. But “Let him alone!” my father protested; “the main thing is that a man should find pleasure in his work. He is no longer a child. He knows pretty well now what he likes, it is not at all probable that he will change, and he is quite capable of deciding for himself what will make him happy in life.” That evening, as I waited for the time to arrive when, thanks to the freedom of choice which they allowed me, I should or should not begin to be happy in life, my father′s words caused me great uneasiness. At all times his unexpected kindnesses had, when they were manifested, prompted in me so keen a desire to kiss, above where his beard began, his glowing cheeks, that if I did not yield to that desire, it was simply because I was afraid of annoying him. And on that day, as an author becomes alarmed when he sees the fruits of his own meditation, which do not appear to him to be of great value since he does not separate them from himself, oblige a publisher to choose a kind of paper, to employ a fount of type finer, perhaps, than they deserve, I asked myself whether my desire to write was of sufficient importance to justify my father in dispensing so much generosity. But apart from that, when he spoke of my inclinations as no longer liable to change, he awakened in me two terrible suspicions. The first was that (at a time when, every day, I regarded myself as standing upon the threshold of a life which was still intact and would not enter upon its course until the following morning) my existence was already begun, and that, furthermore, what was yet to follow would not differ to any extent from what had already elapsed. The second suspicion, which was nothing more, really, than a variant of the first, was that I was not situated somewhere outside the realm of Time, but was subject to its laws, just like the people in novels who, for that reason, used to plunge me in such depression when I read of their lives, down at Combray, in the fastness of my wicker sentry-box. In theory one is aware that the earth revolves, but in practice one does not perceive it, the ground upon which one treads seems not to move, and one can live undisturbed. So it is with Time in one′s life. And to make its flight perceptible novelists are obliged, by wildly accelerating the beat of the pendulum, to transport the reader in a couple of minutes over ten, or twenty, or even thirty years. At the top of one page we have left a lover full of hope; at the foot of the next we meet him again, a bowed old man of eighty, painfully dragging himself on his daily walk about the courtyard of an almshouse, scarcely replying to what is said to him, oblivious of the past. In saying of me, “He is no longer a child,” “His tastes will not change now,” and so forth, my father had suddenly made me apparent to myself in my position in Time, and caused me the same kind of depression as if I had been, not yet the enfeebled old pensioner, but one of those heroes of whom the author, in a tone of indifference which is particularly galling, says to us at the end of a book: “He very seldom comes up now from the country. He has finally decided to end his days there.”
Cependant, mon père, pour aller au-devant des critiques que nous aurions pu faire sur notre invité, dit à maman: Meanwhile my father, so as to forestall any criticism that we might feel tempted to make of our guest, said to my mother:
— «J′avoue que le père Norpois a été un peu «poncif» comme vous dites. Quand il a dit qu′il aurait été «peu séant» de poser une question au comte de Paris, j′ai eu peur que vous ne vous mettiez à rire.» “Upon my word, old Norpois was rather ‘typical,′ as you call it, this evening, wasn′t he? When he said that it would not have been ‘seemly′ to ask the Comte de Paris a question, I was quite afraid you would burst out laughing.”
« — Mais pas du tout, répondit ma mère, j′aime beaucoup qu′un homme de cette valeur et de cet âge ait gardé cette sorte de naîµ¥té qui ne prouve qu′un fond d′honnêteté et de bonne éducation.» “Not at all!” answered my mother. “I was delighted to see a man of his standing, and age too, keep that sort of simplicity, which is really a sign of straightforwardness and good-breeding.”
— «Je crois bien! Cela ne l′empêche pas d′être fin et intelligent, je le sais moi qui le vois à la Commission tout autre qu′il n′est ici, s′écria mon père, heureux de voir que maman appréciait M. de Norpois, et voulant lui persuader qu′il était encore supérieur à ce qu′elle croyait, parce que la cordialité surfait avec autant de plaisir qu′en prend la taquinerie à déprécier. Comment a-t-il donc dit . . . «avec les princes on ne sait jamais . . . » “I should think so, indeed! That does not prevent his having a shrewd and discerning mind; I know him well, I see him at the Commission, remember, where he is very different from what he was here,” exclaimed my father, who was glad to see that Mamma appreciated M. de Norpois, and anxious to persuade her that he was even superior to what she supposed, because a cordial nature exaggerates a friend′s qualities with as much pleasure as a mischievous one finds in depreciating them. “What was it that he said, again —‘With Princes one never does know.′ . . .?”
— «Mais oui, comme tu dis là. J′avais remarqué, c′est très fin. On voit qu′il a une profonde expérience de la vie.» “Yes, that was it. I noticed it at the time; it was very neat. You can see that he has a vast experience of life.”
— «C′est extraordinaire qu′il ait dîné chez les Swann et qu′il y ait trouvé en somme des gens réguliers, des fonctionnaires . . . Où est-ce que Mme Swann a pu aller pêcher tout ce monde-là?» “The astonishing thing is that he should have been dining with the Swanns, and that he seems to have found quite respectable people there, officials even. How on earth can Mme. Swann have managed to catch them?”
— «As-tu remarqué, avec quelle malice il a fait cette réflexion: «C′est une maison où il va surtout des hommes!» “Did you notice the malicious way he said: ‘It is a house which is especially attractive to gentlemen!′?”
Et tous deux cherchaient à reproduire la manière dont M. de Norpois avait dit cette phrase, comme ils auraient fait pour quelque intonation de Bressant ou de Thiron dans l′Aventurière ou dans le Gendre de M. Poirier. Mais de tous ses mots, le plus goûté, le fut par Françoise qui, encore plusieurs années après, ne pouvait pas «tenir son sérieux» si on lui rappelait qu′elle avait été traitée par l′ambassadeur de «chef de premier ordre», ce que ma mère était allée lui transmettre comme un ministre de la guerre les félicitations d′un souverain de passage après «la Revue». Je l′avais d′ailleurs précédée à la cuisine. Car j′avais fait promettre à Françoise, pacifiste mais cruelle, qu′elle ne ferait pas trop souffrir le lapin qu′elle avait à tuer et je n′avais pas eu de nouvelles de cette mort; Françoise m′assura qu′elle s′était passée le mieux du monde et très rapidement: «J′ai jamais vu une bête comme ça; elle est morte sans dire seulement une parole, vous auriez dit qu′elle était muette.» Peu au courant du langage des bêtes, j′alléguai que le lapin ne criait peut-être pas comme le poulet. «Attendez un peu voir, me dit Françoise indignée de mon ignorance, si les lapins ne crient pas autant comme les poulets. Ils ont même la voix bien plus forte.» Françoise accepta les compliments de M. de Norpois avec la fière simplicité, le regard joyeux et — fût-ce momentanément — intelligent, d′un artiste à qui on parle de son art. Ma mère l′avait envoyée autrefois dans certains grands restaurants voir comment on y faisait la cuisine. J′eus ce soir-là à l′entendre traiter les plus célèbres de gargotes le même plaisir qu′autrefois à apprendre, pour les artistes dramatiques, que la hiérarchie de leurs mérites n′était pas la même que celle de leurs réputations. «L′Ambassadeur, lui dit ma mère, assure que nulle part on ne mange de buf froid et de soufflés comme les vôtres.» Françoise avec un air de modestie et de rendre hommage à la vérité, l′accorda, sans être, d′ailleurs, impressionnée par le titre d′ambassadeur; elle disait de M. de Norpois, avec l′amabilité due à quelqu′un qui l′avait prise pour un «chef»: «C′est un bon vieux comme moi.» Elle avait bien cherché à l′apercevoir quand il était arrivé, mais sachant que Maman détestait qu′on fût derrière les portes ou aux fenêtres et pensant qu′elle saurait par les autres domestiques ou par les concierges qu′elle avait fait le guet (car Françoise ne voyait partout que «jalousies» et «racontages» qui jouaient dans son imagination le même rôle permanent et funeste que, pour telles autres personnes, les intrigues des jésuites ou des juifs), elle s′était contentée de regarder par la croisée de la cuisine, «pour ne pas avoir des raisons avec Madame» et sur l′aspect sommaire de M. de Norpois, elle avait «cru Monsieur Legrand», à cause de son agileté, et bien qu′il n′y eût pas un trait commun entre eux. «Mais enfin, lui demanda ma mère, comment expliquez-vous que personne ne fasse la gelée aussi bien que vous (quand vous le voulez)?» «Je ne sais pas d′où ce que ça devient», répondit Françoise (qui n′établissait pas une démarcation bien nette entre le verbe venir, au moins pris dans certaines acceptions et le verbe devenir). Elle disait vrai du reste, en partie, et n′était pas beaucoup plus capable — ou désireuse — de dévoiler le mystère qui faisait la supériorité de ses gelées ou de ses crèmes, qu′une grande élégante pour ses toilettes, ou une grande cantatrice pour son chant. Leurs explications ne nous disent pas grand chose; il en était de même des recettes de notre cuisinière. «Ils font cuire trop à la va-vite, répondit-elle en parlant des grands restaurateurs, et puis pas tout ensemble. Il faut que le buf, il devienne comme une éponge, alors il boit tout le jus jusqu′au fond. Pourtant il y avait un de ces Cafés où il me semble qu′on savait bien un peu faire la cuisine. Je ne dis pas que c′était tout à fait ma gelée, mais c′était fait bien doucement et les soufflés ils avaient bien de la crème.» «Est-ce Henry? demanda mon père qui nous avait rejoints et appréciait beaucoup le restaurant de la place Gaillon où il avait à dates fixes des repas de corps. «Oh non! dit Françoise avec une douceur qui cachait un profond dédain, je parlais d′un petit restaurant. Chez cet Henry c′est très bon bien sûr, mais c′est pas un restaurant, c′est plutôt . . . un bouillon!» «Weber»? «Ah! non, monsieur, je voulais dire un bon restaurant. Weber c′est dans la rue Royale, ce n′est pas un restaurant, c′est une brasserie. Je ne sais pas si ce qu′ils vous donnent est servi. Je crois qu′ils n′ont même pas de nappe, ils posent cela comme cela sur la table, va comme je te pousse.» «Cirro?» Françoise sourit: «Oh! là je crois qu′en fait de cuisine il y a surtout des dames du monde. (Monde signifiait pour Françoise demi-monde.) Dame, il faut ça pour la jeunesse.» Nous nous apercevions qu′avec son air de simplicité Françoise était pour les cuisiniers célèbres une plus terrible «camarade» que ne peut l′être l′actrice la plus envieuse et la plus infatuée. Nous sentîmes pourtant qu′elle avait un sentiment juste de son art et le respect des traditions, car elle ajouta: «Non, je veux dire un restaurant où c′est qu′il y avait l′air d′avoir une bien bonne petite cuisine bourgeoise. C′est une maison encore assez conséquente. Ça travaillait beaucoup. Ah! on en ramassait des sous là-dedans (Françoise, économe, comptait par sous, non par louis comme les décavés). Madame connaît bien là-bas à droite sur les grands boulevards, un peu en arrière . . . » Le restaurant dont elle parlait avec cette équité mêlée d′orgueil et de bonhomie, c′était . . . le Café Anglais. And each of them attempted to reproduce the manner in which M. de Norpois had uttered these words, as they might have attempted to capture some intonation of Bressant′s voice or of Thiron′s in L′Aventurière or in the Gendre de M. Poirier. But of all his sayings there was none so keenly relished as one was by Françoise, who, years afterwards, even, could not ‘keep a straight face′ if we reminded her that she had been qualified by the Ambassador as ‘a chef of the first order,′ a compliment which my mother had gone in person to transmit to her, as a War Minister publishes the congratulations addressed to him by a visiting Sovereign after the grand review. I, as it happened, had preceded my mother to the kitchen. For I had extorted from Françoise, who though opposed to war was cruel, that she would cause no undue suffering to the rabbit which she had to kill, and I had had no report yet of its death. Françoise assured me that it had passed away as peacefully as could be desired, and very swiftly. “I have never seen a beast like it; it died without uttering a word; you would have thought it was dumb.” Being but little versed in the language of beasts I suggested that the rabbit had not, perhaps, a cry like the chicken′s. “Just wait till you see,” said Françoise, filled with contempt for my ignorance, “if rabbits don′t cry every bit as much as chickens. Why, they are far noisier.” She received the compliments of M. de Norpois with the proud simplicity, the joyful and (if but for the moment) intelligent expression of an artist when someone speaks to him of his art. My mother had sent her when she first came to us to several of the big restaurants to see how the cooking there was done. I had the same pleasure, that evening, in hearing her dismiss the most famous of them as mere cookshops that I had had long ago, when I learned with regard to theatrical artists that the hierarchy of their merits did not at all correspond to that of their reputations. “The Ambassador,” my mother told her, “assured me that he knows no place where he can get cold beef and soufflés as good as yours.” Françoise, with an air of modesty and of paying just homage to the truth, agreed, but seemed not at all impressed by the title ‘Ambassador′; she said of M. de Norpois, with the friendliness due to a man who had taken her for a chef: “He′s a good old soul, like me.” She had indeed hoped to catch sight of him as he arrived, but knowing that Mamma hated their standing about behind doors and in windows, and thinking that Mamma would get to know from the other servants or from the porter that she had been keeping watch (for Françoise saw everywhere nothing but ‘jealousies′ and ‘tale-bearings,′ which played the same grim and unending part in her imagination as do for others of us the intrigues of the Jesuits or the Jews), she had contented herself with a peep from the kitchen window, ‘so as not to have words with Madame,′ and beneath the momentary aspect of M. de Norpois had ‘thought it was Monsieur Legrand,′ because of what she called his ‘agelity′ and in spite of their having not a single point in common. “Well,” inquired my mother, “and how do you explain that nobody else can make a jelly as well as you — when you choose?” “I really couldn′t say how that becomes about,” replied Françoise, who had established no very clear line of demarcation between the verb ‘to come,′ in certain of its meanings at least, and the verb ‘to become.′ She was speaking the truth, if not the whole truth, being scarcely more capable — or desirous — of revealing the mystery which ensured the superiority of her jellies or her creams than a leader of fashion the secrets of her toilet or a great singer those of her song. Their explanations tell us little; it was the same with the recipes furnished by our cook. “They do it in too much of a hurry,” she went on, alluding to the great restaurants, “and then it′s not all done together. You want the beef to become like a sponge, then it will drink up all the juice to the last drop. Still, there was one of those Cafés where I thought they did know a little bit about cooking. I don′t say it was altogether my jelly, but it was very nicely done, and the soufflés had plenty of cream.” “Do you mean Henry′s?” asked my father (who had now joined us), for he greatly enjoyed that restaurant in the Place Gaillon where he went regularly to club dinners. “Oh, dear no!” said Françoise, with a mildness which cloaked her profound contempt. “I meant a little restaurant. At that Henry′s it′s all very good, sure enough, but it′s not a restaurant, it′s more like a — soup-kitchen.” “Weber′s, then?” “Oh, no, sir, I meant a good restaurant. Weber′s, that′s in the Rue Royale; that′s not a restaurant, it′s a drinking-shop. I don′t know that the food they give you there is even served. I think they don′t have any tablecloths; they just shove it down in front of you like that, with a take it or leave it.” “Giro′s?” “Oh! there I should say they have the cooking done by ladies of the world.” (‘World′ meant for Françoise the under-world.) “Lord! They need that to fetch the boys in.” We could see that, with all her air of simplicity, Françoise was for the celebrities of her profession a more disastrous ‘comrade′ than the most jealous, the most infatuated of actresses. We felt, all the same, that she had a proper feeling for her art and a respect for tradition; for she went on: “No, I mean a restaurant where they looked as if they kept a very good little family table. It′s a place of some consequence, too. Plenty of custom there. Oh, they raked in the coppers there, all right.” Françoise, being an economist, reckoned in coppers, where your plunger would reckon in gold. “Madame knows the place well enough, down there to the right along the main boulevards, a little way back.” The restaurant of which she spoke with this blend of pride and good-humoured tolerance was, it turned out, the Café Anglais.
Quand vint le 1er janvier, je fis d′abord des visites de famille, avec maman, qui, pour ne pas me fatiguer, les avait d′avance (à l′aide d′un itinéraire tracé par mon père) classées par quartier plutôt que selon le degré exact de la parenté. Mais à peine entrés dans le salon d′une cousine assez éloignée qui avait comme raison de passer d′abord, que sa demeure ne le fût pas de la nôtre, ma mère était épouvantée en voyant, ses marrons glacés ou déguisés à la main, le meilleur ami du plus susceptible de mes oncles auquel il allait rapporter que nous n′avions pas commencé notre tournée par lui. Cet oncle serait sûrement blessé; il n′eût trouvé que naturel que nous allassions de la Madeleine au Jardin des Plantes où il habitait avant de nous arrêter à Saint-Augustin, pour repartir rue de l′École-de-Médecine. When New Year′s Day came, I first of all paid a round of family visits with Mamma who, so as not to tire me, had planned them beforehand (with the aid of an itinerary drawn up by my father) according to districts rather than to degrees of kinship. But no sooner had we entered the drawing-room of the distant cousin whose claim to being visited first was that her house was at no distance from ours, than my mother was horrified to see standing there, his present of marrons glacés or déguisés in his hand, the bosom friend of the most sensitive of all my uncles, to whom he would at once go and report that we had not begun our round with him. And this uncle would certainly be hurt; he would have thought it quite natural that we should go from the Madeleine to the Jardin des Plantes, where he lived, before stopping at Saint-Augustin, on our way to the Rue de l′Ecole de Médecine.
Les visites finies (ma grand′mère dispensait que nous en fissions une chez elle, comme nous y dînions ce jour-là) je courus jusqu′aux Champs-Élysées porter à notre marchande pour qu′elle la remît à la personne qui venait plusieurs fois par semaine de chez les Swann y chercher du pain d′épices, la lettre que dès le jour où mon amie m′avait fait tant de peine, j′avais décidé de lui envoyer au nouvel an, et dans laquelle je lui disais que notre amitié ancienne disparaissait avec l′année finie, que j′oubliais mes griefs et mes déceptions et qu′à partir du 1er janvier, c′était une amitié neuve que nous allions bâtir, si solide que rien ne la détruirait, si merveilleuse que j′espérais que Gilberte mettrait quelque coquetterie à lui garder toute sa beauté et à m′avertir à temps comme je promettais de le faire moi-même, aussitôt que surviendrait le moindre péril qui pourrait l′endommager. En rentrant, Françoise me fit arrêter, au coin de la rue Royale, devant un étalage en plein vent où elle choisit, pour ses propres étrennes, des photographies de Pie IX et de Raspail et où, pour ma part, j′en achetai une de la Berma. Les innombrables admirations qu′excitait l′artiste donnaient quelque chose d′un peu pauvre à ce visage unique qu′elle avait pour y répondre, immuable et précaire comme ce vêtement des personnes qui n′en ont pas de rechange, et où elle ne pouvait exhiber toujours que le petit pli au-dessus de la lèvre supérieure, le relèvement des sourcils, quelques autres particularités physiques toujours les mêmes qui, en somme, étaient à la merci d′une brûlure ou d′un choc. Ce visage, d′ailleurs, ne m′eût pas à lui seul semblé beau, mais il me donnait l′idée, et par conséquent, l′envie de l′embrasser à cause de tous les baisers qu′il avait dû supporter, et que du fond de la «carte-album», il semblait appeler encore par ce regard coquettement tendre et ce sourire artificieusement ingénu. Car la Berma devait ressentir effectivement pour bien des jeunes hommes ces désirs qu′elle avouait sous le couvert du personnage de Phèdre, et dont tout, même le prestige de son nom qui ajoutait à sa beauté et prorogeait sa jeunesse, devait lui rendre l′assouvissement si facile. Le soir tombait, je m′arrêtai devant une colonne de théâtre où était affichée la représentation que la Berma donnait pour le 1er janvier. Il soufflait un vent humide et doux. C′était un temps que je connaissais; j′eus la sensation et le pressentiment que le jour de l′an n′était pas un jour différent des autres, qu′il n′était pas le premier d′un monde nouveau où j′aurais pu, avec une chance encore intacte, refaire la connaissance de Gilberte comme au temps de la Création, comme s′il n′existait pas encore de passé, comme si eussent été anéanties, avec les indices qu′on aurait pu en tirer pour l′avenir, les déceptions qu′elle m′avait parfois causées: un nouveau monde où rien ne subsistât de l′ancien . . . rien qu′une chose: mon désir que Gilberte m′aimât. Je compris que si mon cur souhaitait ce renouvellement autour de lui d′un univers qui ne l′avait pas satisfait, c′est que lui, mon cur, n′avait pas changé, et je me dis qu′il n′y avait pas de raison pour que celui de Gilberte eût changé davantage; je sentis que cette nouvelle amitié c′était la même, comme ne sont pas séparées des autres par un fossé les années nouvelles que notre désir, sans pouvoir les atteindre et les modifier, recouvre à leur insu d′un nom différent. J′avais beau dédier celle-ci à Gilberte, et comme on superpose une religion aux lois aveugles de la nature, essayer d′imprimer au jour de l′an l′idée particulière que je m′étais faite de lui, c′était en vain; je sentais qu′il ne savait pas qu′on l′appelât le jour de l′an, qu′il finissait dans le crépuscule d′une façon qui ne m′était pas nouvelle: dans le vent doux qui soufflait autour de la colonne d′affiches, j′avais reconnu, j′avais senti reparaître la matière éternelle et commune, l′humidité familière, l′ignorante fluidité des anciens jours. Our visits ended (my grandmother had dispensed us from the duty of calling on her, since we were to dine there that evening), I ran all the way to the Champs-Elysées to give to our own special stall-keeper, with instructions to hand it over to the person who came to her several times a week from the Swanns to buy gingerbread, the letter which, on the day when my friend had caused me so much anxiety, I had decided to send her at the New Year, and in which I told her that our old friendship was vanishing with the old year, that I would forget, now, my old sorrows and disappointments, and that, from this first day of January, it was a new friendship that we were going to cement, one so solid that nothing could destroy it, so wonderful that I hoped that Gilberte would go out of her way to preserve it in all its beauty, and to warn me in time, as I promised to warn her, should either of us detect the least sign of a peril that might endanger it. On our way home Françoise made me stop at the corner of the Rue Royale, before an open-air stall from which she selected for her own stock of presents photographs of Pius IX and Raspail, while for myself I purchased one of Berma. The innumerable admiration which that artist excited gave an air almost of poverty to this one face that she had to respond with, unalterable and precarious as are the garments of people who have not a ‘change,′ this face on which she must continually expose to view only the tiny dimple upon her upper lip, the arch of her eyebrows, a few other physical peculiarities always the same, which, when it came to that, were at the mercy of a burn or a blow. This face, moreover, could not in itself have seemed to me beautiful, but it gave me the idea, and consequently the desire to kiss it by reason of all the kisses that it must have received, for which, from its page in the album, it seemed still to be appealing with that coquettishly tender gaze, that artificially ingenuous smile. For our Berma must indeed have felt for many young men those longings which she confessed under cover of the personality of Phaedra, longings of which everything, even the glamour of her name which enhanced her beauty and prolonged her youth, must render the gratification so easy to her. Night was falling; I stopped before a column of playbills, on which was posted that of the piece in which she was to appear on January 1. A moist and gentle breeze was blowing. It was a time of day and year that I knew; I suddenly felt a presentiment that New Year′s Day was not a day different from, the rest, that it was not the first day of a new world, in which, I might, by a chance that had never yet occurred, that was still intact, make Gilberte′s acquaintance afresh, as at the Creation of the World, as though the past had no longer any existence, as though there had been obliterated, with the indications which I might have preserved for my future guidance, the disappointments which she had sometimes brought me; a new world in which nothing should subsist from the old — save one thing, my desire that Gilberte should love me. I realised that if my heart hoped for such a reconstruction, round about it, of a universe that had not satisfied it before, it was because my heart had not altered, and I told myself that there was no reason why Gilberte′s should have altered either; I felt that this new friendship was the same, just as there is no boundary ditch between their forerunners and those new years which our desire for them, without being able to reach and so to modify them, invests, unknown to themselves, with distinctive names. I might dedicate this new year, if I chose, to Gilberte, and as one bases a religious system upon the blind laws of nature, endeavour to stamp New Year′s Day with the particular image that I had formed of it; but in vain, I felt that it was not aware that people called it New Year′s Day, that it was passing in a wintry dusk in a manner that was not novel to me; in the gentle breeze that floated about the column of playbills I had recognised, I had felt reappear the eternal, the universal substance, the familiar moisture, the unheeding fluidity of the old days and years.
Je revins à la maison. Je venais de vivre le 1er janvier des hommes vieux qui diffèrent ce jour-là des jeunes, non parce qu′on ne leur donne plus d′étrennes, mais parce qu′ils ne croient plus au nouvel an. Des étrennes j′en avais reçu mais non pas les seules qui m′eussent fait plaisir et qui eussent été un mot de Gilberte. J′étais pourtant jeune encore tout de même puisque j′avais pu lui en écrire un par lequel j′espérais en lui disant les rêves lointains de ma tendresse, en éveiller de pareils en elle. La tristesse des hommes qui ont vieilli c′est de ne pas même songer à écrire de telles lettres dont ils ont appris l′inefficacité. I returned to the house. I had spent the New Year′s Day of old men, who differ on that day from their juniors, not because people have ceased to give them presents but because they themselves have ceased to believe in the New Year. Presents I had indeed received, but not that present which alone could bring me pleasure, namely a line from Gilberte. I was young still, none the less, since I had been able to write her one, by means of which I hoped, in telling her of my solitary dreams of love and longing, to arouse similar dreams in her. The sadness of men who have grown old lies in their no longer even thinking of writing such letters, the futility of which their experience has shewn.
Quand je fus couché, les bruits de la rue, qui se prolongeaient plus tard ce soir de fête, me tinrent éveillé. Je pensais à tous les gens qui finiraient leur nuit dans les plaisirs, à l′amant, à la troupe de débauchés peut-être, qui avaient dû aller chercher la Berma à la fin de cette représentation que j′avais vue annoncée pour le soir. Je ne pouvais même pas, pour calmer l′agitation que cette idée faisait naître en moi dans cette nuit d′insomnie, me dire que la Berma ne pensait peut-être pas à l′amour, puisque les vers qu′elle récitait, qu′elle avait longuement étudiés, lui rappelaient à tous moments qu′il est délicieux, comme elle le savait d′ailleurs si bien qu′elle en faisait apparaître les troubles bien connus — mais doués d′une violence nouvelle et d′une douceur insoupçonnée, — à des spectateurs émerveillés dont chacun pourtant les avait ressentis par soi-même. Je rallumai ma bougie éteinte pour regarder encore une fois son visage. A la pensée qu′il était sans doute en ce moment caressé par ces hommes que je ne pouvais empêcher de donner à la Berma, et de recevoir d′elle, des joies surhumaines et vagues, j′éprouvais un émoi plus cruel qu′il n′était voluptueux, une nostalgie que vint aggraver le son du cor, comme on l′entend la nuit de la Mi-Carême, et souvent des autres fêtes, et qui, parce qu′il est alors sans poésie, est plus triste, sortant d′un mastroquet, que «le soir au fond des bois». A ce moment-là, un mot de Gilberte n′eût peut-être pas été ce qu′il m′eût fallu. Nos désirs vont s′interférant et, dans la confusion de l′existence, il est rare qu′un bonheur vienne justement se poser sur le désir qui l′avait réclamé. After I was in bed, the noises of the street, unduly prolonged upon this festive evening, kept me awake. I thought of all the people who were ending the night in pleasure, of the lover, the troop, it might be, of debauchees who would be going to meet Berma at the stage-door after the play that I had seen announced for this evening. I was not even able, so as to calm the agitation which that idea engendered in me during my sleepless night, to assure myself that Berma was not, perhaps, thinking about love, since the lines that she was reciting, which she had long and carefully rehearsed, reminded her at every moment that love is an exquisite thing, as of course she already knew, and knew so well that she displayed its familiar pangs — only enriched with a new violence and an unsuspected sweetness — to her astonished audience; and yet each of them had felt those pangs himself. I lighted my candle again, to look once more upon her face. At the thought that it was, no doubt, at that very moment being caressed by those men whom I could not prevent from giving to Berma and receiving from her joys superhuman but vague, I felt an emotion more cruel than voluptuous, a longing that was aggravated presently by the sound of a horn, as one hears it on the nights of the Lenten carnival and often of other public holidays, which, because it then lacks all poetry, is more saddening, coming from a toy squeaker, than “at evening, in the depth of the woods.” At that moment, a message from Gilberte would perhaps not have been what I wanted. Our desires cut across one another′s paths, and in this confused existence it is but rarely that a piece of good fortune coincides with the desire that clamoured for it.
Je continuai à aller aux Champs-Élysées les jours de beau temps, par des rues dont les maisons élégantes et roses baignaient, parce que c′était le moment de la grande vogue des Expositions d′Aquarellistes, dans un ciel mobile et léger. Je mentirais en disant que dans ce temps-là les palais de Gabriel m′aient paru d′une plus grande beauté ni même d′une autre époque que les hôtels avoisinants. Je trouvais plus de style et aurais cru plus d′ancienneté sinon au Palais de l′Industrie, du moins à celui du Trocadéro. Plongée dans un sommeil agité, mon adolescence enveloppait d′un même rêve tout le quartier où elle le promenait, et je n′avais jamais songé qu′il pût y avoir un édifice du XVIIIe siècle dans la rue Royale, de même que j′aurais été étonné si j′avais appris que la Porte-Saint-Martin et la Porte Saint-Denis, chefs-d′uvre du temps de Louis XIV, n′étaient pas contemporains des immeubles les plus récents de ces arrondissements sordides. Une seule fois un des palais de Gabriel me fit arrêter longuement; c′est que la nuit étant venue, ses colonnes dématérialisées par le clair de lune avaient l′air découpées dans du carton et me rappelant un décor de l′opérette: Orphée aux Enfers, me donnaient pour la première fois une impression de beauté. I continued to go to the Champs-Elysées on fine days, along streets whose stylish pink houses seemed to be washed (because exhibitions of water-colours were then at the height of fashion) in a lightly floating atmosphere. It would be untrue to say that in those days the palaces of Gabriel struck me as being of greater beauty, or even of another epoch than the adjoining houses. I found more style, and should have supposed more antiquity if not in the Palais de l′Industrie at any rate in the Troca-déro. Plunged in a restless sleep, my adolescence embodied in one uniform vision the whole of the quarter through which it might be strolling, and I had never dreamed that there could be an eighteenth century building in the Rue Royale, just as I should have been astonished to learn that the Porte-Saint-Martin and the Porte-Saint-Denis, those glories of the age of Louis XIV, were not contemporary with the most recently built tenements in the sordid regions that bore their names. Once only one of Gabriel′s palaces made me stop for more than a moment; that was because, night having fallen, its columns, dematerialised by the moonlight, had the appearance of having been cut out in pasteboard, and by recalling to me a scene in the operetta Orphée aux Enfers gave me for the first time an impression of beauty.
Gilberte cependant ne revenait toujours pas aux Champs-Élysées. Et pourtant j′aurais eu besoin de la voir, car je ne me rappelais même pas sa figure. La manière chercheuse, anxieuse, exigeante que nous avons de regarder la personne que nous aimons, notre attente de la parole qui nous donnera ou nous ôtera l′espoir d′un rendez-vous pour le lendemain, et, jusqu′à ce que cette parole soit dite, notre imagination alternative, sinon simultanée, de la joie et du désespoir, tout cela rend notre attention en face de l′être aimé, trop tremblante pour qu′elle puisse obtenir de lui une image bien nette. Peut-être aussi cette activité de tous les sens à la fois et qui essaye de connaître avec les regards seuls ce qui est au delà d′eux, est-elle trop indulgente aux mille formes, à toutes les saveurs, aux mouvements de la personne vivante que d′habitude, quand nous n′aimons pas, nous immobilisons. Le modèle chéri, au contraire, bouge; on n′en a jamais que des photographies manquées. Je ne savais vraiment plus comment étaient faits les traits de Gilberte sauf dans les moments divins, où elle les dépliait pour moi: je ne me rappelais que son sourire. Et ne pouvant revoir ce visage bien-aimé, quelque effort que je fisse pour m′en souvenir, je m′irritais de trouver, dessinés dans ma mémoire avec une exactitude définitive, les visages inutiles et frappants de l′homme des chevaux de bois et de la marchande de sucre d′orge: ainsi ceux qui ont perdu un être aimé qu′ils ne revoient jamais en dormant, s′exaspèrent de rencontrer sans cesse dans leurs rêves tant de gens insupportables et que c′est déjà trop d′avoir connus dans l′état de veille. Dans leur impuissance à se représenter l′objet de leur douleur, ils s′accusent presque de n′avoir pas de douleur. Et moi je n′étais pas loin de croire que ne pouvant me rappeler les traits de Gilberte, je l′avais oubliée elle-même, je ne l′aimais plus. Enfin elle revint jouer presque tous les jours, mettant devant moi de nouvelles choses à désirer, à lui demander, pour le lendemain, faisant bien chaque jour en ce sens-là, de ma tendresse une tendresse nouvelle. Mais une chose changea une fois de plus et brusquement la façon dont tous les après-midis vers deux heures se posait le problème de mon amour. M. Swann avait-il surpris la lettre que j′avais écrite à sa fille, ou Gilberte ne faisait-elle que m′avouer longtemps après, et afin que je fusse plus prudent, un état de choses déjà ancien? Comme je lui disais combien j′admirais son père et sa mère, elle prit cet air vague, plein de réticences et de secret qu′elle avait quand on lui parlait de ce qu′elle avait à faire, de ses courses et de ses visites, et tout d′un coup finit par me dire: «Vous savez, ils ne vous gobent pas!» et glissante comme une ondine — elle était ainsi — elle éclata de rire. Souvent son rire en désaccord avec ses paroles semblait, comme fait la musique, décrire dans un autre plan, une surface invisible. M. et Mme Swann ne demandaient pas à Gilberte de cesser de jouer avec moi, mais eussent autant aimé, pensait-elle, que cela n′eût pas commencé. Ils ne voyaient pas mes relations avec elle d′un il favorable, ne me croyaient pas d′une grande moralité et s′imaginaient que je ne pouvais exercer sur leur fille qu′une mauvaise influence. Ce genre de jeunes gens peu scrupuleux auxquels Swann me croyait ressembler, je me les représentais comme détestant les parents de la jeune fille qu′ils aiment, les flattant quand ils sont là, mais se moquant d′eux avec elle, la poussant à leur désobéir, et quand ils ont une fois conquis leur fille, les privant même de la voir. A ces traits (qui ne sont jamais ceux sous lesquels le plus grand misérable se voit lui-même) avec quelle violence mon cur opposait ces sentiments dont il était animé à l′égard de Swann, si passionnés au contraire que je ne doutais pas que s′il les eût soupçonnés il ne se fût repenti de son jugement à mon égard comme d′une erreur judiciaire. Tout ce que je ressentais pour lui, j′osai le lui écrire dans une longue lettre que je confiai à Gilberte en la priant de la lui remettre. Elle y consentit. Hélas! il voyait donc en moi un plus grand imposteur encore que je ne pensais; ces sentiments que j′avais cru peindre, en seize pages, avec tant de vérité, il en avait donc douté; la lettre que je lui écrivis, aussi ardente et aussi sincère que les paroles que j′avais dites à M. de Norpois n′eut pas plus de succès. Gilberte me raconta le lendemain, après m′avoir emmené à l′écart derrière un massif de lauriers, dans une petite allée où nous nous assîmes chacun sur une chaise, qu′en lisant la lettre qu′elle me rapportait, son père avait haussé les épaules, en disant: «Tout cela ne signifie rien, cela ne fait que prouver combien j′ai raison.» Moi qui savais la pureté de mes intentions, la bonté de mon âme, j′étais indigné que mes paroles n′eussent même pas effleuré l′absurde erreur de Swann. Car que ce fût une erreur, je n′en doutais pas alors. Je sentais que j′avais décrit avec tant d′exactitude certaines caractéristiques irrécusables de mes sentiments généreux que, pour que d′après elles Swann ne les eût pas aussitôt reconstitués, ne fût pas venu me demander pardon et avouer qu′il s′était trompé, il fallait que ces nobles sentiments, il ne les eût lui-même jamais ressentis, ce qui devait le rendre incapable de les comprendre chez les autres. Meanwhile Gilberte never came to the Champs-Elysées. And yet it was imperative that I should see her, for I could not so much as remember what she was like. The questing, anxious, exacting way that we have of looking at the person we love, our eagerness for the word which shall give us or take from us the hope of an appointment for the morrow, and, until that word is uttered, our alternative if not simultaneous imaginings of joy and of despair, all these make our observation, in the beloved object′s presence, too tremulous to be able to carry away a clear impression of her. Perhaps, also, that activity of all the senses at once which endeavours to learn from the visible aspect alone what lies behind it is over-indulgent to the thousand forms, to the changing fragrance, to the movements of the living person whom as a rule, when we are not in love, we regard as fixed in one permanent position. Whereas the beloved model does not stay still; and our mental photographs of her are always blurred. I did not rightly know how Gilberte′s features were composed, save in the heavenly moments when she disclosed them to me; I could remember nothing but her smile. And not being able to see again that beloved face, despite every effort that I might make to recapture it, I would be disgusted to find, outlined in my memory with a maddening precision of detail, the meaningless, emphatic faces of the man with the wooden horses and of the barley-sugar woman; just as those who have lost a dear friend whom they never see even while they are asleep, are exasperated at meeting incessantly in their dreams any number of insupportable creatures whom it is quite enough to have known in the waking world. In their inability to form any image of the object of their grief they are almost led to assert that they feel no grief. And I was not far from believing that, since I could not recall the features of Gilberte, I had forgotten Gilberte herself, and no longer loved her. At length she returned to play there almost every day, setting before me fresh pleasures to desire, to demand of her for the morrow, indeed making my love for her every day, in this sense, a new love. But an incident was to change once again, and abruptly, the manner in which, at about two o′clock every afternoon, the problem of my love confronted me. Had M. Swann intercepted the letter that I had written to his daughter, or was Gilberte merely confessing to me long after the event, and so that I should be more prudent in future, a state of things already long established? As I was telling her how greatly I admired her father and mother, she assumed that vague air, full of reticence and kept secrets, which she invariably wore when anyone spoke to her of what she was going to do, her walks, drives, visits — then suddenly expressed it with: “You know, they can′t abide you!” and, slipping from me like the Undine that she was, burst out laughing. Often her laughter, out of harmony with her words, seemed, as music seems, to be tracing an invisible surface on another plane. M. and Mme. Swann did not require Gilberte to give up playing with me, but they would have been just as well pleased, she thought, if we had never begun. They did not look upon our relations with a kindly eye; they believed me to be a young person of low moral standard and imagined that my influence over their daughter must be evil. This type of unscrupulous young man whom the Swanns thought that I resembled, I pictured him to myself as detesting the parents of the girl he loved, flattering them to their faces but, when he was alone with her, making fun of them, urging her on to disobey them and, when once he had completed his conquest, not allowing them even to set eyes on her again. With these characteristics (though they are never those under which the basest of scoundrels recognises himself) how vehemently did my heart contrast the sentiments that did indeed animate it with regard to Swann, so passionate, on the contrary, that I never doubted that, were he to have the least suspicion of them, he must repent of his condemnation of me as of a judicial error. All that I felt about him I made bold to express to him in a long letter which I entrusted to Gilberte, with the request that she would deliver it. She consented. Alas! so he saw in me an even greater impostor than I had feared; those sentiments which I had supposed myself to be portraying, in sixteen pages, with such amplitude of truth, so he had suspected them; in short, the letter that I had written him, as ardent and as sincere as the words that I had uttered to M. de Norpois, met with no more success. Gilberte told me next day, after taking me aside behind a clump of laurels, along a little path by which we sat down on a couple of chairs, that as he read my letter, which she had now brought back to me, her father had shrugged his shoulders, with: “All this means nothing; it only goes to prove how right I was.” I, who knew the purity of my intentions, the goodness of my soul, was furious that my words should not even have impinged upon the surface of Swann′s ridiculous error. For it was an error; of that I had then no doubt. I felt that I had described with such accuracy certain irrefutable characteristics of my generous sentiments that, if Swann had not at once reconstructed these from my indications, had not come to ask my forgiveness and to admit that he had been mistaken, it must be because these noble sentiments he had never himself experienced, which would make him incapable of understanding the existence of them in other people.
Or, peut-être simplement Swann savait-il que la générosité n′est souvent que l′aspect intérieur que prennent nos sentiments égoî²´es quand nous ne les avons pas encore nommés et classés. Peut-être avait-il reconnu dans la sympathie que je lui exprimais, un simple effet — et une confirmation enthousiaste — de mon amour pour Gilberte, par lequel — et non par ma vénération secondaire pour lui — seraient fatalement dans la suite dirigés mes actes. Je ne pouvais partager ses prévisions, car je n′avais pas réussi à abstraire de moi-même mon amour, à le faire rentrer dans la généralité des autres et à en supporter expérimentalement les conséquences; j′étais désespéré. Je dus quitter un instant Gilberte, Françoise m′ayant appelé. Il me fallut l′accompagner dans un petit pavillon treillissé de vert, assez semblable aux bureaux d′octroi désaffectés du vieux Paris, et dans lequel étaient depuis peu installés, ce qu′on appelle en Angleterre un lavabo, et en France, par une anglomanie mal informée, des water-closets. Les murs humides et anciens de l′entrée, où je restai à attendre Françoise dégageaient une fraîche odeur de renfermé qui, m′allégeant aussitôt des soucis que venaient de faire naître en moi les paroles de Swann rapportées par Gilberte, me pénétra d′un plaisir non pas de la même espèce que les autres, lesquels nous laissent plus instables, incapables de les retenir, de les posséder, mais au contraire d′un plaisir consistant auquel je pouvais m′étayer, délicieux, paisible, riche d′une vérité durable, inexpliquée et certaine. J′aurais voulu, comme autrefois dans mes promenades du côté de Guermantes, essayer de pénétrer le charme de cette impression qui m′avait saisi et rester immobile à interroger cette émanation vieillotte qui me proposait non de jouir du plaisir qu′elle ne me donnait que par surcroît, mais de descendre dans la réalité qu′elle ne m′avait pas dévoilée. Mais la tenancière de l′établissement, vieille dame à joues plâtrées, et à perruque rousse, se mit à me parler. Françoise la croyait «tout à fait bien de chez elle». Sa demoiselle avait épousé ce que Françoise appelait «un jeune homme de famille» par conséquent quelqu′un qu′elle trouvait plus différent d′un ouvrier que Saint-Simon un duc d′un homme «sorti de la lie du peuple». Sans doute la tenancière avant de l′être avait eu des revers. Mais Françoise assurait qu′elle était marquise et appartenait à la famille de Saint-Ferréol. Cette marquise me conseilla de ne pas rester au frais et m′ouvrit même un cabinet en me disant: «Vous ne voulez pas entrer? en voici un tout propre, pour vous ce sera gratis.» Elle le faisait peut-être seulement comme les demoiselles de chez Gouache quand nous venions faire une commande m′offraient un des bonbons qu′elles avaient sur le comptoir sous des cloches de verre et que maman me défendait hélas d′accepter; peut-être aussi moins innocemment comme telle vieille fleuriste par qui maman faisait remplir ses «jardinières» et qui me donnait une rose en roulant des yeux doux. En tous cas, si la «marquise» avait du goût pour les jeunes garçons, en leur ouvrant la porte hypogéenne de ces cubes de pierre où les hommes sont accroupis comme des sphinx, elle devait chercher dans ses générosités moins l′espérance de les corrompre que le plaisir qu′on éprouve à se montrer vainement prodigue envers ce qu′on aime, car je n′ai jamais vu auprès d′elle d′autre visiteur qu′un vieux garde forestier du jardin. Well, perhaps it was simply that Swann knew that generosity is often no more than the inner aspect which our egotistical feelings assume when we have not yet named and classified them. Perhaps he had recognised in the sympathy that I expressed for him simply an effect — and the strongest possible proof — of my love for Gilberte, by which, and not by any subordinate veneration of himself, my subsequent actions would be irresistibly controlled. I was unable to share his point of view, since I had not succeeded in abstracting my love from myself, in forcing it back into the common experience of humanity, and thus suffering, experimentally, its consequences; I was in despair. I was obliged to leave Gilberte for a moment; Françoise had called me. I must accompany her into a little pavilion covered in a green trellis, not unlike one of the disused toll-houses of old Paris, in which had recently been installed what in England they call a lavatory but in France, by an ill-informed piece of anglomania, ‘water-closets.′ The old, damp walls at the entrance, where I stood waiting for Françoise, emitted a chill and fusty smell which, relieving me at once of the anxieties that Swann′s words, as reported by Gilberte, had just awakened in me, pervaded me with a pleasure not at all of the same character as other pleasures, which leave one more unstable than before, incapable of retaining them, of possessing them, but, on the contrary, with a consistent pleasure on which I could lean for support, delicious, soothing, rich with a truth that was lasting, unexplained and certain. I should have liked, as long ago in my walks along the Guermantes way, to endeavour to penetrate the charm of this impression which had seized hold of me, and, remaining there motionless, to interrogate this antiquated emanation which invited me not to enjoy the pleasure which it was offering me only as an ‘extra,′ but to descend into the underlying reality which it had not yet disclosed to me. But the tenant of the establishment, an elderly dame with painted cheeks and an auburn wig, was speaking to me. Françoise thought her ‘very well-to-do indeed.′ Her ‘missy′ had married what Françoise called ‘a young man of family,′ which meant that he differed more, in her eyes, from a workman than, in Saint-Simon′s, a duke did from a man ‘risen from the dregs of the people.′ No doubt the tenant, before entering upon her tenancy, had met with reverses. But Françoise was positive that she was a ‘marquise,′ and belonged to the Saint-Ferréol family. This ‘marquise′ warned me not to stand outside in the cold, and even opened one of her doors for me, saying: “Won′t you go inside for a minute? Look, here′s a nice, clean one, and I shan′t charge you anything.” Perhaps she just made this offer in the spirit in which the young ladies at Gouache′s, when we went in there to order something, used to offer me one of the sweets which they kept on the counter under glass bells, and which, alas, Mamma would never allow me to take; perhaps with less innocence, like an old florist whom Mamma used to have in to replenish her flower-stands, who rolled languishing eyes at me as she handed me a rose. In any event, if the ‘marquise′ had a weakness for little boys, when she threw open to them the hypogean doors of those cubicles of stone in which men crouch like sphinxes, she must have been moved to that generosity less by the hope of corrupting them than by the pleasure which all of us feel in displaying a needless prodigality to those whom we love, for I have never seen her with any other visitor except an old park-keeper.
Un instant après je prenais congé de la marquise, accompagné de Françoise, et je quittai cette dernière pour retourner auprès de Gilberte. Je l′aperçus tout de suite, sur une chaise, derrière le massif de lauriers. C′était pour ne pas être vue de ses amies: on jouait à cache-cache. J′allai m′asseoir à côté d′elle. Elle avait une toque plate qui descendait assez bas sur ses yeux leur donnant ce même regard «en dessous», rêveur et fourbe que je lui avais vu la première fois à Combray. Je lui demandai s′il n′y avait pas moyen que j′eusse une explication verbale avec son père. Gilberte me dit qu′elle la lui avait proposée, mais qu′il la jugeait inutile. Tenez, ajouta-t-elle, ne me laissez pas votre lettre, il faut rejoindre les autres puisqu′ils ne m′ont pas trouvée.» A moment later I said good-bye to the ‘marquise,′ and went out accompanied by Françoise, whom I left to return to Gilberte. I caught sight of her at once, on a chair, behind the clump of laurels. She was there so as not to be seen by her friends: they were playing at hide-and-seek. I went and sat down by her side. She had on a flat cap which drooped forwards over her eyes, giving her the same ‘underhand,′ brooding, crafty look which I had remarked in her that first time at Combray. I asked her if there was not some way for me to have it out with her father, face to face. Gilberte said that she had suggested that to him, but that he had not thought it of any use. “Look,” she went on, “don′t go away without your letter; I must run along to the others, as they haven′t caught me.”
Si Swann était arrivé alors avant même que je l′eusse reprise, cette lettre de la sincérité de laquelle je trouvais qu′il avait été si insensé de ne pas s′être laissé persuader, peut-être aurait-il vu que c′était lui qui avait raison. Car m′approchant de Gilberte qui, renversée sur sa chaise, me disait de prendre la lettre et ne me la tendait pas, je me sentis si attiré par son corps que je lui dis: Had Swann appeared on the scene then before I had recovered it, this letter, by the sincerity of which I felt that he had been so unreasonable in not letting himself be convinced, perhaps he would have seen that it was he who had been in the right. For as I approached Gilberte, who, leaning back in her chair, told me to take the letter but did not hold it out to me, I felt myself so irresistibly attracted by her body that I said to her:
— Voyons, empêchez-moi de l′attraper nous allons voir qui sera le plus fort. “Look! You try to stop me from getting it; we′ll see which is the stronger.”
Elle la mit dans son dos, je passai mes mains derrière son cou, en soulevant les nattes de cheveux qu′elle portait sur les épaules, soit que ce fût encore de son âge, soit que sa mère voulût la faire paraître plus longtemps enfant, afin de se rajeunir elle-même; nous luttions, arc-boutés. Je tâchais de l′attirer, elle résistait; ses pommettes enflammées par l′effort étaient rouges et rondes comme des cerises; elle riait comme si je l′eusse chatouillée; je la tenais serrée entre mes jambes comme un arbuste après lequel j′aurais voulu grimper; et, au milieu de la gymnastique que je faisais, sans qu′en fût à peine augmenté l′essoufflement que me donnaient l′exercice musculaire et l′ardeur du jeu, je répandis, comme quelques gouttes de sueur arrachées par l′effort, mon plaisir auquel je ne pus pas même m′attarder le temps d′en connaître le goût; aussitôt je pris la lettre. Alors, Gilberte me dit avec bonté: She thrust it behind her back; I put my arms round her neck, raising the plaits of hair which she wore over her shoulders, either because she was still of an age for that or because her mother chose to make her look a child for a little longer so that she herself might still seem young; and we wrestled, locked together. I tried to pull her towards me, she resisted; her cheeks, inflamed by the effort, were as red and round as two cherries; she laughed as though I were tickling her; I held her gripped between my legs like a young tree which I was trying to climb; and, in the middle of my gymnastics, when I was already out of breath with the muscular exercise and the heat of the game, I felt, as it were a few drops of sweat wrung from me by the effort, my pleasure express itself in a form which I could not even pause for a moment to analyse; immediately I snatched the letter from her. Whereupon Gilberte said, good-naturedly:
— «Vous savez, si vous voulez, nous pouvons lutter encore un peu.» “You know, if you like, we might go on wrestling for a little.”
Peut-être avait-elle obscurément senti que mon jeu avait un autre objet que celui que j′avais avoué, mais n′avait-elle pas su remarquer que je l′avais atteint. Et moi qui craignais qu′elle s′en fût aperçue (et un certain mouvement rétractile et contenu de pudeur offensée qu′elle eut un instant après, me donna à penser que je n′avais pas eu tort de le craindre), j′acceptai de lutter encore, de peur qu′elle pût croire que je ne m′étais proposé d′autre but que celui après quoi je n′avais plus envie que de rester tranquille auprès d′elle. Perhaps she was dimly conscious that my game had had another object than that which I had avowed, but too dimly to have been able to see that I had attained it. And I, who was afraid that she had seen (and a slight recoil, as though of offended modesty which she made and checked a moment later made me think that my fear had not been unfounded), agreed to go on wrestling, lest she should suppose that I had indeed no other object than that, after which I wished only to sit quietly by her side.
En rentrant, j′aperçus, je me rappelai brusquement l′image, cachée jusque-là, dont m′avait approché, sans me la laisser voir ni reconnaître, le frais, sentant presque la suie, du pavillon treillagé. Cette image était celle de la petite pièce de mon oncle Adolphe, à Combray, laquelle exhalait en effet le même parfum d′humidité. Mais je ne pus comprendre et je remis à plus tard de chercher pourquoi le rappel d′une image si insignifiante m′avait donné une telle félicité. En attendant, il me sembla que je méritais vraiment le dédain de M. de Norpois: j′avais préféré jusqu′ici à tous les écrivains celui qu′il appelait un simple «joueur de flûte» et une véritable exaltation m′avait été communiquée, non par quelque idée importante, mais par une odeur de moisi. On my way home I perceived, I suddenly recollected the impression, concealed from me until then, towards which, without letting me distinguish or recognise it, the cold, almost sooty smell of the trellised pavilion had borne me. It was that of my uncle Adolphe′s little sitting-room at Combray, which had indeed exhaled the same odour of humidity. But I could not understand, and I postponed the attempt to discover why the recollection of so trivial an impression had given me so keen a happiness. It struck me, however, that I did indeed deserve the contempt of M. de Norpois; I had preferred, hitherto, to all other writers, one whom he styled a mere ‘flute-player′ and a positive rapture had been conveyed to me, not by any important idea, but by a mouldy smell.
Depuis quelque temps, dans certaines familles, le nom des Champs-Élysées, si quelque visiteur le prononçait, était accueilli par les mères avec l′air malveillant qu′elles réservent à un médecin réputé auquel elles prétendent avoir vu faire trop de diagnostics erronés pour avoir encore confiance en lui; on assurait que ce jardin ne réussissait pas aux enfants, qu′on pouvait citer plus d′un mal de gorge, plus d′une rougeole et nombre de fièvres dont il était responsable. Sans mettre ouvertement en doute la tendresse de maman qui continuait à m′y envoyer, certaines de ses amies déploraient du moins son aveuglement. For some time past, in certain households, the name of the Champs-Elysées, if a visitor mentioned it, would be greeted by the mother of the family with that air of contempt which mothers keep for a physician of established reputation whom they have (or so they make out) seen make too many false diagnoses to have any faith left in him; people insisted that these gardens were not good for children, that they knew of more than one sore throat, more than one case of measles and any number of feverish chills for which the Champs must be held responsible. Without venturing openly to doubt the maternal affection of Mamma, who continued to let me play there, several of her friends deplored her inability to see what was as plain as daylight.
Les névropathes sont peut-être malgré l′expression consacrée, ceux qui «s′écoutent» le moins: ils entendent en eux tant de choses dont ils se rendent compte ensuite qu′ils avaient eu tort de s′alarmer, qu′ils finissent par ne plus faire attention à aucune. Leur système nerveux leur a si souvent crié: «Au secours!» comme pour une grave maladie, quand tout simplement il allait tomber de la neige ou qu′on allait changer d′appartement, qu′ils prennent l′habitude de ne pas plus tenir compte de ces avertissements qu′un soldat, lequel dans l′ardeur de l′action, les perçoit si peu, qu′il est capable, étant mourant, de continuer encore quelques jours à mener la vie d′un homme en bonne santé. Un matin, portant coordonnés en moi mes malaises habituels, de la circulation constante et intestine desquels je tenais toujours mon esprit détourné aussi bien que de celle de mon sang, je courais allègrement vers la salle à manger où mes parents étaient déjà à table, et — m′étant dit comme d′ordinaire qu′avoir froid peut signifier non qu′il faut se chauffer, mais par exemple qu′on a été grondé, et ne pas avoir faim, qu′il va pleuvoir et non qu′il ne faut pas manger, — je me mettais à table, quand, au moment d′avaler la première bouchée d′une côtelette appétissante, une nausée, un étourdissement m′arrêtèrent, réponse fébrile d′une maladie commencée, dont la glace de mon indifférence avait masqué, retardé les symptômes, mais qui refusait obstinément la nourriture que je n′étais pas en état d′absorber. Alors, dans la même seconde, la pensée que l′on m′empêcherait de sortir si l′on s′apercevait que j′étais malade me donna, comme l′instinct de conservation à un blessé, la force de me traîner jusqu′à ma chambre où je vis que j′avais 40 degrés de fièvre, et ensuite de me préparer pour aller aux Champs-Élysées. A travers le corps languissant et perméable dont elle était enveloppée, ma pensée souriante rejoignait, exigeait le plaisir si doux d′une partie de barres avec Gilberte, et une heure plus tard, me soutenant à peine, mais heureux à côté d′elle, j′avais la force de le goûter encore. Neurotic subjects are perhaps less addicted than any, despite the time-honoured phrase, to ‘listening to their insides′: they can hear so many things going on inside themselves, by which they realise later that they did wrong to let themselves be alarmed, that they end by paying no attention to any of them. Their nervous systems have so often cried out to them for help, as though from some serious malady, when it was merely because snow was coming, or because they had to change their rooms, that they have acquired the habit of paying no more heed to these warnings than a soldier who in the heat of battle perceives them so little that he is capable, although dying, of carrying on for some days still the life of a man in perfect health. One morning, bearing arranged within me all my regular disabilities, from whose constant, internal circulation I kept my mind turned as resolutely away as from the circulation of my blood, I had come running into the dining-room where my parents were already at table, and — having assured myself, as usual, that to feel cold may mean not that one ought to warm oneself but that, for instance, one has received a scolding, and not to feel hungry that it is going to rain, and not that one ought not to eat anything — had taken my place between them when, in the act of swallowing the first mouthful of a particularly tempting cutlet, a nausea, a giddiness stopped me, the feverish reaction of a malady that had already begun, the symptoms of which had been masked, retarded by the ice of my indifference, but which obstinately refused the nourishment that I was not in a fit state to absorb. Then, at the same moment, the thought that they would stop me from going out if they saw that I was unwell gave me, as the instinct of self-preservation gives a wounded man, the strength to crawl to my own room, where I found that I had a temperature of 104, and then to get ready to go to the Champs-Elysées. Through the languid and vulnerable shell which encased them, my eager thoughts were urging me towards, were clamouring for the soothing delight of a game of prisoner′s base with Gilberte, and an hour later, barely able to keep on my feet, but happy in being by her side, I had still the strength to enjoy it.
Françoise, au retour, déclara que je m′étais «trouvé indisposé», que j′avais dû prendre un «chaud et froid», et le docteur, aussitôt appelé, déclara «préférer» la «sévérité», la «virulence» de la poussée fébrile qui accompagnait ma congestion pulmonaire et ne serait «qu′un feu de paille» à des formes plus «insidieuses» et «larvées». Depuis longtemps déjà j′étais sujet à des étouffements et notre médecin, malgré la désapprobation de ma grand′mère, qui me voyait déjà mourant alcoolique, m′avait conseillé outre la caféine qui m′était prescrite pour m′aider à respirer, de prendre de la bière, du champagne ou du cognac quand je sentais venir une crise. Celles-ci avorteraient, disait-il, dans l′«euphorie» causée par l′alcool. J′étais souvent obligé pour que ma grand′mère permît qu′on m′en donnât, de ne pas dissimuler, de faire presque montre de mon état de suffocation. D′ailleurs, dès que je le sentais s′approcher, toujours incertain des proportions qu′il prendrait, j′en étais inquiet à cause de la tristesse de ma grand′mère que je craignais beaucoup plus que ma souffrance. Mais en même temps mon corps, soit qu′il fût trop faible pour garder seul le secret de celle-ci, soit qu′il redoutât que dans l′ignorance du mal imminent on exigeât de moi quelque effort qui lui eût été impossible ou dangereux, me donnait le besoin d′avertir ma grand′mère de mes malaises avec une exactitude où je finissais par mettre une sorte de scrupule physiologique. Apercevais-je en moi un symptôme fâcheux que je n′avais pas encore discerné, mon corps était en détresse tant que je ne l′avais pas communiqué à ma grand′mère. Feignait-elle de n′y prêter aucune attention, il me demandait d′insister. Parfois j′allais trop loin; et le visage aimé qui n′était plus toujours aussi maître de ses émotions qu′autrefois, laissait paraître une expression de pitié, une contraction douloureuse. Alors mon cur était torturé par la vue de la peine qu′elle avait; comme si mes baisers eussent dû effacer cette peine, comme si ma tendresse eût pu donner à ma grand′mère autant de joie que mon bonheur, je me jetais dans ses bras. Et les scrupules étant d′autre part apaisés par la certitude qu′elle connaissait le malaise ressenti, mon corps ne faisait pas opposition à ce que je la rassurasse. Je protestais que ce malaise n′avait rien de pénible, que je n′étais nullement à plaindre, qu′elle pouvait être certaine que j′étais heureux; mon corps avait voulu obtenir exactement ce qu′il méritait de pitié et pourvu qu′on sût qu′il avait une douleur en son côté droit, il ne voyait pas d′inconvénient à ce que je déclarasse que cette douleur n′était pas un mal et n′était pas pour moi un obstacle au bonheur, mon corps ne se piquant pas de philosophie; elle n′était pas de son ressort. J′eus presque chaque jour de ces crises d′étouffement pendant ma convalescence. Un soir que ma grand′mère m′avait laissé assez bien, elle rentra dans ma chambre très tard dans la soirée, et s′apercevant que la respiration me manquait: Oh! mon Dieu, comme tu souffres, s′écria-t-elle, les traits bouleversés. Elle me quitta aussitôt, j′entendis la porte cochère, et elle rentra un peu plus tard avec du cognac qu′elle était allée acheter parce qu′il n′y en avait pas à la maison. Bientôt je commençai à me sentir heureux. Ma grand′mère, un peu rouge, avait l′air gêné, et ses yeux une expression de lassitude et de découragement. Françoise, on our return, declared that I had been ‘taken bad,′ that I must have caught a ‘hot and cold,′ while the doctor, who was called in at once, declared that he ‘preferred′ the ‘severity,′ the ‘virulence′ of the rush of fever which accompanied my congestion of the lungs, and would be no more than ‘a fire of straw,′ to other forms, more ‘insidious′ and ‘septic.′ For some time now I had been liable to choking fits, and our doctor, braving the disapproval of my grandmother, who could see me already dying a drunkard′s death, had recommended me to take, as well as the caffeine which had been prescribed to help me to breathe, beer, champagne or brandy when I felt an attack coming. These attacks would subside, he told me, in the ‘euphoria′ brought about by the alcohol. I was often obliged, so that my grandmother should allow them to give it to me, instead of dissembling, almost to make a display of my state of suffocation. On the other hand, as soon as I felt an attack coming, never being quite certain what proportions it would assume, I would grow distressed at the thought of my grandmother′s anxiety, of which I was far more afraid than of my own sufferings. But at the same time my body, either because it was too weak to keep those sufferings secret, or because it feared lest, in their ignorance of the imminent disaster, people might demand of me some exertion which it would have found impossible or dangerous, gave me the need to warn my grandmother of my attacks with a punctiliousness into which I finally put a sort of physiological scruple. Did I perceive in myself a disturbing symptom which I had not previously observed, my body was in distress so long as I had not communicated it to my grandmother. Did she pretend to pay no attention, it made me insist. Sometimes I went too far; and that dear face, which was no longer able always to control its emotion as in the past, would allow an expression of pity to appear, a painful contraction. Then my heart was wrung by the sight of her grief; as if my kisses had had power to expel that grief, as if my affection could give my grandmother as much joy as my recovery, I flung myself into her arms. And its scruples being at the same time calmed by the certainty that she now knew the discomfort that I felt, my body offered no opposition to my reassuring her. I protested that this discomfort had been nothing, that I was in no sense to be pitied, that she might be quite sure that I was now happy; my body had wished to secure exactly the amount of pity that it deserved, and, provided that someone knew that it ‘had a pain′ in its right side, it could see no harm in my declaring that this pain was of no consequence and was not an obstacle to my happiness; for my body did not pride itself on its philosophy; that was outside its province. Almost every day during my convalescence I passed through these crises of suffocation. One evening, after my grandmother had left me comparatively well, she returned to my room very late and, seeing me struggling for breath, “Oh, my poor boy,” she exclaimed, her face quivering with sympathy, “you are in dreadful pain.” She left me at once; I heard the outer gate open, and in a little while she came back with some brandy which she had gone out to buy, since there was none in the house. Presently I began to feel better. My grandmother, who was rather flushed, seemed ‘put out′ about something, and her eyes had a look of weariness and dejection.
— J′aime mieux te laisser et que tu profites un peu de ce mieux, me dit-elle, en me quittant brusquement. Je l′embrassai pourtant et je sentis sur ses joues fraîches quelque chose de mouillé dont je ne sus pas si c′était l′humidité de l′air nocturne qu′elle venait de traverser. Le lendemain, elle ne vint que le soir dans ma chambre parce qu′elle avait eu, me dit-on, à sortir. Je trouvai que c′était montrer bien de l′indifférence pour moi, et je me retins pour ne pas la lui reprocher. “I shall leave you alone now, and let you get the good of this improvement,” she said, rising suddenly to go. I detained her, however, for a kiss, and could feel on her cold cheek something moist, but did not know whether it was the dampness of the night air through which she had just passed. Next day, she did not come to my room until the evening, having had, she told me, to go out. I considered that this shewed a surprising indifference to my welfare, and I had to restrain myself so as not to reproach her with it.
Mes suffocations ayant persisté alors que ma congestion depuis longtemps finie ne les expliquait plus, mes parents firent venir en consultation le professeur Cottard. Il ne suffit pas à un médecin appelé dans des cas de ce genre d′être instruit. Mis en présence de symptômes qui peuvent être ceux de trois ou quatre maladies différentes, c′est en fin de compte son flair, son coup d′il qui décident à laquelle malgré les apparences à peu près semblables il y a chance qu′il ait à faire. Ce don mystérieux n′implique pas de supériorité dans les autres parties de l′intelligence et un être d′une grande vulgarité, aimant la plus mauvaise peinture, la plus mauvaise musique, n′ayant aucune curiosité d′esprit, peut parfaitement le posséder. Dans mon cas ce qui était matériellement observable, pouvait aussi bien être causé par des spasmes nerveux, par un commencement de tuberculose, par de l′asthme, par une dyspnée toxi-alimentaire avec insuffisance rénale, par de la bronchite chronique, par un état complexe dans lequel seraient entrés plusieurs de ces facteurs. Or les spasmes nerveux demandaient à être traités par le mépris, la tuberculose par de grands soins et par un genre de suralimentation qui eût été mauvaise pour un état arthritique comme l′asthme, et eût pu devenir dangereux en cas de dyspnée toxi-alimentaire laquelle exige un régime qui en revanche serait néfaste pour un tuberculeux. Mais les hésitations de Cottard furent courtes et ses prescriptions impérieuses: «Purgatifs violents et drastiques, lait pendant plusieurs jours, rien que du lait. Pas de viande, pas d′alcool.» — Ma mère murmura que j′avais pourtant bien besoin d′être reconstitué, que j′étais déjà assez nerveux, que cette purge de cheval et ce régime me mettraient à bas. Je vis aux yeux de Cottard, aussi inquiets que s′il avait peur de manquer le train, qu′il se demandait s′il ne s′était pas laissé aller à sa douceur naturelle. Il tâchait de se rappeler s′il avait pensé à prendre un masque froid, comme on cherche une glace pour regarder si on n′a pas oublié de nouer sa cravate. Dans le doute et pour faire, à tout hasard, compensation, il répondit grossièrement: «Je n′ai pas l′habitude de répéter deux fois mes ordonnances. Donnez-moi une plume. Et surtout au lait. Plus tard, quand nous aurons jugulé les crises et l′agrypnie, je veux bien que vous preniez quelques potages, puis des purées, mais toujours au lait, au lait. Cela vous plaira, puisque l′Espagne est à la mode, ollé! ollé! (Ses élèves connaissaient bien ce calembour qu′il faisait à l′hôpital chaque fois qu′il mettait un cardiaque ou un hépatique au régime lacté.) Ensuite vous reviendrez progressivement à la vie commune. Mais chaque fois que la toux et les étouffements recommenceront, purgatifs, lavages intestinaux, lit, lait.» Il écouta d′un air glacial, sans y répondre, les dernières objections de ma mère, et, comme il nous quitta sans avoir daigné expliquer les raisons de ce régime, mes parents le jugèrent sans rapport avec mon cas, inutilement affaiblissant et ne me le firent pas essayer. Ils cherchèrent naturellement à cacher au Professeur leur désobéissance et pour y réussir plus sûrement, évitèrent toutes les maisons où ils auraient pu le rencontrer. Puis mon état s′aggravant on se décida à me faire suivre à la lettre les prescriptions de Cottard; au bout de trois jours je n′avais plus de râles, plus de toux et je respirais bien. Alors nous comprîmes que Cottard tout en me trouvant comme il le dit dans la suite, assez asthmatique et surtout «toqué», avait discerné que ce qui prédominait à ce moment-là en moi, c′était l′intoxication, et qu′en faisant couler mon foie et en lavant mes reins, il décongestionnerait mes bronches, me rendrait le souffle, le sommeil, les forces. Et nous comprîmes que cet imbécile était un grand clinicien. Je pus enfin me lever. Mais on parlait de ne plus m′envoyer aux Champs-Élysées. On disait que c′était à cause du mauvais air; je pensais bien qu′on profitait du prétexte pour que je ne pusse plus voir Mlle Swann et je me contraignais à redire tout le temps le nom de Gilberte, comme ce langage natal que les vaincus s′efforcent de maintenir pour ne pas oublier la patrie qu′ils ne reverront pas. Quelquefois ma mère passait sa main sur mon front en me disant: As my chokings had persisted long after any congestion remained that could account for them, my parents asked for a consultation with Professor Cottard. It is not enough that a physician who is called in to treat cases of this sort should be learned. Brought face to face with symptoms which may or may not be those of three or four different complaints, it is in the long run his instinct, his eye that must decide with which, despite the more or less similar appearance of them all, he has to deal. This mysterious gift does not imply any superiority in the other departments of the intellect, and a creature of the utmost vulgarity, who admires the worst pictures, the worst music, in whose mind there is nothing out of the common, may perfectly well possess it. In my case, what was physically evident might equally well have been due to nervous spasms, to the first stages of tuberculosis, to asthma, to a toxi-alimentary dyspnoea with renal insufficiency, to chronic bronchitis, or to a complex state into which more than one of these factors entered. Now, nervous spasms required to be treated firmly, and discouraged, tuberculosis with infinite care and with a ‘feeding-up′ process which would have been bad for an arthritic condition such as asthma, and might indeed have been dangerous in a case of toxi-alimentary dyspnoea, this last calling for a strict diet which, in return, would be fatal to a tuberculous patient. But Cottard′s hesitations were brief and his prescriptions imperious. “Purges; violent and drastic purges; milk for some days, nothing but milk. No meat. No alcohol.” My mother murmured that I needed, all the same, to be ‘built up,′ that my nerves were already weak, that drenching me like a horse and restricting my diet would make me worse. I could see in Cottard′s eyes, as uneasy as though he were afraid of missing a train, that he was asking himself whether he had not allowed his natural good-humour to appear. He was trying to think whether he had remembered to put on his mask of coldness, as one looks for a mirror to see whether one has not forgotten to tie one′s tie. In his uncertainty, and, so as, whatever he had done, to put things right, he replied brutally: “I am not in the habit of repeating my instructions. Give me a pen. Now remember, milk! Later on, when we have got the crises and the agrypnia by the throat, I should like you to take a little clear soup, and then a little broth, but always with milk; au lait! You′ll enjoy that, since Spain is all the rage just now; ollé, ollé!” His pupils knew this joke well, for he made it at the hospital whenever he had to put a heart or liver case on a milk diet. “After that, you will gradually return to your normal life. But whenever there is any coughing or choking — purges, injections, bed, milk!” He listened with icy calm, and without uttering a word, to my mother′s final objections, and as he left us without having condescended to explain the reasons for this course of treatment, my parents concluded that it had no bearing on my case, and would weaken me to no purpose, and so they did not make me try it. Naturally they sought to conceal their disobedience from the Professor, and to succeed in this avoided all the houses in which he was likely to be found. Then, as my health became worse, they decided to make me follow out Cottard′s prescriptions to the letter; in three days my ‘rattle′ and cough had ceased, I could breathe freely. Whereupon we realised that Cottard, while finding, as he told us later on, that I was distinctly asthmatic, and still more inclined to ‘imagine things,′ had seen that what was really the matter with me at the moment was intoxication, and that by loosening my liver and washing out my kidneys he would get rid of the congestion of my bronchial tubes and thus give me back my breath, my sleep and my strength. And we realised that this imbecile was a clinical genius. At last I was able to get up. But they spoke of not letting me go any more to the Champs-Elysées. They said that it was because the air there was bad; but I felt sure that this was only a pretext so that I should not see Mlle. Swann, and I forced myself to repeat the name of Gilberte all the time, like the native tongue which peoples in captivity endeavour to preserve among themselves so as not to forget the land that they will never see again. Sometimes my mother would stroke my forehead with her hand, saying:
— Alors, les petits garçons ne racontent plus à leur maman les chagrins qu′ils ont? Françoise s′approchait tous les jours de moi en me disant: «Monsieur a une mine! Vous ne vous êtes pas regardé, on dirait un mort!» Il est vrai que si j′avais eu un simple rhume, Françoise eût pris le même air funèbre. Ces déplorations tenaient plus à sa «classe» qu′à mon état de santé. Je ne démêlais pas alors si ce pessimisme était chez Françoise douloureux ou satisfait. Je conclus provisoirement qu′il était social et professionnel. “So little boys don′t tell Mamma their troubles any more?” And Françoise used to come up to me every day with: “What a face, to be sure! If you could just see yourself! Anyone would think there was a corpse in the house.” It is true that, if I had simply had a cold in the head, Françoise would have assumed the same funereal air. These lamentations pertained rather to her ‘class′ than to the state of my health. I could not at the time discover whether this pessimism was due to sorrow or to satisfaction. I decided provisionally that it was social and professional.
Un jour, à l′heure du courrier, ma mère posa sur mon lit une lettre. Je l′ouvris distraitement puisqu′elle ne pouvait pas porter la seule signature qui m′eût rendu heureux, celle de Gilberte avec qui je n′avais pas de relations en dehors des Champs-Élysées. Or, au bas du papier, timbré d′un sceau d′argent représentant un chevalier casqué sous lequel se contournait cette devise: Per viam rectam, au-dessous d′une lettre, d′une grande écriture, et où presque toutes les phrases semblaient soulignées, simplement parce que la barre des t étant tracée non au travers d′eux, mais au-dessus, mettait un trait sous le mot correspondant de la ligne supérieure, ce fut justement la signature de Gilberte que je vis. Mais parce que je la savais impossible dans une lettre adressée à moi, cette vue, non accompagnée de croyance, ne me causa pas de joie. Pendant un instant elle ne fit que frapper d′irréalité tout ce qui m′entourait. Avec une vitesse vertigineuse, cette signature sans vraisemblance jouait aux quatre coins avec mon lit, ma cheminée, mon mur. Je voyais tout vaciller comme quelqu′un qui tombe de cheval et je me demandais s′il n′y avait pas une existence toute différente de celle que je connaissais, en contradiction avec elle, mais qui serait la vraie, et qui m′étant montrée tout d′un coup me remplissait de cette hésitation que les sculpteurs dépeignant le Jugement dernier ont donnée aux morts réveillés qui se trouvent au seuil de l′autre Monde. «Mon cher ami, disait la lettre, j′ai appris que vous aviez été très souffrant et que vous ne veniez plus aux Champs-Élysées. Moi je n′y vais guère non plus parce qu′il y a énormément de malades. Mais mes amies viennent goûter tous les lundis et vendredis à la maison. Maman me charge de vous dire que vous nous feriez très grand plaisir en venant aussi dès que vous serez rétabli, et nous pourrions reprendre à la maison nos bonnes causeries des Champs-Élysées. Adieu, mon cher ami, j′espère que vos parents vous permettront de venir très souvent goûter, et je vous envoie toutes mes amitiés. Gilberte.» One day, after the postman had called, my mother laid a letter upon my bed. I opened it carelessly, since it could not bear the one signature that would have made me happy, the name of Gilberte, with whom I had no relations outside the Champs-Elysées. And lo, at the foot of the page, embossed with a silver seal representing a man′s head in a helmet, and under him a scroll with the device Per viam rectam, beneath a letter written in a large and flowing hand, in which almost every word appeared to be underlined, simply because the crosses of the ‘t′s′ ran not across but over them, and so drew a line beneath the corresponding letters of the word above, it was indeed Gilberte′s signature and nothing else that I saw. But because I knew that to be impossible upon a letter addressed to myself, the sight of it, unaccompanied by any belief in it, gave me no pleasure. For a moment it merely struck an impression of unreality on everything round about me. With lightning rapidity the impossible signature danced about my bed, the fireplace, the four walls. I saw everything sway, as one does when one falls from a horse, and I asked myself whether there was not an existence altogether different from the one I knew, in direct contradiction of it, but itself the true existence, which, being suddenly revealed to me, filled me with that hesitation which sculptors, in representing the Last Judgment, have given to the awakening dead who find themselves at the gates of the next world. “My dear Friend,” said the letter, “I hear that you have been very ill and have given up going to the Champs-Eîysées. I hardly ever go there either because there has been such an enormous lot of illness. But I′m having my friends to tea here every Monday and Friday. Mamma asks me to tell you that it will be a great pleasure to us all if you will come too, as soon as you are well again, and we can have some more nice talks here, just like the Champs-Elysées. Good-bye, dear friend; I hope that your parents will allow you to come to tea very often. With all my kindest regards. GILBERTE.”
Tandis que je lisais ces mots, mon système nerveux recevait avec une diligence admirable la nouvelle qu′il m′arrivait un grand bonheur. Mais mon âme, c′est-à-dire moi-même, et en somme le principal intéressé, l′ignorait encore. Le bonheur, le bonheur par Gilberte, c′était une chose à laquelle j′avais constamment songé, une chose toute en pensées, c′était, comme disait Léonard, de la peinture, cosa mentale. Une feuille de papier couverte de caractères, la pensée ne s′assimile pas cela tout de suite. Mais dès que j′eus terminé la lettre, je pensai à elle, elle devint un objet de rêverie, elle devint, elle aussi, cosa mentale et je l′aimais déjà tant que toutes les cinq minutes, il me fallait la relire, l′embrasser. Alors, je connus mon bonheur. While I was reading these words, my nervous system was receiving, with admirable promptitude, the news that a piece of great good fortune had befallen me. But my mind, that is to say myself, and in fact the party principally concerned, was still in ignorance. Such good fortune, coming from Gilberte, was a thing of which I had never ceased to dream; a thing wholly in my mind, it was, as Leonardo says of painting, cosa mentale. Now, a sheet of paper covered with writing is not a thing that the mind assimilates at once. But as soon as I had finished reading the letter, I thought of it, it became an object of my dreams, became, it also, cosa mentale, and I loved it so much already that every few minutes I must read it, kiss it again. Then at last I was conscious of my happiness.
La vie est semée de ces miracles que peuvent toujours espérer les personnes qui aiment. Il est possible que celui-ci eût été provoqué artificiellement par ma mère qui voyant que depuis quelque temps j′avais perdu tout cur à vivre, avait peut-être fait demander à Gilberte de m′écrire, comme, au temps de mes premiers bains de mer, pour me donner du plaisir à plonger, ce que je détestais parce que cela me coupait la respiration, elle remettait en cachette à mon guide baigneur de merveilleuses boîtes en coquillages et des branches de corail que je croyais trouver moi-même au fond des eaux. D′ailleurs, pour tous les événements qui dans la vie et ses situations contrastées, se rapportent à l′amour, le mieux est de ne pas essayer de comprendre, puisque, dans ce qu′ils ont d′inexorable, comme d′inespéré, ils semblent régis par des lois plutôt magiques que rationnelles. Quand un multimillionnaire, homme malgré cela charmant, reçoit son congé d′une femme pauvre et sans agrément avec qui il vit, appelle à lui, dans son désespoir, toutes les puissances de l′or et fait jouer toutes les influences de la terre, sans réussir à se faire reprendre, mieux vaut devant l′invincible entêtement de sa maîtresse supposer que le Destin veut l′accabler et le faire mourir d′une maladie de cur plutôt que de chercher une explication logique. Ces obstacles contre lesquels les amants ont à lutter et que leur imagination surexcitée par la souffrance cherche en vain à deviner, résident parfois dans quelque singularité de caractère de la femme qu′ils ne peuvent ramener à eux, dans sa bêtise, dans l′influence qu′ont prise sur elle et les craintes que lui ont suggérées des êtres que l′amant ne connaît pas, dans le genre de plaisirs qu′elle demande momentanément à la vie, plaisirs que son amant, ni la fortune de son amant ne peuvent lui offrir. En tous cas l′amant est mal placé pour connaître la nature des obstacles que la ruse de la femme lui cache et que son propre jugement faussé par l′amour l′empêche d′apprécier exactement. Ils ressemblent à ces tumeurs que le médecin finit par réduire mais sans en avoir connu l′origine. Comme elles ces obstacles restent mystérieux mais sont temporaires. Seulement ils durent généralement plus que l′amour. Et comme celui-ci n′est pas une passion désintéressée, l′amoureux qui n′aime plus ne cherche pas à savoir pourquoi la femme pauvre et légère qu′il aimait, s′est obstinément refusée pendant des années à ce qu′il continuât à l′entretenir. Life is strewn with these miracles, for which people who are in love can always hope. It is possible that this one had been artificially brought about by my mother who, seeing that for some time past I had lost all interest in life, may have suggested to Gilberte to write to me, just as, when I was little and went first to the sea-side, so as to give me some pleasure in bathing, which I detested because it took away my breath, she used secretly to hand to the man who was to ‘dip′ me marvellous boxes made of shells, and branches of coral, which I believed that I myself had discovered lying at the bottom of the sea. However, with every occurrence which, in our life and among its contrasted situations, bears any relation to love, it is best to make no attempt to understand it, since in so far as these are inexorable, as they are unlooked-for, they appear to be governed by magic rather than by rational laws. When a multi-millionaire — who for all his millions is quite a charming person — sent packing by a poor and unattractive woman with whom he has been living, calls to his aid, in his desperation, all the resources of wealth, and brings every worldly influence to bear without succeeding in making her take him back, it is wiser for him, in the face of the implacable obstinacy of his mistress, to suppose that Fate intends to crush him, and to make him die of an affection of the heart, than to seek any logical explanation. These obstacles, against which lovers have to contend, and which their imagination, over-excited by suffering, seeks in vain to analyse, are contained, as often as not, in some peculiar characteristic of the woman whom they cannot bring back to themselves, in her stupidity, in the influence acquired over her, the fears suggested to her by people whom the lover does not know, in the kind of pleasures which, at the moment, she is demanding of life, pleasures which neither her lover nor her lover′s wealth can procure for her. In any event, the lover is scarcely in a position to discover the nature of these obstacles, which her womanly cunning hides from him and his own judgment, falsified by love, prevents him from estimating exactly. They may be compared with those tumours which the doctor succeeds in reducing, but without having traced them to their source. Like them these obstacles remain mysterious but are temporary. Only they last, as a rule, longer than love itself. And as that is not a disinterested passion, the lover who is no longer in love does not seek to know why the woman, neither rich nor virtuous, with whom he was in love refused obstinately for years to let him continue to keep her.
Or, le même mystère qui dérobe aux yeux souvent la cause des catastrophes, quand il s′agit de l′amour, entoure, tout aussi fréquemment la soudaineté de certaines solutions heureuses (telle que celle qui m′était apportée par la lettre de Gilberte). Solutions heureuses ou du moins qui paraissent l′être, car il n′y en a guère qui le soient réellement quand il s′agit d′un sentiment d′une telle sorte que toute satisfaction qu′on lui donne ne fait généralement que déplacer la douleur. Parfois pourtant une trêve est accordée et l′on a pendant quelque temps l′illusion d′être guéri. Now the same mystery which often veils from our eyes the reason for a catastrophe, when love is in question, envelops just as frequently the suddenness of certain happy solutions, such as had come to me with Gilberte′s letter. Happy, or at least seemingly happy, for there are few solutions that can really be happy when we are dealing with a sentiment of such a kind that every satisfaction which we can bring to it does no more, as a rule, than dislodge some pain. And yet sometimes a respite is granted us, and we have for a little while the illusion that we are healed.
En ce qui concerne cette lettre au bas de laquelle Françoise se refusa à reconnaître le nom de Gilberte parce que le G historié, appuyé sur un i sans point avait l′air d′un A, tandis que la dernière syllabe était indéfiniment prolongée à l′aide d′un paraphe dentellé, si l′on tient à chercher une explication rationnelle du revirement qu′elle traduisait et qui me rendait si joyeux, peut-être pourra-t-on penser que j′en fus, pour une part, redevable à un incident que j′avais cru au contraire de nature à me perdre à jamais dans l′esprit des Swann. Peu de temps auparavant, Bloch était venu pour me voir, pendant que le professeur Cottard, que depuis que je suivais son régime, on avait fait revenir, se trouvait dans ma chambre. La consultation étant finie et Cottard restant seulement en visiteur parce que mes parents l′avaient retenu à dîner, on laissa entrer Bloch. Comme nous étions tous en train de causer, Bloch ayant raconté qu′il avait entendu dire que Mme Swann m′aimait beaucoup, par une personne avec qui il avait dîné la veille et qui elle-même était très liée avec Mme Swann, j′aurais voulu lui répondre qu′il se trompait certainement, et bien établir, par le même scrupule qui me l′avait fait déclarer à M. de Norpois et de peur que Mme Swann me prît pour un menteur, que je ne la connaissais pas et ne lui avais jamais parlé. Mais je n′eus pas le courage de rectifier l′erreur de Bloch, parce que je compris bien qu′elle était volontaire, et que s′il inventait quelque chose que Mme Swann n′avait pas pu dire en effet, c′était pour faire savoir, ce qu′il jugeait flatteur et ce qui n′était pas vrai, qu′il avait dîné à côté d′une des amies de cette dame. Or il arriva que tandis que M. de Norpois apprenant que je ne connaissais pas et aurais aimé connaître Mme Swann, s′était bien gardé de lui parler de moi, Cottard, qu′elle avait pour médecin, ayant induit de ce qu′il avait entendu dire à Bloch qu′elle me connaissait beaucoup et m′appréciait, pensa que, quand il la verrait, dire que j′étais un charmant garçon avec lequel il était lié, ne pourrait en rien être utile pour moi et serait flatteur pour lui, deux raisons qui le décidèrent à parler de moi à Odette dès qu′il en trouva l′occasion. So far as concerns this letter, at the foot of which Françoise declined to recognise Gilberte′s name, because the elaborate capital ‘G′ leaning against the undotted ‘i′ looked more like an ‘A,′ while the final syllable was indefinitely prolonged by a waving flourish, if we persist in looking for a rational explanation of the sudden reversal of her attitude towards me which it indicated, and which made me so radiantly happy, we may perhaps find that I was to some extent indebted for it to an incident which I should have supposed, on the contrary, to be calculated to ruin me for ever in the sight of the Swann family. A short while back, Bloch had come to see me at a time when Professor Cottard, whom, now that I was following his instructions, we were again calling in, happened to be in my room. As his examination of me was over, and he was sitting with me simply as a visitor because my parents had invited him to stay to dinner, Bloch was allowed to come in. While we were all talking, Bloch having mentioned that he had heard it said that Mme. Swann was very fond of me, by a lady with whom he had been dining the day before, who was herself very intimate with Mme. Swann, I should have liked to reply that he was most certainly mistaken, and to establish the fact (from the same scruple of conscience that had made me proclaim it to M. de Norpois, and for fear of Mme. Swann′s taking me for a liar) that I did not know her and had never spoken to her. But I had not the courage to correct Bloch′s mistake, because I could see quite well that it was deliberate, and that, if he invented something that Mme. Swann could not possibly have said, it was simply to let us know (what he considered flattering to himself, and was not true either) that he had been dining with one of that lady′s friends. And so it fell out that, whereas M. de Norpois, on learning that I did not know but would very much like to know Mme. Swann, had taken great care to avoid speaking to her about me, Cottard, who was her doctor also, having gathered from what he had heard Bloch say that she knew me quite well and thought highly of me, concluded that to remark, when next he saw her, that I was a charming young fellow and a great friend of his could not be of the smallest use to me and would be of advantage to himself, two reasons which made him decide to speak of me to Odette whenever an opportunity arose.
Alors je connus cet appartement d′où dépassait jusque dans l′escalier le parfum dont se servait Mme Swann, mais qu′embaumait bien plus encore le charme particulier et douloureux qui émanait de la vie de Gilberte. L′implacable concierge, changé en une bienveillante Euménide, prit l′habitude, quand je lui demandais si je pouvais monter, de m′indiquer en soulevant sa casquette d′une main propice, qu′il exauçait ma prière. Les fenêtres qui du dehors interposaient entre moi et les trésors qui ne m′étaient pas destinés, un regard brillant, distant et superficiel qui me semblait le regard même des Swann, il m′arriva, quand à la belle saison j′avais passé tout un après-midi avec Gilberte dans sa chambre, de les ouvrir moi-même pour laisser entrer un peu d′air et même de m′y pencher à côté d′elle, si c′était le jour de réception de sa mêre, pour voir arriver les visites qui souvent, levant la tête en descendant de voiture, me faisaient bonjour de la main, me prenant pour quelque neveu de la maîtresse de maison. Les nattes de Gilberte dans ces moments-là touchaient ma joue. Elles me semblaient, en la finesse de leur gramen à la fois naturel et surnaturel, et la puissance de leurs rinceaux d′art, un ouvrage unique pour lequel on avait utilisé le gazon même du Paradis. A une section même infime d′elles, quel herbier céleste n′eussé-je pas donné comme châsse. Mais n′espérant point obtenir un morceau vrai de ces nattes, si au moins j′avais pu en posséder la photographie, combien plus précieuse que celle de fleurettes dessinées par le Vinci! Pour en avoir une je fis auprès d′amis des Swann et même de photographes, des bassesses qui ne me procurèrent pas ce que je voulais, mais me lièrent pour toujours avec des gens très ennuyeux. Thus at length I found my way into that abode from which was wafted even on to the staircase the scent that Mme. Swann used, though it was embalmed far more sweetly still by the peculiar, disturbing charm that emanated from the life of Gilberte. The implacable porter, transformed into a benevolent Eumenid, adopted the custom, when I asked him if I might go upstairs, of indicating to me, by raising his cap with a propitious hand, that he gave ear to my prayer. Those windows which, seen from outside, used to interpose between me and the treasures within, which were not intended for me, a polished, distant and superficial stare, which seemed to me the very stare of the Swanns themselves, it fell to my lot, when in the warm weather I had spent a whole afternoon with Gilberte in her room, to open them myself, so as to let in a little air, and even to lean over the sill of one of them by her side, if it was her mother′s ‘at home′ day, to watch the visitors arrive who would often, raising their heads as they stepped out of their carriages, greet me with a wave of the hand, taking me for some nephew of their hostess. At such moments Gilberte′s plaits used to brush my cheek. They seemed to me, in the fineness of their grain, at once natural and supernatural, and in the strength of their constructed tracery, a matchless work of art, in the composition of which had been used the very grass of Paradise. To a section of them, even infinitely minute, what celestial herbary would I not have given as a reliquary. But since I never hoped to obtain an actual fragment of those plaits, if at least I had been able to have their photograph, how far more precious than one of a sheet of flowers traced by Vinci′s pencil! To acquire one of these, I stooped — with friends of the Swanns, and even with photographers — to servilities which did not procure for me what I wanted, but tied me for life to a number of extremely tiresome people.
Les parents de Gilberte, qui si longtemps m′avaient empêché de la voir, maintenant — quand j′entrais dans la sombre antichambre où planait perpétuellement, plus formidable et plus désirée que jadis à Versailles l′apparition du Roi, la possibilité de les rencontrer, et où habituellement, après avoir buté contre un énorme porte-manteaux à sept branches comme le Chandelier de l′Écriture, je me confondais en salutations devant un valet de pied assis, dans sa longue jupe grise, sur le coffre de bois et que dans l′obscurité j′avais pris pour Mme Swann, — les parents de Gilberte, si l′un deux se trouvait passer au moment de mon arrivée, loin d′avoir l′air irrité, me serraient la main en souriant et me disaient: Gilberte′s parents, who for so long had prevented me from seeing her, now — when I entered the dark hall in which hovered perpetually, more formidable and more to be desired than, at Versailles of old, the apparition of the King, the possibility of my encountering them, in which too, invariably, after butting into an enormous hat-stand with seven branches, like the Candlestick in Holy Writ, I would begin bowing confusedly before a footman, seated among the skirts of his long grey coat upon the wood-box, whom in the dim light I had mistaken for Mme. Swann — Gilberte′s parents, if one of them happened to be passing at the moment of my arrival, so far from seeming annoyed would come and shake hands with a smile, and say:
— «Comment allez-vous (qu′ils prononçaient tous deux commen allez-vous, sans faire la liaison du t, liaison, qu′on pense bien qu′une fois rentré à la maison je me faisais un incessant et voluptueux exercice de supprimer). Gilberte sait-elle que vous êtes là? alors je vous quitte.» “How d′e do?” (They both pronounced it in the same clipped way, which, you may well imagine, once I was back at home, I made an incessant and delightful practice of copying.) “Does Gilberte know you′re here? She does? Then I′ll leave you to her.”
Bien plus, les goûters eux-mêmes que Gilberte offrait à ses amies et qui si longtemps m′avaient paru la plus infranchissable des séparations accumulées entre elle et moi devenaient maintenant une occasion de nous réunir dont elle m′avertissait par un mot, écrit (parce que j′étais une relation encore assez nouvelle), sur un papier à lettres toujours différent. Une fois il était orné d′un caniche bleu en relief surmontant une légende humoristique écrite en anglais et suivie d′un point d′exclamation, une autre fois timbré d′une ancre marine, ou du chiffre G. S., démesurément allongé en un rectangle qui tenait toute la hauteur de la feuille, ou encore du nom «Gilberte» tantôt tracé en travers dans un coin en caractères dorés qui imitaient la signature de mon amie et finissaient par un paraphe, au-dessous d′un parapluie ouvert imprimé en noir, tantôt enfermé dans un monogramme en forme de chapeau chinois qui en contenait toutes les lettres en majuscules sans qu′il fût possible d′en distinguer une seule. Enfin comme la série des papiers à lettres que Gilberte possédait, pour nombreuse que fût cette série, n′était pas illimitée, au bout d′un certain nombre de semaines, je voyais revenir celui qui portait, comme la première fois qu′elle m′avait écrit, la devise: Per viam rectam, au-dessous du chevalier casqué, dans une médaille d′argent bruni. Et chacun était choisi tel jour plutôt que tel autre en vertu de certains rites, pensais-je alors, mais plutôt je le crois maintenant, parce qu′elle cherchait à se rappeler ceux dont elle s′était servie les autres fois, de façon à ne jamais envoyer le même à un de ses correspondants, au moins de ceux pour qui elle prenait la peine de faire des frais, qu′aux intervalles les plus éloignés possibles. Comme à cause de la différence des heures de leurs leçons, certaines des amies que Gilberte invitait à ces goûters étaient obligées de partir comme les autres arrivaient seulement, dès l′escalier j′entendais s′échapper de l′antichambre un murmure de voix qui, dans l′émotion que me causait la cérémonie imposante à laquelle j′allais assister, rompait brusquement bien avant que j′atteignisse le palier, les liens qui me rattachaient encore à la vie antérieure et m′ôtaient jusqu′au souvenir d′avoir à retirer mon foulard une fois que je serais au chaud et de regarder l′heure pour ne pas rentrer en retard. Cet escalier, d′ailleurs, tout en bois, comme on faisait alors dans certaines maisons de rapport de ce style Henri II qui avait été si longtemps l′idéal d′Odette et dont elle devait bientôt se déprendre et pourvu d′une pancarte sans équivalent chez nous, sur laquelle on lisait ces mots: «Défense de se servir de l′ascenseur pour descendre», me semblait quelque chose de tellement prestigieux que je dis à mes parents que c′était un escalier ancien rapporté de très loin par M. Swann. Mon amour de la vérité était si grand que je n′aurais pas hésité à leur donner ce renseignement même si j′avais su qu′il était faux, car seul il pouvait leur permettre d′avoir pour la dignité de l′escalier des Swann le même respect que moi. C′est ainsi que devant un ignorant qui ne peut comprendre en quoi consiste le génie d′un grand médecin, on croirait bien faire de ne pas avouer qu′il ne sait pas guérir le rhume de cerveau. Mais comme je n′avais aucun esprit d′observation, comme en général je ne savais ni le nom ni l′espèce des choses qui se trouvaient sous mes yeux, et comprenais seulement que quand elles approchaient les Swann, elles devaient être extraordinaires, il ne me parut pas certain qu′en avertissant mes parents de leur valeur artistique et de la provenance lointaine de cet escalier, je commisse un mensonge. Cela ne me parut pas certain; mais cela dut me paraître probable, car je me sentis devenir très rouge, quand mon père m′interrompit en disant: «Je connais ces maisons-là; j′en ai vu une, elles sont toutes pareilles; Swann occupe simplement plusieurs étages, c′est Berlier qui les a construites.» Il ajouta qu′il avait voulu louer dans l′une d′elles, mais qu′il y avait renoncé, ne les trouvant pas commodes et l′entrée pas assez claire; il le dit; mais je sentis instinctivement que mon esprit devait faire au prestige des Swann et à mon bonheur les sacrifices nécessaires, et par un coup d′autorité intérieure, malgré ce que je venais d′entendre, j′écartai à tout jamais de moi, comme un dévot la Vie de Jésus de Renan, la pensée dissolvante que leur appartement était un appartement quelconque que nous aurions pu habiter. Better still, the tea-parties themselves to which Gilberte invited her friends, parties which for so long had seemed to me the most insurmountable of the barriers heaped up between her and myself, became now an opportunity for uniting us of which she would inform me in a few lines, written (because I was still a comparative stranger) upon sheets that were always different. One was adorned with a poodle embossed in blue, above a fantastic inscription in English with an exclamation mark after it; another was stamped with an anchor, or with the monogram G. S. preposterously elongated in a rectangle which ran from top to bottom of the page, or else with the name Gilberte, now traced across one corner in letters of gold which imitated my friend′s signature and ended in a flourish, beneath an open umbrella printed in black, now enclosed in a monogram in the shape of a Chinaman′s hat, which contained all the letters of the word in capitals without its being possible to make out a single one of them. At last, as the series of different writing-papers which Gilberte possessed, numerous as it might be, was not unlimited, after a certain number of weeks I saw reappear the sheet that bore (like the first letter she had written me) the motto Per vaim rectam, and over it the man′s head in a helmet, set in a medallion of tarnished silver. And each of them was chosen, on one day rather than another, by virtue of a certain ritual, as I then supposed, but more probably, as I now think, because she tried to remember which of them she had already used, so as never to send the same one twice to any of her correspondents, of those at least whom she took special pains to please, save at the longest possible intervals. As, on account of the different times of their lessons, some of the friends whom Gilberte used to invite to her parties were obliged to leave just as the rest were arriving, while I was still on the stairs I could hear escaping from the hall a murmur of voices which, such was the emotion aroused in me by the imposing ceremony in which I was to take part, long before I had reached the landing, broke all the bonds that still held me to my past life, so that I did not even remember that I was to take off my muffler as soon as I felt too hot, and to keep an eye on the clock so as not to be late in getting home. That staircase, besides, all of wood, as they were built about that time in certain houses, in keeping with that Henri II style which had for so long been Odette′s ideal though she was shortly to lose interest in it, and furnished with a placard, to which there was no equivalent at home, on which one read the words: “NOTICE. The lift must not be taken downstairs,” seemed to me a thing so marvellous that I told my parents that it was an ancient staircase brought from ever so far away by M. Swann. My regard for the truth was so great that I should not have hesitated to give them this information even if I had known it to be false, for it alone could enable them to feel for the dignity of the Swanns′ staircase the same respect that I felt myself. It was just as, when one is talking to some ignorant person who cannot understand in what the genius of a great physician consists, it is as well not to admit that he does not know how to cure a cold in the head. But since I had no power of observation, since, as a general rule, I never knew either the name or the nature of things that were before my eyes, and could understand only that when they were connected with the Swanns they must be extraordinary, I was by no means certain that in notifying my parents of the artistic value and remote origin of the staircase I was guilty of falsehood. It did not seem certain; but it must have seemed probable, for I felt myself turn very red when my father interrupted me with: “I know those houses; I have been in one; they are all alike; Swann just has several floors in one; it was Berlier built them all.” He added that he had thought of taking a flat in one of them, but that he had changed his mind, finding that they were not conveniently arranged, and that the landings were too dark. So he said; but I felt instinctively that my mind must make the sacrifices necessary to the glory of the Swanns and to my own happiness, and by a stroke of internal authority, in spite of what I had just heard, I banished for ever from my memory, as a good Catholic banishes Renan′s Vie de Jésus, the destroying thought that their house was just an ordinary flat in which we ourselves might have been living.
Cependant, ces jours de goûter, m′élevant dans l′escalier marche à marche, déjà dépouillé de ma pensée et de ma mémoire, n′étant plus que le jouet des plus vils réflexes, j′arrivais à la zone où le parfum de Mme Swann se faisait sentir. Je croyais déjà voir la majesté du gâteau au chocolat, entouré d′un cercle d′assiettes à petits fours et de petites serviettes damassées grises à dessins, exigées par l′étiquette et particulières aux Swann. Mais cet ensemble inchangeable et réglé semblait, comme l′univers nécessaire de Kant, suspendu à un acte suprême de liberté. Car quand nous étions tous dans le petit salon de Gilberte, tout d′un coup regardant l′heure, elle disait: Meanwhile on those tea-party days, pulling myself up the staircase step by step, reason and memory already cast off like outer garments, and myself no more now than the sport of the basest reflexes, I would arrive in the zone in which the scent of Mme. Swann greeted my nostrils. I felt that I could already behold the majesty of the chocolate cake, encircled by plates heaped with little cakes, and by tiny napkins of grey damask with figures on them, as required by convention but peculiar to the Swanns. But this unalterable and governed whole seemed, like Kant′s necessary universe, to depend on a supreme act of free will. For when we were all together in Gilberte′s little sitting-room, suddenly she would look at the clock and exclaim:
« — Dites donc, mon déjeuner commence à être loin, je ne dîne qu′à huit heures, j′ai bien envie de manger quelque chose. Qu′en diriez-vous?» “I say! It′s getting a long time since luncheon, and we aren′t having dinner till eight. I feel as if I could eat something. What do you say?”
Et elle nous faisait entrer dans la salle à manger, sombre comme l′intérieur d′un Temple asiatique peint par Rembrandt, et où un gâteau architectural aussi débonnaire et familier qu′il était imposant, semblait trôner là à tout hasard comme un jour quelconque, pour le cas où il aurait pris fantaisie à Gilberte de le découronner de ses créneaux en chocolat et d′abattre ses remparts aux pentes fauves et raides, cuites au four comme les bastions du palais de Darius. Bien mieux, pour procéder à la destruction de la pâtisserie ninitive, Gilberte ne consultait pas seulement sa faim; elle s′informait encore de la mienne, tandis qu′elle extrayait pour moi du monument écroulé tout un pan verni et cloisonné de fruits écarlates, dans le goût oriental. Elle me demandait même l′heure à laquelle mes parents dînaient, comme si je l′avais encore sue, comme si le trouble qui me dominait avait laissé persister la sensation de l′inappétence ou de la faim, la notion du dîner ou l′image de la famille, dans ma mémoire vide et mon estomac paralysé. Malheureusement cette paralysie n′était que momentanée. Les gâteaux que je prenais sans m′en apercevoir, il viendrait un moment où il faudrait les digérer. Mais il était encore lointain. En attendant Gilberte me faisait «mon thé». J′en buvais indéfiniment, alors qu′une seule tasse m′empêchait de dormir pour vingt-quatre heures. Aussi ma mère avait-elle l′habitude de dire: «C′est ennuyeux, cet enfant ne peut aller chez les Swann sans rentrer malade.» Mais savais-je seulement quand j′étais chez les Swann que c′était du thé que je buvais? L′eussé-je su que j′en eusse pris tout de même, car en admettant que j′eusse recouvré un instant le discernement du présent, cela ne m′eût pas rendu le souvenir du passé et la prévision de l′avenir. Mon imagination n′était pas capable d′aller jusqu′au temps lointain où je pourrais avoir l′idée de me coucher et le besoin du sommeil. And she would make us go into the dining-room, as sombre as the interior of an Asiatic Temple painted by Rembrandt, in which an architectural cake, as gracious and sociable as it was imposing, seemed to be enthroned there in any event, in case the fancy seized Gilberte to discrown it of its chocolate battlements and to hew down the steep brown slopes of its ramparts, baked in the oven like the bastions of the palace of Darius. Better still, in proceeding to the demolition of that Babylonitish pastry, Gilberte did not consider only her own hunger; she inquired also after mine, while she extracted for me from the crumbling monument a whole glazed slab jewelled with scarlet fruits, in the oriental styje. She asked me even at what o′clock my parents were dining, as if I still knew, as if the disturbance that governed me had allowed to persist the sensation of satiety or of hunger, the notion of dinner or the picture of my family in my empty memory and paralysed stomach. Alas, its paralysis was but momentary. The cakes that I took without noticing them, a time would come when I should have to digest them. But that time was still remote. Meanwhile Gilberte was making ‘my′ tea. I went on drinking it indefinitely, whereas a single cup would keep me awake for twenty-four hours. Which explains why my mother used always to say: “What a nuisance it is; he can never go to the Swarms′ without coming home ill.” But was I aware even, when I was at the Swanns′, that it was tea that I was drinking? Had I known, I should have taken it just the same, for even supposing that I had recovered for a moment the sense of the present, that would not have restored to me the memory of the past or the apprehension of the future. My imagination was incapable of reaching to the distant tune in which I might have the idea of going to bed, and the need to sleep.
Les amies de Gilberte n′étaient pas toutes plongées dans cet état d′ivresse où une décision est impossible. Certaines refusaient du thé! Alors Gilberte disait, phrase très répandue à cette époque: «Décidément, je n′ai pas de succès avec mon thé!» Et pour effacer davantage l′idée de cérémonie, dérangeant l′ordre des chaises autour de la table: «Nous avons l′air d′une noce; mon Dieu que les domestiques sont bêtes.» Gilberte′s girl friends were not all plunged in that state of intoxication in which it is impossible to make up one′s mind. Some of them refused tea! Then Gilberte would say, using a phrase highly fashionable that year: “I can see I′m not having much of a success with my tea!” And to destroy more completely any idea of ceremony, she would disarrange the chairs that were drawn up round the table, with: “We look just like a wedding breakfast. Good lord, what fools servants are!”
Elle grignotait, assise de côté sur un siège en forme d′x et placé de travers. Même, comme si elle eût pu avoir tant de petits fours à sa disposition, sans avoir demandé la permission à sa mère, quand Mme Swann — dont le «jour» coî­£idait d′ordinaire avec les goûters de Gilberte — après avoir reconduit une visite, entrait, un moment après, en courant, quelquefois habillée de velours bleu, souvent dans une robe en satin noir couverte de dentelles blanches, elle disait d′un air étonné: She nibbled her cake, perched sideways upon a cross-legged seat placed at an angle to the table. And then, just as though she could have had all those cakes at her disposal without having first asked leave of her mother, when Mme. Swann, whose ‘day′ coincided as a rule with Gilberte′s tea-parties, had shewn one of her visitors to the door, and came sweeping in, a moment later, dressed sometimes in blue velvet, more often in a black satin gown draped with white lace, she would say with an air of astonishment:
— «Tiens, ça a l′air bon ce que vous mangez là, cela me donne faim de vous voir manger du cake.» “I say, that looks good, what you′ve got there. It makes me quite hungry to see you all eating cake.”
— «Eh bien, maman, nous vous invitons, répondait Gilberte.» “But, Mamma, do! We invite you!” Gilberte would answer.
— «Mais non, mon trésor, qu′est-ce que diraient mes visites, j′ai encore Mme Trombert, Mme Cottard et Mme Bontemps, tu sais que chère Mme Bontemps ne fait pas des visites très courtes et elle vient seulement d′arriver. “Thank you, no, my precious; what would my visitors say? I′ve still got Mme. Trombert and Mme. Cottard and Mme. Bontemps; you know dear Mme. Bontemps never pays very short visits, and she has only just come.
Qu′est-ce qu′ils diraient toutes ces bonnes gens de ne pas me voir revenir; s′il ne vient plus personne, je reviendrai bavarder avec vous (ce qui m′amusera beaucoup plus) quand elles seront parties. Je crois que je mérite d′être un peu tranquille, j′ai eu quarante-cinq visites et sur quarante-cinq il y en a eu quarante-deux qui ont parlé du tableau de Gérôme! Mais venez-donc un de ces jours, me disait-elle, prendre votre thé avec Gilberte, elle vous le fera comme vous l′aimez, comme vous le prenez dans votre petit «studio», ajoutait-elle, tout en s′enfuyant vers ses visites et comme si ç‘avait été quelque chose d′aussi connu de moi que mes habitudes (fût-ce celle que j′aurais eue de prendre le thé, si j′en avais jamais pris, quand à un «studio» j′étais incertain si j′en avais un ou non) que j′étais venu chercher dans ce monde mystérieux. «Quand viendrez-vous? Demain? On vous fera des toasts aussi bons que chez Colombin. Non? Vous êtes un vilain», disait-elle, car depuis qu′elle aussi commençait à avoir un salon, elle prenait les façons de Mme Verdurin, son ton de despotisme minaudier. Les toasts m′étant d′ailleurs aussi inconnus que Colombin, cette dernière promesse n′aurait pu ajouter à ma tentation. Il semblera plus étrange, puisque tout le monde parle ainsi et peut-être même maintenant à Combray, que je n′eusse pas à la première minute compris de qui voulait parler Mme Swann, quand je l′entendis me faire l′éloge de notre vieille «nurse». Je ne savais pas l′anglais, je compris bientôt pourtant que ce mot désignait Françoise. Moi qui aux Champs-Élysées, avais eu si peur de la fâcheuse impression qu′elle devait produire, j′appris par Mme Swann que c′est tout ce que Gilberte lui avait raconté sur ma «nurse» qui leur avait donné à elle et à son mari de la sympathie pour moi. «On sent qu′elle vous est si dévouée, qu′elle est si bien.» (Aussitôt je changeai entièrement d′avis sur Françoise. Par contre-coup, avoir une institutrice pourvue d′un caoutchouc et d′un plumet ne me sembla plus chose si nécessaire.) Enfin je compris, par quelques mots échappés à Mme Swann sur Mme Blatin dont elle reconnaissait la bienveillance mais redoutait les visites, que des relations personnelles avec cette dame ne m′eussent pas été aussi précieuses que j′avais cru et n′eussent amélioré en rien ma situation chez les Swann. What would all those good people say if I never went back to them? If no one else calls, I′ll come in again and have a chat with you (which will be far more amusing) after they′ve all gone. I really think I′ve earned a little rest; I have had forty-five different people to-day, and forty-two of them told me about Gérôme′s picture! But you must come alone one of these days,” she turned to me, “and take ‘your′ tea with Gilberte. She will make it for you just as you like it, as you have it in your own little ‘studio,′” she went on, flying off to her visitors, as if it had been something as familiar to me as my own habits (such as the habit that I should have had of taking tea, had I ever taken it; as for my ‘studio,′ I was uncertain whether I had one or not) that I had come to seek in this mysterious world. “When can you come? To-morrow? We will make you ‘toast′ every bit as good as you get at Colombin′s. No? You are horrid!”— for, since she also had begun to form a salon, she had borrowed Mme. Verdurin′s mannerisms, and notably her tone of petulant autocracy. ‘Toast′ being as incomprehensible to me as ‘Colombin′s,′ this further promise could not add to my temptation. It will appear stranger still, now that everyone uses such expressions — and perhaps even at Combray they are creeping in — that I had not at first understood of whom Mme. Swann was speaking when I heard her sing the praises of our old ‘nurse.′ I did not know any English; I gathered, however, as she went on that the word was intended to denote Françoise. I who, in the Champs-Elysées, had been so terrified of the bad impression that she must make, I now learned from Mme. Swann that it was all the things that Gilberte had told them about my ‘nurse′ that had attracted her husband and her to me. “One feels that she is so devoted to you; she must be nice!” (At once my opinion of Françoise was diametrically changed. By the same token, to have a governess equipped with a waterproof and a feather in her hat no longer appeared quite so essential.) Finally I learned from some words which Mme. Swann let fall with regard to Mme. Blatin (whose good nature she recognised but dreaded her visits) that personal relations with that lady would have been of less value to me than I had supposed, and would not in any way have improved my standing with the Swanns.
Si j′avais déjà commencé d′explorer avec ces tressaillements de respect et de joie le domaine féerique qui contre toute attente avait ouvert devant moi ses avenues jusque-là fermées, pourtant c′était seulement en tant qu′ami de Gilberte. Le royaume dans lequel j′étais accueilli était contenu lui-même dans un plus mystérieux encore où Swann et sa femme menaient leur vie surnaturelle, et vers lequel ils se dirigeaient après m′avoir serré la main quand ils traversaient en même temps que moi, en sens inverse, l′antichambre. Mais bientôt je pénétrai aussi au cur du Sanctuaire. Par exemple, Gilberte n′était pas là, M. ou Mme Swann se trouvait à la maison. Ils avaient demandé qui avait sonné, et apprenant que c′était moi, m′avaient fait prier d′entrer un instant auprès d′eux, désirant que j′usasse dans tel ou tel sens, pour une chose ou pour une autre, de mon influence sur leur fille. Je me rappelais cette lettre si complète, si persuasive, que j′avais naguère écrite à Swann et à laquelle il n′avait même pas daigné répondre. J′admirais l′impuissance de l′esprit, du raisonnement et du cur à opérer la moindre conversion, à résoudre une seule de ces difficultés, qu′ensuite la vie, sans qu′on sache seulement comment elle s′y est prise, dénoue si aisément. Ma position nouvelle d′ami de Gilberte, doué sur elle d′une excellente influence, me faisait maintenant bénéficier de la même faveur que si ayant eu pour camarade, dans un collège où on m′eût classé toujours premier, le fils d′un roi, j′avais dû à ce hasard mes petites entrées au Palais et des audiences dans la salle du trône; Swann avec une bienveillance infinie et comme s′il n′avait pas été surchargé d′occupations glorieuses, me faisait entrer dans sa bibliothèque et m′y laissait pendant une heure répondre par des balbutiements, des silences de timidité coupés de brefs et incohérents élans de courage, à des propos dont mon émoi m′empêchait de comprendre un seul mot; il me montrait des objets d′art et des livres qu′il jugeait susceptibles de m′intéresser et dont je ne doutais pas d′avance qu′ils ne passassent infiniment en beauté tous ceux que possèdent le Louvre et la Bibliothèque Nationale, mais qu′il m′était impossible de regarder. A ces moments-là son maître d′hôtel m′aurait fait plaisir en me demandant de lui donner ma montre, mon épingle de cravate, mes bottines et de signer un acte qui le reconnaissait pour mon héritier: selon la belle expression populaire dont, comme pour les plus célèbres épopées, on ne connaît pas l′auteur, mais qui comme elles et contrairement à la théorie de Wolf en a eu certainement un, (un de ces esprits inventifs et modestes ainsi qu′il s′en rencontre chaque année, lesquels font des trouvailles telles que «mettre un nom sur une figure» mais leur nom à eux, ils ne le font pas connaître), je ne savais plus ce que je faisais. Tout au plus m′étonnais-je quand la visite se prolongeait, à quel néant de réalisation, à quelle absence de conclusion heureuse, conduisaient ces heures vécues dans la demeure enchantée. Mais ma déception ne tenait ni à l′insuffisance des chefs-d′uvre montrés, ni à l′impossibilité d′arrêter sur eux un regard distrait. Car ce n′était pas la beauté intrinsèque des choses qui me rendait miraculeux d′être dans le cabinet de Swann, c′était l′adhérence à ces choses — qui eussent pu être les plus laides du monde — du sentiment particulier, triste et voluptueux que j′y localisais depuis tant d′années et qui l′imprégnait encore; de même la multitude des miroirs, des brosses d′argent, des autels à saint Antoine de Padoue sculptés et peints par les plus grands artistes, ses amis, n′étaient pour rien dans le sentiment de mon indignité et de sa bienveillance royale qui m′était inspirés quand Mme Swann me recevait un moment dans sa chambre où trois belles et imposantes créatures, sa première, sa deuxième et sa troisième femmes de chambre préparaient en souriant des toilettes merveilleuses, et vers laquelle sur l′ordre proféré par le valet de pied en culotte courte que madame désirait me dire un mot, je me dirigeais par le sentier sinueux d′un couloir tout embaumé à distance des essences précieuses qui exhalaient sans cesse du cabinet de toilette leurs effluves odoriférants. If I had now begun to explore, with tremors of reverence and joy the faery domain which, against all probability, had opened to me its hitherto locked approaches, this was still only in my capacity as a friend of Gilberte. The kingdom into which I was received was itself contained within another, more mysterious still, in which Swann and his wife led their supernatural existence and towards which they made their way, after taking my hand in theirs, when they crossed the hall at the same moment as myself but in the other direction. But soon I was to penetrate also to the heart of the Sanctuary. For instance, Gilberte might be out when I called, but M. or Mme. Swann was at home. They would ask who had rung, and on being told that it was myself would send out to ask me to come in for a moment and talk to them, desiring me to use in one way or another, and with this or that object in view, my influence over their daughter. I reminded myself of that letter, so complete, so convincing, which I had written to Swann only the other day, and which he had not deigned even to acknowledge. I marvelled at the impotence of the mind, the reason and the heart to effect the least conversion, to solve a single one of those difficulties which, in the sequel, life, without one′s so much as knowing what steps it has taken, so easily unravels. My new position as the friend of Gilberte, endowed with an excellent influence over her, entitling me now to enjoy the same favours as if, having had as a companion at some school where they had always put me at the head of my class the son of a king, I had owed to that accident the right of informal entry into the palace and to audiences in the throne-room, Swann, with an infinite benevolence and as though he were not over-burdened with glorious occupations, would make me go into his library and there let me for an hour on end respond in stammered monosyllables, timid silences broken by brief and incoherent bursts of courage, to utterances of which my emotion prevented me from understanding a single word; would shew me works of art and books which he thought likely to interest me, things as to which I had no doubt, before seeing them, that they infinitely surpassed in beauty anything that the Louvre possessed or the National Library, but at which I found it impossible to look. At such moments I should have been grateful to Swann′s butler, had he demanded from me my watch, my tie-pin, my boots, and made me sign a deed acknowledging him as my heir: in the admirable words of a popular expression of which, as of the most famous epics, we do not know who was the author, although, like those epics, and with all deference to Wolff and his theory, it most certainly had an author, one of those inventive, modest souls such as we come across every year, who light upon such gems as ‘putting a name to a face,′ though their own names they never let us learn, I did not know what I was doing. All the greater was my astonishment, when my visit was prolonged, at finding to what a zero of realisation, to what an absence of happy ending those hours spent in the enchanted dwelling led me. But my disappointment arose neither from the inadequacy of the works of art that were shewn to me nor from the impossibility of fixing upon them my distracted gaze. For it was not the intrinsic beauty of the objects themselves that made it miraculous for me to be sitting in Swann′s library, it was the attachment to those objects — which might have been the ugliest in the world — of the particular feeling, melancholy and voluptuous, which I had for so many years localised in that room and which still impregnated it; similarly the multitude of mirrors, of silver-backed brushes, of altars to Saint Anthony of Padua, carved and painted by the most eminent artists, her friends, counted for nothing in the feeling of my own unworthiness and of her regal benevolence which was aroused in me when Mme. Swann received me for a moment in her own room, in which three beautiful and impressive creatures, her principal and second and third maids, smilingly prepared for her the most marvellous toilets, and towards which, on the order conveyed to me by the footman in knee-breeches that Madame wished to say a few words to me, I would make my way along the tortuous path of a corridor all embalmed, far and near, by the precious essences which exhaled without ceasing from her dressing-room a fragrance exquisitely sweet.
Quand Mme Swann était retournée auprès de ses visites, nous l′entendions encore parler et rire, car même devant deux personnes et comme si elle avait eu à tenir tête à tous les «camarades», elle élevait la voix, lançait les mots, comme elle avait si souvent, dans le petit clan, entendu faire à la «patronne», dans les moments où celle-ci «dirigeait la conversation». Les expressions que nous avons récemment empruntées aux autres étant celles, au moins pendant un temps, dont nous aimons le plus à nous servir, Mme Swann choisissait tantôt celles qu′elle avait apprises de gens distingués que son mari n′avait pu éviter de lui faire connaître (c′est d′eux qu′elle tenait le maniérisme qui consiste à supprimer l′article ou le pronom démonstratif devant un adjectif qualifiant une personne) tantôt de plus vulgaires (par exemple: «C′est un rien!» mot favori d′une de ses amies) et cherchait à les placer dans toutes les histoires que, selon une habitude prise dans le «petit clan» elle aimait à raconter. Elle disait volontiers ensuite: «J′aime beaucoup cette histoire», «ah! avouez, c′est une bien belle histoire!»; ce qui lui venait, par son mari, des Guermantes qu′elle ne connaissait pas. When Mme. Swann had returned to her visitors, we could still hear her talking and laughing, for even with only two people in the room, and as though she had to cope with all the ‘good friends′ at once, she would raise her voice, ejaculate her words, as she had so often in the ‘little clan′ heard its ‘Mistress′ do, at the moments when she ‘led the conversation.′ The expressions which we have borrowed from other people being those which, for a time at least, we are fondest of using, Mme. Swann used to select at one time those which she had learned from distinguished people whom her husband had not managed to prevent her from getting to know (it was from them that she derived the mannerism which consists in suppressing the article or demonstrative pronoun, in French, before an adjective qualifying a person′s name), at another time others more plebeian (such as “It′s a mere nothing!” the favourite expression of one of her friends), and used to make room for them in all the stories which, by a habit formed among the ‘little clan,′ she loved to tell about people. She would follow these up automatically with, “I do love that story!” or “Do admit, it′s a very good story!” which came to her, through her husband, from the Guermantes, whom she did not know.
Mme Swann avait quitté la salle à manger, mais son mari qui venait de rentrer faisait à son tour une apparition auprès de nous. — «Sais-tu si ta mère est seule, Gilberte?» — «Non, elle a encore du monde, papa.» — «Comment, encore? à sept heures! C′est effrayant. La pauvre femme doit être brisée. C′est odieux. (A la maison j′avais toujours entendu, dans odieux, prononcer l′o long — audieux, — mais M. et Mme Swann disaient odieux, en faisant l′o bref.) Pensez, depuis deux heures de l′après-midi! reprenait-il en se tournant vers moi. Et Camille me disait qu′entre quatre et cinq heures, il est bien venu douze personnes. Qu′est-ce que je dis douze, je crois qu′il m′a dit quatorze. Non, douze; enfin je ne sais plus. Quand je suis rentré je ne songeais pas que c′était son jour, et en voyant toutes ces voitures devant la porte, je croyais qu′il y avait un mariage dans la maison. Et depuis un moment que je suis dans ma bibliothèque les coups de sonnette n′ont pas arrêté, ma parole d′honneur, j′en ai mal à la tête. Et il y a encore beaucoup de monde près d′elle?» — «Non, deux visites seulement.» — «Sais-tu qui?» — «Mme Cottard et Mme Bontemps.» — «Ah! la femme du chef de cabinet du ministre des Travaux publics.» — «J′sais que son mari est employé dans un ministère, mais j′sais pas au juste comme quoi», disait Gilberte en faisant l′enfant. Mme. Swann had left the dining-room, but her husband, who had just returned home, made his appearance among us in turn.′ “Do you know if your mother is alone, Gilberte?” “No, Papa, she has still some people.” “What, still? At seven o′clock! It′s appalling! The poor woman must be absolutely dead. It′s odious.” (At home I had always heard the first syllable of this word pronounced with a long ‘o,′ like ‘ode,′ but M. and Mme. Swann made it short, as in ‘odd.′) “Just think of it; ever since two o′clock this afternoon!” he went on, turning to me. “And Camille tells me that between four and five he let in at least a dozen people. Did I say a dozen? I believe he told me fourteen. No, a dozen; I don′t remember. When I came home I had quite forgotten it was her ‘day,′ and when I saw all those carriages outside the door I thought there must be a wedding in the house. And just now, while I′ve been in the library for a minute, the bell has never stopped ringing; upon my word, it′s given me quite a headache. And are there a lot of them in there still?” “No; only two.” “Who are they, do you know?” “Mme. Cottard and Mme. Bontemps.” “Oh! the wife of the Chief Secretary to the Minister of Posts.” “I know her husband′s a clerk in some Ministry or other, but I don′t know what he does.” Gilberte assumed a babyish manner.
— «Comment, petite sotte, tu parles comme si tu avais deux ans. Qu′est-ce que tu dis: employé dans un ministère? Il est tout simplement chef de cabinet, chef de toute la boutique, et encore, où ai-je la tête, ma parole je suis aussi distrait que toi, il n′est pas chef de cabinet, il est directeur du cabinet.» “What′s that? You silly child, you talk as if you were two years old. What do you mean; ‘a clerk in some Ministry or other′ indeed! He is nothing less than Chief Secretary, chief of the whole show, and what′s more — what on earth am I thinking of? Upon my word, I′m getting as stupid as yourself; he is not the Chief Secretary, he′s the Permanent Secretary.”
— «J′sais pas, moi; alors c′est beaucoup d′être le directeur du cabinet?» répondait Gilberte qui ne perdait jamais une occasion de manifester de l′indifférence pour tout ce qui donnait de la vanité à ses parents (elle pouvait d′ailleurs penser qu′elle ne faisait qu′ajouter à une relation aussi éclatante, en n′ayant pas l′air d′y attacher trop d′importance). “I don′t know, I′m sure; does that mean a lot, being Permanent Secretary?” answered Gilberte, who never let slip an opportunity of displaying her own indifference to anything that gave her parents cause for vanity. (She may, of course, have considered that she only enhanced the brilliance of such an acquaintance by not seeming to attach any undue importance to it.)
— Comment, si c′est beaucoup! s′écriait Swann qui préférait à cette modestie qui eût pu me laisser dans le doute, un langage plus explicite. Mais c′est simplement le premier après le ministre! C′est même plus que le ministre, car c′est lui qui fait tout. Il paraît du reste que c′est une capacité, un homme de premier ordre, un individu tout à fait distingué. Il est officier de la Légion d′honneur. C′est un homme délicieux, même fort joli garçon.» “I should think it did ‘mean a lot′!” exclaimed Swann, who preferred to this modesty, which might have left me in doubt, a more explicit mode of speech. “Why it means simply that he′s the first man after the Minister. In fact, he′s more important than the Minister, because it is he that does all the work. Besides, it appears that he has immense capacity, a man quite of the first rank, a most distinguished individual. He′s an Officer of the Legion of Honour. A delightful man, he is, and very good-looking too.”
Sa femme d′ailleurs l′avait épousé envers et contre tous parce que c′était un «être de charme». Il avait, ce qui peut suffire à constituer un ensemble rare et délicat, une barbe blonde et soyeuse, de jolis traits, une voix nasale, l′haleine forte et un il de verre. (This man′s wife, incidentally, had married him against everyone′s wishes and advica because he was a ‘charming creature.′ He had, what may be sufficient to constitute a rare and delicate whole, a fair, silky beard, good features, a nasal voice, powerful lungs and a glass eye.)
— «Je vous dirai, ajoutait-il en s′adressant à moi, que je m′amuse beaucoup de voir ces gens-là dans le gouvernement actuel, parce que ce sont les Bontemps, de la maison Bontemps-Chenut, le type de la bourgeoisie réactionnaire cléricale, à idées étroites. Votre pauvre grand-père a bien connu, au moins de réputation et de vue, le vieux père Chenut qui ne donnait qu′un sou de pourboire aux cochers bien qu′il fût riche pour l′époque, et le baron Bréau-Chenut. Toute la fortune a sombré dans le krach de l′Union Générale, vous êtres trop jeune pour avoir connu ça, et dame on s′est refait comme on a pu.» “I may tell you,” he added, turning again to me, “that I am greatly amused to see that lot serving in the present Government, because they are Bontemps of the Bontemps-Chenut family, typical old-fashioned middle-class people, reactionary, clerical, tremendously strait-laced. Your grandfather knew quite well — at least by name and by sight he must have known old Chenut, the father, who never tipped the cabmen more than a ha′penny, though he was a rich enough man for those days, and the Baron Bréau-Chenut. All their money went in the Union Générale smash — you′re too young to remember that, of course — and, gad! they′ve had to get it back as best they could.”
— «C′est l′oncle d′une petite qui venait à mon cours, dans une classe bien au-dessous de moi, la fameuse «Albertine». Elle sera sûrement très «fast» mais en attendant elle a une drôle de touche.» «Elle est étonnante ma fille, elle connaît tout le monde.» — «Je ne la connais pas. Je la voyais seulement passer, on criait Albertine par-ci, Albertine par-là. Mais je connais Mme Bontemps, et elle ne me plaît pas non plus.» “He′s the uncle of a little girl who used to come to my lessons, in a class a long way below mine, the famous ‘Albertine.′ She′s certain to be dreadfully ‘fast′ when she′s older, but just now she′s the quaintest spectacle.” “She is amazing, this daughter of mine. She knows everyone.” “I don′t know her. I only used to see her going about, and hear them calling ‘Albertine′ here, and ‘Albertine′ there. But I do know Mme. Bontemps, and I don′t like her much either.”
— «Tu as le plus grand tort, elle est charmante, jolie, intelligente. Elle est même spirituelle. Je vais aller lui dire bonjour, lui demander si son mari croit que nous allons avoir la guerre, et si on peut compter sur le roi Théodose. Il doit savoir cela, n′est-ce pas, lui qui est dans le secret des Dieux? “You are quite wrong; she is charming, pretty, intelligent. In fact, she′s quite clever. I shall go in and say how d′e do to her, and ask her if her husband thinks we′re going to have war, and whether we can rely on King Theodosius. He′s bound to know, don′t you think, since he′s in the counsels of the gods.”
Ce n′est pas ainsi que Swann parlait autrefois; mais qui n′a vu des princesses royales fort simples, si dix ans plus tard elles se sont fait enlever par un valet de chambre, et qu′elles cherchent à revoir du monde et sentent qu′on ne vient pas volontiers chez elles, prendre spontanément le langage des vieilles raseuses, et quand on cite une duchesse à la mode, ne les a entendues dire: «Elle était hier chez moi», et: «Je vis très à l′écart». Aussi est-il inutile d′observer les moeurs puisque on peut les déduire des lois psychologiques. It was not thus that Swann used to talk in days gone by; but which of us cannot call to mind some royal princess of limited intelligence who let herself be carried off by a footman, and then, ten years later, tried to get back into society, and found that people were not very willing to call upon her; have we not found her spontaneously adopting the language of all the old bores, and, when we referred to some duchess who was at the height of fashion, heard her say: “She came to see me only yesterday,” or “I live a very quiet life.” So that it is superfluous to make a study of manners, since we can deduce them all from psychological laws.
Les Swann participaient à ce travers des gens chez qui peu de monde va; la visite, l′invitation, une simple parole aimable de personnes un peu marquantes étaient pour eux un événement auquel ils souhaitaient de donner de la publicité. Si la mauvaise chance voulait que les Verdurin fussent à Londres quand Odette avait eu un dîner un peu brillant, on s′arrangeait pour que par quelque ami commun la nouvelle leur en fût câblée outre-Manche. Il n′est pas jusqu′aux lettres, aux télégrammes flatteurs reçus par Odette, que les Swann ne fussent incapables de garder pour eux. On en parlait aux amis, on les faisait passer de mains en mains. Le salon des Swann ressemblait ainsi à ces hôtels de villes d′eaux où on affiche les dépêches. The Swanns shared this eccentricity of people who have not many friends; a visit, an invitation, a mere friendly word from some one ever so little prominent were for them events to which they aspired to give full publicity. If bad luck would have it that the Verdurins were in London when Odette gave a rather smart dinner-party, arrangements were made by which some common friend was to ‘cable′ a report to them across the Channel. Even the complimentary letters and telegrams received by Odette the Swanns were incapable of keeping to themselves. They spoke of them to their friends, passed them from hand to hand. Thus the Swanns′ drawing-room reminded one of a seaside hotel where telegrams containing the latest news are posted up on a board.
Du reste, les personnes qui n′avaient pas seulement connu l′ancien Swann en dehors du monde, comme j′avais fait, mais dans le monde, dans ce milieu Guermantes, où, en exceptant les Altesses et les Duchesses on était d′une exigence infinie pour l′esprit et le charme, où on prononçait l′exclusive pour des hommes éminents, qu′on trouvait ennuyeux ou vulgaires, ces personnes-là auraient pu s′étonner en constatant que l′ancien Swann avait cessé d′être non seulement discret quand il parlait de ses relations mais difficile quand il s′agissait de les choisir. Comment Mme Bontemps, si commune, si méchante, ne l′exaspérait-elle pas? Comment pouvait-il la déclarer agréable? Le souvenir du milieu Guermantes, aurait dû l′en empêcher semblait-il; en réalité il l′y aidait. Il y avait certes chez les Guermantes, à l′encontre des trois quarts des milieux mondains, du goût, un goût raffiné même, mais aussi du snobisme, d′où possibilité d′une interruption momentanée dans l′exercice du goût. S′il s′agissait de quelqu′un qui n′était pas indispensable à cette coterie, d′un ministre des Affaires étrangères, républicain un peu solennel, d′un académicien bavard, le goût s′exerçait à fond contre lui, Swann plaignait Mme de Guermantes d′avoir dîné à côté de pareils convives dans une ambassade et on leur préférait mille fois un homme élégant, c′est-à-dire un homme du milieu Guermantes, bon à rien, mais possédant l′esprit des Guermantes, quelqu′un qui était de la même chapelle. Seulement, une grande-duchesse, une princesse du sang dînait-elle souvent chez Mme de Guermantes, elle se trouvait alors faire partie de cette chapelle elle aussi, sans y avoir aucun droit, sans en posséder en rien l′esprit. Mais avec la naîµ¥té des gens du monde, du moment qu′on la recevait, on s′ingéniait à la trouver agréable, faute de pouvoir se dire que c′est parce qu′on l′avait trouvée agréable qu′on la recevait. Swann, venant au secours de Mme de Guermantes, lui disait quand l′Altesse était partie: «Au fond elle est bonne femme, elle a même un certain sens du comique. Mon Dieu je ne pense pas qu′elle ait approfondi la Critique de la Raison pure, mais elle n′est pas déplaisante.» — «Je suis absolument de votre avis, répondait la duchesse. Et encore elle était intimidée, mais vous verrez qu′elle peut être charmante.» — «Elle est bien moins embêtante que Mme XJ (la femme de l′académicien bavard, laquelle était remarquable) qui vous cite vingt volumes.» — «Mais il n′y a même pas de comparaison possible.» La faculté de dire de telles choses, de les dire sincèrement, Swann l′avait acquise chez la duchesse, et conservée. Il en usait maintenant à l′égard des gens qu′il recevait. Il s′efforçait à discerner, à aimer en eux les qualités que tout être humain révèle, si on l′examine avec une prévention favorable et non avec le dégoût des délicats; il mettait en valeur les mérites de Mme Bontemps comme autrefois ceux de la princesse de Parme, laquelle eût dû être exclue du milieu Guermantes, s′il n′y avait pas eu entrée de faveur pour certaines altesses et si même quand il s′agissait d′elles on n′eût vraiment considéré que l′esprit et un certain charme. On a vu d′ailleurs autrefois que Swann avait le goût (dont il faisait maintenant une application seulement plus durable) d′échanger sa situation mondaine contre une autre qui dans certaines circonstances lui convenait mieux. Il n′y a que les gens incapables de décomposer, dans leur perception, ce qui au premier abord paraît indivisible, qui croient que la situation fait corps avec la personne. Un même être, pris à des moments successifs de sa vie, baigne à différents degrés de l′échelle sociale dans des milieux qui ne sont pas forcément de plus en plus élevés; et chaque fois que dans une période autre de l′existence, nous nouons, ou renouons, des liens avec un certain milieu, que nous nous y sentons choyés, nous commençons tout naturellement à nous y attacher en y poussant d′humaines racines. Still, people who had known the old Swann not merely outside society, as I had known him, but in society, in that Guermantes set which, with certain concessions to Highnesses and Duchesses, was almost infinitely exacting in the matter of wit and charm, from which banishment was sternly decreed for men of real eminence whom its members found boring or vulgar — such people might have been astonished to observe that their old Swann had ceased to be not only discreet when he spoke of his acquaintance, but difficult when he was called upon to enlarge it. How was it that Mme. Bontemps, so common, so ill-natured, failed to exasperate him? How could he possibly describe her as attractive? The memory of the Guermantes set must, one would suppose, have prevented him; as a matter of fact it encouraged him. There was certainly among the Guermantes, as compared with the great majority of groups in society, taste, indeed a refined taste, but also a snobbishness from which there arose the possibility of a momentary interruption in the exercise of that taste. If it were a question of some one who was not indispensable to their circle, of a Minister for Foreign Affairs, a Republican and inclined to be pompous, or of an Academician who talked too much, their taste would be brought to bear heavily against him, Swann would condole with Mme. de Guermantes on having had to sit next to such people at dinner at one of the Embassies, and they would a thousand times rather have a man of fashion, that is to say a man of the Guermantes kind, good for nothing, but endowed with the wit of the Guermantes, some one who was ‘of the same chapel′ as themselves. Only, a Grand Duchess, a Princess of the Blood, should she dine often with Mme. de Guermantes, would soon find herself enrolled in that chapel also, without having any right to be there, without being at all so endowed. But with the simplicity of people in society, from the moment they had her in their houses they went out of their way to find her attractive, since they were unable to say that it was because she was attractive that they invited her. Swann, coming to the rescue of Mme. de Guermantes, would say to her after the Highness had gone: “After all, she′s not such a bad woman; really, she has quite a sense of the comic. I don′t suppose for a moment that she has mastered the Critique of Pure Reason; still, she is not unattractive.” “Oh, I do so entirely agree with you!” the Duchess would respond. “Besides, she was a little frightened of us all; you will see that she can be charming.” “She is certainly a great deal less devastating than Mme. X——” (the wife of the talkative Academician, and herself a remarkable woman) “who quotes twenty volumes at you.” “Oh, but there isn′t any comparison between them.” The faculty of saying such things as these, and of saying them sincerely, Swann had acquired from the Duchess, and had never lost. He made use of it now with reference to the people who came to his house. He forced himself to distinguish, and to admire in them the qualities that every human being will display if we examine him with a prejudice in his favour, and not with the distaste of the nice-minded; he extolled the merits of Mme. Bon-temps, as he had once extolled those of the Princesse de Parme, who must have been excluded from the Guermantes set if there had not been privileged terms of admission for certain Highnesses, and if, when they presented themselves for election, no consideration had indeed been paid except to wit and charm. We have seen already, moreover, that Swann had always an inclination (which he was now putting into practice, only in a more lasting fashion) to exchange his social position for another which, in certain circumstances, might suit him better. It is only people incapable of analysing, in their perception, what at first sight appears indivisible who believe that one′s position is consolidated with one′s person. One and the same man, taken at successive points in his life, will be found to breathe, at different stages on the social ladder, in atmospheres that do not of necessity become more and more refined; whenever, in any period of our existence, we form or re-form associations with a certain environment, and feel that we can move at ease in it and are made comfortable, we begin quite naturally to make ourselves fast to it by putting out roots and tendrils.
Pour ce qui concerne Mme Bontemps, je crois aussi que Swann en parlant d′elle avec cette insistance n′était pas fâché de penser que mes parents apprendraient qu′elle venait voir sa femme. A vrai dire, à la maison, le nom des personnes que celle-ci arrivait peu à peu à connaître, piquait plus la curiosité qu′il n′excitait d′admiration. Au nom de Mme Trombert, ma mère disait: In so far as Mme. Bontemps was concerned, I believe also that Swann, in speaking of her with so much emphasis, was not sorry to think that my parents would hear that she had been to see his wife. To tell the truth, in our house the names of the people whom Mme. Swann was gradually getting to know pricked our curiosity more than they aroused our admiration. At the name of Mme. Trombert, my mother exclaimed:
— «Ah! mais voilà une nouvelle recrue et qui lui en amènera d′autres.» “Ah! That′s a new recruit, and one who will bring in others.”
Et comme si elle eût comparé la façon un peu sommaire, rapide et violente dont Mme Swann conquérait ses relations à une guerre coloniale, maman ajoutait:And as though she found a similarity between the somewhat summary, rapid and violent manner in which Mme. Swann acquired her friends, as it were by conquest, and a Colonial expedition, Mamma went on to observe:
— «Maintenant que les Trombert sont soumis, les tribus voisines ne tarderont pas à se rendre.»“Now that the Tromberts have surrendered, the neighbouring tribes will not be long in coming in.”
Quand elle croisait dans la rue Mme Swann, elle nous disait en rentrant:If she had passed Mme. Swann in the street, she would tell us when she came home:
— «J′ai aperçu Mme Swann sur son pied de guerre, elle devait partir pour quelque offensive fructueuse chez les Masséchutos, les Cynghalais ou les Trombert.»“I saw Mme. Swann in all her war-paint; she must have been embarking on some triumphant offensive against the Massachutoes, or the Cingalese, or the Tromberts.”
Et toutes les personnes nouvelles que je lui disais avoir vues dans ce milieu un peu composite et artificiel où elles avaient souvent été amenées assez difficilement et de mondes assez différents, elle en devinait tout de suite l′origine et parlait d′elles comme elle aurait fait de trophées chèrement achetés; elle disait: — «Rapporté d′une Expédition chez les un tel.»And so with all the new people whom I told her that I had seen in that somewhat composite and artificial society, to which they had often been brought with great difficulty and from widely different surroundings, Mamma would at once divine their origin, and, speaking of them as of trophies dearly bought, would say: “Brought back from an Expedition against the so-and-so!”
Pour Mme Cottard, mon père s′étonnait que Mme Swann pût trouver quelque avantage à attirer cette bourgeoise peu élégante et disait: «Malgré la situation du professeur, j′avoue que je ne comprends pas.» Ma mère, elle, au contraire, comprenait très bien; elle savait qu′une grande partie des plaisirs qu′une femme trouve à pénétrer dans un milieu différent de celui où elle vivait autrefois lui manquerait si elle ne pouvait informer ses anciennes relations de celles, relativement plus brillantes par lesquelles elle les a remplacées. Pour cela il faut un témoin qu′on laisse pénétrer dans ce monde nouveau et délicieux, comme dans une fleur un insecte bourdonnant et volage, qui ensuite, au hasard de ses visites, répandra, on l′espère du moins, la nouvelle, le germe dérobé d′envie et d′admiration. Mme Cottard toute trouvée pour remplir ce rôle rentrait dans cette catégorie spéciale d′invités que maman qui avait certains côtés de la tournure d′esprit de son père, appelait des: «Etranger, va dire à Sparte!» D′ailleurs — en dehors d′une autre raison qu′on ne sut que bien des années après — Mme Swann en conviant cette amie bienveillante, réservée et modeste, n′avait pas craint d′introduire chez soi, à ses «jours» brillants, un traître ou une concurrente. Elle savait le nombre énorme de calices bourgeois que pouvait, quand elle était armée de l′aigrette et du porte-cartes, visiter en un seul après-midi cette active ouvrière. Elle en connaissait le pouvoir de dissémination et en se basant sur le calcul des probabilités, était fondée à penser que, très vraisemblablement, tel habitué des Verdurin, apprendrait dès le surlendemain que le gouverneur de Paris avait mis des cartes chez elle, ou que M. Verdurin lui-même entendrait raconter que M. Le Hault de Pressagny, président du Concours Hippique, les avait emmenés, elle et Swann, au gala du roi Théodose; elle ne supposait les Verdurin informés que de ces deux événements flatteurs pour elle parce que les matérialisations particulières sous lesquelles nous nous représentons et nous poursuivons la gloire, sont peu nombreuses par le défaut de notre esprit qui n′est pas capable d′imaginer à la fois toutes les formes que nous espérons bien d′ailleurs — en gros — que, simultanément, elle ne manquera pas de revêtir pour nous. As for Mme. Cottard, my father was astonished that Mme. Swann could find anything to be gained by getting so utterly undistinguished a woman to come to her house, and said: “In spite of the Professor′s position, I must say that I cannot understand it.” Mamma, on the other hand, understood quite well; she knew that a great deal of the pleasure which a woman finds in entering a class of society different from that in which she has previously lived would be lacking if she had no means of keeping her old associates informed of those others, relatively more brilliant, with whom she has replaced them. Therefore, she requires an eye-witness who may be allowed to penetrate this new, delicious world (as a buzzing, browsing insect bores its way into a flower) and will then, as the course of her visits may carry her, spread abroad, or so at least one hopes, with the tidings, a latent germ of envy and of wonder. Mme. Cottard, who might have been created on purpose to fill this part, belonged to that special category in a visiting list which Mamma (who inherited certain facets of her father′s turn of mind) used to call the ‘Tell Sparta′ people. Besides — apart from another reason which did not come to our knowledge until many years later — Mme. Swann, in inviting this good-natured, reserved and modest friend, had no need to fear lest she might be introducing into her drawing-room, on her brilliant ‘days,′ a traitor or a rival. She knew what a vast number of homely blossoms that busy worker, armed with her plume and card-case, could visit in a single afternoon. She knew the creature′s power of dissemination, and, basing her calculations upon the law of probability, was led to believe that almost certainly some intimate of the Verdurins would be bound to hear, within two or three days, how the Governor of Paris had left cards upon her, or that M. Verdurin himself would be told how M. Le Hault de Pressagny, the President of the Horse Show, had taken them, Swann and herself, to the King Theodosius gala; she imagined the Verdurins as informed of these two events, both so flattering to herself and of these alone, because the particular materialisations in which we embody and pursue fame are but few in number, by the default of our own minds which are incapable of imagining at one time all the forms which, none the less, we hope — in a general way — that fame will not fail simultaneously to assume for our benefit.
D′ailleurs, Mme Swann n′avait obtenu de résultats que dans ce qu′on appelait le «monde officiel». Les femmes élégantes n′allaient pas chez elle. Ce n′était pas la présence de notabilités républicaines qui les avaient fait fuir. Au temps de ma petite enfance, tout ce qui appartenait à la société conservatrice était mondain, et dans un salon bien posé on n′eût pas pu recevoir un républicain. Les personnes qui vivaient dans un tel milieu s′imaginaient que l′impossibilité de jamais inviter un «opportuniste», à plus forte raison un affreux radical, était une chose qui durerait toujours, comme les lampes à huile et les omnibus à chevaux. Mais pareille aux kaléidoscopes qui tournent de temps en temps, la société place successivement de façon différente des éléments qu′on avait cru immuables et compose une autre figure. Je n′avais pas encore fait ma première communion, que des dames bien pensantes avaient la stupéfaction de rencontrer en visite une juive élégante. Ces dispositions nouvelles du kaléidoscope sont produites par ce qu′un philosophe appellerait un changement de critère. L′affaire Dreyfus en amena un nouveau, à une époque un peu postérieure à celle où je commençais à aller chez Mme Swann, et le kaléidoscope renversa une fois de plus ses petits losanges colorés. Tout ce qui était juif passa en bas fût-ce la dame élégante, et des nationalistes obscurs montèrent prendre sa place. Le salon le plus brillant de Paris fut celui d′un prince autrichien et ultra-catholique. Qu′au lieu de l′affaire Dreyfus il fût survenu une guerre avec l′Allemagne, le tour du kaléidoscope se fût produit dans un autre sens. Les juifs ayant à l′étonnement général, montré qu′ils étaient patriotes, auraient gardé leur situation et personne n′aurait plus voulu aller ni même avouer être jamais allé chez le prince autrichien. Cela n′empêche pas que chaque fois que la société est momentanément immobile, ceux qui y vivent s′imaginent qu′aucun changement n′aura plus lieu, de même qu′ayant vu commencer le téléphone, ils ne veulent pas croire à l′aéroplane. Cependant, les philosophes du journalisme flétrissent la période précédente, non seulement le genre de plaisirs que l′on y prenait et qui leur semble le dernier mot de la corruption, mais même les uvres des artistes et des philosophes qui n′ont plus à leurs yeux aucune valeur, comme si elles étaient reliées indissolublement aux modalités successives de la frivolité mondaine. La seule chose qui ne change pas est qu′il semble chaque fois qu′il y ait «quelque chose de changé en France». Au moment où j′allai chez Mme Swann, l′affaire Dreyfus n′avait pas encore éclaté, et certains grands juifs étaient fort puissants. Aucun ne l′était plus que sir Rufus Israels dont la femme lady Israels était la tante de Swann. Elle n′avait pas personnellement des intimités aussi élégantes que son neveu qui d′autre part ne l′aimant pas ne l′avait jamais beaucoup cultivée, quoiqu′il dût vraisemblablement être son héritier. Mais c′était la seule des parentes de Swann qui eût conscience de la situation mondaine de celui-ci, les autres étant toujours restées à cet égard dans la même ignorance qui avait été longtemps la nôtre. Quand, dans une famille, un des membres émigre dans la haute société — ce qui lui semble à lui un phênomène unique, mais ce qu′à dix ans de distance il constate avoir été accompli d′une autre façon et pour des raisons différentes par plus d′un jeune homme avec qui il avait été élevé — il décrit autour de lui une zone d′ombre, une terra incognita, fort visible en ses moindres nuances pour tous ceux qui l′habitent, mais qui n′est que nuit et pur néant pour ceux qui n′y pénétrent pas et la côtoient sans en soupçonner, tout près d′eux, l′existence. Aucune Agence Havas n′ayant renseigné les cousines de Swann sur les gens qu′il fréquentait, c′est (avant son horrible mariage bien entendu) avec des sourires de condescendance qu′on se racontait dans les dîners de famille qu′on avait «vertueusement» employé son dimanche à aller voir le «cousin Charles» que, le croyant un peu envieux et parent pauvre on appelait spirituellement, en jouant sur le titre du roman de Balzac: «Le Cousin Bête». Lady Rufus Israels, elle, savait à merveille qui étaient ces gens qui prodiguaient à Swann une amitié dont elle était jalouse. La famille de son mari qui était à peu près l′équivalent des Rothschild faisait depuis plusieurs générations les affaires des princes d′Orléans. Lady Israels, excessivement riche, disposait d′une grande influence et elle l′avait employée à ce qu′aucune personne qu′elle connaissait ne reçût Odette. Une seule avait désobéi, en cachette. C′était la comtesse de Marsantes. Or, le malheur avait voulu qu′Odette étant allé faire visite à Mme De Marsantes, lady Israels était entrée presque en même temps. Mme De Marsantes était sur des épines. Avec la lâcheté des gens qui pourtant pourraient tout se permettre, elle n′adressa pas une fois la parole à Odette qui ne fut pas encouragée à pousser désormais plus loin une incursion dans un monde qui du reste n′était nullement celui où elle eût aimé être reçue. Dans ce complet désintéressement du faubourg Saint-Germain, Odette continuait à être la cocotte illettrée bien différente des bourgeois ferrés sur les moindres points de généalogie et qui trompent dans la lecture des anciens mémoires la soif des relations aristocratiques que la vie réelle ne leur fournit pas. Et Swann d′autre part, continuait sans doute d′être l′amant à qui toutes ces particularités d′une ancienne maîtresse semblent agréables ou inoffensives, car souvent j′entendis sa femme proférer de vraies hérésies mondaines sans que (par un reste de tendresse, un manque d′estime, ou la paresse de la perfectionner) il cherchât à les corriger. C′était peut-être aussi là une forme de cette simplicité qui nous avait si longtemps trompés à Combray et qui faisait maintenant que continuant à connaître, au moins pour son compte, des gens très brillants, il ne tenait pas à ce que dans la conversation on eût l′air dans le salon de sa femme de leur trouver quelque importance. Ils en avaient d′ailleurs moins que jamais pour Swann, le centre de gravité de sa vie s′étant déplacé. En tous cas l′ignorance d′Odette en matière mondaine était telle que si le nom de la princesse de Guermantes venait dans la conversation après celui de la duchesse, sa cousine: «Tiens, ceux-là sont princes, ils ont donc monté en grade, disait Odette.» Si quelqu′un disait: «le prince» en parlant du duc de Chartres, elle rectifiait: «Le duc, il est duc de Chartres et non prince.» Pour le duc d′Orléans, fils du comte de Paris: «C′est drôle, le fils est plus que le père», tout en ajoutant comme elle était anglomane: «On s′y embrouille dans ces «Royalties»; et à une personne qui lui demandait de quelle province étaient les Guermantes, elle répondit: «de l′Aisne». Mme. Swann had, however, met with no success outside what was called the ‘official world.′ Smart women did not go to her house. It was not the presence there of Republican ‘notables′ that frightened them away. In the days of my early childhood, conservative society was to the last degree worldly, and no ‘good′ house would ever have opened its doors to a Republican. The people who lived in such an atmosphere imagined that the impossibility of ever inviting an ‘opportunist′— still more, a ‘horrid radical′— to their parties was something that would endure for ever, like oil-lamps and horse-drawn omnibuses. But, like a kaleidoscope which is every now and then given a turn, society arranges successively in different orders elements which one would have supposed to be immovable, and composes a fresh pattern. Before I had made my first Communion, ladies on the ‘right side′ in politics had had the stupefaction of meeting, while paying calls, a smart Jewess. These new arrangements of the kaleidoscope are produced by what a philosopher would call a ‘change of criterion.′ The Dreyfus case brought about another, at a period rather later than that in which I began to go to Mme. Swann′s, and the kaleidoscope scattered once again its little scraps of colour. Everything Jewish, even the smart lady herself, fell out of the pattern, and various obscure nationalities appeared in its place. The most brilliant drawing-room in Paris was that of a Prince who was an Austrian and ultra-Catholic. If instead of the Dreyfus case there had come a war with Germany, the base of the kaleidoscope would have been turned in the other direction, and its pattern reversed. The Jews having shewn, to the general astonishment, that they were patriots also, would have kept their position, and no one would have cared to go any more, or even to admit that he had ever gone to the Austrian Prince′s. All this does not, however, prevent the people who move in it from imagining, whenever society is stationary for the moment, that no further change will occur, just as in spite of having witnessed the birth of the telephone they decline to believe in the aeroplane. Meanwhile the philosophers of journalism are at work, castigating the preceding epoch, and not only the kind of pleasures in which it indulged, which seem to them to be the last word in corruption, but even the work of its artists and philosophers, which have no longer the least value in their eyes, as though they were indissolubly linked to the successive moods of fashionable frivolity. The one thing that does not change is that at any and every time it appears that there have been ‘great changes.′ At the time when I went to Mme. Swann′s the Dreyfus storm had not yet broken, and some of the more prominent Jews were extremely powerful. None more so than Sir Rufus Israels, whose wife, Lady Israels, was Swann′s aunt. She had not herself any intimate acquaintance so distinguished as her nephew′s, while he, since he did not care for her, had never much cultivated her society, although he was, so far as was known, her heir. But she was the only one of Swann′s relatives who had any idea of his social position, the others having always remained in the state of ignorance, in that respect, which had long been our own. When, from a family circle, one of its members emigrates into ‘high society′— which to him appears a feat without parallel until after the lapse of a decade he observes that it has been performed in other ways and for different reasons by more than one of the men whom he knew as boys — he draws round about himself a zone of shadow, a terra incognita, which is clearly visible in its minutest details to all those who inhabit it with him, but is darkest night and nothingness to those who may not penetrate it but touch its fringe without the least suspicion of its existence in their midst. There being no news agency to furnish Swann′s lady cousins with intelligence of the people with whom he consorted, it was (before his appalling marriage, of course) with a smile of condescension that they would tell one another, over family dinner-tables, that they had spent a ‘virtuous′ Sunday in going to see ‘cousin Charles,′ whom (regarding him as a ‘poor relation′ who was inclined to envy their prosperity,) they used wittily to name, playing upon the title of Balzac′s story, Le Cousin Bête. Lady Israels, however, was letter-perfect in the names and quality of the people who lavished upon Swann a friendship of which she was frankly jealous. Her husband′s family, which almost equalled the Rothschilds in importance, had for several generations managed the affairs of the Orleans Princes. Lady Israels, being immensely rich, exercised a wide influence, and had employed it so as to ensure that no one whom she knew should be ‘at home′ to Odette. One only had disobeyed her, in secret, the Comtesse de Marsantes. And then, as ill luck would have it, Odette having gone to call upon Mme. de Marsantes, Lady Israels had entered the room almost at her heels. Mme. de Marsantes was on tenter-hooks. With the craven impotence of those who are at liberty to act as they choose, she did not address a single word to Odette, who thus found little encouragement to press further the invasion of a world which, moreover, was not at all that into which she would have liked to be welcomed. In this complete detachment of the Faubourg Saint-Germain, Odette continued to be regarded as the illiterate ‘light woman,′ utterly different from the respectable ladies, ‘well up′ in all the minutest points of genealogy, who endeavoured to quench by reading biographies and memoirs their thirst for the aristocratic relations with which real life had omitted to provide them. And Swann, for his part, continued no doubt to be the lover in whose eyes all these peculiarities of an old mistress would appear lovable or at least inoffensive, for I have often heard his wife profess what were really social heresies, without his attempting (whether from lingering affection for her, loss of regard for society or weariness of the effort to make her perfect) to correct them. It was perhaps also another form of the simplicity which for so long had misled us at Combray, and which now had the effect that, while he continued to know, on his own account at least, many highly distinguished people, he did not make a point, in conversation in his wife′s drawing-room, of our seeming to feel that they were of the smallest importance. They had, indeed, less than ever for Swann, the centre of gravity of his life having been displaced. In any case, Odette′s ignorance of social distinctions was so dense that if the name of the Princesse de Guermantes were mentioned in conversation after that of the Duchess, her cousin, “So those ones are Princes, are they?” she would exclaim; “Why, they′ve gone up a step.” Were anyone to say “the Prince,” in speaking of the Duc de Chartres, she would put him right with, “The Duke, you mean; he is Duc de Chartres, not Prince.” As for the Duc d′Orléans, son of the Comte de Paris: “That′s funny; the son is higher than the father!” she would remark, adding, for she was afflicted with anglomania, “Those Royalties are so dreadfully confusing!”— while to someone who asked her from what province the Guermantes family came she replied, “From the Aisne.”
Swann était du reste aveugle, en ce qui concernait Odette, non seulement devant ces lacunes de son éducation, mais aussi devant la médiocrité de son intelligence. Bien plus; chaque fois qu′Odette racontait une histoire bête, Swann écoutait sa femme avec une complaisance, une gaieté, presque une admiration où il devait entrer des restes de volupté; tandis que, dans la même conversation, ce que lui-même pouvait dire de fin, même de profond, était écouté par Odette, habituellement sans intérêt, assez vite, avec impatience et quelquefois contredit avec sévérité. Et on conclura que cet asservissement de l′élite à la vulgarité est de règle dans bien des ménages, si l′on pense, inversement, à tant de femmes supérieures qui se laissent charmer par un butor, censeur impitoyable de leurs plus délicates paroles, tandis qu′elles s′extasient, avec l′indulgence infinie de la tendresse, devant ses facéties les plus plates. Pour revenir aux raisons qui empêchèrent à cette époque Odette de pénétrer dans le faubourg Saint-Germain, il faut dire que le plus récent tour du kaléidoscope mondain avait été provoqué par une série de scandales. Des femmes chez qui on allait en toute confiance avaient été reconnues être des filles publiques, des espionnes anglaises. On allait pendant quelque temps demander aux gens, on le croyait du moins, d′être avant tout, bien posés, bien assis . . . Odette représentait exactement tout ce avec quoi on venait de rompre et d′ailleurs immédiatement de renouer (car les hommes ne changeant pas du jour au lendemain cherchent dans un nouveau régime la continuation de l′ancien) mais en le cherchant sous une forme différente qui permît d′être dupe et de croire que ce n′était plus la société d′avant la crise. Or, aux dames «brûlées» de cette société, Odette ressemblait trop. Les gens du monde sont fort myopes; au moment où ils cessent toutes relations avec des dames israélites qu′ils connaissaient, pendant qu′ils se demandent comment remplacer ce vide, ils aperçoivent, poussée là comme à la faveur d′une nuit d′orage, une dame nouvelle, israélite aussi; mais grâce à sa nouveauté, elle n′est pas associée dans leur esprit comme les précédentes, avec ce qu′ils croient devoir détester. Elle ne demande pas qu′on respecte son Dieu. On l′adopte. Il ne s′agissait pas d′antisémitisme à l′époque où je commençai d′aller chez Odette. Mais elle était pareille à ce qu′on voulait fuir pour un temps. But, so far as Odette was concerned, Swann was quite blind, not merely to these deficiencies in her education but to the general mediocrity of her intelligence. More than that; whenever Odette repeated a silly story Swann would sit listening to his wife with a complacency, a merriment, almost an admiration into which some survival of his desire for her must have entered; while in the same conversation, anything subtle, anything deep even that he himself might say would be listened to by Odette with an habitual lack of interest, rather curtly, with impatience, and would at times be sharply contradicted. And we must conclude that this enslavement of refinement by vulgarity is the rule in many households, when we think, conversely, of all the superior women who yield to the blandishments of a boor, merciless in his censure of their most delicate utterances, while they go into ecstasies, with the infinite indulgence of love, over the feeblest of his witticisms. To return to the reasons which prevented Odette, at this period, from making her way into the Faubourg Saint-Germain, it must be observed that the latest turn of the social kaleidoscope had been actuated by a series of scandals. Women to whose houses one had been going with entire confidence had been discovered to be common prostitutes, if not British spies. One would, therefore, for some time to come expect people (so, at least, one supposed) to be, before anything else, in a sound position, regular, settled, accountable. Odette represented simply everything with which one had just severed relations, and was incidentally to renew them at once (for men, their natures not altering from day to day, seek in every new order a continuance of the old) but to renew them by seeking it under another form which would allow one to be innocently taken in, and to believe that it was no longer the same society as before the disaster. However, the scapegoats of that society and Odette were too closely alike. People who move in society are very short-sighted; at the moment in which they cease to have any relations with the Israelite ladies whom they have known, while they are asking themselves how they are to fill the gap thus made in their lives, they perceive, thrust into it as by the windfall of a night of storm, a new lady, an Israelite also; but by virtue of her novelty she is not associated in their minds with her predecessors, with what they are convinced that they must abjure. She does not ask that they shall respect her God. They take her up. There was no question of anti-semitism at the time when I used first to visit Odette. But she was like enough to it to remind people of what they wished, for a while, to avoid.
Swann, lui, allait souvent faire visite à quelques-unes de ses relations d′autrefois et par conséquent appartenant toutes au plus grand monde. Pourtant, quand il nous parlait des gens qu′il venait d′aller voir, je remarquai qu′entre celles qu′il avait connues jadis, le choix qu′il faisait était guidé par cette même sorte de goût, mi-artistique, mi-historique, qui inspirait chez lui le collectionneur. Et remarquant que c′était souvent telle ou telle grande dame déclassée qui l′intéressait parce qu′elle avait été la maîtresse de Liszt ou qu′un roman de Balzac avait été dédié à sa grand′mère (comme il achetait un dessin si Châteaubriand l′avait décrit), j′eus le soupçon que nous avions remplacé à Combray l′erreur de croire Swann un bourgeois n′allant pas dans le monde, par une autre, celle de le croire un des hommes les plus élégants de Paris. Etre l′ami du Comte de Paris ne signifie rien. Combien y en a-t-il de ces «amis des Princes» qui ne seraient pas reçus dans un salon un peu fermé. Les princes se savent princes, ne sont pas snobs et se croient d′ailleurs tellement au-dessus de ce qui n′est pas de leur sang que grands seigneurs et bourgeois leur apparaissent, au-dessous d′eux, presque au même niveau. As for Swann himself, he was still a frequent visitor of several of his former acquaintance, who, of course, were all of the very highest rank. And yet when he spoke to us of the people whom he had just been to see I noticed that, among those whom he had known in the old days, the choice that he made was dictated by the same kind of taste, partly artistic, partly historic, that inspired him as a collector. And remarking that it was often some great lady or other of waning reputation, who interested him because she had been the mistress of Liszt or because one of Balzac′s novels was dedicated to her grandmother (as he would purchase a drawing if Chateaubriand had written about it) I conceived a suspicion that we had, at Combray, replaced one error, that of regarding Swann as a mere stockbroker, who did not go into society, by another, when we supposed him to be one of the smartest men in Paris. To be a friend of the Comte de Paris meant nothing at all. Is not the world full of such ‘friends of Princes,′ who would not be received in any house that was at all ‘exclusive′? Princes know themselves to be princes, and are not snobs; besides, they believe themselves to be so far above everything that is not of their blood royal that great nobles and ‘business men′ appear, in the depths beneath them, to be practically on a level.
Au reste, Swann ne se contentait pas de chercher dans la société telle qu′elle existe et en s′attachant aux noms que le passé y a inscrits et qu′on peut encore y lire, un simple plaisir de lettré et d′artiste, il goûtait un divertissement assez vulgaire à faire comme des bouquets sociaux en groupant des éléments hétérogènes, en réunissant des personnes prises ici et là. Ces expériences de sociologie amusante (ou que Swann trouvait telle) n′avaient pas sur toutes les amies de sa femme — du moins d′une façon constante — une répercussion identique. «J′ai l′intention d′inviter ensemble les Cottard et la duchesse de Vendôme», disait-il en riant à Mme Bontemps, de l′air friand d′un gourmet qui a l′intention et veut faire l′essai de remplacer dans une sauce, les clous de girofle par du poivre de Cayenne. Or ce projet qui allait paraître en effet plaisant, dans le sens ancien du mot, aux Cottard, avait le don d′exaspérer Mme Bontemps. Elle avait été récemment présentée par les Swann à la duchesse de Vendôme et avait trouvé cela aussi agréable que naturel. En tirer gloire auprès des Cottard, en le leur racontant, n′avait pas été la partie la moins savoureuse de son plaisir. Mais comme les nouveaux décorés qui, dès qu′ils le sont, voudraient voir se fermer aussitôt le robinet des croix, Mme Bontemps eût souhaité qu′après elle, personne de son monde à elle ne fût présenté à la princesse. Elle maudissait intérieurement le goût dépravé de Swann qui lui faisait, pour réaliser une misérable bizarrerie esthétique, dissiper d′un seul coup toute la poudre qu′elle avait jetée aux yeux des Cottard en leur parlant de la duchesse de Vendôme. Comment allait-elle même oser annoncer à son mari que le professeur et sa femme allaient à leur tour avoir leur part de ce plaisir qu′elle lui avait vanté comme unique. Encore si les Cottard avaient pu savoir qu′ils n′étaient pas invités pour de bon, mais pour l′amusement. Il est vrai que les Bontemps l′avaient été de même, mais Swann ayant pris à l′aristocratie cet éternel don juanisme qui entre deux femmes de rien fait croire à chacune que ce n′est qu′elle qu′on aime sérieusement, avait parlé à Mme Bontemps de la duchesse de Vendôme comme d′une personne avec qui il était tout indiqué qu′elle dînât. «Oui, nous comptons inviter la princesse avec les Cottard, dit, quelques semaines plus tard Mme Swann, mon mari croit que cette conjonction pourra donner quelque chose d′amusant?» car si elle avait gardé du «petit noyau» certaines habitudes chères à Mme Verdurin comme de crier très fort pour être entendue de tous les fidèles, en revanche, elle employait certaines expressions — comme «conjonction» — chères au milieu Guermantes duquel elle subissait ainsi à distance et à son insu comme la mer le fait pour la lune, l′attraction, sans pourtant se rapprocher sensiblement de lui. «Oui, les Cottard et la duchesse de Vendôme, est-ce que vous ne trouvez pas que cela sera drôle?» demanda Swann. «Je crois que ça marchera très mal et que ça ne vous attirera que des ennuis, il ne faut pas jouer avec le feu», répondit Mme Bontemps, furieuse. Elle et son mari furent, d′ailleurs, ainsi que le prince d′Agrigente, invités à ce dîner, que Mme Bontemps et Cottard eurent deux manières de raconter, selon les personnes à qui ils s′adressaient. Aux uns, Mme Bontemps de son côté, Cottard du sien, disaient négligemment quand on leur demandait qui il y avait d′autre au dîner: «Il n′y avait que le prince d′Agrigente, c′était tout à fait intime.» Mais d′autres, risquaient d′être mieux informés (même une fois quelqu′un avait dit à Cottard: «Mais est-ce qu′il n′y avait pas aussi les Bontemps?» «Je les oubliais», avait en rougissant répondu Cottard au maladroit qu′il classa désormais dans la catégorie des mauvaises langues). Pour ceux-là les Bontemps et les Cottard adoptèrent chacun, sans s′être consultés une version dont le cadre était identique et où seuls leurs noms respectifs étaient interchangés. Cottard disait: «Hé bien, il y avait seulement les maîtres de maison, le duc et la duchesse de Vendôme — (en souriant avantageusement) le professeur et Mme Cottard, et ma foi du diable, si on a jamais su pourquoi, car ils allaient là comme des cheveux sur la soupe, M. et Mme Bontemps.» Mme Bontemps récitait exactement le même morceau, seulement c′était M. et Mme Bontemps qui étaient nommés avec une emphase satisfaite, entre la duchesse de Vendôme et le prince d′Agrigente, et les pelés qu′à la fin elle accusait de s′être invités eux-mêmes et qui faisaient tache, c′était les Cottard. But Swann went farther than this; not content with seeking in society, such as it was, when he fastened upon the names which, inscribed upon its roll by the past, were still to be read there, a simple artistic and literary pleasure, he indulged in the slightly vulgar diversion of arranging as it were social nosegays by grouping heterogeneous elements, bringing together people taken at hazard, here, there and everywhere. These experiments in the lighter side (or what was to Swann the lighter side) of sociology did not stimulate an identical reaction, with any regularity, that is to say, in each of his wife′s friends. “I′m thinking of asking the Cottards to meet the Duchesse de Vendôme,” he would laughingly say to Mme. Bontemps, in the appetised tone of an epicure who has thought of, and intends to try the substitution, in a sauce, of cayenne pepper for cloves. But this plan, which was, in fact, to appear quite humorous, in an archaic sense of the word, to the Cottards, had also the power of infuriating Mme. Bontemps. She herself had recently been presented by the Swanns to the Duchesse de Vendôme, and had found this as agreeable as it seemed to her natural. The thought of winning renown from it at the Cottards′, when she related to them what had happened, had been by no means the least savoury ingredient of her pleasure. But like those persons recently decorated who, their investiture once accomplished, would like to see the fountain of honour turned off at the main, Mme. Bontemps would have preferred that, after herself, no one else in her own circle of friends should be made known to the Princess. She denounced (to herself, of course) the licentious taste of Swann who, in order to gratify a wretched aesthetic whim, was obliging her to scatter to the winds, at one swoop, all the dust that she would have thrown in the eyes of the Cottards when she told them about the Duchesse de Vendôme. How was she even to dare to announce to her husband that the Professor and his wife were in their turn to partake of this pleasure, of which she had boasted to him as though it were unique. And yet, if the Cottards could only be made to know that they were being invited not seriously but for the amusement of their host! It is true that the Bontemps had been invited for the same reason, but Swann, having acquired from the aristocracy that eternal ‘Don Juan′ spirit which, in treating with two women of no importance, makes each of them believe that it is she alone who is seriously loved, had spoken to Mme. Bontemps of the Duchesse de Vendôme as of a person whom it was clearly laid down that she must meet at dinner. “Yes, we′re determined to have the Princess here with the Cottards,” said Mme. Swann a few weeks later; “My husband thinks that we might get something quite amusing out of that conjunction.” For if she had retained from the ‘little nucleus′ certain habits dear to Mme. Verdurin, such as that of shouting things aloud so as to be heard by all the faithful, she made use, at the same time, of certain expressions, such as ‘conjunction,′ which were dear to the Guermantes circle, of which she thus felt unconsciously and at a distance, as the sea is swayed by the moon, the attraction, though without being drawn perceptibly closer to it. “Yes, the Cottards and the Duchesse de Vendôme. Don′t you think that might be rather fun?” asked Swann. “I think they′ll be exceedingly ill-assorted, and it can only lead to a lot of bother; people oughtn′t to play with fire, is what I say!” snapped Mme. Bontemps, furious. She and her husband were, all the same, invited, as was the Prince d′Agrigente, to this dinner, which Mme. Bontemps and Cottard had each two alternative ways of describing, according to whom they were telling about it. To one set Mme. Bontemps for her part, and Cottard for his would say casually, when asked who else had been of the party: “Only the Prince d′Agrigente; it was all quite intimate.” But there were others who might, alas, be better informed (once, indeed, some one had challenged Cottard with: “But weren′t the Bontemps there too?” “Oh, I forgot them,” Cottard had blushingly admitted to the tactless questioner whom he ever afterwards classified among slanderers and speakers of evil). For these the Bontemps and Cottards had each adopted, without any mutual arrangement, a version the framework of which was identical for both parties, their own names alone changing places. “Let me see;” Cottard would say, “there were our host and hostess, the Due and Duchesse de Vendôme —” (with a satisfied smile) “Professor and Mme. Cottard, and, upon my soul, heaven only knows how they got there, for they were about as much in keeping as hairs in the soup, M. and Mme. Bontemps!” Mme. Bontemps would recite an exactly similar ‘piece,′ only it was M. and Mme. Bontemps who were named with a satisfied emphasis between the Duchesse de Vendôme and the Prince d′Agrigente, while the ‘also ran,′ whom finally she used to accuse of having invited themselves, and who completely spoiled the party, were the Cottards.
De ses visites Swann rentrait souvent assez peu de temps avant le dîner. A ce moment de six heures du soir où jadis il se sentait si malheureux, il ne se demandait plus ce qu′Odette pouvait être en train de faire et s′inquiétait peu qu′elle eût du monde chez elle, ou fût sortie. Il se rappelait parfois qu′il avait bien des années auparavant essayé un jour de lire à travers l′enveloppe une lettre adressée par Odette à Forcheville. Mais ce souvenir ne lui était pas agréable et plutôt que d′approfondir la honte qu′il ressentait, il préférait se livrer à une petite grimace du coin de la bouche complétée au besoin d′un hochement de tête qui signifiait: «qu′est-ce que ça peut me faire?» Certes, il estimait maintenant que l′hypothèse à laquelle il s′était souvent arrêté jadis et d′après quoi c′étaient les imaginations de sa jalousie qui seules noircissaient la vie, en réalité innocente, d′Odette, que cette hypothèse (en somme bienfaisante puisque tant qu′avait duré sa maladie amoureuse elle avait diminué ses souffrances en les lui faisant paraître imaginaires) n′était pas la vraie, que c′était sa jalousie qui avait vu juste, et que si Odette l′avait aimé plus qu′il n′avait cru, elle l′avait aussi trompé davantage. Autrefois pendant qu′il souffrait tant, il s′était juré que dès qu′il n′aimerait plus Odette, et ne craindrait plus de la fâcher ou de lui faire croire qu′il l′aimait trop, il se donnerait la satisfaction d′élucider avec elle, par simple amour de la vérité et comme un point d′histoire, si oui ou non Forcheville était couché avec elle le jour où il avait sonné et frappé au carreau sans qu′on lui ouvrît, et où elle avait écrit à Forcheville que c′était un oncle à elle qui était venu. Mais le problème si intéressant qu′il attendait seulement la fin de sa jalousie pour tirer au clair, avait précisément perdu tout intérêt aux yeux de Swann, quand il avait cessé d′être jaloux. Pas immédiatement pourtant. Il n′éprouvait déjà plus de jalousie à l′égard d′Odette, que le jour des coups frappés en vain par lui dans l′après-midi à la porte du petit hôtel de la rue Lapérouse, avait continué à en exciter chez lui. C′était comme si la jalousie, pareille un peu en cela à ces maladies qui semblent avoir leur siège, leur source de contagionnement, moins dans certaines personnes que dans certains lieux, dans certaines maisons, n′avait pas eu tant pour objet Odette elle-même que ce jour, cette heure du passé perdu où Swann avait frappé à toutes les entrées de l′hôtel d′Odette. On aurait dit que ce jour, cette heure avaient seuls fixé quelques dernières parcelles de la personnalité amoureuse que Swann avait eue autrefois et qu′il ne les retrouvait plus que là. Il était depuis longtemps insoucieux qu′Odette l′eût trompé et le trompât encore. Et pourtant il avait continué pendant quelques années à rechercher d′anciens domestiques d′Odette, tant avait persisté chez lui la douloureuse curiosité de savoir si ce jour-là, tellement ancien, à six heures, Odette était couchée avec Forcheville. Puis cette curiosité elle-même avait disparu, sans pourtant que ses investigations cessassent. Il continuait à tâcher d′apprendre ce qui ne l′intéressait plus, parce que son moi ancien parvenu à l′extrême décrépitude, agissait encore machinalement, selon des préoccupations abolies au point que Swann ne réussissait même plus à se représenter cette angoisse, si forte pourtant autrefois qu′il ne pouvait se figurer alors qu′il s′en délivrât jamais et que seule la mort de celle qu′il aimait (la mort qui, comme le montrera plus loin dans ce livre, une cruelle contre-épreuve, ne diminue en rien les souffrances de la jalousie) lui semblait capable d′aplanir pour lui la route entièrement barrée, de sa vie. When he had been paying calls Swann would often come home with little time to spare before dinner. At that point in the evening, six o′clock, when in the old days he had felt so wretched, he no longer asked himself what Odette might be about, and was hardly at all concerned to hear that she had people still with her, or had gone out. He recalled at times that he had once, years ago, tried to read through its envelope a letter addressed by Odette to Forcheville. But this memory was not pleasing to him, and rather than plumb the depth of shame that he felt in it he preferred to indulge in a little grimace, twisting up the corners of his mouth and adding, if need be, a shake of the head which signified “What does it all matter?” In truth, he considered now that the hypothesis by which he had often been brought to a standstill in days gone by, according to which it was his jealous imagination alone that blackened what was in reality the innocent life of Odette — that this hypothesis (which after all was beneficent, since, so long as his amorous malady had lasted, it had diminished his sufferings by making them seem imaginary) was not the truth, that it was his jealousy that had seen things in the right light, and that if Odette had loved him better than he supposed, she had deceived him more as well. Formerly, while his sufferings were still keen, he had vowed that, as soon as he should have ceased to love Odette, and so to be afraid either of vexing her or of making her believe that he loved her more than he did, he would afford himself the satisfaction of elucidating with her, simply from his love of truth and as a historical point, whether or not she had had Forcheville in her room that day when he had rung her bell and rapped on her window without being let in, and she had written to Forcheville that it was an uncle of hers who had called. But this so interesting problem, of which he was waiting to attempt the solution only until his jealousy should have subsided, had precisely lost all interest in Swann′s eyes when he had ceased to be jealous. Not immediately, however. He felt no other jealousy now with regard to Odette than what the memory of that day, that afternoon spent in knocking vainly at the little house in the Rue La Pérouse, had continued to excite in him; as though his jealousy, not dissimilar in that respect from those maladies which appear to have their seat, their centre of contagion less in certain persons than in certain places, in certain houses, had had for its object not so much Odette herself as that day, that hour in the irrevocable past when Swann had beaten at every entrance to her house in turn. You would have said that that day, that hour alone had caught and preserved a few last fragments of the amorous personality which had once been Swann′s, and that there alone could he now recapture them. For a long time now it had made no matter to him that Odette had been false to him, and was false still. And yet he had continued for some years to seek out old servants of Odette, so strongly in him persisted the painful curiosity to know whether on that day, so long ago, at six o′clock, Odette had been in bed with Forcheville. Then that curiosity itself had disappeared, without, however, his abandoning his investigations. He continued the attempt to discover what no longer interested him, because his old ego though it had shrivelled to the extreme of decrepitude still acted mechanically, following the course of preoccupations so utterly abandoned that Swann could not now succeed even in forming an idea of that anguish — so compelling once that he had been unable to foresee his ever being delivered from it, that only the death of her whom he loved (death which, as will be shewn later on in this story, by a cruel example, in no way diminishes the sufferings caused by jealousy) seemed to him capable of making smooth the road, then insurmountably barred to him, of his life.
Mais éclaircir un jour les faits de la vie d′Odette auxquels il avait dû ces souffrances n′avait pas été le seul souhait de Swann; il avait mis en réserve aussi celui de se venger d′elles, quand n′aimant plus Odette il ne la craindrait plus; or, d′exaucer ce second souhait, l′occasion se présentait justement car Swann aimait une autre femme, une femme qui ne lui donnait pas de motifs de jalousie mais pourtant de la jalousie parce qu′il n′était plus capable de renouveler sa façon d′aimer et que c′était celle dont il avait usé pour Odette qui lui servait encore pour une autre. Pour que la jalousie de Swann renaquît, il n′était pas nécessaire que cette femme fût infidèle, il suffisait que pour une raison quelconque, elle fût loin de lui, à une soirée par exemple, et eût paru s′y amuser. C′était assez pour réveiller en lui l′ancienne angoisse, lamentable et contradictoire excroissance de son amour, et qui éloignait Swann de ce qu′elle était comme un besoin d′atteindre (le sentiment réel que cette jeune femme avait pour lui, le désir caché de ses journées, le secret de son cur), car entre Swann et celle qu′il aimait cette angoisse interposait un amas réfractaire de soupçons antérieurs, ayant leur cause en Odette, ou en telle autre peut-être qui avait précédé Odette, et qui ne permettaient plus à l′amant vieilli de connaître sa maîtresse d′aujourd′hui qu′à travers le fantôme ancien et collectif de la «femme qui excitait sa jalousie» dans lequel il avait arbitrairement incarné son nouvel amour. Souvent pourtant Swann l′accusait, cette jalousie, de le faire croire à des trahisons imaginaires; mais alors il se rappelait qu′il avait fait bénéficier Odette du même raisonnement, et à tort. Aussi tout ce que la jeune femme qu′il aimait faisait aux heures où il n′était pas avec elle, cessait de lui paraître innocent. Mais alors qu′autrefois, il avait fait le serment, si jamais il cessait d′aimer celle qu′il ne devinait pas devoir être un jour sa femme, de lui manifester implacablement son indifférence, enfin sincère, pour venger son orgueil longtemps humilié, ces représailles qu′il pouvait exercer maintenant sans risques (car que pouvait lui faire d′être pris au mot et privé de ces tête-à-tête avec Odette qui lui étaient jadis si nécessaires), ces représailles il n′y tenait plus; avec l′amour avait disparu le désir de montrer qu′il n′avait plus d′amour. Et lui qui, quand il souffrait par Odette eût tant désiré de lui laisser voir un jour qu′il était épris d′une autre, maintenant qu′il l′aurait pu, il prenait mille précautions pour que sa femme ne soupçonnât pas ce nouvel amour. But to bring to light, some day, those passages in the life of Odette to which he owed his sufferings had not been Swann′s only ambition; he had in reserve that also of wreaking vengeance for his sufferings when, being no longer in love with Odette, he should no longer be afraid of her; and the opportunity of gratifying this second ambition had just occurred, for Swann was in love with another woman, a woman who gave him — grounds for jealousy, no, but who did all the same make him jealous, because he was not capable, now, of altering his way of making love, and it was the way he had used with Odette that must serve him now for another. To make Swann′s jealousy revive it was not essential that this woman should be unfaithful, it sufficed that for any reason she was separated from him, at a party for instance, where she was presumably enjoying herself. That was enough to reawaken in him the old anguish, that lamentable and inconsistent excrescence of his love, which held Swann ever at a distance from what she really was, like a yearning to attain the impossible (what this young woman really felt for him, the hidden longing that absorbed her days, the secret places of her heart), for between Swann and her whom he loved this anguish piled up an unyielding mass of already existing suspicions, having their cause in Odette, or in some other perhaps who had preceded Odette, allowing this now ageing lover to know his mistress of the moment only in the traditional and collective phantasm of the ‘woman who made him jealous,′ in which he had arbitrarily incarnated his new love. Often, however, Swann would charge his jealousy with the offence of making him believe in imaginary infidelities; but then he would remember that he had given Odette the benefit of the same argument and had in that been wrong. And so everything that the young woman whom he loved did in those hours when he was not with her appeared spoiled of its innocence in his eyes. But whereas at that other time he had made a vow that if ever he ceased to love her whom he did not then imagine to be his future wife, he would implacably exhibit to her an indifference that would at length be sincere, so as to avenge his pride that had so long been trampled upon by her — of those reprisals which he might now enforce without risk to himself (for what harm could it do him to be taken at his word and deprived of those intimate moments with Odette that had been so necessary to him once), of those reprisals he took no more thought; with his love had vanished the desire to shew that he was in love no longer. And he who, when he was suffering at the hands of Odette, would have looked forward so keenly to letting her see one day that he had fallen to a rival, now that he was in a position to do so took infinite precautions lest his wife should suspect the existence of this new love.
Â… Â…
Ce ne fut pas seulement à ces goûters, à cause desquels j′avais eu autrefois la tristesse de voir Gilberte me quitter et rentrer plus tôt, que désormais je pris part, mais les sorties qu′elle faisait avec sa mère, soit pour aller en promenade ou à une matinée, et qui en l′empêchant de venir aux Champs-Élysées m′avaient privé d′elle, les jours où je restais seul le long de la pelouse ou devant les chevaux de bois, ces sorties maintenant M. et Mme Swann m′y admettaient, j′avais une place dans leur landau et même c′était à moi qu′on demandait si j′aimais mieux aller au théâtre, à une leçon de danse chez une camarade de Gilberte, à une réunion mondaine chez des amies des Swann (ce que celle-ci appelait «un petit meeting») ou visiter les tombeaux de Saint-Denis. It was not only in those tea-parties, on account of which I had formerly had the sorrow of seeing Gilberte leave me and go home earlier than usual, that I was henceforth to take part, but the engagements that she had with her mother, to go for a walk or to some afternoon party, which by preventing her from coming to the Champs-Elysées had deprived me of her, on those days when I loitered alone upon the lawn or stood before the wooden horses — to these outings M. and Mme. Swann henceforth admitted me, I had a seat in their landau, and indeed it was me that they asked if I would rather go to the theatre, to a dancing lesson at the house of one of Gilberte′s friends, to some social gathering given by friends of her parents (what Odette called ‘a little meeting′) or to visit the tombs at Saint-Denis.
Ces jours où je devais sortir avec les Swann, je venais chez eux pour le déjeuner, que Mme Swann appelait le lunch; comme on n′était invité que pour midi et demi et qu′à cette époque mes parents déjeunaient à onze heures un quart, c′est après qu′ils étaient sortis de table que je m′acheminais vers ce quartier luxueux, assez solitaire à toute heure, mais particulièrement à celle-là où tout le monde était rentré. Même l′hiver et par la gelée s′il faisait beau, tout en resserrant de temps à autre le nud d′une magnifique cravate de chez Charvet et en regardant si mes bottines vernies ne se salissaient pas, je me promenais de long en large dans les avenues en attendant midi vingt-sept. J′apercevais de loin dans le jardinet des Swann, le soleil qui faisait étinceler comme du givre, les arbres dénudés. Il est vrai que ce jardinet n′en possédait que deux. L′heure indue faisait nouveau le spectacle. A ces plaisirs de nature (qu′avivait la suppression de l′habitude, et même la faim), la perspective émotionnante de déjeuner chez Mme Swann se mêlait, elle ne les diminuait pas, mais les dominant, les asservissait, en faisait des accessoires mondains; de sorte que si, à cette heure où d′ordinaire je ne les percevais pas, il me semblait découvrir le beau temps, le froid, la lumière hivernale, c′était comme une sorte de préface aux ufs à la crème, comme une patine, un rose et frais glacis ajoutés au revêtement de cette chapelle mystérieuse qu′était la demeure de Mme Swann et au cur de laquelle il y avait au contraire tant de chaleur, de parfums et de fleurs. On days when I was going anywhere with the Swanns I would arrive at the house in time for déjeuner, which Mme. Swann called ‘le lunch′; as one was not expected before half-past twelve, while my parents in those days had their meal at a quarter past eleven, it was not until they had risen from the table that I made my way towards that sumptuous quarter, deserted enough at any hour, but more particularly just then, when everyone had gone indoors. Even on winter days of frost, if the weather held, tightening every few minutes the knot of a gorgeous necktie from Charvet′s and looking to see that my varnished boots were not getting dirty, I would roam to and fro among the avenues, waiting until twenty-seven minutes past the hour. I could see from afar in the Swanns′ little garden-plot the sunlight glittering like hoar frost from the bare-boughed trees. It is true that the garden boasted but a pair of them. The unusual hour presented the scene in a new light. Into these pleasures of nature (intensified by the suppression of habit and indeed by my physical hunger) the thrilling prospect of sitting down to luncheon with Mme. Swann was infused; it did not diminish them, but taking command of them trained them to its service; so that if, at this hour when ordinarily I did not perceive them, I seemed now to be discovering the fine weather, the cold, the wintry sunlight, it was all as a sort of preface to the creamed eggs, as a patina, a cool and coloured glaze applied to the decoration of that mystic chapel which was the habitation of Mme. Swann, and in the heart of which there were, by contrast, so much warmth, so many scents and flowers.
A midi et demi, je me décidais enfin à entrer dans cette maison qui, comme un gros soulier de Noël me semblait devoir m′apporter de surnaturels plaisirs. (Le nom de Noël était du reste inconnu à Mme Swann et à Gilberte qui l′avaient remplacé par celui de Christmas, et ne parlaient que du pudding de Christmas, de ce qu′on leur avait donné pour leur Christmas, de s′absenter — ce qui me rendait fou de douleur — pour Christmas. Même à la maison, je me serais cru déshonoré en parlant de Noël et je ne disais plus que Christmas, ce que mon père trouvait extrêmement ridicule.) At half-past twelve I would finally make up my mind to enter that house which, like an immense Christmas stocking, seemed ready to bestow upon me supernatural delights. (The French name ‘Noël′ was, by the way, unknown to Mme. Swann and Gilberte, who had substituted for it the English ‘Christmas,′ and would speak of nothing but ‘Christmas pudding,′ what people had given them as ‘Christmas presents′ and of going away — the thought of which maddened me with grief —‘for Christmas.′ At home even, I should have thought it degrading to use the word ‘Noël,′ and always said ‘Christmas,′ which my father considered extremely silly.)
Je ne rencontrais d′abord qu′un valet de pied qui, après m′avoir fait traverser plusieurs grands salons m′introduisait dans un tout petit, vide, que commençait déjà à faire rêver l′après-midi bleu de ses fenêtres; je restais seul en compagnie d′orchidées, de roses et de violettes qui — pareilles à des personnes qui attendent à côté de vous mais ne vous connaissent pas, — gardaient un silence que leur individualité de choses vivantes rendait plus impressionnant et recevaient frileusement la chaleur d′un feu incandescent de charbon, précieusement posé derrière une vitrine de cristal, dans une cuve de marbre blanc où il faisait écrouler de temps à autre ses dangereux rubis. I encountered no one at first but a footman who after leading me through several large drawing-rooms shewed me into one that was quite small, empty, its windows beginning to dream already in the blue light of afternoon; I was left alone there in the company of orchids, roses and violets, which, like people who are kept waiting in a room beside you but do not know you, preserved a silence which their individuality as living things made all the more impressive, and received coldly the warmth of a glowing fire of coals, preciously displayed behind a screen of crystal, in a basin of white marble over which it spilled, now and again, its perilous rubies.
Je m′étais assis, mais me levais précipitamment en entendant ouvrir la porte; ce n′était qu′un second valet de pied, puis un troisième, et le mince résultat auquel aboutissaient leurs allées et venues inutilement émouvantes était de remettre un peu de charbon dans le feu ou d′eau dans les vases. Ils s′en allaient, je me retrouvais seul, une fois refermée la porte que Mme Swann finirait bien par ouvrir. Et, certes, j′eusse été moins troublé dans un antre magique que dans ce petit salon d′attente où le feu me semblait procéder à des transmutations, comme dans le laboratoire de Klingsor. Un nouveau bruit de pas retentissait, je ne me levais pas, ce devait être encore un valet de pied, c′était M. Swann. «Comment? vous êtes seul? Que voulez-vous, ma pauvre femme n′a jamais pu savoir ce que c′est que l′heure. Une heure moins dix. Tous les jours c′est plus tard. Et vous allez voir, elle arrivera sans se presser en croyant qu′elle est en avance.» Et comme il était resté neuro-arthritique, et devenu un peu ridicule, avoir une femme si inexacte qui rentrait tellement tard du Bois, qui s′oubliait chez sa couturière, et n′était jamais à l′heure pour le déjeuner, cela inquiétait Swann pour son estomac, mais le flattait dans son amour-propre. I had sat down, but I rose hurriedly on hearing the door opened; it was only another footman, and then a third, and the minute result that their vainly alarming entrances and exits achieved was to put a little more coal on the fire or water in the vases. They departed, I found myself alone, once that door was shut which Mme. Swann was surely soon going to open. Of a truth, I should have been less ill at ease in a magician′s cave than in this little waiting-room where the fire appeared to me to be performing alchemical transmutations as in Klingsor′s laboratory. Footsteps sounded afresh, I did not rise, it was sure to be just another footman; it was M. Swann. “What! All by yourself? What is one to do; that poor wife of mine has never been able to remember what time means! Ten minutes to one. She gets later every day. And you′ll see, she will come sailing in without the least hurry, and imagine she′s in heaps of time.” And as he was still subject to neuritis, and as he was becoming a trifle ridiculous, the fact of possessing so unpunctual a wife, who came in so late from the Bois, forgot everything at her dressmaker′s and was never in time for luncheon made Swann anxious for his digestion but flattered his self-esteem.
Il me montrait des acquisitions nouvelles qu′il avait faites et m′en expliquait l′intérêt, mais l′émotion, jointe au manque d′habitude d′être encore à jeun à cette heure-là, tout en agitant mon esprit y faisait le vide, de sorte que capable de parler je ne l′étais pas d′entendre. D′ailleurs aux uvres que possédait Swann, il suffisait pour moi qu′elles fussent situées chez lui, y fissent partie de l′heure délicieuse qui précédait le déjeuner. La Joconde se serait trouvée là qu′elle ne m′eût pas fait plus de plaisir qu′une robe de chambre de Mme Swann, ou ses flacons de sel. He shewed me his latest acquisitions and explained their interest to me, but my emotion, added to the unfamiliarity of being still without food at this hour, sweeping through my mind left it void, so that while able to speak I was incapable of hearing. Anyhow, so far as the works of art in Swann′s possession were concerned, it was enough for me that they were contained in his house, formed a part there of the delicious hour that preceded luncheon. The Gioconda herself might have appeared there without giving me any more pleasure than one of Mme. Swann′s indoor gowns, or her scent bottles.
Je continuais à attendre, seul, ou avec Swann et souvent Gilberte, qui était venue nous tenir compagnie. L′arrivée de Mme Swann, préparée par tant de majestueuses entrées, me paraissait devoir être quelque chose d′immense. J′épiais chaque craquement. Mais on ne trouve jamais aussi hauts qu′on avait espérés, une cathédrale, une vague dans la tempête, le bond d′un danseur; après ces valets de pied en livrée, pareils aux figurants dont le cortège, au théâtre, prépare, et par là même diminue l′apparition finale de la reine, Mme Swann entrant furtivement en petit paletot de loutre, sa voilette baissée sur un nez rougi par le froid, ne tenait pas les promesses prodiguées dans l′attente à mon imagination. I continued to wait, alone or with Swann, and often with Gilberte, come in to keep us company. The arrival of Mme. Swann, prepared for me by all those majestic apparitions, must (so it seemed to me) be something truly immense. I strained my ears to catch the slightest sound. But one never finds quite as high as one has been expecting a cathedral, a wave in a storm, a dancer′s leap in the air; after those liveried footmen, suggesting the chorus whose processional entry upon the stage leads up to and at the same time diminishes the final appearance of the queen, Mme. Swann, creeping furtively in, with a little otter-skin coat, her veil lowered to cover a nose pink-tipped by the cold, did not fulfil the promises lavished, while I had been waiting, upon my imagination.
Mais si elle était restée toute la matinée chez elle, quand elle arrivait dans le salon, c′était vêtue d′un peignoir en crêpe de Chine de couleur claire qui me semblait plus élégant que toutes les robes. But if she had stayed at home all morning, when she arrived in the drawing-room she would be clad in a wrapper of crêpe-de-Chine, brightly coloured, which seemed to me more exquisite than any of her dresses.
Quelquefois les Swann se décidaient à rester à la maison tout l′après-midi. Et alors, comme on avait déjeuné si tard, je voyais bien vite sur le mur du jardinet décliner le soleil de ce jour qui m′avait paru devoir être différent des autres, et les domestiques avaient beau apporter des lampes de toutes les grandeurs et de toutes les formes, brûlant chacune sur l′autel consacré d′une console, d′un guéridon, d′une «encoignure» ou d′une petite table, comme pour la célébration d′un culte inconnu, rien d′extraordinaire ne naissait de la conversation et je m′en allais déçu, comme on l′est souvent dès l′enfance après la messe de minuit. Sometimes the Swanns decided to remain in the house all afternoon, and then, as we had had luncheon so late, very soon I must watch setting, beyond the garden-wall, the sun of that day which had seemed to me bound to be different from other days; then in vain might the servants bring in lamps of every size and shape, burning each upon the consecrated altar of a console, a card-table, a corner-cupboard, a bracket, as though for the celebration of some strange and secret rite; nothing extraordinary transpired in the conversation, and I went home disappointed, as one often is in one′s childhood after the midnight mass.
Mais ce désappointement là n′était guère que spirituel. Je rayonnais de joie dans cette maison où Gilberte, quand elle n′était pas encore avec nous, allait entrer, et me donnerait dans un instant, pour des heures, sa parole, son regard attentif et souriant tel que je l′avais vu pour la première fois à Combray. Tout au plus étais-je un peu jaloux en la voyant souvent disparaître dans de grandes chambres auxquelles on accédait par un escalier intérieur. Obligé de rester au salon, comme l′amoureux d′une actrice qui n′a que son fauteuil à l′orchestre et rêve avec inquiétude de ce qui se passe dans les coulisses, au foyer des artistes, je posai à Swann, au sujet de cette autre partie de la maison, des questions savamment voilées, mais sur un ton duquel je ne parvins pas à bannir quelque anxiété. Il m′expliqua que la pièce où allait Gilberte était la lingerie, s′offrit à me la montrer et me promit que chaque fois que Gilberte aurait à s′y rendre il la forcerait à m′y emmener. Par ces derniers mots et la détente qu′ils me procurèrent, Swann supprima brusquement pour moi une de ces affreuses distances intérieures au terme desquelles une femme que nous aimons nous apparaît si lointaine. A ce moment-là, j′éprouvai pour lui une tendresse que je crus plus profonde que ma tendresse pour Gilberte. Car maître de sa fille, il me la donnait et elle, elle se refusait parfois; je n′avais pas directement sur elle ce même empire qu′indirectement par Swann. Enfin elle, je l′aimais et ne pouvais par conséquent la voir sans ce trouble, sans ce désir de quelque chose de plus, qui ôte, auprès de l′être qu′on aime, la sensation d′aimer. But my disappointment was scarcely more than mental. I was radiant with happiness in this house where Gilberte, when she was still not with us, was about to appear and would bestow on me in a moment, and for hours to come, her speech, her smiling and attentive gaze, just as I had caught it, that first time, at Combray. At the most I was a trifle jealous when I saw her so often disappear into vast rooms above, reached by a private staircase. Obliged myself to remain in the drawing-room, like a man in love with an actress who is confined to his stall ‘in front′ and wonders anxiously what is going on behind the scenes, in the green-room, I put to Swann, with regard to this other part of the house questions artfully veiled, but in a tone from which I could not quite succeed in banishing the note of uneasiness. He explained to me that the place to which Gilberte had gone was the linen-room, offered himself to shew it to me, and promised me that whenever Gilberte Had occasion to go there again he would insist upon her taking me with her. By these last words and the relief which they brought me Swann at once annihilated for me one of those terrifying interior perspectives at the end of which a woman with whom we are in love appears so remote. At that moment I felt for him an affection which I believed to be deeper than my affection for Gilberte. For he, being the master over his daughter, was giving her to me, whereas she, she withheld herself now and then, I had not the same direct control over her as I had indirectly through Swann. Besides, it was she whom I loved and could not, therefore look upon without that disturbance, without that desire for something more which destroys in us, in the presence of one whom we love, the sensation of loving.
Au reste, le plus souvent, nous ne restions pas à la maison, nous allions nous promener. Parfois avant d′aller s′habiller, Mme Swann se mettait au piano. Ses belles mains, sortant des manches roses, ou blanches, souvent de couleurs très vives, de sa robe de chambre de crêpe de Chine, allongeaient leurs phalanges sur le piano avec cette même mélancolie qui était dans ses yeux et n′était pas dans son cur. Ce fut un de ces jours-là qu′il lui arriva de me jouer la partie de la Sonate de Vinteuil où se trouve la petite phrase que Swann avait tant aimée. Mais souvent on n′entend rien, si c′est une musique un peu compliquée qu′on écoute pour la première fois. Et pourtant quand plus tard on m′eut joué deux ou trois fois cette Sonate, je me trouvai la connaître parfaitement. Aussi n′a-t-on pas tort de dire «entendre pour la première fois». Si l′on n′avait vraiment, comme on l′a cru, rien distingué à la première audition, la deuxième, la troisième seraient autant de premières, et il n′y aurait pas de raison pour qu′on comprît quelque chose de plus à la dixième. Probablement ce qui fait défaut, la première fois, ce n′est pas la compréhension, mais la mémoire. Car la nôtre, relativement à la complexité des impressions auxquelles elle a à faire face pendant que nous écoutons, est infime, aussi brève que la mémoire d′un homme qui en dormant pense mille choses qu′il oublie aussitôt, ou d′un homme tombé à moitié en enfance qui ne se rappelle pas la minute d′après ce qu′on vient de lui dire. Ces impressions multiples, la mémoire n′est pas capable de nous en fournir immédiatement le souvenir. Mais celui-ci se forme en elle peu à peu et à l′égard des uvres qu′on a entendues deux ou trois fois, on est comme le collégien qui a relu à plusieurs reprises avant de s′endormir une leçon qu′il croyait ne pas savoir et qui la récite par cur le lendemain matin. Seulement je n′avais encore jusqu′à ce jour, rien entendu de cette sonate, et là où Swann et sa femme voyaient une phrase distincte, celle-ci était aussi loin de ma perception claire qu′un nom qu′on cherche à se rappeler et à la place duquel on ne trouve que du néant, un néant d′où une heure plus tard, sans qu′on y pense, s′élanceront d′elles-mêmes, en un seul bond, les syllabes d′abord vainement sollicitées. Et non seulement on ne retient pas tout de suite les uvres vraiment rares, mais même au sein de chacune de ces uvres-là, et cela m′arriva pour la Sonate de Vinteuil, ce sont les parties les moins précieuses qu′on perçoit d′abord. De sorte que je ne me trompais pas seulement en pensant que l′uvre ne me réservait plus rien (ce qui fit que je restai longtemps sans chercher à l′entendre) du moment que Madame Swann m′en avait joué la phrase la plus fameuse (j′étais aussi stupide en cela que ceux qui n′espèrent plus éprouver de surprise devant Saint-Marc de Venise parce que la photographie leur a appris la forme de ses dômes). Mais bien plus, même quand j′eus écouté la sonate d′un bout à l′autre, elle me resta presque tout entière invisible, comme un monument dont la distance ou la brume ne laissent apercevoir que de faibles parties. De là, la mélancolie qui s′attache à la connaissance de tels ouvrages, comme de tout ce qui se réalise dans le temps. Quand ce qui est le plus caché dans la Sonate de Vinteuil se découvrit à moi, déjà, entraîné par l′habitude hors des prises de ma sensibilité, ce que j′avais distingué, préféré tout d′abord, commençait à m′échapper, à me fuir. Pour n′avoir pu aimer qu′en des temps successifs tout ce que m′apportait cette sonate, je ne la possédai jamais tout entière: elle ressemblait à la vie. Mais, moins décevants que la vie, ces grands chefs-d′uvre ne commencent pas par nous donner ce qu′ils ont de meilleur. Dans la Sonate de Vinteuil, les beautés qu′on découvre le plus tôt sont aussi celles dont on se fatigue le plus vite et pour la même raison sans doute, qui est qu′elles diffèrent moins de ce qu′on connaissait déjà. Mais quand celles-là se sont éloignées, il nous reste à aimer telle phrase que son ordre trop nouveau pour offrir à notre esprit rien que confusion nous avait rendue indiscernable et gardée intacte; alors elle devant qui nous passions tous les jours sans le savoir et qui s′était réservée, qui pour le pouvoir de sa seule beauté était devenue invisible et restée inconnue, elle vient à nous la dernière. Mais nous la quitterons aussi en dernier. Et nous l′aimerons plus longtemps que les autres, parce que nous aurons mis plus longtemps à l′aimer. Ce temps du reste qu′il faut à un individu — comme il me le fallut à moi à l′égard de cette Sonate — pour pénétrer une uvre un peu profonde n′est que le raccourci et comme le symbole des années, des siècles parfois, qui s′écoulent avant que le public puisse aimer un chef-d′uvre vraiment nouveau. Aussi l′homme de génie pour s′épargner les méconnaissances de la foule se dit peut-être que les contemporains manquant du recul nécessaire, les uvres écrites pour la postérité ne devraient être lues que par elle, comme certaines peintures qu′on juge mal de trop près. Mais en réalité toute lâche précaution pour éviter les faux arguments est inutile, ils ne sont pas évitables. Ce qui est cause qu′une uvre de génie est difficilement admirée tout de suite, c′est que celui qui l′a écrite est extraordinaire, que peu de gens lui ressemblent. C′est son uvre elle-même qui, en fécondant les rares esprits capables de le comprendre, les fera croître et multiplier. Ce sont les quatuors de Beethoven (les quatuors XII, XIII, XIV et XV) qui ont mis cinquante ans à faire naître, à grossir le public des quatuors de Beethoven, réalisant ainsi comme tous les chefs-d′uvre un progrès sinon dans la valeur des artistes, du moins dans la société des esprits, largement composée aujourd′hui de ce qui était introuvable quand le chef-d′uvre parut, c′est-à-dire d′être capables de l′aimer. Ce qu′on appelle la postérité, c′est la postérité de l′uvre. Il faut que l′uvre (en ne tenant pas compte, pour simplifier, des génies qui à la même époque peuvent parallèlement préparer pour l′avenir un public meilleur dont d′autres génies que lui bénéficieront) crée elle-même sa postérité. Si donc l′uvre était tenue en réserve, n′était connue que de la postérité, celle-ci, pour cette uvre, ne serait pas la postérité mais une assemblée de contemporains ayant simplement vécu cinquante ans plus tard. Aussi faut-il que l′artiste — et c′est ce qu′avait fait Vinteuil — s′il veut que son uvre puisse suivre sa route, la lance, là où il y a assez de profondeur, en plein et lointain avenir. Et pourtant ce temps à venir, vraie perspective des chefs-d′uvre, si n′en pas tenir compte est l′erreur des mauvais juges, en tenir compte est parfois le dangereux scrupule des bons. Sans doute, il est aisé de s′imaginer dans une illusion analogue à celle qui uniformise toutes choses à l′horizon, que toutes les révolutions qui ont eu lieu jusqu′ici dans la peinture ou la musique respectaient tout de même certaines règles et que ce qui est immédiatement devant nous, impressionnisme, recherche de la dissonance, emploi exclusif de la gamme chinoise, cubisme, futurisme, diffère outrageusement de ce qui a précédé. C′est que ce qui a précédé on le considère sans tenir compte qu′une longue assimilation l′a converti pour nous en une matière variée sans doute, mais somme toute homogène, où Hugo voisine avec Molière. Songeons seulement aux choquants disparates que nous présenterait, si nous ne tenions pas compte du temps à venir et des changements qu′il amène, tel horoscope de notre propre âge mûr tiré devant nous durant notre adolescence. Seulement tous les horoscopes ne sont pas vrais et être obligé pour une uvre d′art de faire entrer dans le total de sa beauté le facteur du temps, mêle, à notre jugement, quelque chose d′aussi hasardeux et par là aussi dénué d′intérêt véritable que toute prophétie dont la non réalisation n′impliquera nullement la médiocrité d′esprit du prophète, car ce qui appelle à l′existence les possibles ou les en exclut n′est pas forcément de la compétence du génie; on peut en avoir eu et ne pas avoir cru à l′avenir des chemins de fer, ni des avions, ou, tout en étant grand psychologue, à la fausseté d′une maîtresse ou d′un ami, dont de plus médiocres eussent prévu les trahisons. As a rule, however, we did not stay indoors, we went out. Sometimes, before going to dress, Mme. Swann would sit down at the piano. Her lovely hands, escaping from the pink, or white, or, often, vividly coloured sleeves of her crêpe-de-Chine wrapper, drooped over the keys with that same melancholy which was in her eyes but was not in her heart. It was on one of those days that she happened to play me the part of Vinteuil′s sonata that contained the little phrase of which Swann had been so fond. But often one listens and hears nothing, if it is a piece of music at all complicated to which one is listening for the first time. And yet when, later on, this sonata had been played over to me two or three times I found that I knew it quite well. And so it is not wrong to speak of hearing a thing for the first time. If one had indeed, as one supposes, received no impression from the first hearing, the second, the third would be equally ‘first hearings′ and there would be no reason why one should understand it any better after the tenth. Probably what is wanting, the first time, is not comprehension but memory. For our memory, compared to the complexity of the impressions which it has to face while we are listening, is infinitesimal, as brief as the memory of a man who in his sleep thinks of a thousand things and at once forgets them, or as that of a man in his second childhood who cannot recall, a minute afterwards, what one has just been saying to him. Of these multiple impressions our memory is not capable of furnishing us with an immediate picture. But that picture gradually takes shape, and, with regard to works which we have heard more than once, we are like the schoolboy who has read several times over before going to sleep a lesson which he supposed himself not to know, and finds that he can repeat it by heart next morning. It was only that I had not, until then, heard a note of the sonata, whereas Swann and his wife could make out a distinct phrase that was as far beyond the range of my perception as a name which one endeavours to recall and in place of which one discovers only a void, a void from which, an hour later, when one is not thinking about them, will spring of their own accord, in one continuous flight, the syllables that one has solicited in vain. And not only does one not seize at once and retain an impression of works that are really great, but even in the content of any such work (as befell me in the case of Vinteuil′s sonata) it is the least valuable parts that one at first perceives. Thus it was that I was mistaken not only in thinking that this work held nothing further in store for me (so that for a long time I made no effort to hear it again) from the moment in which Mme. Swann had played over to me its most famous passage; I was in this respect as stupid as people are who expect to feel no astonishment when they stand in Venice before the front of Saint Mark′s, because photography has already acquainted them with the outline of its domes. Far more than that, even when I had heard the sonata played from beginning to end, it remained almost wholly invisible to me, like a monument of which its distance or a haze in the atmosphere allows us to catch but a faint and fragmentary glimpse. Hence the depression inseparable from one′s knowledge of such works, as of everything that acquires reality in time. When the least obvious beauties of Vinteuil′s sonata were revealed to me, already, borne by the force of habit beyond the reach of my sensibility, those that I had from the first distinguished and preferred in it were beginning to escape, to avoid me. Since I was able only in successive moments to enjoy all the pleasures that this sonata gave me, I never possessed it in its entirety: it was like life itself. But, less disappointing than life is, great works of art do not begin by giving us all their best. In Vinteuil′s sonata the beauties that one discovers at once are those also of which one most soon grows tired, and for the same reason, no doubt, namely that they are less different from what one already knows. But when those first apparitions have withdrawn, there is left for our enjoyment some passage which its composition, too new and strange to offer anything but confusion to our mind, had made indistinguishable and so preserved intact; and this, which we have been meeting every day and have not guessed it, which has thus been held in reserve for us, which by the sheer force of its beauty has become invisible and has remained unknown, this comes to us last of all. But this also must be the last that we shall relinquish. And we shall love it longer than the rest because we have taken longer to get to love it. The time, moreover, that a person requires — as I required in the matter of this sonata — to penetrate a work of any depth is merely an epitome, a symbol, one might say, of the years, the centuries even that must elapse before the public can begin to cherish a masterpiece that is really new. So that the man of genius, to shelter himself from the ignorant contempt of the world, may say to himself that, since one′s contemporaries are incapable of the necessary detachment, works written for posterity should be read by posterity alone, like certain pictures which one cannot appreciate when one stands too close to them. But, as it happens, any such cowardly precaution to avoid false judgments is doomed to failure; they are inevitable. The reason for which a work of genius is not easily admired from the first is that the man who has created it is extraordinary, that few other men resemble him. It was Beethoven′s Quartets themselves (the Twelfth, Thirteenth, Fourteenth and Fifteenth) that devoted half a century to forming, fashioning and enlarging a public for Beethoven′s Quartets, marking in this way, like every great work of art, an advance if not in artistic merit at least in intellectual society, largely composed to-day of what was not to be found when the work first appeared, that is to say of persons capable of enjoying it. What artists call posterity is the posterity of the work of art. It is essential that the work (leaving out of account, for brevity′s sake, the contingency that several men of genius may at the same time be working along parallel lines to create a more instructed public in the future, a public from which other men of genius shall reap the benefit) shall create its own posterity. For if the work were held in reserve, were revealed only to posterity, that audience, for that particular work, would be not posterity but a group of contemporaries who were merely living half-a-century later in time. And so it is essential that the artist (and this is what Vinteuil had done), if he wishes his work to be free to follow its own course, shall launch it, wherever he may find sufficient depth, confidently outward bound towards the future. And yet this interval of time, the true perspective in which to behold a work of art, if leaving it out of account is the mistake made by bad judges, taking it into account is at times a dangerous precaution of the good. No doubt one can easily imagine, by an illusion similar to that which makes everything on the horizon appear equidistant, that all the revolutions which have hitherto occurred in painting or in music did at least shew respect for certain rules, whereas that which immediately confronts us, be it impressionism, a striving after discord, an exclusive use of the Chinese scale, cubism, futurism or what you will, differs outrageously from all that have occurred before. Simply because those that have occurred before we are apt to regard as a whole, forgetting that a long process of assimilation has melted them into a continuous substance, varied of course but, taking it as a whole, homogeneous, in which Hugo blends with Molière. Let us try to imagine the shocking incoherence that we should find, if we did not take into account the future, and the changes that it must bring about, in a horoscope of our own riper years, drawn and presented to us in our youth. Only horoscopes are not always accurate, and the necessity, when judging a work of art, of including the temporal factor in the sum total of its beauty introduces, to our way of thinking, something as hazardous, and consequently as barren of interest, as every prophecy the non-fulfilment of which will not at all imply any inadequacy on the prophet′s part, for the power to summon possibilities into existence or to exclude them from it is not necessarily within the competence of genius; one may have had genius and yet not have believed in the future of railways or of flight, or, although a brilliant psychologist, in the infidelity of a mistress or of a friend whose treachery persons far less gifted would have foreseen.
Si je ne compris pas la Sonate je fus ravi d′entendre jouer Mme Swann. Son toucher me paraissait, comme son peignoir, comme le parfum de son escalier, comme ses manteaux, comme ses chrysanthèmes, faire partie d′un tout individuel et mystérieux, dans un monde infiniment supérieur à celui où la raison peut analyser le talent. «N′est-ce pas que c′est beau cette Sonate de Vinteuil? me dit Swann. Le moment où il fait nuit sous les arbres, où les arpèges du violon font tomber la fraîcheur. Avouez que c′est bien joli; il y a là tout le côté statique du clair de lune, qui est le côté essentiel. Ce n′est pas extraordinaire qu′une cure de lumière comme celle que suit ma femme agisse sur les muscles, puisque le clair de lune empêche les feuilles de bouger. C′est cela qui est si bien peint dans cette petite phrase, c′est le bois de Boulogne tombé en catalepsie. Au bord de la mer c′est encore plus frappant, parce qu′il y a les réponses faibles des vagues que naturellement on entend très bien puisque le reste ne peut pas remuer. A Paris c′est le contraire; c′est tout au plus si on remarque ces lueurs insolites sur les monuments, ce ciel éclairé comme par un incendie sans couleurs et sans danger, cette espèce d′immense fait divers deviné. Mais dans la petite phrase de Vinteuil et du reste dans toute la Sonate ce n′est pas cela, cela se passe au Bois, dans le gruppetto on entend distinctement la voix de quelqu′un qui dit: «On pourrait presque lire son journal.» Ces paroles de Swann auraient pu fausser, pour plus tard, ma compréhension de la Sonate, la musique étant trop peu exclusive pour écarter absolument ce qu′on nous suggère d′y trouver. Mais je compris par d′autres propos de lui que ces feuillages nocturnes étaient tout simplement ceux sous l′épaisseur desquels, dans maint restaurant des environs de Paris, il avait entendu, bien des soirs, la petite phrase. Au lieu du sens profond qu′il lui avait si souvent demandé, ce qu′elle rapportait à Swann, c′était ces feuillages rangés, enroulés, peints autour d′elle (et qu′elle lui donnait le désir de revoir parce qu′elle lui semblait leur être intérieure comme une âme), c′était tout un printemps dont il n′avait pu jouir autrefois, n′ayant pas, fiévreux et chagrin comme il était alors, assez de bien-être pour cela, et que (comme on fait, pour un malade, des bonnes choses qu′il n′a pu manger), elle lui avait gardé. Les charmes que lui avaient fait éprouver certaines nuits dans le Bois et sur lesquels la Sonate de Vinteuil pouvait le renseigner, il n′aurait pu à leur sujet interroger Odette, qui pourtant l′accompagnait comme la petite phrase. Mais Odette était seulement à côté de lui, alors (non en lui comme le motif de Vinteuil) — ne voyant donc point — Odette eût-elle été mille fois plus compréhensive — ce qui, pour nul de nous (du moins j′ai cru longtemps que cette règle ne souffrait pas d′exceptions), ne peut s′extérioriser. «C′est au fond assez joli n′est-ce pas, dit Swann, que le son puisse refléter, comme l′eau, comme une glace. Et remarquez que la phrase de Vinteuil ne me montre que tout ce à quoi je ne faisais pas attention à cette époque. De mes soucis, de mes amours de ce temps-là, elle ne me rappelle plus rien, elle a fait l′échange.» «Charles, il me semble que ce n′est pas très aimable pour moi tout ce que vous me dites là.» «Pas aimable! Les femmes sont magnifiques! Je voulais dire simplement à ce jeune homme que ce que la musique montre — du moins à moi — ce n′est pas du tout la «Volonté en soi» et la «Synthèse de l′infini», mais, par exemple, le père Verdurin en redingote dans le Palmarium du Jardin d′Acclimatation. Mille fois sans sortir de ce salon, cette petite phrase m′a emmené dîner à Armenonville avec elle. Mon Dieu c′est toujours moins ennuyeux que d′y aller avec Mme de Cambremer.» Mme Swann se mit à rire: «C′est une dame qui passe pour avoir été très éprise de Charles», m′expliqua-t-elle du même ton dont, un peu avant, en parlant de Ver Meer de Delft, que j′avais été étonné de voir qu′elle connaissait, elle m′avait répondu: «C′est que je vous dirai que monsieur s′occupait beaucoup de ce peintre-là au moment où il me faisait la cour. N′est-ce pas, mon petit Charles?» «Ne parlez pas à tort et à travers de Mme de Cambremer», dit Swann, dans le fond très flatté. «Mais je ne fais que répéter ce qu′on m′a dit. D′ailleurs il paraît qu′elle est très intelligente, je ne la connais pas. Je la crois très «pusshing», ce qui m′étonne d′une femme intelligente. Mais tout le monde dit qu′elle a été folle de vous, cela n′a rien de froissant.» Swann garda un mutisme de sourd, qui était une espèce de confirmation, et une preuve de fatuité. «Puisque ce que je joue vous rappelle le Jardin d′Acclimatation, reprit Mme Swann en faisant par plaisanterie semblant d′être piquée, nous pourrions le prendre tantôt comme but de promenade si ça amuse ce petit. Il fait très beau et vous retrouveriez vos chères impressions! A propos du Jardin d′Acclimatation vous savez ce jeune homme croyait que nous aimions beaucoup une personne que je «coupe» au contraire aussi souvent que je peux, Mme Blatin! Je trouve très humiliant pour nous qu′elle passe pour notre amie. Pensez que le bon Docteur Cottard qui ne dit jamais de mal de personne déclare lui-même qu′elle est infecte.» «Quelle horreur! Elle n′a pour elle que de ressembler tellement à Savonarole. C′est exactement le portrait de Savonarole par Fra Bartolomeo.» Cette manie qu′avait Swann de trouver ainsi des ressemblances dans la peinture était défendable, car même ce que nous appelons l′expression individuelle est — comme on s′en rend compte avec tant de tristesse quand on aime et qu′on voudrait croire à la réalité unique de l′individu, — quelque chose de général, et a pu se rencontrer à différentes époques. Mais si on avait écouté Swann, les cortèges des rois mages déjà si anachroniques quand Benozzo Gozzoli y introduisait les Médicis, l′eussent été davantage encore puisqu′ils eussent contenu les portraits d′une foule d′hommes, contemporains non de Gozzoli, mais de Swann c′est-à-dire postérieurs non plus seulement de quinze siècles à la Nativité, mais de quatre au peintre lui-même. Il n′y avait pas selon Swann, dans ces cortèges, un seul Parisien de marque qui manquât, comme dans cet acte d′une pièce de Sardou, où, par amitié pour l′auteur et la principale interprète, par mode aussi, toutes les notabilités parisiennes, de célèbres médecins, des hommes politiques, des avocats, vinrent pour s′amuser, chacun un soir, figurer sur la scène. «Mais quel rapport a-t-elle avec le Jardin d′Acclimatation?» «Tous!» «Quoi, vous croyez qu′elle a un derrière bleu-ciel comme les singes?» «Charles vous êtes d′une inconvenance! Non, je pensais au mot que lui a dit le Cynghalais. Racontez-le lui, c′est vraiment un «beau mot». «C′est idiot. Vous savez que Mme Blatin aime à interpeller tout le monde d′un air qu′elle croit aimable et qui est surtout protecteur.» «Ce que nos bons voisins de la Tamise appellent patronising», interrompit Odette. «Elle est allée dernièrement au Jardin d′Acclimatation où il y a des noirs, des Cynghalais, je crois, a dit ma femme, qui est beaucoup plus forte en ethnographie que moi.» «Allons, Charles, ne vous moquez pas.» «Mais je ne me moque nullement. Enfin, elle s′adresse à un de ces noirs: «Bonjour, négro!» «C′est un rien!» — «En tous cas ce qualificatif ne plut pas au noir. — Moi négro, dit-il avec colère à Mme Blatin, mais toi, chameau!» — «Je trouve cela très drôle! J′adore cette histoire. N′est-ce pas que c′est «beau»? On voit bien la mère Blatin: «Moi négro, mais toi chameau!» Je manifestai un extrême désir d′aller voir ces Cynghalais dont l′un avait appelé Mme Blatin: chameau. Ils ne m′intéressaient pas du tout. Mais je pensais que pour aller au Jardin d′Acclimatation et en revenir nous traverserions cette allée des Acacias où j′avais tant admiré Mme Swann, et que peut-être le mulâtre ami de Coquelin, à qui je n′avais jamais pu me montrer saluant Mme Swann, me verrait assis à côté d′elle au fond d′une victoria. If I did not understand the sonata, it enchanted me to hear Mme. Swann play. Her touch appeared to me (like her wrappers, like the scent of her staircase, her cloaks, her chrysanthemums) to form part of an individual and mysterious whole, in a world infinitely superior to that in which the mind is capable of analysing talent. “Attractive, isn′t it, that Vinteuil sonata?” Swann asked me. “The moment when night is darkening among the trees, when the arpeggios of the violin call down a cooling dew upon the earth. You must admit that it is rather charming; it shews all the static side of moonlight, which is the essential part. It is not surprising that a course of radiant heat such as my wife is taking, should act on the muscles, since moonlight can prevent the leaves from stirring. That is what he expresses so well in that little phrase, the Bois de Boulogne plunged in a cataleptic trance. By the sea it is even more striking, because you have there the faint response of the waves, which, of course, you can hear quite distinctly, since nothing else dares to move. In Paris it is the other way; at the most, you may notice unfamiliar lights among the old buildings, the sky brightened as though by a colourless and harmless conflagration, that sort of vast variety show of which you get a hint here and there. But in Vinteuil′s little phrase, and in the whole sonata for that matter, it is not like that; the scene is laid in the Bois; in the gruppetto you can distinctly hear a voice saying: ‘I can almost see to read the paper!′” These words from Swann might have falsified, later on, my impression of the sonata, music being too little exclusive to inhibit absolutely what other people suggest that we should find in it. But I understood from other words which he let fall that this nocturnal foliage was simply that beneath whose shade in many a restaurant on the outskirts of Paris he had listened on many an evening to the little phrase. In place of the profound significance that he had so often sought in it, what it recalled now to Swann were the leafy boughs, arranged, wreathed, painted round about it (which it gave him the desire to see again because it seemed to him to be their inner, their hidden self, as it were their soul); was the whole of one spring season which he had not been able to enjoy before, not having had — feverish and moody as he then was — enough strength of body and mind for its enjoyment, which, as one puts by for an invalid the dainties that he has not been able to eat, it had kept in store for him. The charm that he had been made to feel by certain evenings in the Bois, a charm of which Vinteuil′s sonata served to remind him, he could not have recaptured by questioning Odette, although she, as well as the little phrase, had been his companion there. But Odette had been merely his companion, by his side, not (as the phrase had been) within him, and so had seen nothing — nor would she, had she been a thousand times as comprehending, have seen anything of that vision which for no one among us (or at least I was long under the impression that this rule admitted no exception) can be made externally visible. “It is rather charming, don′t you think,” Swann continued, “that sound can give a reflection, like water, or glass. It is curious, too, that Vinteuil′s phrase now shews me only the things to which I paid no attention then. Of my troubles, my loves of those days it recalls nothing, it has altered all my values.” “Charles, I don′t think that′s very polite to me, what you′re saying.” “Not polite? Really, you women are superb! I was simply trying to explain to this young man that what the music shews — to me, at least — is not for a moment ‘Free-will′ or ‘In Tune with the Infinite,′ but shall we say old Verdurin in his frock coat in the palm-house at the Jardin d′Acclimatation. Hundreds of times, without my leaving this room, the little phrase has carried me off to dine with it at Armenonville. Gad, it is less boring, anyhow, than having to go there with Mme. de Cambremer.” Mme. Swann laughed. “That is a lady who is supposed to have been violently in love with Charles,” she explained, in the same tone in which, shortly before, when we were speaking of Vermeer of Delft, of whose existence I had been surprised to find her conscious, she had answered me with: “I ought to explain that M. Swann was very much taken up with that painter at the time he was courting me. Isn′t that so, Charles dear?” “You′re not to start saying things about Mme. de Cambremer!” Swann checked her, secretly flattered. “But I′m only repeating what I′ve been told. Besides, it seems that she′s an extremely clever woman; I don′t know her myself. I believe she′s very pushing, which surprises me rather in a clever woman. But everyone says that she was quite mad about you; there′s no harm in repeating that.” Swann remained silent as a deaf-mute which was in a way a confirmation of what she had said, and a proof of his own fatuity. “Since what I′m playing reminds you of the Jardin d′Acclimatation,” his wife went on, with a playful semblance of being offended, “we might take him there some day in the carriage, if it would amuse him. It′s lovely there just now, and you can recapture your fond impressions! Which reminds me, talking of the Jardin d′Acclimatation, do you know, this young man thought that we were devotedly attached to a person whom I cut, as a matter of fact, whenever I possibly can, Mme. Blatin! I think it is rather crushing for us, that she should be taken for a friend of ours. Just fancy, dear Dr. Cottard, who never says a harsh word about anyone, declares that she′s positively contagious.” “A frightful woman! The one thing to be said for her is that she is exactly like Savonarola. She is the very image of that portrait of Savonarola, by Fra Bartolomeo.” This mania which Swann had for finding likenesses to people in pictures was defensible, for even what we call individual expression is — as we so painfully discover when we are in love and would fain believe in the unique reality of the beloved — something diffused and general, which can be found existing at different periods. But if one had listened to Swann, the processions of the Kings of the East, already so anachronistic when Benozzo Gozzoli introduced in their midst various Medici, would have been even more so, since they would have included the portraits of a whole crowd of men, contemporaries not of Gozzoli but of Swann, subsequent, that is to say not only by fifteen centuries to the Nativity but by four more to the painter himself. There was not missing from those trains, according to Swann, a single living Parisian of any note, any more than there was from that act in one of Sardou′s plays, in which, out of friendship for the author and for the leading lady, and also because it was the fashion, all the best known men in Paris, famous doctors, politicians, barristers, amused themselves, each on a different evening, by ‘walking on.′ “But what has she got to do with the Jardin d′Acclimatation?” “Everything!” “What? You don′t suggest that she′s got a sky-blue behind, like the monkeys?” “Charles, you really are too dreadful! I was thinking of what the Cingalese said to her. Do tell him, Charles; it really is a gem.” “Oh, it′s too silly. You know, Mme. Blatin loves asking people questions, in a tone which she thinks friendly, but which is really overpowering.” “What our good friends on the Thames call ‘patronising,′” interrupted Odette. “Exactly. Well, she went the other day to the Jardin d′Acclimatation, where they have some blackamoors — Cingalese, I think I heard my wife say; she is much ‘better up′ in ethnology than I am.” “Now, Charles, you′re not to make fun of poor me.” “I′ve no intention of making fun, I assure you. Well, to continue, she went up to one of these black fellows with ‘Good morning, nigger!′ . . . ” “Oh, it′s too absurd!” “Anyhow, this classification seems to have displeased the black. ‘Me nigger,′ he shouted (quite furious, don′t you know), to Mme. Blatin, ‘me nigger; you, old cow!′” “I do think that′s so delightful! I adore that story. Do say it′s a good one. Can′t you see old Blatin standing there, and hearing him: ‘Me nigger; you, old cow′?” I expressed an intense desire to go there and see these Cingalese, one of whom had called Mme. Blatin an old cow. They did not interest me in the least. But I reflected that in going to the Jardin d′Acclimatation, and again on our way home, we should pass along that Allée des Acacias in which I had loved so, once, to gaze on Mme. Swann, and that perhaps Coquelin′s mulatto friend, to whom I had never managed to exhibit myself in the act of saluting her, would see me there, seated at her side, as the victoria swept by.
Pendant ces minutes où Gilberte partie se préparer, n′était pas dans le salon avec nous, M. et Mme Swann se plaisaient à me découvrir les rares vertus de leur fille. Et tout ce que j′observais semblait prouver qu′ils disaient vrai; je remarquais que, comme sa mère me l′avait raconté, elle avait non seulement pour ses amies, mais pour les domestiques, pour les pauvres, des attentions délicates, longuement méditées, un désir de faire plaisir, une peur de mécontenter, se traduisant par de petites choses qui souvent lui donnaient beaucoup de mal. Elle avait fait un ouvrage pour notre marchande des Champs-Élysées et sortit par la neige, pour le lui remettre elle-même et sans un jour de retard. — «Vous n′avez pas idée de ce qu′est son cur, car elle le cache», disait son père. Si jeune, elle avait l′air bien plus raisonnable que ses parents. Quand Swann parlait des grandes relations de sa femme, Gilberte détournait la tête et se taisait, mais sans air de blâme, car son père ne lui paraissait pas pouvoir être l′objet de la plus légère critique. Un jour que je lui avais parlé de Mlle Vinteuil, elle me dit: During those minutes in which Gilberte, having gone to ‘get ready,′ was not in the room with us, M. and Mme. Swann would take delight in revealing to me all the rare virtues of their child. And everything that I myself observed seemed to prove the truth of what they said. I remarked that, as her mother had told me, she had not only for her friends but for the servants, for the poor, the most delicate attentions carefully thought out, a desire to give pleasure, a fear of causing annoyance, translated into all sorts of trifling actions which must often have meant great inconvenience to her. She had done some ‘work′ for our stall-keeper in the Champs-Elysées, and went out in the snow to give it to her with her own hands, so as not to lose a day. “You have no idea how kind-hearted she is, she won′t let it be seen,” her father assured me. Young as she was, she appeared far more sensible already than her parents. When Swann boasted of his wife′s grand friends Gilberte would turn away, and remain silent, but without any air of reproaching him, for it seemed inconceivable to her that her father could be subjected to the slightest criticism. One day, when I had spoken to her of Mlle. Vinteuil, she said to me:
— «Jamais je ne la connaîtrai, pour une raison, c′est qu′elle n′était pas gentille pour son père, à ce qu′on dit, elle lui faisait de la peine. Vous ne pouvez pas plus comprendre cela que moi, n′est-ce pas, vous qui ne pourriez sans doute pas plus survivre à votre papa que moi au mien, ce qui est du reste tout naturel. Comment oublier jamais quelqu′un qu′on aime depuis toujours.» “I shall never know her, for a very good reason, and that is that she was not nice to her father, by what one hears, she gave him a lot of trouble. You can′t understand that any more than I, can you; I′m sure you could no more live without your papa than I could, which is quite natural after all. How can one ever forget a person one has loved all one′s life?”
Et une fois qu′elle était plus particulièrement câline avec Swann, comme je le lui fis remarquer quand il fut loin: And once when she was making herself particularly endearing to Swann, as I mentioned this to her when he was out of the room:
— «Oui, pauvre papa, c′est ces jours-ci l′anniversaire de la mort de son père. Vous pouvez comprendre ce qu′il doit éprouver, vous comprenez cela, vous, nous sentons de même sur ces choses-là. Alors, je tâche d′être moins méchante que d′habitude.» — «Mais il ne vous trouve pas méchante, il vous trouve parfaite.» — «Pauvre papa, c′est parce qu′il est trop bon.» “Yes, poor Papa, it is the anniversary of his father′s death, just now. You can understand what he must be feeling; you do understand, don′t you; you and I feel the same about things like that. So I just try to be a little less naughty than usual.” “But he doesn′t ever think you naughty. He thinks you′re quite perfect.” “Poor Papa, that′s because he′s far too good himself.”
Ses parents ne me firent pas seulement l′éloge des vertus de Gilberte — cette même Gilberte qui même avant que je l′eusse jamais vue m′apparaissait devant une église, dans un paysage de l′Ile-de-France et qui ensuite m′évoquant non plus mes rêves, mais mes souvenirs, était toujours devant la haie d′épines roses, dans le raidillon que je prenais pour aller du côté de Méséglise. — Comme j′avais demandé à Mme Swann, en m′efforçant de prendre le ton indifférent d′un ami de la famille, curieux des préférences d′une enfant, quels étaient parmi les camarades de Gilberte ceux qu′elle aimait le mieux, Mme Swann me répondit: — «Mais vous devez être plus avancé que moi dans ses confidences, vous qui êtes le grand favori, le grand crack comme disent les Anglais.» But her parents were not content with singing the praises of Gilberte — that same Gilberte, who, even, before I had set eyes on her, used to appear to me standing before a church, in a landscape of the He de France, and later, awakening in me not dreams now but memories, was embowered always in a hedge of pink hawthorn, in the little lane that I took when I was going the Méséglise way. Once when I had asked Mme. Swann (and had made an effort to assume the indifferent tone of a friend of the family, curious to know the preferences of a child), which among all her playmates Gilberte liked the best, Mme. Swann replied: “But you ought to know a great deal better than I do. You are in her confidence, her great favourite, her ‘chum,′ as the English say.”
Sans doute dans ces coî­£idences tellement parfaites, quand la réalité se replie et s′applique sur ce que nous avons si longtemps rêvé, elle nous le cache entièrement, se confond avec lui, comme deux figures égales et superposées qui n′en font plus qu′une, alors qu′au contraire, pour donner à notre joie toute sa signification, nous voudrions garder à tous ces points de notre désir, dans le moment même où nous y touchons, — et pour être plus certain que ce soit bien eux — le prestige d′être intangibles. Et la pensée ne peut même pas reconstituer l′état ancien pour le confronter au nouveau, car elle n′a plus le champ libre: la connaissance que nous avons faite, le souvenir des premières minutes inespérées, les propos que nous avons entendus, sont là qui obstruent l′entrée de notre conscience, et commandent beaucoup plus les issues de notre mémoire que celles de notre imagination, ils rétroagissent davantage sur notre passé que nous ne sommes plus maîtres de voir sans tenir compte d′eux, que sur la forme, restée libre, de notre avenir. J′avais pu croire pendant des années qu′aller chez Mme Swann était une vague chimère que je n′atteindrais jamais; après avoir passé un quart d′heure chez elle, c′est le temps où je ne la connaissais pas qui était devenu chimérique et vague comme un possible que la réalisation d′un autre possible a anéanti. Comment aurais-je encore pu rêver de la salle à manger comme d′un lieu inconcevable, quand je ne pouvais pas faire un mouvement dans mon esprit sans y rencontrer les rayons infrangibles qu′émettait à l′infini derrière lui, jusque dans mon passé le plus ancien, le homard à l′américaine que je venais de manger? Et Swann avait dû voir, pour ce qui le concernait lui-même se produire quelque chose d′analogue: car cet appartement où il me recevait pouvait être considéré comme le lieu où étaient venus se confondre, et coî­£ider, non pas seulement l′appartement idéal que mon imagination avait engendré, mais un autre encore, celui que l′amour jaloux de Swann, aussi inventif que mes rêves, lui avait si souvent décrit, cet appartement commun à Odette et à lui qui lui était apparu si inaccessible, tel soir où Odette l′avait ramené avec Forcheville prendre de l′orangeade chez elle; et ce qui était venu s′absorber, pour lui, dans le plan de la salle à manger où nous déjeunions, c′était ce paradis inespéré où jadis il ne pouvait sans trouble, imaginer qu′il aurait dit à leur maître d′hôtel ces mêmes mots: «Madame est-elle prête?», que je lui entendais prononcer maintenant avec une légère impatience mêlée de quelque satisfaction d′amour-propre. Pas plus que ne le pouvait sans doute Swann, je n′arrivais à connaître mon bonheur et quand Gilberte elle-même s′écriait: «Qu′est-ce qui vous aurait dit que la petite fille que vous regardiez, sans lui parler, jouer aux barres, serait votre grande amie chez qui vous iriez tous les jours où cela vous plairait», elle parlait d′un changement que j′étais bien obligé de constater du dehors, mais que je ne possédais pas intérieurement, car il se composait de deux états que je ne pouvais, sans qu′ils cessassent d′être distincts l′un de l′autre, réussir à penser à la fois. It appears that in a coincidence as perfect as this was, when reality is folded over to cover the ideal of which we have so long been dreaming, it completely hides that ideal, absorbing it in itself, as when two geometrical figures that are congruent are made to coincide, so that there is but one, whereas we would rather, so as to give its full significance to our enjoyment, preserve for all those separate points of our desire, at the very moment in which we succeed in touching them, and so as to be quite certain that they are indeed themselves, the distinction of being intangible. And our thought cannot even reconstruct the old state so as to confront the new with it, for it has no longer a clear field: the acquaintance that we have made, the memory of those first, unhoped-for moments, the talk to which we have listened are there now to block the passage of our consciousness, and as they control the outlets of our memory far more than those of our imagination, they react more forcibly upon our past, which we are no longer able to visualise without taking them into account, than upon the form, still unshaped, of our future. I had been able to believe, year after year, that the right to visit Mme. Swann was a vague and fantastic privilege to which I should never attain; after I had spent a quarter of an hour in her drawing-room, it was the period in which I did not yet know her that was become fantastic and vague like a possibility which the realisation of an alternative possibility has made impossible. How was I ever to dream again of her dining-room as of an inconceivable place, when I could not make the least movement in my mind without crossing the path of that inextinguishable ray cast backwards to infinity, even into my own most distant past, by the lobster à l′Américaine which I had just been eating? And Swann must have observed in his own case a similar phenomenon; for this house in which he entertained me might be regarded as the place into which had flowed, to coincide and be lost in one another, not only the ideal dwelling that my imagination had constructed, but another still, that which his jealous love, as inventive as any fantasy of mine, had so often depicted to him, that dwelling common to Odette and himself which had appeared so inaccessible once, on evenings when Odette had taken him home with Forcheville to drink orangeade with her; and what had flowed in to be absorbed, for him, in the walls and furniture of the dining-room in which we now sat down to luncheon was that unhoped-for paradise in which, in the old days, he could not without a pang imagine that he would one day be saying to their butler those very words, “Is Madame ready yet?” which I now heard him utter with a touch of impatience mingled with self-satisfaction. No more than, probably, Swann himself could I succeed in knowing my own happiness, and when Gilberte once broke out: “Who would ever have said that the little girl you watched playing prisoners′ base, without daring to speak to her, would one day be your greatest friend, and you would go to her house whenever you liked?” she spoke of a change the occurrence of which I could verify only by observing it from without, finding no trace of it within myself, for it was composed of two separate states on both of which I could not, without their ceasing to be distinct from one another, succeed in keeping my thoughts fixed at one and the same time.
Et pourtant cet appartement, parce qu′il avait été si passionnément désiré par la volonté de Swann, devait conserver pour lui quelque douceur, si j′en jugeais par moi pour qui il n′avait pas perdu tout mystère. Ce charme singulier dans lequel j′avais pendant si longtemps supposé que baignait la vie des Swann, je ne l′avais pas entièrement chassé de leur maison en y pénétrant; je l′avais fait reculer, dompté qu′il était par cet étranger, ce paria que j′avais été et à qui Mlle Swann avançait maintenant gracieusement pour qu′il y prit place, un fauteuil délicieux, hostile et scandalisé; mais tout autour de moi, ce charme, dans mon souvenir, je le perçois encore. Est-ce parce que, ces jours où M. et Mme Swann m′invitaient à déjeuner, pour sortir ensuite avec eux et Gilberte, j′imprimais avec mon regard, — pendant que j′attendais seul — sur le tapis, sur les bergères, sur les consoles, sur les paravents, sur les tableaux, l′idée gravée en moi que Mme Swann, ou son mari, ou Gilberte allaient entrer? Est-ce parce que ces choses ont vécu depuis dans ma mémoire à côté des Swann et ont fini par prendre quelque chose d′eux? Est-ce parce que sachant qu′ils passaient leur existence au milieu d′elles, je faisais de toutes comme les emblèmes de leur vie particulière, de leurs habitudes dont j′avais été trop longtemps exclu pour qu′elles ne continuassent pas à me sembler étrangères même quand on me fit la faveur de m′y mêler? Toujours est-il que chaque fois que je pense à ce salon que Swann (sans que cette critique impliquât de sa part l′intention de contrarier en rien les goûts de sa femme), trouvait si disparate — parce que tout conçu qu′il était encore dans le goût moitié serre, moitié atelier qui était celui de l′appartement où il avait connu Odette, elle avait pourtant commencé à remplacer dans ce fouillis nombre des objets chinois qu′elle trouvait maintenant un peu «toc», bien «à côté», par une foule de petits meubles tendus de vieilles soies Louis XIV (sans compter les chefs-d′uvre apportés par Swann de l′hôtel du quai d′Orléans), il a au contraire dans mon souvenir, ce salon composite, une cohésion, une unité, un charme individuel que n′ont jamais même les ensembles les plus intacts que le passé nous ait légués, ni les plus vivants où se marque l′empreinte d′une personne: car nous seuls pouvons, par la croyance qu′elles ont une existence à elles, donner à certaines choses que nous voyons une âme qu′elles gardent ensuite et qu′elles développent en nous. Toutes les idées que je m′étais faites des heures, différentes de celles qui existent pour les autres hommes, que passaient les Swann dans cet appartement qui était pour le temps quotidien de leur vie ce que le corps est pour l′âme, et qui devait en exprimer la singularité, toutes ces idées étaient réparties, amalgamées, — partout également troublantes et indéfinissables — dans la place des meubles, dans l′épaisseur des tapis, dans l′orientation des fenêtres, dans le service des domestiques. Quand après le déjeuner, nous allions, au soleil, prendre le café, dans la grande baie du salon, tandis que Mme Swann me demandait combien je voulais de morceaux de sucre dans mon café, ce n′était pas seulement le tabouret de soie qu′elle poussait vers moi qui dégageait avec le charme douloureux que j′avais perçu autrefois — sous l′épine rose, puis à côté du massif de lauriers — dans le nom de Gilberte, l′hostilité que m′avaient témoignée ses parents et que ce petit meuble semblait avoir si bien sue et partagée que je ne me sentais pas digne, et que je me trouvais un peu lâche d′imposer mes pieds à son capitonnage sans défense; une âme personnelle le reliait secrètement à la lumière de deux heures de l′après-midi, différente de ce qu′elle était partout ailleurs dans le golfe où elle faisait jouer à nos pieds ses flots d′or parmi lesquels les canapés bleuâtres et les vaporeuses tapisseries émergeaient comme des îles enchantées; et il n′était pas jusqu′au tableau de Rubens accroché au-dessus de la cheminée qui ne possédât lui aussi le même genre et presque la même puissance de charme que les bottines à lacets de M. Swann et ce manteau à pèlerine dont j′avais tant désiré porter le pareil et que maintenant Odette demandait à son mari de remplacer par un autre, pour être plus élégant, quand je leur faisais l′honneur de sortir avec eux. Elle allait s′habiller elle aussi, bien que j′eusse protesté qu′aucune robe «de ville» ne vaudrait à beaucoup près la merveilleuse robe de chambre de crêpe de Chine ou de soie, vieux rose, cerise, rose Tiepolo, blanche, mauve, verte, rouge, jaune unie ou à dessins, dans laquelle Mme Swann avait déjeuné et qu′elle allait ôter. Quand je disais qu′elle aurait dû sortir ainsi, elle riait, par moquerie de mon ignorance ou plaisir de mon compliment. Elle s′excusait de posséder tant de peignoirs parce qu′elle prétendait qu′il n′y avait que là-dedans qu′elle se sentait bien et elle nous quittait pour aller mettre une de ces toilettes souveraines qui s′imposaient à tous, et entre lesquelles pourtant j′étais parfois appelé à choisir celle que je préférais qu′elle revêtit. And yet this house, because it had been so passionately desired by Swann, must have kept for him some of its attraction, if I was to judge by myself for whom it had not lost all its mystery. That singular charm in which I had for so long supposed the life of the Swanns to be bathed I had not completely exorcised from their house on making my own way into it; I had made it, that charm, recoil, overpowered as it must be by the sight of the stranger, the pariah that I had been, to whom now Mme. Swann pushed forward graciously for him to sit in it an armchair exquisite, hostile, scandalised; but all round me that charm, in my memory, I can still distinguish. Is it because, on those days on which M. and Mme. Swann invited me to luncheon, to go out afterwards with them and Gilberte, I imprinted with my gaze — while I sat waiting for them there alone — on the carpet, the sofas, the tables, the screens, the pictures, the idea engraved upon my mind that Mme. Swann, or her husband, or Gilberte was about to enter the room? Is it because those objects have dwelt ever since in my memory side by side with the Swanns, and have gradually acquired something of their personal character? Is it because, knowing that the Swanns passed their existence among all those things, I made of all of them as it were emblems of the private lives, of those habits of the Swanns from which I had too long been excluded for them not to continue to appear strange to me, even when I was allowed the privilege of sharing in them? However it may be, always when I think of that drawing-room which Swann (not that the criticism implied on his part any intention to find fault with his wife′s taste) found so incongruous — because, while it was still planned and carried out in the style, half conservatory, half studio, which had been that of the rooms in which he had first known Odette, she had, none the less, begun to replace in its medley a quantity of the Chinese ornaments, which she now felt to be rather gimcrack, a trifle dowdy, by a swarm of little chairs and stools and things upholstered in old Louis XIV silks; not to mention the works of art brought by Swann himself from his house on the Quai d′Orléans — it has kept in my memory, on the contrary, that composite, heterogeneous room, a cohesion, a unity, an individual charm never possessed even by the most complete, the least spoiled of such collections that the past has bequeathed to us, or the most modern, alive and stamped with the imprint of a living personality; for we alone can, by our belief that they have an existence of their own, give to certain of the things that we see a soul which they afterwards keep, which they develop in our minds. All the ideas that I had formed of the hours, different from those that exist for other men, passed by the Swanns in that house which was to their life what the body is to the soul, and must give expression to its singularity, all those ideas were rearranged, amalgamated — equally disturbing and indefinite throughout — in the arrangement of the furniture, the thickness of the carpets, the position of the windows, the ministrations of the servants. When, after luncheon, we went in the sunshine to drink our coffee in the great bay window of the drawing-room, while Mme. Swann was asking me how many lumps of sugar I took, it was not only the silk-covered stool which she pushed towards me that emitted, with the agonising charm that I had long ago felt — first among the pink hawthorn and then beside the clump of laurels — in the name of Gilberte, the hostility that her parents had shewn to me, which this little piece of furniture seemed to have so well understood, to have so completely shared that I felt myself unworthy, and found myself almost reluctant to set my feet on its defenceless cushion; a personality, a soul was latent there which linked it secretly to the light of two o′clock in the afternoon, so different from any other light, in the gulf in which there played about our feet its sparkling tide of gold out of which the bluish crags of sofas and vaporous carpet beaches emerged like enchanted islands; and there was nothing, even to the painting by Rubens hung above the chimney-piece, that was not endowed with the same quality and almost the same intensity of charm as the laced boots of M. Swann, and that hooded cape, the like of which I had so dearly longed to wear, whereas now Odette would beg her husband to go and put on another, so as to appear more smart, whenever I did them the honour of driving out with them. She too went away to change her dress — not heeding my protestations that no ‘outdoor′ clothes could be nearly so becoming as the marvellous garment of crêpe-de-Chine or silk, old rose, cherry-coloured, Tiepolo pink, white, mauve, green, red or yellow, plain or patterned, in which Mme. Swann had sat down to luncheon and which she was now going to take off. When I assured her that she ought to go out in that costume, she laughed, either in scorn of my ignorance or from delight in my compliment. She apologised for having so many wrappers, explaining that they were the only kind of dress in which she felt comfortable, and left us, to go and array herself in one of those regal toilets which imposed their majesty on all beholders, and yet among which I was sometimes summoned to decide which of them I preferred that she should put on.
Au Jardin d′Acclimatation, que j′étais fier quand nous étions descendus de voiture de m′avancer à côté de Mme Swann! Tandis que dans sa démarche nonchalante elle laissait flotter son manteau, je jetais sur elle des regards d′admiration auxquels elle répondait coquettement par un long sourire. Maintenant si nous rencontrions l′un ou l′autre des camarades, fille ou garçon, de Gilberte, qui nous saluait de loin, j′étais à mon tour regardé par eux comme un de ces êtres que j′avais enviés, un de ces amis de Gilberte qui connaissaient sa famille et étaient mêlés à l′autre partie de sa vie, celle qui ne se passait pas aux Champs-Élysées. In the Jardin d′Acclimatation, how proud I was when we had left the carriage to be walking by the side of Mme. Swann! While she strolled carelessly on, letting her cloak stream on the air behind her, I kept eyeing her with an admiring gaze to which she coquettishly responded in a lingering smile. And now, were we to meet one or other of Gilberte′s friends, boy or girl, who saluted us from afar, I would in my turn be looked upon by them as one of those happy creatures whose lot I had envied, one of those friends of Gilberte who knew her family and had a share in that other part of her life, the part which was not spent in the Champs-Elysées.
Souvent dans les allées du Bois ou du Jardin d′Acclimatation nous croisions, nous étions salués par telle ou telle grande dame amie de Swann, qu′il lui arrivait de ne pas voir et que lui signalait sa femme. «Charles, vous ne voyez pas Mme de Montmorency?» et Swann, avec le sourire amical dû à une longue familiarité se découvrait pourtant largement avec une élégance qui n′était qu′à lui. Quelquefois la dame s′arrêtait, heureuse de faire à Mme Swann une politesse qui ne tirait pas à conséquence et de laquelle on savait qu′elle ne chercherait pas à profiter ensuite, tant Swann l′avait habituée à rester sur la réserve. Elle n′en avait pas moins pris toutes les manières du monde, et si élégante et noble de port que fût la dame, Mme Swann, l′égalait toujours en cela; arrêtée un moment auprès de l′amie que son mari venait de rencontrer, elle nous présentait avec tant d′aisance, Gilberte et moi, gardait tant de liberté et de calme dans son amabilité, qu′il eût été difficile de dire de la femme de Swann ou de l′aristocratique passante, laquelle des deux était la grande dame. Le jour où nous étions allés voir les Cynghalais, comme nous revenions, nous aperçûmes, venant dans notre direction et suivie de deux autres qui semblaient l′escorter, une dame âgée, mais encore belle, enveloppée dans un manteau sombre et coiffée d′une petite capote attachée sous le cou par deux brides. «Ah! voilà quelqu′un qui va vous intéresser», me dit Swann. La vieille dame, maintenant à trois pas de nous souriait avec une douceur caressante. Swann se découvrit, Mme Swann s′abaissa en une révérence et voulut baiser la main de la dame pareille à un portrait de Winterhalter qui la releva et l′embrassa. «Voyons, voulez-vous mettre votre chapeau, vous», dit-elle à Swann, d′une grosse voix un peu maussade, en amie familière. «Je vais vous présenter à Son Altesse Impériale», me dit Mme Swann. Swann m′attira un moment à l′écart pendant que Mme Swann causait du beau temps et des animaux nouvellement arrivés au Jardin d′Acclimatation, avec l′Altesse. «C′est la princesse Mathilde, me dit-il, vous savez, l′amie de Flaubert, de Sainte-Beuve, de Dumas. Songez, c′est la nièce de Napoléon 1er! Elle a été demandée en mariage par Napoléon III et par l′empereur de Russie. Ce n′est pas intéressant? Parlez-lui un peu. Mais je voudrais qu′elle ne nous fît pas rester une heure sur nos jambes.» «J′ai rencontré Taine qui m′a dit que la Princesse était brouillée avec lui, dit Swann.» «Il s′est conduit comme un cauchon, dit-elle d′une voix rude et en prononçant le mot comme si ç‘avait été le nom de l′évêque contemporain de Jeanne d′Arc. Après l′article qu′il a écrit sur l′Empereur je lui ai laissé une carte avec P.P.C.» J′éprouvais la surprise qu′on a en ouvrant la correspondance de la duchesse d′Orléans, née princesse Palatine. Et, en effet, la princesse Mathilde, animée de sentiments si français, les éprouvait avec une honnête rudesse comme en avait l′Allemagne d′autrefois et qu′elle avait hérités sans doute de sa mère wurtemburgeoise. Sa franchise un peu fruste et presque masculine, elle l′adoucissait, dès qu′elle souriait, de langueur italienne. Et le tout était enveloppé dans une toilette tellement second empire que bien que la princesse la portât seulement sans doute par attachement aux modes qu′elle avait aimées, elle semblait avoir eu l′intention de ne pas commettre une faute de couleur historique et de répondre à l′attente de ceux qui attendaient d′elle l′évocation d′une autre époque. Je soufflai à Swann de lui demander si elle avait connu Musset. «Très peu, monsieur, répondit-elle d′un air qui faisait semblant d′être fâché, et, en effet, c′était par plaisanterie qu′elle disait monsieur, à Swann, étant fort intime avec lui. Je l′ai eu une fois à dîner. Je l′avais invité pour sept heures. A sept heures et demie, comme il n′était pas là, nous nous mîmes à table. Il arriva à huit heures, me salua, s′assied, ne desserre pas les dents, part après le dîner sans que j′aie entendu le son de sa voix. Il était ivre-mort. Cela ne m′a pas beaucoup encouragée à recommencer.» Nous étions un peu à l′écart, Swann et moi. «J′espère que cette petite séance ne va pas se prolonger, me dit-il, j′ai mal à la plante des pieds. Aussi je ne sais pas pourquoi ma femme alimente la conversation. Après cela c′est elle qui se plaindra d′être fatiguée et moi je ne peux plus supporter ces stations debout.» Mme Swann en effet, qui tenait le renseignement de Mme Bontemps, était en train de dire à la princesse que le gouvernement comprenant enfin sa goujaterie, avait décidé de lui envoyer une invitation pour assister dans les tribunes à la visite que le tsar Nicolas devait faire le surlendemain aux Invalides. Mais la princesse qui malgré les apparences, malgré le genre de son entourage composé surtout d′artistes et d′hommes de lettres était restée au fond et chaque fois qu′elle avait à agir, nièce de Napoléon: «Oui, madame, je l′ai reçue ce matin et je l′ai renvoyée au ministre qui doit l′avoir à l′heure qu′il est. Je lui ai dit que je n′avais pas besoin d′invitation pour aller aux Invalides. Si le gouvernement désire que j′y aille, ce ne sera pas dans une tribune, mais dans notre caveau, où est le tombeau de l′empereur. Je n′ai pas besoin de cartes pour cela. J′ai mes clefs. J′entre comme je veux. Le gouvernement n′a qu′à me faire savoir s′il désire que je vienne ou non. Mais si j′y vais, ce sera là ou pas du tout.» A ce moment nous fûmes salués, Mme Swann et moi, par un jeune homme qui lui dit bonjour sans s′arrêter et que je ne savais pas qu′elle connût: Bloch. Sur une question que je lui posai, Mme Swann me dit qu′il lui avait été présenté par Mme Bontemps, qu′il était attaché au Cabinet du ministre, ce que j′ignorais. Du reste, elle ne devait pas l′avoir vu souvent — ou bien elle n′avait pas voulu citer le nom, trouvé peut-être par elle, peu «chic», de Bloch — car elle dit qu′il s′appelait M. Moreul. Je lui assurai qu′elle confondait, qu′il s′appelait Bloch. La princesse redressa une traîne qui se déroulait derrière elle et que Mme Swann regardait avec admiration. «C′est justement une fourrure que l′empereur de Russie m′avait envoyée, dit la princesse et comme j′ai été le voir tantôt, je l′ai mise pour lui montrer que cela avait pu s′arranger en manteau.» «Il paraît que le prince Louis s′est engagé dans l′armée russe, la princesse va être désolée de ne plus l′avoir près d′elle», dit Mme Swann qui ne voyait pas les signes d′impatience de son mari. «Il avait bien besoin de cela! Comme je lui ai dit: Ce n′est pas une raison parce que tu as eu un militaire dans ta famille», répondit la Princesse, faisant avec cette brusque simplicité, allusion à Napoléon 1er. Swann ne tenait plus en place. «Madame, c′est moi qui vais faire l′Altesse et vous demander la permission de prendre congé, mais ma femme a été très souffrante et je ne veux pas qu′elle reste davantage immobile.» Mme Swann refit la révérence et la princesse eut pour nous tous un divin sourire qu′elle sembla amener du passé, des grâces de sa jeunesse, des soirées de Compiègne et qui coula intact et doux sur le visage tout à l′heure grognon, puis elle s′éloigna suivie des deux dames d′honneur qui n′avaient fait, à la façon d′interprètes, de bonnes d′enfants, ou de gardes-malades que ponctuer notre conversation de phrases insignifiantes et d′explications inutiles. «Vous devriez aller écrire votre nom chez elle, un jour de cette semaine, me dit Mme Swann; on ne corne pas de bristol à toutes ces royautés, comme disent les Anglais, mais elle vous invitera si vous vous faites inscrire.» Often upon the paths of the Bois or the Jardin we passed, we were greeted by some great lady who was Swann′s friend, whom he perchance did not see, so that his wife must rally him with a “Charles! Don′t you see Mme. de Montmorency?” And Swann, with that amicable smile, bred of a long and intimate friendship, bared his head, but with a slow sweeping gesture, with a grace peculiarly his own. Sometimes the lady would stop, glad of an opportunity to shew Mme. Swann a courtesy which would involve no tiresome consequences, by which they all knew that she would never seek to profit, so thoroughly had Swann trained her in reserve. She had none the less acquired all the manners of polite society, and however smart, however stately the lady might be, Mme. Swann was invariably a match for her; halting for a moment before the friend whom her husband had recognised and was addressing, she would introduce us, Gilberte and myself, with so much ease of manner, would remain so free, so tranquil in her exercise of courtesy, that it would have been hard to say, looking at them both, which of the two was the aristocrat. The day on which we went to inspect the Cingalese, on our way home we saw coming in our direction, and followed by two others who seemed to be acting as her escort, an elderly but still attractive woman cloaked in a dark mantle and capped with a little bonnet tied beneath her chin with a pair of ribbons. “Ah! Here is someone who will interest you!” said Swann. The old lady, who had come within a few yards of us, now smiled at us with a caressing sweetness. Swann doffed his hat. Mme. Swann swept to the ground in a curtsey and made as if to kiss the hand of the lady, who, standing there like a Winterhalter portrait, drew her up again and kissed her cheek. “There, there; will you put your hat on, you!” she scolded Swann in a thick and almost growling voice, speaking like an old and familiar friend. “I am going to present you to Her Imperial Highness,” Mme. Swann whispered. Swann drew me aside for a moment while his wife talked of the weather and of the animals recently added to the Jardin d′Acclimatation, with the Princess. “That is the Princesse Mathilde,” he told me; “you know who′ I mean, the friend of Flaubert, Sainte-Beuve, Dumas. Just fancy, she′s the niece of Napoleon I. She had offers of marriage from Napoleon III and the Emperor of Russia. Isn′t that interesting? Talk to her a little. But I hope she won′t keep us standing here for an hour! . . . I met Taine the other day,” he went on, addressing the Princess, “and he told me that your Highness was vexed with him.” “He′s behaved like a perfect peeg!” she said gruffly, pronouncing the word cochon as though she referred to Joan of Arc′s contemporary, Bishop Cauchon. “After his article on the Emperor I left my card on him with p. p. c. on it.” I felt the surprise that one feels on opening the Correspondence of that Duchesse d′Orléans who was by birth a Princess Palatine. And indeed Princesse Mathilde, animated by sentiments so entirely French, expressed them with a straightforward bluntness that recalled the Germany of an older generation, and was inherited, doubtless, from her Wuerttemberg mother. This somewhat rude and almost masculine frankness she softened, as soon as she began to smile, with an Italian languor. And the whole person was clothed in a dress so typically ‘Second Empire′ that — for all that the Princess wore it simply and solely, no doubt, from attachment to the fashions that she had loved when she was young — she seemed to have deliberately planned to avoid the slightest discrepancy in historic colour, and to be satisfying the expectations of those who looked to her to evoke the memory of another age. I whispered to Swann to ask her whether she had known Musset. “Very slightly, sir,” was the answer, given in a tone which seemed to feign annoyance at the question, and of course it was by way of a joke that she called Swann ‘Sir,′ since they were intimate friends. “I had him to dine once. I had invited him for seven o′clock. At half-past seven, as he had not appeared, we sat down to dinner. He arrived at eight, bowed to me, took his seat, never opened his lips, went off after dinner without letting me hear the sound of his voice. Of course, he was dead drunk. That hardly encouraged me to make another attempt.” We were standing a little way off, Swann and I. “I hope this little audience is not going to last much longer,” he muttered, “the soles of my feet are hurting. I cannot think why my wife keeps on making conversation. When we get home it will be she that complains of being tired, and she knows I simply cannot go on standing like this.” For Mme. Swann, who had had the news from Mme. Bontemps, was in the course of telling the Princess that the Government, having at last begun to realise the depth of its depravity, had decided to send her an invitation to be present on the platform in a few days′ time, when the Tsar Nicholas was to visit the Invalides. But the Princess who, in spite of appearances, in spite of the character of her circle, which consisted mainly of artists and literary people, had remained at heart and shewed herself, whenever she had to take action, the niece of Napoleon, replied: “Yes, Madame, I received it this morning, and I sent it back to the Minister, who must have had it by now. I told him that I had no need of an invitation to go to the Invalides. If the Government desires my presence there, it will not be on the platform, it will be in our vault, where the Emperor′s tomb is. I have no need of a card to admit me there. I have my keys. I go in and out when I choose. The Government has only to let me know whether it wishes me to be present or not. But if I do go to the Invalides, it will be down below there or nowhere at all.” At that moment we were saluted, Mme. Swann and I, by a young man who greeted her without stopping, and whom I was not aware that she knew; it was Bloch. I inquired about him, and was told that he had been introduced to her by Mme. Bontemps, and that he was employed in the Minister′s secretariat, which was news to me. Anyhow, she could not have seen him often — or perhaps she had not cared to utter the name, hardly ‘smart′ enough for her liking, of Bloch, for she told me that he was called M. Moreul. I assured her that she was mistaken, that his name was Bloch. The Princess gathered up the train that flowed out behind her, while Mme. Swann gazed at it with admiring eyes. “It is only a fur that the Emperor of Russia sent me,” she explained, “and as I have just been to see him I put it on, so as to shew him that I′d managed to have it made up as a mantle.” “I hear that Prince Louis has joined the Russian Army; the Princess will be very sad at losing him,” went on Mme. Swann, not noticing her husband′s signals of distress. “That was a fine thing to do. As I said to him, ‘Just because there′s been a soldier, before, in the family, that′s no reason!′” replied the Princess, alluding with this abrupt simplicity to Napoleon the Great. But Swann could hold out no longer. “Ma′am, it is I that am going to play the Prince, and ask your permission to retire; but, you see, my wife has not been so well, and I do not like her to stand still for any time.” Mme. Swann curtseyed again, and the Princess conferred upon us all a celestial smile, which she seemed to have summoned out of the past, from among the graces of her girlhood, from the evenings at Compiègne, a smile which glided, sweet and unbroken, over her hitherto so sullen face; then she went on her way, followed by the two ladies in waiting, who had confined themselves, in the manner of interpreters, of children′s or invalids′ nurses, to punctuating our conversation with insignificant sentences and superfluous explanations. “You should go and write your name in her book, one day this week,” Mme. Swann counselled me. “One doesn′t leave cards upon these ‘Royalties,′ as the English call them, but she will invite you to her house if you put your name down.”
Parfois dans ces derniers jours d′hiver, nous entrions avant d′aller nous promener dans quelqu′une des petites expositions qui s′ouvraient alors et où Swann, collectionneur de marque, était salué avec une particulière déférence par les marchands de tableaux chez qui elles avaient lieu. Et par ces temps encore froids, mes anciens désirs de partir pour le Midi et Venise étaient réveillés par ces salles où un printemps déjà avancé et un soleil ardent mettaient des reflets violacés sur les Alpilles roses et donnaient la transparence foncée de l′émeraude au Grand Canal. S′il faisait mauvais nous allions au concert ou au théâtre et goûter ensuite dans un «Thé». Dès que Mme Swann voulait me dire quelque chose qu′elle désirait que les personnes des tables voisines ou même les garçons qui servaient ne comprissent pas, elle me le disait en anglais comme si c′eût été un langage connu de nous deux seulement. Or tout le monde savait l′anglais, moi seul je ne l′avais pas encore appris et étais obligé de le dire à Mme Swann pour qu′elle cessât de faire sur les personnes qui buvaient le thé ou sur celles qui l′apportaient, des réflexions que je devinais désobligeantes sans que j′en comprisse, ni que l′individu visé en perdît un seul mot. Sometimes in those last days of winter we would go, before proceeding on our expedition, into one of the small picture-shows that were being given at that time, where Swann, as a collector of mark, was greeted with special deference by the dealers in whose galleries they were held. And in that still wintry weather the old longing to set out for the South of France and Venice would be reawakened in me by those rooms in which a springtime, already well advanced, and a blazing sun cast violet shadows upon the roseate Alpilles and gave the intense transparency of emeralds to the Grand Canal. If the weather were inclement, we would go to a concert or a theatre, and afterwards to one of the fashionable tearooms. There, whenever Mme. Swann had anything to say to me which she did not wish the people at the next table, or even the waiters who brought our tea, to understand, she would say it in English, as though that had been a secret language known to our two selves alone. As it happened everyone in the place knew English — I only had not yet learned the language, and was obliged to say so to Mme. Swann in order that she might cease to make, on the people who were drinking tea or were serving us with it, remarks which I guessed to be uncomplimentary without either my understanding or the person referred to losing a single word.
Une fois à propos d′une matinée théâtrale, Gilberte me causa un étonnement profond. C′était justement le jour dont elle m′avait parlé d′avance et où tombait l′anniversaire de la mort de son grand-père. Nous devions elle et moi, aller entendre avec son institutrice, les fragments d′un opéra et Gilberte s′était habillée dans l′intention de se rendre à cette exécution musicale, gardant l′air d′indifférence qu′elle avait l′habitude de montrer pour la chose que nous devions faire, disant que ce pouvait être n′importe quoi pourvu que cela me plût et fût agréable à ses parents. Avant le déjeuner, sa mère nous prit à part pour lui dire que cela ennuyait son père de nous voir aller au concert ce jour-là. Je trouvai que c′était trop naturel. Gilberte resta impassible mais devint pâle d′une colère qu′elle ne put cacher, et ne dit plus un mot. Quand M. Swann revint, sa femme l′emmena à l′autre bout du salon et lui parla à l′oreille. Il appela Gilberte, et la prit à part dans la pièce à côté. On entendit des éclats de voix. Je ne pouvais cependant pas croire que Gilberte, si soumise, si tendre, si sage, résistât à la demande de son père, un jour pareil et pour une cause si insignifiante. Enfin Swann sortit en lui disant: — «Tu sais ce que je t′ai dit. Maintenant, fais ce que tu voudras.» Once, in the matter of an afternoon at the theatre, Gilberte gave me a great surprise. It was precisely the day of which she had spoken to me some time back, on which fell the anniversary of her grandfather′s death. We were to go, she and I, with her governess, to hear selections from an opera, and Gilberte had dressed with a view to attending this performance, and wore the air of indifference with which she was in the habit of treating whatever we might be going to do, with the comment that it might be anything in the world, no matter what, provided that it amused me and had her parents′ approval. Before luncheon, her mother drew us aside to tell us that her father was vexed at the thought of our going to a theatre on that day. This seemed to me only natural. Gilberte remained impassive, but grew pale with an anger which she was unable to conceal; still she uttered not a word. When M. Swann joined us his wife took him to the other end of the room and said something in his ear. He called Gilberte, and they went together into the next room. We could hear their raised voices. And yet I could not bring myself to believe that Gilberte, so submissive, so loving, so thoughtful, would resist her father′s appeal, on such a day and for so trifling a matter. At length Swann reappeared with her, saying: “You heard what I said. Now you may do as you like.”
La figure de Gilberte resta contractée pendant tout le déjeuner, après lequel nous allâmes dans sa chambre. Puis tout d′un coup, sans une hésitation et comme si elle n′en avait eue à aucun moment: Deux heures! s′écria-t-elle, mais vous savez que le concert commence à deux heures et demie. Et elle dit à son institutrice de se dépêcher. Gilberte′s features remained compressed in a frown throughout luncheon, after which we retired to her room. Then suddenly, without hesitating and as though she had never at any point hesitated over her course of action: “Two o′clock!” she exclaimed. “You know the concert begins at half past.” And she told her governess to make haste.
— «Mais, lui dis-je, est-ce que cela n′ennuie pas votre père?» “But,” I reminded her, “won′t your father be cross with you?”
— «Pas le moins du monde.» “Not the least little bit!”
— «Cependant, il avait peur que cela ne semble bizarre à cause de cet anniversaire.» “Surely, he was afraid it would look odd, because of the anniversary.”
— «Qu′est-ce que cela peut me faire ce que les autres pensent. Je trouve ça grotesque de s′occuper des autres dans les choses de sentiment. On sent pour soi, pas pour le public. Mademoiselle qui a peu de distractions se fait une fête d′aller à ce concert, je ne vais pas l′en priver pour faire plaisir au public.» “What difference can it make to me what people think? I think it′s perfectly absurd to worry about other people in matters of sentiment. We feel things for ourselves, not for the public. Mademoiselle has very few pleasures; she′s been looking forward to going to this concert. I am not going to deprive her of it just to satisfy public opinion.”
Elle prit son chapeau. Â…
— «Mais Gilberte, lui dis-je en lui prenant le bras, ce n′est pas pour faire plaisir au public, c′est pour faire plaisir à votre père.» “But, Gilberte,” I protested, taking her by the arm, “it is not to satisfy public opinion, it is to please your father.”
— «Vous n′allez pas me faire d′observations, j′espère, me cria-t-elle, d′une voix dure et en se dégageant vivement.» “You are not going to pass remarks upon my conduct, I hope,” she said sharply, plucking her arm away.
Â… Â…
Faveur plus précieuse encore que de m′emmener avec eux au Jardin d′Acclimatation ou au concert, les Swann ne m′excluaient même pas de leur amitié avec Bergotte, laquelle avait été à l′origine du charme que je leur avais trouvé quand, avant même de connaître Gilberte, je pensais que son intimité avec le divin vieillard eût fait d′elle pour moi la plus passionnante des amies, si le dédain que je devais lui inspirer ne m′eût pas interdit l′espoir qu′elle m′emmenât jamais avec lui visiter les villes qu′il aimait. Or, un jour, Mme Swann m′invita à un grand déjeuner. Je ne savais pas quels devaient être les convives. En arrivant, je fus, dans le vestibule, déconcerté par un incident qui m′intimida. Mme Swann manquait rarement d′adopter les usages qui passent pour élégants pendant une saison et ne parvenant pas à se maintenir sont bientôt abandonnés (comme beaucoup d′années auparavant elle avait eu son «hansom cab», ou faisait imprimer sur une invitation à déjeuner que c′était «to meet» un personnage plus ou moins important). Souvent ces usages n′avaient rien de mystérieux et n′exigeaient pas d′initiation. C′est ainsi que, mince innovation de ces années-là et importée d′Angleterre, Odette avait fait faire à son mari des cartes où le nom de Charles Swann était précédé de «Mr». Après la première visite que je lui avais faite, Mme Swann avait corné chez moi un de ces «cartons» comme elle disait. Jamais personne ne m′avait déposé de cartes; je ressentis tant de fierté, d′émotion, de reconnaissance, que réunissant tout ce que je possédais d′argent, je commandais une superbe corbeille de camélias et l′envoyai à Mme Swann. Je suppliai mon père d′aller mettre une carte chez elle, mais de s′en faire vite graver d′abord où son nom fût précédé de «Mr». Il n′obéit à aucune de mes deux prières, j′en fus désespéré pendant quelques jours, et me demandai ensuite s′il n′avait pas eu raison. Mais l′usage du «Mr», s′il était inutile, était clair. Il n′en était pas ainsi d′un autre qui, le jour de ce déjeuner me fut révélé, mais non pourvu de signification. Au moment où j′allais passer de l′antichambre dans le salon, le maître d′hôtel me remit une enveloppe mince et longue sur laquelle mon nom était écrit. Dans ma surprise, je le remerciai, cependant je regardais l′enveloppe. Je ne savais pas plus ce que j′en devais faire qu′un étranger d′un de ces petits instruments que l′on donne aux convives dans les dîners chinois. Je vis qu′elle était fermée, je craignis d′être indiscret en l′ouvrant tout de suite et je la mis dans ma poche d′un air entendu. Mme Swann m′avait écrit quelques jours auparavant de venir déjeuner «en petit comité». Il y avait pourtant seize personnes, parmi lesquelles j′ignorais absolument que se trouvât Bergotte. Mme Swann qui venait de me «nommer» comme elle disait à plusieurs d′entre elles, tout à coup, à la suite de mon nom, de la même façon qu′elle venait de le dire (et comme si nous étions seulement deux invités du déjeuner qui devaient être chacun également contents de connaître l′autre), prononça le nom du doux Chantre aux cheveux blancs. Ce nom de Bergotte me fit tressauter comme le bruit d′un revolver, qu′on aurait déchargé sur moi, mais instinctivement pour faire bonne contenance je saluai; devant moi, comme ces prestidigitateurs qu′on aperçoit intacts et en redingote dans la poussière d′un coup de feu d′où s′envole une colombe, mon salut m′était rendu par un homme jeune, rude, petit, râblé et myope, à nez rouge en forme de coquille de colimaçon et à barbiche noire. J′étais mortellement triste, car ce qui venait d′être réduit en poudre, ce n′était pas seulement le langoureux vieillard dont il ne restait plus rien, c′était aussi la beauté d′une uvre immense que j′avais pu loger dans l′organisme défaillant et sacré que j′avais comme un temple construit expressément pour elle, mais à laquelle aucune place n′était réservée dans le corps trapu, rempli de vaisseaux, d′os, de ganglions, du petit homme à nez camus et à barbiche noire qui était devant moi. Tout le Bergotte que j′avais lentement et délicatement élaboré moi-même, goutte à goutte, comme une stalactite, avec la transparente beauté de ses livres, ce Bergotte-là se trouvait d′un seul coup ne plus pouvoir être d′aucun usage du moment qu′il fallait conserver le nez en colimaçon et utiliser la barbiche noire; comme n′est plus bonne à rien la solution que nous avions trouvée pour un problème dont nous avions lu incomplètement la donnée et sans tenir compte que le total devait faire un certain chiffre. Le nez et la barbiche étaient des éléments aussi inéluctables et d′autant plus gênants que, me forçant à réédifier entièrement le personnage de Bergotte, ils semblaient encore impliquer, produire, sécréter incessamment un certain genre d′esprit actif et satisfait de soi, ce qui n′était pas de jeu, car cet esprit-là n′avait rien à voir avec la sorte d′intelligence répandue dans ces livres, si bien connus de moi et que pénétrait une douce et divine sagesse. En partant d′eux, je ne serais jamais arrivé à ce nez en colimaçon; mais en partant de ce nez qui n′avait pas l′air de s′en inquiéter, faisait cavalier seul et «fantaisie», j′allais dans une tout autre direction que l′uvre de Bergotte, j′aboutirais, semblait-il à quelque mentalité d′ingénieur pressé, de la sorte de ceux qui quand on les salue croient comme il faut de dire: «Merci et vous» avant qu′on leur ait demandé de leurs nouvelles et si on leur déclare qu′on a été enchanté de faire leur connaissance, répondent par une abréviation qu′ils se figurent bien portée, intelligente et moderne en ce qu′elle évite de perdre en de vaines formules un temps précieux: «Également». Sans doute, les noms sont des dessinateurs fantaisistes, nous donnant des gens et des pays des croquis si peu ressemblants que nous éprouvons souvent une sorte de stupeur quand nous avons devant nous au lieu du monde imaginé, le monde visible (qui d′ailleurs, n′est pas le monde vrai, nos sens ne possédant pas beaucoup plus le don de la ressemblance que l′imagination, si bien que les dessins enfin approximatifs qu′on peut obtenir de la réalité sont au moins aussi différents du monde vu que celui-ci l′était du monde imaginé). Mais pour Bergotte la gêne du nom préalable n′était rien auprès de celle que me causait l′uvre connue, à laquelle j′étais obligé d′attacher, comme après un ballon, l′homme à barbiche sans savoir si elle garderait la force de s′élever. Il semblait bien pourtant que ce fût lui qui eût écrit les livres que j′avais tant aimés, car Mme Swann ayant cru devoir lui dire mon goût pour l′un d′eux, il ne montra nul étonnement qu′elle en eût fait part à lui plutôt qu′à un autre convive, et ne sembla pas voir là l′effet d′une méprise; mais, emplissant la redingote qu′il avait mise en l′honneur de tous ces invités, d′un corps avide du déjeuner prochain ayant son attention occupée d′autres réalités importantes, ce ne fut que comme à un épisode révolu de sa vie antérieure, et comme si on avait fait allusion à un costume du duc de Guise qu′il eût mis une certaine année à un bal costumé, qu′il sourit en se reportant à l′idée de ses livres, lesquels aussitôt déclinèrent pour moi (entraînant dans leur chute toute la valeur du Beau, de l′univers, de la vie) jusqu′à n′avoir été que quelque médiocre divertissement d′homme à barbiche. Je me disais qu′il avait dû s′y appliquer, mais que s′il avait vécu dans une île entourée par des bancs d′huîtres perlières, il se fût à la place livré avec succès au commerce des perles. Son uvre ne me semblait plus aussi inévitable. Et alors je me demandais si l′originalité prouve vraiment que les grands écrivains soient des Dieux régnant chacun dans un royaume qui n′est qu′à lui, ou bien s′il n′y a pas dans tout cela un peu de feinte, si les différences entre les uvres ne seraient pas le résultat du travail, plutôt que l′expression d′une différence radicale d′essence entre les diverses personnalités. A favour still more precious than their taking me with them to the Jardin d′Acclimatation, the Swanns did not exclude me even from their friendship with Bergotte, which had been at the root of the attraction that I had found in them when, before I had even seen Gilberte, I reflected that her intimacy with that godlike elder would have made her, for me, the most passionately enthralling of friends, had not the disdain that I was bound to inspire in her forbidden me to hope that she would ever take me, in his company, to visit the towns that he loved. And lo, one day, came an invitation from Mme. Swann to a big luncheon-party. I did not know who else were to be the guests. On my arrival I was disconcerted, as I crossed the hall, by an alarming incident. Mme. Swann seldom missed an opportunity of adopting any of those customs which pass as fashionable for a season, and then, failing to find support, are speedily abandoned (as, for instance, many years before, she had had her ‘private hansom,′ or now had, printed in English upon a card inviting you to luncheon, the words, ‘To meet,′ followed by the name of some more or less important personage). Often enough these usages implied nothing mysterious and required no initiation. Take, for instance, a minute innovation of those days, imported from England; Odette had made her husband have some visiting cards printed on which the name Charles Swann was preceded by ‘Mr.′. After the first visit that I paid her, Mme. Swann had left at my door one of these ‘pasteboards,′ as she called them. No one had ever left a card on me before; I felt at once so much pride, emotion, gratitude that, scraping together all the money I possessed, I ordered a superb basket of camellias and had it sent to Mme. Swann. I implored my father to go and leave a card on her, but first, quickly, to have some printed on which his name should bear the prefix ‘Mr.′. He vouchsafed neither of my prayers; I was in despair for some days, and then asked myself whether he might not after all have been right. But this use of ‘Mr.,′ if it meant nothing, was at least intelligible. Not so with another that was revealed to me on the occasion of this luncheon-party, but revealed without any indication of its purport. At the moment when I was about to step from the hall into the drawing-room the butler handed me a thin, oblong envelope upon which my name was inscribed. In my surprise I thanked him; but I eyed the envelope with misgivings. I no more knew what I was expected to do with it than a foreigner knows what to do with one of those little utensils that they lay by his place at a Chinese banquet. I noticed that it was gummed down; I was afraid of appearing indiscreet, were I to open it then and there; and so I thrust it into my pocket with an air of knowing all about it. Mme. Swann had written to me a few days before, asking me to come to luncheon with ‘just a few people.′ There were, however, sixteen of us, among whom I never suspected for a moment that I was to find Bergotte. Mme. Swann, who had already ‘named′ me, as she called it, to several of her guests, suddenly, after my name, in the same tone that she had used in uttering it (in fact, as though we were merely two of the guests at her party, who ought each to feel equally flattered on meeting the other), pronounced that of the sweet Singer with the snowy locks. The name Bergotte made me jump like the sound of a revolver fired at me point blank, but instinctively, for appearance′s sake, I bowed; there, straight in front of me, as by one of those conjurers whom we see standing whole and unharmed, in their frock coats, in the smoke of a pistol shot out of which a pigeon has just fluttered, my salute was returned by a young common little thick-set peering person, with a red nose curled like a snail-shell and a black tuft on his chin. I was cruelly disappointed, for what had just vanished in the dust of the explosion was not only the feeble old man, of whom no vestige now remained; there was also the beauty of an immense work which I had contrived to enshrine in the frail and hallowed organism that I had constructed, like a temple, expressly for itself, but for which no room was to be found in the squat figure, packed tight with blood-vessels, bones, muscles, sinews, of the little man with the snub nose and black beard who stood before me. All the Bergotte whom I had slowly and delicately elaborated for myself, drop by drop, like a stalactite, out of the transparent beauty of his books, ceased (I could see at once) to be of any use, the moment I was obliged to include in him the snail-shell nose and to utilise the little black beard; just as we must reject as worthless the solution of a problem the terms of which we have not read in full, having failed to observe that the total must amount to a specified figure. The nose and beard were elements similarly ineluctable, and all the more aggravating in that, while forcing me to reconstruct entirely the personage of Bergotte, they seemed further to imply, to produce, to secrete incessantly a certain quality of mind, alert and self-satisfied, which was not in the picture, for such a mind had no connexion whatever with the sort of intelligence that was diffused throughout those books, so intimately familiar to me, which were permeated by a gentle and godlike wisdom. Starting from them, I should never have arrived at that snail-shell nose; but starting from the nose, which did not appear to be in the slightest degree ashamed of itself, but stood out alone there like a grotesque ornament fastened on his face, I must proceed in a diametrically opposite direction from the work of Bergotte, I must arrive, it would seem, at the mentality of a busy and preoccupied engineer, of the sort who when you accost him in the street thinks it correct to say: “Thanks, and you?” before you have actually inquired of them how they are, or else, if you assure them that you have been charmed to make their acquaintance, respond with an abbreviation which they imagine to be effective, intelligent and up-to-date, inasmuch as it avoids any waste of precious time on vain formalities: “Same here!” Names are, no doubt, but whimsical draughtsmen, giving us of people as well as of places sketches so little like the reality that we often experience a kind of stupor when we have before our eyes, in place of the imagined, the visible world (which, for that matter, is not the true world, our senses being little more endowed than our imagination with the art of portraiture, so little, indeed, that the final and approximately lifelike pictures which we manage to obtain of reality are at least as different from the visible world as that was from the imagined). But in Bergotte′s case, my preconceived idea of him from his name troubled me far less than my familiarity with his work, to which I was obliged to attach, as to the cord of a balloon, the man with the little beard, without knowing whether it would still have the strength to raise him from the ground. It seemed quite clear, however, that it really was he who had written the books that I had so greatly enjoyed, for Mme. Swann having thought it incumbent upon her to tell him of my admiration for one of these, he shewed no surprise that she should have mentioned this to him rather than to any other of the party, nor did he seem to regard her action as due to a misapprehension, but, swelling out the frock coat which he had put on in honour of all these distinguished guests with a body distended in anticipation of the coming meal, while his mind was completely occupied by other, more real and more important considerations, it was only as at some finished episode in his early life, as though one had made an illusion to a costume of the Duc de Guise which he had worn, one season, at a fancy dress ball, that he smiled as he bore his mind back to the idea of his books; which at once began to fall in my estimation (dragging down with them the whole value of Beauty, of the world, of life itself), until they seemed to have been merely the casual amusement of a man with a little beard. I told myself that he must have taken great pains over them, but that, if he had lived upon an island surrounded by beds of pearl-oysters, he would instead have devoted himself to, and would have made a fortune out of, the pearling trade. His work no longer appeared to me so inevitable. And then I asked myself whether originality did indeed prove that great writers were gods, ruling each one over a kingdom that was his alone, or whether all that was not rather make-believe, whether the differences between one man′s book and another′s were not the result of their respective labours rather than the expression of a radical and essential difference between two contrasted personalities.
Cependant on était passé à table. A côté de mon assiette je trouvai un illet dont la tige était enveloppée dans du papier d′argent. Il m′embarrassa moins que n′avait fait l′enveloppe remise dans l′antichambre et que j′avais complètement oubliée. L′usage, pourtant aussi nouveau pour moi, me parut plus intelligible quand je vis tous les convives masculins s′emparer d′un illet semblable qui accompagnait leur couvert et l′introduire dans la boutonnière de leur redingote. Je fis comme eux avec cet air naturel d′un libre penseur dans une église, lequel ne connaît pas la messe, mais se lève quand tout le monde se lève et se met à genoux un peu après que tout le monde s′est mis à genoux. Un autre usage inconnu et moins éphémère me déplut davantage. De l′autre côté de mon assiette il y en avait une plus petite remplie d′une matière noirâtre que je ne savais pas être du caviar. J′étais ignorant de ce qu′il fallait en faire, mais résolu à n′en pas manger. Meanwhile we had taken our places at the table. By the side of my plate I found a carnation, the stalk of which was wrapped in silver paper. It embarrassed me less than the envelope that had been handed to me in the hall, which, however, I had completely forgotten. This custom, strange as it was to me, became more intelligible when I saw all the male guests take up the similar carnations that were lying by their plates and slip them into the buttonholes of their coats. I did as they had done, with the air of spontaneity that a free-thinker assumes in church, who is not familiar with the order of service but rises when everyone else rises and kneels a moment after everyone else is on his knees. Another usage, equally strange to me but less ephemeral, disquieted me more. On the other side of my plate was a smaller plate, on which was heaped a blackish substance which I did not then know to be caviare. I was ignorant of what was to be done with it but firmly determined not to let it enter my mouth.
Bergotte n′était pas placé loin de moi, j′entendais parfaitement ses paroles. Je compris alors l′impression de M. de Norpois. Il avait en effet un organe bizarre; rien n′altère autant les qualités matérielles de la voix que de contenir de la pensée: la sonorité des diphtongues, l′énergie des labiales, en sont influencées. La diction l′est aussi. La sienne me semblait entièrement différente de sa manière d′écrire et même les choses qu′il disait de celles qui remplissent ses ouvrages. Mais la voix sort d′un masque sous lequel elle ne suffit pas à nous faire reconnaître d′abord un visage que nous avons vu à découvert dans le style. Dans certains passages de la conversation où Bergotte avait l′habitude de se mettre à parler d′une façon qui ne paraissait pas affectée et déplaisante qu′à M. de Norpois, j′ai été long à découvrir une exacte correspondance avec les parties de ses livres où sa forme devenait si poétique et musicale. Alors il voyait dans ce qu′il disait une beauté plastique indépendante de la signification des phrases, et comme la parole humaine est en rapport avec l′âme, mais sans l′exprimer comme fait le style, Bergotte avait l′air de parler presque à contre-sens, psalmodiant certains mots et, s′il poursuivait au-dessous d′eux une seule image, les filant sans intervalle comme un même son, avec une fatigante monotonie. De sorte qu′un débit prétentieux, emphatique et monotone était le signe de la qualité esthétique de ses propos, et l′effet dans sa conversation, de ce même pouvoir qui produisait dans ses livres la suite des images et l′harmonie. J′avais eu d′autant plus de peine à m′en apercevoir d′abord que ce qu′il disait à ces moments-là, précisément parce que c′était vraiment de Bergotte n′avait pas l′air d′être du Bergotte. C′était un foisonnement d′idées précises, non incluses dans ce «genre Bergotte» que beaucoup de chroniqueurs s′étaient approprié; et cette dissemblance était probablement, — vue d′une façon trouble à travers la conversation, comme une image derrière un verre fumé — un autre aspect de ce fait que quand on lisait une page de Bergotte, elle n′était jamais ce qu′aurait écrit n′importe lequel de ces plats imitateurs qui pourtant, dans le journal et dans le livre, ornaient leur prose de tant d′images et de pensées «à la Bergotte». Cette différence dans le style venait de ce que «le Bergotte» était avant tout quelque élément précieux et vrai, caché au cur de quelque chose, puis extrait d′elle par ce grand écrivain grâce à son génie, extraction qui était le but du doux Chantre et non pas de faire du Bergotte. A vrai dire il en faisait malgré lui puisqu′il était Bergotte, et qu′en ce sens chaque nouvelle beauté de son uvre était la petite quantité de Bergotte enfouie dans une chose et qu′il en avait tirée. Mais si par là chacune de ces beautés était apparentée avec les autres et reconnaissable, elle restait cependant particulière, comme la découverte qui l′avait mise à jour; nouvelle, par conséquent différente de ce qu′on appelait le genre Bergotte qui était une vague synthèse des Bergotte déjà trouvés et rédigés par lui, lesquels ne permettaient nullement à des hommes sans génie d′augurer ce qu′il découvrirait ailleurs. Il en est ainsi pour tous les grands écrivains, la beauté de leurs phrases est imprévisible, comme est celle d′une femme qu′on ne connaît pas encore; elle est création puisqu′elle s′applique à un objet extérieur auquel ils pensent — et non à soi — et qu′ils n′ont pas encore exprimé. Un auteur de mémoires d′aujourd′hui, voulant sans trop en avoir l′air, faire du Saint-Simon, pourra à la rigueur écrire la première ligne du portrait de Villars: «C′était un assez grand homme brun . . . avec une physionomie vive, ouverte, sortante», mais quel déterminisme pourra lui faire trouver la seconde ligne qui commence par: «et véritablement un peu folle». La vraie variété est dans cette plénitude d′éléments réels et inattendus, dans le rameau chargé de fleurs bleues qui s′élance contre toute attente, de la haie printanière qui semblait déjà comble, tandis que l′imitation purement formelle de la variété (et on pourrait raisonner de même pour toutes les autres qualités du style) n′est que vide et uniformité, c′est-à-dire ce qui est le plus opposé à la variété, et ne peut chez les imitateurs en donner l′illusion et en rappeler le souvenir que pour celui qui ne l′a pas comprise chez les maîtres. Bergotte was sitting not far from me and I could hear quite well everything that he said. I understood then the impression that M. de Norpois had formed of him. He had indeed a peculiar ‘organ′; there is nothing that so much alters the material qualities of the voice as the presence of thought behind what one is saying; the resonance of one′s diphthongs, the energy of one′s labials are profoundly affected — in fact, one′s whole way of speaking. His seemed to me to differ entirely from his way of writing, and even the things that he said from those with which he filled his books. But the voice issues from behind a mask through which it is not powerful enough to make us recognise, at first sight, a face which we have seen uncovered in the speaker′s literary style. At certain points in the conversation, when Bergotte, by force of habit, began to talk in a way which no one but M. de Norpois would have thought affected or unpleasant, it was a long time before I discovered an exact correspondence with the parts of his books in which his form became so poetic and so musical. At those points I could see in what he was saying a plastic beauty independent of whatever his sentences might mean, and as human speech reflects the human soul, though without expressing it as does literary style, Bergotte appeared almost to be talking nonsense, intoning certain words and, if he were secretly pursuing, beneath them, a single image, stringing them together uninterruptedly on one continuous note, with a wearisome monotony. So that a pretentious, emphatic and monotonous opening was a sign of the rare aesthetic value of what he was saying, and an effect, in his conversation, of the same power which, in his books, produced that harmonious flow of imagery. I had had all the more difficulty in discovering this at first since what he said at such moments, precisely because it was the authentic utterance of Bergotte, had not the appearance of being Bergotte′s. It was an abundant crop of clearly defined ideas, not included in that ‘Bergotte manner′ which so many story-tellers had appropriated to themselves; and this dissimilarity was probably but another aspect — made out with difficulty through the stream of conversation, as an eclipse is seen through a smoked glass — of the fact that when one read a page of Bergotte it was never just what would have been written by any of those lifeless imitators who, nevertheless, in newspapers and in books, adorned their prose with so many ‘Bergottish′ images and ideas. This difference in style arose from the fact that what was meant by ‘Bergottism′ was, first and foremost, a priceless element of truth hidden in the heart of everything, whence it was extracted by that great writer, by virtue of his genius, and that this extraction, and not simply the perpetration of ‘Bergottisms,′ was my sweet Singer′s aim in writing. Though, it must be added, he continued to perpetrate them in spite of himself, and because he was Bergotte, so that, in one sense, every fresh beauty in his work was the little drop of Bergotte buried at the heart of a thing which he had distilled from it. But if, for that reason, each of those beauties was related to all the rest, and had a ‘family likeness,′ yet each remained separate and individual, as was the act of discovery that had brought it to the light of day; new, and consequently different from what was called the Bergotte manner, which was a loose synthesis of all the ‘Bergottisms′ already invented and set forth by him in writing, with no indication by which men who lacked genius might forecast what would be his next discovery. So it is with all great writers, the beauty of their language is as incalculable as that of a woman whom we have never seen; it is creative, because it is applied to an external object of which, and not of their language or its beauty, they are thinking, to which they have not yet given expression. An author of memorials of our time, wishing to write without too obviously seeming to be writing like Saint-Simon, might, on occasion, give us the first line of his portrait of Villars: “He was a rather tall man, dark . . . with an alert, open, expressive physiognomy,” but what law of determinism could bring him to the discovery of Saint-Simon′s next line, which begins with “and, to tell the truth, a trifle mad”? The true variety is in this abundance of real and unexpected elements, in the branch loaded with blue flowers which thrusts itself forward, against all reason, from the spring hedgerow that seemed already overcharged with blossoms, whereas the purely formal imitation of variety (and one might advance the same argument for all the other qualities of style) is but a barren uniformity, that is to say the very antithesis of variety, and cannot, in the work of imitators, give the illusion or recall other examples of variety save to a reader who has not acquired the sense of it from the masters themselves.
Aussi, — de même que le dicton de Bergotte eût sans doute charmé si lui-même n′avait été que quelque amateur récitant du prétendu Bergotte, au lieu qu′elle était liée à la pensée de Bergotte en travail et en action par des rapports vitaux que l′oreille ne dégageait pas immédiatement, — de même c′était parce que Bergotte appliquait cette pensée avec précision à la réalité qui lui plaisait que son langage avait quelque chose de positif, de trop nourrissant, qui décevait ceux qui s′attendaient à l′entendre parler seulement de «l′éternel torrent des apparences» et des «mystérieux frissons de la beauté». Enfin la qualité toujours rare et neuve de ce qu′il écrivait se traduisait dans sa conversation par une façon si subtile d′aborder une question, en négligeant tous ses aspects déjà connus, qu′il avait l′air de la prendre par un petit côté, d′être dans le faux, de faire du paradoxe, et qu′ainsi ses idées semblaient le plus souvent confuses, chacun appelant idées claires celles qui sont au même degré de confusion que les siennes propres. D′ailleurs toute nouveauté ayant pour condition l′élimination préalable du poncif auquel nous étions habitués et qui nous semblait la réalité même, toute conversation neuve, aussi bien que toute peinture, toute musique originales, paraîtra toujours alambiquée et fatigante. Elle repose sur des figures auxquelles nous ne sommes pas accoutumées, le causeur nous paraît ne parler que par métaphores, ce qui lasse et donne l′impression d′un manque de vérité. (Au fond les anciennes formes de langage avaient été elles aussi autrefois des images difficiles à suivre quand l′auditeur ne connaissait pas encore l′univers qu′elles peignaient. Mais depuis longtemps on se figure que c′était l′univers réel, on se repose sur lui.) Aussi quand Bergotte, ce qui semble pourtant bien simple aujourd′hui, disait de Cottard que c′était un ludion qui cherchait son équilibre, et de Brichot que «plus encore qu′à Mme Swann le soin de sa coiffure lui donnait de la peine parce que doublement préoccupé de son profil et de sa réputation. Il fallait à tout moment que l′ordonnance de la chevelure lui donnât l′air à la fois d′un lion et d′un philosophe», on éprouvait vite de la fatigue et on eût voulu reprendre pied sur quelque chose de plus concret, disait-on, pour signifier de plus habituel. Les paroles méconnaissables sorties du masque que j′avais sous les yeux c′était bien à l′écrivain que j′admirais qu′il fallait les rapporter, elles n′auraient pas su s′insérer dans ses livres à la façon d′un puzzle qui s′encadre entre d′autres, elles étaient dans un autre plan et nécessitaient une transposition moyennant laquelle un jour que je me répétais des phrases que j′avais entendu dire à Bergotte, j′y retrouvai toute l′armature de son style écrit, dont je pus reconnaître et nommer les différentes pièces dans ce discours parlé qui m′avait paru si différent. And so — just as Bergotte′s way of speaking would no doubt have been charming if he himself had been merely an amateur repeating imitations of Bergotte, whereas it was attached to the mind of Bergotte, at work and in action, by essential ties which the ear did not at once distinguish — so it was because Bergotte applied that mind with precision to the reality which pleased him that his language had in it something positive, something over-rich, disappointing those who expected to hear him speak only of the ‘eternal torrent of forms,′ and of the ‘mystic thrills of beauty.′ Moreover the quality, always rare and new, of what he wrote was expressed in his conversation by so subtle a manner of approaching a question, ignoring every aspect of it that was already familiar, that he appeared to be seizing hold of an unimportant detail, to be quite wrong about it, to be speaking in paradox, so that his ideas seemed as often as not to be in confusion, for each of us finds lucidity only in those ideas which are in the same state of confusion as his own. Besides, as all novelty depends upon the elimination, first, of the stereotyped attitude to which we have grown accustomed, and which has seemed to us to be reality itself, every new conversation, as well as all original painting and music, must always appear laboured and tedious. It is founded upon figures of speech with which we are not familiar, the speaker appears to us to be talking entirely in metaphors; and this wearies us, and gives us the impression of a want of truth. (After all, the old forms of speech must in their time have been images difficult to follow when the listener was not yet cognisant of the universe which they depicted. But he has long since decided that this must be the real universe, and so relies confidently upon it.) So when Bergotte — and his figures appear simple enough to-day — said of Cottard that he was a mannikin in a bottle, always trying to rise to the surface, and of Brichot that “to him even more than to Mme. Swann the arrangement of his hair was a matter for anxious deliberation, because, in his twofold preoccupation over his profile and his reputation, he had always to make sure that it was so brushed as to give him the air at once of a lion and of a philosopher,” one immediately felt the strain, and sought a foothold upon something which one called more concrete, meaning by that more ordinary. These unintelligible words, issuing from the mask that I had before my eyes, it was indeed to the writer whom I admired that they must be attributed, and yet they could not have been inserted among his books, in the form of a puzzle set in a series of different puzzles, they occupied another plane and required a transposition by means of which, one day, when I was repeating to myself certain phrases that I had heard Bergotte use, I discovered in them the whole machinery of his literary style, the different elements of which I was able to recognise and to name in this spoken discourse which had struck me as being so different.
A un point de vue plus accessoire, la façon spéciale, un peu trop minutieuse et intense, qu′il avait de prononcer certains mots, certains adjectifs qui revenaient souvent dans sa conversation et qu′il ne disait pas sans une certaine emphase, faisant ressortir toutes leurs syllabes et chanter la dernière (comme pour le mot visage qu′il substituait toujours au mot figure et à qui il ajoutait un grand nombre de v, d′s, de g, qui semblaient tous exploser de sa main ouverte à ces moments) correspondait exactement à la belle place où dans sa prose il mettait ces mots aimés en lumière, précédés d′une sorte de marge et composés de telle façon dans le nombre total de la phrase, qu′on était obligé, sous peine de faire une faute de mesure, d′y faire compter toute leur «quantité». Pourtant, on ne retrouvait pas dans le langage de Bergotte certain éclairage qui dans ses livres comme dans ceux de quelques autres auteurs, modifie souvent dans la phrase écrite l′apparence des mots. C′est sans doute qu′il vient de grandes profondeurs et n′amène pas ses rayons jusqu′à nos paroles dans les heures où ouverts aux autres par la conversation, nous sommes dans une certaine mesure fermés à nous-même. A cet égard il y avait plus d′intonations, plus d′accent, dans ses livres que dans ses propos: accent indépendant de la beauté du style, que l′auteur lui-même n′a pas perçu sans doute, car il n′est pas séparable de sa personnalité la plus intime. C′est cet accent qui aux moments où, dans ses livres, Bergotte était entièrement naturel rythmait les mots souvent alors fort insignifiants qu′il écrivait. Cet accent n′est pas noté dans le texte, rien ne l′y indique et pourtant il s′ajoute de lui-même aux phrases, on ne peut pas les dire autrement, il est ce qu′il y avait de plus éphémère et pourtant de plus profond chez l′écrivain et c′est cela qui portera témoignage sur sa nature, qui dira si malgré toutes les duretés qu′il a exprimées il était doux, malgré toutes les sensualités, sentimental. From a less immediate point of view the special way, a little too meticulous, too intense, that he had of pronouncing certain words, certain adjectives which were constantly recurring in his conversation, and which he never uttered without a certain emphasis, giving to each of their syllables a separate force and intoning the last syllable (as for instance the word visage, which he always used in preference to figure, and enriched with a number of superfluous v′s and s′s and g′s, which seemed all to explode from his outstretched palm at such moments) corresponded exactly to the fine passages in which, in his prose, he brought those favourite words into the light, preceded by a sort of margin and composed in such a way in the metrical whole of the phrase that the reader was obliged, if he were not to make a false quantity, to give to each of them its full value. And yet one did not find in the speech of Bergotte a certain luminosity which in his books, as in those of some other writers, often modified in the written phrase the appearance of its words. This was doubtless because that light issues from so profound a depth that its rays do not penetrate to our spoken words in the hours in which, thrown open to others by the act of conversation, we are to a certain extent closed against ourselves. In this respect, there were more intonations, there was more accent in his books than in his talk; an accent independent of the beauty of style, which the author himself has possibly not perceived, for it is not separable from his most intimate personality. It was this accent which, at the moments when, in his books, Bergotte was entirely natural, gave a rhythm to the words — often at such times quite insignificant — that he wrote. This accent is not marked on the printed page, there is nothing there to indicate it, and yet it comes of its own accord to his phrases, one cannot pronounce them in any other way, it is what was most ephemeral and at the same time most profound in the writer, and it is what will bear witness to his true nature, what will say whether, despite all the austerity that he has expressed he was gentle, despite all his sensuality sentimental.
Certaines particularités d′élocution qui existaient à l′état de faibles traces dans la conversation de Bergotte ne lui appartenaient pas en propre, car quand j′ai connu plus tard ses frères et ses surs, je les ai retrouvées chez eux bien plus accentuées. C′était quelque chose de brusque et de rauque dans les derniers mots d′une phrase gaie, quelque chose d′affaibli et d′expirant à la fin d′une phrase triste. Swann, qui avait connu le Maître quand il était enfant, m′a dit qu′alors on entendait chez lui, tout autant que chez ses frères et surs ces inflexions en quelque sorte familiales, tour à tour, cris de violente gaieté, murmures d′une lente mélancolie et que dans la salle où ils jouaient tous ensemble il faisait sa partie, mieux qu′aucun, dans leurs concerts successivement assourdissants et languides. Si particulier qu′il soit, tout ce bruit qui s′échappe des êtres est fugitif et ne leur survit pas. Mais il n′en fut pas ainsi de la prononciation de la famille Bergotte. Car s′il est difficile de comprendre jamais, même dans les Maîtres-Chanteurs, comment un artiste peut inventer la musique en écoutant gazouiller les oiseaux, pourtant Bergotte avait transposé et fixé dans sa prose cette façon de traîner sur des mots qui se répètent en clameurs de joie ou qui s′égouttent en tristes soupirs. Il y a dans ses livres telles terminaisons de phrases où l′accumulation des sonorités qui se prolongent, comme aux derniers accords d′une ouverture d′Opéra qui ne peut pas finir et redit plusieurs fois sa suprême cadence avant que le chef d′orchestre pose son bâton, dans lesquelles je retrouvai plus tard un équivalent musical de ces cuivres phonétiques de la famille Bergotte. Mais pour lui, à partir du moment où il les transporta dans ses livres, il cessa inconsciemment d′en user dans son discours. Du jour où il avait commencé d′écrire et, à plus forte raison, plus tard, quand je le connus, sa voix s′en était désorchestrée pour toujours. Certain peculiarities of elocution, faint traces of which were to be found in Bergotte′s conversation, were not exclusively his own; for when, later on, I came to know his brothers and sisters, I found those peculiarities much more accentuated in their speech. There was something abrupt and harsh in the closing words of a light and spirited utterance, something faint and dying at the end of a sad one. Swann, who had known the Master as a boy, told me that in those days one used to hear on his lips, just as much as on his brothers′ and sisters′, those inflexions, almost a family type, shouts of violent merriment interspersed with murmurings of a long-drawn melancholy, and that in the room in which they all played together he used to perform his part, better than any of them, in their symphonies, alternately deafening and subdued. However characteristic it may be, the sound that escapes from human lips is fugitive and does not survive the speaker. But it was not so with the pronunciation of the Bergotte family. For if it is difficult ever to understand, even in the Meistersinger, how an artist can invent music by listening to the twittering of birds, yet Bergotte had transposed and fixed in his written language that manner of dwelling on words which repeat themselves in shouts of joy, or fall, drop by drop, in melancholy sighs. There are in his books just such closing phrases where the accumulated sounds are prolonged (as in the last chords of the overture of an opera which cannot come to an end, and repeats several times over its supreme cadence before the conductor finally lays down his baton), in which, later on, I was to find a musical equivalent for those phonetic ‘brasses′ of the Bergotte family. But in his own case, from the moment in which he transferred them to his books, he ceased instinctively to make use of them in his speech. From the day on which he had begun to write — all the more markedly, therefore, in the later years in which I first knew him — his voice had lost this orchestration for ever.
Ces jeunes Bergotte — le futur écrivain et ses frères et surs — n′étaient sans doute pas supérieurs, au contraire, à des jeunes gens plus fins, plus spirituels qui trouvaient les Bergotte bien bruyants, voire un peu vulgaires, agaçants dans leurs plaisanteries qui caractérisaient le «genre» moitié prétentieux, moitié bêta, de la maison. Mais le génie, même le grand talent, vient moins d′éléments intellectuels et d′affinement social supérieurs à ceux d′autrui, que de la faculté de les transformer, de les transposer. Pour faire chauffer un liquide avec une lampe électrique, il ne s′agit pas d′avoir la plus forte lampe possible, mais une dont le courant puisse cesser d′éclairer, être dérivé et donner, au lieu de lumière, de la chaleur. Pour se promener dans les airs, il n′est pas nécessaire d′avoir l′automobile la plus puissante, mais une automobile qui ne continuant pas de courir à terre et coupant d′une verticale la ligne qu′elle suivait soit capable de convertir en force ascensionnelle sa vitesse horizontale. De même ceux qui produisent des uvres géniales ne sont pas ceux qui vivent dans le milieu le plus délicat, qui ont la conversation la plus brillante, la culture la plus étendue, mais ceux qui ont eu le pouvoir, cessant brusquement de vivre pour eux-mêmes, de rendre leur personnalité pareille à un miroir, de telle sorte que leur vie si médiocre d′ailleurs qu′elle pouvait être mondainement et même, dans un certain sens, intellectuellement parlant, s′y reflète, le génie consistant dans le pouvoir réfléchissant et non dans la qualité intrinsèque du spectacle reflété. Le jour où le jeune Bergotte put montrer au monde de ses lecteurs le salon de mauvais goût où il avait passé son enfance et les causeries pas très drôles qu′il y tenait avec ses frères, ce jour-là il monta plus haut que les amis de sa famille, plus spirituels et plus distingués: ceux-ci dans leurs belles Rolls-Royce pourraient rentrer chez eux en témoignant un peu de mépris pour la vulgarité des Bergotte; mais lui, de son modeste appareil qui venait enfin de «décoller», il les survolait. These young Bergottes — the future writer and his brothers and sisters — were doubtless in no way superior, far from it, to other young people, more refined, more intellectual than themselves, who found the Bergottes rather ‘loud that is to say a trifle vulgar, irritating one by the witticisms which characterised the tone, at once pretentious and puerile, of their household. But genius, and even what is only great talent, springs less from seeds of intellect and social refinement superior to those of other people than from the faculty of transposing, and so transforming them. To heat a liquid over an electric lamp one requires to have not the strongest lamp possible, but one of which the current can cease to illuminate, can be diverted so as instead of light to give heat. To mount the skies it is not necessary to have the most powerful of motors, one must have a motor which, instead of continuing to run along the earth′s surface, intersecting with a vertical line the horizontal which it began by following, is capable of converting its speed into ascending force. Similarly the men who produce works of genius are not those who live in the most delicate atmosphere, whose conversation is most brilliant or their culture broadest, but those who have had the power, ceasing in a moment to live only for themselves, to make use of their personality as of a mirror, in such a way that their life, however unimportant it may be socially, and even, in a sense, intellectually speaking, is reflected by it, genius consisting in the reflective power of the writer and not in the intrinsic quality of the scene reflected. The day on which young Bergotte succeeded in shewing to the world of his readers the tasteless household in which he had passed his childhood, and the not very amusing conversations between himself and his brothers, on that day he climbed far above the friends of his family, more intellectual and more distinguished than himself; they in their fine Rolls Royces might return home expressing due contempt for the vulgarity of the Bergottes; but he, with his modest engine which had at last left the ground, he soared above their heads.
C′était, non plus avec des membres de sa famille, mais avec certains écrivains de son temps que d′autres traits de son élocution lui étaient communs. De plus jeunes qui commençaient à le renier et prétendaient n′avoir aucune parenté intellectuelle avec lui, la manifestaient dans le vouloir en employant les mêmes adverbes, les mêmes prépositions qu′il répétait sans cesse, en construisant les phrases de la même manière, en parlant sur le même ton amorti, ralenti, par réaction contre le langage éloquent et facile d′une génération précédente. Peut-être ces jeunes gens — on en verra qui étaient dans ce cas — n′avaient-ils pas connu Bergotte. Mais sa façon de penser, inoculée en eux, y avait développé ces altérations de la syntaxe et de l′accent qui sont en relation nécessaire avec l′originalité intellectuelle. Relation qui demande à être interprétée d′ailleurs. Ainsi Bergotte, s′il ne devait rien à personne dans sa façon d′écrire, tenait sa façon de parler, d′un de ses vieux camarades, merveilleux causeur dont il avait subi l′ascendant, qu′il imitait sans le vouloir dans la conversation, mais qui, lui, étant moins doué, n′avait jamais écrit de livres vraiment supérieurs. De sorte que si l′on s′en était tenu à l′originalité du débit, Bergotte eût été étiqueté disciple, écrivain de seconde main, alors que, influencé par son ami, dans le domaine de la causerie, il avait été original et créateur comme écrivain. Sans doute encore pour se séparer de la précédente génération, trop amie des abstractions, des grands lieux communs, quand Bergotte voulait dire du bien d′un livre, ce qu′il faisait valoir, ce qu′il citait c′était toujours quelque scène faisant image, quelque tableau sans signification rationnelle. «Ah! si! disait-il, c′est bien! il y a une petite fille en châle orange, ah! c′est bien», ou encore: «Oh! oui il y a un passage où il y a un régiment qui traverse la ville, ah! oui, c′est bien!» Pour le style, il n′était pas tout à fait de son temps (et restait du reste fort exclusivement de son pays, il détestait Tolstoíª Georges Eliot, Ibsen et Dostoski) car le mot qui revenait toujours quand il voulait faire l′éloge d′un style, c′était le mot «doux». «Si, j′aime, tout de même mieux le Chateaubriand d′Atala que celui de René, il me semble que c′est plus doux.» Il disait ce mot-là comme un médecin à qui un malade assure que le lait lui fait mal à l′estomac et qui répond: «C′est pourtant bien doux.» Et il est vrai qu′il y avait dans le style de Bergotte une sorte d′harmonie pareille à celle pour laquelle les anciens donnaient à certains de leurs orateurs des louanges dont nous concevons difficilement la nature, habitués que nous sommes à nos langues modernes où on ne cherche pas ce genre d′effets. But there were other characteristics of his elocution which it was not with the members of his family, but with certain contemporary writers, that he must share. Younger men, who were beginning to repudiate him as a master and disclaimed any intellectual affinity to him in themselves, displayed their affinity without knowing it when they made use of the same adverbs, the same prepositions that he incessantly repeated, when they constructed their sentences in the same way, spoke in the same quiescent, lingering tone, by a reaction from the eloquent, easy language of an earlier generation. Perhaps these young men — we shall come across some of whom this may be said — had never known Bergotte. But his way of thinking, inoculated into them, had led them to those alterations of syntax and of accent which bear a necessary relation to originality of mind. A relation which, incidentally, requires to be traced. Thus Bergotte, if he owed nothing to any man for his manner of writing, derived his manner of speaking from one of his early associates, a marvellous talker to whose ascendancy he had succumbed, whom he imitated, unconsciously, in his conversation, but who himself, being less gifted, had never written any really outstanding book. So that if one had been in quest of originality in speech, Bergotte must have been labelled a disciple, a writer at second-hand, whereas, influenced by his friend only so far as talk went, he had been original and creative in his writings. Doubtless again, so as to distinguish himself from the previous generation, too fond as it had been of abstractions, of weighty commonplaces, when Bergotte wished to speak favourably of a book, what he would bring into prominence, what he would quote with approval would always be some scene that furnished the reader with an image, some picture that had no rational significance. “Ah, yes!” he would exclaim, “it is quite admirable! There is a little girl in an orange shawl. It is excellent!” or again, “Oh, yes, there is a passage in which there is a regiment marching along the street; yes, it is excellent!” As for style, he was not altogether of his time (though he remained quite exclusively of his race, abominating Tolstoy, George Eliot, Ibsen and Dostoievsky), for the word that always came to his lips when he wished to praise the style of any writer was ‘mild.′ “Yes, you know I like Chateaubriand better in Atala than in René; he seems to me to be ‘milder.′” He said the word like a doctor who, when his patient assures him that milk will give him indigestion, answers, “But, you know, it′s very ‘mild′.” And it is true that there was in Bergotte′s style a kind of harmony similar to that for which the ancients used to praise certain of their orators in terms which we now find it hard to understand, accustomed as we are to our own modern tongues in which effects of that kind are not sought.
Il disait aussi, avec un sourire timide, de pages de lui pour lesquelles on lui déclarait son admiration: «Je crois que c′est assez vrai, c′est assez exact, cela peut être utile», mais simplement par modestie, comme à une femme à qui on dit que sa robe, ou sa fille, est ravissante, répond, pour la première: «Elle est commode», pour la seconde: «Elle a un bon caractère». Mais l′instinct du constructeur était trop profond chez Bergotte pour qu′il ignorât que la seule preuve qu′il avait bâti utilement et selon la vérité, résidait dans la joie que son uvre lui avait donnée, à lui d′abord, et aux autres ensuite. Seulement bien des années plus tard, quand il n′eut plus de talent, chaque fois qu′il écrivit quelque chose dont il n′était pas content, pour ne pas l′effacer comme il aurait dû, pour le publier, il se répéta, à soi-même cette fois: «Malgré tout, c′est assez exact, cela n′est pas inutile à mon pays.» De sorte que la phrase murmurée jadis devant ses admirateurs par une ruse de sa modestie, le fut, à la fin, dans le secret de son cur, par les inquiétudes de son orgueil. Et les mêmes mots qui avaient servi à Bergotte d′excuse superflue pour la valeur de ses premières uvres, lui devinrent comme une inefficace consolation de la médiocrité des dernières. He would say also, with a shy smile, of pages of his own for which some one had expressed admiration: “I think it is more or less true, more or less accurate; it may be of some value perhaps,” but he would say this simply from modesty, as a woman to whom one has said that her dress, or her daughter, is charming replies, “It is comfortable,” or “She is a good girl.” But the constructive instinct was too deeply implanted in Bergotte for him not to be aware that the sole proof that he had built usefully and on the lines of truth lay in the pleasure that his work had given, to himself first of all and afterwards to his readers. Only many years later, when he no longer had any talent, whenever he wrote anything with which he was not satisfied, so as not to have to suppress it, as he ought to have done, so as to be able to publish it with a clear conscience he would repeat, but to himself this time: “After all, it is more or less accurate, it must be of some value to the country.” So that the phrase murmured long ago among his admirers by the insincere voice of modesty came in the end to be whispered in the secrecy of his heart by the uneasy tongue of pride. And the same words which had served Bergotte as an unwanted excuse for the excellence of his earliest works became as it were an ineffective consolation to him for the hopeless mediocrity of the latest.
Une espèce de sévérité de goût qu′il avait, de volonté de n′écrire jamais que des choses dont il pût dire: «C′est doux», et qui l′avait fait passer tant d′années pour un artiste stérile, précieux, ciseleur de riens, était au contraire le secret de sa force, car l′habitude fait aussi bien le style de l′écrivain que le caractère de l′homme et l′auteur qui s′est plusieurs fois contenté d′atteindre dans l′expression de sa pensée à un certain agrément, pose ainsi pour toujours les bornes de son talent, comme en cédant souvent au plaisir, à la paresse, à la peur de souffrir on dessine soi-même sur un caractère où la retouche finit par n′être plus possible la figure de ses vices et les limites de sa vertu. A kind of austerity of taste which he had, a kind of determination to write nothing of which he could not say that it was ‘mild,′ which had made people for so many years regard him as a sterile and precious artist, a chiseller of exquisite trifles, was on the contrary the secret of his strength, for habit forms the style of the writer just as much as the character of the man, and the author who has more than once been patient to attain, in the expression of his thoughts, to a certain kind of attractiveness, in so doing lays down unalterably the boundaries of his talent, just as if he yields too often to pleasure, to laziness, to the fear of being put to trouble, he will find himself describing in terms which no amount of revision can modify, the forms of his own vices and the limits of his virtue.
Si, pourtant, malgré tant de correspondances que je perçus dans la suite entre l′écrivain et l′homme, je n′avais pas cru au premier moment, chez Mme Swann, que ce fût Bergotte, que ce fût l′auteur de tant de livres divins qui se trouvât devant moi, peut-être n′avais-je pas eu absolument tort, car lui-même (au vrai sens du mot) ne le «croyait» pas non plus. Il ne le croyait pas puisqu′il montrait un grand empressement envers des gens du monde (sans être d′ailleurs snob), envers des gens de lettres, des journalistes, qui lui étaient bien inférieurs. Certes, maintenant il avait appris par le suffrage des autres, qu′il avait du génie, à côté de quoi la situation dans le monde et les positions officielles ne sont rien. Il avait appris qu′il avait du génie, mais il ne le croyait pas puisqu′il continuait à simuler la déférence envers des écrivains médiocres pour arriver à être prochainement académicien, alors que l′Académie ou le faubourg Saint-Germain n′ont pas plus à voir avec la part de l′Esprit éternel laquelle est l′auteur des livres de Bergotte qu′avec le principe de causalité ou l′idée de Dieu. Cela il le savait aussi, comme un kleptomane sait inutilement qu′il est mal de voler. Et l′homme à barbiche et à nez en colimaçon avait des ruses de gentleman voleur de fourchettes, pour se rapprocher du fauteuil académique espéré, de telle duchesse qui disposait de plusieurs voix, dans les élections, mais de s′en rapprocher en tâchant qu′aucune personne qui eût estimé que c′était un vice de poursuivre un pareil but, pur voir son manège. Il n′y réussissait qu′à demi, on entendait alterner avec les propos du vrai Bergotte, ceux du Bergotte égoî²´e, ambitieux et qui ne pensait qu′à parler de tels gens puissants, nobles ou riches, pour se faire valoir, lui qui dans ses livres, quand il était vraiment lui-même avait si bien montré, pur comme celui d′une source, le charme des pauvres. If, however, despite all the analogies which I was to perceive later on between the writer and the man, I had not at first sight, in Mme. Swann′s drawing-room, believed that this could be Bergotte, the author of so many divine books, who stood before me, perhaps I was not altogether wrong, for he himself did not, in the strict sense of the word, ‘believe′ it either. He did not believe it because he shewed a great assiduity in the presence of fashionable people (and yet he was not a snob), of literary men and journalists who were vastly inferior to himself. Of course he had long since learned, from the suffrage of his readers, that he had genius, compared to which social position and official rank were as nothing. He had learned that he had genius, but he did not believe it because he continued to simulate deference towards mediocre writers in order to succeed, shortly, in becoming an Academician, whereas the Academy and the Faubourg Saint-Germain have no more to do with that part of the Eternal Mind which is the author of the works of Bergotte than with the law of causality or the idea of God. That also he knew, but as a kleptomaniac knows, without profiting by the knowledge, that it is wrong to steal. And the man with the little beard and snail-shell nose knew and used all the tricks of the gentleman who pockets your spoons, in his efforts to reach the coveted academic chair, or some duchess or other who could dispose of several votes at the election, but while on his way to them he would endeavour to make sure that no one who would consider the pursuit of such an object a vice in him should see what he was doing. He was only half-successful; one could hear, alternating with the speech of the true Bergotte, that of the other Bergotte, ambitious, utterly selfish, who thought it not worth his while to speak of any but his powerful, rich or noble friends, so as to enhance his own position, he who in his books, when he was really himself, had so well portrayed the charm, pure as a mountain spring, of poverty.
Quant à ces autres vices auxquels avait fait allusion M. de Norpois, à cet amour à demi incestueux qu′on disait même compliqué d′indélicatesse en matière d′argent, s′ils contredisaient d′une façon choquante la tendance de ses derniers romans, pleins d′un souci si scrupuleux, si douloureux, du bien, que les moindres joies de leurs héros en étaient empoisonnées et que pour le lecteur même il s′en dégageait un sentiment d′angoisse à travers lequel l′existence la plus douce semblait difficile à supporter, ces vices ne prouvaient pas cependant, à supposer qu′on les imputât justement à Bergotte, que sa littérature fût mensongère, et tant de sensibilité, de la comédie. De même qu′en pathologie certains états d′apparence semblable, sont dûs, les uns à un excès, d′autres à une insuffisance de tension, de sécrétion, etc., de même il peut y avoir vice par hypersensibilité comme il y a vice par manque de sensibilité. Peut-être n′est-ce que dans des vies réellement vicieuses que le problème moral peut se poser avec toute sa force d′anxiété. Et à ce problème l′artiste donne une solution non pas dans le plan de sa vie individuelle, mais de ce qui est pour lui sa vraie vie, une solution générale, littéraire. Comme les grands docteurs de l′Église commencèrent souvent tout en étant bons par connaître les péchés de tous les hommes, et en tirèrent leur sainteté personnelle, souvent les grands artistes tout en étant mauvais se servent de leurs vices pour arriver à concevoir la règle morale de tous. Ce sont les vices (ou seulement les faiblesses et les ridicules) du milieu où ils vivaient, les propos inconséquents, la vie frivole et choquante de leur fille, les trahisons de leur femme ou leurs propres fautes, que les écrivains ont le plus souvent flétries dans leurs diatribes sans changer pour cela le train de leur ménage ou le mauvais ton qui règne dans leur foyer. Mais ce contraste frappait moins autrefois qu′au temps de Bergotte, parce que d′une part, au fur et à mesure que se corrompait la société, les notions de moralité allaient s′épurant, et que d′autre part le public s′était mis au courant plus qu′il n′avait encore fait jusque-là de la vie privée des écrivains; et certains soirs au théâtre on se montrait l′auteur que j′avais tant admiré à Combray, assis au fond d′une loge dont la seule composition semblait un commentaire singulièrement risible ou poignant, un impudent démenti de la thèse qu′il venait de soutenir dans sa dernière uvre. Ce n′est pas ce que les uns ou les autres purent me dire qui me renseigna beaucoup sur la bonté ou la méchanceté de Bergotte. Tel de ses proches fournissait des preuves de sa dureté, tel inconnu citait un trait (touchant car il avait été évidemment destiné à rester caché) de sa sensibilité profonde. Il avait agi cruellement avec sa femme. Mais dans une auberge de village où il était venu passer la nuit il était resté pour veiller une pauvresse qui avait tenté de se jeter à l′eau, et quand il avait été obligé de partir il avait laissé beaucoup d′argent à l′aubergiste pour qu′il ne chassât pas cette malheureuse et pour qu′il eût des attentions envers elle. Peut-être plus le grand écrivain se développa en Bergotte aux dépens de l′homme à barbiche, plus sa vie individuelle se noya dans le flot de toutes les vies qu′il imaginait et ne lui parut plus l′obliger à des devoirs effectifs, lesquels étaient remplacés pour lui par le devoir d′imaginer ces autres vies. Mais en même temps parce qu′il imaginait les sentiments des autres, aussi bien que s′ils avaient été les siens, quand l′occasion faisait qu′il avait à s′adresser à un malheureux, au moins d′une façon passagère, il le faisait en se plaçant non à son point de vue personnel, mais à celui même de l′être qui souffrait, point de vue d′où lui aurait fait horreur le langage de ceux qui continuent à penser à leurs petits intérêts devant la douleur d′autrui. De sorte qu′il a excité autour de lui des rancunes justifiées et des gratitudes ineffaçables. As for those other vices to which M. de Norpois had alluded, that almost incestuous love, which was made still worse, people said, by a want of delicacy in the matter of money, if they contradicted, in a shocking manner, the tendency of his latest novels, in which he shewed everywhere a regard for what was right and proper so painfully rigid that the most innocent pleasures of their heroes were poisoned by it, and that even the reader found himself turning their pages with a sense of acute discomfort, and asked himself whether it was possible to go on living even the quietest of lives, those vices did not at all prove, supposing that they were fairly imputed to Bergotte, that his literature was a lie and all his sensitiveness mere play-acting. Just as in pathology certain conditions similar in appearance are due, some to an excess, others to an insufficiency of tension, of secretion and so forth, so there may be vice arising from supersensitiveness just as much as from the lack of it. Perhaps it is only in really vicious lives that the moral problem can arise in all its disquieting strength. And of this problem the artist finds a solution in the terms not of his own personal life but of what is for him the true life, a general, a literary solution. As the great Doctors of the Church began often, without losing their virtue, by acquainting themselves with the sins of all mankind, out of which they extracted their own personal sanctity, so great artists often, while being thoroughly wicked, make use of their vices in order to arrive at a conception of the moral law that is binding upon us all. It is the vices (or merely the weaknesses and follies) of the circle in which they live, the meaningless conversation, the frivolous or shocking lives of their daughters, the infidelity of their wives, or their own misdeeds that writers have most often castigated in their books, without, however, thinking it necessary to alter their domestic economy or to improve the tone of their households. And this contrast had never before been so striking as it was in Bergotte′s time, because, on the one hand, in proportion as society grew more corrupt, our notions of morality were increasingly exalted, while on the other hand the public were now told far more than they had ever hitherto known about the private lives of literary men; and on certain evenings in the theatre people would point out the author whom I had so greatly admired at Combray, sitting at the back of a box the mere composition of which seemed an oddly humorous, or perhaps keenly ironical commentary upon — a brazen-faced denial of — the thesis which he had just been maintaining in his latest book. Not that anything which this or that casual informant could tell me was of much use in helping me to settle the question of the goodness or wickedness of Bergotte. An intimate friend would furnish proofs of his hardheartedness; then a stranger would cite some instance (touching, since he had evidently wished it to remain hidden) of his real depth of feeling. He had behaved cruelly to his wife. But in a village inn, where he had gone to spend the night, he had stayed on to watch over a poor woman who had tried to drown herself, and when he was obliged to continue his journey had left a large sum of money with the landlord, so that he should not turn the poor creature out, but see that she got proper attention. Perhaps the more the great writer was developed in Bergotte at the expense of the little man with the beard, so much the more his own personal life was drowned in the flood of all the lives that he imagined, until he no longer felt himself obliged to perform certain practical duties, for which he had substituted the duty of imagining those other lives. But at the same time, because he imagined the feelings of others as completely as if they had been his own, whenever he was obliged, for any reason, to talk to some person who had been unfortunate (that is to say in a casual encounter) he would, in doing so, take up not his own personal standpoint but that of the sufferer himself, a standpoint in which he would have been horrified by the speech of those who continued to think of their own petty concerns in the presence of another′s grief. With the result that he gave rise everywhere to justifiable rancour and to undying gratitude.
C′était surtout un homme qui au fond n′aimait vraiment que certaines images et (comme une miniature au fond d′un coffret) que les composer et les peindre sous les mots. Pour un rien qu′on lui avait envoyé, si ce rien lui était l′occasion d′en entrelacer quelques-unes, il se montrait prodigue dans l′expression de sa reconnaissance, alors qu′il n′en témoignait aucune pour un riche présent. Et s′il avait eu à se défendre devant un tribunal, malgré lui il aurait choisi ses paroles non selon l′effet qu′elles pouvaient produire sur le juge mais en vue d′images que le juge n′aurait certainement pas aperçues. Above all, he was a man who in his heart of hearts loved nothing really except certain images and (like a miniature set in the floor of a casket) the composing and painting of them in words. For a trifle that some one had sent him, if that trifle gave him the opportunity of introducing one or two of these images, he would be prodigal in the expression of his gratitude, while shewing none whatever for an expensive present. And if he had had to plead before a tribunal, he would inevitably have chosen his words not for the effect that they might have on the judge but with an eye to certain images which the judge would certainly never have perceived.
Ce premier jour où je le vis chez les parents de Gilberte, je racontai à Bergotte que j′avais entendu récemment la Berma dans Phèdre; il me dit que dans la scène où elle reste le bras levé à la hauteur de l′épaule — précisément une des scènes où on avait tant applaudi — elle avait su évoquer avec un art très noble des chefs-d′uvre qu′elle n′avait peut-être d′ailleurs jamais vus, une Hespéride qui fait ce geste sur une métope d′Olympie, et aussi les belles vierges de l′ancien Erechthéion. That first day on which I met him with Gilberte′s parents, I mentioned to Bergotte that I had recently been to hear Berma in Phèdre; and he told me that in the scene in which she stood with her arm raised to the level of her shoulder — one of those very scenes that had been greeted with such applause — she had managed to suggest with great nobility of art certain classical figures which, quite possibly, she had never even seen, a Hesperid carved in the same attitude upon a metope at Olympia, and also the beautiful primitive virgins on the Erechtheum.
— «Ce peut être une divination, je me figure pourtant qu′elle va dans les musées. Ce serait intéressant à «repérer» (repérer était une de ces expressions habituelles à Bergotte et que tels jeunes gens qui ne l′avaient jamais rencontré lui avaient prises, parlant comme lui par une sorte de suggestion à distance). “It may be sheer divination, and yet I fancy that she visits the museums. It would be interesting to ‘establish′ that.” (‘Establish′ was one of those regular Bergotte expressions, and one which various young men who had never met him had caught from him, speaking like him by some sort of telepathic suggestion.)
— Vous pensez aux Cariatides? demanda Swann. “Do you mean the Cariatides?” asked Swann.
— Non, non, dit Bergotte, sauf dans la scène où elle avoue sa passion à none et où elle fait avec la main le mouvement d′Hégeso dans la stèle du Céramique, c′est un art bien plus ancien qu′elle ranime. Je parlais des Koraퟤe l′ancien Erechthéion, et je reconnais qu′il n′y a peut-être rien qui soit aussi loin de l′art de Racine, mais il y a tant déjà de choses dans Phèdre . . ., une de plus . . . Oh! et puis, si, elle est bien jolie la petite Phèdre du VIe siècle, la verticalité du bras, la boucle du cheveu qui «fait marbre», si, tout de même, c′est très fort d′avoir trouvé tout ça. Il y a là beaucoup plus d′antiquité que dans bien des livres qu′on appelle cette année «antiques». “No, no,” said Bergotte, “except in the scene where she confesses her passion to Oenone, where she moves her hand exactly like Hegeso on the stele in the Ceramic, it is a far more primitive art that she revives. I was referring to the Korai of the old Erechtheum, and I admit that there is perhaps nothing quite so remote from the art of Racine, but there are so many things already in Phèdre, . . . that one more . . . Oh, and then, yes, she is really charming, that little sixth century Phaedra, the rigidity of the arm, the lock of hair ‘frozen into marble,′ yes, you know, it is wonderful of her to have discovered all that. There is a great deal more antiquity in it than in most of the books they are labelling ‘antique′ this year.”
Comme Bergotte avait adressé dans un de ses livres une invocation célèbre à ces statues archaî°µes, les paroles qu′il prononçait en ce moment étaient fort claires pour moi et me donnaient une nouvelle raison de m′intéresser au jeu de la Berma. Je tâchais de la revoir dans mon souvenir, telle qu′elle avait été dans cette scène où je me rappelais qu′elle avait élevé le bras à la hauteur de l′épaule. Et je me disais: «Voilà l′Hespéride d′Olympie; voilà la sur d′une de ces admirables orantes de l′Acropole; voilà ce que c′est qu′un art noble.» Mais pour que ces pensées pussent m′embellir le geste de la Berma, il aurait fallu que Bergotte me les eût fournies avant la représentation. Alors pendant que cette attitude de l′actrice existait effectivement devant moi, à ce moment où la chose qui a lieu a encore la plénitude de la réalité, j′aurais pu essayer d′en extraire l′idée de sculpture archaî°µe. Mais de la Berma dans cette scène, ce que je gardais c′était un souvenir qui n′était plus modifiable, mince comme une image dépourvue de ces dessous profonds du présent qui se laissent creuser et d′où l′on peut tirer véridiquement quelque chose de nouveau, une image à laquelle on ne peut imposer rétroactivement une interprétation qui ne serait plus susceptible de vérification, de sanction objective. Pour se mêler à la conversation, Mme Swann me demanda si Gilberte avait pensé à me donner ce que Bergotte avait écrit sur Phèdre. «J′ai une fille si étourdie», ajouta-t-elle. Bergotte eut un sourire de modestie et protesta que c′étaient des pages sans importance. «Mais c′est si ravissant ce petit opuscule, ce petit tract», dit Mme Swann pour se montrer bonne maîtresse de maison, pour faire croire qu′elle avait lu la brochure, et aussi parce qu′elle n′aimait pas seulement complimenter Bergotte, mais faire un choix entre les choses qu′il écrivait, le diriger. Et à vrai dire elle l′inspira, d′une autre façon, du reste qu′elle ne crut. Mais enfin il y a entre ce que fut l′élégance du salon de Mme Swann et tout un côté de l′uvre de Bergotte des rapports tels que chacun des deux peut être alternativement pour les vieillards d′aujourd′hui, un commentaire de l′autre. As Bergotte had in one of his volumes addressed a famous invocation to these archaic statues, the words that he was now uttering were quite intelligible to me and gave me a fresh reason for taking an interest in Berma′s acting. I tried to picture her again in my mind, as she had looked in that scene in which I remembered that she had raised her arm to the level of her shoulder. And I said to myself, “There we have the Hesperid of Olympia; there we have the sister of those adorable suppliants on the Acropolis; there is indeed nobility in art!” But if these considerations were to enhance for me the beauty of Berma′s gesture, Bergotte should have put them into my head before the performance. Then, while that attitude of the actress was actually existing in flesh and blood before my eyes, at that moment in which the thing that was happening had still the substance of reality, I might have tried to extract from it the idea of archaic sculpture. But of Berma in that scene all that I retained was a memory which was no longer liable to modification, slender as a picture which lacks that abundant perspective of the present tense where one is free to delve and can always discover something new, a picture to which one cannot retrospectively give a meaning that is not subject to verification and correction from without. At this point Mme. Swann joined in the conversation, asking me whether Gilberte had remembered to give me what Bergotte had written about Phèdre, and adding, “My daughter is such a scatter-brain!” Bergotte smiled modestly and protested that they were only a few pages, of no importance. “But it is perfectly charming, that little pamphlet, that little ‘tract′ of yours!” Mme. Swann assured him, to shew that she was a good hostess, to make the rest of us think that she had read Bergotte′s essay, and also because she liked not merely to flatter Bergotte, but to make a selection for herself out of what he wrote, to control his writing. And it must be admitted that she did inspire him, though not in the way that she supposed. But when all is said there is, between what constituted the smartness of Mme. Swann′s drawing-room and a whole side of Bergotte′s work, so close a correspondence that either of them might serve among elderly men to-day, as a commentary upon the other.
Je me laissais aller à raconter mes impressions. Souvent Bergotte ne les trouvait pas justes, mais il me laissait parler. Je lui dis que j′avais aimé cet éclairage vert qu′il y a au moment où Phèdre lève le bras. «Ah! vous feriez très plaisir au décorateur qui est un grand artiste, je le lui raconterai parce qu′il est très fier de cette lumière-là. Moi je dois dire que je ne l′aime pas beaucoup, ça baigne tout dans une espèce de machine glauque, la petite Phèdre là-dedans fait trop branche de corail au fond d′un aquarium. Vous direz que ça fait ressortir le côté cosmique du drame. Ça c′est vrai. Tout de même ce serait mieux pour une pièce qui se passerait chez Neptune. Je sais bien qu′il y a là de la vengeance de Neptune. Mon Dieu je ne demande pas qu′on ne pense qu′à Port-Royal, mais enfin, tout de même ce que Racine a raconté ce ne sont pas les amours des oursins. Mais enfin c′est ce que mon ami a voulu et c′est très fort tout de même et au fond, c′est assez joli. Oui, enfin vous avez aimé ça, vous avez compris, n′est-ce pas, au fond nous pensons de même là-dessus, c′est un peu insensé ce qu′il a fait, n′est-ce pas, mais enfin c′est très intelligent.» Et quand l′avis de Bergotte était ainsi contraire au mien, il ne me réduisait nullement au silence, à l′impossibilité de rien répondre, comme eût fait celui de M. de Norpois. Cela ne prouve pas que les opinions de Bergotte fussent moins valables que celles de l′ambassadeur, au contraire. Une idée forte communique un peu de sa force au contradicteur. Participant à la valeur universelle des esprits, elle s′insère, se greffe en l′esprit de celui qu′elle réfute, au milieu d′idées adjacentes, à l′aide desquelles, reprenant quelque avantage, il la complète, la rectifie; si bien que la sentence finale est en quelque sorte l′uvre des deux personnes qui discutaient. C′est aux idées qui ne sont pas, à proprement parler, des idées, aux idées qui ne tenant à rien, ne trouvent aucun point d′appui, aucun rameau fraternel dans l′esprit de l′adversaire, que celui-ci, aux prises avec le pur vide, ne trouve rien à répondre. Les arguments de M. de Norpois (en matière d′art) étaient sans réplique parce qu′ils étaient sans réalité. I let myself go in telling him what my impressions had been. Often Bergotte disagreed, but he allowed me to go on talking. I told him that I had liked the green light which was turned on when Phaedra raised her arm. “Ah! The designer will be glad to hear that; he is a real artist. I shall tell him you liked it, because he is very proud of that effect. I must say, myself, that I do not care for it very much, it drowns everything in a sort of aqueous vapour, little Phaedra standing there looks too like a branch of coral on the floor of an aquarium. You will tell me, of course, that it brings out the cosmic aspect of the play. That is quite true. All the same, it would be more appropriate if the scene were laid in the Court of Neptune. Oh yes, of course, I know the Vengeance of Neptune does come into the play. I don′t suggest for a moment that we should think only of Port-Royal, but after all the story that Racine tells us is not the ‘Loves of the Sea-Urchins.′ Still, it is what my friend wished to have, and it is very well done, right or wrong, and it′s really quite pretty when you come to look at it. Yes, so you liked that, did you; you understood what it meant, of course; we feel the same about it, don′t we, really; it is a trifle unbalanced, what he′s done, you agree with me, but on the whole it is very clever of him.” And so, when Bergotte had to express an opinion which was the opposite of my own, he in no way reduced me to silence, to the impossibility of framing any reply, as M. de Norpois would have done. This does not prove that Bergotte′s opinions were of less value than the Ambassador′s; far from it. A powerful idea communicates some of its strength to him who challenges it. Being itself a part of the riches of the universal Mind, it makes its way into, grafts itself upon the mind of him whom it is employed to refute, slips in among the ideas already there, with the help of which, gaining a little ground, he completes and corrects it; so that the final utterance is always to some extent the work of both parties to a discussion. It is to ideas which are not, properly speaking, ideas at all, to ideas which, founded upon nothing, can find no support, no kindred spirit among the ideas of the adversary, that he, grappling with something which is not there, can find no word to say in answer. The arguments of M. de Norpois (in the matter of art) were unanswerable simply because they were without reality.
Bergotte n′écartant pas mes objections, je lui avouai qu′elles avaient été méprisées par M. de Norpois. «Mais c′est un vieux serin, répondit-il; il vous a donné des coups de bec parce qu′il croit toujours avoir devant lui un échaudé ou une seiche.» «Comment! vous connaissez Norpois», me dit Swann. «Oh! il est ennuyeux comme la pluie, interrompit sa femme qui avait grande confiance dans le jugement de Bergotte et craignait sans doute que M. de Norpois ne nous eût dit du mal d′elle. J′ai voulu causer avec lui après le dîner, je ne sais pas si c′est l′âge ou la digestion, mais je l′ai trouvé d′un vaseux. Il semble qu′on aurait eu besoin de le doper!» «Oui, n′est-ce pas, dit Bergotte, il est bien obligé de se taire assez souvent pour ne pas épuiser avant la fin de la soirée la provision de sottises qui empèsent le jabot de la chemise et maintiennent le gilet blanc.» «Je trouve Bergotte et ma femme bien sévères, dit Swann qui avait pris chez lui «l′emploi» d′homme de bon sens. Je reconnais que Norpois ne peut pas vous intéresser beaucoup, mais à un autre point de vue (car Swann aimait à recueillir les beautés de la «vie»), il est quelqu′un d′assez curieux, d′assez curieux comme «amant». Quand il était secrétaire à Rome, ajouta-t-il, après s′être assuré que Gilberte ne pouvait pas entendre, il avait à Paris une maîtresse dont il était éperdu et il trouvait le moyen de faire le voyage deux fois par semaine pour la voir deux heures. C′était du reste une femme très intelligente et ravissante à ce moment-là, c′est une douairière maintenant. Et il en a eu beaucoup d′autres dans l′intervalle. Moi je serais devenu fou s′il avait fallu que la femme que j′aimais habitât Paris pendant que j′étais retenu à Rome. Pour les gens nerveux il faudrait toujours qu′ils aimassent comme disent les gens du peuple, «au-dessous d′eux» afin qu′une question d′intérêt mît la femme qu′ils aiment à leur discrétion.» A ce moment Swann s′aperçut de l′application que je pouvais faire de cette maxime à lui et à Odette. Et comme même chez les êtres supérieurs, au moment où ils semblent planer avec vous au-dessus de la vie, l′amour-propre reste mesquin, il fut pris d′une grande mauvaise humeur contre moi. Mais cela ne se manifesta que par l′inquiétude de son regard. Il ne me dit rien au moment même. Il ne faut pas trop s′en étonner. Quand Racine, selon un récit d′ailleurs controuvé, mais dont la matière se répète tous les jours dans la vie de Paris, fit allusion à Scarron devant Louis XIV, le plus puissant roi du monde ne dit rien le soir même au poète. Et c′est le lendemain que celui-ci tomba en disgrâce. Since Bergotte did not sweep aside my objections, I confessed to him that they had won the scorn of M. de Norpois. “But he′s an old parrot!” was the answer. “He keeps on pecking you because he imagines all the time that you′re a piece of cake, or a slice of cuttle-fish.” “What′s that?” asked Swann. “Are you a friend of Norpois?” “He′s as dull as a wet Sunday,” interrupted his wife, who had great faith in Bergotte′s judgment, and was no doubt afraid that M. de Norpois might have spoken ill of her to us. “I tried to make him talk after dinner; I don′t know if it′s his age or his indigestion, but I found him too sticky for words. I really thought I should have to ‘dope′ him.” “Yes, isn′t he?” Bergotte chimed in. “You see, he has to keep his mouth shut half the time so as not to use up all the stock of inanities that hold his shirt-front down and his white waistcoat up.” “I think that Bergotte and my wife are both very hard on him,” came from Swann, who took the ‘line,′ in his own house, of a plain, sensible man. “I quite see that Norpois cannot interest you very much, but from another point of view,” (for Swann made a hobby of collecting scraps of ‘real life′) “he is quite remarkable, quite a remarkable instance of a lover. When he was Secretary at Rome,” he went on, after making sure that Gilberte could not hear him, “he had, here in Paris, a mistress with whom he was madly in love, and he found time to make the double journey every week, so as to see her for a couple of hours. She was, as it happens, a most intelligent woman, and is quite attractive to this day; she is a dowager now. And he has had any number of others since then. I′m sure I should have gone stark mad if the woman I was in love with lived in Paris and I was kept shut up in Rome. Nervous men ought always to love, as the lower orders say, ‘beneath′ them, so that their women have a material inducement to do what they tell them.” As he spoke, Swann realised that I might be applying this maxim to himself and Odette, and as, even among superior beings, at the moment when you and they seem to be soaring together above the plane of life, their personal pride is still basely human, he was seized by a violent ill-will towards me. But this was made manifest only in the uneasiness of his glance. He said nothing more to me at the time. Not that this need surprise us. When Racine (according to a story the truth of which has been exploded, though the theme of it may be found recurring every day in Parisian life) made an illusion to Scarron in front of Louis XIV, the most powerful monarch on earth said nothing to the poet that evening. It was on the following day, only, that he fell.
Mais comme une théorie désire d′être exprimée entièrement, Swann, après cette minute d′irritation et ayant essuyé le verre de son monocle, compléta sa pensée en ces mots qui devaient plus tard prendre dans mon souvenir la valeur d′un avertissement prophétique et duquel je ne sus pas tenir compte. «Cependant le danger de ce genre d′amours est que la sujétion de la femme calme un moment la jalousie de l′homme mais la rend aussi plus exigeante. Il arrive à faire vivre sa maîtresse comme ces prisonniers qui sont jour et nuit éclairés pour être mieux gardés. Et cela finit généralement par des drames.» But as a theory requires to be stated as a whole, Swann, after this momentary irritation, and after wiping his eyeglass, finished saying what was in his mind in these words, words which were to assume later on in my memory the importance of a prophetic warning, which I had not had the sense to take: “The danger of that kind of love, however, is that the woman′s subjection calms the man′s jealousy for a time but also makes it more exacting. After a little he will force his mistress to live like one of those prisoners whose cells they keep lighted day and night, to prevent their escaping. And that generally ends in trouble.”
Je revins à M. de Norpois. «Ne vous y fiez pas, il est au contraire très mauvaise langue», dit Mme Swann avec un accent qui me parut d′autant plus signifier que M. de Norpois avait mal parlé d′elle, que Swann regarda sa femme d′un air de réprimande et comme pour l′empêcher d′en dire davantage. I reverted to M. de Norpois. “You must never trust him; he has the most wicked tongue!” said Mme. Swann in an accent which seemed to me to indicate that M. de Norpois had been ‘saying things′ about her, especially as Swann looked across at his wife with an air of rebuke, as though to stop her before she went too far.
Cependant Gilberte qu′on avait déjà prié deux fois d′aller se préparer pour sortir, restait à nous écouter, entre sa mère et son père, à l′épaule duquel elle était câlinement appuyée. Rien, au premier aspect, ne faisait plus contraste avec Mme Swann qui était brune que cette jeune fille à la chevelure rousse, à la peau dorée. Mais au bout d′un instant on reconnaissait en Gilberte bien des traits — par exemple le nez arrêté avec une brusque et infaillible décision par le sculpteur invisible qui travaille de son ciseau pour plusieurs générations — l′expression, les mouvements de sa mère; pour prendre une comparaison dans un autre art, elle avait l′air d′un portrait peu ressemblant encore de Mme Swann que le peintre par un caprice de coloriste, eût fait poser à demi-déguisée, prête à se rendre à un dîner de «têtes», en vénitienne. Et comme elle n′avait pas qu′une perruque blonde, mais que tout atome sombre avait été expulsé de sa chair laquelle dévêtue de ses voiles bruns, semblait plus nue, recouverte seulement des rayons dégagés par un soleil intérieur, le grimage n′était pas que superficiel, mais incarné; Gilberte avait l′air de figurer quelque animal fabuleux, ou de porter un travesti mythologique. Cette peau rousse c′était celle de son père au point que la nature semblait avoir eu, quand Gilberte avait été créée à résoudre le problème, de refaire peu à peu Mm Swann, en n′ayant à sa disposition comme matière, que la peau de M. Swann. Et la nature l′avait utilisée parfaitement, comme un maître huchier qui tient à laisser apparents le grain, les nuds du bois. Dans la figure de Gilberte, au coin du nez d′Odette parfaitement reproduit, la peau se soulevait pour garder intacts les deux grains de beauté de M. Swann. C′était une nouvelle variété de Mme Swann qui était obtenue là, à côté d′elle, comme un lilas blanc près d′un lilas violet. Il ne faudrait pourtant pas se représenter la ligne de démarcation entre les deux ressemblances comme absolument nette. Par moments, quand Gilberte riait, on distinguait l′ovale de la joue de son père dans la figure de sa mère comme si on les avait mis ensemble pour voir ce que donnerait le mélange; cet ovale se précisait comme un embryon se forme, il s′allongeait obliquement, se gonflait, au bout d′un instant il avait disparu. Dans les yeux de Gilberte il y avait le bon regard franc de son père; c′est celui qu′elle avait eu quand elle m′avait donné la bille d′agate et m′avait dit: «Gardez-la en souvenir de notre amitié.» Mais, posait-on à Gilberte une question sur ce qu′elle avait fait, alors on voyait dans ces mêmes yeux l′embarras, l′incertitude, la dissimulation, la tristesse qu′avait autrefois Odette quand Swann lui demandait où elle était allée, et qu′elle lui faisait une de ces réponses mensongères qui désespéraient l′amant et maintenant lui faisaient brusquement changer la conversation en mari incurieux et prudent. Souvent aux Champs-Élysées, j′avais été inquiet en voyant ce regard chez Gilberte. Mais la plupart du temps, c′était à tort. Car chez elle, survivance toute physique de sa mère, ce regard — celui-là du moins — ne correspondait plus à rien. C′est quand elle était allée à son cours, quand elle devait rentrer pour une leçon que les pupilles de Gilberte exécutaient ce mouvement qui jadis en les yeux d′Odette était causés par la peur de révéler qu′elle avait reçu dans la journée un de ses amants ou qu′elle était pressée de se rendre à un rendez-vous. Telles on voyait ces deux natures de M. et de Mme Swann onduler, refluer, empiéter tour à tour l′une sur l′autre, dans le corps de cette Mélusine. Meanwhile Gilberte, who had been told to go and get ready for our drive, stayed to listen to the conversation, and hovered between her mother and her father, leaning affectionately against his shoulder. Nothing, at first sight, could be in greater contrast to Mme. Swann, who was dark, than this child with her red hair and golden skin. But after looking at them both for a moment one saw in Gilberte many of the features — for instance, the nose cut short with a sharp, unfaltering decision by the unseen sculptor whose chisel repeats its work upon successive generations — the expression, the movements of her mother; to take an illustration from another form of art, she made one think of a portrait that was not a good likeness of Mme. Swann, whom the painter, to carry out some whim of colouring, had posed in a partial disguise, dressed to go out to a party in Venetian ‘character.′ And as not merely was she wearing a fair wig, but every atom of a swarthier complexion had been discharged from her flesh which, stripped of its veil of brownness, seemed more naked, covered simply in rays of light shed by an internal sun, this ‘make-up′ was not just superficial but was incarnate in her; Gilberte had the appearance of embodying some fabulous animal or of having assumed a mythological disguise. This reddish skin was so exactly that of her father that nature seemed to have had, when Gilberte was being created, to solve the problem of how to reconstruct Mme. Swann piecemeal, without any material at her disposal save the skin of M. Swann. And nature had utilised this to perfection, like a master carver who makes a point of leaving the grain, the knots of his wood in evidence. On Gilberte′s face, at the corner of a perfect reproduction of Odette′s nose, the skin was raised so as to preserve intact the two beauty spots of M. Swann. It was a new variety ot Mme. Swann that was thus obtained, growing there by her side like a white lilac-tree beside a purple. At the same time it did not do to imagine the boundary line between these two likenesses as definitely fixed. Now and then, when Gilberte smiled, one could distinguish the oval of her father′s cheek upon her mother′s face, as though some one had mixed them together to see what would result from the blend; this oval grew distinct, as an embryo grows into a living shape, it lengthened obliquely, expanded, and a moment later had disappeared. In Gilberte′s eyes there was the frank and honest gaze of her father; this was how she had looked at me when she gave me the agate marble and said, “Keep it, to remind yourself of our friendship.” But were one to put a question to Gilberte, to ask her what she had been doing, then one saw in those same eyes the embarrassment, the uncertainty, the prevarication, the misery that Odette used in the old days to shew, when Swann asked her where she had been and she gave him one of those lying answers which, in those days, drove the lover to despair and now made him abruptly change the conversation, as an incurious and prudent husband. Often in the Champs-Elysées I was disturbed by seeing this look on Gilberte′s face. But as a rule my fears were unfounded. For in her, a purely physical survival of her mother, this look (if nothing else) had ceased to have any meaning. It was when she had been to her classes, when she must go home for some lesson, that Gilberte′s pupils executed that movement which, in time past, in the eyes of Odette, had been caused by the fear of disclosing that she had, during the day, opened the door to one of her lovers, or was — at that moment in a hurry to be at some trysting-place. So one could see the two natures of M. and Mme. Swann ebb and flow, encroaching alternately one upon the other in the body of this Mélusine.
Sans doute on sait bien qu′un enfant tient de son père et de sa mère. Encore la distribution des qualités et des défauts dont il hérite se fait-elle si étrangement que, de deux qualités qui semblaient inséparables chez un des parents, on ne trouve plus que l′une chez l′enfant, et alliée à celui des défauts de l′autre parent qui semblait inconciliable avec elle. Même l′incarnation d′une qualité morale dans un défaut physique incompatible est souvent une des lois de la ressemblance filiale. De deux surs, l′une aura, avec la fière stature de son père, l′esprit mesquin de sa mère; l′autre, toute remplie de l′intelligence paternelle, la présentera au monde sous l′aspect qu′a sa mère; le gros nez, le ventre noueux, et jusqu′à la voix sont devenus les vêtements de dons qu′on connaissait sous une apparence superbe. De sorte que de chacune des deux surs on peut dire avec autant de raison que c′est elle qui tient le plus de tel de ses parents. Il est vrai que Gilberte était fille unique, mais il y avait, au moins, deux Gilbertes. Les deux natures, de son père et de sa mère, ne faisaient pas que se mêler en elle; elles se la disputaient, et encore ce serait parler inexactement et donnerait à supposer qu′une troisième Gilberte souffrait pendant ce temps là d′être la proie des deux autres. Or, Gilberte était tour à tour l′une et puis l′autre, et à chaque moment rien de plus que l′une, c′est-à-dire incapable, quand elle était moins bonne, d′en souffrir, la meilleure Gilberte ne pouvant alors du fait de son absence momentanée, constater cette déchéance. Aussi la moins bonne des deux était-elle libre de se réjouir de plaisirs peu nobles. Quand l′autre parlait avec le cur de son père, elle avait des vues larges, on aurait voulu conduire avec elle une belle et bienfaisante entreprise, on le lui disait, mais au moment où l′on allait conclure, le cur de sa mère avait déjà repris son tour; et c′est lui qui vous répondait; et on était déçu et irrité — presque intrigué comme devant une substitution de personne — par une réflexion mesquine, un ricanement fourbe, où Gilberte se complaisait, car ils sortaient de ce qu′elle-même était à ce moment-là. L′écart était même parfois tellement grand entre les deux Gilberte qu′on se demandait, vainement du reste, ce qu′on avait pu lui faire, pour la retrouver si différente. Le rendez-vous qu′elle vous avait proposé, non seulement elle n′y était pas venue et ne s′excusait pas ensuite, mais, quelle que fût l′influence qui eût pu faire changer sa détermination, elle se montrait si différente ensuite, qu′on aurait cru que, victime d′une ressemblance comme celle qui fait le fond des Ménechmes, on n′était pas devant la personne qui vous avait si gentiment demandé à vous voir, si elle ne nous eût témoigné une mauvaise humeur qui décelait qu′elle se sentait en faute et désirait éviter les explications. It is, of course, common knowledge that a child takes after both its-father and its mother. And yet the distribution of the merits and defects which it inherits is so oddly planned that, of two good qualities which seemed inseparable in one of the parents you will find but one in the child, and allied to that very fault in the other parent which seemed most irreconcilable with it. Indeed, the incarnation of a good moral quality in an incompatible physical blemish is often one of the laws of filial resemblance. Of two sisters, one will combine with the proud bearing of her father the mean little soul of her mother; the other, abundantly endowed with the paternal intelligence, will present it to the world in the aspect which her mother has made familiar; her mother′s shapeless nose and scraggy bosom are become the bodily covering of talents which you had learned to distinguish beneath a superb presence. With the result that of each of the sisters one can say with equal justification that it is she who takes more after one or other of her parents. It is true that Gilberte was an only child, but there were, at the least, two Gilbertes. The two natures, her father′s and her mother′s, did more than just blend themselves in her; they disputed the possession of her — and yet one cannot exactly say that, which would let it be thought that a third Gilberte was in the meantime suffering by being the prey of the two others. Whereas Gilberte was alternately one and the other, and at any given moment no more than one of the two, that is to say incapable, when she was not being good, of suffering accordingly, the better Gilberte not being able at the time, on account of her momentary absence, to detect the other′s lapse from virtue. And so the less good of the two was free to enjoy pleasures of an ignoble kind. When the other spoke to you from the heart of her father, she held broad views, you would have liked to engage with her upon a fine and beneficent enterprise; you told her so, but, just as your arrangements were being completed, her mother′s heart would already have resumed its control; hers was the voice that answered; and you were disappointed and vexed — almost baffled, as in the face of a substitution of one person for another — by an unworthy thought, an insincere laugh, in which Gilberte saw no harm, for they sprang from what she herself at that moment was. Indeed, the disparity was at times so great between these two Gilbertes that you asked yourself, though without finding an answer, what on earth you could have said or done to her, last time, to find her now so different. When she herself had arranged to meet you somewhere, not only did she fail to appear, and offer no excuse afterwards, but, whatever the influence might have been that had made her change her mind, she shewed herself in so different a character when you did meet her that you might well have supposed that, taken in by a likeness such as forms the plot of the Menaechmi, you were now talking to some one not the person who had so politely expressed her desire to see you, had she not shewn signs of an ill-humour which revealed that she felt herself to be in the wrong, and wished to avoid the necessity of an explanation.
— «Allons, va, tu vas nous faire attendre», lui dit sa mère. “Now then, run along and get ready; you′re keeping us waiting,” her mother reminded her.
— «Je suis si bien près de mon petit papa, je veux rester encore un moment», répondit Gilberte en cachant sa tête sous le bras de son père qui passa tendrement les doigts dans la chevelure blonde. “I′m so happy here with my little Papa; I want to stay just for a minute,” replied Gilberte, burying her head beneath the arm of her father, who passed his fingers lovingly through her bright hair.
Swann était un de ces hommes qui ayant vécu longtemps dans les illusions de l′amour, ont vu le bien-être qu′ils ont donné à nombre de femmes accroître le bonheur de celles-ci sans créer de leur part aucune reconnaissance, aucune tendresse envers eux; mais dans leur enfant ils croient sentir une affection qui, incarnée dans leur nom même, les fera durer après leur mort. Quand il n′y aurait plus de Charles Swann, il y aurait encore une Mlle Swann, ou une Mme X., née Swann, qui continuerait à aimer le père disparu. Même à l′aimer trop peut-être, pensait sans doute Swann, car il répondit à Gilberte: «Tu es une bonne fille» de ce ton attendri par l′inquiétude que nous inspire pour l′avenir, la tendresse trop passionnée d′un être destiné à nous survivre. Pour dissimuler son émotion, il se mêla à notre conversation sur la Berma. Il me fit remarquer, mais d′un ton détaché, ennuyé, comme s′il voulait rester en quelque sorte en dehors de ce qu′il disait, avec quelle intelligence, quelle justesse imprévue l′actrice disait à none: «Tu le savais!» Il avait raison: cette intonation-là du moins, avait une valeur vraiment intelligible et aurait pu par là satisfaire à mon désir de trouver des raisons irréfutables d′admirer la Berma. Mais c′est à cause de sa clarté même qu′elle ne le contentait point. L′intonation était si ingénieuse, d′une intention, d′un sens si définis, qu′elle semblait exister en elle-même et que toute artiste intelligente eût pu l′acquérir. C′était une belle idée; mais quiconque la concevrait aussi pleinement la posséderait de même. Il restait à la Berma qu′elle l′avait trouvée, mais peut-on employer ce mot de «trouver», quand il s′agit de quelque chose qui ne serait pas différent si on l′avait reçu, quelque chose qui ne tient pas essentiellement à votre être puisqu′un autre peut ensuite le reproduire? Swann was one of those men who, having lived for a long time amid the illusions of love, have seen the prosperity that they themselves brought to numberless women increase the happiness of those women without exciting in them any gratitude, any tenderness towards their benefactors; but in their child they believe that they can feel an affection which, being incarnate in their own name, will enable them to remain in the world after their death. When there should no longer be any Charles Swann, there would still be a Mlle. Swann, or a Mme. something-else, née Swann, who would continue to love the vanished father. Indeed, to love him too well, perhaps, Swann may have been thinking, for he acknowledged Gilberte′s caress with a “Good girl!” in that tone, made tender by our apprehension, to which, when we think of the future, we are prompted by the too passionate affection of a creature who is destined to survive us. To conceal his emotion, he joined in our talk about Berma. He pointed out to me, but in a detached, a listless tone, as though he wished to remain to some extent unconcerned in what he was saying, with what intelligence, with what an astonishing fitness the actress said to Oenone, “You knew it!” He was right. That intonation at least had a value that was really intelligible, and might therefore have satisfied my desire to find incontestable reasons for admiring Berma. But it was by the very fact of its clarity that it did not at all content me. Her intonation was so ingenious, so definite in intention and in its meaning, that it seemed to exist by itself, so that any intelligent actress might have learned to use it. It was a fine idea; but whoever else should conceive it as fully must possess it equally. It remained to Berma′s credit that she had discovered it, but is one entitled to use the word ‘discover′ when the object in question is something that would not be different if one had been given it, something that does not belong essentially to one′s own nature seeing that some one else may afterwards reproduce it?
«Mon Dieu, mais comme votre présence élève le niveau de la conversation! me dit comme pour s′excuser auprès de Bergotte, Swann qui avait pris dans le milieu Guermantes l′habitude de recevoir les grands artistes comme de bons amis à qui on cherche seulement à faire manger les plats qu′ils aiment, jouer aux jeux ou, à la campagne, se livrer aux sports qui leur plaisent. «Il me semble que nous parlons bien d′art», ajouta-t-il. — «C′est très bien, j′aime beaucoup ça», dit Mme Swann en me jetant un regard reconnaissant, par bonté et aussi parce qu′elle avait gardé ses anciennes aspirations vers une conversation plus intellectuelle. Ce fut ensuite à d′autres personnes, à Gilberte en particulier que parla Bergotte. J′avais dit à celui-ci tout ce que je ressentais avec une liberté qui m′avait étonné et qui tenait à ce qu′ayant pris avec lui, depuis des années (au cours de tant d′heures de solitude et de lecture, où il n′était pour moi que la meilleure partie de moi-même), l′habitude de la sincérité, de la franchise, de la confiance, il m′intimidait moins qu′une personne avec qui j′aurais causé pour la première fois. Et cependant pour la même raison j′étais fort inquiet de l′impression que j′avais dû produire sur lui, le mépris que j′avais supposé qu′il aurait pour mes idées ne datant pas d′aujourd′hui, mais des temps déjà anciens où j′avais commencé à lire ses livres, dans notre jardin de Combray. J′aurais peut-être dû pourtant me dire que puisque c′était sincèrement, en m′abandonnant à ma pensée, que d′une part j′avais tant sympathisé avec l′uvre de Bergotte et que, d′autre part, j′avais éprouvé au théâtre un désappointement dont je ne connaissais pas les raisons, ces deux mouvements instinctifs qui m′avaient entraîné ne devaient pas être si différents l′un de l′autre, mais obéir aux mêmes lois; et que cet esprit de Bergotte, que j′avais aimé dans ses livres ne devait pas être quelque chose d′entièrement étranger et hostile à ma déception et à mon incapacité de l′exprimer. Car mon intelligence devait être une, et peut-être même n′en existe-t-il qu′une seule dont tout le monde est co-locataire, une intelligence sur laquelle chacun, du fond de son corps particulier porte ses regards, comme au théâtre, où si chacun a sa place, en revanche, il n′y a qu′une seule scène. Sans doute, les idées que j′avais le goût de chercher à démêler, n′étaient pas celles qu′approfondissait d′ordinaire Bergotte dans ses livres. Mais si c′était la même intelligence que nous avions lui et moi à notre disposition, il devait, en me les entendant exprimer, se les rappeler, les aimer, leur sourire, gardant probablement, malgré ce que je supposais, devant son il intérieur, tout une autre partie de l′intelligence que celle dont une découpure avait passé dans ses livres et d′après laquelle j′avais imaginé tout son univers mental. De même que les prêtres, ayant la plus grande expérience du cur, peuvent le mieux pardonner aux péchés qu′ils ne commettent pas, de même le génie ayant la plus grande expérience de l′intelligence peut le mieux comprendre les idées qui sont le plus opposées à celles qui forment le fond de ses propres uvres. J′aurais dû me dire tout cela (qui d′ailleurs n′a rien de très agréable, car la bienveillance des hauts esprits a pour corollaire l′incompréhension et l′hostilité des médiocres; or, on est beaucoup moins heureux de l′amabilité d′un grand écrivain qu′on trouve à la rigueur dans ses livres qu′on ne souffre de l′hostilité d′une femme qu′on n′a pas choisie pour son intelligence, mais qu′on ne peut s′empêcher d′aimer). J′aurais dû me dire tout cela, mais ne me le disais pas, j′étais persuadé que j′avais paru stupide à Bergotte, quand Gilberte me chuchota à l′oreille: “Upon my soul, your presence among us does raise the tone of the conversation!” Swann observed to me, as though to excuse himself to Bergotte; for he had formed the habit, in the Guermantes set, of entertaining great artists as if they were just ordinary friends whom one seeks only to make eat the dishes that they like, play the games, or, in the country, indulge in whatever form of sport they please. “It seems to me that we′re talking a great deal of art,” he went on. “But it′s so nice, I do love it!” said Mme. Swann, throwing me a look of gratitude, as well from good nature as because she had not abandoned her old aspirations towards a more intellectual form of conversation. After this it was to others of the party, and principally to Gilberte, that Bergotte addressed himself. I had told him everything that I felt with a freedom which had astonished me, and was due to the fact that, having acquired with him, years before (in the course of all those hours of solitary reading, in which he was to me merely the better part of myself), the habit of sincerity, of frankness, of confidence, I was less frightened by him than by a person with whom I should have been talking for the first time. And yet, for the same reason, I was greatly disturbed by the thought of the impression that I must have been making on him, the contempt that I had supposed he would feel for my ideas dating not from that afternoon but from the already distant time in which I had begun to read his books in our garden at Combray. And yet I ought perhaps to have reminded myself that, since it was in all sincerity, abandoning myself to the train of my thoughts, that I had felt, on the one hand, so intensely in sympathy with the work of Bergotte and on the other hand, in the theatre, a disappointment the reason of which I did not know, those two instinctive movements which had both carried me away could not be so very different from one another, but must be obedient to the same laws; and that that mind of Bergotte which I had loved in his books could not be anything entirely foreign and hostile to my disappointment and to my inability to express it. For my intelligence must be a uniform thing, perhaps indeed there exists but a single intelligence, in which everyone in the world participates, towards which each of us from the position of his own separate body turns his eyes, as in a theatre where, if everyone has his own separate seat, there is on the other hand but a single stage. Of course, the ideas which I was tempted to seek to disentangle were probably not those whose depths Bergotte usually sounded in his books. But if it were one and the same intelligence which we had, he and I, at our disposal, he must, when he heard me express those ideas, be reminded of them, cherish them, smile upon them, keeping probably, in spite of what I supposed, before his mind′s eye a whole world of intelligence other than that an excerpt of which had passed into his books, an excerpt upon which I had based my imagination of his whole mental universe. Just as priests, having the widest experience of the human heart, are best able to pardon the sins which they do not themselves commit, so genius, having the widest experience of the human intelligence, can best understand the ideas most directly in opposition to those which form the foundation of its own writings. I ought to have told myself all this (though, for that matter, it was none too consoling a thought, for the benevolent condescension of great minds has as a corollary the incomprehension and hostility of small; and one derives far less happiness from the friendliness of a great writer, which one finds expressed, failing a more intimate association, in his books, than suffering from the hostility of a woman whom one did not choose for her intelligence but cannot help loving). I ought to have told myself all this, but I did not; I was convinced that I had appeared a fool to Bergotte, when Gilberte whispered in my ear:
— «Je nage dans la joie, parce que vous avez fait la conquête de mon grand ami Bergotte. Il a dit à maman qu′il vous avait trouvé extrêmement intelligent.» “You can′t think how delighted I am, because you have made a conquest of my great friend Bergotte. He′s been telling Mamma that he found you extremely intelligent.”
— «Où allons-nous?» demandai-je à Gilberte. — «Oh! où on voudra, moi, vous savez, aller ici ou là . . . » Mais depuis l′incident qui avait eu lieu le jour de l′anniversaire de la mort de son grand-père, je me demandais si le caractère de Gilberte n′était pas autre que ce que j′avais cru, si cette indifférence à ce qu′on ferait, cette sagesse, ce calme, cette douce soumission constante, ne cachaient pas au contraire des désirs très passionnés que par amour-propre elle ne voulait pas laisser voir et qu′elle ne révélait que par sa soudaine résistance quand ils étaient par hasard contrariés. “Where are we going?” I asked her. “Oh, wherever you like; you know, it′s all the same to me.” But since the incident that had occurred on the anniversary of her grandfather′s death I had begun to ask myself whether Gilberte′s character was not other than I had supposed, whether that indifference to what was to be done, that wisdom, that calm, that gentle and constant submission did not indeed conceal passionate longings which her self-esteem would not allow to be visible and which she disclosed only by her sudden resistance whenever by any chance they were frustrated.
Comme Bergotte habitait dans le même quartier que mes parents, nous partîmes ensemble; en voiture il me parla de ma santé: «Nos amis m′ont dit que vous étiez souffrant. Je vous plains beaucoup. Et puis malgré cela je ne vous plains pas trop, parce que je vois bien que vous devez avoir les plaisirs de l′intelligence et c′est probablement ce qui compte surtout pour vous, comme pour tous ceux qui les connaissent.» As Bergotte lived in the same neighbourhood as my parents, we left the house together; in the carriage he spoke to me of my health. “Our friends were telling me that you had been ill. I am very sorry. And yet, after all, I am not too sorry, because I can see quite well that you are able to enjoy the pleasures of the mind, and they are probably what mean most to you, as to everyone who has known them.”
Hélas! ce qu′il disait là, combien je sentais que c′était peu vrai pour moi que tout raisonnement, si élevé qu′il fût, laissait froid, qui n′étais heureux que dans des moments de simple flânerie, quand j′éprouvais du bien-être; je sentais combien ce que je désirais dans la vie était purement matériel, et avec quelle facilité je me serais passé de l′intelligence. Comme je ne distinguais pas entre les plaisirs ceux qui me venaient de sources différentes, plus ou moins profondes et durables, je pensai, au moment de lui répondre, que j′aurais aimé une existence où j′aurais été lié avec la duchesse de Guermantes, et où j′aurais souvent senti comme dans l′ancien bureau d′octroi des Champs-Élysées une fraîcheur qui m′eût rappelé Combray. Or, dans cet idéal de vie que je n′osais lui confier, les plaisirs de l′intelligence ne tenaient aucune place. Alas, what he was saying, how little, I felt, did it apply to myself, whom all reasoning, however exalted it might be, left cold, who was happy only in moments of pure idleness, when I was comfortable and well; I felt how purely material was everything that I desired in life, and how easily I could dispense with the intellect. As I made no distinction among my pleasures between those that came to me from different sources, of varying depth and permanence, I was thinking, when the moment came to answer him, that I should have liked an existence in which I was on intimate terms with the Duchesse de Guermantes, and often came across, as in the old toll-house in the Champs-Elysées, a chilly smell that would remind me of Combray. But in this ideal existence which I dared not confide to him the pleasures of the mind found no place.
— «Non, monsieur, les plaisirs de l′intelligence sont bien peu de chose pour moi, ce n′est pas eux que je recherche, je ne sais même pas si je les ai jamais goûtés.» “No, sir, the pleasures of the mind count for very little with me; it is not them that I seek after; indeed I don′t even know that I have ever tasted them.”
— «Vous croyez vraiment, me répondit-il. Eh bien, écoutez, si, tout de même, cela doit être cela que vous aimez le mieux, moi, je me le figure, voilà ce que je crois.» “You really think not?” he replied. “Well, it may be, no, wait a minute now, yes, after all that must be what you like best, I can see it now clearly, I am certain of it.”
Il ne me persuadait certes pas; pourtant je me sentais plus heureux, moins à l′étroit. A cause de ce que m′avait dit M. de Norpois, j′avais considéré mes moments de rêverie, d′enthousiasme, de confiance en moi, comme purement subjectifs et sans vérité. Or, selon Bergotte qui avait l′air de connaître mon cas, il semblait que le symptôme à négliger c′était au contraire mes doutes, mon dégoût de moi-même. Surtout ce qu′il avait dit de M. de Norpois, ôtait beaucoup de sa force à une condamnation que j′avais crue sans appel. As certainly, he did not succeed in convincing me; and yet I was already feeling happier, less restricted. After what M. de Norpois had said to me, I had regarded my moments of dreaming, of enthusiasm, of self-confidence as purely subjective and barren of truth. But according to Bergotte, who appeared to understand my case, it seemed that it was quite the contrary, that the symptom I ought to disregard was, in fact, my doubts, my disgust with myself. Moreover, what he had said about M. de Norpois took most of the sting out of a sentence from which I had supposed that no appeal was possible.
«Etes-vous bien soigné? me demanda Bergotte. Qui est-ce qui s′occupe de votre santé?» Je lui dis que j′avais vu et reverrais sans doute Cottard. «Mais ce n′est pas ce qu′il vous faut! me répondit-il. Je ne le connais pas comme médecin, Mais je l′ai vu chez Mme Swann. C′est un imbécile. A supposer que cela n′empêche pas d′être un bon médecin, ce que j′ai peine à croire, cela empêche d′être un bon médecin pour artistes, pour gens intelligents. Les gens comme vous ont besoin de médecins appropriés, je dirais presque de régimes, de médicaments particuliers. Cottard vous ennuiera et rien que l′ennui empêchera son traitement d′être efficace. Et puis ce traitement ne peut pas être le même pour vous que pour un individu quelconque. Les trois quarts du mal des gens intelligents viennent de leur intelligence. Il leur faut au moins un médecin qui connaisse ce mal-là. Comment voulez-vous que Cottard puisse vous soigner, il a prévu la difficulté de digérer les sauces, l′embarras gastrique, mais il n′a pas prévu la lecture de Shakespeare . . . Aussi ses calculs ne sont plus justes avec vous, l′équilibre est rompu, c′est toujours le petit ludion qui remonte. Il vous trouvera une dilatation de l′estomac, il n′a pas besoin de vous examiner, puisqu′il l′a d′avance dans son il. Vous pouvez le voir, elle se reflète dans son lorgnon.» Cette manière de parler me fatiguait beaucoup, je me disais avec la stupidité du bon sens: «Il n′y a pas plus de dilatation de l′estomac reflétée dans le lorgnon du professeur Cottard, que de sottises cachées dans le gilet blanc de M. de Norpois.» «Je vous conseillerais plutôt, poursuivit Bergotte, le docteur du Boulbon, qui est tout à fait intelligent.» «C′est un grand admirateur de vos uvres», lui répondis-je. Je vis que Bergotte le savait et j′en conclus que les esprits fraternels se rejoignent vite, qu′on a peu de vrais «amis inconnus». Ce que Bergotte me dit au sujet de Cottard me frappa tout en étant contraire à tout ce que je croyais. Je ne m′inquiétais nullement de trouver mon médecin ennuyeux; j′attendais de lui que, grâce à un art dont les lois m′échappaient, il rendît au sujet de ma santé un indiscutable oracle en consultant mes entrailles. Et je ne tenais pas à ce que, à l′aide d′une intelligence où j′aurais pu le suppléer, il cherchât à comprendre la mienne, que je ne me représentais que comme un moyen indifférent en soi-même, de tâcher d′atteindre des vérités extérieures. Je doutais beaucoup que le gens intelligents eussent besoin d′une autre hygiène que les imbéciles et j′étais tout prêt à me soumettre à celle de ces derniers. «Quelqu′un qui aurait besoin d′un bon médecin, c′est notre ami Swann», dit Bergotte. Et comme je demandais s′il était malade. «Hé! bien c′est l′homme qui a épousé une fille, qui avale par jour cinquante couleuvres de femmes qui ne veulent pas recevoir la sienne, ou d′hommes qui ont couché avec elle. On les voit, elles lui tordent la bouche. Regardez un jour le sourcil circonflexe qu′il a quand il rentre, pour voir qui il y a chez lui.» La malveillance avec laquelle Bergotte parlait ainsi à un étranger d′amis chez qui il était reçu depuis si longtemps était aussi nouvelle pour moi que le ton presque tendre que chez les Swann il prenait à tous moments avec eux. Certes, une personne comme ma grand′tante, par exemple, eût été incapable avec aucun de nous, de ces gentillesses que j′avais entendu Bergotte prodiguer à Swann. Même aux gens qu′elle aimait, elle se plaisait à dire des choses désagréables. Mais hors de leur présence elle n′aurait pas prononcé une parole qu′ils n′eussent pu entendre. Rien, moins que notre société de Combray ne ressemblait au monde. Celle des Swann était déjà un acheminement vers lui, vers ses flots versatiles. Ce n′était pas encore la grande mer, c′était déjà la lagune. «Tout ceci de vous à moi», me dit Bergotte en me quittant devant ma porte. Quelques années plus tard, je lui aurais répondu: «Je ne répète jamais rien.» C′est la phrase rituelle des gens du monde, par laquelle chaque fois le médisant est faussement rassuré. C′est celle que j′aurais déjà ce jour-là adressée à Bergotte car on n′invente pas tout ce qu′on dit, surtout dans les moments où on agit comme personnage social. Mais je ne la connaissais pas encore. D′autre part, celle de ma grand′tante dans une occasion semblable eût été: «Si vous ne voulez pas que ce soit répété, pourquoi le dites-vous?» C′est la réponse des gens insociables, des «mauvaises têtes». Je ne l′étais pas: je m′inclinai en silence. “Are you being properly looked after?” Bergotte asked me. “Who is treating you?” I told him that I had seen, and should probably go on seeing, Cottard. “But that′s not at all the sort of man you want!” he told me. “I know nothing about him as a doctor. But I′ve met him at Mme. Swann′s. The man′s an imbecile. Even supposing that that doesn′t prevent his being a good doctor, which I hesitate to believe, it does prevent his being a good doctor for artists, for men of intelligence. People like you must have suitable doctors, I would almost go so far as to say treatment and medicines specially adapted to themselves. Cottard will bore you, and that alone will prevent his treatment from having any effect. Besides, the proper course of treatment cannot possibly be the same for you as for any Tom, Dick or Harry. Nine tenths of the ills from which intelligent people suffer spring from their intellect. They need at least a doctor who understands their disease. How do you expect that Cottard should be able to treat you, he has made allowances for the difficulty of digesting sauces, for gastric trouble, but he has made no allowance for the effect of reading Shakespeare. So that his calculations are inaccurate in your case, the balance is upset; you see, always the little bottle-imp bobbing up again. He will find that you have a dilated stomach; he has no need to examine you for it, since he has it already in his eye. You can see it there, reflected in his glasses.” This manner of speaking tired me greatly; I said to myself, with the stupidity of common sense: “There is no more any dilated stomach reflected in Professor Cottard′s glasses than there are inanities stored behind the white waistcoat of M. de Norpois.” “I should recommend you, instead,” went on Bergotte, “to consult Dr. du Boulbon, who is quite an intelligent man.” “He is a great admirer of your books,” I replied. I saw that Bergotte knew this, and I decided that kindred spirits soon come together, that one has few really ‘unknown friends.′ What Bergotte had said to me with respect to Cottard impressed me, while running contrary to everything that I myself believed. I was in no way disturbed by finding my doctor a bore; I expected of him that, thanks to an art the laws of which were beyond me, he should pronounce on the subject of my health an infallible oracle, after consultation of my entrails. And I did not at all require that, with the aid of an intellect, in which I easily outstripped him, he should seek to understand my intellect, which I pictured to myself merely as a means, of no importance in itself, of trying to attain to certain external verities. I doubted greatly whether intellectual people required a different form of hygiene from imbeciles, and I was quite prepared to submit myself to the latter kind. “I′ll tell you who does need a good doctor, and that is our friend Swann,” said Bergotte. And on my asking whether he was ill, “Well, don′t you see, he′s typical of the man who has married a whore, and has to swallow a hundred serpents every day, from women who refuse to meet his wife, or men who were there before him. You can see them in his mouth, writhing. Just look, any day you′re there, at the way he lifts his eyebrows when he comes in, to see who′s in the room.” The malice with which Bergotte spoke thus to a stranger of the friends in whose house he had so long been received as a welcome guest was as new to me as the almost amorous tone which, in that house, he had constantly been adopting to speak to them. Certainly a person like my great-aunt, for instance, would have been incapable of treating any of us with that politeness which I had heard Bergotte lavishing upon Swann. Even to the people whom she liked, she enjoyed saying disagreeable things. But behind their backs she would never have uttered a word to which they might not have listened. There was nothing less like the social ‘world′ than our society at Combray. The Swanns′ house marked a stage on the way towards it, towards its inconstant tide. If they had not yet reached the open sea, they were certainly in the lagoon. “This is all between ourselves,” said Bergotte as he left me outside my own door. A few years later I should have answered: “I never repeat things.” That is the ritual phrase of society, from which the slanderer always derives a false reassurance. It is what I should have said then and there to Bergotte, for one does not invent all one′s speeches, especially when one is acting merely as a card in the social pack. But I did not yet know the formula. What my great-aunt, on the other hand, would have said on a similar occasion was: “If you don′t wish it to be repeated, why do you say it?” That is the answer of the unsociable, of the quarrelsome. I was nothing of that sort: I bowed my head in silence.
Des gens de lettres qui étaient pour moi des personnages considérables intriguaient pendant des années avant d′arriver à nouer avec Bergotte des relations qui restaient toujours obscurément littéraires et ne sortaient pas de son cabinet de travail, alors que moi, je venais de m′installer parmi les amis du grand écrivain, d′emblée et tranquillement, comme quelqu′un qui au lieu de faire la queue avec tout le monde pour avoir une mauvaise place, gagne les meilleures, ayant passé par un couloir fermé aux autres. Si Swann me l′avait ainsi ouvert, c′est sans doute parce que comme un roi se trouve naturellement inviter les amis de ses enfants dans la loge royale, sur le yacht royal, de même les parents de Gilberte recevaient les amis de leur fille au milieu des choses précieuses qu′ils possédaient et des intimités plus précieuses encore qui y étaient encadrées. Mais à cette époque je pensai, et peut-être avec raison, que cette amabilité de Swann était indirectement à l′adresse de mes parents. J′avais cru entendre autrefois à Combray qu′il leur avait offert, voyant mon admiration pour Bergotte, de m′emmener dîner chez lui, et que mes parents avaient refusé, disant que j′étais trop jeune et trop nerveux pour «sortir». Sans doute, mes parents représentaient-ils pour certaines personnes, justement celles qui me semblaient le plus merveilleuses, quelque chose de tout autre qu′à moi, de sorte que comme au temps où la dame en rose avait adressé à mon père des éloges dont il s′était montré si peu digne, j′aurais souhaité que mes parents comprissent quel inestimable présent je venais de recevoir et témoignassent leur reconnaissance à ce Swann généreux et courtois qui me l′avait, ou le leur avait, offert, sans avoir plus l′air de s′apercevoir de sa valeur que ne fait dans la fresque de Luini, le charmant roi mage, au nez busqué, aux cheveux blonds, et avec lequel on lui avait trouvé autrefois paraît-il, une grande ressemblance. Men of letters who were in my eyes persons of considerable importance had had to plot for years before they succeeded in forming with Bergotte relations which continued to the end to be but dimly literary, and never emerged beyond the four walls of his study, whereas I, I had now been installed among the friends of the great writer, at the first attempt and without any effort, like a man who, instead of standing outside in a crowd for hours in order to secure a bad seat in a theatre, is shewn in at once to the best, having entered by a door that is closed to the public. If Swann had thus opened such a door to me, it was doubtless because, just as a king finds himself naturally inviting his children′s friends into the royal box, or on board the royal yacht, so Gilberte′s parents received their daughter′s friends among all the precious things that they had in their house, and the even more precious intimacies that were enshrined there. But at that time I thought, and perhaps was right in thinking, that this friendliness on Swann′s part was aimed indirectly at my parents. I seemed to remember having heard once at Combray that he had suggested to them that, in view of my admiration for Bergotte, he should take me to dine with him, and that my parents had declined, saying that I was too young, and too easily excited to ‘go out′ yet. My parents, no doubt, represented to certain other people (precisely those who seemed to me the most marvellous) something quite different from what they were to me, so that, just as when the lady in pink had paid my father a tribute of which he had shewn himself so unworthy, I should have wished them to understand what an inestimable present I had just received, and to testify their gratitude to that generous and courteous Swann who had offered it to me, or to them rather, without seeming any more to be conscious of its value than is, in Luini′s fresco, the charming Mage with the arched nose and fair hair, to whom, it appeared, Swann had at one time been thought to bear a striking resemblance.
Malheureusement, cette faveur que m′avait faite Swann et que, en rentrant, avant même d′ôter mon pardessus, j′annonçai à mes parents, avec l′espoir qu′elle éveillerait dans leur cur un sentiment aussi ému que le mien et les déterminerait envers les Swann à quelque «politesse» énorme et décisive, cette faveur ne parut pas très appréciée par eux. «Swann t′a présenté à Bergotte? Excellente connaissance, charmante relation! s′écria ironiquement mon père. Il ne manquait plus que cela!» Hélas, quand j′eus ajouté qu′il ne goûtait pas du tout M. de Norpois: Unfortunately, this favour that Swann had done me, which, as I entered the house, before I had even taken off my greatcoat, I reported to my parents, in the hope that it would awaken in their hearts an emotion equal to my own, and would determine them upon some immense and decisive act of politeness towards the Swanns, did not appear to be greatly appreciated by them. “Swann introduced you to Bergotte? An excellent friend for you, charming society!” cried my father, ironically. “It only wanted that!” Alas, when I had gone on to say that Bergotte was by no means inclined to admire M. de Norpois:
— «Naturellement! reprit-il. Cela prouve bien que c′est un esprit faux et malveillant. Mon pauvre fils tu n′avais pas déjà beaucoup de sens commun, je suis désolé de te voir tombé dans un milieu qui va achever de te détraquer.» “I dare say!” retorted my father. “That simply proves that he′s a foolish and evil-minded fellow. My poor boy, you never had much common sense, still, I′m sorry to see you fall among a set that will finish you off altogether.”
Déjà ma simple fréquentation chez les Swann avait été loin d′enchanter mes parents. La présentation à Bergotte leur apparut comme une conséquence néfaste, mais naturelle, d′une première faute, de la faiblesse qu′ils avaient eue et que mon grand-père eût appelée un «manque de circonspection». Je sentis que je n′avais plus pour compléter leur mauvaise humeur qu′à dire que cet homme pervers et qui n′appréciait pas M. de Norpois, m′avait trouvé extrêmement intelligent. Quand mon père, en effet, trouvait qu′une personne, un de mes camarades par exemple, était dans une mauvaise voie — comme moi en ce moment — si celui-là avait alors l′approbation de quelqu′un que mon père n′estimait pas, il voyait dans ce suffrage la confirmation de son fâcheux diagnostic. Le mal ne lui en apparaissait que plus grand. Je l′entendais déjà qui allait s′écrier: «Nécessairement, c′est tout un ensemble!», mot qui m′épouvantait par l′imprécision et l′immensité des réformes dont il semblait annoncer l′imminente introduction dans ma si douce vie. Mais comme, n′eussé-je pas raconté ce que Bergotte avait dit de moi, rien ne pouvait plus quand même effacer l′impression qu′avaient éprouvée mes parents, qu′elle fût encore un peu plus mauvaise n′avait pas grande importance. D′ailleurs ils me semblaient si injustes, tellement dans l′erreur, que non seulement je n′avais pas l′espoir, mais presque pas le désir de les ramener à une vue plus équitable. Pourtant sentant au moment où les mots sortaient de ma bouche, comme ils allaient être effrayés de penser que j′avais plu à quelqu′un qui trouvait les hommes intelligents bêtes, était l′objet du mépris des honnêtes gens, et duquel la louange en me paraissant enviable m′encourageait au mal, ce fut à voix basse et d′un air un peu honteux que, achevant mon récit, je jetai le bouquet: «Il a dit aux Swann qu′il m′avait trouvé extrêmement intelligent.» Comme un chien empoisonné qui dans un champ se jette sans le savoir sur l′herbe qui est précisément l′antidote de la toxine qu′il a absorbée, je venais sans m′en douter de dire la seule parole qui fût au monde capable de vaincre chez mes parents ce préjugé à l′égard de Bergotte, préjugé contre lequel tous les plus beaux raisonnements que j′aurais pu faire, tous les éloges que je lui aurais décernés, seraient demeurés vains. Au même instant la situation changea de face: Already the mere fact of my frequenting the Swanns had been far from delighting my parents. This introduction to Bergotte seemed to them a fatal but natural consequence of an original mistake, namely their own weakness in controlling me, which my grandfather would have called a ‘want of circumspection.′ I felt that I had only, in order to complete their ill humour, to tell them that this perverse fellow who did not appreciate M. de Norpois had found me extremely intelligent. For I had observed that whenever my father decided that anyone, one of my school friends for instance, was going astray — as I was at that moment — if that person had the approval of somebody whom my father did not rate high, he would see in this testimony the confirmation of his own stern judgment. The evil merely seemed to him more pronounced. I could hear him already exclaiming, “Of course, it all hangs together,” an expression that terrified me by the vagueness and vastness of the reforms the introduction of which into my quiet life it seemed to threaten. But since, were I not to tell them what Bergotte had said of me, even then nothing could efface the impression my parents had formed, that this should be made slightly worse mattered little. Besides, they seemed to me so unfair, so completely mistaken, that not only had I not any hope, I had scarcely any desire to bring them to a more equitable point of view. At the same time, feeling, as the words came from my lips, how alarmed they would be by the thought that I had found favour in the sight of a person who dismissed clever men as fools and had earned the contempt of all decent people, praise from whom, since it seemed to me a thing to be desired, would only encourage me in wrongdoing, it was in faltering tones and with a slightly shamefaced air that, coming to the end of my story, I flung them the bouquet of: “He told the Swanns that he had found me extremely intelligent.” Just as a poisoned dog, in a field, rushes, without knowing why, straight to the grass which is the precise antidote to the toxin that he has swallowed, so I, without in the least suspecting it, had said the one thing in the world that was capable of overcoming in my parents this prejudice with respect to Bergotte, a prejudice which all the best reasons that I could have urged, all the tributes that I could have paid him, must have proved powerless to defeat. Instantly the situation changed.
— «Ah! . . . Il a dit qu′il te trouvait intelligent, dit ma mère. Cela me fait plaisir parce que c′est un homme de talent?» “Oh! He said that he found you intelligent,” repeated my mother. “I am glad to hear that, because he is a man of talent.”
— «Comment! il a dit cela? reprit mon père . . . Je ne nie en rien sa valeur littéraire devant laquelle tout le monde s′incline, seulement c′est ennuyeux qu′il ait cette existence peu honorable dont a parlé à mots couverts le père Norpois, ajouta-t-il sans s′apercevoir que devant la vertu souveraine des mots magiques que je venais de prononcer la dépravation des moeurs de Bergotte ne pouvait guère lutter plus longtemps que la fausseté de son jugement. “What! He said that, did he?” my father joined in. “I don′t for a moment deny his literary distinction, before which the whole world bows; only it is a pity that he should lead that scarcely reputable existence to which old Norpois made a guarded allusion, when he was here,” he went on, not seeing that against the sovran virtue of the magic words which I had just repeated the depravity of Bergotte′s morals was little more able to contend than the falsity of his judgment.
— «Oh! mon ami, interrompit maman, rien ne prouve que ce soit vrai. On dit tant de choses. D′ailleurs, M. de Norpois est tout ce qu′il y a de plus gentil, mais il n′est pas toujours très bienveillant, surtout pour les gens qui ne sont pas de son bord.» “But, my dear,” Mamma interrupted, “we′ve no proof that it′s true. People say all sorts of things. Besides M. de Norpois may have the most perfect manners in the world, but he′s not always very good-natured, especially about people who are not exactly his sort.”
— «C′est vrai, je l′avais aussi remarqué», répondit mon père. “That′s quite true; I′ve noticed it myself,” my father admitted.
«— Et puis enfin il sera beaucoup pardonné à Bergotte puisqu′il a trouvé mon petit enfant gentil», reprit maman tout en caressant avec ses doigts mes cheveux et en attachant sur moi un long regard rêveur. “And then, too, a great deal ought to be forgiven Bergotte, since he thinks well of my little son,” Mamma went on, stroking my hair with her fingers and fastening upon me a long and pensive gaze.
Ma mère d′ailleurs n′avait pas attendu ce verdict de Bergotte pour me dire que je pouvais inviter Gilberte à goûter quand j′aurais des amis. Mais je n′osais pas le faire pour deux raisons. La première est que chez Gilberte, on ne servait jamais que du thé. A la maison au contraire, maman tenait à ce qu′à côté du thé il y eût du chocolat. J′avais peur que Gilberte ne trouvât cela commun et n′en conçût un grand mépris pour nous. L′autre raison fut une difficulté de protocole que je ne pus jamais réussir à lever. Quand j′arrivais chez Mme Swann elle me demandait: My mother had not, indeed, awaited this verdict from Bergotte before telling me that I might ask Gilberte to tea whenever I had friends coming. But I dared not do so for two reasons. The first was that at Gilberte′s there was never anything else to drink but tea. Whereas at home Mamma insisted on there being a pot of chocolate as well. I was afraid that Gilberte might regard this as ‘common′; and so conceive a great contempt for us. The other reason was a formal difficulty, a question of procedure which I could never succeed in settling. When I arrived at Mme. Swann′s she used to ask me:
— «Comment va madame votre mère?» “And how is your mother?”
J′avais fait quelques ouvertures à maman pour savoir si elle ferait de même quand viendrait Gilberte, point qui me semblait plus grave qu′à la cour de Louis XIV le «Monseigneur». Mais maman ne voulut rien entendre. I had made several overtures to Mamma to find out whether she would do the same when Gilberte came to us, a point which seemed to me more serious than, at the Court of Louis XIV, the use of ‘Monseigneur.′ But Mamma would not hear of it for a moment.
— «Mais non, puisque je ne connais pas Mme Swann.» “Certainly not. I do not know Mme. Swann.”
— «Mais elle ne te connaît pas davantage.» “But neither does she know you.”
— «Je ne te dis pas, mais nous ne sommes pas obligés de faire exactement de même en tout. Moi je ferai d′autres amabilités à Gilberte que Madame Swann n′aura pas pour toi.» “I never said she did, but we are not obliged to behave in exactly the same way about everything. I shall find other ways of being civil to Gilberte than Mme. Swann has with you.”
Mais je ne fus pas convaincu et préférai ne pas inviter Gilberte. But I was unconvinced, and preferred not to invite Gilberte.
Ayant quitté mes parents, j′allai changer de vêtements et en vidant mes poches je trouvai tout à coup l′enveloppe que m′avait remise le maître d′hôtel des Swann avant de m′introduire au salon. J′étais seul maintenant. Je l′ouvris, à l′intérieur était une carte sur laquelle on m′indiquait la dame à qui je devais offrir le bras pour aller à table. Leaving my parents, I went upstairs to change my clothes and on emptying my pockets came suddenly upon the envelope which the Swanns′ butler had handed me before shewing me into the drawing-room. I was now alone. I opened it; inside was a card on which I was told the name of the lady whom I ought to have ‘taken in′ to luncheon.
Ce fut vers cette époque que Bloch bouleversa ma conception du monde, ouvrit pour moi des possibilités nouvelles de bonheur (qui devaient du reste se changer plus tard en possibilités de souffrance), en m′assurant que contrairement à ce que je croyais au temps de mes promenades du côté de Méséglise, les femmes ne demandaient jamais mieux que de faire l′amour. Il compléta ce service en m′en rendant un second que je ne devais apprécier que beaucoup plus tard: ce fut lui qui me conduisit pour la première fois dans une maison de passe. Il m′avait bien dit qu′il y avait beaucoup de jolies femmes qu′on peut posséder. Mais je leur attribuais une figure vague, que les maisons de passe devaient me permettre de remplacer par des visages particuliers. De sorte que si j′avais à Bloch, — pour sa «bonne nouvelle» que le bonheur, la possession de la beauté, ne sont pas choses inaccessibles et que nous avons fait uvre utile en y renonçant à jamais, — une obligation de même genre qu′à tel médecin ou tel philosophe optimiste qui nous fait espérer la longévité dans ce monde, et de ne pas être entièrement séparé de lui quand on aura passé dans un autre, les maisons de rendez-vous que je fréquentai quelques années plus tard, — en me fournissant des échantillons du bonheur, en me permettant d′ajouter à la beauté des femmes cet élément que nous ne pouvons inventer, qui n′est pas que le résumé des beautés anciennes, le présent vraiment divin, le seul que nous ne puissions recevoir de nous-même, devant lequel expirent toutes les créations logiques de notre intelligence et que nous ne pouvons demander qu′à la réalité: un charme individuel, — méritèrent d′être classées par moi à côté de ces autres bienfaiteurs d′origine plus récente mais d′utilité analogue (avant lesquels nous imaginions sans ardeur la séduction de Mantegna, de Wagner, de Sienne, d′après d′autres peintres, d′autres musiciens, d′autres villes): les éditions d′histoire de la peinture illustrées, les concerts symphoniques et les études sur les «Villes d′art». Mais la maison où Bloch me conduisit et où il n′allait plus d′ailleurs lui-même depuis longtemps était d′un rang trop inférieur, le personnel était trop médiocre et trop peu renouvelé pour que j′y puisse satisfaire d′anciennes curiosités ou contracter de nouvelles. La patronne de cette maison ne connaissait aucune des femmes qu′on lui demandait et en proposait toujours dont on n′aurait pas voulu. Elle m′en vantait surtout une, une dont, avec un sourire plein de promesses (comme si ç‘avait été une rareté et un régal), elle disait: «C′est une Juive! Ça ne vous dit rien?» (C′est sans doute à cause de cela qu′elle l′appelait Rachel.) Et avec une exaltation niaise et factice qu′elle espérait être communicative, et qui finissait sur un râle presque de jouissance: «Pensez donc mon petit, une juive, il me semble que ça doit être affolant! Rah!» Cette Rachel, que j′aperçus sans qu′elle me vît, était brune, pas jolie, mais avait l′air intelligent, et non sans passer un bout de langue sur ses lèvres, souriait d′un air plein d′impertinence aux michés qu′on lui présentait et que j′entendais entamer la conversation avec elle. Son mince et étroit visage était entouré de cheveux noirs et frisés, irréguliers comme s′ils avaient été indiqués par des hachures dans un lavis, à l′encre de Chine. Chaque fois je promettais à la patronne qui me la proposait avec une insistance particulière en vantant sa grande intelligence et son instruction que je ne manquerais pas un jour de venir tout exprès pour faire la connaissance de Rachel surnommée par moi «Rachel quand du Seigneur». Mais le premier soir j′avais entendu celle-ci au moment où elle s′en allait, dire à la patronne: It was about this period that Bloch overthrew my conception of the world and opened for me fresh possibilities of happiness (which, for that matter, were to change later on into possibilities of suffering), by assuring me that, in contradiction of all that I had believed at the time of my walks along the Méséglise way, women never asked for anything better than to make love. He added to this service a second, the value of which I was not to appreciate until much later; it was he who took me for the first time into a disorderly house. He had indeed told me that there were any number of pretty women whom one might enjoy. But I could see them only in a vague outline for which those houses were to enable me to substitute actual human features. So that if I owed to Bloch — for his ‘good tidings′ that beauty and the enjoyment of beauty were not inaccessible things, and that we have acted foolishly in renouncing them for all time — a debt of gratitude of the same kind that we owe to an optimistic physician or philosopher who has given us reason to hope for length of days in this world and not to be entirely cut off from it when we shall have passed beyond the veil, the houses of assignation which I began to frequent some years later — by furnishing me with specimens of beauty, by allowing me to add to the beauty of women that element which we are powerless to invent, which is something more than a mere summary of former beauties, that present indeed divine, the one present that we cannot bestow upon ourselves, before which faint and fail all the logical creations of our intellect, and which we can seek from reality alone: an individual charm — deserved to be ranked by me with those other benefactors more recent in origin but of comparable utility (before finding which we used to imagine without any warmth the seductive charms of Mantegna, of Wagner, of Siena, by studying other painters, hearing other composers, visiting other cities): namely illustrated editions of the history of painting, symphonic concerts and handbooks to ‘Mediaeval Towns.′ But the house to which Bloch led me (and which he himself, for that matter, had long ceased to visit), was of too humble a grade, its denizens were too inconspicuous and too little varied to be able to satisfy my old or to stimulate new curiosities. The mistress of this house knew none of the women with whom one asked her to negotiate, and was always suggesting others whom one did not want. She boasted to me of one in particular, one of whom, with a smile full of promise (as though this had been a great rarity and a special treat) she would whisper: “She is a Jewess! Doesn′t that make you want to?” (That, by the way, was probably why the girl′s name was Rachel.) And with a silly and affected excitement which, she hoped, would prove contagious, and which ended in a hoarse gurgle, almost of sensual satisfaction: “Think of that, my boy, a Jewess! Wouldn′t that be lovely? Rrrr!” This Rachel, of whom I caught a glimpse without her seeing me, was dark and not good looking, but had an air of intelligence, and would pass the tip of her tongue over her lips as she smiled, with a look of boundless impertinence, at the ‘boys′ who were introduced to her and whom I could hear making conversation. Her small and narrow face was framed in short curls of black hair, irregular as though they were outlined in pen-strokes upon a wash-drawing in Indian ink. Every evening I promised the old woman who offered her to me with a special insistence, boasting of her superior intelligence and her education, that I would not fail to come some day on purpose to make the acquaintance of Rachel, whom I had nicknamed “Rachel when from the Lord.” But the first evening I had heard her, as she was leaving the house, say to the mistress:
— «Alors c′est entendu, demain je suis libre, si vous avez quelqu′un, vous n′oublierez pas de me faire chercher.» “That′s settled then; I shall be free to-morrow, if you have anyone you won′t forget to send for me.”
Et ces mots m′avaient empêché de voir en elle une personne parce qu′ils me l′avaient fait classer immédiatement dans une catégorie générale de femmes dont l′habitude commune à toutes était de venir là le soir voir s′il n′y avait pas un louis ou deux à gagner. Elle variait seulement la forme de sa phrase en disant: And these words had prevented me from recognising her as a person because they had made me classify her at once in a general category of women whose habit, common to all of them, was to come there in the evening to see whether there might not be a louis or two to be earned. She would simply vary her formula, saying indifferently:
— «Si vous avez besoin de moi», ou «si vous avez besoin de quelqu′un.» “If you want me” or “If you want anybody.”
La patronne qui ne connaissait pas l′opéra d′Halévy ignorait pourquoi j′avais pris l′habitude de dire: «Rachel quand du Seigneur». Mais ne pas la comprendre n′a jamais fait trouver une plaisanterie moins drôle et c′est chaque fois en riant de tout son cur qu′elle me disait: The mistress, who was not familiar with Halévy′s opera, did not know why I always called the girl “Rachel when from the Lord.” But failure to understand a joke has never yet made anyone find it less amusing, and it was always with a whole-hearted laugh that she would say to me:
«— Alors, ce n′est pas encore pour ce soir que je vous unis à «Rachel quand du Seigneur»? «Comment dites-vous cela: «Rachel quand du Seigneur!» Ah! ça c′est très bien trouvé. Je vais vous fiancer. Vous verrez que vous ne le regretterez pas.» “Then there′s nothing doing to-night? When am I going to fix you up with ‘Rachel when from the Lord′? Why do you always say that, ‘Rachel when from the Lord′? Oh, that′s very smart, that is. I′m going to make a match of you two. You won′t be sorry for it, you′ll see.”
Une fois je faillis me décider, mais elle était «sous presse», une autre fois entre les mains du «coiffeur», un vieux monsieur qui ne faisait rien d′autre aux femmes que verser de l′huile sur leurs cheveux déroulés et les peigner ensuite. Et je me lassai d′attendre bien que quelques habituées fort humbles, soi-disant ouvrières, mais toujours sans travail, fussent venues me faire de la tisane et tenir avec moi une longue conversation à laquelle, — malgré le sérieux des sujets traités, — la nudité partielle ou complète de mes interlocutrices donnait une savoureuse simplicité. Je cessai du reste d′aller dans cette maison parce que désireux de témoigner mes bons sentiments à la femme qui la tenait et avait besoin de meubles, je lui en donnai quelques-uns, notamment un grand canapé — que j′avais hérités de ma tante Léonie. Je ne les voyais jamais car le manque de place avait empêché mes parents de les laisser entrer chez nous et ils étaient entassés dans un hangar. Mais dès que je les retrouvai dans la maison où ces femmes se servaient d′eux, toutes les vertus qu′on respirait dans la chambre de ma tante à Combray, m′apparurent, suppliciées par le contact cruel auquel je les avais livrés sans défense! J′aurais fait violer une morte que je n′aurais pas souffert davantage. Je ne retournai plus chez l′entremetteuse, car ils me semblaient vivre et me supplier, comme ces objets en apparence inanimés d′un conte persan, dans lesquels sont enfermées des âmes qui subissent un martyre et implorent leur délivrance. D′ailleurs, comme notre mémoire ne nous présente pas d′habitude nos souvenirs dans leur suite chronologique, mais comme un reflet où l′ordre des parties est renversé, je me rappelai seulement beaucoup plus tard que c′était sur ce même canapé que bien des années auparavant j′avais connu pour la première fois les plaisirs de l′amour avec une de mes petites cousines avec qui je ne savais où me mettre et qui m′avait donné le conseil assez dangereux de profiter d′une heure où ma tante Léonie était levée. Once I was just making up my mind, but she was ‘in the press,′ another time in the hands of the hairdresser, an elderly gentleman who never did anything for the women except pour oil on their loosened hair and then comb it. And I grew tired of waiting, even though several of the humbler frequenters of the place (working girls, they called themselves, but they always seemed to be out of work), had come to mix drinks for me and to hold long conversations to which, despite the gravity of the subjects discussed, the partial or total nudity of the speakers gave an attractive simplicity. I ceased moreover to go to this house because, anxious to present a token of my good-will to the woman who kept it and was in need of furniture, I had given her several pieces, notably a big sofa, which I had inherited from my aunt Léonie. I used never to see them, for want of space had prevented my parents from taking them in at home, and they were stored in a warehouse. But as soon as I discovered them again in the house where these women were putting them to their own uses, all the virtues that one had imbibed in the air of my aunt′s room at Combray became apparent to me, tortured by the cruel contact to which I had abandoned them in their helplessness! Had I outraged the dead, I should not have suffered such remorse. I returned no more to visit their new mistress, for they seemed to me to be alive, and to be appealing to me, like those objects, apparently inanimate, in a Persian fairy-tale, in which are embodied human souls that are undergoing martyrdom and plead for deliverance. Besides, as our memory presents things to us, as a rule, not in their chronological sequence but as it were by a reflexion in which the order of the parts is reversed, I remembered only long afterwards that it was upon that same sofa that, many years before, I had tasted for the first time the sweets of love with one of my girl cousins, with whom I had not known where to go until she somewhat rashly suggested our taking advantage of a moment in which aunt Léonie had left her room.
Toute une autre partie des meubles et surtout une magnifique argenterie ancienne de ma tante Léonie, je les vendis, malgré l′avis contraire de mes parents, pour pouvoir disposer de plus d′argent et envoyer plus de fleurs à Mme Swann qui me disait en recevant d′immenses corbeilles d′orchydées: «Si j′étais monsieur votre père, je vous ferais donner un conseil judiciaire.» Comment pouvais-je supposer qu′un jour je pourrais regretter tout particulièrement cette argenterie et placer certains plaisirs plus haut, que celui, qui deviendrait peut-être absolument nul, de faire des politesses aux parents de Gilberte. C′est de même en vue de Gilberte et pour ne pas la quitter que j′avais décidé de ne pas entrer dans les ambassades. Ce n′est jamais qu′à cause d′un état d′esprit qui n′est pas destiné à durer qu′on prend des résolutions définitives. J′imaginais à peine que cette substance étrange qui résidait en Gilberte et rayonnait en ses parents, en sa maison, me rendant indifférent à tout le reste, cette substance pourrait être libérée, émigrer dans un autre être. Vraiment la même substance et pourtant devant avoir sur moi de tout autres effets. Car la même maladie évolue; et un délicieux poison n′est plus toléré de même, quand avec les années, a diminué la résistance du cur. A whole lot more of my aunt Léonie′s things, and notably a magnificent set of old silver plate, I sold, in spite of my parents′ warnings, so as to have more money to spend, and to be able to send more flowers to Mme. Swann who would greet me, after receiving an immense basket of orchids, with: “If I were your father, I should have you up before the magistrate for this.” How was I to suppose that one day I might regret more than anything the loss of my silver plate, and rank certain other pleasures more highly than that (which would have shrunk perhaps into none at all) of bestowing favours upon Gilberte′s parents. Similarly, it was with Gilberte in my mind, and so as not to be separated from her, that I had decided not to enter a career of diplomacy abroad. It is always thus, impelled by a state of mind which is destined not to last, that we make our irrevocable decisions. I could scarcely imagine that that strange substance which was housed in Gilberte, and from her permeated her parents and her home, leaving me indifferent to all things else, could be liberated from her, could migrate into another person. The same substance, unquestionable, and yet one that would have a wholly different effect on me. For a single malady goes through various evolutions, and a delicious poison can no longer be taken with the same impunity when, with the passing of the years, the heart′s power of resistance has diminished.
Mes parents cependant auraient souhaité que l′intelligence que Bergotte m′avait reconnue se manifestât par quelque travail remarquable. Quand je ne connaissais pas les Swann je croyais que j′étais empêché de travailler par l′état d′agitation où me mettait l′impossibilité de voir librement Gilberte. Mais quand leur demeure me fut ouverte, à peine je m′étais assis à mon bureau de travail que je me levais et courais chez eux. Et une fois que je les avais quittés et que j′étais rentré à la maison, mon isolement n′était qu′apparent, ma pensée ne pouvait plus remonter le courant du flux de paroles par lequel je m′étais laissé machinalement entraîner pendant des heures. Seul je continuais à fabriquer les propos qui eussent été capables de plaire aux Swann et pour donner plus d′intérêt au jeu, je tenais la place de ces partenaires absents, je me posais à moi-même des questions fictives choisies de telle façon que mes traits brillants ne leur servissent que d′heureuse répartie. Silencieux, cet exercice était pourtant une conversation et non une méditation, ma solitude une vie de salon mentale où c′était non ma propre personne mais des interlocuteurs imaginaires qui gouvernaient mes paroles et où j′éprouvais à former, au lieu des pensées que je croyais vraies celles qui me venaient sans peine, sans régression du dehors vers le dedans, ce genre de plaisir tout passif qui trouve à rester tranquille quelqu′un qui est alourdi par une mauvaise digestion. My parents meanwhile would have liked to see the intelligence that Bergotte had discerned in me made manifest in some remarkable achievement. When I still did not know the Swanns I thought that I was prevented from working by the state of agitation into which I was thrown by the impossibility of seeing Gilberte when I chose. But, now that their door stood open to me, scarcely had I sat down at my desk than I would rise and run to them. And after I had left them and was at home again, my isolation was only apparent, my mind was powerless to swim against the stream of words on which I had allowed myself mechanically to be borne for hours on end. Sitting alone, I continued to fashion remarks such as might have pleased or amused the Swanns, and to make this pastime more entertaining I myself took the parts of those absent players, I put to myself imagined questions, so chosen that my brilliant epigrams served merely as happy answers to them. Though conducted in silence, this exercise was none the less a conversation and not a meditation, my solitude a mental society in which it was not I myself but other imaginary speakers who controlled my choice of words, and in which I felt as I formulated, in place of the thoughts that I believed to be true, those that came easily to my mind, and involved no introspection from without, that kind of pleasure, entirely passive, which sitting still affords to anyone who is burdened with a sluggish digestion.
Si j′avais été moins décidé à me mettre définitivement au travail, j′aurais peut-être fait un effort pour commencer tout de suite. Mais puisque ma résolution était formelle, et qu′avant vingt-quatre heures, dans les cadres vides de la journée du lendemain où tout se plaçait si bien parce que je n′y étais pas encore, mes bonnes dispositions se réaliseraient aisément, il valait mieux ne pas choisir un soir où j′étais mal disposé pour un début auquel les jours suivants, hélas! ne devaient pas se montrer plus propices. Mais j′étais raisonnable. De la part de qui avait attendu des années, il eût été puéril de ne pas supporter un retard de trois jours. Certain que le surlendemain j′aurais déjà écrit quelques pages, je ne disais plus un seul mot à mes parents de ma décision; j′aimais mieux patienter quelques heures, et apporter à ma grand′mère consolée et convaincue, de l′ouvrage en train. Malheureusement le lendemain n′était pas cette journée extérieure et vaste que j′avais attendue dans la fièvre. Quand il était fini, ma paresse et ma lutte pénible contre certains obstacles internes avait simplement duré vingt-quatre heures de plus. Et au bout de quelques jours, mes plans n′ayant pas été réalisés, je n′avais plus le même espoir qu′ils le seraient immédiatement, partant, plus autant de courage pour subordonner tout à cette réalisation: je recommençais à veiller, n′ayant plus pour m′obliger à me coucher de bonne heure un soir, la vision certaine de voir l′uvre commencée le lendemain matin. Il me fallait avant de reprendre mon élan quelques jours de détente, et la seule fois où ma grand′mère osa d′un ton doux et désenchanté formuler ce reproche: «Hé bien, ce travail, on n′en parle même plus?» je lui en voulus, persuadé que n′ayant pas su voir que mon parti était irrévocablement pris, elle venait d′en ajourner encore et pour longtemps peut-être, l′exécution, par l′énervement que son déni de justice me causait et sous l′empire duquel je ne voudrais pas commencer mon uvre. Elle sentit que son scepticisme venait de heurter à l′aveugle une volonté. Elle s′en excusa, me dit en m′embrassant: «Pardon, je ne dirai plus rien.» Et pour que je ne me décourageasse pas, m′assura que du jour où je serais bien portant, le travail viendrait tout seul par surcroît. Had I been less firmly resolved upon setting myself definitely to work, I should perhaps have made an effort to begin at once. But since my resolution was explicit, since within twenty-four hours, in the empty frame of that long morrow in which everything was so well arranged because I myself had not yet entered it, my good intentions would be realised without difficulty, it was better not to select an evening on which I was ill-disposed for a beginning for which the following days were not, alas, to shew themselves any more propitious. But I was reasonable. It would have been puerile, on the part of one who had waited now for years, not to put up with a postponement of two or three days. Confident that by the day after next I should have written several pages, I said not a word more to my parents of my decision; I preferred to remain patient for a few hours and then to bring to a convinced and comforted grandmother a sample of work that was already under way. Unfortunately the morrow was not that vast, external day to which I in my fever had looked forward. When it drew to a close, my laziness and my painful struggle to overcome certain internal obstacles had simply lasted twenty-four hours longer. And at the end of several days, my plans not having matured, I had no longer the same hope that they would be realised at once, no longer the courage, therefore, to subordinate everything else to their realisation: I began again to keep late hours, having no longer, to oblige me to go to bed early on any evening, the certain hope of seeing my work begun next morning. I needed, before I could recover my creative energy, several days of relaxation, and the only time that my grandmother ventured, in a gentle and disillusioned tone, to frame the reproach: “Well, and that work of yours; aren′t we even to speak of it now?” I resented her intrusion, convinced that in her inability to see that my mind was irrevocably made up, she had further and perhaps for a long time postponed the execution of my task, by the shock which her denial of justice to me had given my nerves, since until I had recovered from that shock I should not feel inclined to begin my work. She felt that her scepticism had charged blindly into my intention. She apologised, kissing me: “I am sorry; I shall not say anything again,” and, so that I should not be discouraged, assured me that, from the day on which I should be quite well again, the work would come of its own accord from my superfluity of strength.
D′ailleurs, me disais-je, en passant ma vie chez les Swann ne fais-je pas comme Bergotte? A mes parents il semblait presque que tout en étant paresseux, je menais, puisque c′était dans le même salon qu′un grand écrivain, la vie la plus favorable au talent. Et pourtant que quelqu′un puisse être dispensé de faire ce talent soi-même, par le dedans, et le reçoive d′autrui, est aussi impossible que se faire une bonne santé (malgré qu′on manque à toutes les règles de l′hygiène et qu′on commette les pires excès) rien qu′en dînant souvent en ville avec un médecin. La personne du reste qui était le plus complètement dupe de l′illusion qui m′abusait ainsi que mes parents, c′était Mme Swann. Quand je lui disais que je ne pouvais pas venir, qu′il fallait que je restasse à travailler, elle avait l′air de trouver que je faisais bien des embarras, qu′il y avait un peu de sottise et de prétention dans mes paroles: Besides, I said to myself, in spending all my time with the Swanns, am I not doing exactly what Bergotte does? To my parents it seemed almost as though, idle as I was, I was leading, since it was spent in the same drawing-room with a great writer, the life most favourable to the growth of talent. And yet the assumption that anyone can be dispensed from having to create that talent for himself, from within himself, and can acquire it from some one else, is as impossible as it would be to suppose that a man can keep himself in good health, in spite of neglecting all the rules of hygiene and of indulging in the worst excesses, merely by dining out often in the company of a physician. The person, by the way, who was most completely taken in by this illusion, which misled me as well as my parents, was Mme. Swann. When I explained to her that I was unable to come, that I must stay at home and work, she looked as though she were thinking that I made a great fuss about nothing, that there was something foolish as well as ostentatious in what I had said.
— «Mais Bergotte vient bien, lui? Est-ce que vous trouvez que ce qu′il écrit n′est pas bien. Cela sera même mieux bientôt, ajoutait-elle, car il est plus aigu, plus concentré dans le journal que dans le livre où il délaie un peu. J′ai obtenu qu′il fasse désormais le «leader article» dans le Figaro. Ce sera tout à fait «the right man in the right place.» “But Bergotte is coming, isn′t he? Do you mean that you don′t think it good, what he writes? It will be better still, very soon,” she went on, “for he is more pointed, he concentrates more in newspaper articles than in his books, where he is apt to spread out too much. I′ve arranged that in future he′s to do the leading articles in the Figaro. He′ll be distinctly the ‘right man in the right place′ there.”
Et elle ajoutait: And, finally,
— «Venez, il vous dira mieux que personne ce qu′il faut faire.» “Come! He will tell you, better than anyone, what you ought to do.”
Et c′était comme on invite un engagé volontaire avec son colonel, c′était dans l′intérêt de ma carrière et comme si les chefs-d′uvre se faisaient par «relations» qu′elle me disait de ne pas manquer de venir le lendemain dîner chez elle avec Bergotte. And so, just as one invites a gentleman ranker to meet his colonel, it was in the interests of my career, and as though masterpieces of literature arose out of ‘getting to know” people, that she told me not to fail to come to dinner with her next day, to meet Bergotte.
Ainsi pas plus du côté des Swann que du côté de mes parents, c′est-à-dire de ceux qui, à des moments différents, avaient semblé devoir y mettre obstacle, aucune opposition n′était plus faite à cette douce vie où je pouvais voir Gilberte comme je voulais, avec ravissement, sinon avec calme. Il ne peut pas y en avoir dans l′amour, puisque ce qu′on a obtenu n′est jamais qu′un nouveau point de départ pour désirer davantage. Tant que je n′avais pu aller chez elle, les yeux fixés vers cet inaccessible bonheur, je ne pouvais même pas imaginer les causes nouvelles de trouble qui m′y attendaient. Une fois la résistance de ses parents brisée, et le problème enfin résolu, il recommença à se poser, chaque fois dans d′autres termes. En ce sens c′était bien en effet chaque jour une nouvelle amitié qui commençait. Chaque soir en rentrant je me rendais compte que j′avais à dire à Gilberte des choses capitales, desquelles notre amitié dépendait, et ces choses n′étaient jamais les mêmes. Mais enfin j′étais heureux et aucune menace ne s′élevait plus contre mon bonheur. Il allait en venir hélas d′un côté, où je n′avais jamais aperçu aucun péril, du côté de Gilberte et de moi-même. J′aurais pourtant dû être tourmenté par ce qui, au contraire, me rassurait, par ce que je croyais du bonheur. C′est, dans l′amour, un état anormal, capable de donner tout de suite, à l′accident, le plus simple en apparence et qui peut toujours survenir, une gravité que par lui-même cet accident ne comporterait pas. Ce qui rend si heureux, c′est la présence dans le cur de quelque chose d′instable, qu′on s′arrange perpétuellement à maintenir et dont on ne s′aperçoit presque plus tant qu′il n′est pas déplacé. En réalité, dans l′amour il y a une souffrance permanente, que la joie neutralise, rend virtuelle, ajourne, mais qui peut à tout moment devenir ce qu′elle serait depuis longtemps si l′on n′avait pas obtenu ce qu′on souhaitait, atroce. And so there was not from the Swanns any more than from my parents, that is to say from those who, at different times, had seemed bound to place obstacles in my way, any further opposition to that pleasant existence in which I might see Gilberte as often as I chose, with enjoyment if not with peace of mind. There can be no peace of mind in love, since the advantage one has secured is never anything but a fresh starting-point for further desires. So long as I had not been free to go to her, having my eyes fixed upon that inaccessible goal of happiness, I could not so much as imagine the fresh grounds for anxiety that lay in wait for me there. Once the resistance of her parents was broken, and the problem solved at last, it began to set itself anew, and always in different terms. Each evening, on arriving home, I reminded myself that I had things to say to Gilberte of prime importance, things upon which our whole friendship hung, and these things were never the same. But at least I was happy, and no further menace arose to threaten my happiness. One was to appear, alas, from a quarter in which I had never detected any peril, namely from Gilberte and myself. And yet I ought to have been tormented by what, on the contrary, reassured me, by what I mistook for happiness. We are, when we love, in an abnormal state, capable of giving at once to an accident, the most simple to all appearance and one that may at any moment occur, a serious-aspect which that accident by itself would not bear. What makes us so happy is the presence in our heart of an unstable element which we are perpetually arranging to keep in position, and of which we cease almost to be aware so long as it is not displaced. Actually, there is in love a permanent strain of suffering which happiness neutralises, makes conditional only, procrastinates, but which may at any moment become what it would long since have been had we not obtained what we were seeking, sheer agony.
Plusieurs fois je sentis que Gilberte désirait éloigner mes visites. Il est vrai que quand je tenais trop à la voir je n′avais qu′à me faire inviter par ses parents qui étaient de plus en plus persuadés de mon excellente influence sur elle. Grâce à eux, pensais-je, mon amour ne court aucun risque; du moment que je les ai pour moi, je peux être tranquille puisqu′ils ont toute autorité sur Gilberte. Malheureusement à certains signes d′impatience que celle-ci laissait échapper quand son père me faisait venir en quelque sorte malgré elle, je me demandai si ce que j′avais considéré comme une protection pour mon bonheur n′était pas au contraire la raison secrète pour laquelle il ne pourrait durer. On several occasions I felt that Gilberte was anxious to put off my visits. It is true that when I was at all anxious to see her I had only to get myself invited by her parents who were increasingly persuaded of my excellent influence over her. “Thanks to them,” I used to think, “my love is running no risk; the moment I have them on my side, I can set my mind at rest; they have full authority over Gilberte.” Until, alas, I detected certain signs of impatience which she allowed to escape her when her father made me come to the house, almost against her will, and asked myself whether what I had regarded as a protection for my happiness was not in fact the secret reason why that happiness could not endure.
La dernière fois que je vins voir Gilberte, il pleuvait; elle était invitée à une leçon de danses chez des gens qu′elle connaissait trop peu pour pouvoir m′emmener avec elle. J′avais pris à cause de l′humidité plus de caféine que d′habitude. Peut-être à cause du mauvais temps, peut-être ayant quelque prévention contre la maison où cette matinée devait avoir lieu, Mme Swann, au moment où sa fille allait partir, la rappela avec une extrême vivacité: «Gilberte!» et me désigna pour signifier que j′étais venu pour la voir et qu′elle devait rester avec moi. Ce «Gilberte» avait été prononcé, crié plutôt, dans une bonne intention pour moi, mais au haussement d′épaules que fit Gilberte en ôtant ses affaires, je compris que sa mère avait involontairement accéléré l′évolution, peut-être jusque-là possible encore à arrêter, qui détachait peu à peu de moi mon amie. «On n′est pas obligé d′aller danser tous les jours», dit Odette à sa fille, avec une sagesse sans doute apprise autrefois de Swann. Puis, redevenant Odette, elle se mit à parler anglais à sa fille. Aussitôt ce fut comme si un mur m′avait caché une partie de la vie de Gilberte, comme si un génie malfaisant avait emmené loin de moi mon amie. Dans une langue que nous savons, nous avons substitué à l′opacité des sons la transparence des idées. Mais une langue que nous ne savons pas est un palais clos dans lequel celle que nous aimons peut nous tromper, sans que, restés au dehors et désespérément crispés dans notre impuissance, nous parvenions à rien voir, à rien empêcher. Telle cette conversation en anglais dont je n′eusse que souri un mois auparavant et au milieu de laquelle quelques noms propres français ne laissaient pas d′accroître et d′orienter mes inquiétudes, avait, tenue à deux pas de moi par deux personnes immobiles, la même cruauté, me faisait aussi délaissé et seul, qu′un enlèvement. Enfin Mme Swann nous quitta. Ce jour-là peut-être par rancune contre moi, cause involontaire qu′elle n′allât pas s′amuser, peut-être aussi parce que la devinant fâchée j′étais préventivement plus froid que d′habitude, le visage de Gilberte, dépouillé de toute joie, nu, saccagé, sembla tout l′après-midi vouer un regret mélancolique au pas-de-quatre que ma présence l′empêchait d′aller danser, et défier toutes les créatures, à commencer par moi, de comprendre les raisons subtiles qui avaient déterminé chez elle une inclination sentimentale pour le boston. Elle se borna à échanger, par moments, avec moi, sur le temps qu′il faisait, la recrudescence de la pluie, l′avance de la pendule, une conversation ponctuée de silences et de monosyllabes où je m′entêtais moi-même, avec une sorte de rage désespérée, à détruire les instants que nous aurions pu donner à l′amitié et au bonheur. Et à tous nos propos une sorte de dureté suprême était conférée par le paroxisme de leur insignifiance paradoxale, lequel me consolait pourtant, car il empêchait Gilberte d′être dupe de la banalité de mes réflexions et de l′indifférence de mon accent. C′est en vain que je disais: «Il me semble que l′autre jour la pendule retardait plutôt», elle traduisait évidemment: «Comme vous êtes méchante!» J′avais beau m′obstiner à prolonger, tout le long de ce jour pluvieux, ces paroles sans éclaircies, je savais que ma froideur n′était pas quelque chose d′aussi définitivement figé que je le feignais, et que Gilberte devait bien sentir que si, après le lui avoir déjà dit trois fois, je m′étais hasardé une quatrième à lui répéter que les jours diminuaient, j′aurais eu de la peine à me retenir à fondre en larmes. Quand elle était ainsi, quand un sourire ne remplissait pas ses yeux et ne découvrait pas son visage, on ne peut dire de quelle désolante monotonie étaient empreints ses yeux tristes et ses traits maussades. Sa figure, devenue presque livide, ressemblait alors à ces plages ennuyeuses où la mer retirée très loin vous fatigue d′un reflet toujours pareil que cerne un horizon immuable et borné. A la fin, ne voyant pas se produire de la part de Gilberte le changement heureux que j′attendais depuis plusieurs heures, je lui dis qu′elle n′était pas gentille: «C′est vous qui n′êtes pas gentil», me répondit-elle. «Mais si!» Je me demandai ce que j′avais fait, et ne le trouvant pas, le lui demandai à elle-même: «Naturellement, vous vous trouvez gentil!» me dit-elle en riant longuement. Alors je sentis ce qu′il y avait de douloureux pour moi à ne pouvoir atteindre cet autre plan, plus insaisissable, de sa pensée, que décrivait son rire. Ce rire avait l′air de signifier: «Non, non, je ne me laisse pas prendre à tout ce que vous me dites, je sais que vous êtes fou de moi, mais cela ne me fait ni chaud ni froid, car je me fiche de vous.» Mais je me disais qu′après tout le rire n′est pas un langage assez déterminé pour que je pusse être assuré de bien comprendre celui-là. Et les paroles de Gilberte étaient affectueuses. «Mais en quoi ne suis-je pas gentil, lui demandai-je, dites-le moi, je ferai tout ce que vous voudrez.» «Non cela ne servirait à rien, je ne peux pas vous expliquer.» Un instant j′eus peur qu′elle crût que je ne l′aimasse pas, et ce fut pour moi une autre souffrance, non moins vive, mais qui réclamait une dialectique différente. «Si vous saviez le chagrin que vous me faites, vous me le diriez.» Mais ce chagrin qui, si elle avait douté de mon amour eût dû la réjouir, l′irrita au contraire. Alors, comprenant mon erreur, décidé à ne plus tenir compte de ses paroles, la laissant sans la croire, me dire: «Je vous aimais vraiment, vous verrez cela un jour» (ce jour, où les coupables assurent que leur innocence sera reconnue et qui, pour des raisons mystérieuses, n′est jamais celui où on les interroge), j′eus le courage de prendre subitement la résolution de ne plus la voir, et sans le lui annoncer encore, parce qu′elle ne m′aurait pas cru. The last time that I called to see Gilberte, it was raining; she had been asked to a dancing lesson in the house of some people whom she knew too slightly to be able to take me there with her. In view of the dampness of the air I had taken rather more caffeine than usual. Perhaps on account of the weather, or because she had some objection to the house in which this party was being given, Mme. Swann, as her daughter was leaving the room, called her back in the sharpest of tones: “Gilberte!” and pointed to me, to indicate that I had come there to see her and that she ought to stay with me. This ‘Gilberte!′ had been uttered, or shouted rather, with the best of intentions towards myself, but from the way in which Gilberte shrugged her shoulders as she took off her outdoor clothes I divined that her mother had unwittingly hastened the gradual evolution, which until then it had perhaps been possible to arrest, which was gradually drawing away from me my friend. “You don′t need to go out dancing every day,” Odette told her daughter, with a sagacity acquired, no doubt, in earlier days, from Swann. Then, becoming once more Odette, she began speaking to her daughter in English. At once it was as though a wall had sprung up to hide from me a part of the life of Gilberte, as though an evil genius had spirited my friend far away. In a language that we know, we have substituted for the opacity of sounds, the perspicuity of ideas. But a language which we do not know is a fortress sealed, within whose walls she whom we love is free to play us false, while we, standing without, desperately alert in our impotence, can see, can prevent nothing. So this conversation in English, at which, a month earlier, I should merely have smiled, interspersed with a few proper names in French which did not fail to accentuate, to give a point to my uneasiness, had, when conducted within a few feet of me by two motionless persons, the same degree of cruelty, left me as much abandoned and alone as the forcible abduction of my companion. At length Mme. Swann left us. That day, perhaps from resentment against myself, the unwilling cause of her not going out to enjoy herself, perhaps also because, guessing her to be angry with me, I was precautionally colder than usual with her, the face of Gilberte, divested of every sign of joy, bleak, bare, pillaged, seemed all afternoon to be devoting a melancholy regret to the pas-de-quatre in which my arrival had prevented her from going to take part, and to be defying every living creature, beginning with myself, to understand the subtle reasons that had determined in her a sentimental attachment to the boston. She confined herself to exchanging with me, now and again, on the weather, the increasing violence of the rain, the fastness of the clock, a conversation punctuated with silences and monosyllables, in which I lashed myself on, with a sort of desperate rage, to the destruction of those moments which we might have devoted to friendship and happiness. And on each of our remarks was stamped, as it were, a supreme harshness, by the paroxysm of their stupefying unimportance, which at the same time consoled me, for it prevented Gilberte from being taken in by the banality of my observations and the indifference of my tone. In vain was my polite: “I thought, the other day, that the clock was slow, if anything”; she evidently understood me to mean: “How tiresome you are being!” Obstinately as I might protract, over the whole length of that rain-sodden afternoon, the dull cloud of words through which no fitful ray shone, I knew that my coldness was not so unalterably fixed as I pretended, and that Gilberte must be fully aware that if, after already saying it to her three times, I had hazarded a fourth repetition of the statement that the evenings were drawing in, I should have had difficulty in restraining myself from bursting into tears. When she was like that, when no smile filled her eyes or unveiled her face, I cannot describe the devastating monotony that stamped her melancholy eyes and sullen features. Her face, grown almost livid, reminded me then of those dreary beaches where the sea, ebbing far out, wearies one with its faint shimmering, everywhere the same, fixed in an immutable and low horizon. At length, as I saw no sign in Gilberte of the happy change for which I had been waiting now for some hours, I told her that she was not being nice. “It is you that are not being nice,” was her answer. “Oh, but surely ——!” I asked myself what I could have done, and, finding no answer, put the question to her. “Naturally, you think yourself nice!” she said to me with a laugh, and went on laughing. Whereupon I felt all the anguish that there was for me in not being able to attain to that other, less perceptible, plane of her mind which her laughter indicated. It seemed, that laughter, to mean: “No, no, I′m not going to let myself be moved by anything that you say, I know you′re madly in love with me, but that leaves me neither hot nor cold, for I don′t care a rap for you.” But I told myself that, after all, laughter was not a language so well defined that I could be certain of understanding what this laugh really meant. And Gilberte′s words were affectionate. “But how am I not being nice?” I asked her. “Tell me; I will do anything you want.” “No; that wouldn′t be any good. I can′t explain.” For a moment I was afraid that she thought that I did not love her, and this was for me a fresh agony, no less keen, but one that required treatment by a different conversational method. “If you knew how much you were hurting me you would tell me.” But this pain which, had she doubted my love for her, must have rejoiced her, seemed instead to make her more angry. Then, realising my mistake, making up my mind to pay no more attention to what she said, letting her (without bothering to believe her) assure me: “I do love you, indeed I do; you will see one day,” (that day on which the guilty are convinced that their innocence will be made clear, and which, for some mysterious reason, never happens to be the day on which their evidence is taken), I had the courage to make a sudden resolution not to see her again, and without telling her of it yet since she would not have believed me.
Un chagrin causé par une personne qu′on aime peut être amer, même quand il est inséré au milieu de préoccupations, d′occupations, de joies, qui n′ont pas cet être pour objet et desquelles notre attention ne se détourne que de temps en temps pour revenir à lui. Mais quand un tel chagrin naît — comme c′était le cas pour celui-ci — à un moment où le bonheur de voir cette personne nous remplit tout entiers, la brusque dépression qui se produit alors dans notre âme jusque-là ensoleillée, soutenue et calme, détermine en nous une tempête furieuse contre laquelle nous ne savons pas si nous serons capables de lutter jusqu′au bout. Celle qui soufflait sur mon cur était si violente que je revins vers la maison, bousculé, meurtri, sentant que je ne pourrais retrouver la respiration qu′en rebroussant chemin, qu′en retournant sous un prétexte quelconque auprès de Gilberte. Mais elle se serait dit: «Encore lui! Décidément je peux tout me permettre, il reviendra chaque fois d′autant plus docile qu′il m′aura quittée plus malheureux.» Puis j′étais irrésistiblement ramené vers elle, par ma pensée, et ces orientations alternatives, cet affolement de la boussole intérieure persistèrent quand je fus rentré, et se traduisirent par les brouillons de lettres contradictoires que j′écrivis à Gilberte. Grief that is caused one by a person with whom one is in love can be bitter, even when it is interpolated among preoccupations, occupations, pleasures in which that person is not directly involved and from which our attention is diverted only now and again to return to it. But when such a grief has its birth — as was now happening — at a moment when the happiness of seeing that person fills us to the exclusion of all else, the sharp depression that then affects our spirits, sunny hitherto, sustained and calm, lets loose in us a raging tempest against which we know not whether we are capable of struggling to the end. The tempest that was blowing in my heart was so violent that I made my way home baffled, battered, feeling that I could recover my breath only by retracing my steps, by returning, upon whatever pretext, into Gilberte′s presence. But she would have said to herself: “Back again! Evidently I can go to any length with him; he will come back every time, and the more wretched he is when he leaves me the more docile he′ll be.” Besides, I was irresistibly drawn towards her in thought, and those alternative orientations, that mad careering between them of the compass-needle within me, persisted after I had reached home, and expressed themselves in the mutually contradictory letters to Gilberte which I began to draft.
J′allais passer par une de ces conjonctures difficiles en face desquelles il arrive généralement qu′on se trouve à plusieurs reprises dans la vie et auxquelles bien qu′on n′ait pas changé de caractère, de nature — notre nature qui crée elle-même nos amours, et presque les femmes que nous aimons, et jusqu′à leurs fautes — on ne fait pas face de la même manière à chaque fois, c′est-à-dire à tout âge. A ces moments-là notre vie est divisée, et comme distribuée dans une balance, en deux plateaux opposés où elle tient tout entière. Dans l′un, il y a notre désir de ne pas déplaire, de ne pas paraître trop humble à l′être que nous aimons sans parvenir à le comprendre, mais que nous trouvons plus habile de laisser un peu de côté pour qu′il n′ait pas ce sentiment de se croire indispensable qui le détournerait de nous; de l′autre côté, il y a une souffrance — non pas une souffrance localisée et partielle — qui ne pourrait au contraire être apaisée que si renonçant à plaire à cette femme et à lui faire croire que nous pouvons nous passer d′elle, nous allions la retrouver. Qu′on retire du plateau où est la fierté une petite quantité de volonté qu′on a eu la faiblesse de laisser s′user avec l′âge, qu′on ajoute dans le plateau où est le chagrin une souffrance physique acquise et à qui on a permis de s′aggraver, et au lieu de la solution courageuse qui l′aurait emporté à vingt ans, c′est l′autre, devenue trop lourde et sans assez de contre-poids, qui nous abaisse à cinquante. D′autant plus que les situations tout en se répétant changent, et qu′il y a chance pour qu′au milieu ou à la fin de la vie on ait eu pour soi-même la funeste complaisance de compliquer l′amour d′une part d′habitude que l′adolescence, retenue par d′autres devoirs, moins libre de soi-même, ne connaît pas. I was about to pass through one of those difficult crises which we generally find that we have to face at various stages in life, and which, for all that there has been no change in our character, in our nature (that nature which itself creates our loves, and almost creates the women whom we love, even to their faults), we do not face in the same way on each occasion, that is to say at every age. At such moments our life is divided, and so to speak distributed over a pair of scales, in two counterpoised pans which between them contain it all. In one there is our desire not to displease, not to appear too humble to the creature whom we love without managing to understand her, but whom we find it more convenient at times to appear almost to disregard, so that she shall not have that sense of her own indispensability which may turn her from us; in the other scale there is a feeling of pain — and one that is not localised and partial only — which cannot be set at rest unless, abandoning every thought of pleasing the woman and of making her believe that we can dispense with her, we go at once to find her. When we withdraw from the pan in which our pride lies a small quantity of the will-power which we have weakly allowed to exhaust itself with increasing age, when we add to the pan that holds our suffering a physical pain which we have acquired and have let grow, then, instead of the courageous solution that would have carried the day at one-and-twenty, it is the other, grown too heavy and insufficiently balanced, that crushes us down at fifty. All the more because situations, while repeating themselves, tend to alter, and there is every likelihood that, in middle life or in old age, we shall have had the grim satisfaction of complicating our love by an intrusion of habit which adolescence, repressed by other demands upon it, less master of itself, has never known.
Je venais d′écrire à Gilberte une lettre où je laissais tonner ma fureur, non sans pourtant jeter la bouée, de quelques mots placés comme au hasard, et où mon amie pourrait accrocher une réconciliation; un instant après le vent ayant tourné, c′était des phrases tendres que je lui adressais pour la douceur de certaines expressions désolées, de tels «jamais plus», si attendrissants pour ceux qui les emploient, si fastidieux pour celle qui les lira, soit qu′elle les croit mensongers et traduise «jamais plus» par «ce soir même, si vous voulez bien de moi» ou qu′elle les croie vrais et lui annonçant alors une de ces séparations définitives qui nous sont si parfaitement égales dans la vie quand il s′agit d′êtres dont nous ne sommes pas épris. Mais puisque nous sommes incapables tandis que nous aimons d′agir en dignes prédécesseurs de l′être prochain que nous serons et qui n′aimera plus, comment pourrions-nous tout à fait imaginer l′état d′esprit d′une femme à qui même si nous savions que nous lui sommes indifférents, nous avons perpétuellement fait tenir dans nos rêveries, pour nous bercer d′un beau songe ou nous consoler d′un gros chagrin, les mêmes propos que si elle nous aimait. Devant les pensées, les actions d′une femme que nous aimons, nous sommes aussi désorientés que le pouvaient être devant les phénomènes de la nature, les premiers physiciens (avant que la science fût constituée et eût mis un peu de lumière dans l′inconnu). Ou pis encore, comme un être pour l′esprit de qui le principe de causalité existerait à peine, un être qui ne serait pas capable d′établir un lien entre un phénomène et un autre et devant qui le spectacle du monde serait incertain comme un rêve. Certes je m′efforçais de sortir de cette incohérence, de trouver des causes. Je tâchais même d′être «objectif» et pour cela de bien tenir compte de la disproportion qui existait entre l′importance qu′avait pour moi Gilberte et celle non seulement que j′avais pour elle, mais qu′elle-même avait pour les autres êtres que moi, disproportion qui, si je l′eusse omise, eût risqué de me faire prendre une simple amabilité de mon amie pour un aveu passionné, une démarche grotesque et avilissante de ma part pour le simple et gracieux mouvement qui vous dirige vers de beaux yeux. Mais je craignais aussi de tomber dans l′excès contraire, où j′aurais vu dans l′arrivée inexacte de Gilberte à un rendez-vous, un mouvement de mauvaise humeur, une hostilité irrémédiable. Je tâchais de trouver entre ces deux optiques également déformantes celle qui me donnerait la vision juste des choses; les calculs qu′il me fallait faire pour cela me distrayaient un peu de ma souffrance; et soit par obéissance à la réponse des nombres, soit que je leur eusse fait dire ce que je désirais, je me décidai le lendemain à aller chez les Swann, heureux, mais de la même façon que ceux qui s′étant tourmentés longtemps à cause d′un voyage qu′ils ne voulaient pas faire, ne vont pas plus loin que la gare, et rentrent chez eux défaire leur malle. Et, comme, pendant qu′on hésite, la seule idée d′une résolution possible (à moins d′avoir rendu cette idée inerte en décidant qu′on ne prendra pas la résolution) développe, comme une graine vivace, les linéaments, tout le détail des émotions qui naîtraient de l′acte exécuté, je me dis que j′avais été bien absurde de me faire, en projetant de ne plus voir Gilberte, autant de mal que si j′eusse dû réaliser ce projet et que, puisque au contraire c′était pour finir par retourner chez elle, j′aurais pu faire l′économie de tant de velléités et d′acceptations douloureuses. Mais cette reprise des relations d′amitié ne dura que le temps d′aller jusqu′à chez les Swann: non pas parce que leur maître d′hôtel, lequel m′aimait beaucoup, me dit que Gilberte était sortie (je sus en effet dès le soir même, que c′était vrai, par des gens qui l′avaient rencontrée), mais à cause de la façon dont il me le dit: «Monsieur, mademoiselle est sortie, je peux affirmer à monsieur que je ne mens pas. Si monsieur veut se renseigner, je peux faire venir la femme de chambre. Monsieur pense bien que je ferais tout ce que je pourrais pour lui faire plaisir et que si mademoiselle était là, je mènerais tout de suite monsieur auprès d′elle.» Ces paroles, de la sorte qui est la seule importante, involontaires, nous donnant la radiographie au moins sommaire de la réalité insoupçonnable que cacherait un discours étudié, prouvaient que dans l′entourage de Gilberte on avait l′impression que je lui étais importun; aussi, à peine le maître d′hôtel les eut-il prononcées, qu′elles engendrèrent chez moi de la haine à laquelle je préférai donner comme objet au lieu de Gilberte le maître d′hôtel; il concentra sur lui tous les sentiments de colère que j′avais pu avoir pour mon amie; débarrassé d′eux grâce à ces paroles, mon amour subsista seul; mais elles m′avaient montré en même temps que je devais pendant quelque temps ne pas chercher à voir Gilberte. Elle allait certainement m′écrire pour s′excuser. Malgré cela, je ne retournerais pas tout de suite la voir, afin de lui prouver que je pouvais vivre sans elle. D′ailleurs, une fois que j′aurais reçu sa lettre, fréquenter Gilberte serait une chose dont je pourrais plus aisément me priver pendant quelque temps, parce que je serais sûr de la retrouver dès que je le voudrais. Ce qu′il me fallait pour supporter moins tristement l′absence volontaire, c′était sentir mon cur débarrassé de la terrible incertitude si nous n′étions pas brouillés pour toujours, si elle n′était pas fiancée, partie, enlevée. Les jours qui suivirent ressemblèrent à ceux de cette ancienne semaine du jour de l′an que j′avais dû passer sans Gilberte. Mais cette semaine-là finie, jadis, d′une part mon amie reviendrait aux Champs-Élysées, je la reverrais comme auparavant; j′en étais sûr, et, d′autre part, je savais avec non moins de certitude que tant que dureraient les vacances du jour de l′an, ce n′était pas la peine d′aller aux Champs-Élysées. De sorte que durant cette triste semaine déjà lointaine, j′avais supporté ma tristesse avec calme parce qu′elle n′était mêlée ni de crainte ni d′espérance. Maintenant, au contraire, c′était ce dernier sentiment qui presque autant que la crainte rendait ma souffrance intolérable. N′ayant pas eu de lettre de Gilberte le soir même, j′avais fait la part de sa négligence, de ses occupations, je ne doutais pas d′en trouver une d′elle dans le courrier du matin. Il fut attendu par moi, chaque jour, avec des palpitations de cur auxquelles succédait un état d′abattement quand je n′y avais trouvé que des lettres de personnes qui n′étaient pas Gilberte ou bien rien, ce qui n′était pas pire, les preuves d′amitié d′une autre me rendant plus cruelles celles de son indifférence. Je me remettais à espérer pour le courrier de l′après-midi. Même entre les heures des levées des lettres je n′osais pas sortir, car elle eût pu faire porter la sienne. Puis le moment finissait par arriver où, ni facteur, ni valet de pied des Swann ne pouvant plus venir, il fallait remettre au lendemain matin l′espoir d′être rassuré, et ainsi parce que je croyais que ma souffrance ne durerait pas, j′étais obligé pour ainsi dire de la renouveler sans cesse. Le chagrin était peut-être le même, mais au lieu de ne faire, comme autrefois, que prolonger uniformément une émotion initiale, recommençait plusieurs fois par jour en débutant par une émotion si fréquemment renouvelée qu′elle finissait — elle, état tout physique, si momentané — par se stabiliser, si bien que les troubles causés par l′attente ayant à peine le temps de se calmer avant qu′une nouvelle raison d′attendre survint, il n′y avait plus une seule minute par jour où je ne fusse dans cette anxiété qu′il est pourtant si difficile de supporter pendant une heure. Ainsi ma souffrance était infiniment plus cruelle qu′au temps de cet ancien 1er janvier, parce que cette fois il y avait en moi au lieu de l′acceptation pure et simple de cette souffrance, l′espoir, à chaque instant, de la voir cesser. A cette acceptation, je finis pourtant par arriver, alors je compris qu′elle devait être définitive et je renonçai pour toujours à Gilberte, dans l′intérêt même de mon amour, et parce que je souhaitais avant tout qu′elle ne conservât pas de moi un souvenir dédaigneux. Même, à partir de ce moment-là, et pour qu′elle ne pût former la supposition d′une sorte de dépit amoureux de ma part, quand dans la suite, elle me fixa des rendez-vous, je les acceptais souvent et au dernier moment, je lui écrivais que je ne pouvais pas venir, mais en protestant que j′en étais désolé comme j′aurais fait avec quelqu′un que je n′aurais pas désiré voir. Ces expressions de regret qu′on réserve d′ordinaire aux indifférents, persuaderaient mieux Gilberte de mon indifférence, me semblait-il, que ne ferait le ton d′indifférence qu′on affecte seulement envers celle qu′on aime. Quand mieux qu′avec des paroles, par des actions indéfiniment répétées, je lui aurais prouvé que je n′avais pas de goût à la voir, peut-être en retrouverait-elle pour moi. Hélas! ce serait en vain: chercher en ne la voyant plus à ranimer en elle ce goût de me voir, c′était la perdre pour toujours; d′abord, parce que quand il commencerait à renaître, si je voulais qu′il durât, il ne faudrait pas y céder tout de suite; d′ailleurs, les heures les plus cruelles seraient passées; c′était en ce moment qu′elle m′était indispensable et j′aurais voulu pouvoir l′avertir que bientôt elle ne calmerait, en me revoyant, qu′une douleur tellement diminuée qu′elle ne serait plus, comme elle l′eût été encore en ce moment même, et pour y mettre fin, un motif de capitulation, de se réconcilier et de se revoir. Et enfin plus tard quand je pourrais enfin avouer sans péril à Gilberte, tant son goût pour moi aurait repris de force, le mien pour elle, celui-ci n′aurait pu résister à une si longue absence et n′existerait plus; Gilberte me serait devenue indifférente. Je le savais, mais je ne pouvais pas le lui dire; elle aurait cru que si je prétendais que je cesserais de l′aimer en restant trop longtemps sans la voir, c′était à seule fin qu′elle me dît de revenir vite auprès d′elle. En attendant, ce qui me rendait plus aisé de me condamner à cette séparation, c′est que (afin qu′elle se rendît bien compte que malgré mes affirmations contraires, c′était ma volonté, et non un empêchement, non mon état de santé, qui me privaient de la voir) toutes les fois où je savais d′avance que Gilberte ne serait pas chez ses parents, devait sortir avec une amie, et ne rentrerait pas dîner, j′allais voir Mme Swann (laquelle était redevenue pour moi ce qu′elle était au temps où je voyais si difficilement sa fille et où, les jours où celle-ci ne venait pas aux Champs-Élysées, j′allais me promener avenue des Acacias). De cette façon j′entendrais parler de Gilberte et j′étais sûr qu′elle entendrait ensuite parler de moi et d′une façon qui lui montrerait que je ne tenais pas à elle. Et je trouvais, comme tous ceux qui souffrent, que ma triste situation aurait pu être pire. Car, ayant libre entrée dans la demeure où habitait Gilberte, je me disais toujours, bien que décidé à ne pas user de cette faculté, que si jamais ma douleur était trop vive, je pourrais la faire cesser. Je n′étais malheureux qu′au jour le jour. Et c′est trop dire encore. Combien de fois par heure (mais maintenant sans l′anxieuse attente qui m′avait étreint les premières semaines après notre brouille, avant d′être retourné chez les Swann), ne me récitais-je pas la lettre que Gilberte m′enverrait bien un jour, m′apporterait peut-être elle-même. La constante vision de ce bonheur imaginaire m′aidait à supporter la destruction du bonheur réel. Pour les femmes qui ne nous aiment pas, comme pour les «disparus», savoir qu′on n′a plus rien à espérer n′empêche pas de continuer à attendre. On vit aux aguets, aux écoutes; des mères dont le fils est parti en mer pour une exploration dangereuse se figurent à toute minute et alors que la certitude qu′il a péri est acquise depuis longtemps, qu′il va entrer miraculeusement sauvé, et bien portant. Et cette attente, selon la force du souvenir et la résistance des organes ou bien les aide à traverser les années au bout desquelles elles supporteront que leur fils ne soit plus, d′oublier peu à peu et de survivre — ou bien les fait mourir. I had just written Gilberte a letter in which I allowed the tempest of my wrath to thunder, not however without throwing her the lifebuoy of a few words disposed as though by accident on the page, by clinging to which my friend might be brought to a reconciliation; a moment later, the wind having changed, they were phrases full of love that I addressed to her, chosen for the sweetness of certain forlorn expressions, those ‘nevermores′ so touching to those who pen them, so wearisome to her who will have to read them, whether she believe them to be false and translate ‘nevermore′ by ‘this very evening, if you want me,′ or believe them to be true and so to be breaking the news to her of one of those final separations which make so little difference to our lives when the other person is one with whom we are not in love. But since we are incapable, while we are in love, of acting as fit predecessors of the next persons whom we shall presently have become, and who will then be in love no longer, how are we to imagine the actual state of mind of a woman whom, even when we are conscious that we are of no account to her, we have perpetually represented in our musings as uttering, so as to lull us into a happy dream or to console us for a great sorrow, the same speeches that she would make if she loved us. When we come to examine the thoughts, the actions of a woman whom we love, we are as completely at a loss as must have been, face to face with the phenomena of nature, the world′s first natural philosophers, before their science had been elaborated and had cast a ray of light over the unknown. Or, worse still, we are like a person in whose mind the law of causality barely exists, a person who would be incapable, therefore, of establishing any connexion between one phenomenon and another, to whose eyes the spectacle of the world would appear unstable as a dream. Of course I made efforts to emerge from this incoherence, to find reasons for things. I tried even to be ‘objective′ and, to that end, to bear well in mind the disproportion that existed between the importance which Gilberte had in my eyes and that, not only which I had in hers, but which she herself had in the eyes of other people, a disproportion which, had I failed to remark it, would have involved my mistaking mere friendliness on my friend′s part for a passionate avowal, and a grotesque and debasing display on my own for the simple and graceful movement with which we are attracted towards a pretty face. But I was afraid also of falling into the contrary error, in which I should have seen in Gilberte′s unpunctuality in keeping an appointment an irremediable hostility. I tried to discover between these two perspectives, equally distorting, a third which would enable me to see things as they really were; the calculations I was obliged to make with that object helped to take my mind off my sufferings; and whether in obedience to the laws of arithmetic or because I had made them give me the answer that I desired, I made up my mind that next day I would go to the Swanns′, happy, but happy in the same way as people who, having long been tormented by the thought of a journey which they have not wished to make, go no farther than to the station and return home to unpack their boxes. And since, while one is hesitating, the bare idea of a possible resolution (unless one has rendered that idea sterile by deciding that one will make no resolution) develops, like a seed in the ground, the lineaments, every detail of the emotions that will be born from the performance of the action, I told myself that it had been quite absurd of me to be as much hurt by the suggestion that I should not see Gilberte again as if I had really been about to put that suggestion into practice, and that since, on the contrary, I was to end by returning to her side, I might have saved myself the expense of all those vain longings and painful acceptances. But this resumption of friendly relations lasted only so long as it took me to reach the Swanns′; not because their butler, who was really fond of me, told me that Gilberte had gone out (a statement the truth of which was confirmed, as it happened, the same evening, by people who had seen her somewhere), but because of the manner in which he said it. “Sir, the young lady is not at home; I can assure you, sir, that I am speaking the truth. If you wish to make any inquiries I can fetch the young lady′s maid. You know very well, sir, that I would do everything in my power to oblige you, and that if the young lady was at home I would take you to her at once.” These words being of the only kind that is really important, that is to say spontaneous, the kind that gives us a radiograph shewing the main points, at any rate, of the unimaginable reality which would be wholly concealed beneath a prepared speech, proved that in Gilberte′s household there was an impression that I bothered her with my visits; and so, scarcely had the man uttered them before they had aroused in me a hatred of which I preferred to make him rather than Gilberte the victim; he drew upon his own head all the angry feelings that I might have had for my friend; freed from these complications, thanks to his words, my love subsisted alone; but his words had, at the same time, shewn me that I must cease for the present to attempt to see Gilberte. She would be certain to write to me, to apologise. In spite of which, I should not return at once to see her, so as to prove to her that I was capable of living without her. Besides, once I had received her letter, Gilberte′s society was a thing with which I should be more easily able to dispense for a time, since I should be certain of finding her ready to receive me whenever I chose. All that I needed in order to support with less pain the burden of a voluntary separation was to feel that my heart was rid of the terrible uncertainty whether we were not irreconcilably sundered, whether she had not promised herself to another, left Paris, been taken away by force. The days that followed resembled the first week of that old New Year which I had had to spend alone, without Gilberte. But when that week had dragged to its end, then for one thing my friend would be coming again to the Champs-Elysées, I should be seeing her as before; I had been sure of that; for another thing, I had known with no less certainty that so long as the New Year holidays lasted it would not be worth my while to go to the Champs-Elysées, which meant that during that miserable week, which was already ancient history, I had endured my wretchedness with a quiet mind because there was blended in it neither fear nor hope. Now, on the other hand, it was the latter of these which, almost as much as my fear of what might happen, rendered intolerable the burden of my grief. Not having had any letter from Gilberte that evening, I had attributed this to her carelessness, to her other occupations, I did not doubt that I should find something from her in the morning′s post. This I awaited, every day, with a beating heart which subsided, leaving me utterly prostrate, when I had found in it only letters from people who were not Gilberte, or else nothing at all, which was no worse, the proofs of another′s friendship making all the more cruel those of her indifference. I transferred my hopes to the afternoon post. Even between the times at which letters were delivered I dared not leave the house, for she might be sending hers by a messenger. Then, the time coming at last when neither the postman nor a footman from the Swanns′ could possibly appear that night, I must procrastinate my hope of being set at rest, and thus, because I believed that my sufferings were not destined to last, I was obliged, so to speak, incessantly to renew them. My disappointment was perhaps the same, but instead of just uniformly prolonging, as in the old days, an initial emotion, it began again several times daily, starting each time with an emotion so frequently renewed that it ended — it, so purely physical, so instantaneous a state — by becoming stabilised, so consistently that the strain of waiting having hardly time to relax before a fresh reason for waiting supervened, there was no longer a single minute in the day in which I was not in that state of anxiety which it is so difficult to bear even for an hour. So my punishment was infinitely more cruel than in those New Year holidays long ago, because this time there was in me, instead of the acceptance, pure and simple, of that punishment, the hope, at every moment, of seeing it come to an end. And yet at this state of acceptance I ultimately arrived; then I understood that it must be final, and I renounced Gilberte for ever, in the interests of my love itself and because I hoped above all that she would not retain any contemptuous memory of me. Indeed, from that moment, so that she should not be led to suppose any sort of lover′s spite on my part, when she made appointments for me to see her I used often to accept them and then, at the last moment, write to her that I was prevented from coming, but with the same protestations of my disappointment that I should have made to anyone whom I had not wished to see. These expressions of regret, which we keep as a rule for people who do not matter, would do more, I imagined, to persuade Gilberte of my indifference than would the tone of indifference which we affect only to those whom we love. When, better than by mere words, by a course of action indefinitely repeated, I should have proved to her that I had no appetite for seeing her, perhaps she would discover once again an appetite for seeing me. Alas! I was doomed to failure; to attempt, by ceasing to see her, to reawaken in her that inclination to see me was to lose her for ever; first of all, because, when it began to revive, if I wished it to last I must not give way to it at once; besides, the most agonising hours would then have passed; it was at this very moment that she was indispensable to me, and I should have liked to be able to warn her that what presently she would have to assuage, by the act of seeing me again, would be a grief so far diminished as to be no longer (what a moment ago it would still have been), nor the thought of putting an end to it, a motive towards surrender, reconciliation, further meetings. And then again, later on, when I should at last be able safely to confess to Gilberte (so far would her liking for me have regained its strength) my liking for her, the latter, not having been able to resist the strain of so long a separation, would have ceased to exist; Gilberte would have become immaterial to me. I knew this, but I could not explain it to her; she would have assumed that if I was pretending that I should cease to love her if I remained for too long without seeing her, that was solely in order that she might summon me back to her at once. In the meantime, what made it easier for me to sentence myself to this separation was the fact that (in order to make it quite clear to her that despite my protestations to the contrary it was my own free will and not any conflicting engagement, not the state of my health that prevented me from seeing her), whenever I knew beforehand that Gilberte would not be in the house, was going out somewhere with a friend and would not be home for dinner, I went to see Mme. Swann who had once more become to me what she had been at the time when I had such difficulty in seeing her daughter and (on days when the latter was not coming to the Champs-Elysées) used to repair to the Allée des Acacias. In this way I should be hearing about Gilberte, and could be certain that she would in due course hear about me, and in terms which would shew her that I was not interested in her. And I found, as all those who suffer find, that my melancholy condition might have been worse. For being free at any time to enter the habitation in which Gilberte dwelt, I constantly reminded myself, for all that I was firmly resolved to make no use of that privilege, that if ever my pain grew too sharp there was a way of making it cease. I was not unhappy, save only from day to day. And even that is an exaggeration. How many times in an hour (but now without that anxious expectancy which had strained every nerve of me in the first weeks after our quarrel, before I had gone again to the Swanns′) did I not repeat to myself the words of the letter which, one day soon, Gilberte would surely send, would perhaps even bring to me herself. The perpetual vision of that imagined happiness helped me to endure the desolation of my real happiness. With women who do not love Us, as with the ‘missing,′ the knowledge that there is no hope left does not prevent our continuing to wait for news. We live on tenterhooks, starting at the slightest sound; the mother whose son has gone to sea on some perilous voyage of discovery sees him in imagination every moment, long after the fact of his having perished has been established, striding into the room, saved by a miracle and in the best of health. And this strain of waiting, according to the strength of her memory and the resistance of her bodily organs, either helps her on her journey through the years, at the end of which she will be able to endure the knowledge that her son is no more, to forget gradually and to survive his loss, or else it kills her.
D′autre part, mon chagrin était un peu consolé par l′idée qu′il profitait à mon amour. Chaque visite que je faisais à Mme Swann, sans voir Gilberte, m′était cruelle, mais je sentais qu′elle améliorait d′autant l′idée que Gilberte avait de moi. On the other hand, my grief found consolation in the idea that my love must profit by it. Each visit that I paid to Mme. Swann without seeing Gilberte was a cruel punishment, but I felt that it correspondingly enhanced the idea that Gilberte had of me.
D′ailleurs si je m′arrangeais toujours, avant d′aller chez Mme Swann, à être certain de l′absence de sa fille, cela tenait peut-être autant qu′à ma résolution d′être brouillé avec elle, à cet espoir de réconciliation qui se superposait à ma volonté de renoncement (bien peu sont absolus, au moins d′une façon continue, dans cette âme humaine dont une des lois, fortifiée par les afflux inopinés de souvenirs différents, est l′intermittence) et me masquait ce qu′elle avait de trop cruel. Cet espoir je savais bien ce qu′il avait de chimérique. J′étais comme un pauvre qui mêle moins de larmes à son pain sec s′il se dit que tout à l′heure peut-être un étranger va lui laisser toute sa fortune. Nous sommes tous obligés pour rendre la réalité supportable, d′entretenir en nous quelques petites folies. Or mon espérance restait plus intacte — tout en même temps que la séparation s′effectuait mieux — si je ne rencontrais pas Gilberte. Si je m′étais trouvé face à face avec elle chez sa mère nous aurions peut-être échangé des paroles irréparables qui eussent rendu définitive notre brouille, tué mon espérance et d′autre part en créant une anxiété nouvelle, réveillé mon amour et rendu plus difficile ma résignation. Besides, if I always took care, before going to see Mme. Swann, that there should be no risk of her daughter′s appearing, that arose, it is true, from my determination to break with her, but no less perhaps from that hope of reconciliation which overlay my intention to renounce her (very few of such intentions are absolute, at least in a continuous form, in this human soul of ours, one of whose laws, confirmed by the unlooked-for wealth of illustration that memory supplies, is intermittence), and hid from me all that in it was unbearably cruel. As for that hope, I saw clearly how far it was chimerical. I was like a pauper who moistens his dry crust with fewer tears if he assures himself that, at any moment, a total stranger is perhaps going to leave him the whole of his fortune. We are all of us obliged, if we are to make reality endurable, to nurse a few little follies in ourselves. Now my hope remained more intact — while at the same time our separation became more effectual — if I refrained from meeting Gilberte. If I had found myself face to face with her in her mother′s drawing-room, we might perhaps have uttered irrevocable words which would have rendered our breach final, killed my hope and, on the other hand, by creating a fresh anxiety, reawakened my love and made resignation harder.
Depuis bien longtemps et fort avant ma brouille avec sa fille, Mme Swann m′avait dit: «C′est très bien de venir voir Gilberte, mais j′aimerais aussi que vous veniez quelquefois pour moi, pas à mon Choufleury, où vous vous ennuieriez parce que j′ai trop de monde, mais les autres jours où vous me trouverez toujours un peu tard.» J′avais donc l′air, en allant la voir, de n′obéir que longtemps après à un désir anciennement exprimé par elle. Et très tard, déjà dans la nuit, presque au moment où mes parents se mettaient à table, je partais faire à Mme Swann une visite pendant laquelle je savais que je ne verrais pas Gilberte et où pourtant je ne penserais qu′à elle. Dans ce quartier, considéré alors comme éloigné, d′un Paris plus sombre qu′aujourd′hui, et qui, même dans le centre, n′avait pas d′électricité sur la voie publique et bien peu dans les maisons, les lampes d′un salon situé au rez-de-chaussée ou à un entresol très bas (tel qu′était celui de ses appartements où recevait habituellement Mme Swann), suffisaient à illuminer la rue et à faire lever les yeux au passant qui rattachait à leur clarté comme à sa cause apparente et voilée la présence devant la porte de quelques coupés bien attelés. Le passant croyait, et non sans un certain émoi, à une modification survenue dans cette cause mystérieuse, quand il voyait l′un de ces coupés, se mettre en mouvement; mais c′était seulement un cocher qui, craignant que ses bêtes prissent froid leur faisait faire de temps à autre des allées et venues d′autant plus impressionnantes que les roues caoutchoutées donnaient au pas des chevaux un fond de silence sur lequel il se détachait plus distinct et plus explicite. Ever so long ago, before I had even thought of breaking with her daughter, Mme. Swann had said to me: “It is all very well your coming to see Gilberte; I should like you to come sometimes for my sake, not to my ‘kettledrums,′ which would bore you because there is such a crowd, but on the other days, when you will always find me at home if you come fairly late.” So that I might be thought, when I came to see her, to be yielding only after a long resistance to a desire which she had expressed in the past. And very late in the afternoon, when it was quite dark, almost at the hour at which my parents would be sitting down to dinner, I would set out to pay Mme. Swann a visit, in the course of which I knew that I should not see Gilberte, and yet should be thinking only of her. In that quarter, then looked upon as remote, of a Paris darker than Paris is to-day, where even in the centre there was no electric light in the public thoroughfares and very little in private houses, the lamps of a drawing-room situated on the ground level, or but slightly raised above it, as were the rooms in which Mme. Swann generally received her visitors, were enough to lighten the street, and to make the passer-by raise his eyes, connecting with their glow, as with its apparent though hidden cause, the presence outside the door of a string of smart broughams. This passer-by was led to believe, not without a certain emotion, that a modification had been effected in this mysterious cause, when he saw one of the carriages begin to move; but it was merely a coachman who, afraid of his horses′ catching cold, started them now and again on a brisk walk, all the more impressive because the rubber-tired wheels gave the sound of their hooves a background of silence from which it stood out more distinct and more explicit.
Le «jardin d′hiver» que dans ces années-là le passant apercevait d′ordinaire, quelle que fût la rue, si l′appartement n′était pas à un niveau trop élevé au-dessus du trottoir, ne se voit plus que dans les héliogravures des livres d′étrennes de P.-J. Stahl où, en contraste avec les rares ornements floraux des salons Louis XVI d′aujourd′hui, — une rose ou un iris du Japon dans un vase de cristal à long col qui ne pourrait pas contenir une fleur de plus, — il semble, à cause de la profusion des plantes d′appartement qu′on avait alors, et du manque absolu de stylisation dans leur arrangement, avoir dû, chez les maîtresses de maison, répondre plutôt à quelque vivante et délicieuse passion pour la botanique qu′à un froid souci de morte décoration. Il faisait penser en plus grand, dans les hôtels d′alors, à ces serres minuscules et portatives posées au matin du 1er janvier sous la lampe allumée — les enfants n′ayant pas eu la patience d′attendre qu′il fît jour — parmi les autres cadeaux du jour de l′an, mais le plus beau d′entre eux, consolant avec les plantes qu′on va pouvoir cultiver, de la nudité de l′hiver; plus encore qu′à ces serres-là elles-mêmes, ces jardins d′hiver ressemblaient à celle qu′on voyait tout auprès d′elles, figurée dans un beau livre, autre cadeau du jour de l′an, et qui bien qu′elle fût donnée non aux enfants, mais à Mlle Lili, l′héroî­¥ de l′ouvrage, les enchantait à tel point que, devenus maintenant presque vieillards, ils se demandaient si dans ces années fortunées l′hiver n′était pas la plus belle des saisons. Enfin, au fond de ce jardin d′hiver, à travers les arborescences d′espèces variées qui de la rue faisaient ressembler la fenêtre éclairée au vitrage de ces serres d′enfants, dessinées ou réelles, le passant, se hissant sur ses pointes, apercevait généralement un homme en redingote, un gardenia ou un illet à la boutonnière, debout devant une femme assise, tous deux vagues, comme deux intailles dans une topaze, au fond de l′atmosphère du salon, ambrée par le samovar, — importation récente alors — de vapeurs qui s′en échappent peut-être encore aujourd′hui, mais qu′à cause de l′habitude personne ne voit plus. Mme Swann tenait beaucoup à ce «thé»; elle croyait montrer de l′originalité et dégager du charme en disant à un homme: «Vous me trouverez tous les jours un peu tard, venez prendre le thé», de sorte qu′elle accompagnait d′un sourire fin et doux ces mots prononcés par elle avec un accent anglais momentané et desquels son interlocuteur prenait bonne note en saluant d′un air grave, comme s′ils avaient été quelque chose d′important et de singulier qui commandât la déférence et exigeât de l′attention. Il y avait une autre raison que celles données plus haut et pour laquelle les fleurs n′avaient pas qu′un caractère d′ornement dans le salon de Mme Swann et cette raison-là ne tenait pas à l′époque, mais en partie à l′existence qu′avait menée jadis Odette. Une grande cocotte, comme elle avait été, vit beaucoup pour ses amants, c′est-à-dire chez elle, ce qui peut la conduire à vivre pour elle. Les choses que chez une honnête femme on voit et qui certes peuvent lui paraître, à elle aussi, avoir de l′importance, sont celles, en tous cas, qui pour la cocotte en ont le plus. Le point culminant de sa journée est celui non pas où elle s′habille pour le monde, mais où elle se déshabille pour un homme. Il lui faut être aussi élégante en robe de chambre, en chemise de nuit, qu′en toilette de ville. D′autres femmes montrent leurs bijoux, elle, elle vit dans l′intimité de ses perles. Ce genre d′existence impose l′obligation, et finit par donner le goût d′un luxe secret, c′est-à-dire bien près d′être désintéressé. Mme Swann l′étendait aux fleurs. Il y avait toujours près de son fauteuil une immense coupe de cristal remplie entièrement de violettes de Parme ou de marguerites effeuillées dans l′eau, et qui semblait témoigner aux yeux de l′arrivant, de quelque occupation préférée et interrompue, comme eût été la tasse de thé que Mme Swann eût bu seule, pour son plaisir; d′une occupation plus intime même et plus mystérieuse, si bien qu′on avait envie de s′excuser en voyant les fleurs étalées là, comme on l′eût fait de regarder le titre du volume encore ouvert qui eût révélé la lecture récente, donc peut-être la pensée actuelle d′Odette. Et plus que le livre, les fleurs vivaient; on était gêné si on entrait faire une visite à Mme Swann de s′apercevoir qu′elle n′était pas seule, ou si on rentrait avec elle de ne pas trouver le salon vide, tant y tenaient une place énigmatique et se rapportant à des heures de la vie de la maîtresse de maison, qu′on ne connaissait pas, ces fleurs qui n′avaient pas été préparées pour les visiteurs d′Odette, mais comme oubliées là par elle, avaient eu et auraient encore avec elle des entretiens particuliers qu′on avait peur de déranger, et dont on essayait en vain de lire le secret, en fixant des yeux la couleur délavée, liquide, mauve et dissolue des violettes de Parme. Dès la fin d′octobre Odette rentrait le plus régulièrement qu′elle pouvait pour le thé, qu′on appelait encore dans ce temps-là le «five o′clock tea», ayant entendu dire (et aimant à répéter) que si Mme Verdurin s′était fait un salon c′était parce qu′on était toujours sûr de pouvoir la rencontrer chez elle à la même heure. Elle s′imaginait elle-même en avoir un, du même genre, mais plus libre, «senza rigore», aimait-elle à dire. Elle se voyait ainsi comme une espèce de Lespinasse et croyait avoir fondé un salon rival en enlevant à la du Deffant du petit groupe, ses hommes les plus agréables, en particulier Swann qui l′avait suivie dans sa sécession et sa retraite, selon une version qu′on comprend qu′elle eût réussi à accréditer auprès de nouveaux venus, ignorants du passé, mais non auprès d′elle-même. Mais certains rôles favoris sont par nous joués tant de fois devant le monde, et ressassés en nous-mêmes, que nous nous référons plus aisément à leur témoignage fictif qu′à celui d′une réalité presque complètement oubliée. Les jours où Mme Swann n′était pas sortie du tout, on la trouvait dans une robe de chambre de crêpe de Chine, blanche comme une première neige, parfois aussi dans un de ces longs tuyautages de mousseline de soie, qui ne semblent qu′une jonchée de pétales roses ou blancs et qu′on trouverait aujourd′hui peu appropriés à l′hiver, et bien à tort. Car ces étoffes légères et ces couleurs tendres donnaient à la femme — dans la grande chaleur des salons d′alors fermés de portières et desquels ce que les romanciers mondains de l′époque trouvaient à dire de plus élégant, c′est qu′ils étaient «douillettement capitonnés» — le même air frileux, qu′aux roses qui pouvaient y rester à côté d′elle, malgré l′hiver, dans l′incarnat de leur nudité, comme au printemps. A cause de cet étouffement des sons par les tapis et de sa retraite dans des enfoncements, la maîtresse de la maison n′étant pas avertie de votre entrée comme aujourd′hui, continuait à lire pendant que vous étiez déjà presque devant elle, ce qui ajoutait encore à cette impression de romanesque, à ce charme d′une sorte de secret surpris, que nous retrouvons aujourd′hui dans le souvenir de ces robes déjà démodées alors, que Mme Swann était peut-être la seule à ne pas avoir encore abandonnées et qui nous donnent l′idée que la femme qui les portait devait être une héroî­¥ de roman parce que nous, pour la plupart, ne les avons guère vues que dans certains romans d′Henry Gréville. Odette avait maintenant, dans son salon, au commencement de l′hiver, des chrysanthèmes énormes et d′une variété de couleurs comme Swann jadis n′eût pu en voir chez elle. Mon admiration pour eux, — quand j′allais faire à Mme Swann une de ces tristes visites où, lui ayant de par mon chagrin, retrouvé toute sa mystérieuse poésie de mère de cette Gilberte à qui elle dirait le lendemain: «Ton ami m′a fait une visite», — venait sans doute de ce que, rose-pâles comme la soie Louis XIV de ses fauteuils, blancs de neige comme sa robe de chambre en crêpe de Chine, ou d′un rouge métallique comme son samovar, ils superposaient à celle du salon une décoration supplémentaire, d′un coloris aussi riche, aussi raffiné, mais vivante et qui ne durerait que quelques jours. Mais j′étais touché parce que ces chrysanthèmes avaient moins d′éphémère, que de relativement durable par rapport à ces tons aussi roses ou aussi cuivrés que le soleil couché exalte si somptueusement dans la brume des fins d′après-midi de novembre et qu′après les avoir aperçus avant que j′entrasse chez Mme Swann, s′éteignant dans le ciel, je retrouvais prolongés, transposés dans la palette enflammée des fleurs. Comme des feux arrachés par un grand coloriste à l′instabilité de l′atmosphère et du soleil, afin qu′ils vinssent orner une demeure humaine, ils m′invitaient, ces chrysanthèmes, et malgré toute ma tristesse à goûter avidement pendant cette heure du thé les plaisirs si courts de novembre dont ils faisaient flamber près de moi la splendeur intime et mystérieuse. Hélas, ce n′était pas dans les conversations que j′entendais que je pouvais l′atteindre; elles lui ressemblaient bien peu. Même avec Mme Cottard et quoique l′heure fût avancée, Mme Swann se faisait caressante pour dire: «Mais non, il n′est pas tard, ne regardez pas la pendule, ce n′est pas l′heure, elle ne va pas; qu′est-ce que vous pouvez avoir de si pressé à faire»; et elle offrait une tartelette de plus à la femme du professeur qui gardait son porte-cartes à la main. The ‘winter-garden,′ of which in those days the passer-by generally caught a glimpse, in whatever street he might be walking, if the drawing-room did not stand too high above the pavement, is to be seen to-day only in photogravures in the gift-books of P. J. Stahl, where, in contrast to the infrequent floral decorations of the Louis XVI drawing-rooms now in fashion — a single rose or a Japanese iris in a long-necked vase of crystal into which it would be impossible to squeeze a second — it seems, because of the profusion of indoor plants which people had then, and of the absolute want of style in their arrangement, as though it must have responded in the ladies whose houses it adorned to some living and delicious passion for botany rather than to any cold concern for lifeless decoration. It suggested to one, only on a larger scale, in the houses of those days, those tiny, portable hothouses laid out on New Year′s morning beneath the lighted lamp — for the children were always too impatient to wait for daylight — among all the other New Year′s presents but the loveliest of them all, consoling them with its real plants which they could tend as they grew for the bareness of the winter soil; and even more than those little houses themselves, those winter-gardens were like the hothouse that the children could see there at the same time, portrayed in a delightful book, another of their presents, and one which, for all that it was given not to them but to Mlle. Lili, the heroine of the story, enchanted them to such a pitch that even now, when they are almost old men and women, they ask themselves whether, in those fortunate years, winter was not the loveliest of the seasons. And inside there, beyond the winter-garden, through the various kinds of arborescence which from the street made the lighted window appear like the glass front of one of those children′s playthings, pictured or real, the passer-by, drawing himself up on tiptoe, would generally observe a man in a frock coat, a gardenia or a carnation in his buttonhole, standing before a seated lady, both vaguely outlined, like two intaglios cut in a topaz, in the depths of the drawing-room atmosphere clouted by the samovar — then a recent importation — with steam which may very possibly be escaping from it still to-day, but to which, if it does, we are grown so accustomed now that no one notices it. Mme. Swann attached great importance to her ‘tea′; she thought that she shewed her originality and expressed her charm when she said to a man, “You will find me at home any day, fairly late; come to tea!” so that she allowed a sweet and delicate smile to accompany the words which she pronounced with a fleeting trace of English accent, and which her listener duly noted, bowing solemnly in acceptance, as though the invitation had been something important and uncommon which commanded deference and required attention. There was another reason, apart from those given already, for the flowers′ having more than a merely ornamental part in Mme. Swann′s drawing-room, and this reason pertained not to the period, but, in some degree, to the former life of Odette. A great courtesan, such as she had been, lives largely for her lovers, that is to say at home, which means that she comes in time to live for her home. The things that one sees in the house of a ‘respectable′ woman, things which may of course appear to her also to be of importance, are those which are in any event of the utmost importance to the courtesan. The culminating point of her day is not the moment in which she dresses herself for all the world to see, but that in which she undresses herself for a man. She must be as smart in her wrapper, in her nightgown, as in her outdoor attire. Other women display their jewels, but as for her, she lives in the intimacy of her pearls. This kind of existence imposes on her as an obligation and ends by giving her a fondness for luxury which is secret, that is to say which comes near to being disinterested. Mme. Swann extended this to include her flowers. There was always beside her chair an immense bowl of crystal filled to the brim with Parma violets or with long white daisy-petals scattered upon the water, which seemed to be testifying, in the eyes of the arriving guest, to some favourite and interrupted occupation, such as the cup of tea which Mme. Swann would, for her own amusement, have been drinking there by herself; an occupation more intimate still and more mysterious, so much so that one felt oneself impelled to apologise on seeing the flowers exposed there by her side, as one would have apologised for looking at the title of the still open book which would have revealed to one what had just been read by — and so, perhaps, what was still in the mind of Odette. And unlike the book the flowers were living things; it was annoying, when one entered the room to pay Mme. Swann a visit, to discover that she was not alone, or if one came home with her not to find the room empty, so prominent a place in it, enigmatic and intimately associated with hours in the life of their mistress of which one knew nothing, did those flowers assume which had not been made ready for Odette′s visitors but, as it were, forgotten there by her, had held and would hold with her again private conversations which one was afraid of disturbing, the secret of which one tried in vain to read, fastening one′s eyes on the moist purple, the still liquid water-colour of the Parma violets. By the end of October Odette would begin to come home with the utmost punctuality for tea, which was still known, at that time, as ‘five-o′clock tea,′ having once heard it said, and being fond of repeating that if Mme. Verdurin had been able to form a salon it was because people were always certain of finding her at home at the same hour. She imagined that she herself had one also, of the same kind, but freer, senza rigore as she used to say. She saw herself figuring thus as a sort of Lespinasse, and believed that she had founded a rival salon by taking from the du Defiant of the little group several of her most attractive men, notably Swann himself, who had followed her in her secession and into her retirement, according-to a version for which one can understand that she had succeeded in gaining credit among her more recent friends, ignorant of what had passed, though without convincing herself. But certain favourite parts are played by us so often before the public and rehearsed so carefully when we are alone that we find it easier to refer to their fictitious testimony than to that of a reality which we have almost entirely forgotten. On days on which Mme. Swann had not left the house, one found her in a wrapper of crêpe-de-Chine, white as the first snows of winter, or, it might be, in one of those long pleated garments of moussettne-de-soie, which seemed nothing more than a shower of white or rosy petals, and would be regarded to-day as hardly suitable for winter, though quite wrongly. For these light fabrics and soft colours gave to a woman — in the stifling warmth of the drawing-rooms of those days, with their heavily curtained doors, rooms of which the most effective thing that the society novelists of the time could find to say was that they were ‘exquisitely cushioned′— the same air of coolness that they gave to the roses which were able to stay in the room there by her side, despite the winter, in the glowing flesh tints of their nudity, as though it were already spring. By reason of the muffling of all sound in the carpets, and of the remoteness of her cosy retreat, the lady of the house, not being apprised of your entry as she is to-day, would continue to read almost until you were standing before her chair, which enhanced still further that sense of the romantic, that charm of a sort of secret discovery, which we find to-day in the memory of those gowns, already out of fashion even then, which Mme. Swann was perhaps alone in not having discarded, and which give us the feeling that the woman who wore them must have been the heroine of a novel because most of us have scarcely set eyes on them outside the pages of certain of Henry Gréville′s tales. Odette had, at this time, in her drawing-room, when winter began, chrysanthemums of enormous size and a variety of colours such as Swann, in the old days, certainly never saw in her drawing-room in the Rue La Pérouse. My admiration for them — when I went to pay Mme. Swann one of those melancholy visits during which, prompted by my sorrow, I discovered in her all the mystical poetry of her character as the mother of that Gilberte to whom she would say on the morrow: “Your friend came to see me yesterday,”— sprang, no doubt, from my sense that, rose-pale like the Louis XIV silk that covered her chairs, snow-white like her crêpe-de-Chine wrapper, or of a metallic red like her samovar, they superimposed upon the decoration of the room another, a supplementary scheme of decoration, as rich, as delicate in its colouring, but one which was alive and would last for a few days only. But I was touched to find that these chrysanthemums appeared less ephemeral than, one might almost say, lasting, when I compared them with the tones, as pink, as coppery, which the setting sun so gorgeously displays amid the mists of a November afternoon, and which, after seeing them, before I had entered the house, fade from the sky, I found again inside, prolonged, transposed on to the flaming palette of the flowers. Like the fires caught and fixed by a great colourist from the impermanence of the atmosphere and the sun, so that they should enter and adorn a human dwelling, they invited me, those chrysanthemums, to put away all my sorrows and to taste with a greedy rapture during that ‘tea-time′ the too fleeting joys of November, of which they set ablaze all around me the intimate and mystical glory. Alas, it was not in the conversations to which I must listen that I could hope to attain to that glory; they had but little in common with it. Even with Mme. Cottard, and although it was growing late, Mme. Swann would assume her most caressing manner to say: “Oh, no, it′s not late, really; you mustn′t look at the clock; that′s not the right time; it′s stopped; you can′t possibly have anything else to do now, why be in such a hurry?” as she pressed a final tartlet upon the Professor′s wife, who was gripping her card-case in readiness for flight.
— On ne peut pas s′en aller de cette maison, disait Mme Bontemps à Mme Swann tandis que Mme Cottard, dans sa surprise d′entendre exprimer sa propre impression s′écriait: «C′est ce que je me dis toujours, avec ma petite jugeotte, dans mon for intérieur!» approuvée par des messieurs du Jockey qui s′étaient confondus en saluts, et comme comblés par tant d′honneur, quand Mme Swann les avait présentés à cette petite bourgeoise peu aimable, qui restait devant les brillants amis d′Odette sur la réserve sinon sur ce qu′elle appelait la «défensive», car elle employait toujours un langage noble pour les choses les plus simples. «On ne le dirait pas, voilà trois mercredis que vous me faites faux-bond», disait Mme Swann à Mme Cottard. «C′est vrai, Odette, il y a des siècles, des éternités que je ne vous ai vue. Vous voyez que je plaide coupable, mais il faut vous dire, ajoutait-elle d′un air pudibond et vague, car quoique femme de médecin elle n′aurait pas oser parler sans périphrases de rhumatismes ou de coliques néphrétiques, que j′ai eu bien des petites misères. Chacun a les siennes. Et puis j′ai eu une crise dans ma domesticité mâle. Sans être plus qu′une autre, très imbue de mon autorité, j′ai dû, pour faire un exemple, renvoyer mon Vatel qui, je crois, cherchait d′ailleurs une place plus lucrative. Mais son départ a failli entraîner la démission de tout le ministère. Ma femme de chambre ne voulait pas rester non plus, il y a eu des scènes homériques. Malgré tout, j′ai tenu ferme le gouvernail, et c′est une véritable leçon de choses qui n′aura pas été perdue pour moi. Je vous ennuie avec ces histoires de serviteurs mais vous savez comme moi quel tracas c′est d′être obligée de procéder à des remaniements dans son personnel.» “One simply can′t tear oneself away from this house!” observed Mme. Bontemps to Mme. Swann, while Mme. Cottard, in her astonishment at hearing her own thought put into words, exclaimed: “Why, that′s just what I always say myself, what I tell my own little judge, in the court of conscience!” winning the applause of the gentlemen from the Jockey Club, who had been profuse in their salutations, as though confounded at such an honour′s being done them, when Mme. Swann had introduced them to this common and by no means attractive little woman, who kept herself, when confronted with Odette′s brilliant friends, in reserve, if not on what she herself called ‘the defensive,′ for she always used stately language to describe the simplest happenings. “I should never have suspected it,” was Mme. Swann′s comment, “three Wednesdays running you′ve played me false.” “That′s quite true, Odette; it′s simply ages, it′s an eternity since I saw you last. You see, I plead guilty; but I must tell you,” she went on with a vague suggestion of outraged modesty, for although a doctor′s wife she would never have dared to speak without periphrasis of rheumatism or of a chill on the kidneys,” that I have had a lot of little troubles. As we all have, I dare say. And besides that I′ve had a crisis among my masculine domestics. I′m sure, I′m no more imbued with a sense of my own authority than most ladies; still I′ve been obliged, just to make an example you know, to give my Vatel notice; I believe he was looking out anyhow for a more remunerative place. But his departure nearly brought about the resignation of my entire ministry. My own maid refused to stay in the house a moment longer; oh, we have had some Homeric scenes. However I held fast to the reins through thick and thin; the whole affair′s been a perfect lesson, which won′t be lost on me, I can tell you. I′m afraid I′m boring you with all these stories about servants, but you know as well as I do what a business it is when one is obliged to set about rearranging one′s household.
— «Et nous ne verrons pas votre délicieuse fille», demandait-elle. «Non, ma délicieuse fille, dîne chez une amie», répondait Mme Swann, et elle ajoutait en se tournant vers moi: «Je crois qu′elle vous a écrit pour que vous veniez la voir demain. Et nos babys, demandait-elle à la femme du Professeur.» Je respirais largement. Ces mots de Mme Swann qui me prouvaient que je pourrais voir Gilberte quand je voudrais, me faisaient justement le bien que j′étais venu chercher et qui me rendait à cette époque-là les visites à Mme Swann si nécessaires. «Non, je lui écrirai un mot ce soir, du reste. Gilberte et moi nous ne pouvons plus nous voir», ajoutais-je, ayant l′air d′attribuer notre séparation à une cause mystérieuse, ce qui me donnait encore une illusion d′amour, entretenue aussi par la manière tendre dont je parlais de Gilberte et dont elle parlait de moi. «Vous savez qu′elle vous aime infiniment, me disait Mme Swann. Vraiment vous ne voulez pas demain?» Tout d′un coup une allégresse me soulevait, je venais de me dire: «Mais après tout pourquoi pas, puisque c′est sa mère elle-même qui me le propose.» Mais aussitôt je retombais dans ma tristesse. Je craignais qu′en me revoyant, Gilberte pensât que mon indifférence de ces derniers temps avait été simulée et j′aimais mieux prolonger la séparation. Pendant ces apartés Mme Bontemps se plaignait de l′ennui que lui causaient les femmes des hommes politiques, car elle affectait de trouver tout le monde assommant et ridicule, et d′être désolée de la position de son mari. «Alors vous pouvez comme ça recevoir cinquante femmes de médecins de suite, disait-elle à Mme Cottard qui elle, au contraire, était pleine de bienveillance pour chacun et de respect pour toutes les obligations. Ah, vous avez de la vertu! Moi, au ministère, n′est-ce pas, je suis obligée, naturellement. Eh! bien, c′est plus fort que moi, vous savez ces femmes de fonctionnaires, je ne peux pas m′empêcher de leur tirer la langue. Et ma nièce Albertine est comme moi. Vous ne savez pas ce qu′elle est effrontée cette petite. La semaine dernière il y avait à mon jour la femme du sous-secrétaire d′État aux Finances qui disait qu′elle ne s′y connaissait pas en cuisine. «Mais, madame, lui a répondu ma nièce avec son plus gracieux sourire, vous devriez pourtant savoir ce que c′est puisque votre père était marmiton.» «Oh! j′aime beaucoup cette histoire, je trouve cela exquis», disait Mme Swann. «Mais au moins pour les jours de consultation du docteur vous devriez avoir un petit home, avec vos fleurs, vos livres, les choses que vous aimez», conseillait-elle à Mme Cottard. «Comme ça, v′lan dans la figure, v′lan, elle ne lui a pas envoyé dire. Et elle ne m′avait prévenue de rien cette petite masque, elle est rusée comme un singe. Vous avez de la chance de pouvoir vous retenir; j′envie les gens qui savent déguiser leur pensée.» «Mais je n′en ai pas besoin, madame: je ne suis pas si difficile, répondait avec douceur Mme Cottard. D′abord, je n′y ai pas les mêmes droits que vous, ajoutait-elle d′une voix un peu plus forte qu′elle prenait, afin de les souligner, chaque fois qu′elle glissait dans la conversation quelqu′une de ces amabilités délicates, de ces ingénieuses flatteries qui faisaient l′admiration et aidaient à la carrière de son mari. Et puis je fais avec plaisir tout ce qui peut être utile au professeur.» “Aren′t we to see anything of your delicious child?” she wound up. “No, my delicious child is dining with a friend,” replied Mme. Swann, and then, turning to me: “I believe she′s written to you, asking you to come and see her to-morrow. And your babies?” she went on to Mme. Cottard. I breathed a sigh of relief. These words by which Mme. Swann proved to me that I oould see Gilberte whenever I chose gave me precisely the comfort which I had come to seek, and which at that time made my visits to Mme. Swann so necessary. “No, I′m afraid not; I shall write to her, anyhow, this evening. Gilberte and I never seem to see one another now,” I added, pretending to attribute our separation to some mysterious agency, which gave me a further illusion of being in love, supported as well by the affectionate way in which I spoke of Gilberte and she of me. “You know, she′s simply devoted to you,” said Mme. Swann. “Really, you won′t come to-morrow?” Suddenly my heart rose on wings; the thought had just struck me —“After all, why shouldn′t I, since it′s her own mother who suggests it?” But with the thought I fell back into my old depression. I was afraid now lest, when she saw me again, Gilberte might think that my indifference of late had been feigned, and it seemed wiser to prolong our separation. During these asides Mme. Bontemps had been complaining of the insufferable dulness of politicians′ wives, for she pretended to find everyone too deadly or too stupid for words, and to deplore her husband′s official position. “Do you mean to say you can shake hands with fifty doctors′ wives, like that, one after the other?” she exclaimed to Mme. Cottard, who, unlike her, was full of the kindest feelings for everybody and of determination to do her duty in every respect. “Ah! you′re a law-abiding woman! You see, in my case′, at the Ministry, don′t you know, I simply have to keep it up, of course. It′s too much for me, I can tell you; you know what those officials′ wives are like, it′s all I can do not to put my tongue out at them. And my niece Albertine is just like me. You really wouldn′t believe the impudence that girl has. Last week, on my ‘day,′ I had the wife of the Under Secretary of State for Finance, who told us that she knew nothing at all about cooking. ‘But surely, ma′am,′ my niece chipped in with her most winning smile, ‘you ought to know everything about it, after all the dishes your father had to wash.′” “Oh, I do love that story; I think it′s simply exquisite!” cried Mme. Swann. “But certainly on the Doctor′s consultation days you should make a point of being ‘at home,′ among your flowers and books and all your pretty things,” she urged Mme. Cottard. “Straight out like that! Bang! Right in the face; bang! She made no bones about it, I can tell you! And she′d never said a word to me about it, the little wretch; she′s as cunning as a monkey. You are lucky to be able to control yourself; I do envy people who can hide what is in their minds.” “But I′ve no need to do that, Mme. Bontemps, I′m not so hard to please,” Mme. Cottard gently expostulated. “For one thing, I′m not in such a privileged position,” she went on, slightly raising her voice as was her custom, as though she were underlining the point of her remark, whenever she slipped into the conversation any of those delicate courtesies, those skilful flatteries which won her the admiration and assisted the career of her husband. “And besides I′m only too glad to do anything that can be of use to the Professor.”
— «Mais, madame, il faut pouvoir. Probablement vous n′êtes pas nerveuse. Moi quand je vois la femme du ministre de la Guerre faire des grimaces, immédiatement je me mets à l′imiter. C′est terrible d′avoir un tempérament comme ça.» “But, my dear, it isn′t what one′s glad to do; it′s what one is able to do! I expect you′re not nervous. Do you know, whenever I see the War Minister′s wife making faces, I start copying her at once. It′s a dreadful thing to have a temperament like mine.”
— «Ah! oui, dit Mme Cottard, j′ai entendu dire qu′elle avait des tics; mon mari connaît aussi quelqu′un de très haut placé et naturellement, quand ces messieurs causent entre eux . . . » “To be sure, yes,” said Mme. Cottard, “I′ve heard people say that she had a twitch; my husband knows someone else who occupies a very high position, and it′s only natural, when gentlemen get talking together . . . ”
— «Mais tenez, madame, c′est encore comme le chef du protocole qui est bossu, c′est réglé, il n′est pas depuis cinq minutes chez moi que je vais toucher sa bosse. Mon mari dit que je le ferai révoquer. Eh bien! zut pour le ministère! Oui, zut pour le ministère! je voulais fait mettre ça comme devise sur mon papier à lettres. Je suis sûre que je vous scandalise parce que vous êtes bonne, moi j′avoue que rien ne m′amuse comme les petites méchancetés. Sans cela la vie serait bien monotone.» “And then, don′t you know, it′s just the same with the Chief of the Registry; he′s a hunchback. Whenever he comes to see me, before he′s been in the room five minutes my fingers are itching to stroke his hump. My husband says I′ll cost him his place. What if I do! A fig for the Ministry! Yes, a fig for the Ministry! I should like to have that printed as a motto on my notepaper. I can see I am shocking you; you′re so frightfully proper, but I must say there′s nothing amuses me like a little devilry now and then. Life would be dreadfully monotonous without it.”
Et elle continuait à parler tout le temps du ministère comme si ç‘avait été l′Olympe. Pour changer la conversation Mme Swann se tournait vers Mme Cottard: And she went on talking about the Ministry all the time, as though it had been Mount Olympus. To change the conversation, Mme. Swann turned to Mme. Cottard:
— «Mais vous me semblez bien belle? Redfern fecit? “But you′re looking very smart to-day. Redfern fecit?”
— «Non, vous savez que je suis une fervente de Rauthnitz. Du reste c′est un retapage. — «Eh! bien, cela a un chic!» “No, you know, I always swear by Rauthnitz. Besides, it′s only an old thing I′ve had done up.” “Not really! It′s charming!”
— «Combien croyez-vous? . . . Non, changez le premier chiffre. “Guess how much. . . . No, change the first figure!”
— «Comment, mais c′est pour rien, c′est donné. On m′avait dit trois fois autant.» «Voilà comme on écrit l′Histoire, concluait la femme du docteur. Et montrant à Mme Swann un tour de cou dont celle-ci lui avait fait présent: — «Regardez, Odette. Vous reconnaissez?» “You don′t say so! Why, that′s nothing; it′s given away! Three times that at least, I should have said.” “You see how history comes to be written,” apostrophised the doctor′s wife. And pointing to a neck-ribbon which had been a present from Mme. Swann: “Look, Odette! Do you recognise this?”
Dans l′entrebâillement d′une tenture une tête se montrait cérémonieusement déférente, feignant par plaisanterie la peur de déranger: c′était Swann. «Odette, le Prince d′Agrigente qui est avec moi dans mon cabinet demande s′il pourrait venir vous présenter ses hommages. Que dois-je aller lui répondre?» «Mais que je serai enchantée», disait Odette avec satisfaction sans se départir d′un calme qui lui était d′autant plus facile qu′elle avait toujours, même comme cocotte, reçu des hommes élégants. Swann partait transmettre l′autorisation et, accompagné du Prince, il revenait auprès de sa femme à moins que dans l′intervalle ne fût entrée Mme Verdurin. Quand il avait épousé Odette, il lui avait demandé de ne plus fréquenter le petit clan (il avait pour cela bien des raisons et s′il n′en avait pas eu, l′eût fait tout de même par obéissance à une loi d′ingratitude qui ne souffre pas d′exception et qui faisait ressortir l′imprévoyance de tous les entremetteurs ou leur désintéressement). Il avait seulement permis qu′Odette échangeât avec Mme Verdurin deux visites par an, ce qui semblait encore excessif à certains fidèles indignés de l′injure faite à la Patronne qui avait pendant tant d′années traité Odette et même Swann comme les enfants chéris de la maison. Car s′il contenait des faux-frères qui lâchaient certains soirs pour se rendre sans le dire à une invitation d′Odette, prêts, dans le cas où ils seraient découverts, à s′excuser sur la curiosité de rencontrer Bergotte (quoique la Patronne prétendît qu′il ne fréquentait pas chez les Swann, était dépourvu de talent, et malgré cela elle cherchait suivant une expression qui lui était chère, à l′attirer), le petit groupe avait aussi ses «ultras». Et ceux-ci, ignorants des convenances particulières qui détournent souvent les gens de l′attitude extrême qu′on aimerait à leur voir prendre pour ennuyer quelqu′un, auraient souhaité et n′avaient pas obtenu que Mme Verdurin cessât toutes relations avec Odette, et lui otât ainsi la satisfaction de dire en riant: «Nous allons très rarement chez la patronne depuis le Schisme. C′était encore possible quand mon mari était garçon mais pour un ménage ce n′est pas toujours très facile . . . M. Swann, pour vous dire la vérité n′avale pas la mère Verdurin et il n′apprécierait pas beaucoup que j′en fasse ma fréquentation habituelle. Et moi, fidèle épouse . . . » Swann y accompagnait sa femme en soirée, mais évitait d′être là quand Mme Verdurin venait chez Odette en visite. Aussi si la Patronne était dans le salon, le Prince d′Agrigente entrait seul. Seul aussi d′ailleurs il était présenté par Odette qui préférait que Mme Verdurin n′entendît pas de noms obscurs et voyant plus d′un visage inconnu d′elle, pût se croire au milieu de notabilités aristocratiques, calcul qui réussissait si bien que le soir Mme Verdurin disait avec dégoût à son mari: «Charmant milieu! Il y avait toute la fleur de la Réaction!» Odette vivait à l′égard de Mme Verdurin dans une illusion inverse. Non que ce salon eût même seulement commencé alors de devenir ce que nous le verrons être un jour. Mme Verdurin n′en était même pas encore à la période d′incubation où on suspend les grandes fêtes dans lesquelles les rares éléments brillants récemment acquis seraient noyés dans trop de tourbe et où on préfère attendre que le pouvoir générateur des dix justes qu′on a réussi à attirer en ait produit septante fois dix. Comme Odette n′allait pas tarder à le faire, Mme Verdurin se proposait bien le «monde» comme objectif, mais ses zones d′attaque étaient encore si limitées et d′ailleurs si éloignées, de celles par où Odette avait quelque chance d′arriver à un résultat identique, à percer, que celle-ci vivait dans la plus complète ignorance des plans stratégiques qu′élaborait la Patronne. Et c′était de la meilleure foi du monde que quand on parlait à Odette de Mme Verdurin comme d′une snob, Odette se mettait à rire, et disait: «C′est tout le contraire. D′abord elle n′en a pas les éléments, elle ne connaît personne. Ensuite il faut lui rendre cette justice que cela lui plaît ainsi. Non, ce qu′elle aime ce sont ses mercredis, les causeurs agréables.» Et secrètement elle enviait à Mme Verdurin (bien qu′elle ne désespérât pas d′avoir elle-même à une si grande école fini par les apprendre) ces arts auxquels la Patronne attachait une si belle importance bien qu′ils ne fassent que nuancer l′inexistant, sculpter le vide, et soient à proprement parler les Arts du Néant: l′art (pour une maîtresse de maison) de savoir «réunir», de s′entendre à «grouper», de «mettre en valeur», de «s′effacer», de servir de «trait d′union». Through the gap between a pair of curtains a head peeped with ceremonious deference, making a playful pretence of being afraid of disturbing the party; it was Swann. “Odette, the Prince d′Agrigente is with me in the study. He wants to know if he may pay his respects to you. What am I to tell him?” “Why, that I shall be delighted,” Odette would reply, secretly flattered, but without losing anything of the composure which came to her all the more easily since she had always, even in her ‘fast′ days, been accustomed to entertain men of fashion. Swann disappeared to deliver the message, and would presently return with the Prince, unless in the meantime Mme. Verdurin had arrived. When he married Odette Swann had insisted on her ceasing to frequent the little clan. (He had several good reasons for this stipulation, though, had he had none, he would have made it just the same in obedience to a law of ingratitude which admits no exception, and proves that every ‘go-between′ is either lacking in foresight or else singularly disinterested.) He had conceded only that Odette and Mme. Verdurin might exchange visits once a year, and even this seemed excessive to some of the ‘faithful,′ indignant at the insult offered to the ‘Mistress′ who for so many years had treated Odette and even Swann himself as the spoiled children of her house. For if it contained false brethren who ‘failed′ upon certain evenings in order that they might secretly accept an invitation from Odette, ready, in the event of discovery, with the excuse that they were anxious to meet Bergotte (although the Mistress assured them that he never went to the Swanns′, and even if he did, had no vestige of talent, really — in spite of which she was making the most strenuous efforts, to quote one of her favourite expressions, to ‘attract′ him), the little group had its ‘die-hards′ also. And these, though ignorant of those conventional refinements which often dissuade people from the extreme attitude one would have liked to see them adopt in order to annoy some one else, would have wished Mme. Verdurin, but had never managed to prevail upon her, to sever all connection with Odette, and thus deprive Odette of the satisfaction of saying, with a mocking laugh: “We go to the Mistress′s very seldom now, since the Schism. It was all very well while my husband was still a bachelor, but when one is married, you know, it isn′t always so easy. . . . If you must know, M. Swann can′t abide old Ma Verdurin, and he wouldn′t much like the idea of my going there regularly, as I used to. And I, as a dutiful spouse, don′t you see . . .?” Swann would accompany his wife to their annual evening there but would take care not to be in the room when Mme. Verdurin came to call. And so, if the ‘Mistress′ was in the drawing-room, the Prince d′Agrigente would enter it alone. Alone, too, he was presented to her by Odette, who preferred that Mme. Verdurin should be left in ignorance of the names of her humbler guests, and so might, seeing more than one strange face in the room, be led to believe that she was mixing with the cream of the aristocracy, a device which proved so far successful that Mme. Verdurin said to her husband, that evening, with profound contempt: “Charming people, her friends! I met all the fine flower of the Reaction!” Odette was living, with respect to Mme. Verdurin, under a converse illusion. Not that the latter′s salon had ever begun, at that time, to develop into what we shail one day see it to have become. Mme. Verdurin had not yet reached the period of incubation in which one dispenses with one′s big parties, where the few brilliant specimens recently acquired would be lost in too numerous a crowd, and prefers to wait until the generative force of the ten righteous whom one has succeeded in attracting shall have multiplied those ten seventyfold. As Odette was not to be long now in doing, Mme. Verdurin did indeed entertain the idea of ‘Society′ as her final objective, but her zone of attack was as yet so restricted, and moreover so remote from that in which Odette had some chance of arriving at an identical goal, of breaking the line of defence, that the latter remained absolutely ignorant of the strategic plans which the ‘Mistress′ was elaborating. And it was with the most perfect sincerity that Odette, when anyone spoke to her of Mme. Verdurin as a snob, would answer, laughing, “Oh, no, quite the opposite! For one thing, she never gets a chance of being a snob; she doesn′t know anyone. And then, to do her justice, I must say that she seems quite pleased not to know anyone. No, what she likes are her Wednesdays, and people who talk well.” And in her heart of hearts she envied Mme. Verdurin (for all that she did not despair of having herself, in so eminent a school, succeeded in acquiring them) those arts to which the ‘Mistress′ attached such paramount importance, albeit they did but discriminate, between shades of the Non-existent, sculpture the void, and were, properly speaking, the Arts of Nonentity: to wit those, in the lady of a house, of knowing how to ‘bring people together,′ how to ‘group,′ to ‘draw out,′ to ‘keep in the background,′ to act as a ‘connecting link.′
En tous cas les amies de Mme Swann étaient impressionnées de voir chez elle une femme qu′on ne se représentait habituellement que dans son propre salon, entourée d′un cadre inséparable d′invités, de tout un petit groupe qu′on s′émerveillait de voir ainsi, évoqué, résumé, resserré, dans un seul fauteuil, sous les espèces de la Patronne devenue visiteuse dans l′emmitouflement de son manteau fourré de grèbe, aussi duveteux que les blanches fourrures qui tapissaient ce salon au sein duquel Mme Verdurin était elle-même un salon. Les femmes les plus timides, voulaient se retirer par discrétion et employant le pluriel comme quand on veut faire comprendre aux autres qu′il est plus sage de ne pas trop fatiguer une convalescente qui se lève pour la première fois, disaient: «Odette nous allons vous laisser.» On enviait Mme Cottard que la patronne appelait par son prénom. «Est-ce que je vous enlève, lui disait Mme Verdurin qui ne pouvait supporter la pensée qu′une fidèle allait rester là au lieu de la suivre. «Mais Madame est assez aimable pour me ramener, répondait Mme Cottard, ne voulant pas avoir l′air d′oublier, en faveur d′une personne plus célèbre, qu′elle avait accepté l′offre que Mme Bontemps lui avait faite de la ramener dans sa voiture à cocarde. J′avoue que je suis particulièrement reconnaissante aux amies qui veulent bien me prendre avec elles dans leur véhicule. C′est une véritable aubaine pour moi qui n′ai pas d′automédon.» «D′autant plus, répondait la patronne (n′osant trop rien dire car elle connaissait un peu Mme Bontemps et venait de l′inviter à ses mercredis), que chez Mme de Crécy vous n′êtes pas près de chez vous. Oh! mon Dieu, je n′arriverai jamais à dire madame Swann.» C′était une plaisanterie dans le petit clan, pour des gens qui n′avaient pas beaucoup d′esprit, de faire semblant de ne pas pouvoir s′habituer à dire Mme Swann. «J′avais tellement l′habitude de dire Mme de Crécy, j′ai encore failli de me tromper.» Seule Mme Verdurin quand elle parlait à Odette, ne faisait pas que faillir et se trompait exprès. «Cela ne vous fait pas peur, Odette, d′habiter ce quartier perdu. Il me semble que je ne serais qu′à moitié tranquille le soir pour rentrer. Et puis c′est si humide. Ça ne doit rien valoir pour l′eczéma de votre mari. Vous n′avez pas de rats au moins?» «Mais non! Quelle horreur!» «Tant mieux, on m′avait dit cela. Je suis bien aise de savoir que ce n′est pas vrai, parce que j′en ai une peur épouvantable et que je ne serais pas revenue chez vous. Au revoir ma bonne chérie, à bientôt, vous savez comme je suis heureuse de vous voir. Vous ne savez pas arranger les chrysanthèmes, disait-elle en s′en allant tandis que Mme Swann se levait pour la reconduire. Ce sont des fleurs japonaises, il faut les disposer comme font les Japonais.» «Je ne suis pas de l′avis de Mme Verdurin, bien qu′en toutes choses elle soit pour moi la Loi et les Prophètes. Il n′y a que vous, Odette, pour trouver des chrysanthèmes si belles ou plutôt si beaux puisque il paraît que c′est ainsi qu′on dit maintenant», déclarait Mme Cottard, quand la Patronne avait refermé la porte. «Chère Mme Verdurin n′est pas toujours très bienveillante pour les fleurs des autres», répondait doucement Mme Swann. «Qui cultivez-vous, Odette, demandait Mme Cottard pour ne pas laisser se prolonger les critiques à l′adresse de la Patronne . . . Lemaître? J′avoue que devant chez Lemaître il y avait l′autre jour un grand arbuste rose qui m′a fait faire une folie.» Mais par pudeur elle se refusa à donner des renseignements plus précis sur le prix de l′arbuste et dit seulement que le professeur «qui n′avait pourtant pas la tête près du bonnet» avait tiré flamberge au vent et lui avait dit qu′elle ne savait pas la valeur de l′argent.» «Non, non, je n′ai de fleuriste attitré que Debac.» «Moi aussi, disait Mme Cottard, mais je confesse que je lui fais des infidélités avec Lachaume.» «Ah! vous le trompez avec Lachaume, je lui dirai, répondait Odette qui s′efforçait d′avoir de l′esprit et de conduire la conversation, chez elle, où elle se sentait plus à l′aise que dans le petit clan. Du reste Lachaume devient vraiment trop cher; ses prix sont excessifs, savez-vous, ses prix je les trouve inconvenants!» ajoutait-elle en riant. In any case, Mme. Swann′s friends were impressed when they saw in her house a lady of whom they were accustomed to think only as in her own, in an inseparable setting of her guests, amid the whole of her little group which they were astonished to behold thus suggested, summarised, assembled, packed into a single armchair in the bodily form of the ‘Mistress,′ the hostess turned visitor, muffled in her cloak with its grebe trimming, as shaggy as the white skins that carpeted that drawing-room embowered in which Mme. Verdurin was a drawing-room in herself. The more timid among the women thought it prudent to retire, and using the plural, as people do when they mean to hint to the rest of the room that it is wiser not to tire a convalescent who is out of bed for the first time: “Odette,” they murmured, “we are going to leave you.” They envied Mme. Cottard, whom the ‘Mistress′ called by her Christian name. “Can I drop you anywhere?” Mme. Verdurin asked her, unable to bear the thought that one of the faithful was going to remain behind instead of following her from the room. “Oh, but this lady has been so very kind as to say, she′ll take me,” replied Mme. Cottard, not wishing to appear to be forgetting, when approached by a more illustrious personage, that she had accepted the offer which Mme. Bontémps had made of driving her home behind her cockaded coachman. “I must say that I am always specially grateful to the friends who are so kind as to take me with them in their vehicles. It is a regular godsend to me, who have no Automedon.” “Especially,” broke in the ‘Mistress,′ who felt that she must say something, since she knew Mme. Bontémps slightly and had just invited her to her Wednesdays, “as at Mme. de Crécy′s house you′re not very near home. Oh, good gracious, I shall never get into the way of saying Mme. Swann!” It was a recognised pleasantry in the little clan, among those who were not overendowed with wit, to pretend that they could never grow used to saying ‘Mme. Swann.′ “I have been so accustomed to saying Mme. de Crécy that I nearly went wrong again!” Only Mme. Verdurin, when she spoke to Odette, was not content with the nearly, but went wrong on purpose. “Don′t you feel afraid, Odette, living out in the wilds like this? I′m sure I shouldn′t feel at all comfortable, coming home after dark. Besides, it′s so damp. It can′t be at all good for your husband′s eczema. You haven′t rats in the house, I hope!” “Oh, dear no. What a horrid idea!” “That′s a good thing; I was told you had. I′m glad to know it′s not true, because I have a perfect horror of the creatures, and I should never have come to see you again. Goodbye, my dear child, we shall meet again soon; you know what a pleasure it is to me to see you. You don′t know how to put your chrysanthemums in water,” she went on, as she prepared to leave the room, Mme. Swann having risen to escort her. “They are Japanese flowers; you must arrange them the same way as the Japanese.” “I do not agree with Mme. Verdurin, although she is the Law and the Prophets to me in all things! There′s no one like you, Odette, for finding such lovely chrysanthemums, or chrysanthema rather, for it seems that′s what we ought to call them now,” declared Mme. Cottard as soon as the ‘Mistress′ had shut the door behind her. “Dear Mme. Verdurin is not always very kind about other people′s flowers,” said Odette sweetly. “Whom do you go to, Odette,” asked Mme. Cottard, to forestall any further criticism of the ‘Mistress.′ “Lemaître? I must confess, the other day in Lemaître′s window I saw a huge, great pink bush which made me do something quite mad.” But modesty forbade her to give any more precise details as to the price of the bush, and she said merely that the Professor, “and you know, he′s not at all a quicktempered man,” had ‘waved his sword in the air′ and told her that she “didn′t know what money meant.” “No, no, I′ve no regular florist except Debac.” “Nor have I,” said Mme. Cottard, “but I confess that I am unfaithful to him now and then with Lachaume.” “Oh, you forsake him for Lachaume, do you; I must tell Debac that,” retorted Odette, always anxious to shew her wit, and to lead the conversation in her own house, where she felt more at her ease than in the little clan. “Besides, Lachaume is really becoming too dear; his prices are quite excessive, don′t you know; I find his prices impossible!” she added, laughing.





DEUXIèME PARTIE

...
Cependant Mme Bontemps qui avait dit cent fois qu′elle ne voulait pas aller chez les Verdurin, ravie d′être invitée aux mercredis, était en train de calculer comment elle pourrait s′y rendre le plus de fois possible. Elle ignorait que Mme Verdurin souhaitait qu′on n′en manquât aucun; d′autre part, elle était de ces personnes peu recherchées, qui quand elles sont conviées à des «séries» par une maîtresse de maison, ne vont pas chez elle comme ceux qui savent faire toujours plaisir, quand ils ont un moment et le désir de sortir; elles, au contraire, se privent par exemple de la première soirée et de la troisième, s′imaginant que leur absence sera remarquée et se réservent pour la deuxième et la quatrième; à moins que leurs informations ne leur ayant appris que la troisième sera particulièrement brillante, elles ne suivent un ordre inverse, alléguant que «malheureusement la dernière fois elles n′étaient pas libres». Telle Mme Bontemps supputait combien il pouvait y avoir encore de mercredis avant Pâques et de quelle façon elle arriverait à en avoir un de plus, sans pourtant paraître s′imposer. Elle comptait sur Mme Cottard, avec laquelle elle allait revenir, pour lui donner quelques indications. Meanwhile Mme. Bontemps, who had been heard a hundred times to declare that nothing would induce her to go to the Verdurins′, delighted at being asked to the famous Wednesdays, was planning in her own mind how she could manage to attend as many of them as possible. She was not′ aware that Mme. Verdurin liked people not to miss a single one; also she was one of those people whose company is but little sought, who, when a hostess invites them to a series of parties, do not accept and go to them without more ado, like those who know that it is always a pleasure to see them, whenever they have a moment to spare and feel inclined to go out; people of her type deny themselves it may be the first evening and the third, imagining that their absence will be noticed, and save themselves up for the second and fourth, unless it should happen that, having heard from a trustworthy source that the third is to be a particularly brilliant party, they reverse the original order, assuring their hostess that “most unfortunately, we had another engagement last week.” So Mme. Bontemps was calculating how many Wednesdays there could still be left before Easter, and by what means she might manage to secure one extra, and yet not appear to be thrusting herself upon her hostess. She relied upon Mme. Cottard, whom she would have with her in the carriage going home, to give her a few hints.
«Oh! Madame Bontemps, je vois que vous vous levez, c′est très mal de donner ainsi le signal de la fuite. Vous me devez une compensation pour n′être pas venue jeudi dernier . . . Allons rasseyez-vous un moment. Vous ne ferez tout de même plus d′autre visite avant le dîner. Vraiment vous ne vous laissez pas tenter, ajoutait Mme Swann et tout en tendant une assiette de gâteaux: Vous savez que ce n′est pas mauvais du tout ces petites saletés-là. Ça ne paye pas de mine mais goûtez-en, vous m′en direz des nouvelles.» «Au contraire, ça a l′air délicieux, répondait Mme Cottard, chez vous, Odette, on n′est jamais à court de victuailles. Je n′ai pas besoin de vous demander la marque de fabrique, je sais que vous faites tout venir de chez Rebattet. Je dois dire que je suis plus éclectique. Pour les petits fours, pour toutes les friandises, je m′adresse souvent à Bourbonneux. Mais je reconnais qu′ils ne savent pas ce que c′est qu′une glace. Rebattet, pour tout ce qui est glace, bavaroise ou sorbet, c′est le grand art. Comme dirait mon mari, le nec plus ultra. “Oh, Mme. Bontemps, I see you getting up to go; it is very bad of you to give the signal for flight like that! You owe me some compensation for not turning up last Thursday. . . . Come, sit down again, just for a minute. You can′t possibly be going anywhere else before dinner. Really, you won′t let yourself be tempted?” went on Mme. Swann, and, as she held out a plate of cakes, “You know, they′re not at all bad, these little horrors. They don′t look nice, but just taste one, I know you′ll like it.” “On the contrary, they look quite delicious,” broke in Mme. Cottard. “In your house, Odette, one is never short of victuals. I have no need to ask to see the trade-mark; I know you get everything from Rebattet. I must say that I am more eclectic. For sweet biscuits and everything of that sort I repair, as often as not, to Bourbonneux. But I agree that they simply don′t know what an ice means. Rebattet for everything iced, and syrups and sorbets; they′re past masters. As my husband would say, they′re the ne plus ultra.”
« »Mais ceci est tout simplement fait ici. Vraiment non?» «Je ne pourrai pas dîner, répondait Mme Bontemps, mais je me rassieds un instant, vous savez, moi j′adore causer avec une femme intelligente comme vous.» «Vous allez me trouver indiscrète, Odette, mais j′aimerais savoir comment vous jugez le chapeau qu′avait Mme Trombert. Je sais bien que la mode est aux grands chapeaux. Tout de même n′y a-t-il pas un peu d′exagération? Et à côté de celui avec lequel elle est venue l′autre jour chez moi, celui qu′elle portait tantôt était microscopique.» «Mais non je ne suis pas intelligente, disait Odette, pensant que cela faisait bien. Je suis au fond une gobeuse, qui croit tout ce qu′on lui dit, qui se fait du chagrin pour un rien.» Et elle insinuait qu′elle avait, au commencement, beaucoup souffert d′avoir épousé un homme comme Swann qui avait une vie de son côté et qui la trompait.» Cependant le Prince d′Agrigente ayant entendu les mots: «Je ne suis pas intelligente», trouvait de son devoir de protester, mais il n′avait pas d′esprit de répartie. “Oh, but we just make these in the house. You won′t, really?” “I shan′t be able to eat a scrap of dinner,” pleaded Mme. Bontemps, “but I will just sit down again for a moment; you know, I adore talking to a clever woman like you.” “You will think me highly indiscreet, Odette, but I should so like to know what you thought of the hat Mme. Trombert had on. I know, of course, that big hats are the fashion just now. All the same, wasn′t it just the least little bit exaggerated? And compared to the hat she came to see me in the other day, the one she had on just now was microscopic!” “Oh no, I am not at all clever,” said Odette, thinking that this sounded well. “I am a perfect simpleton, I believe everything people say, and worry myself to death over the least thing.” And she insinuated that she had, just at first, suffered terribly from the thought of having married a man like Swann, who had a separate life of his own and was unfaithful to her. Meanwhile the Prince d′Agrigente, having caught the words “I am not at all clever,” thought it incumbent on him to protest; unfortunately he had not the knack of repartee.
«Taratata, s′écriait Mme Bontemps, vous pas intelligente!» «En effet je me disais: «Qu′est-ce que j′entends? disait le Prince en saisissant cette perche. Il faut que mes oreilles m′aient trompé.» «Mais non, je vous assure, disait Odette, je suis au fond une petite bourgeoise très choquable, pleine de préjugés, vivant dans son trou, surtout très ignorante.» Et pour demander des nouvelles du baron de Charlus: «Avez-vous vu cher baronet?» lui disait-elle. «Vous, ignorante, s′écriait Mme Bontemps! Hé bien alors qu′est-ce que vous diriez du monde officiel, toutes ces femmes d′Excellences, qui ne savent parler que de chiffons! . . . Tenez, madame, pas plus tard qu′il y a huit jours je mets sur Lohengrin la ministresse de l′Instruction publique. Elle me répond: «Lohengrin? Ah! oui, la dernière revue des Folies-Bergères, il paraît que c′est tordant.» Hé bien! madame, qu′est-ce que vous voulez, quand on entend des choses comme ça, ça vous fait bouillir. J′avais envie de la gifler. Parce que j′ai mon petit caractère vous savez. “Tut, tut, tut, tut!” cried Mme. Bontemps, “Not clever; you!” “That′s just what I was saying to myself —‘What do I hear?′,” the Prince clutched at this straw, “My ears must have played me false!” “No, I assure you,” went on Odette, “I am really just an ordinary woman, very easily shocked, full of prejudices, living in my own little groove and dreadfully ignorant.” And then, in case he had any news of the Baron de Charlus, “Have you seen our dear Baronet?” she asked him. “You, ignorant!” cried Mme. Bontemps. “Then I wonder what you′d say of the official world, all those wives of Excellencies who can talk of nothing but their frocks. . . . Listen to this, my friend; not more than a week ago I happened to mention Lohengrin to the Education Minister′s wife. She stared at me, and said ‘Lohengrin? Oh, yes, the new review at the Folies-Bergères. I hear it′s a perfect scream!′ What do you say to that, eh? You can′t help yourself; when people say things like that it makes your blood boil. I could have struck her. Because I have a bit of a temper of my own.
Voyons, monsieur, disait-elle en se tournant vers moi, est-ce que je n′ai pas raison?» «Écoutez, disait Mme Cottard, on est excusable de répondre un peu de travers quand on est interrogée ainsi de but en blanc, sans être prévenue. J′en sais quelque chose car Mme Verdurin a l′habitude de nous mettre aussi le couteau sur la gorge.» «A propos de Mme Verdurin demandait Mme Bontemps à Mme Cottard, savez-vous qui il y aura mercredi chez elle? . . . Ah! je me rappelle maintenant que nous avons accepté une invitation pour mercredi prochain. Vous ne voulez pas dîner de mercredi en huit avec nous. Nous irions ensemble chez Madame Verdurin. Cela m′intimide d′entrer seule, je ne sais pas pourquoi cette grande femme m′a toujours fait peur.» «Je vais vous le dire, répondait Mme Cottard, ce qui vous effraye chez Mme Verdurin, c′est son organe. Que voulez-vous, tout le monde n′a pas un aussi joli organe que Madame Swann. Mais le temps de prendre langue comme dit la Patronne et la glace sera bientôt rompue. Car dans le fond elle est très accueillante. Mais je comprends très bien votre sensation, ce n′est jamais agréable de se trouver la première fois en pays perdu». What do you say, sir;” she turned to me, “was I not right?” “Listen,” said Mme. Cottard, “people can′t help answering a little off the mark when they′re asked a thing like that point blank, without any warning. I know something about it, because Mme. Verdurin also has a habit of putting a pistol to your head.” “Speaking of Mme. Verdurin,” Mme. Bontemps asked Mme. Cottard, “do you know who will be there on Wednesday? Oh, I′ve just remembered that we′ve accepted an invitation for next Wednesday. You wouldn′t care to dine with us on Wednesday week? We could go on together to Mme. Verdurin′s. I should never dare to go there by myself; I don′t know why it is, that great lady always terrifies me.” “I′ll tell you what it is,” replied Mme. Cottard, “what frightens you about Mme. Verdurin is her organ. But you see everyone can′t have such a charming organ as Mme. Swann. Once you′ve found your tongue, as the ‘Mistress′ says, the ice will soon be broken. For she′s a very easy person, really, to get on with. But I can quite understand what you feel; it′s never pleasant to find oneself for the first time in a strange country.”
Vous pourriez aussi dîner avec nous, disait Mme Bontemps à Mme Swann. Après dîner on irait tous ensemble en Verdurin, faire Verdurin; et même si ce devait avoir pour effet que la Patronne me fasse les gros yeux et ne m′invite plus, une fois chez elle nous resterons toutes les trois à causer entre nous, je sens que c′est ce qui m′amusera le plus.» Mais cette affirmation ne devait pas être très véridique car Mme Bontemps demandait: «Qui pensez-vous qu′il y aura de mercredi en huit? Qu′est-ce qui se passera? Il n′y aura pas trop de monde, au moins?» «Moi, je n′irai certainement pas, disait Odette. Nous ne ferons qu′une petite apparition au mercredi final. Si cela vous est égal d′attendre jusque-là . . . » Mais Mme Bontemps ne semblait pas séduite par cette proposition d′ajournement. “Won′t you dine with us, too?” said Mme. Bontemps to Mme. Swann. “After dinner we could all go to the Verdurins′ together, ‘do a Verdurin′; and even if it means that the ‘Mistress′ will stare me out of countenance and never ask me to the house again, once we are there we′ll just sit by ourselves and have a quiet talk, I′m sure that′s what I should like best.” But this assertion can hardly have been quite truthful, for Mme. Bontemps went on to ask: “Who do you think will be there on Wednesday week? What will they be doing? There won′t be too big a crowd, I hope!” “I certainly shan′t be there,” said Odette. “We shall just look in for a minute on the last Wednesday of all. If you don′t mind waiting till then ——” But Mme. Bontemps did not appear to be tempted by the proposal.
Bien que les mérites spirituels d′un salon et son élégance soient généralement en rapports inverses plutôt que directs, il faut croire, puisque Swann trouvait Mme Bontemps agréable, que toute déchéance acceptée a pour conséquence de rendre les gens moins difficiles sur ceux avec qui ils sont résignés à se plaire, moins difficiles sur leur esprit comme sur le reste. Et si cela est vrai, les hommes doivent, comme les peuples, voir leur culture et même leur langage disparaître avec leur indépendance. Un des effets de cette indulgence est d′aggraver la tendance qu′à partir d′un certain âge on a à trouver agréables les paroles qui sont un hommage à notre propre tour d′esprit, à nos penchants, un encouragement à nous y livrer; cet âge-là est celui où un grand artiste préfère à la société de génies originaux celle d′élèves qui n′ont en commun avec lui que la lettre de sa doctrine et par qui il est encensé, écouté; où un homme ou une femme remarquables qui vivent pour un amour trouveront la plus intelligente dans une réunion la personne peut-être inférieure, mais dont une phrase aura montré qu′elle sait comprendre et approuver ce qu′est une existence vouée à la galanterie, et aura ainsi chatouillé agréablement la tendance voluptueuse de l′amant ou de la maîtresse; c′était l′âge aussi où Swann, en tant qu′il était devenu le mari d′Odette se plaisait à entendre dire à Mme Bontemps que c′est ridicule de ne recevoir que des duchesses (concluant de là, au contraire de ce qu′il eût fait jadis chez les Verdurin, que c′était une bonne femme, très spirituelle et qui n′était pas snob) et à lui raconter des histoires qui la faisaient «tordre», parce qu′elle ne les connaissait pas et que d′ailleurs elle «saisissait» vite, aimant à flatter et à s′amuser. «Alors le docteur ne raffolle pas comme vous, des fleurs», demandait Mme Swann à Mme Cottard. — «Oh! vous savez que mon mari est un sage; il est modéré en toutes choses. Si, pourtant, il a une passion.» L′il brillant de malveillance, de joie et de curiosité: Granted that the intellectual distinction of a house and its smartness are generally in inverse rather than direct ratio, one must suppose, since Swann found Mme. Bontemps attractive, that any forfeiture of position once accepted has the consequence of making us less particular with regard to the people among whom we have resigned ourselves to finding entertainment, less particular with regard to their intelligence as to everything else about them. And if this be true, men, like nations, must see their culture and even their language disappear with their independence. One of the effects of this indulgence is to aggravate the tendency which after a certain age we have towards finding pleasure in speeches that are a homage to our own turn of mind, to our weaknesses, an encouragement to us to yield to them; that is the age at which a great artist prefers to the company of original minds that of pupils who have nothing in common with him save the letter of his doctrine, who listen to him and offer incense; at which a man or woman of mark, who is living entirely for love, will find that the most intelligent person in a gathering is one perhaps of no distinction, but one who has shewn by some utterance that he can understand and approve what is meant by an existence devoted to gallantry, and has thus pleasantly excited the voluptuous instincts of the lover or mistress; it was the age, too, at which Swann, in so far as he had become the husband of Odette, enjoyed hearing Mme. Bontemps say how silly it was to have nobody in one′s house but duchesses (concluding from that, quite the contrary of what he would have decided in the old days at the Verdurins′, that she was a good creature, extremely sensible and not at all a snob) and telling her stories which made her ‘die laughing′ because she had not heard them before, although she always ‘saw the point′ at once, liked flattering her for his own amusement. “Then the Doctor is not mad about flowers, like you?” Mme. Swann asked Mme. Cottard. “Oh, well, you know, my husband is a sage; he practises moderation in all things. Yet, I must admit, he has a passion.” Her eye aflame with malice, joy, curiosity,
— «Laquelle, madame?» demandait Mme Bontemps. Avec simplicité, Mme Cottard répondait:— «La lecture.» — «Oh! c′est une passion de tout repos chez un mari!» s′écriait Mme Bontemps en étouffant un rire satanique. — «Quand le docteur est dans un livre, vous savez!» — «Hé bien, madame, cela ne doit pas vous effrayer beaucoup . . . » — «Mais si! . . . pour sa vue. Je vais aller le retrouver, Odette, et je reviendrai au premier jour frapper à votre porte. A propos de vue, vous a-t-on dit que l′hôtel particulier que vient d′acheter Mme Verdurin sera éclairé à l′électricité? Je ne le tiens pas de ma petite police particulière, mais d′une autre source: c′est l′électricien lui-même, Mildé, qui me l′a dit. Vous voyez que je cite mes auteurs! Jusqu′aux chambres qui auront leurs lampes électriques avec un abat-jour qui tamisera la lumière. C′est évidemment un luxe charmant. D′ailleurs nos contemporaines veulent absolument du nouveau, n′en fût-il plus au monde. Il y a la belle-sur d′une de mes amies qui a le téléphone posé chez elle! Elle peut faire une commande à un fournisseur sans sortir de son appartement! J′avoue que j′ai platement intrigué pour avoir la permission de venir un jour parler devant l′appareil. Cela me tente beaucoup, mais plutôt chez une amie que chez moi. Il me semble que je n′aimerais pas avoir le téléphone à domicile. Le premier amusement passé, cela doit être vrai casse-tête. Allons, Odette, je me sauve, ne retenez plus Mme Bontemps puisqu′elle se charge de moi, il faut absolument que je m′arrache, vous me faites faire du joli, je vais être rentrée après mon mari!» “And what is that, pray?” inquired Mme. Bontemps. Quite simply Mme. Cottard answered her, “Reading.” “Oh, that′s a very restful passion in a husband!” cried Mme. Bontemps suppressing an impish laugh. “When the Doctor gets a book in his hands, you know!” “Well, that needn′t alarm you much . . . ” “But it does, for his eyesight. I must go now and look after him, Odette, and I shall come back on the very first opportunity and knock at your door. Talking of eyesight, have you heard that the new house Mme. Verdurin has just bought is to be lighted by electricity? I didn′t get that from my own little secret service, you know, but from quite a different source; it was the electrician himself, Mildé, who told me. You see, I quote my authorities! Even the bedrooms, he says, are to have electric lamps with shades which will filter the light. It is evidently a charming luxury, for those who can afford it. But it seems that our contemporaries must absolutely have the newest thing if it′s the only one of its kind in the world. Just fancy, the sister-in-law of a friend of mine has had the telephone installed in her house! She can order things from her tradesmen without having to go out of doors! I confess that I′ve made the most bare-faced stratagems to get permission to go there one day, just to speak into the instrument. It′s very tempting, but more in a friend′s house than at home. I don′t think I should like to have the telephone in my establishment. Once the first excitement is over, it must be a perfect racket going on all the time. Now, Odette, I must be off; you′re not to keep Mme. Bontemps any longer, she′s looking after me. I must absolutely tear myself away; you′re making me behave in a nice way, I shall be getting home after my husband!”
Et moi aussi, il fallait que je rentrasse, avant d′avoir goûté à ces plaisirs de l′hiver, desquels les chrysanthèmes m′avaient semblé être l′enveloppe éclatante. Ces plaisirs n′étaient pas venus et cependant Mme Swann n′avait pas l′air d′attendre encore quelque chose. Elle laissait les domestiques emporter le thé comme elle aurait annoncé: «On ferme!» Et elle finissait par me dire: «Alors, vraiment, vous partez? Hé bien, good bye!» Je sentais que j′aurais pu rester sans rencontrer ces plaisirs inconnus et que ma tristesse n′était pas seule à m′avoir privé d′eux. Ne se trouvaient-ils donc pas situés sur cette route battue des heures, qui mènent toujours si vite à l′instant du départ, mais plutôt sur quelque chemin de traverse inconnu de moi et par où il eût fallu bifurquer? Du moins le but de ma visite était atteint, Gilberte saurait que j′étais venu chez ses parents quand elle n′était pas là, et que j′y avais, comme n′avait cessé de le répéter Mme Cottard, «fait d′emblée, de prime-abord, la conquête de Mme Verdurin, laquelle ajoutait la femme du docteur, qui ne l′avait jamais vue faire «autant de frais». «Il faut, avait-elle dit, que vous ayez ensemble des atomes crochus.» Elle saurait que j′avais parlé d′elle comme je devais le faire, avec tendresse, mais que je n′avais pas cette incapacité de vivre sans que nous nous vissions que je croyais à la base de l′ennui qu′elle avait éprouvé ces derniers temps auprès de moi. J′avais dit à Mme Swann que je ne pouvais plus me trouver avec Gilberte. Je l′avais dit comme si j′avais décidé pour toujours de ne plus la voir. Et la lettre que j′allais envoyer à Gilberte serait conçue dans le même sens. Seulement à moi-même, pour me donner courage je ne me proposais qu′un suprême et court effort de peu de jours. Je me disais: «C′est le dernier rendez-vous d′elle que je refuse, j′accepterai le prochain.» Pour me rendre la séparation moins difficile à réaliser, je ne me la présentais pas comme définitive. Mais je sentais bien qu′elle le serait. And for myself also it was time to return home, before I had tasted those wintry delights of which the chrysanthemums had seemed to me to be the brilliant envelope. These pleasures had not appeared, and yet Mme. Swann did not look as though she expected anything more. She allowed the servants to carry away the tea-things, as who should say “Time, please, gentlemen!” And at last she did say to me: “Really, must you go? Very well; good-bye!” I felt that I might have stayed there without encountering those unknown pleasures, and that my unhappiness was not the cause of my having to forego them. Were they to be found, then, situated not upon that beaten track of hours which leads one always to the moment of departure, but rather upon some cross-road unknown to me along which I ought to have digressed? At least, the object of my visit had been attained; Gilberte would know that I had come to see her parents when she was not at home, and that I had, as Mme. Cottard had incessantly assured me, “made a complete conquest, first shot, of Mme. Verdurin,” whom, she added, she had never seen ‘make so much′ of anyone. (“You and she must have hooked atoms.”) She would know that I had spoken of her as was fitting, with affection, but that I had not that incapacity for living without our seeing one another which I believed to be at the root of the boredom that she had shewn at our last meetings. I had told Mme. Swann that I should not be able to see Gilberte again. I had said this as though I had finally decided not to see her any more. And the letter which I was going to send Gilberte would be framed on those lines. Only to myself, to fortify my courage, I proposed no more than a supreme and concentrated effort, lasting a few days only. I said to myself: “This is the last time that I shall refuse to meet her; I shall accept the next invitation.” To make our separation less difficult to realise, I did not picture it to myself as final. But I knew very well that it would be.
Le 1er janvier me fut particulièrement douloureux cette année-là. Tout l′est sans doute, qui fait date et anniversaire, quand on est malheureux. Mais si c′est par exemple d′avoir perdu un être cher, la souffrance consiste seulement dans une comparaison plus vive avec le passé. Il s′y ajoutait dans mon cas l′espoir informulé que Gilberte, ayant voulu me laisser l′initiative des premiers pas et constatant que je ne les avais pas faits, n′avait attendu que le prétexte du 1er janvier pour m′écrire: «Enfin, qu′y a-t-il? je suis folle de vous, venez que nous nous expliquions franchement, je ne peux pas vivre sans vous voir.» Dès les derniers jours de l′année cette lettre me parut probable. Elle ne l′était peut-être pas, mais, pour que nous la croyions telle, le désir, le besoin que nous en avons suffit. Le soldat est persuadé qu′un certain délai indéfiniment prolongeable lui sera accordé avant qu′il soit tué, le voleur avant qu′il soit pris, les hommes en général avant qu′ils aient à mourir. C′est là l′amulette qui préserve les individus — et parfois les peuples — non du danger mais de la peur du danger, en réalité de la croyance au danger, ce qui dans certains cas permet de les braver sans qu′il soit besoin d′être brave. Une confiance de ce genre et aussi peu fondée, soutient l′amoureux qui compte sur une réconciliation, sur une lettre. Pour que je n′eusse pas attendu celle-là, il eût suffi que j′eusse cessé de la souhaiter. Si indifférent qu′on sache que l′on est à celle qu′on aime encore, on lui prête une série de pensées — fussent-elles d′indifférence — une intention de les manifester, une complication de vie intérieure où l′on est l′objet peut-être d′une antipathie, mais aussi d′une attention permanentes. Pour imaginer au contraire ce qui se passait en Gilberte, il eût fallu que je pusse tout simplement anticiper dès ce 1er janvier-là, ce que j′eusse ressenti celui d′une des années suivantes, et où l′attention, ou le silence, ou la tendresse, ou la froideur de Gilberte eussent passé à peu près inaperçus à mes yeux et où je n′eusse pas songé, pas même pu songer à chercher la solution de problèmes qui auraient cessé de se poser pour moi. Quand on aime l′amour est trop grand pour pouvoir être contenu tout entier en nous; il irradie vers la personne aimée, rencontre en elle une surface qui l′arrête, le force à revenir vers son point de départ et c′est ce choc en retour de notre propre tendresse que nous appelons les sentiments de l′autre et qui nous charme plus qu′à l′aller, parce que nous ne connaissons pas qu′elle vient de nous. Le 1er janvier sonna toutes ses heures sans qu′arrivât cette lettre de Gilberte. The first of January was exceptionally painful to me that winter. So, no doubt, is everything that marks a date and an anniversary when we are unhappy. But if our unhappiness is due to the loss of some dear friend, our suffering consists merely in an unusually vivid comparison of the present with the past. There was added to this, in my case, the unexpressed hope that Gilberte, having intended to leave me to take the first steps towards a reconciliation, and discovering that I had not taken them, had been waiting only for the excuse of New Year′s Day to write to me, saying: “What is the matter? I am madly in love with you; come, and let us explain things properly; I cannot live without seeing you.” As the last days of the old year went by, such a letter began to seem probable. It was, perhaps, nothing of the sort, but to make us believe that such a thing is probable the desire, the need that we have for it suffices. The soldier is convinced that a certain interval of time, capable of being indefinitely prolonged, will be allowed him before the bullet finds him, the thief before he is taken, men in general before they have to die. That is the amulet which preserves people — and sometimes peoples — not from danger but from the fear of danger, in reality from the belief in danger, which in certain cases allows them to brave it without their actually needing to be brave. It is confidence of this sort, and with as little foundation, that sustains the lover who is counting upon a reconciliation, upon a letter. For me to cease to expect a letter it would have sufficed that I should have ceased to wish for one. However unimportant one may know that one is in the eyes of her whom one still loves, one attributes to her a series of thoughts (though their sum-total be indifference) the intention to express those thoughts, a complication of her inner life in which one is the constant object possibly of her antipathy but certainly of her attention. But to imagine what was going on in Gilberte′s mind I should have required simply the power to anticipate on that New Year′s Day what I should feel on the first day of any of the years to come, when the attention or the silence or the affection or the coldness of Gilberte would pass almost unnoticed by me and I should not dream, should not even be able to dream of seeking a solution of problems which would have ceased to perplex me. When we are in love, our love is too big a thing for us to be able altogether to contain it within us. It radiates towards the beloved object, finds in her a surface which arrests it, forcing it to return to its starting-point, and it is this shock of the repercussion of our own affection which we call the other′s regard for ourselves, and which pleases us more then than on its outward journey because we do not recognise it as having originated in ourselves. New Year′s Day rang out all its hours without there coming to me that letter from Gilberte.
Et comme j′en reçus quelques-unes de vux tardifs ou retardés par l′encombrement des courriers à ces dates-là, le 3 et le 4 janvier, j′espérais encore, de moins en moins pourtant. Les jours qui suivirent, je pleurai beaucoup. Certes cela tenait à ce qu′ayant été moins sincère que je ne l′avais cru quand j′avais renoncé à Gilberte, j′avais gardé cet espoir d′une lettre d′elle pour la nouvelle année. Et le voyant épuisé avant que j′eusse eu le temps de me précautionner d′un autre, je souffrais comme un malade qui a vidé sa fiole de morphine sans en avoir sous la main une seconde. Mais peut-être en moi — et ces deux explications ne s′excluent pas, car un seul sentiment est quelquefois fait de contraires — l′espérance que j′avais de recevoir enfin une lettre, avait-elle rapproché de moi l′image de Gilberte, recréé les émotions que l′attente de me trouver près d′elle, sa vue, sa manière d′être avec moi, me causaient autrefois. La possibilité immédiate d′une réconciliation avait supprimé cette chose de l′énormité de laquelle nous ne nous rendons pas compte — la résignation. Les neurasthéniques ne peuvent croire les gens qui leur assurent qu′ils seront à peu près calmés en restant au lit sans recevoir de lettres, sans lire de journaux. Ils se figurent que ce régime ne fera qu′exaspérer leur nervosité. De même les amoureux, le considérant du sein d′un état contraire, n′ayant pas commencé de l′expérimenter, ne peuvent croire à la puissance bienfaisante du renoncement. And as I received a few others containing greetings tardy or retarded by the overburdening of the mails at that season, on the third and fourth of January I hoped still, but my hope grew hourly more faint. Upon the days that followed I gazed through a mist of tears. This undoubtedly meant that, having been less sincere than I thought in my renunciation of Gilberte, I had kept the hope of a letter from her for the New Year. And seeing that hope exhausted before I had had time to shelter myself behind another, I suffered as would an invalid who had emptied his phial of morphia without having another within his reach. But perhaps also in my case — and these two explanations are not mutually exclusive, for a single feeling is often made up of contrary elements — the hope that I entertained of ultimately receiving a letter had brought to my mind′s eye once again the image of Gilberte, had reawakened the emotions which the expectation of finding myself in her presence, the sight of her, her way of treating me had aroused in me before. The immediate possibility of a reconciliation had suppressed in me that faculty the immense importance of which we are apt to overlook: the faculty of resignation. Neurasthenics find it impossible to believe the friends who assure them that they will gradually recover their peace of mind if they will stay in bed and receive no letters, read no newspapers. They imagine that such a course will only exasperate their twitching nerves. And similarly lovers, who look upon it from their enclosure in a contrary state of mind, who have not begun yet to make trial of it, are unable to believe in the healing power of renunciation.
A cause de la violence de mes battements de cur on me fit diminuer la caféine, ils cessèrent. Alors je me demandai si ce n′était pas un peu à elle qu′était due cette angoisse que j′avais éprouvée quand je m′étais à peu près brouillé avec Gilberte, et que j′avais attribuée chaque fois qu′elle se renouvelait à la souffrance de ne plus voir mon amie, ou de risquer de ne la voir qu′en proie à la même mauvaise humeur. Mais si ce médicament avait été à l′origine des souffrances que mon imagination eût alors faussement interprétées (ce qui n′aurait rien d′extraordinaire, les plus cruelles peines morales ayant souvent chez les amants, l′habitude physique de la femme avec qui ils vivent), c′était à la façon du philtre qui longtemps après avoir été absorbé continue à lier Tristan à Yseult. Car l′amélioration physique que la diminution de la caféine amena presque immédiatement chez moi n′arrêta pas l′évolution de chagrin que l′absorption du toxique avait peut-être sinon créé, du moins su rendre plus aigu. In consequence of the violence of my palpitations, my doses of caffeine were reduced; the palpitations ceased. Whereupon I asked myself whether it was not to some extent the drug that had been responsible for the anguish that I had felt when I came near to quarrelling with Gilberte, an anguish which I had attributed, on every recurrence of it, to the distressing prospect of never seeing my friend again or of running the risk of seeing her only when she was a prey to the same ill-humour. But if this medicine had been at the root of the sufferings which my imagination must in that case have interpreted wrongly (not that there would be anything extraordinary in that, seeing that, among lovers, the most acute mental suffering assumes often the physical identity of the woman with whom they are living), it had been, in that sense, like the philtre which, long after they have drunk of it, continues to bind Tristan to Isolde. For the physical improvement which the reduction of my caffeine effected almost at once did not arrest the evolution of that grief which my absorption of the toxin had perhaps — if it had not created it — at any rate contrived to render more acute.
Seulement, quand le milieu du mois de janvier approcha, une fois déçues mes espérances d′une lettre pour le jour de l′an et la douleur supplémentaire qui avait accompagné leur déception une fois calmée, ce fut mon chagrin d′avant «les Fêtes» qui recommença. Ce qu′il y avait peut-être encore en lui de plus cruel, c′est que j′en fusse moi-même l′artisan inconscient, volontaire, impitoyable et patient. La seule chose à laquelle je tinsse, mes relations avec Gilberte, c′est moi qui travaillais à les rendre impossibles en créant peu à peu, par la séparation prolongée d′avec mon amie, non pas son indifférence, mais ce qui reviendrait finalement au même, la mienne. C′était à un long et cruel suicide du moi qui en moi-même aimait Gilberte que je m′acharnais avec continuité, avec la clairvoyance non seulement de ce que je faisais dans le présent, mais de ce qui en résulterait pour l′avenir: je savais non pas seulement que dans un certain temps je n′aimerais plus Gilberte, mais encore qu′elle-même le regretterait, et que les tentatives qu′elle ferait alors pour me voir, seraient aussi vaines que celles d′aujourd′hui, non plus parce que je l′aimerais trop, mais parce que j′aimerais certainement une autre femme que je resterais à désirer, à attendre, pendant des heures dont je n′oserais pas distraire une parcelle pour Gilberte qui ne me serait plus rien. Et sans doute en ce moment même, où (puisque j′étais résolu à ne plus la voir, à moins d′une demande formelle d′explications, d′une complète déclaration d′amour de sa part, lesquelles n′avaient plus aucune chance de venir), j′avais déjà perdu Gilberte, et l′aimais davantage, je sentais tout ce qu′elle était pour moi, mieux que l′année précédente, quand passant tous mes après-midi avec elle, selon que je voulais, je croyais que rien ne menaçait notre amitié, sans doute en ce moment l′idée que j′éprouverais un jour les mêmes sentiments pour une autre m′était odieuse, car cette idée m′enlevait outre Gilberte, mon amour et ma souffrance. Mon amour, ma souffrance, où en pleurant j′essayais de saisir justement ce qu′était Gilberte, et desquels il me fallait reconnaître qu′ils ne lui appartenaient pas spécialement et seraient, tôt ou tard, le lot de telle ou telle femme. De sorte — c′était du moins alors ma manière de penser — qu′on est toujours détaché des êtres: quand on aime, on sent que cet amour ne porte pas leur nom, pourra dans l′avenir renaître, aurait même pu, même dans le passé, naître pour une autre et non pour celle-là. Et dans le temps où l′on n′aime pas, si l′on prend philosophiquement son parti de ce qu′il y a de contradictoire dans l′amour, c′est que cet amour dont on parle à son aise on ne l′éprouve pas alors, donc on ne le connaît pas, la connaissance en ces matières étant intermittente et ne survivant pas à la présence effective du sentiment. Cet avenir où je n′aimerais plus Gilberte et que ma souffrance m′aidait à deviner sans que mon imagination pût encore se le représenter clairement, certes il eût été temps encore d′avertir Gilberte qu′il se formerait peu à peu, que sa venue était sinon imminente, du moins inéluctable, si elle-même, Gilberte, ne venait pas à mon aide et ne détruisait pas dans son germe ma future indifférence. Combien de fois ne fus-je pas sur le point d′écrire, ou d′aller dire à Gilberte: «Prenez garde, j′en ai pris la résolution, la démarche que je fais est une démarche suprême. Je vous vois pour la dernière fois. Bientôt je ne vous aimerai plus.» A quoi bon? De quel droit eussé-je reproché à Gilberte une indifférence que, sans me croire coupable pour cela, je manifestais à tout ce qui n′était pas elle? La dernière fois! A moi, cela me paraissait quelque chose d′immense, parce que j′aimais Gilberte. A elle cela lui eût fait sans doute autant d′impression que ces lettres où des amis demandent à nous faire une visite avant de s′expatrier, visite que, comme aux ennuyeuses femmes qui nous aiment, nous leur refusons parce que nous avons des plaisirs devant nous. Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique; les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent et l′habitude le remplit. Only, as the middle of the month of January approached, once my hopes of a letter on New Year′s Day had been disappointed, once the additional disturbance that had come with their disappointment had grown calm, it was my old sorrow, that of ‘before the holidays,′ which began again. What was perhaps the most cruel thing about it was that I myself was its architect, unconscious, wilful, merciless and patient. The one thing that mattered, my relations with Gilberte, it was I who was labouring to make them impossible by gradually creating out of this prolonged separation from my friend, not indeed her indifference, but what would come to the same thing in the end, my own. It was to a slow and painful suicide of that part of me which was Gilberte′s lover that I was goading myself with untiring energy, with a clear sense not only of what I was presently doing but of what must result from it in the future; I knew not only that after a certain time I should cease to love Gilberte, but also that she herself would regret it and that the attempts which she would then make to see me would be as vain as those that she was making now, no longer because I loved her too well but because I should certainly be in love with some other woman whom I should continue to desire, to wait for, through hours of which I should not dare to divert any particle of a second to Gilberte who would be nothing to me then. And no doubt at that very moment in which (since I was determined not to see her again, unless after a formal request for an explanation or a full confession of love on her part, neither of which was in the least degree likely to come to me now) I had already lost Gilberte, and loved her more than ever, and could feel all that she was to me better than in the previous year when, spending all my afternoons in her company, or as many as I chose, I believed that no peril threatened our friendship — no doubt at that moment the idea that I should one day entertain identical feelings for another was odious to me, for that idea carried me away beyond the range of Gilberte, my love and my sufferings. My love, my sufferings in which through my tears I attempted to discern precisely what Gilberte was, and was obliged to recognise that they did not pertain exclusively to her but would, sooner or later, be some other woman′s portion. So that — or such, at least, was my way of thinking then — we are always detached from our fellow-creatures; when a man loves one of them he feels that his love is not labelled with their two names, but may be born again in the future, may have been born already in the past for another and not for her. And in the time when he is not in love, if he makes up his mind philosophically as to what it is that is inconsistent in love, he will find that the love of which he can speak unmoved he did not, at the moment of speaking, feel, and therefore did not know, knowledge in these matters being intermittent and not outlasting the actual presence of the sentiment. That future in which I should not love Gilberte, which my sufferings helped me to divine although my imagination was not yet able to form a clear picture of it, certainly there would still have been time to warn Gilberte that it was gradually taking shape, that its coming was, if not imminent, at least inevitable, if she herself, Gilberte, did not come to my rescue and destroy in the germ my nascent indifference. How often was I not on the point of writing, or of going to Gilberte to tell her: “Take care. My mind is made up. What I am doing now is my supreme effort. I am seeing you now for the last time. Very soon I shall have ceased to love you.” But to what end? By what authority should I have reproached Gilberte for an indifference which, not that I considered myself guilty on that count, I too manifested towards everything that was not herself? The last time! To me, that appeared as something of immense significance, because I was in love with Gilberte. On her it would doubtless have made just as much impression as those letters in which our friends ask whether they may pay us a visit before they finally leave the country, an offer which, like those made by tiresome women who are in love with us, we decline because we have pleasures of our own in prospect. The time which we have at our disposal every day is elastic; the passions that we feel expand it, those that we inspire contract it; and habit fills up what remains.
D′ailleurs, j′aurais eu beau parler à Gilberte, elle ne m′aurait pas entendu. Nous nous imaginons toujours, quand nous parlons, que ce sont nos oreilles, notre esprit qui écoutent. Mes paroles ne seraient parvenues à Gilberte que déviées, comme si elles avaient eu à traverser le rideau mouvant d′une cataracte avant d′arriver à mon amie, méconnaissables, rendant un son ridicule, n′ayant plus aucune espèce de sens. La vérité qu′on met dans les mots ne se fraye pas son chemin directement, n′est pas douée d′une évidence irrésistible. Il faut qu′assez de temps passe pour qu′une vérité de même ordre ait pu se former en eux. Alors l′adversaire politique qui, malgré tous les raisonnements et toutes les preuves tenait le sectateur de la doctrine opposée pour un traître, partage lui-même la conviction détestée à laquelle celui qui cherchait inutilement à la répandre ne tient plus. Alors, le chef-d′uvre qui pour les admirateurs qui le lisaient haut semblait montrer en soi les preuves de son excellence et n′offrait à ceux qui écoutaient qu′une image insane ou médiocre, sera par eux proclamé chef-d′uvre, trop tard pour que l′auteur puisse l′apprendre. Pareillement en amour les barrières, quoi qu′on fasse, ne peuvent être brisées du dehors par celui qu′elles désespèrent; et c′est quand il ne se souciera plus d′elles, que, tout à coup, par l′effet du travail venu d′un autre côté, accompli à l′intérieur de celle qui n′aimait pas, ces barrières, attaquées jadis sans succès, tomberont sans utilité. Si j′étais venu annoncer à Gilberte mon indifférence future et le moyen de la prévenir, elle aurait induit de cette démarche que mon amour pour elle, le besoin que j′avais d′elle, étaient encore plus grands qu′elle n′avait cru, et son ennui de me voir en eût été augmenté. Et il est bien vrai, du reste, que c′est cet amour qui m′aidait, par les états d′esprit disparates, qu′il faisait se succéder en moi, à prévoir, mieux qu′elle, la fin de cet amour. Pourtant, un tel avertissement, je l′eusse peut-être adressé, par lettre ou de vive voix, à Gilberte, quand assez de temps eût passé, me la rendant ainsi, il est vrai, moins indispensable, mais aussi ayant pu lui prouver qu′elle ne me l′était pas. Malheureusement, certaines personnes bien ou mal intentionnées lui parlèrent de moi d′une façon qui dut lui laisser croire qu′elles le faisaient à ma prière. Chaque fois que j′appris ainsi que Cottard, ma mère elle-même, et jusqu′à M. de Norpois avaient, par de maladroites paroles, rendu inutile tout le sacrifice que je venais d′accomplir, gâché tout le résultat de ma réserve en me donnant faussement l′air d′en être sorti, j′avais un double ennui. D′abord je ne pouvais plus faire dater que de ce jour-là ma pénible et fructueuse abstention que les fâcheux avaient à mon insu interrompue et, par conséquent, annihilée. Mais, de plus, j′eusse eu moins de plaisir à voir Gilberte qui me croyait maintenant non plus dignement résigné, mais manoeuvrant dans l′ombre pour une entrevue qu′elle avait dédaigné d′accorder. Je maudissais ces vains bavardages de gens qui souvent, sans même l′intention de nuire ou de rendre service, pour rien, pour parler, quelquefois parce que nous n′avons pas pu nous empêcher de le faire devant eux et qu′ils sont indiscrets (comme nous), nous causent, à point nommé, tant de mal. Il est vrai que dans la funeste besogne accomplie pour la destruction de notre amour, ils sont loin de jouer un rôle égal à deux personnes qui ont pour habitude l′une par excès de bonté et l′autre de méchanceté de tout défaire au moment que tout allait s′arranger. Mais ces deux personnes-là, nous ne leur en voulons pas comme aux inopportuns Cottard, car la dernière, c′est la personne que nous aimons et la première, c′est nous-même. Besides, what good would it have done if I had spoken to Gilberte; she would not have understood me. We imagine always when we speak that it is our own ears, our own mind that are listening. My words would have come to her only in a distorted form, as though they had had to pass through the moving curtain of a waterfall before they reached my friend, unrecognisable, giving a foolish sound, having no longer any kind of meaning. The truth which one puts into one′s words does not make a direct path for itself, is not supported by irresistible evidence. A considerable time must elapse before a truth of the same order can take shape in the words themselves. Then the political opponent who, despite all argument, every proof that he has advanced to damn the votary of the rival doctrine as a traitor, will himself have come to share the hated conviction by which he who once sought in vain to disseminate it is no longer bound. Then the masterpiece of literature which for the admirers who read it aloud seemed to make self-evident the proofs of its excellence, while to those who listened it presented only a senseless or commonplace image, will by these too be proclaimed a masterpiece, but too late for the author to learn of their discovery. Similarly in love the barriers, do what one may, cannot be broken down from without by him whom they maddeningly exclude; it is when he is no longer concerned with them that suddenly, as the result of aft effort directed from elsewhere, accomplished within the heart of her who did not love him, those barriers which he has charged without success will fall to no advantage. If I had come to Gilberte to tell her of my future indifference and the means of preventing it, she would have assumed from my action that my love for her, the need that I had of her, were even greater than I had supposed, and her distaste for the sight of me would thereby have been increased. And incidentally it is quite true that it was that love for her which helped me, by means of the incongruous states of mind which it successively produced in me, to foresee, more clearly than she herself could, the end of that love. And yet some such warning I might perhaps have addressed, by letter or with my own lips, to Gilberte, after a long enough interval, which would render her, it is true, less indispensable to me, but would also have proved to her that she was not so indispensable. Unfortunately certain persons — of good or evil intent — spoke of me to her in a fashion which must have led her to think that they were doing so at my request. Whenever I thus learned that Cottard, my own mother, even M. de Norpois had by a few ill-chosen words rendered useless all the sacrifice that I had just been making, wasted all the advantage of my reserve by giving me, wrongly, the appearance of having emerged from it, I was doubly angry. In the first place I could no longer reckon from any date but the present my laborious and fruitful abstention which these tiresome people had, unknown to me, interrupted and so brought to nothing. And not only that; I should have less pleasure in seeing Gilberte, who would think of me now no longer as containing myself in dignified resignation, but as plotting in the dark for an interview which she had scorned to grant me. I cursed all the idle chatter of people who so often, without any intention of hurting us or of doing us a service, for no reason, for talking′s sake, often because we ourselves have not been able to refrain from talking in their presence, and because they are indiscreet (as we ourselves are), do us, at a crucial moment, so much harm. It is true that in the grim operation performed for the eradication of our love they are far from playing a part equal to that played by two persons who are in the habit, from excess of good nature in one and of malice in the Other, of undoing everything at the moment when everything is on the point of being settled. But against these two persons we bear no such grudge as against the inopportune Cottards of this world, for the latter of them is the person whom we love and the former is ourself.
Cependant, comme presque chaque fois que j′allais la voir, Mme Swann m′invitait à venir goûter avec sa fille et me disait de répondre directement à celle-ci, j′écrivais souvent à Gilberte, et dans cette correspondance je ne choisissais pas les phrases qui eussent pu, me semblait-il la persuader, je cherchais seulement à frayer le lit le plus doux au ruissellement de mes pleurs. Car le regret comme le désir ne cherche pas à s′analyser, mais à se satisfaire; quand on commence d′aimer on passe le temps non à savoir ce qu′est son amour, mais à préparer les possibilités des rendez-vous du lendemain. Quand on renonce, on cherche non à connaître son chagrin, mais à offrir de lui à celle qui le cause l′expression qui nous paraît la plus tendre. On dit les choses qu′on éprouve le besoin de dire et que l′autre ne comprendra pas, on ne parle que pour soi-même. J′écrivais: «J′avais cru que ce ne serait pas possible. Hélas, je vois que ce n′est pas si difficile.» Je disais aussi: «Je ne vous verrai probablement plus», je le disais en continuant à me garder d′une froideur qu′elle eût pu croire affectée, et ces mots, en les écrivant, me faisaient pleurer, parce que je sentais qu′ils exprimaient non ce que j′aurais voulu croire, mais ce qui arriverait en réalité. Car à la prochaine demande de rendez-vous qu′elle me ferait adresser, j′aurais encore comme cette fois le courage de ne pas céder et, de refus en refus, j′arriverais peu à peu au moment où à force de ne plus l′avoir vue je ne désirerais pas la voir. Je pleurais mais je trouvais le courage, je connaissais la douceur, de sacrifier le bonheur d′être auprès d′elle à la possibilité de lui paraître agréable un jour, un jour où, hélas! lui paraître agréable me serait indifférent. L′hypothèse même, pourtant si peu vraisemblable, qu′en ce moment, comme elle l′avait prétendu pendant la dernière visite que je lui avais faite, elle m′aimât, que ce que je prenais pour l′ennui qu′on éprouve auprès de quelqu′un dont on est las, ne fût dû qu′à une susceptibilité jalouse, à une feinte d′indifférence analogue à la mienne, ne faisait que rendre ma résolution moins cruelle. Il me semblait alors que dans quelques années, après que nous nous serions oubliés l′un l′autre, quand je pourrais rétrospectivement lui dire que cette lettre qu′en ce moment j′étais en train de lui écrire n′avait été nullement sincère, elle me répondrait: «Comment, vous, vous m′aimiez? Si vous saviez comme je l′attendais, cette lettre, comme j′espérais un rendez-vous, comme elle me fit pleurer.» La pensée, pendant que je lui écrivais, aussitôt rentré de chez sa mère, que j′étais peut-être en train de consommer précisément ce malentendu-là, cette pensée par sa tristesse même, par le plaisir d′imaginer que j′étais aimé de Gilberte, me poussait à continuer ma lettre. Meanwhile, since on almost every occasion of my going to see her Mme. Swann would invite me to come to tea another day, with her daughter, and tell me to reply directly to her, I was constantly writing to Gilberte, and in this correspondence I did not choose the expressions which might, I felt, have won her over, sought only to carve out the easiest channel for the torrent of my tears. For, like desire, regret seeks not to be analysed but to be satisfied. When one begins to love, one spends one′s time, not in getting to know what one′s love really is, but in making it possible to meet next day. When one abandons love one seeks not to know one′s grief but to offer to her who is causing it that expression of it which seems to one the most moving. One says the things which one feels the need of saying, and which the other will not understand, one speaks for oneself alone. I wrote: “I had thought that it would not be possible. Alas, I see now that it is not so difficult.” I said also: “I shall probably not see you again;” I said it while I continued to avoid shewing a coldness which she might think affected, and the words, as I wrote them, made me weep because I felt that they expressed not what I should have liked to believe but what was probably going to happen. For at the next request for a meeting which she would convey to me I should have again, as I had now, the courage not to yield, and, what with one refusal and another, I should gradually come to the moment when, by virtue of not having seen her again, I should not wish to see her. I wept, but I found courage enough to sacrifice, I tasted the sweets of sacrificing the happiness of being with her to the probability of seeming attractive to her one day, a day when, alas, my seeming attractive to her would be immaterial to me. Even the supposition, albeit so far from likely, that at this moment, as she had pretended during the last visit that I had paid her, she loved me, that what I took for the boredom which one feels in the company of a person of whom one has grown tired had been due only to a jealous susceptibility, to a feint of indifference analogous to my own, only rendered my decision less painful. It seemed to me that in years to come, when we had forgotten one another, when I should be able to look back and tell her that this letter which I was now in course of writing had not been for one moment sincere, she would answer, “What, you really did love me, did you? If you had only known how I waited for that letter, how I hoped that you were coming to see me, how I cried when I read it.” The thought, while I was writing it, immediately on my return from her mother′s house, that I was perhaps helping to bring about that very misunderstanding, that thought, by the sadness in which it plunged me, by the pleasure of imagining that I was loved by Gilberte, gave me the impulse to continue my letter.
Si, au moment de quitter Mme Swann quand son «thé» finissait, je pensais à ce que j′allais écrire à sa fille, Mme Cottard elle, en s′en allant, avait eu des pensées d′un caractère tout différent. Faisant sa «petite inspection», elle n′avait pas manqué de féliciter Mme Swann sur les meubles nouveaux, les récentes «acquisitions» remarquées dans le salon. Elle pouvait d′ailleurs y retrouver, quoique en bien petit nombre, quelques-uns des objets qu′Odette avait autrefois dans l′hôtel de la rue Lapérouse, notamment ses animaux en matières précieuses, ses fétiches. If, at the moment of leaving Mme. Swann, when her tea-party ended, I was thinking of what I was going to write to her daughter, Mme. Cottard, as she departed, had been filled with thoughts of a wholly different order. On her little ‘tour of inspection′ she had not failed to congratulate Mme. Swann on the new ‘pieces,′ the recent ‘acquisitions′ which caught the eye in her drawing-room. She could see among them some, though only a very few, of the things that Odette had had in the old days in the Rue La Pérouse, for instance her animals carved in precious stones, her fetishes.
Mais Mme Swann ayant appris d′un ami qu′elle vénérait le mot «tocard» — lequel lui avait ouvert de nouveaux horizons parce qu′il désignait précisément les choses que quelques années auparavant elle avait trouvées «chic» — toutes ces choses-là successivement avaient suivi dans leur retraite le treillage doré qui servait d′appui aux chrysanthèmes, mainte bonbonnière de chez Giroux et le papier à lettres à couronne (pour ne pas parler des louis en carton semés sur les cheminées et que, bien avant qu′elle connut Swann, un homme de goût lui avait conseillé de sacrifier). D′ailleurs dans le désordre artiste, dans le pêle-mêle d′atelier, des pièces aux murs encore peints de couleurs sombres qui les faisaient aussi différentes que possible des salons blancs que Mme Swann eut un peu plus tard, l′Extrême-Orient, reculait de plus en plus devant l′invasion du XVIIIe siècle; et les coussins que, afin que je fusse plus «confortable», Mme Swann entassait et pétrissait derrière mon dos étaient semés de bouquets Louis XV, et non plus comme autrefois de dragons chinois. Dans la chambre où on la trouvait le plus souvent et dont elle disait: «Oui, je l′aime assez, je m′y tiens beaucoup; je ne pourrais pas vivre au milieu de choses hostiles et pompier; c′est ici que je travaille» (sans d′ailleurs préciser si c′était à un tableau, peut-être à un livre, le goût d′en écrire commençait à venir aux femmes qui aiment à faire quelque chose, et à ne pas être inutiles), elle était entourée de Saxe (aimant cette dernière sorte de porcelaine, dont elle prononçait le nom avec un accent anglais, jusqu′à dire à propos de tout: c′est joli, cela ressemble à des fleurs de Saxe) elle redoutait pour eux, plus encore que jadis pour ses magots et ses potiches, le toucher ignorant des domestiques auxquels elle faisait expier les transes qu′ils lui avaient données par des emportement auxquels Swann, maître si poli et doux, assistait sans en être choqué. La vue lucide de certaines infériorités n′ôte d′ailleurs rien à la tendresse; celle-ci les fait au contraire trouver charmantes. Maintenant c′était plus rarement dans des robes de chambre japonaises qu′Odette recevait ses intimes, mais plutôt dans les soies claires et mousseuses de peignoirs Watteau desquelles elle faisait le geste de caresser sur ses seins l′écume fleurie, et dans lesquelles elle se baignait, se prélassait, s′ébattait avec un tel air de bien-être, de rafraîchissement de la peau, et des respirations si profondes, qu′elle semblait les considérer non pas comme décoratives à la façon d′un cadre, mais comme nécessaires de la même manière que le «tub» et le «footing», pour contenter les exigences de sa physionomie et les raffinements de son hygiène. Elle avait l′habitude de dire qu′elle se passerait plus aisément de pain que d′art et de propreté, et qu′elle eût été plus triste de voir brûler la Joconde que des «foultitudes» de personnes qu′elle connaissait. Théories qui semblaient paradoxales à ses amies, mais la faisaient passer pour une femme supérieure auprès d′elles et lui valaient une fois par semaine la visite du ministre de Belgique, de sorte que dans le petit monde dont elle était le soleil, chacun eût été bien étonné si l′on avait appris qu′ailleurs, chez les Verdurin par exemple, elle passât pour bête. A cause de cette vivacité d′esprit, Mme Swann préférait la société des hommes à celle des femmes. Mais quand elle critiquait celles-ci c′était toujours en cocotte, signalant en elles les défauts qui pouvaient leur nuire auprès des hommes, de grosses attaches, un vilain teint, pas d′orthographe, des poils aux jambes, une odeur pestilentielle, de faux sourcils. Pour telle au contraire qui lui avait jadis montré de l′indulgence et de l′amabilité, elle était plus tendre, surtout si celle-là était malheureuse. Elle la défendait avec adresse et disait: «On est injuste pour elle, car c′est une gentille femme, je vous assure.» For since Mme. Swann had picked up from a friend whose opinion she valued the word ‘dowdy′— which had opened to her a new horizon because it denoted precisely those things which a few years earlier she had considered ‘smart′— all those things had, one after another, followed into retirement the gilded trellis that had served as background to her chrysanthemums, innumerable boxes of sweets from Giroux′s, and the coroneted note-paper (not to mention the coins of gilt pasteboard littered about on the mantelpieces, which, even before she had come to know Swann, a man of taste had advised her to sacrifice). Moreover in the artistic disorder, the studio-like confusion of the rooms, whose walls were still painted in sombre colours which made them as different as possible from the white-enamelled drawing-rooms in which, a little later, you were to find Mme. Swann installed, the Far East recoiled more and more before the invading forces of the eighteenth century; and the cushions which, to make me ‘comfortable,′ Mme. Swann heaped up and buffeted into position behind my back were sprinkled with Louis XV garlands and not, as of old, with Chinese dragons. In the room in which she was usually to be found, and of which she would say, “Yes, I like this room; I use it a great deal. I couldn′t live with a lot of horrid vulgar things swearing at me all the time; this is where I do my work ——” though she never stated precisely at what she was working. Was it a picture? A book, perhaps, for the hobby of writing was beginning to become common among women who liked to ‘do something,′ not to be quite useless. She was surrounded by Dresden pieces (having a fancy for that sort of porcelain, which she would name with an English accent, saying in any connexion: “How pretty that is; it reminds me of Dresden flowers,”), and dreaded for them even more than in the old days for her grotesque figures and her flower-pots the ignorant handling of her servants who must expiate, every now and then, the anxiety that they had caused her by submitting to outbursts of rage at which Swann, the most courteous and considerate of masters, looked on without being shocked. Not that the clear perception of certain weaknesses in those whom we love in any way diminishes our affection for them; rather that affection makes us find those weaknesses charming. Rarely nowadays was it in one of those Japanese wrappers that Odette received her familiars, but rather in the bright and billowing silk of a Watteau gown whose flowering foam she made as though to caress where it covered her bosom, and in which she immersed herself, looked solemn, splashed and sported, with such an air of comfort, of a cool skin and long-drawn breath, that she seemed to look on these garments not as something decorative, a mere setting for herself, but as necessary, in the same way as her ‘tub′ or her daily ‘outing,′ to satisfy the requirements of her style of beauty and the niceties of hygiene. She used often to say that she would go without bread rather than give up ‘art′ and ‘having nice things about her,′ and that the burning of the ‘Gioconda′ would distress her infinitely more than the destruction, by the same element, of ‘millions′ of the people she knew. Theories which seemed paradoxical to her friends, but made her pass among them as a superior woman, and qualified her to receive a visit once a week from the Belgian Minister, so that in the little world whose sun she was everyone would have been greatly astonished to learn that elsewhere — at the Verdurins′, for instance — she was reckoned a fool. It was this vivacity of expression that made Mme. Swann prefer men′s society to women′s. But when she criticised the latter it was always from the courtesan′s standpoint, singling out the blemishes that might lower them in the esteem of men, a lumpy figure, a bad complexion, inability to spell, hairy legs, foul breath, pencilled eyebrows. But towards a woman who had shewn her kindness or indulgence in the past she was more lenient, especially if this woman were now in trouble. She would defend her warmly, saying: “People are not fair to her. I assure you, she′s quite a nice woman really.”
Ce n′était pas seulement l′ameublement du salon d′Odette, c′était Odette elle-même que Mme Cottard et tous ceux qui avaient fréquenté Mme de Crécy auraient eu peine s′ils ne l′avaient pas vue depuis longtemps, à reconnaître. Elle semblait avoir tant d′années de moins qu′autrefois. Sans doute, cela tenait en partie à ce qu′elle avait engraissé, et devenue mieux portante, avait l′air plus calme, plus frais, reposé et d′autre part à ce que les coiffures nouvelles aux cheveux lissés, donnaient plus d′extension à son visage qu′une poudre rose animait, et où ses yeux et son profil jadis trop saillants, semblaient maintenant résorbés. Mais une autre raison de ce changement consistait en ceci que, arrivée au milieu de la vie, Odette s′était enfin découvert, ou inventé, une physionomie personnelle, un «caractère» immuable, un «genre de beauté», et sur ses traits décousus — qui pendant si longtemps, livrés aux caprices hasardeux et impuissants de la chair, prenant à la moindre fatigue pour un instant, des années, une sorte de vieillesse passagère, lui avaient composé tant bien que mal, selon son humeur et selon sa mine, un visage épars, journalier, informe et charmant — avait appliqué ce type fixe, comme une jeunesse immortelle. It was not only the furniture of Odette′s drawing-room, it was Odette herself that Mme. Cottard and all those who had frequented the society of Mme. de Crécy would have found it difficult, if they had not seen her for some little time, to recognise. She seemed to be so much younger. No doubt this was partly because she had grown stouter, was in better condition, seemed at once calmer, more cool, more restful, and also because the new way in which she braided her hair gave more breadth to a face which was animated by an application of pink powder, and into which her eyes and profile, formerly too prominent, seemed now to have been reabsorbed. But another reason for this change lay in the fact that, having reached the turning-point of life, Odette had at length discovered, or invented, a physiognomy of her own, an unalterable ‘character,′ a ‘style of beauty′ and on her incoherent features — which for so long, exposed to every hazard, every weakness of the flesh, borrowing for a moment, at the slightest fatigue, from the years to come, a sort of flickering shadow of anility, had furnished her, well or ill, according to how she was feeling, how she was looking, with a countenance dishevelled, inconstant, formless and attractive — had now set this fixed type, as it were an immortal youthfulness.
Swann avait dans sa chambre, au lieu des belles photographies qu′on faisait maintenant de sa femme, et où la même expression énigmatique et victorieuse laissait reconnaître, quels que fussent la robe et le chapeau, sa silhouette et son visage triomphants, un petit daguerréotype ancien tout simple, antérieur à ce type, et duquel la jeunesse et la beauté d′Odette, non encore trouvées par elle, semblaient absentes. Mais sans doute Swann, fidèle ou revenu à une conception différente, goûtait-il dans la jeune femme grêle aux yeux pensifs, aux traits las, à l′attitude suspendue entre la marche et l′immobilité, une grâce plus botticellienne. Il aimait encore en effet à voir en sa femme un Botticelli. Odette qui au contraire cherchait non à faire ressortir mais à compenser, à dissimuler ce qui, en elle-même, ne lui plaisait pas, ce qui était peut-être, pour un artiste, son «caractère», mais que comme femme, elle trouvait des défauts, ne voulait pas entendre parler de ce peintre. Swann possédait une merveilleuse écharpe orientale, bleue et rose, qu′il avait achetée parce que c′était exactement celle de la vierge du Magnificat. Mais Mme Swann ne voulait pas la porter. Une fois seulement elle laissa son mari lui commander une toilette toute criblée de pâquerettes, de bluets, de myosotis et de campanules d′après la Primavera du Printemps. Parfois, le soir, quand elle était fatiguée, il me faisait remarquer tout bas comme elle donnait sans s′en rendre compte à ses mains pensives, le mouvement délié, un peu tourmenté de la Vierge qui trempe sa plume dans l′encrier que lui tend l′ange, avant d′écrire sur le livre saint où est déjà tracé le mot Magnificat. Mais il ajoutait: «Surtout ne le lui dites pas, il suffirait qu′elle le sût pour qu′elle fît autrement.» Swann had in his room, instead of the handsome photographs that were now taken of his wife, in all of which the same cryptic, victorious expression enabled one to recognise, in whatever dress and hat, her triumphant face and figure, a little old daguerreotype of her, quite plain, taken long before the appearance of this new type, so that the youth and beauty of Odette, which she had not yet discovered when it was taken, appeared to be missing from it. But it is probable that Swann, having remained constant, or having reverted to a different conception of her, enjoyed in the slender young woman with pensive eyes and tired features, caught in a pose between rest and motion, a more Botticellian charm. For he still liked to recognise in his wife one of Botticelli′s figures. Odette, who on the other hand sought not to bring out but to make up for, to cover and conceal the points in herself that did not please her, what might perhaps to an artist express her ‘character′ but in her woman′s eyes were merely blemishes, would not have that painter mentioned in her presence. Swann had a wonderful scarf of oriental silk, blue and pink, which he had bought because it was exactly that worn by Our Lady in the Magnificat. But Mme. Swann refused to wear it. Once only she allowed her husband to order her a dress covered all over with daisies, cornflowers, forget-me-nots and campanulas, like that of the Primavera. And sometimes in the evening, when she was tired, he would quietly draw my attention to the way in which she was giving, quite unconsciously, to her pensive hands the uncontrolled, almost distraught movement of the Virgin who dips her pen into the inkpot that the angel holds out to her, before writing upon the sacred page on which is already traced the word ‘Magnificat.′ But he added, “Whatever you do, don′t say anything about it to her; if she knew she was doing it, she would change her pose at once.”
Sauf à ces moments d′involontaire fléchissement où Swann essayait de retrouver la mélancolique cadence botticellienne, le corps d′Odette était maintenant découpé en une seule silhouette cernée tout entière par une «ligne» qui, pour suivre le contour de la femme, avait abandonné les chemins accidentés, les rentrants et les sortants factices, les lacis, l′éparpillement composite des modes d′autrefois, mais qui aussi, là où c′était l′anatomie qui se trompait en faisant des détours inutiles en deçà ou au delà du tracé idéal, savait rectifier d′un trait hardi les écarts de la nature, suppléer, pour toute une partie du parcours, aux défaillances aussi bien de la chair que des étoffes. Les coussins, le «strapontin» de l′affreuse «tournure» avaient disparu ainsi que ces corsages à basques qui, dépassant la jupe et raidis par des baleines avaient ajouté si longtemps à Odette un ventre postiche et lui avaient donné l′air d′être composée de pièces disparates qu′aucune individualité ne reliait. La verticale des «effilés» et la courbe des ruches avaient cédé la place à l′inflexion d′un corps qui faisait palpiter la soie comme la sirène bat l′onde et donnait à la percaline une expression humaine, maintenant qu′il s′était dégagé, comme une forme organisée et vivante, du long chaos et de l′enveloppement nébuleux des modes détrônées. Mais Mme Swann cependant avait voulu, avait su garder un vestige de certaines d′entre elles, au milieu même de celles qui les avaient remplacées. Quand le soir, ne pouvant travailler et étant assuré que Gilberte était au théâtre avec des amies, j′allais à l′improviste chez ses parents, je trouvais souvent Mme Swann dans quelque élégant déshabillé dont la jupe, d′un de ces beaux tons sombres, rouge foncé ou orange qui avaient l′air d′avoir une signification particulière parce qu′ils n′étaient plus à la mode, était obliquement traversée d′une rampe ajourée et large de dentelle noire qui faisait penser aux volants d′autrefois. Quand par un jour encore froid de printemps elle m′avait, avant ma brouille avec sa fille, emmené au Jardin d′Acclimatation, sous sa veste qu′elle entr′ouvrait plus ou moins selon qu′elle se réchauffait en marchant, le «dépassant» en dents de scie de sa chemisette avait l′air du revers entrevu de quelque gilet absent, pareil à l′un de ceux qu′elle avait portés quelques années plus tôt et dont elle aimait que les bords eussent ce léger déchiquetage; et sa cravate — de cet «écossais» auquel elle était restée fidèle, mais en adoucissant tellement les tons (le rouge devenu rose et le bleu lilas), que l′on aurait presque cru à un de ces taffetas gorge de pigeon qui étaient la dernière nouveauté — était nouée de telle façon sous son menton sans qu′on pût voir où elle était attachée, qu′on pensait invinciblement à ces «brides» de chapeaux, qui ne se portaient plus. Pour peu qu′elle sût «durer» encore quelque temps ainsi, les jeunes gens, essayant de comprendre ses toilettes, diraient: «Madame Swann, n′est-ce pas, c′est toute une époque?» Comme dans un beau style qui superpose des formes différentes et que fortifie une tradition cachée, dans la toilette de Mme Swann, ces souvenirs incertains de gilets, ou de boucles, parfois une tendance aussitôt réprimée au «saute en barque», et jusqu′à une illusion lointaine et vague au «suivez-moi jeune homme», faisaient circuler sous la forme concrète la ressemblance inachevée d′autres plus anciennes qu′on n′aurait pu y trouver effectivement réalisées par la couturière ou la modiste, mais auxquelles on pensait sans cesse, et enveloppaient Mme Swann de quelque chose de noble — peut-être parce que l′inutilité même de ces atours faisait qu′ils semblaient répondre à un but plus qu′utilitaire, peut-être à cause du vestige conservé des années passées, ou encore d′une sorte d′individualité vestimentaire, particulière à cette femme et qui donnait à ses mises les plus différentes un même air de famille. On sentait qu′elle ne s′habillait pas seulement pour la commodité ou la parure de son corps; elle était entourée de sa toilette comme de l′appareil délicat et spiritualisé d′une civilisation. Save at these moments of involuntary relaxation, in which Swann essayed to recapture the melancholy cadence of Botticelli, Odette seemed now to be cut out in a single figure, wholly confined within a line which, following the contours of the woman, had abandoned the winding paths, the capricious re-entrants and salients, the radial points, the elaborate dispersions of the fashions of former days, but also, where it was her anatomy that went wrong by making unnecessary digressions within or without the ideal circumference traced for it, was able to rectify, by a bold stroke, the errors of nature, to make up, along a whole section of its course, for the failure as well of the human as of the textile element. The pads, the preposterous ‘bustle′ had disappeared, as well as those tailed corsets which, projecting under the skirt and stiffened by rods of whalebone, had so long amplified Odette with an artificial stomach and had given her the appearance of being composed of several incongruous pieces which there was no individuality to bind together. The vertical fall of fringes, the curve of trimmings had made way for the inflexion of a body which made silk palpitate as a siren stirs the waves, gave to cambric a human expression now that it had been liberated, like a creature that had taken shape and drawn breath, from the long chaos and nebulous envelopment of fashions at length dethroned. But Mme. Swann had chosen, had contrived to preserve some vestiges of certain of these, in the very thick of the more recent fashions that had supplanted them. When in the evening, finding myself unable to work and feeling certain that Gilberte had gone to the theatre with friends, I paid a surprise visit to her parents, I used often to find Mme. Swann in an elegant dishabille the skirt of which, of one of those rich dark colours, blood-red or orange, which seemed always as though they meant something very special, because they were no longer the fashion, was crossed diagonally, though not concealed, by a broad band of black lace which recalled the flounces of an earlier day. When on a still chilly afternoon in Spring she had taken me (before my rupture with her daughter) to the Jardin d′Acclimatation, under her coat, which she opened or buttoned up according as the exercise made her feel warm, the dog-toothed border of her blouse suggested a glimpse of the lapel of some non-existent waistcoat such as she had been accustomed to wear, some years earlier, when she had liked their edges to have the same slight indentations; and her scarf — of that same ‘Scotch tartan′ to which she had remained faithful, but whose tones she had so far softened, red becoming pink and blue lilac, that one might almost have taken it for one of those pigeon′s-breast taffetas which were the latest novelty — was knotted in such a way under her chin, without one′s being able to make out where it was fastened, that one could not help being reminded of those bonnet-strings which were — now no longer worn. She need only ‘hold out′ like this for a little longer and young men attempting to understand her theory of dress would say: “Mme. Swann is quite a period in herself, isn′t she?” As in a fine literary style which overlays with its different forms and so strengthens a tradition which lies concealed among them, so in Mme. Swann′s attire those half-hinted memories of waistcoats or of ringlets, sometimes a tendency, at once repressed, towards the ‘all aboard,′ or even a distant and vague allusion to the ‘chase me′ kept alive beneath the concrete form the unfinished likeness of other, older forms which you would not have succeeded, now, in making a tailor or a dressmaker reproduce, but about which your thoughts incessantly hovered, and enwrapped Mme. Swann in a cloak of nobility — perhaps because the sheer uselessness of these fripperies made them seem meant to serve some more than utilitarian purpose, perhaps because of the traces they preserved of vanished years, or else because there was a sort of personality permeating this lady′s wardrobe, which gave to the most dissimilar of her costumes a distinct family likeness. One felt that she did not dress simply for the comfort or the adornment of her body; she was surrounded by her garments as by the delicate and spiritualised machinery of a whole form of civilisation.
Quand Gilberte qui d′habitude donnait ses goûters le jour où recevait sa mère, devait au contraire être absente et qu′à cause de cela je pouvais aller au «Choufleury» de Mme Swann, je la trouvais vêtue de quelque belle robe, certaines en taffetas, d′autres en faille, ou en velours, ou en crêpe de Chine, ou en satin, ou en soie, et qui non point lâches comme les déshabillés qu′elle revêtait ordinairement à la maison, mais combinées comme pour la sortie au dehors, donnaient cet après-midi-là à son oisiveté chez elle quelque chose d′alerte et d′agissant. Et sans doute la simplicité hardie de leur coupe, était bien appropriée à sa taille et à ses mouvements dont les manches avaient l′air d′être la couleur, changeante selon les jours; on aurait dit qu′il y avait soudain de la décision dans le velours bleu, une humeur facile dans le taffetas blanc, et qu′une sorte de réserve suprême et pleine de distinction dans la façon d′avancer le bras avait, pour devenir visible, revêtu l′apparence brillante du sourire des grands sacrifices, du crêpe de Chine noir. Mais en même temps à ces robes si vives, la complication des «garnitures» sans utilité pratique, sans raison d′être visible, ajoutait quelque chose de désintéressé, de pensif, de secret, qui s′accordait à la mélancolie que Mme Swann gardait toujours au moins dans la cernure de ses yeux et les phalanges de ses mains. Sous la profusion des porte-bonheur en saphir, des trèfles à quatre feuilles d′émail, des médailles d′argent, des médaillons d′or, des amulettes de turquoise, des chaînettes de rubis, des châtaignes de topaze, il y avait dans la robe elle-même tel dessin colorié poursuivant sur un empiècement rapporté son existence antérieure, telle rangée de petits boutons de satin qui ne boutonnaient rien et ne pouvaient pas se déboutonner, une soutache cherchant à faire plaisir avec la minutie, la discrétion d′un rappel délicat, lesquels, tout autant que les bijoux, avaient l′air — n′ayant sans cela aucune justification possible — de déceler une intention, d′être un gage de tendresse, de retenir une confidence, de répondre à une superstition, de garder le souvenir d′une guérison, d′un vu, d′un amour ou d′une philippine. Et parfois, dans le velours bleu du corsage un soupçon de crevé Henri II, dans la robe de satin noir un léger renflement qui soit aux manches, près des épaules, faisaient penser aux «gigots» 1830, soit, au contraire sous la jupe «aux paniers» Louis XV, donnaient à la robe un air imperceptible d′être un costume et en insinuant sous la vie présente comme une réminiscence indiscernable du passé, mêlaient à la personne de Mme Swann le charme de certaines héroî­¥s historiques ou romanesques. Et si je lui faisais remarquer: «Je ne joue pas au golf comme plusieurs de mes amies, disait-elle. Je n′aurais aucune excuse à être comme elles, vêtues de Swetters.» When Gilberte, who, as a rule, gave her tea-parties on the days when her mother was ‘at home,′ had for some reason to go out, and I was therefore free to attend Mme. Swann′s ‘kettledrum,′ I would find her dressed in one of her lovely gowns, some of which were of taffeta, others of gros-grain, or of velvet, or of crêpe-de-Chine, or satin or silk, gowns which, not being loose like those that she generally wore in the house but buttoned up tight as though she were just going out in them, gave to her stay-at-home laziness on those afternoons something alert and energetic. And no doubt the daring simplicity of their cut was singularly appropriate to her figure and to her movements, which her sleeves appeared to be symbolising in colours that varied from day to day: one would have said that there was a sudden determination in the blue velvet, an easy-going good humour in the white taffeta, and that a sort of supreme discretion full of dignity in her way of holding out her arm had, in order to become visible, put on the appearance, dazzling with the smile of one who had made great sacrifices, of the black crêpe-de-Chine. But at the same time these animated gowns took from the complication of their trimmings, none of which had any practical value or served any conceivable purpose, something detached, pensive, secret, in harmony with the melancholy which Mme. Swann never failed to shew, at least in the shadows under her eyes and the drooping arches of her hands. Beneath the profusion of sapphire charms, enamelled four-leaf clovers, silver medals, gold medallions, turquoise amulets, ruby chains and topaz chestnuts there would be, on the dress itself, some design carried out in colour which pursued across the surface of an inserted panel a preconceived existence of its own, some row of little satin buttons, which buttoned nothing and could not be unbuttoned, a strip of braid that sought to please the eye with the minuteness, the discretion of a delicate reminder; and these, as well as the trinkets, had the effect — for otherwise there would have been no possible justification of their presence — of disclosing a secret intention, being a pledge of affection, keeping a secret, ministering to a superstition, commemorating a recovery from sickness, a granted wish, a love affair or a ‘philippine.′ And now and then in the blue velvet of the bodice a hint of ‘slashes,′ in the Henri II style, in the gown of black satin a slight swelling which, if it was in the sleeves, just below the shoulders, made one think of the ‘leg of mutton′ sleeves of 1830, or if, on the other hand, it was beneath the skirt, with its Louis XV paniers, gave the dress a just perceptible air of being ‘fancy dress′ and at all events, by insinuating beneath the life of the present day a vague reminiscence of the past, blended with the person of Mme. Swann the charm of certain heroines of history or romance. And if I were to draw her attention to this: “I don′t play golf,” she would answer, “like so many of my friends. So I should have no excuse for going about, as they do, in sweaters.”
Dans la confusion du salon, revenant de reconduire une visite, ou prenant une assiette de gâteaux pour les offrir à une autre, Mme Swann en passant près de moi, me prenait une seconde à part: «Je suis spécialement chargée par Gilberte de vous inviter à déjeuner pour après-demain. Comme je n′étais pas certaine de vous voir, j′allais vous écrire si vous n′étiez pas venu.» Je continuais à résister. Et cette résistance me coûtait de moins en moins, parce qu′on a beau aimer le poison qui vous fait du mal, quand on en est privé par quelque nécessité, depuis déjà un certain temps, on ne peut pas ne pas attacher quelque prix au repos qu′on ne connaissait plus, à l′absence d′émotions et de souffrances. Si l′on n′est pas tout à fait sincère en se disant qu′on ne voudra jamais revoir celle qu′on aime, on ne le serait pas non plus en disant qu′on veut la revoir. Car, sans doute, on ne peut supporter son absence qu′en se la promettant courte, en pensant au jour où on se retrouvera, mais d′autre part on sent à quel point ces rêves quotidiens d′une réunion prochaine et sans cesse ajournée sont moins douloureux que ne serait une entrevue qui pourrait être suivie de jalousie, de sorte que la nouvelle qu′on va revoir celle qu′on aime donnerait une commotion peu agréable. Ce qu′on recule maintenant de jour en jour, ce n′est plus la fin de l′intolérable anxiété causée par la séparation, c′est le recommencement redouté d′émotions sans issue. Comme à une telle entrevue on préfère le souvenir docile qu′on complète à son gré de rêveries où celle qui, dans la réalité ne vous aime pas, vous fait au contraire des déclarations, quand vous êtes tout seul; ce souvenir qu′on peut arriver en y mêlant peu à peu beaucoup de ce qu′on désire à rendre aussi doux qu′on veut, comme on le préfère à l′entretien ajourné où on aurait affaire à un être à qui on ne dicterait plus à son gré les paroles qu′on désire, mais dont on subirait les nouvelles froideurs, les violences inattendues. Nous savons tous quand nous n′aimons plus, que l′oubli, même le souvenir vague ne causent pas tant de souffrances que l′amour malheureux. C′est d′un tel oubli anticipé que je préférais sans me l′avouer, la reposante douceur. In the confusion of her drawing-room, on her way from shewing out one visitor, or with a plateful of cakes to ‘tempt′ another, Mme. Swann as she passed by me would take me aside for a moment: “I have special instructions from Gilberte that you are to come to luncheon the day after to-morrow. As I wasn′t sure of seeing you here, I was going to write to you if you hadn′t come.” I continued to resist. And this resistance was costing me steadily less and less, because, however much one may love the poison that is destroying one, when one has compulsorily to do without it, and has had to do without it for some time past, one cannot help attaching a certain value to the peace of mind which one had ceased to know, to the absence of emotion and suffering. If one is not altogether sincere in assuring oneself that one does not wish ever to see again her whom one loves, one would not be a whit more sincere in saying that one would like to see her. For no doubt one can endure her absence only when one promises oneself that it shall not be for long, and thinks of the day on which one shall see her again, but at the same time one feels how much less painful are those daily recurring dreams of a meeting immediate and incessantly postponed than would be an interview which might be followed by a spasm of jealousy, with the result that the news that one is shortly to see her whom one loves would cause a disturbance which would be none too pleasant. What one procrastinates now from day to day is no longer the end of the intolerable anxiety caused by separation, it is the dreaded renewal of emotions which can lead to nothing. How infinitely one prefers to any such interview the docile memory which one can supplement at one′s pleasure with dreams, in which she who in reality does not love one seems, far from that, to be making protestations of her love for one, when one is by oneself; that memory which one can contrive, by blending gradually with it a portion of what one desires, to render as pleasing as one may choose, how infinitely one prefers it to the avoided interview in which one would have to deal with a creature to whom one could no longer dictate at one′s pleasure the words that one would like to hear on her lips, but from whom one would meet with fresh coldness, unlooked-for violence. We know, all of us, when we no longer love, that forgetfulness, that even a vague memory do not cause us so much suffering as an ill-starred love. It was of such forgetfulness that in anticipation I preferred, without acknowledging it to myself, the reposeful tranquillity.
D′ailleurs, ce qu′une telle cure de détachement psychique et d′isolement peut avoir de pénible, le devient de moins en moins pour une autre raison, c′est qu′elle affaiblit, en attendant de la guérir, cette idée fixe qu′est un amour. Le mien était encore assez fort pour que je tinsse à reconquérir tout mon prestige aux yeux de Gilberte, lequel, par ma séparation volontaire devait, me semblait-il, grandir progressivement, de sorte que chacune de ces calmes et tristes journées où je ne la voyais pas, venant chacune après l′autre, sans interruption, sans prescription (quand un fâcheux ne se mêlait pas de mes affaires), était une journée non pas perdue, mais gagnée. Inutilement gagnée peut-être, car bientôt on pourrait me déclarer guéri. La résignation, modalité de l′habitude, permet à certaines forces de s′accroître indéfiniment. Celles, si infimes que j′avais pour supporter mon chagrin, le premier soir de ma brouille avec Gilberte, avaient été portées depuis lors à une puissance incalculable. Seulement la tendance de tout ce qui existe à se prolonger, est parfois coupée de brusques impulsions auxquelles nous nous concédons avec d′autant moins de scrupules de nous laisser aller que nous savons pendant combien de jours, de mois, nous avons pu, nous pourrions encore, nous priver. Et souvent, c′est quand la bourse où l′on épargne va être pleine qu′on la vide tout d′un coup, c′est sans attendre le résultat du traitement et quand déjà on s′est habitué à lui, qu′on le cesse. Et un jour où Mme Swann me redisait ses habituelles paroles sur le plaisir que Gilberte aurait à me voir, mettant ainsi le bonheur dont je me privais déjà depuis si longtemps comme à la portée de ma main, je fus bouleversé en comprenant qu′il était encore possible de le goûter; et j′eus peine à attendre le lendemain; je venais de me résoudre à aller surprendre Gilberte avant son dîner. Moreover, whatever discomfort there may be in such a course of psychical detachment and isolation grows steadily less for another reason, namely that it weakens while it is in process of healing that fixed obsession which is a state of love. Mine was still strong enough for me to be able to count upon recapturing my old position in Gilberte′s estimation, which in view of my deliberate abstention must, it seemed to me, be steadily increasing; in other words each of those calm and melancholy days on which I did not see her, coming one after the other without interruption, continuing too without prescription (unless some busy-body were to meddle in my affairs), was a day not lost but gained. Gained to no purpose, it might be, for presently they would be able to pronounce that I was healed. Resignation, modulating our habits, allows certain elements of our strength to be indefinitely increased. Those — so wretchedly inadequate — that I had had to support my grief, on the first evening of my rupture with Gilberte, had since multiplied to an incalculable power. Only, the tendency which everything that exists has to prolong its own existence is sometimes interrupted by sudden impulses to which we give way with all the fewer scruples over letting ourselves go since we know for how many days, for how many months even we have been able, and might still be able to abstain. And often it is when the purse in which we hoard our savings is nearly full that we undo and empty it, it is without waiting for the result of our medical treatment and when we have succeeded in growing accustomed to it that we abandon it. So, one day, when Mme. Swann was repeating her familiar statement of what a pleasure it would be to Gilberte to see me, thus putting the happiness of which I had now for so long been depriving myself, as it were within arm′s length, I was stupefied by the realisation that it was still possible for me to enjoy that pleasure, and I could hardly wait until next day, when I had made up my mind to take Gilberte by surprise, in the evening, before dinner.
Ce qui m′aida à patienter tout l′espace d′une journée fut un projet que je fis. Du moment que tout était oublié, que j′étais réconcilié avec Gilberte, je ne voulais plus la voir qu′en amoureux. Tous les jours elle recevrait de moi les plus belles fleurs qui fussent. Et si Mme Swann, bien qu′elle n′eût pas le droit d′être une mère trop sévère, ne me permettait pas des envois de fleurs quotidiens, je trouverais des cadeaux plus précieux et moins fréquents. Mes parents ne me donnaient pas assez d′argent pour acheter des choses chères. Je songeai à une grande potiche de vieux Chine qui me venait de ma tante Léonie et dont maman prédisait chaque jour que Françoise allait venir en lui disant: «A s′est décollée» et qu′il n′en resterait rien. Dans ces conditions n′était-il pas plus sage de la vendre, de la vendre pour pouvoir faire tout le plaisir que je voudrais à Gilberte. Il me semblait que je pourrais bien en tirer mille francs. Je la fis envelopper; l′habitude m′avait empêché de jamais la voir: m′en séparer eut au moins un avantage qui fut de me faire faire sa connaissance. Je l′emportai avec moi avant d′aller chez les Swann, et en donnant leur adresse au cocher, je lui dis de prendre, par les Champs-Élysées, au coin desquels était le magasin d′un grand marchand de chinoiseries que connaissait mon père. A ma grande surprise, il m′offrit séance tenante de la potiche non pas mille, mais dix mille francs. Je pris ces billets avec ravissement; pendant toute une année, je pourrais combler chaque jour Gilberte de roses et de lilas. Quand je fus remonté dans la voiture en quittant le marchand, le cocher, tout naturellement, comme les Swann demeuraient près du Bois, se trouva, au lieu du chemin habituel, descendre l′avenue des Champs-Élysées. Il avait déjà dépassé le coin de la rue de Berri, quand, dans le crépuscule, je crus reconnaître, très près de la maison des Swann mais allant dans la direction inverse et s′en éloignant, Gilberte qui marchait lentement, quoique d′un pas délibéré à côté d′un jeune homme avec qui elle causait et duquel je ne pus distinguer le visage. Je me soulevai dans la voiture, voulant faire arrêter, puis j′hésitai. Les deux promeneurs étaient déjà un peu loin et les deux lignes douces et parallèles que traçait leur lente promenade allaient s′estompant dans l′ombre élyséenne. Bientôt j′arrivai devant la maison de Gilberte. Je fus reçu par Mme Swann: «Oh! elle va être désolée, me dit-elle, je ne sais pas comment elle n′est pas là. Elle a eu très chaud tantôt à un cours, elle m′a dit qu′elle voulait aller prendre un peu l′air avec une de ses amies.» «Je crois que je l′ai aperçue avenue des Champs-Élysées Je ne pense pas que ce fût elle. En tous cas ne le dites pas à son père, il n′aime pas qu′elle sorte à ces heures-là. Good evening.» Je partis, dis au cocher de reprendre le même chemin, mais ne retrouvai pas les deux promeneurs. Où avaient-ils été? Que se disaient-ils dans le soir, de cet air confidentiel? What helped me to remain patient throughout the long day that followed was another plan that I had made. From the moment in which everything was forgotten, in which I was reconciled to Gilberte, I no longer wished to visit her save as a lover. Every day she should receive from me the finest flowers that grew. And if Mme. Swann, albeit she had no right to be too severe a mother, should forbid my making a daily offering of flowers, I should find other gifts, more precious and less frequent. My parents did not give me enough money for me to be able to buy expensive things. I thought of a big bowl of old Chinese porcelain which had been left to me by aunt Léonie, and of which Mamma prophesied daily that Françoise would come running to her with an “Oh, it′s all come to pieces!” and that that would be the end of it. Would it not be wiser, in that case, to part with it, to sell it so as to be able to give Gilberte all the pleasure I could. I felt sure that I could easily get a thousand francs for it. I had it tied up in paper; I had grown so used to it that I had ceased altogether to notice it; parting with it had at least the advantage of making me realise what it was like. I took it with me as I started for the Swanns′, and, giving the driver their address, told him to go by the Champs-Elysées, at one end of which was the shop of a big dealer in oriental things, who knew my father. Greatly to my surprise he offered me there and then not one thousand but ten thousand francs for the bowl. I took the notes with rapture. Every day, for a whole year, I could smother Gilberte in roses and lilac. When I left the shop and got into my cab again the driver (naturally enough, since the Swanns lived out by the Bois) instead of taking the ordinary way began to drive me along the Avenue des Champs-Elysées. He had just passed the end of the Rue de Berri when, in the failing light, I thought I saw, close to the Swanns′ house but going in the other direction, going away from it, Gilberte, who was walking slowly, though with a firm step, by the side of a young man with whom she was conversing, but whose face I could not distinguish. I stood up in the cab, meaning to tell the driver to stop; then hesitated. The strolling couple were already some way away, and the parallel lines which their leisurely progress was quietly drawing were on the verge of disappearing in the Elysian gloom. A moment later, I had reached Gilberte′s door. I was received by Mme. Swann. “Oh! she will be sorry!” was my greeting, “I can′t think why she isn′t in. She came home just now from a lesson, complaining of the heat, and said she was going out for a little fresh air with another girl.” “I fancy I passed her in the Avenue des Champs-Elysées.” “Oh, I don′t think it can have been. Anyhow, don′t mention it to her father; he doesn′t approve of her going out at this time of night. Must you go? Good-bye.” I left her, told my driver to go home the same way, but found no trace of the two walking figures. Where had they been? What were they saying to one another in the darkness so confidentially?
Je rentrai, tenant avec désespoir les dix mille francs inespérés qui avaient dû me permettre de faire tant de petits plaisirs à cette Gilberte que, maintenant, j′étais décidé à ne plus revoir. Sans doute, cet arrêt chez le marchand de chinoiseries m′avait réjoui en me faisant espérer que je ne verrais plus jamais mon amie que contente de moi et reconnaissante. Mais si je n′avais pas fait cet arrêt, si la voiture n′avait pas pris par l′avenue des Champs-Élysées, je n′eusse pas rencontré Gilberte et ce jeune homme. Ainsi un même fait porte des rameaux opposites et le malheur qu′il engendre annule le bonheur qu′il avait causé. Il m′était arrivé le contraire de ce qui se produit si fréquemment. On désire une joie, et le moyen matériel de l′atteindre fait défaut. «Il est triste, a dit Labruyère, d′aimer sans une grande fortune.» Il ne reste plus qu′à essayer d′anéantir peu à peu le désir de cette joie. Pour moi, au contraire, le moyen matériel avait été obtenu, mais, au même moment, sinon par un effet logique, du moins par une conséquence fortuite de cette réussite première, la joie avait été dérobée. Il semble, d′ailleurs, qu′elle doive nous l′être toujours. D′ordinaire, il est vrai, pas dans la même soirée où nous avons acquis ce qui la rend possible. Le plus souvent nous continuons de nous évertuer et d′espérer quelque temps. Mais le bonheur ne peut jamais avoir lieu. Si les circonstances arrivent à être surmontées, la nature transporte la lutte du dehors au dedans et fait peu à peu changer assez notre cur pour qu′il désire autre chose que ce qu′il va posséder. Et si la péripétie a été si rapide que notre cur n′a pas eu le temps de changer, la nature ne désespère pas pour cela de nous vaincre, d′une manière plus tardive il est vrai, plus subtile, mais aussi efficace. C′est alors à la dernière seconde que la possession du bonheur nous est enlevée, ou plutôt c′est cette possession même que par une ruse diabolique la nature charge de détruire le bonheur. Ayant échoué dans tout ce qui était du domaine des faits et de la vie, c′est une impossibilité dernière, l′impossibilité psychologique du bonheur que la nature crée. Le phénomène du bonheur ne se produit pas ou donne lieu aux réactions les plus amères. I returned home, desperately clutching my windfall of ten thousand francs, which would have enabled me to arrange so many pleasant surprises for that Gilberte whom now I had made up my mind never to see again. No doubt my call at the dealer′s had brought me happiness by allowing me to expect that in future, whenever I saw my friend, she would be pleased with me and grateful. But if I had not called there, if my cabman had not taken the Avenue des Champs-Elysées, I should not have seen Gilberte with that young man. Thus a single action may have two contradictory effects, and the misfortune that it engenders cancel the good fortune that it has already brought one. There had befallen me the opposite of what so frequently happens. We desire some pleasure, and the material means of obtaining it are lacking. “It is a mistake,” Labruyère tells us, “to be in love without an ample fortune.” There is nothing for it but to attempt a gradual elimination of our desire for that pleasure. In my case, however, the material means had been forthcoming, but at the same moment, if not by a logical effect, at any rate as a fortuitous consequence of that initial success, my pleasure had been snatched from me. As, for that matter, it seems as though it must always be. As a rule, however, not on the same evening on which we have acquired what makes it possible. Usually, we continue to struggle and to hope for a little longer. But the pleasure can never be realised. If we succeed in overcoming the force of circumstances, nature at once shifts the battle-ground, placing it within ourselves, and effects a gradual change in our heart until it desires something other than what it is going to obtain. And if this transposition has been so rapid that our heart has not had time to change, nature does not, on that account, despair of conquering us, in a manner more gradual, it is true, more subtle, but no less efficacious. It is then, at the last moment, that the possession of our happiness is wrested from us, or rather it is that very possession which nature, with diabolical cleverness, uses to destroy our happiness. After failure in every quarter of the domain of life and action, it is a final incapacity, the mental incapacity for happiness, that nature creates in us. The phenomenon, of happiness either fails to appear, or at once gives way to the bitterest of reactions.
Je serrai les dix mille francs. Mais ils ne me servaient plus à rien. Je les dépensai du reste encore plus vite que si j′eusse envoyé tous les jours des fleurs à Gilberte, car quand le soir venait, j′étais si malheureux que je ne pouvais rester chez moi et allais pleurer dans les bras de femmes que je n′aimais pas. Quant à chercher à faire un plaisir quelconque à Gilberte, je ne le souhaitais plus; maintenant retourner dans la maison de Gilberte n′eût pu que me faire souffrir. Même revoir Gilberte, qui m′eût été si délicieux la veille ne m′eût plus suffi. Car j′aurais été inquiet tout le temps où je n′aurais pas été près d′elle. C′est ce qui fait qu′une femme par toute nouvelle souffrance qu′elle nous inflige, souvent sans le savoir, augmente son pouvoir sur nous, mais aussi nos exigences envers elle. Par ce mal qu′elle nous a fait, la femme nous cerne de plus en plus, redouble nos chaînes, mais aussi celles dont il nous aurait jusque-là semblé suffisant de la garotter pour que nous nous sentions tranquilles. La veille encore, si je n′avais pas cru ennuyer Gilberte, je me serais contenté de réclamer de rares entrevues, lesquelles maintenant ne m′eussent plus contenté et que j′eusse remplacées par bien d′autres conditions. Car en amour, au contraire de ce qui se passe après les combats, on les fait plus dures, on ne cesse de les aggraver, plus on est vaincu, si toutefois on est en situation de les imposer. Ce n′était pas mon cas à l′égard de Gilberte. Aussi je préférai d′abord ne pas retourner chez sa mère. Je continuais bien à me dire que Gilberte ne m′aimait pas, que je le savais depuis assez longtemps, que je pouvais la revoir si je voulais, et, si je ne le voulais pas, l′oublier à la longue. Mais ces idées, comme un remède qui n′agit pas contre certaines affections, étaient sans aucune espèce de pouvoir efficace contre ces deux lignes parallèles que je revoyais de temps à autre, de Gilberte et du jeune homme s′enfonçant à petits pas dans l′avenue des Champs-Élysées. C′était un mal nouveau, qui lui aussi finirait par s′user, c′était une image qui un jour se présenterait à mon esprit entièrement décantée de tout ce qu′elle contenait de nocif, comme ces poisons mortels qu′on manie sans danger, comme un peu de dynamite à quoi on peut allumer sa cigarette sans crainte d′explosion. En attendant, il y avait en moi une autre force qui luttait de toute sa puissance, contre cette force malsaine qui me représentait sans changement la promenade de Gilberte dans le crépuscule: pour briser les assauts renouvelés de ma mémoire, travaillait utilement en sens inverse mon imagination. La première de ces deux forces, certes, continuait à me montrer ces deux promeneurs de l′avenue des Champs-Élysées, et m′offrait d′autres images désagréables, tirées du passé, par exemple Gilberte haussant les épaules quand sa mère lui demandait de rester avec moi. Mais la seconde force, travaillant sur le canevas de mes espérances, dessinait un avenir bien plus complaisamment développé que ce pauvre passé en somme si restreint. Pour une minute où je revoyais Gilberte maussade, combien n′y en avait-il pas où je combinais une démarche qu′elle ferait faire pour notre réconciliation, pour nos fiançailles peut-être. Il est vrai que cette force que l′imagination dirigeait vers l′avenir, elle la puisait malgré tout dans le passé. Au fur et à mesure que s′effacerait mon ennui que Gilberte eût haussé les épaules, diminuerait aussi le souvenir de son charme, souvenir qui me faisait souhaiter qu′elle revînt vers moi. Mais j′étais encore bien loin de cette mort du passé. J′aimais toujours celle qu′il est vrai que je croyais détester. Mais chaque fois qu′on me trouvait bien coiffé, ayant bonne mine, j′aurais voulu qu′elle fût là. J′étais irrité du désir que beaucoup de gens manifestèrent à cette époque de me recevoir et chez lesquels je refusai d′aller. Il y eut une scène à la maison parce que je n′accompagnai pas mon père à un dîner officiel où il devait y avoir les Bontemps avec leur nièce Albertine, petite jeune fille, presque encore enfant. Les différentes périodes de notre vie se chevauchent ainsi l′une l′autre. On refuse dédaigneusement, à cause de ce qu′on aime et qui vous sera un jour si égal, de voir ce qui vous est égal aujourd′hui, qu′on aimera demain, qu′on aurait peut-être pu, si on avait consenti à le voir, aimer plus tôt, et qui eût ainsi abrégé vos souffrances actuelles, pour les remplacer il est vrai par d′autres. Les miennes allaient se modifiant. J′avais l′étonnement d′apercevoir au fond de moi-même, un jour un sentiment, le jour suivant un autre, généralement inspirés par telle espérance ou telle crainte relatives à Gilberte. A la Gilberte que je portais en moi. J′aurais dû me dire que l′autre, la réelle, était peut-être entièrement différente de celle-là, ignorait tous les regrets que je lui prêtais, pensait probablement beaucoup moins à moi non seulement que moi à elle, mais que je ne la faisais elle-même penser à moi quand j′étais seul en tête à tête avec ma Gilberte fictive, cherchais quelles pouvaient être ses vraies intentions à mon égard et l′imaginais ainsi, son attention toujours tournée vers moi. I put my ten thousand francs in a drawer. But they were no longer of any use to me. I ran through them, as it happened, even sooner than if I had sent flowers every day to Gilberte, for when evening came I was always too wretched to stay in the house and used to go and pour out my sorrows upon the bosoms of women whom I did not love. As for seeking to give any sort of pleasure to Gilberte, I no longer thought of that; to visit her house again now could only have added to my sufferings. Even the sight of Gilberte, which would have been so exquisite a pleasure only yesterday, would no longer have sufficed me. For I should have been miserable all the time that I was not actually with her. That is how a woman, by every fresh torture that she inflicts on us, increases, often quite unconsciously, her power over us and at the same time our demands upon her. With each injury that she does us, she encircles us more and more completely, doubles our chains — but halves the strength of those which hitherto we had thought adequate to bind her in order that we might retain our own peace of mind. Only yesterday, had I not been afraid of annoying Gilberte, I should have been content to ask for no more than occasional meetings, which now would no longer have contented me and for which I should now have substituted quite different terms. For in this respect love is not like war; after the battle is ended we renew the fight with keener ardour, which we never cease to intensify the more thoroughly we are defeated, provided always that we are still in a position to give battle. This was not my position with regard to Gilberte. Also I preferred, at first, not to see her mother again. I continued, it is true, to assure myself that Gilberte did not love me, that I had known this for ever so long, that I could see her again if I chose, and, if I did not choose, forget her in course of time. But these ideas, like a remedy which has no effect upon certain complaints, had no power whatsoever to obliterate those two parallel lines which I kept on seeing, traced by Gilberte and the young man as they slowly disappeared along the Avenue des Champs-Elysées. This was a fresh misfortune, which like the rest would gradually lose its force, a fresh image which would one day present itself to my mind′s eye completely purged of every noxious element that it now contained, like those deadly poisons which one can handle without danger, or like a crumb of dynamite which one can use to light one′s cigarette without fear of an explosion. Meanwhile there was in me another force which was striving with all its might to overpower that unwholesome force which still shewed me, without alteration, the figure of Gilberte walking in the dusk: to meet and to break the shock of the renewed assaults of memory, I had, toiling effectively on the other side, imagination. The former force did indeed continue to shew me that couple walking in the Champs-Elysées, and offered me other disagreeable pictures drawn from the past, as for instance Gilberte shrugging her shoulders when her mother asked her to stay and entertain me. But the other force, working upon the canvas of my hopes, outlined a future far more attractively developed than this poor past which, after all, was so restricted. For one minute in which I saw Gilberte′s sullen face, how many were there in which I planned to my own satisfaction all the steps that she was to take towards our reconciliation, perhaps even towards our betrothal. It is true that this force, which my imagination was concentrating upon the future, it was drawing, for all that, from the past. I was still in love with her whom, it is true, I believed that I detested. But whenever anyone told me that I was looking well, or was nicely dressed, I wished that she could have been there to see me. I was irritated by the desire that many people shewed about this time to ask me to their houses, and refused all their invitations. There was a scene at home because I did not accompany my father to an official dinner at which the Bontemps were to be present with their niece Albertine, a young girl still hardly more than a child. So it is that the different periods of our life overlap one another. We scornfully decline, because of one whom we love and who will some day be of so little account, to see another who is of no account to-day, with whom we shall be in love to-morrow, with whom we might, perhaps, had we consented to see her now, have fallen in love a little earlier and who would thus have put a term to our present sufferings, bringing others, it is true, in their place. Mine were steadily growing less. I had the surprise of discovering in my own heart one sentiment one day, another the next, generally inspired by some hope or some fear relative to Gilberte. To the Gilberte whom I kept within me. I ought to have reminded myself that the other, the real Gilberte, was perhaps entirely different from mine, knew nothing of the regrets that I ascribed to her, was thinking probably less about me, not merely than I was thinking about her but that I made her be thinking about me when I was closeted alone with my fictitious Gilberte, wondering what really were her feelings with regard to me and so imagining her attention as constantly directed towards myself.
Pendant ces périodes où, tout en s′affaiblissant, persiste le chagrin, il faut distinguer entre celui que nous cause la pensée constante de la personne elle-même, et celui que raniment certains souvenirs, telle phrase méchante dite, tel verbe employé dans une lettre qu′on a reçue. En réservant de décrire à l′occasion d′un amour ultérieur, les formes diverses du chagrin, disons que de ces deux-là, la première est infiniment moins cruelle que la seconde. Cela tient à ce que notre notion de la personne vivant toujours en nous, y est embellie de l′auréole que nous ne tardons pas à lui rendre, et s′empreint sinon des douceurs fréquentes de l′espoir, tout au moins du calme d′une tristesse permanente. (D′ailleurs, il est à remarquer que l′image d′une personne qui nous fait souffrir tient peu de place, dans ces complications qui aggravent un chagrin d′amour, le prolongent et l′empêchent de guérir, comme dans certaines maladies la cause est hors de proportions avec la fièvre consécutive et la lenteur à entrer en convalescence.) Mais si l′idée de la personne que nous aimons reçoit le reflet d′une intelligence généralement optimiste, il n′en est pas de même de ces souvenirs particuliers, de ces propos méchants, de cette lettre hostile (je n′en reçus qu′une seule qui le fût, de Gilberte), on dirait que la personne elle-même réside dans ces fragments pourtant si restreints et portée à une puissance qu′elle est bien loin d′avoir dans l′idée habituelle que nous formons d′elle tout entière. C′est que la lettre nous ne l′avons pas comme l′image de l′être aimé, contemplée dans le calme mélancolique du regret; nous l′avons lue, dévorée, dans l′angoisse affreuse dont nous étreignait un malheur inattendu. La formation de cette sorte de chagrins est autre; ils nous viennent du dehors et c′est par le chemin de la plus cruelle souffrance qu′ils sont allés jusqu′à notre cur. L′image de notre amie que nous croyons ancienne, authentique, a été en réalité refaite par nous bien des fois. Le souvenir cruel lui, n′est pas contemporain de cette image restaurée, il est d′un autre âge, il est un des rares témoins d′un monstrueux passé. Mais comme ce passé continue à exister, sauf en nous à qui il a plu de lui substituer un merveilleux âge d′or, un paradis où tout le monde sera réconcilié, ces souvenirs, ces lettres, sont un rappel à la réalité et devraient nous faire sentir par le brusque mal qu′ils nous font, combien nous nous sommes éloignés d′elle dans les folles espérances de notre attente quotidienne. Ce n′est pas que cette réalité doive toujours rester la même bien que cela arrive parfois. Il y a dans notre vie bien des femmes que nous n′avons jamais cherché à revoir et qui ont tout naturellement répondu à notre silence nullement voulu par un silence pareil. Seulement celles-là, comme nous ne les aimions pas, nous n′avons pas compté les années passées loin d′elles, et cet exemple qui l′infirmerait est négligé par nous quand nous raisonnons sur l′efficacité de l′isolement, comme le sont, par ceux qui croient aux pressentiments, tous les cas où les leurs ne furent pas vérifiés. During those periods in which our bitterness of spirit, though steadily diminishing, still persists, a distinction must be drawn between the bitterness which comes to us from our constantly thinking of the person herself and that which is revived by certain memories, some cutting speech, some word in a letter that we have had from her. The various forms which that bitterness can assume we shall examine when we come to deal with another and later love affair; for the present it must suffice to say that, of these two kinds, the former is infinitely the less cruel. That is because our conception of the person, since it dwells always within ourselves, is there adorned with the halo with which we are bound before long to invest her, and bears the marks if not of the frequent solace of hope, at any rate of the tranquillity of a permanent sorrow. (It must also be observed that the image of a person who makes us suffer counts for little if anything in those complications which aggravate the unhappiness of love, prolong it and prevent our recovery, just as in certain maladies the cause is insignificant beyond comparison with the fever which follows it and the time that must elapse before our convalescence.) But if the idea of the person whom we love catches and reflects a ray of light from a mind which is on the whole optimistic, it is not so with those special memories, those cutting words, that inimical letter (I received only one that could be so described from Gilberte); you would say that the person herself dwelt in those fragments, few and scattered as they were, and dwelt there multiplied to a power of which she falls ever so far short in the idea which we are accustomed to form of her as a whole. Because the letter has not — as the image of the beloved creature has — been contemplated by us in the melancholy calm of regret; we have read it, devoured it in the fearful anguish with which we were wrung by an unforeseen misfortune. Sorrows of this sort come to us in another way; from without; and it is along the road of the most cruel suffering that they have penetrated to our heart. The picture of our friend in our mind, which we believe to be old, original, authentic, has in reality been refashioned by her many times over. The cruel memory is not itself contemporary with the restored picture, it is of another age, it is one of the rare witnesses to a monstrous past. But inasmuch as this past continues to exist, save in ourselves, who have been pleased to substitute for it a miraculous age of gold, a paradise in which all mankind shall be reconciled, those memories, those letters carry us back to reality, and cannot but make us feel, by the sudden pang they give us, what a long way we have been borne from that reality by the baseless hopes engendered daily while we waited for something to happen. Not that the said reality is bound always to remain the same, though that does indeed happen at times. There are in our life any number of women whom we have never wished to see again, and who have quite naturally responded to our in no way calculated silence with a silence as profound. Only in their case as we never loved them, we have never counted the years spent apart from them, and this instance, which would invalidate our whole argument, we are inclined to forget when we are considering the healing effect of isolation, just as people who believe in presentiments forget all the occasions on which their own have not ‘come true.′
Mais enfin l′éloignement peut être efficace. Le désir, l′appétit de nous revoir, finissent par renaître dans le cur qui actuellement nous méconnaît. Seulement il y faut du temps. Or, nos exigences en ce qui concerne le temps ne sont pas moins exorbitantes que celles réclamées par le cur pour changer. D′abord, du temps, c′est précisément ce que nous accordons le moins aisément, car notre souffrance est cruelle et nous sommes pressés de la voir finir. Ensuite, ce temps dont l′autre cur aura besoin pour changer, le nôtre s′en servira pour changer lui aussi, de sorte que quand le but que nous nous proposions deviendra accessible, il aura cessé d′être un but pour nous. D′ailleurs, l′idée même qu′il sera accessible, qu′il n′est pas de bonheur que, lorsqu′il ne sera plus un bonheur pour nous, nous ne finissions par atteindre, cette idée comporte une part, mais une part seulement, de vérité. Il nous échoit quand nous y sommes devenus indifférents. Mais précisément cette indifférence nous a rendus moins exigeants et nous permet de croire rétrospectivement qu′il nous eût ravi à une époque où il nous eût peut-être semblé fort incomplet. On n′est pas très difficile ni très bon juge sur ce dont on ne se soucie point. L′amabilité d′un être que nous n′aimons plus et qui semble encore excessive à notre indifférence eût peut-être été bien loin de suffire à notre amour. Ces tendres paroles, cette offre d′un rendez-vous, nous pensons au plaisir qu′elles nous auraient causé, non à toutes celles dont nous les aurions voulu voir immédiatement suivies et que par cette avidité nous aurions peut-être empêché de se produire. De sorte qu′il n′est pas certain que le bonheur survenu trop tard, quand on ne peut plus en jouir, quand on n′aime plus, soit tout à fait ce même bonheur dont le manque nous rendit jadis si malheureux. Une seule personne pourrait en décider, notre moi d′alors; il n′est plus là; et sans doute suffirait-il qu′il revînt, pour que, identique ou non, le bonheur s′évanouît. But, after a time, absence may prove efficacious. The desire, the appetite for seeing us again may after all be reborn in the heart which at present contemns us. Only, we must allow time. Now the demands which we ourselves make upon time are no less exorbitant than those of a heart in process of changing. For one thing, time is the very thing that we are least willing to allow, for our own suffering is keen and we are anxious to see it brought to an end. And then, too, the interval of time which the other heart needs to effect its change our own heart will have spent in changing itself also, so that when the goal which we had set ourselves becomes attainable it will have ceased to count as a goal, or to seem worth attaining. This idea, however, that it will be attainable, that what, when it no longer spells any good fortune to us, we shall ultimately secure is not good fortune, this idea embodies a part, but a part only of the truth. Our good fortune accrues to us when we have grown indifferent to it. But the very fact of our indifference will have made us less exacting, and allow us in retrospect to feel convinced that we should have been in raptures over our good fortune had it come at a time when, very probably, it would have seemed to us miserably inadequate. People are not very hard to satisfy nor are they very good judges of matters in which they take no interest. The friendly overtures of a person whom we no longer love, overtures which strike us, in our indifference to her, as excessive, would perhaps have fallen a long way short of satisfying our love. Those tender speeches, that invitation or acceptance, we think only of the pleasure which they would have given us, and not of all those other speeches and meetings by which we should have wished to see them immediately followed, which we should, as likely as not, simply by our avidity for them, have precluded from ever happening. So that we can never be certain that the good fortune which comes to us too late, when we are no longer in love, is altogether the same as that good fortune the want of which made us, at one time, so unhappy. There is only one person who could decide that; our ego of those days; he is no longer with us, and were he to reappear, no doubt that would be quite enough to make our good fortune — whether identical or not — vanish.
En attendant ces réalisations après coup d′un rève auquel je ne tiendrais plus, à force d′inventer, comme au temps où je connaissais à peine Gilberte, des paroles, des lettres, où elle implorait mon pardon, avouait n′avoir jamais aimé que moi et demandait à m′épouser, une série de douces images incessamment recréées, finirent par prendre plus de place dans mon esprit que la vision de Gilberte et du jeune homme, laquelle n′était plus alimentée par rien. Je serais peut-être dès lors retourné chez Mme Swann sans un rêve que je fis et où un de mes amis, lequel n′était pourtant pas de ceux que je me connaissais, agissait envers moi avec la plus grande fausseté et croyait à la mienne. Brusquement réveillé par la souffrance que venait de me causer ce rêve et voyant qu′elle persistait, je repensai à lui, cherchai à me rappeler quel était l′ami que j′avais vu en dormant et dont le nom espagnol n′était déjà plus distinct. A la fois Joseph et Pharaon, je me mis à interpréter mon rêve. Je savais que dans beaucoup d′entre eux il ne faut tenir compte ni de l′apparence des personnes lesquelles peuvent être déguisées et avoir interchangé leurs visages, comme ces saints mutilés des cathédrales que des archéologues ignorants ont refaits, en mettant sur le corps de l′un la tête de l′autre, et en mêlant les attributs et les noms. Ceux que les êtres portent dans un rêve peuvent nous abuser. La personne que nous aimons doit y être reconnue seulement à la force de la douleur éprouvée. La mienne m′apprit que devenue pendant mon sommeil un jeune homme, la personne dont la fausseté récente me faisait encore mal était Gilberte. Je me rappelai alors que la dernière fois que je l′avais vue, le jour où sa mère l′avait empêchée d′aller à une matinée de danse, elle avait soit sincèrement, soit en le feignant, refusé tout en riant d′une façon étrange de croire à mes bonnes intentions pour elle. Par association, ce souvenir en ramena un autre dans ma mémoire. Longtemps auparavant, ç‘avait été Swann qui n′avait pas voulu croire à ma sincérité, ni que je fusse un bon ami pour Gilberte. Inutilement je lui avais écrit, Gilberte m′avait rapporté ma lettre et me l′avait rendue avec le même rire incompréhensible. Elle ne me l′avait pas rendue tout de suite, je me rappelai toute la scène derrière le massif de lauriers. On devient moral dès qu′on est malheureux. L′antipathie actuelle de Gilberte pour moi me sembla comme un châtiment infligé par la vie à cause de la conduite que j′avais eue ce jour-là. Les châtiments on croit les éviter, parce qu′on fait attention aux voitures en traversant, qu′on évite les dangers. Mais il en est d′internes. L′accident vient du côté auquel on ne songeait pas, du dedans, du cur. Les mots de Gilberte: «Si vous voulez, continuons à lutter» me firent horreur. Je l′imaginai telle, chez elle peut-être, dans la lingerie, avec le jeune homme que j′avais vu l′accompagnant dans l′avenue des Champs-Élysées. Ainsi, autant que (il y avait quelque temps) de croire que j′étais tranquillement installé dans le bonheur, j′avais été insensé, maintenant que j′avais renoncé à être heureux, de tenir pour assuré que du moins j′étais devenu, je pourrais rester calme. Car tant que notre cur enferme d′une façon permanente l′image d′un autre être, ce n′est pas seulement notre bonheur, qui peut à tout moment être détruit; quand ce bonheur est évanoui, quand nous avons souffert, puis, que nous avons réussi à endormir notre souffrance, ce qui est aussi trompeur et précaire qu′avait été le bonheur même, c′est le calme. Le mien finit par revenir, car ce qui, modifiant notre état moral, nos désirs, est entré, à la faveur d′un rêve, dans notre esprit, cela aussi peu à peu se dissipe, la permanence et la durée ne sont promises à rien, pas même à la douleur. D′ailleurs, ceux qui souffrent par l′amour sont comme on dit de certains malades, leur propre médecin. Comme il ne peut leur venir de consolation que de l′être qui cause leur douleur et que cette douleur est une émanation de lui, c′est en elle qu′ils finissent par trouver un remède. Elle le leur découvre elle-même à un moment donné, car au fur et à mesure qu′ils la retournent en eux, cette douleur leur montre un autre aspect de la personne regrettée, tantôt si haî²³able qu′on n′a même plus le désir de la revoir parce qu′avant de se plaire avec elle il faudrait la faire souffrir, tantôt si douce que la douceur qu′on lui prête on lui en fait un mérite et on en tire une raison d′espérer. Mais la souffrance qui s′était renouvelée en moi eut beau finir par s′apaiser, je ne voulus plus retourner que rarement chez Mme Swann. C′est d′abord que chez ceux qui aiment et sont abandonnés, le sentiment d′attente — même d′attente inavouée — dans lequel ils vivent se transforme de lui-même, et bien qu′en apparence identique, fait succéder à un premier état, un second extrêmement identique, fait succéder á un premier état, un second exactement contraire. Le premier était la suite, le reflet des incidents douloureux qui nous avaient bouleversés. L′attente de ce qui pourrait se produire est mêlée d′effroi, d′autant plus que nous désirons à ce moment-là, si rien de nouveau ne nous vient du côté de celle que nous aimons, agir nous-même, et nous ne savons trop quel sera le succès d′une démarche après laquelle il ne sera peut-être plus possible d′en entamer d′autre. Mais bientôt, sans que nous nous en rendions compte, notre attente qui continue est déterminée, nous l′avons vu, non plus par le souvenir du passé que nous avons subi, mais par l′espérance d′un avenir imaginaire. Dès lors, elle est presque agréable. Puis la première en durant un peu, nous a habitués à vivre dans l′expectative. La souffrance que nous avons éprouvée durant nos derniers rendez-vous, survit encore en nous, mais déjà ensommeillée. Nous ne sommes pas trop pressés de la renouveler, d′autant plus que nous ne voyons pas bien ce que nous demanderions maintenant. La possession d′un peu plus de la femme que nous aimons ne ferait que nous rendre plus nécessaire ce que nous ne possédons pas, et qui resterait malgré tout, nos besoins naissant de nos satisfactions, quelque chose d′irréductible. Pending these posthumous fulfilments of a dream in which I should not, when the time came, be greatly interested, by dint of my having to invent, as in the days when I still hardly knew Gilberte, speeches, letters in which she implored my forgiveness, swore that she had never loved anyone but myself and besought me to marry her, a series of pleasant images incessantly renewed came by degrees to hold a larger place in my mind than the vision of Gilberte and the young man, which had nothing now to feed upon. At this point I should perhaps have resumed my visits to Mme. Swann but for a dream that came to me, in which one of my friends, who was not, however, one that I could identify, behaved with the utmost treachery towards me and appeared to believe that I had been treacherous to him. Abruptly awakened by the pain which this dream had given me, and finding that it persisted after I was awake, I turned my thoughts back to the dream, racked my brains to discover who could have been the friend whom I had seen in my sleep, the sound of whose name — a Spanish name — was no longer distinct in my ears. Combining Joseph′s part with Pharaoh′s, I set to work to interpret my dream. I knew that, when one is interpreting a dream, it is often a mistake to pay too much attention to the appearance of the people one saw in it, who may perhaps have been disguised or have exchanged faces, like those mutilated saints on the walls of cathedrals which ignorant archaeologists have restored, fitting the body of one to the head of another and confusing all their attributes and names. Those that people bear in a dream are apt to mislead us. The person with whom we are in love is to be recognised only by the intensity of the pain that we suffer. From mine I learned that, though transformed while I was asleep into a young man, the person whose recent betrayal still hurt me was Gilberte. I remembered then that, the last time I had seen her, on the day when her mother had forbidden her to go out to a dancing-lesson, she had, whether in sincerity or in make-believe, declined, laughing in a strange manner, to believe in the genuineness of my feeling for her. And by association this memory brought back to me another. Long before that, it had been Swann who would not believe in my sincerity, nor that I was a suitable friend for Gilberte. In vain had I written to him, Gilberte had brought back my letter and had returned it to me with the same incomprehensible laugh. She had not returned it to me at once: I remembered now the whole of that scene behind the clump of laurels. As soon as one is unhappy one becomes moral. Gilberte′s recent antipathy for me seemed to me a judgment delivered on me by life for my conduct that afternoon. Such judgments one imagines one can escape because one looks out for carriages when one is crossing the street, and avoids obvious dangers. But there are others that take effect within us. The accident comes from the side to which one has not been looking, from inside, from the heart. Gilberte′s words: “If you like, we might go on wrestling,” made me shudder. I imagined her behaving like that, at home perhaps, in the linen-room, with the young man whom I had seen escorting her along the Avenue des Champs-Elysées. And so, just as when, a little time back, I had believed myself to be calmly established in a state of happiness, it had been fatuous in me, now that I had abandoned all thought of happiness, to take for granted that at least I had grown and was going to remain calm. For, so long as our heart keeps enshrined with any permanence the image of another person, it is not only our happiness that may at any moment be destroyed; when that happiness has vanished, when we have suffered, and, later, when we have succeeded in lulling our sufferings to sleep, the thing then that is as elusive, as precarious as ever our happiness was, is our calm. Mine returned to me in the end, for the cloud which, lowering our resistance, tempering our desires, has penetrated, in the train of a dream, the enclosure of our mind, is bound, in course of time, to dissolve, permanence and stability being assured to nothing in this world, not even to grief. Besides, those whose suffering is due to love are, as we say of certain invalids, their own physicians. As consolation can come to them only from the person who is the cause of their grief, and as their grief is an emanation from that person, it is there, in their grief itself, that they must in the end find a remedy: which it will disclose to them at a given moment, for as long as they turn it over in their minds this grief will continue to shew them fresh aspects of the loved, the regretted creature, at one moment so intensely hateful that one has no longer the slightest desire to see her, since before finding enjoyment in her company one would have first to make her suffer, at another so pleasant that the pleasantness in which one has invested her one adds to her own stock of good qualities and finds in it a fresh reason for hope. But even although the anguish that had reawakened in me did at length grow calm, I no longer wished — except just occasionally — to visit Mme. Swann. In the first place because, among those who love and have been forsaken, the state of incessant — even if unconfessed — expectancy in which they live undergoes a spontaneous transformation, and, while to all appearance unchanged, substitutes for its original elements others that are precisely the opposite. The first were the consequences of — a reaction from — the painful incidents which had upset us. The tension of waiting for what is yet to come is mingled with fear, all the more since we desire at such moments, should no message come to us from her whom we love, to act for ourselves, and are none too confident of the success of a step which, once we have taken it, we may find it impossible to follow up. But presently, without our having noticed any change, this tension, which still endures, is sustained, we discover, no longer by our recollection of the past but by anticipation of an imaginary future. From that moment it is almost pleasant. Besides, the first state, by continuing for some time, has accustomed us to living in expectation. The suffering that we felt during those last meetings survives in us still, but is already lulled to sleep. We are in no haste to arouse it, especially as we do not see very clearly what to ask for now. The possession of a little more of the woman whom we love would only make more essential to us the part that we did not yet possess, which is bound to remain, whatever happens, since our requirements are begotten of our satisfactions, an irreducible quantity.
Enfin une dernière raison s′ajouta plus tard à celle-ci pour me faire cesser complètement mes visites à Mme Swann. Cette raison, plus tardive, n′était pas que j′eusse encore oublié Gilberte, mais de tâcher de l′oublier plus vite. Sans doute, depuis que ma grande souffrance était finie, mes visites chez Mme Swann étaient redevenues pour ce qui me restait de tristesse, le calmant et la distraction qui m′avaient été si précieux au début. Mais la raison de l′efficacité du premier faisait aussi l′inconvénient de la seconde, à savoir qu′à ces visites le souvenir de Gilberte était intimement mêlé. La distraction ne m′eût été utile que si elle eût mis en lutte avec un sentiment que la présence de Gilberte n′alimentait plus, des pensées, des intérêts, des passions où Gilberte ne fût entrée pour rien. Ces états de conscience auxquels l′être qu′on aime reste étranger occupent alors une place qui, si petite qu′elle soit d′abord est autant de retranché à l′amour qui occupait l′âme tout entière. Il faut chercher à nourrir, à faire croître ces pensées, cependant que décline le sentiment qui n′est plus qu′un souvenir, de façon que les éléments nouveaux introduits dans l′esprit, lui disputent, lui arrachent une part de plus en plus grande de l′âme, et finalement la lui dérobent toute. Je me rendais compte que c′était la seule manière de tuer un amour et j′étais encore assez jeune, assez courageux pour entreprendre de le faire, pour assumer la plus cruelle des douleurs qui naît de la certitude, que, quelque temps qu′on doive y mettre, on réussira. La raison que je donnais maintenant dans mes lettres à Gilberte, de mon refus de la voir, c′était une allusion à quelque mystérieux malentendu, parfaitement fictif, qu′il y aurait eu entre elle et moi et sur lequel j′avais espéré d′abord que Gilberte me demanderait des explications. Mais, en fait, même dans les relations les plus insignifiantes de la vie, un éclaircissement n′est sollicité par un correspondant qui sait qu′une phrase obscure, mensongère, incriminatrice, est mise à dessein pour qu′il proteste, et qui est trop heureux de sentir par là qu′il possède, — et de garder — la maîtrise et l′initiative des opérations. A plus forte raison en est-il de même dans des relations plus tendres, où l′amour a tant d′éloquence, l′indifférence si peu de curiosité. Gilberte n′ayant pas mis en doute ni cherché à connaître ce malentendu, il devint pour moi quelque chose de réel auquel je me référais dans chaque lettre. Et il y a dans ces situations prises à faux, dans l′affectation de la froideur, un sortilège qui vous y fait persévérer. A force d′écrire: «Depuis que nos curs sont désunis» pour que Gilberte me répondit: «Mais ils ne le sont pas, expliquons-nous», j′avais fini par me persuader qu′ils l′étaient. En répétant toujours: «La vie a pu changer pour nous, elle n′effacera pas le sentiment que nous eûmes», par désir de m′entendre dire enfin: «Mais il n′y a rien de changé, ce sentiment est plus fort que jamais», je vivais avec l′idée que la vie avait changé en effet, que nous garderions le souvenir du sentiment qui n′était plus, comme certains nerveux pour avoir simulé une maladie finissent par rester toujours malades. Maintenant chaque fois que j′avais à écrire à Gilberte, je me reportais à ce changement imaginé et dont l′existence désormais tacitement reconnue par le silence qu′elle gardait à ce sujet dans ses réponses, subsisterait entre nous. Puis Gilberte cessa de s′en tenir à la prétérition. Elle-même adopta mon point de vue; et, comme dans les toasts officiels, où le chef d′État qui est reçu reprend peu à peu les mêmes expressions dont vient d′user le chef d′État qui le reçoit, chaque fois que j′écrivais à Gilberte: «La vie a pu nous séparer, le souvenir du temps où nous nous connûmes durera» elle ne manqua pas de répondre: «La vie a pu nous séparer, elle ne pourra nous faire oublier les bonnes heures qui nous seront toujours chères» (nous aurions été bien embarrassé de dire pourquoi «la vie» nous avait séparés, quel changement s′était produit). Je ne souffrais plus trop. Pourtant un jour où je lui disais dans une lettre que j′avais appris la mort de notre vieille marchande de sucre d′orge des Champs-Élysées, comme je venais d′écrire ces mots: «J′ai pensé que cela vous a fait de la peine, en moi cela a remué bien des souvenirs», je ne pus m′empêcher de fondre en larmes en voyant que je parlais au passé, et comme s′il s′agissait d′un mort déjà presque oublié, de cet amour auquel malgré moi je n′avais jamais cessé de penser comme étant vivant, pouvant du moins renaître. Rien de plus tendre que cette correspondance entre amis qui ne voulaient plus se voir. Les lettres de Gilberte avaient la délicatesse de celles que j′écrivais aux indifférents et me donnaient les mêmes marques apparentes d′affection si douces pour moi à recevoir d′elle. Another, final reason came later on to reinforce this, and to make me discontinue altogether my visits to Mme. Swann. This reason, slow in revealing itself, was not that I had now forgotten Gilberte but that I must make every effort to forget her as speedily as possible. No doubt, now that the keen edge of my suffering was dulled, my visits to Mme. Swann had become once again, for what sorrow remained in me, the sedative and distraction which had been so precious to me at first. But what made the sedative efficacious made the distraction impossible, namely that with these visits the memory of Gilberte was intimately blended. The distraction would be of no avail to me unless it was employed to combat a sentiment which the presence of Gilberte no longer nourished, thoughts, interests, passions in which Gilberte should have no part. These states of consciousness, to which the person whom we love remains a stranger, then occupy a place which, however small it may be at first, is always so much reconquered from the love that has been in unchallenged possession of our whole soul. We must seek to encourage these thoughts, to make them grow, while the sentiment which is no more now than a memory dwindles, so that the new elements introduced into our mind contest with that sentiment, wrest from it an ever increasing part of our soul, until at last the victory is complete. I decided that this was the only way in which my love could be killed, and I was still young enough, still courageous enough to undertake the attempt, to subject myself to that most cruel grief which springs from the certainty that, whatever time one may devote to the effort, it will prove successful in the end. The reason I now gave in my letters to Gilberte for refusing to see her was an allusion to some mysterious misunderstanding, wholly fictitious, which was supposed to have arisen between her and myself, and as to which I had hoped at first that Gilberte would insist upon my furnishing her with an explanation. But, as a matter of fact, never, even in the most insignificant relations in life, does a request for enlightenment come from a correspondent who knows that an obscure, untruthful, incriminating sentence has been written on purpose, so that he shall protest against it, and is only too glad to feel, when he reads it, that he possesses — and to keep in his own hands — the initiative in the coming operations. For all the more reason is this so in our more tender relations, in which love is endowed with so much eloquence, indifference with so little curiosity. Gilberte having never appeared to doubt nor sought to learn more about this misunderstanding, it became for me a real entity, to which I referred anew in every letter. And there is in these baseless situations, in the affectation of coldness, a sort of fascination which tempts one to persevere in them. By dint of writing: “Now that our hearts are sundered,” so that Gilberte might answer: “But they are not. Do explain what you mean,” I had gradually come to believe that they were. By constantly repeating, “Life may have changed for us, it will never destroy the feeling that we had for one another,” in the hope of hearing myself, one day, say: “But there has been no change, the feeling is stronger now than ever it was,” I was living with the idea that life had indeed changed, that we should keep only the memory of a feeling which no longer existed, as certain neurotics, from having at first pretended to be ill, end by becoming chronic invalids. Now, whenever I had to write to Gilberte, I brought my mind back to this imagined change, which, being now tacitly admitted by the silence which she preserved with regard to it in her replies, would in future subsist between us. Then Gilberte ceased to make a point of ignoring it. She too adopted my point of view; and, as in the speeches at official banquets, when the foreign Sovereign who is being entertained adopts practically the same expressions as have just been used by the Sovereign who is entertaining him, whenever I wrote to Gilberte: “Life may have parted us; the memory of the days when we knew one another will endure,” she never failed to respond: “Life may have parted us; it cannot make us forget those happy hours which will always be dear to us both,” (though we should have found it hard to say why or how ‘Life′-had parted us, or what change had occurred). My sufferings were no longer excessive. And yet, one day when I was telling her in a letter that I had heard of the death of our old barley-sugar woman in the Champs-Elysées, as I wrote the words: “I felt at once that this would distress you, in me it awakened a host of memories,” I could not restrain myself from bursting into tears when I saw that I was speaking in the past tense, as though it were of some dead friend, now almost forgotten, of this love of which in spite of myself I had never ceased to think as of a thing still alive, or one that at least might be born again. Nothing can be more affectionate than this sort of correspondence between friends who do not wish to see one another any more. Gilberte′s letters to me had all the delicate refinement of those which I used to write to people who did not matter, and shewed me the same apparent marks of affection, which it was so pleasant for me to receive from her.
D′ailleurs peu à peu chaque refus de la voir me fit moins de peine. Et comme elle me devenait moins chère, mes souvenirs douloureux n′avaient plus assez de force pour détruire dans leur retour incessant la formation du plaisir que j′avais à penser à Florence, à Venise. Je regrettais à ces moments-là d′avoir renoncé à entrer dans la diplomatie et de m′être fait une existence sédentaire, pour ne pas m′éloigner d′une jeune fille que je ne verrais plus et que j′avais déjà presque oubliée. On construit sa vie pour une personne et quand enfin on peut l′y recevoir, cette personne ne vient pas, puis meurt pour vous et on vit prisonnier, dans ce qui n′était destiné qu′à elle. Si Venise semblait à mes parents bien lointain et bien fiévreux pour moi, il était du moins facile d′aller sans fatigue s′installer à Balbec. Mais pour cela il eût fallu quitter Paris, renoncer à ces visites, grâce auxquelles, si rares qu′elles fussent, j′entendais quelquefois Mme Swann me parler de sa fille. Je commençais du reste à y trouver tel ou tel plaisir où Gilberte n′était pour rien. But, as time went on, every refusal to see her disturbed me less. And as she became less dear to me, my painful memories were no longer strong enough to destroy by their incessant return the growing pleasure which I found in thinking of Florence, or of Venice. I regretted, at such moments, that I had abandoned the idea of diplomacy, and had condemned myself to a sedentary existence, in order not to be separated from a girl whom I should not see again and had already almost forgotten. We construct our house of life to suit another person, and when at length it is ready to receive her that person does not come; presently she is dead to us, and we live on, a prisoner within the walls which were intended only for her. If Venice seemed to my parents to be a long way off, and its climate treacherous, it was at least quite easy for me to go, without tiring myself, and settle down at Balbec. But to do that I should have had to leave Paris, to forego those visits thanks to which, infrequent as they were, I might sometimes hear Mme. Swann telling me about her daughter. Besides, I was beginning to find in them various pleasures in which Gilberte had no part.
Quand le printemps approcha, ramenant le froid, au temps des Saints de glace et des giboulées de la Semaine Sainte, comme Mme Swann trouvait qu′on gelait chez elle, il m′arrivait souvent de la voir recevant dans des fourrures, ses mains et ses épaules frileuses disparaissant sous le blanc et brillant tapis d′un immense manchon plat et d′un collet, tous deux d′hermine, qu′elle n′avait pas quittés en rentrant et qui avaient l′air des derniers carrés des neiges de l′hiver plus persistants que les autres et que la chaleur du feu ni le progrès de la saison n′avaient réussi à fondre. Et la vérité totale de ces semaines glaciales mais déjà fleurissantes était suggérée pour moi dans ce salon, où bientôt je n′irais plus, par d′autres blancheurs plus enivrantes, celles par exemple, des «boules de neige» assemblant au sommet de leurs hautes tiges nues comme les arbustes linéaires des préraphaélites, leurs globes parcellés mais unis, blancs comme des anges annonciateurs et qu′entourait une odeur de citron. Car la châtelaine de Tansonville savait qu′avril, même glacé, n′est pas dépourvu de fleurs, que l′hiver, le printemps, l′été, ne sont pas séparés par des cloisons aussi hermétiques que tend à le croire le boulevardier qui jusqu′aux premières chaleurs s′imagine le monde comme renfermant seulement des maisons nues sous la pluie. Que Mme Swann se contentât des envois que lui faisait son jardinier de Combray, et que par l′intermédiaire de sa fleuriste «attitrée» elle ne comblât pas les lacunes d′une insuffisante évocation à l′aide d′emprunts faits à la précocité méditerranéenne, je suis loin de le prétendre et je ne m′en souciais pas. Il me suffisait pour avoir la nostalgie de la campagne, qu′à côté des névés du manchon que tenait Mme Swann, les boules de neige (qui n′avaient peut-être dans la pensée de la maîtresse de la maison d′autre but que de faire, sur les conseils de Bergoe, «symphonie en blanc majeur» avec son ameublement et sa toilette) me rappelassent que l′Enchantement du Vendredi Saint figure un miracle naturel auquel on pourrait assister tous les ans si l′on était plus sage, et aidées du parfum acide et capiteux de corolles d′autres espèces dont j′ignorais les noms et qui m′avait fait rester tant de fois en arrêt dans mes promenades de Combray, rendissent le salon de Mme Swann aussi virginal, aussi candidement fleuri sans aucune feuille, aussi surchargé d′odeurs authentiques, que le petit raidillon de Tansonville. When spring drew round, and with it the cold weather, during an icy Lent and the hailstorms of Holy Week, as Mme. Swann began to find it cold in the house, I used often to see her entertaining her guests in her furs, her shivering hands and shoulders hidden beneath the gleaming white carpet of an immense rectangular muff and a cape, both of ermine, which she had not taken off on coming in from her drive, and which suggested the last patches of the snows of winter, more persistent than the rest, which neither the heat of the fire nor the advancing season had succeeded in melting. And the whole truth about these glacial but already flowering weeks was suggested to me in this drawing-room, which soon I should be entering no more, by other more intoxicating forms of whiteness, that for example of the guelder-roses clustering, at the summits of their tall bare stalks, like the rectilinear trees in pre-Raphaelite paintings, their balls of blossom, divided yet composite, white as annunciating angels and breathing a fragrance as of lemons. For the mistress of Tansonville knew that April, even an ice-bound April, was not barren of flowers, that winter, spring, summer are not held apart by barriers as hermetic as might be supposed by the town-dweller who, until the first hot day, imagines the world as containing nothing but houses that stand naked in the rain. That Mme. Swann was content with the consignments furnished by her Combray gardener, that she did not, by the intervention of her own ‘special′ florist, fill up the gaps left by an insufficiently powerful magic with subsidies borrowed from a precocious Mediterranean shore, I do not for a moment suggest, nor did it worry me at the time. It was enough to fill me with longing for country scenes that, overhanging the loose snowdrifts of the muff in which Mme. Swann kept her hands, the guelder-rose snow-balls (which served very possibly in the mind of my hostess no other purpose than to compose, on the advice of Bergotte, a ‘Symphony in White′ with her furniture and her garments) reminded me that what the Good Friday music in Parsifal symbolised was a natural miracle which one could see performed every year, if one had the sense to look for it, and, assisted by the acid and heady perfume of the other kinds of blossom, which, although their names were unknown to me, had brought me so often to a standstill to gaze at them on my walks round Combray, made Mme. Swann′s drawing-room as virginal, as candidly ‘in bloom,′ without the least vestige of greenery, as overladen with genuine scents of flowers as was the little lane by Tansonville.
Mais c′était encore trop que celui-ci me fût rappelé. Son souvenir risquait d′entretenir le peu qui subsistait de mon amour pour Gilberte. Aussi, bien que je ne souffrisse plus du tout durant ces visites à Mme Swann, je les espaçai encore et cherchai à la voir le moins possible. Tout au plus, comme je continuais à ne pas quitter Paris, me concédai-je certaines promenades avec elle. Les beaux jours étaient enfin revenus, et la chaleur. Comme je savais qu′avant le déjeuner Mme Swann sortait pendant une heure et allait faire quelques pas avenue du Bois, près de l′Étoile, et de l′endroit qu′on appelait alors, à cause des gens qui venaient regarder les riches qu′ils ne connaissaient que de nom, le «Club des Pannés» — j′obtins de mes parents que le dimanche, — car je n′étais pas libre en semaine à cette heure-là, — je pourrais ne déjeuner que bien après eux, à une heure un quart, et aller faire un tour auparavant. Je n′y manquai jamais pendant ce mois de mai, Gilberte étant allée à la campagne chez des amies. J′arrivais à l′Arc-de-Triomphe vers midi. Je faisais le guet à l′entrée de l′avenue, ne perdant pas des yeux le coin de la petite rue par où Mme Swann qui n′avait que quelques mètres à franchir, venait de chez elle. Comme c′était déjà l′heure où beaucoup de promeneurs rentraient déjeuner, ceux qui restaient étaient peu nombreux et, pour la plus grande part, des gens élégants. Tout d′un coup, sur le sable de l′allée, tardive, alentie et luxuriante comme la plus belle fleur et qui ne s′ouvrirait qu′à midi, Mme Swann apparaissait, épanouissant autour d′elle une toilette toujours différente mais que je me rappelle surtout mauve; puis elle hissait et déployait sur un long pédoncule, au moment de sa plus complète irradiation, le pavillon de soie d′une large ombrelle de la même nuance que l′effeuillaison des pétales de sa robe. Toute une suite l′environnait; Swann, quatre ou cinq hommes de club qui étaient venus la voir le matin chez elle ou qu′elle avait rencontrés: et leur noire ou grise agglomération obéissante, exécutant les mouvements presque mécaniques d′un cadre inerte autour d′Odette, donnait l′air à cette femme qui seule avait de l′intensité dans les yeux, de regarder devant elle, d′entre tous ces hommes, comme d′une fenêtre dont elle se fût approchée, et la faisait surgir, frêle, sans crainte, dans la nudité de ses tendres couleurs, comme l′apparition d′un être d′une espèce différente, d′une race inconnue, et d′une puissance presque guerrière, grâce à quoi elle compensait à elle seule sa multiple escorte. Souriante, heureuse du beau temps, du soleil qui n′incommodait pas encore, ayant l′air d′assurance et de calme du créateur qui a accompli son uvre et ne se soucie plus du reste, certaine que sa toilette, — dussent des passants vulgaires ne pas l′apprécier, — était la plus élégante de toutes, elle la portait pour soi-même et pour ses amis, naturellement, sans attention exagérée, mais aussi sans détachement complet; n′empêchant pas les petits nuds de son corsage et de sa jupe de flotter légèrement devant elle comme des créatures dont elle n′ignorait pas la présence et à qui elle permettait avec indulgence de se livrer à leurs jeux, selon leur rythme propre, pourvu qu′ils suivissent sa marche, et même sur son ombrelle mauve que souvent elle tenait encore fermée quand elle arrivait, elle laissait tomber par moment comme sur un bouquet de violettes de Parme, son regard heureux et si doux que quand il ne s′attachait plus à ses amis mais à un objet inanimé, il avait l′air de sourire encore. Elle réservait ainsi, elle faisait occuper à sa toilette cet intervalle d′élégance dont les hommes à qui Mme Swann parlait le plus en camarades, respectaient l′espace et la nécessité, non sans une certaine déférence de profanes, un aveu de leur propre ignorance, et sur lequel ils reconnaissaient à leur amie comme à un malade sur les soins spéciaux qu′il doit prendre, ou comme à une mère sur l′éducation de ses enfants, compétence et juridiction. Non moins que par la cour qui l′entourait et ne semblait pas voir les passants, Mme Swann, à cause de l′heure tardive de son apparition, évoquait cet appartement où elle avait passé une matinée si longue et où il faudrait qu′elle rentrât bientôt déjeuner; elle semblait en indiquer la proximité par la tranquillité flâneuse de sa promenade, pareille à celle qu′on fait à petits pas dans son jardin; de cet appartement on aurait dit qu′elle portait encore autour d′elle l′ombre intérieure et fraîche. Mais, par tout cela même, sa vue ne me donnait que davantage la sensation du plein air et de la chaleur. D′autant plus que déjà persuadé qu′en vertu de la liturgie et des rites dans lesquels Mme Swann était profondément versée, sa toilette était unie à la saison et à l′heure par un lien nécessaire, unique, les fleurs de son inflexible chapeau de paille, les petits rubans de sa robe me semblaient naître du mois de mai plus naturellement encore que les fleurs des jardins et des bois; et pour connaître le trouble nouveau de la saison, je ne levais pas les yeux plus haut que son ombrelle, ouverte et tendue comme un autre ciel plus proche, rond, clément, mobile et bleu. Car ces rites, s′ils étaient souverains, mettaient leur gloire, et par conséquent Mme Swann mettait la sienne à obéir avec condescendance, au matin, au printemps, au soleil, lesquels ne me semblaient pas assez flattés qu′une femme si élégante voulût bien ne pas les ignorer, et eût choisi à cause d′eux une robe d′une étoffe plus claire, plus légère, faisant penser, par son évasement au col et aux manches, à la moiteur du cou et des poignets, fît enfin pour eux tous les frais d′une grande dame qui s′étant gaîment abaissée à aller voir à la campagne des gens communs et que tout le monde, même le vulgaire, connaît, n′en a pas moins tenu à revêtir spécialement pour ce jour-là une toilette champêtre. Dès son arrivée, je saluais Mme Swann, elle m′arrêtait et me disait: «Good morning» en souriant. Nous faisions quelques pas. Et je comprenais que ces canons selon lesquels elle s′habillait, c′était pour elle-même qu′elle y obéissait, comme à une sagesse supérieure dont elle eût été la grande prêtresse: car s′il lui arrivait qu′ayant trop chaud, elle entr′ouvrît, ou même ôtât, tout à fait et me donnât à porter sa jaquette qu′elle avait cru garder fermée, je découvrais dans la chemisette mille détails d′exécution qui avaient eu grande chance de rester inaperçus comme ces parties d′orchestre auxquelles le compositeur a donné tous ses soins, bien qu′elles ne doivent jamais arriver aux oreilles du public; ou dans les manches de la jaquette pliée sur mon bras je voyais, je regardais longuement par plaisir ou par amabilité, quelque détail exquis, une bande d′une teinte délicieuse, une satinette mauve habituellement cachée aux yeux de tous, mais aussi délicatement travaillée que les parties extérieures, comme ces sculptures gothiques d′une cathédrale dissimulées au revers d′une balustrade à quatre-vingts pieds de hauteur, aussi parfaites que les bas-reliefs du grand porche, mais que personne n′avait jamais vues avant qu′au hasard d′un voyage, un artiste n′eût obtenu de monter se promener en plein ciel, pour dominer toute la ville, entre les deux tours. But it was still more than I could endure that these memories should be recalled to me. There was a risk of their reviving what little remained of my love for Gilberte. Besides, albeit I no longer felt the least distress during these visits to Mme. Swann, I extended the intervals between them and endeavoured to see as little of her as possible. At most, since I continued not to go out of Paris, I allowed myself an occasional walk with her. Fine weather had come at last, and the sun was hot. As I knew that before luncheon Mme. Swann used to go out every day for an hour, and would stroll for a little in the Avenue du Bois, near the Etoile — a spot which, at that time, because of the people who used to collect there to gaze at the ‘swells′ whom they knew only by name, was known as the ‘Shabby-Genteel Club′— I persuaded my parents, on Sundays (for on weekdays I was busy all morning), to let me postpone my luncheon until long after theirs, until a quarter past one, and go for a walk before it. During May, that year, I never missed a Sunday, for Gilberte had gone to stay with friends in the country. I used to reach the Arc de Triomphe about noon. I kept watch at the entrance to the Avenue, never taking my eyes off the corner of the side-street along which Mme. Swann, who had only a few yards to walk, would come from her house. As by this time many of the people who had been strolling there were going home to luncheon, those who remained were few in number and, for the most part, fashionably dressed. Suddenly, on the gravelled path, unhurrying, cool, luxuriant, Mme. Swann appeared, displaying around her a toilet which was never twice the same, but which I remember as being typically mauve; then she hoisted and unfurled at the end of its long stalk, just at the moment when her radiance was most complete, the silken banner of a wide parasol of a shade that matched the showering petals of her gown. A whole troop of people escorted her; Swann himself, four or five fellows from the Club, who had been to call upon her that morning or whom she had met in the street: and their black or grey agglomeration, obedient to her every gesture, performing the almost mechanical movements of a lifeless setting in which Odette was framed, gave to this woman, in whose eyes alone was there any intensity, the air of looking out in front of her, from among all those men, as from a window behind which she had taken her stand, and made her emerge there, frail but fearless, in the nudity of her delicate colours, like the apparition of a creature of a different species, of an unknown race, and of almost martial strength, by virtue of which she seemed by herself a match for all her multiple escort. Smiling, rejoicing in the fine weather, in the sunshine which had not yet become trying, with the air of calm assurance of a creator who has accomplished his task and takes no thought for anything besides; certain that her clothes — even though the vulgar herd should fail to appreciate them — were the smartest anywhere to be seen, she wore them for herself and for her friends, naturally, without exaggerated attention to them but also without absolute detachment; not preventing the little bows of ribbon upon her bodice and skirt from floating buoyantly upon the air before her, like separate creatures of whose presence there she was not unconscious, but was indulgent enough to let them play if they chose, keeping their own rhythm, provided that they accompanied her where she led the way; and even upon her mauve parasol, which, as often as not, she had not yet ‘put up′ when she appeared on the scene, she let fall now and then, as though upon a bunch of Parma violets, a gaze happy and so kindly that, when it was fastened no longer upon her friends but on some inanimate object, her eyes still seemed to smile. She thus kept open, she made her garments occupy that interval of smartness, of which the men with whom she was on the most familiar terms respected both the existence and its necessity, not without shewing a certain deference, as of profane visitors to a shrine, an admission of their own ignorance, an interval over which they recognised that their friend had (as we recognise that a sick man has over the special precautions that he has to take, or a mother over her children′s education) a competent jurisdiction. No less than by the court which encircled her and seemed not to observe′ the passers-by, Mme. Swann by the lateness of her appearance there at once suggested those rooms in which she had spent so long, so leisurely a morning and to which she must presently return for luncheon; she seemed to indicate their proximity by the unhurrying ease of her progress, like the turn that one takes up and down one′s own garden; of those rooms one would have said that she was carrying about her still the cool, the indoor shade. But for that very reason the sight of her gave me only a stronger sensation of open air and warmth. All the more because, being assured in my own mind that, in accordance with the liturgy, with the ritual in which Mme. Swann was so profoundly versed, her clothes were connected with the time of year and of day by a bond both inevitable and unique, I felt that the flowers upon the stiff straw brim of her hat, the baby-ribbons upon her dress, had been even more naturally born of the month of May than the flowers in gardens and in woods; and to learn what latest change there was in weather or season I had not to raise my eyes higher than to her parasol, open and outstretched like another, a nearer sky, round, clement, mobile, blue. For these rites, if they were of sovereign importance, subjugated their glory (and, consequently, Mme. Swann her own) in condescending obedience to the day, the spring, the sun, none of which struck me as being sufficiently flattered that so elegant a woman had been graciously pleased not to ignore their existence, and had chosen on their account a gown of a brighter, of a thinner fabric, suggesting to me, by the opening of its collar and sleeves, the moist warmness of the throat and wrists that they exposed — in a word, had taken for them all the pains that a great personage takes who, having gaily condescended to pay a visit to common folk in the country, whom everyone, even the most plebeian, knows, yet makes a point of donning, for the occasion, suitable attire. On her arrival I would greet Mme. Swann, she stop me and say (in English) ‘Good morning,′ and smile. We would walk a little way together. And I learned then that these canons according to which she dressed, it was for her own satisfaction that she obeyed them, as though yielding to a Superior Wisdom of which she herself was High Priestess: for if it should happen that, feeling too warm, she threw open or even took off altogether and gave me to carry the jacket which she had intended to keep buttoned up, I would discover in the blouse beneath it a thousand details of execution which had had every chance of remaining there unperceived, like those parts of an orchestral score to which the composer has devoted infinite labour albeit they may never reach the ears of the public: or in the sleeves of the jacket that lay folded across my arm I would see, I would drink in slowly, for my own pleasure or from affection for its wearer, some exquisite detail, a deliciously tinted strip, a lining of mauve satinette which, ordinarily concealed from every eye, was yet just as delicately fashioned as the outer parts, like those gothic carvings on a cathedral, hidden on the inside of a balustrade eighty feet from the ground, as perfect as are the bas-reliefs over the main porch, and yet never seen by any living man until, happening to pass that way upon his travels, an artist obtains leave to climb up there among them, to stroll in the open air, sweeping the whole town with a comprehensive gaze, between the soaring towers.
Ce qui augmentait cette impression que Mme Swann se promenait dans l′avenue du Bois comme dans l′allée d′un jardin à elle, c′était — pour ces gens qui ignoraient ses habitudes de «footing» — qu′elle fût venue à pieds, sans voiture qui suivît, elle que dès le mois de mai, on avait l′habitude de voir passer avec l′attelage le plus soigné, la livrée la mieux tenue de Paris, mollement et majestueusement assise comme une déesse, dans le tiède plein air d′une immense victoria à huit ressorts. A pieds, Mme Swann avait l′air, surtout avec sa démarche que ralentissait la chaleur, d′avoir cédé à une curiosité, de commettre une élégante infraction aux règles du protocole, comme ces souverains qui sans consulter personne, accompagnés par l′admiration un peu scandalisée d′une suite qui n′ose formuler une critique, sortent de leur loge pendant un gala et visitent le foyer en se mêlant pendant quelques instants aux autres spectateurs. Ainsi, entre Mme Swann et la foule, celle-ci sentait ces barrières d′une certaine sorte de richesse, lesquelles lui semblent les plus infranchissables de toutes. Le faubourg Saint-Germain a bien aussi les siennes, mais moins parlantes aux yeux et à l′imagination des «pannés». Ceux-ci auprès d′une grande dame, plus simple, plus facile à confondre avec une petite bourgeoise, moins éloignée du peuple, n′éprouveront pas ce sentiment de leur inégalité, presque de leur indignité, qu′ils ont devant une Mme Swann. Sans doute, ces sortes de femmes ne sont pas elles-mêmes frappées comme eux du brillant appareil dont elles sont entourées, elles n′y font plus attention, mais c′est à force d′y être habituées, c′est-à-dire d′avoir fini par le trouver d′autant plus naturel, d′autant plus nécessaire, par juger les autres êtres selon qu′ils sont plus ou moins initiés à ces habitudes du luxe: de sorte que (la grandeur qu′elles laissent éclater en elles, qu′elles découvrent chez les autres, étant toute matérielle, facile à constater, longue à acquérir, difficile à compenser), si ces femmes mettent un passant au rang le plus bas, c′est de la même manière qu′elles lui sont apparues au plus haut, à savoir immédiatement, à première vue, sans appel. Peut-être cette classe sociale particulière qui comptait alors des femmes comme lady Israels mêlée à celles de l′aristocratie et Mme Swann qui devait les fréquenter un jour, cette classe intermédiaire, inférieure au faubourg Saint-Germain, puisqu′elle le courtisait, mais supérieure à ce qui n′est pas du faubourg Saint-Germain, et qui avait ceci de particulier que déjà dégagée du monde des riches, elle était la richesse encore, mais la richesse devenue ductile, obéissant à une destination, à une pensée artistiques, l′argent malléable, poétiquement ciselé et qui sait sourire, peut-être cette classe, du moins avec le même caractère et le même charme, n′existe-t-elle plus. D′ailleurs, les femmes qui en faisaient partie n′auraient plus aujourd′hui ce qui était la première condition de leur règne, puisque avec l′âge elles ont, presque toutes, perdu leur beauté. Or, autant que du faîte de sa noble richesse, c′était du comble glorieux de son été mûr et si savoureux encore, que Mme Swann, majestueuse, souriante et bonne, s′avançant dans l′avenue du Bois, voyait comme Hypatie, sous la lente marche de ses pieds, rouler les mondes. Des jeunes gens qui passaient la regardaient anxieusement, incertains si leurs vagues relations avec elle (d′autant plus qu′ayant à peine été présentés une fois à Swann ils craignaient qu′il ne les reconnût pas), étaient suffisantes pour qu′ils se permissent de la saluer. Et ce n′était qu′en tremblant devant les conséquences, qu′ils s′y décidaient, se demandant si leur geste audacieusement provocateur et sacrilège, attentant à l′inviolable suprématie d′une caste, n′allait pas déchaîner des catastrophes ou faire descendre le châtiment d′un dieu. Il déclenchait seulement, comme un mouvement d′horlogerie, la gesticulation de petits personnages salueurs qui n′étaient autres que l′entourage d′Odette, à commencer par Swann, lequel soulevait son tube doublé de cuir vert, avec une grâce souriante, apprise dans le faubourg Saint-Germain, mais à laquelle ne s′alliait plus l′indifférence qu′il aurait eue autrefois. Elle était remplacée (comme s′il était dans une certaine mesure pénétré des préjugés d′Odette), à la fois par l′ennui d′avoir à répondre à quelqu′un d′assez mal habillé, et par la satisfaction que sa femme connût tant de monde, sentiment mixte qu′il traduisait en disant aux amis élégants qui l′accompagnaient: «Encore un! Ma parole, je me demande où Odette va chercher tous ces gens-là!» Cependant, ayant répondu par un signe de tête au passant alarmé déjà hors de vue, mais dont le cur battait encore, Mme Swann se tournait vers moi: «Alors, me disait-elle, c′est fini? Vous ne viendrez plus jamais voir Gilberte? Je suis contente d′être exceptée et que vous ne me «dropiez» pas tout à fait. J′aime vous voir, mais j′aimais aussi l′influence que vous aviez sur ma fille. Je crois qu′elle le regrette beaucoup aussi. Enfin, je ne veux pas vous tyranniser parce que vous n′auriez qu′à ne plus vouloir me voir non plus!» «Odette, Sagan qui vous dit bonjour», faisait remarquer Swann à sa femme. Et, en effet, le prince faisant comme dans une apothéose de théâtre, de cirque, ou dans un tableau ancien, faire front à son cheval dans une magnifique apothéose, adressait à Odette un grand salut théâtral et comme allégorique où s′amplifiait toute la chevaleresque courtoisie du grand seigneur inclinant son respect devant la Femme, fût-elle incarnée en une femme que sa mère ou sa sur ne pourraient pas fréquenter. D′ailleurs à tout moment, reconnue au fond de la transparence liquide et du vernis lumineux de l′ombre que versait sur elle son ombrelle, Mme Swann était saluée par les derniers cavaliers attardés, comme cinématographiés au galop sur l′ensoleillement blanc de l′avenue, hommes de cercle dont les noms, célèbres pour le public, — Antoine de Castellane, Adalbert de Montmorency et tant d′autres — étaient pour Mme Swann des noms familiers d′amis. Et, comme la durée moyenne de la vie, — la longévité relative, — est beaucoup plus grande pour les souvenirs des sensations poétiques que pour ceux des souffrances du cur, depuis si longtemps que se sont évanouis les chagrins que j′avais alors à cause de Gilberte, il leur a survécu le plaisir que j′éprouve, chaque fois que je veux lire, en une sorte de cadran solaire les minutes qu′il y a entre midi un quart et une heure, au mois de mai, à me revoir causant ainsi avec Mme Swann, sous son ombrelle, comme sous le reflet d′un berceau de glycines. What enhanced this impression that Mme. Swann was walking in the Avenue as though along the paths of her own garden, was — for people ignorant of her habit of ‘taking exercise′— that she had come there on foot, without any carriage following, she whom, once May had begun, they were accustomed to see, behind the most brilliant ‘turn-out,′ the smartest liveries in Paris, gently and majestically seated, like a goddess, in the balmy air of an immense victoria on eight springs. On foot Mme. Swann had the appearance — especially as her pace began to slacken in the heat of the sun — of having yielded to curiosity, of committing an ‘exclusive′ breach of all the rules of her code, like those Crowned Heads who, without consulting anyone, accompanied by the slightly scandalised admiration of a suite which dares not venture any criticism, step out of their boxes during a gala performance and visit the lobby of the theatre, mingling for a moment or two with the rest of the audience. So between Mme. Swann and themselves the crowd felt that there existed those barriers of a certain kind of opulence which seem to them the most insurmountable that there are. The Faubourg Saint-Germain may have its barriers also, but these are less ‘telling′ to the eyes and imagination of the ‘shabby-genteel.′ These latter, when in the presence of a real personage, more simple, more easily mistaken for the wife of a small professional or business man, less remote from the people, will not feel the same sense of their own inequality, almost of their unworthiness, as dismays them when they encounter Mme. Swann. Of course women of that sort are not themselves dazzled, as the crowd are, by the brilliance of their apparel, they have ceased to pay any attention to it, but only because they have grown used to it, that is to say have come to look upon it more and more as natural and necessary, to judge their fellow creatures according as they are more or less initiated into these luxurious ways: so that (the grandeur which they allow themselves to display or discover in others being wholly material, easily verified, slowly acquired, the lack of it hard to compensate) if such women place a passer-by in the lowest rank of society, it is by the same instinctive process that has made them appear to him as in the highest, that is to say instinctively, at first sight, and without possibility of appeal. Perhaps that special class of society which included in those days women like Lady Israels, who mixed with the women of the aristocracy, and Mme. Swann, who was to get to know them later on, that intermediate class, inferior to the Faubourg Saint-Germain, since it ‘ran after′ the denizens of that quarter, but superior to everything that was not of the Faubourg Saint-Germain, possessing this peculiarity that, while already detached from the world of the merely rich, it was riches still that it represented, but riches that had been canalised, serving a purpose, swayed by an idea that was artistic, malleable gold, chased with a poetic design, taught to smile; perhaps that class — in the same form, at least, and with the same charm — exists no longer. In any event, the women who were its members would not satisfy to-day what was the primary condition on which they reigned, since with advancing age they have lost — almost all of them — their beauty. Whereas it was (just as much as from the pinnacle of her noble fortune) from the glorious zenith of her ripe and still so fragrant summer that Mme. Swann, majestic, smiling, kind, as she advanced along the Avenue du Bois, saw like Hypatia, beneath the slow tread of her feet, worlds revolving. Various young men as they passed looked at her anxiously, not knowing whether their vague acquaintance with her (especially since, having been introduced only once, at the most, to Swann, they were afraid that he might not remember them) was sufficient excuse for their venturing to take off their hats. And they trembled to think of the consequences as they made up their minds, asking themselves whether the gesture, so bold, so sacrilegious a tempting of providence, would not let loose the catastrophic forces of nature or bring down, upon them the vengeance of a jealous god. It provoked only, like the winding of a piece of clockwork, a series of gesticulations from little, responsive bowing figures, who were none other than Odette′s escort, beginning with Swann himself, who raised his tall hat lined in green leather with an exquisite courtesy, which he had acquired in the Faubourg Saint-Germain, but to which was no longer wedded the indifference that he would at one time have shewn. Its place was now taken (as though he had been to some extent permeated by Odette′s prejudices) at once by irritation at having to acknowledge the salute of a person who was none too well dressed and by satisfaction at his wife′s knowing so many people, a mixed sensation to which he gave expression by saying to the smart friends who walked by his side: “Whatl another! Upon my word, I can′t imagine where my wife picks all these fellows up!” Meanwhile, having greeted with a slight movement of her head the terrified youth, who had already passed out of sight though his heart was still beating furiously, Mme. Swann turned to me: “Then it′s all over?” she put it to me, “You aren′t ever coming to see Gilberte again? I′m glad you make an exception of me, and are not going to ‘drop′ me straight away. I like seeing you, but I used to like also the influence you had over my daughter. I′m sure she′s very sorry about it, too. However, I mustn′t bully you, or you′ll make up your mind at once that you never want to set eyes on me again.” “Odette, Sagan′s trying to speak to you!” Swann called his wife′s attention. And there, indeed, was the Prince, as in some transformation scene at the close of a play, or in a circus, or an old painting, wheeling his horse round so as to face her, in a magnificent heroic pose, and doffing his hat with a sweeping theatrical and, so to speak, allegorical flourish in which he displayed all the chivalrous courtesy of a great noble bowing in token of his respect for Woman, were she incarnate in a woman whom it was impossible for his mother or his sister to know. And at every moment, recognised in the depths of the liquid transparency and of the luminous glaze of the shadow which her parasol cast over her, Mme. Swann was receiving the salutations of the last belated horsemen, who passed as though in a cinematograph taken as they galloped in the blinding glare of the Avenue, men from the clubs, the names of whom, which meant only celebrities to the public, Antoine de Castellane, Adalbert de Montmorency and the rest — were for Mme. Swann the familiar names of friends. And as the average span of life, the relative longevity of our memories of poetical sensations is much greater than that of our memories of what the heart has suffered, long after the sorrows that I once felt on Gilberte′s account have faded and vanished, there has survived them the pleasure that I still derive — whenever I close my eyes and read, as it were upon the face of a sundial, the minutes that are recorded between a quarter past twelve and one o′clock in the month of May — from seeing myself once again strolling and talking thus with Mme. Swann beneath her parasol, as though in the coloured shade of a wistaria bower.
. . . Â…
J′étais arrivé à une presque complète indifférence à l′égard de Gilberte, quand deux ans plus tard je partis avec ma grand′mère pour Balbec. Quand je subissais le charme d′un visage nouveau, quand c′était à l′aide d′une autre jeune fille que j′espérais connaître les cathédrales gothiques, les palais et les jardins de l′Italie, je me disais tristement que notre amour, en tant qu′il est l′amour d′une certaine créature, n′est peut-être pas quelque chose de bien réel, puisque, si des associations de rêveries agréables ou douloureuses peuvent le lier pendant quelque temps à une femme jusqu′à nous faire penser qu′il a été inspiré par elle d′une façon nécessaire, en revanche si nous nous dégageons volontairement ou à notre insu de ces associations, cet amour comme s′il était au contraire spontané et venait de nous seuls, renaît pour se donner à une autre femme. Pourtant au moment de ce départ pour Balbec, et pendant les premiers temps de mon séjour mon indifférence n′était encore qu′intermittente. Souvent (notre vie étant si peu chronologique, interférant tant d′anachronismes dans la suite des jours), je vivais dans ceux, plus anciens que la veille ou l′avant-veille, où j′aimais Gilberte. Alors ne plus la voir m′était soudain douloureux, comme c′eût été dans ce temps-là. Le moi qui l′avait aimée, remplacé déjà presque entièrement par un autre, resurgissait, et il m′était rendu beaucoup plus fréquemment par une chose futile que par une chose importante. Par exemple, pour anticiper sur mon séjour en Normandie j′entendis à Balbec un inconnu que je croisai sur la digue dire: «La famille du directeur du ministère des Postes.» Or (comme je ne savais pas alors l′influence que cette famille devait avoir sur ma vie), ce propos aurait dû me paraître oiseux, mais il me causa une vive souffrance, celle qu′éprouvait un moi, aboli pour une grande part depuis longtemps, à être séparé de Gilberte. C′est que jamais je n′avais repensé à une conversation que Gilberte avait eue devant moi avec son père, relativement à la famille du «directeur du ministère des Postes». Or, les souvenirs d′amour ne font pas exception aux lois générales de la mémoire elles-mêmes régies par les lois plus générales de l′habitude. Comme celle-ci affaiblit tout, ce qui nous rappelle le mieux un être, c′est justement ce que nous avions oublié (parce que c′était insignifiant et que nous lui avions ainsi laissé toute sa force). C′est pourquoi la meilleure part de notre mémoire est hors de nous, dans un souffle pluvieux, dans l′odeur de renfermé d′une chambre ou dans l′odeur d′une première flambée, partout où nous retrouvons de nous-même ce que notre intelligence, n′en ayant pas l′emploi, avait dédaigné, la dernière réserve du passé, la meilleure, celle qui quand toutes nos larmes semblent taries, sait nous faire pleurer encore. Hors de nous? En nous pour mieux dire, mais dérobée à nos propres regards, dans un oubli plus ou moins prolongé. C′est grâce à cet oubli seul que nous pouvons de temps à autre retrouver l′être que nous fûmes, nous placer vis-à-vis des choses comme cet être l′était, souffrir à nouveau, parce que nous ne sommes plus nous, mais lui, et qu′il aimait ce qui nous est maintenant indifférent. Au grand jour de la mémoire habituelle, les images du passé pâlissent peu à peu, s′effacent, il ne reste plus rien d′elles, nous ne le retrouverions plus. Ou plutôt nous ne le retrouverions plus, si quelques mots (comme «directeur au ministère des Postes») n′avaient été soigneusement enfermés dans l′oubli, de même qu′on dépose à la Bibliothèque nationale un exemplaire d′un livre qui sans cela risquerait de devenir introuvable. I had arrived at a state almost of complete indifference to Gilberte when, two years later, I went with my grandmother to Balbec. When I succumbed to the attraction of a strange face, when it was with the help of some other girl that I hoped to discover gothic cathedrals, the palaces and gardens of Italy, I said to myself sadly that this love of ours, in so far as it is love for one particular creature, is not perhaps a very real thing, since if the association of pleasant or unpleasant trains of thought can attach it for a time to a woman so as to make us believe that it has been inspired by her, in a necessary sequence of effect to cause, yet when we detach ourselves, deliberately or unconsciously, from those associations, this love, as though it were indeed a spontaneous thing and sprang from ourselves alone, will revive in order to bestow itself on another woman. At the time, however, of my departure for Balbec, and during the earlier part of my stay there, my indifference was still only intermittent. Often, our life being so careless of chronology, interpolating so many anachronisms in the sequence of our days, I lived still among those — far older days than yesterday or last week — in which I loved Gilberte. And at once not seeing her became as exquisite a torture to me as it had been then. The self that had loved her, which another self had already almost entirely supplanted, rose again in me, stimulated far more often by a trivial than by an important event. For instance, if I may anticipate for a moment my arrival in Normandy, I heard some one who passed me on the sea-front at Balbec refer to the ‘Secretary to the Ministry of Posts and his family.′ Now, seeing that as yet I knew nothing of the influence which that family was to exercise over my life, this remark ought to have passed unheeded; instead, it gave me at once an acute twinge, which a self that had for the most part long since been outgrown in me felt at being parted from Gilberte. Because I had never given another thought to a conversation which Gilberte had had with her father in my hearing, in which allusion was made to the Secretary to the Ministry of Posts and to his family. Now our love memories present no exception to the general rules of memory, which in turn are governed by the still more general rules of Habit. And as Habit weakens every impression, what a person recalls to us most vividly is precisely what we had forgotten, because it was of no importance, and had therefore left in full possession of its strength. That is why the better part of our memory exists outside ourselves, in a blatter of rain, in the smell of an unaired room or of the first crackling brushwood fire in a cold grate: wherever, in short, we happen upon what our mind, having no use for it, had rejected, the last treasure that the past has in store, the richest, that which when all our flow of tears seems to have dried at the source can make us weep again. Outside ourselves, did I say; rather within ourselves, but hidden from our eyes in an oblivion more or less prolonged. It is thanks to this oblivion alone that we can from time to time recover the creature that we were, range ourselves face to face with past events as that creature had to face them, suffer afresh because we are no longer ourselves but he, and because he loved what leaves us now indifferent. In the broad daylight of our ordinary memory the images of the past turn gradually pale and fade out of sight, nothing remains of them, we shall never find them again. Or rather we should never find them again had not a few words (such as this ‘Secretary to the Ministry of Posts′) been carefully locked away in oblivion, just as an author deposits in the National Library a copy of a book which might otherwise become unobtainable.
Mais cette souffrance et ce regain d′amour pour Gilberte ne furent pas plus longs que ceux qu′on a en rêve, et cette fois au contraire parce qu′à Balbec, l′Habitude ancienne n′était plus là pour les faire durer. Et si ces effets de l′Habitude semblent contradictoires, c′est qu′elle obéit à des lois multiples. A Paris j′étais devenu de plus en plus indifférent à Gilberte, grâce à l′Habitude. Le changement d′habitude, c′est-à-dire la cessation momentanée de l′Habitude paracheva l′uvre de l′Habitude quand je partis pour Balbec. Elle affaiblit mais stabilise, elle amène la désagrégation mais la fait durer indéfiniment. Chaque jour depuis des années je calquais tant bien que mal mon état d′âme sur celui de la veille. A Balbec un lit nouveau à côté duquel on m′apportait le matin un petit déjeuner différent de celui de Paris, ne devait plus soutenir les pensées dont s′était nourri mon amour pour Gilberte: il y a des cas (assez rares, il est vrai) où la sédentarité immobilisant les jours, le meilleur moyen de gagner du temps, c′est de changer de place. Mon voyage à Balbec fut comme la première sortie d′un convalescent qui n′attendait plus qu′elle pour s′apercevoir qu′il est guéri. But this suffering and this recrudescence of my love for Gilberte lasted no longer than such things last in a dream, and this time, on the contrary, because at Balbec the old Habit was no longer there to keep them alive. And if these two effects of Habit appear to be incompatible, that is because Habit is bound by a diversity of laws. In Paris I had grown more and more indifferent to Gilberte, thanks to Habit. The change of habit, that is to say the temporary cessation of Habit, completed Habit′s task when I started for Balbec. It weakens, but it stabilises; it leads to disintegration but it makes the scattered elements last indefinitely. Day after day, for years past, I had begun by modelling my state of mind, more or less effectively, upon that of the day before. At Balbec, a strange bed, to the side of which a tray was brought in the morning that differed from my Paris breakfast tray, could not, obviously, sustain the fancies upon which my love for Gilberte had fed: there are cases (though not, I admit, commonly) in which, one′s days being paralysed by a sedentary life, the best way to save time is to change one′s place of residence. My journey to Balbec was like the first outing of a convalescent who needed only that to convince him that he was cured.
Ce voyage, on le ferait sans doute aujourd′hui en automobile, croyant le rendre ainsi plus agréable. On verra, qu′accompli de cette façon, il serait même en un sens plus vrai puisque on y suivrait de plus près, dans une intimité plus étroite, les diverses gradations selon lesquelles change la surface de la terre. Mais enfin le plaisir spécifique du voyage n′est pas de pouvoir descendre en route et s′arrêter quand on est fatigué, c′est de rendre la différence entre le départ et l′arrivée non pas aussi insensible, mais aussi profonde qu′on peut, de la ressentir dans sa totalité, intacte, telle quelle était dans notre pensée quand notre imagination nous portait du lieu où nous vivions jusqu′au cur d′un lieu désiré, en un bond qui nous semblait moins miraculeux parce qu′il franchissait une distance que parce qu′il unissait deux individualités distinctes de la terre, qu′il nous menait d′un nom à un autre nom, et que schématise (mieux qu′une promenade où, comme on débarque où l′on veut, il n′y a guère plus d′arrivée) l′opération mystérieuse qui s′accomplissait dans ces lieux spéciaux, les gares, lesquels ne font pas presque partie pour ainsi dire de la ville mais contiennent l′essence de sa personnalité de même que sur un écriteau signalétique elles portent son nom. The journey was one that would now be made, probably, in a motorcar, which would be supposed to render it more interesting. We shall see too that, accomplished in such a way, it would even be in a sense more genuine, since one would be following more nearly, in a closer intimacy, the various contours by which the surface of the earth is wrinkled. But after all the special attraction of the journey lies not in our being able to alight at places on the way and to stop altogether as soon as we grow tired, but in its making the difference between departure and arrival not as imperceptible but as intense as possible, so that we are conscious of it in its totality, intact, as it existed in our mind when imagination bore us from the place in which we were living right to the very heart of a place we longed to see, in a single sweep which seemed miraculous to us not so much because it covered a certain distance as because it united two distinct individualities of the world, took us from one name to another name; and this difference is accentuated (more than in a form of locomotion in which, since one can stop and alight where one chooses, there can scarcely be said to be any point of arrival) by the mysterious operation that is performed in those peculiar places, railway stations, which do not constitute, so to speak, a part of the surrounding town but contain the essence of its personality just as upon their sign-boards they bear its painted name.
Mais en tout genre, notre temps a la manie de vouloir ne montrer les choses qu′avec ce qui les entoure dans la réalité, et par là de supprimer l′essentiel, l′acte de l′esprit, qui les isola d′elle. On «présente» un tableau au milieu de meubles, de bibelots, de tentures de la même époque, fade décor qu′excelle à composer dans les hôtels d′aujourd′hui la maîtresse de maison la plus ignorante la veille, passant maintenant ses journées dans les archives et les bibliothèques et au milieu duquel le chef-d′uvre qu′on regarde tout en dînant ne nous donne pas la même enivrante joie qu′on ne doit lui demander que dans une salle de musée, laquelle symbolise bien mieux par sa nudité et son dépouillement de toutes particularités, les espaces intérieurs où l′artiste s′est abstrait pour créer. But in this respect as in every other, our age is infected with a mania for shewing things only in the environment that properly belongs to them, thereby suppressing the essential thing, the act of the mind which isolated them from that environment. A picture is nowadays ‘presented′ in the midst of furniture, ornaments, hangings of the same period, a secondhand scheme of decoration in the composition of which in the houses of to-day excels that same hostess who but yesterday was so crassly ignorant, but now spends her time poring over records and in libraries; and among these the masterpiece at which we glance up from the table while we dine does not give us that exhilarating delight which we can expect from it only in a public gallery, which symbolises far better by its bareness, by the absence of all irritating detail, those innermost spaces into which the artist withdrew to create it.
Malheureusement ces lieux merveilleux que sont les gares, d′où l′on part pour une destination éloignée, sont aussi des lieux tragiques, car si le miracle s′y accomplit grâce auquel les pays qui n′avaient encore d′existence que dans notre pensée vont être ceux au milieu desquels nous vivrons, pour cette raison même il faut renoncer au sortir de la salle d′attente à retrouver tout à l′heure la chambre familière où l′on était il y a un instant encore. Il faut laisser toute espérance de rentrer coucher chez soi, une fois qu′on s′est décidé à pénétrer dans l′antre empesté par où l′on accède au mystère, dans un de ces grands ateliers vitrés, comme celui de Saint-Lazare où j′allai chercher le train de Balbec, et qui déployait au-dessus de la ville éventrée un de ces immenses ciels crus et gros de menaces amoncelées de drame, pareils à certains ciels, d′une modernité presque parisienne, de Mantegna ou de Véronèse, et sous lequel ne pouvait s′accomplir que quelque acte terrible et solennel comme un départ en chemin de fer ou l′érection de la Croix. Unhappily those marvellous places which are railway stations, from which one sets out for a remote destination, are tragic places also, for if in them the miracle is accomplished whereby scenes which hitherto have had no existence save in our minds are to become the scenes among which we shall be living, for that very reason we must, as we emerge from the waiting-room, abandon any thought of finding ourself once again within the familiar walls which, but a moment ago, were still enclosing us. We must lay aside all hope of going home to sleep in our own bed, once we have made up our mind to penetrate into the pestiferous cavern through which we may have access to the mystery, into one of those vast, glass-roofed sheds, like that of Saint-Lazare into which I must go to find the train for Balbec, and which extended over the rent bowels of the city one of those bleak and boundless skies, heavy with an accumulation of dramatic menaces, like certain skies painted with an almost Parisian modernity by Mantegna or Veronese, beneath which could be accomplished only some solemn and tremendous act, such as a departure by train or the Elevation of the Cross.
Tant que je m′étais contenté d′apercevoir du fond de mon lit de Paris l′église persane de Balbec au milieu des flocons de la tempête, aucune objection à ce voyage n′avait été faite par mon corps. Elles avaient commencé seulement quand il avait compris qu′il serait de la partie et que le soir de l′arrivée on me conduirait à «ma» chambre qui lui serait inconnue. Sa révolte était d′autant plus profonde que la veille même du départ j′avais appris que ma mère ne nous accompagnerait pas, mon père, retenu au ministère jusqu′au moment où il partirait pour l′Espagne avec M. de Norpois ayant préféré louer une maison dans les environs de Paris. D′ailleurs la contemplation de Balbec ne me semblait pas moins désirable parce qu′il fallait l′acheter au prix d′un mal qui au contraire me semblait figurer et garantir, la réalité de l′impression que j′allais chercher, impression que n′aurait remplacée aucun spectacle prétendu équivalent, aucun «panorama» que j′eusse pu aller voir sans être empêché par cela même de rentrer dormir dans mon lit. Ce n′était pas la première fois que je sentais que ceux qui aiment et ceux qui ont du plaisir ne sont pas les mêmes. Je croyais désirer aussi profondément Balbec que le docteur qui me soignait et qui me dit s′étonnant, le matin du départ, de mon air malheureux: «Je vous réponds que si je pouvais seulement trouver huit jours pour aller prendre le frais au bord de la mer, je ne me ferais pas prier. Vous allez avoir les courses, les régates, ce sera exquis.» Pour moi j′avais déjà appris et même bien avant d′aller entendre la Berma, que quelle que fût la chose que j′aimerais, elle ne serait jamais placée qu′au terme d′une poursuite douloureuse au cours de laquelle il me faudrait d′abord sacrifier mon plaisir à ce bien suprême, au lieu de l′y chercher. So long as I had been content to look out from the warmth of my own bed in Paris at the Persian church of Balbec, shrouded in driving sleet, no sort of objection to this journey had been offered by my body. Its objections began only when it had gathered that it would have itself to take part in the journey, and that on the evening of my arrival I should be shewn to ‘my′ room which to my body would be unknown. Its revolt was all the more deep-rooted in that on the very eve of my departure I learned that my mother would not be coming with us, my father, who would be kept busy at the Ministry until it was time for him to start for Spain with M. de Norpois, having preferred to take a house in the neighbourhood of Paris. On the other hand, the spectacle of Balbec seemed to me none the less desirable because I must purchase it at the price of a discomfort which, on the contrary, I felt to indicate and to guarantee the reality of the impression which I was going there to seek, an impression the place of which no spectacle of professedly equal value, no ‘panorama′ which I might have gone to see without being thereby precluded from returning home to sleep in my own bed, could possibly have filled. It was not for the first time that I felt that those who love and those who find pleasure are not always the same. I believed myself to be longing fully as much for Balbec as the doctor who was treating me, when he said to me, surprised, on the morning of our departure, to see me look so unhappy, “I don′t mind telling you that if I could only manage a week to go down and get a blow by the sea, I shouldn′t wait to be asked twice. You′ll be having races, regattas; you don′t know what all!” But I had already learned the lesson — long before I was taken to hear Berma — that, whatever it might be that I loved, it would never be attained save at the end of a long and heart-rending pursuit, in the course of which I should have first to sacrifice my own pleasure to that paramount good instead of seeking it there.
Ma grand′mère concevait naturellement notre départ d′une façon un peu différente et toujours aussi désireuse qu′autrefois de donner aux présents qu′on me faisait un caractère artistique, avait voulu pour m′offrir de ce voyage une «épreuve» en partie ancienne, que nous refissions moitié en chemin de fer, moitié en voiture le trajet qu′avait suivi Mme de Sévigné quand elle était allée de Paris à «L′Orient» en passant par Chaulnes et par «le Pont-Audemer». Mais ma grand′mère avait été obligée de renoncer à ce projet, sur la défense de mon père, qui savait, quand elle organisait un déplacement en vue de lui faire rendre tout le profit intellectuel qu′il pouvait comporter, combien on pouvait pronostiquer de trains manqués, de bagages perdus, de maux de gorge et de contraventions. Elle se réjouissait du moins à la pensée que jamais au moment d′aller sur la plage, nous ne serions exposés à en être empêchés par la survenue de ce que sa chère Sévigné appelle une chienne de carrossée, puisque nous ne connaîtrions personne à Balbec, Legrandin ne nous ayant pas offert de lettre d′introduction pour sa sur. (Abstention qui n′avait pas été appréciée de même par mes tantes Céline et Victoire lesquelles ayant connu jeune fille celle qu′elles n′avaient appelée jusqu′ici, pour marquer cette intimité d′autrefois que «Renée de Cambremer», et possédant encore d′elle de ces cadeaux qui meublent une chambre et la conversation mais auxquels la réalité actuelle ne correspond pas, croyaient venger notre affront en ne prononçant plus jamais chez Mme Legrandin mère, le nom de sa fille, et se bornant à se congratuler une fois sorties par des phrases comme: «Je n′ai pas fait allusion à qui tu sais», «je crois qu′on aura compris».) My grandmother, naturally enough, looked upon our exodus from a somewhat different point of view, and (for she was still as anxious as ever that the presents which were made me should take some artistic form) had planned, so that she might be offering me, of this journey, a ‘print′ that was, at least, in parts ‘old,′ that we should repeat, partly by rail and partly by road, the itinerary that Mme. de Sévigné followed when she went from Paris to ‘L′Orient′ by way of Chaulnes and ‘the Pont-Audemer.′ But my grandmother had been obliged to abandon this project, at the instance of my father who knew, whenever she organised any expedition with a view to extracting from it the utmost intellectual benefit that it was capable of yielding, what a tale there would be to tell of missed trains, lost luggage, sore throats and broken rules. She was free at least to rejoice in the thought that never, when the time came for us to sally forth to the beach, should we be exposed to the risk of being kept indoors by the sudden appearance of what her beloved Sévigné calls a ‘beast of a coachload,′ since we should know not a soul at Balbec, Legrandin having refrained from offering us a letter of introduction to his sister. (This abstention had not been so well appreciated by my aunts Céline and Flora, who, having known as a child that lady, of whom they had always spoken until then, to commemorate this early intimacy, as ‘Renée de Cambremer,′ and having had from her and still possessing a number of those little presents which continue to ornament a room or a conversation but to which the feeling between the parties no longer corresponds, imagined that they were avenging the insult offered to us by never uttering again, when they called upon Mme. Legrandin, the name of her daughter, confining themselves to a mutual congratulation, once they were safely out of the house: “I made no reference to you know whom!” “I think that went home!”)
Donc nous partirions simplement de Paris par ce train de une heure vingt-deux que je m′étais plu trop longtemps à chercher dans l′indicateur des chemins de fer où il me donnait chaque fois l′émotion, presque la bienheureuse illusion du départ, pour ne pas me figurer que je le connaissais. Comme la détermination dans notre imagination des traits d′un bonheur tient plutôt à l′identité des désirs qu′il nous inspire, qu′à la précision des renseignements que nous avons sur lui, je croyais connaître celui-là dans ses détails, et je ne doutais pas que j′éprouverais dans le wagon un plaisir spécial quand la journée commencerait à fraîchir, que je contemplerais tel effet à l′approche d′une certaine station; si bien que ce train réveillant toujours en moi les images des mêmes villes que j′enveloppais dans la lumière de ces heures de l′après-midi qu′il traverse, me semblait différent de tous les autres trains; et j′avais fini comme on fait souvent pour un être qu′on n′a jamais vu mais dont on se plaît à s′imaginer qu′on a conquis l′amitié, par donner une physionomie particulière et immuable à ce voyageur artiste et blond qui m′aurait emmené sur sa route, et à qui j′aurais dit adieu au pied de la cathédrale de Saint-Lô, avant qu′il se fût éloigné vers le couchant. And so we were simply to leave Paris by that one twenty-two train which I had too often beguiled myself by looking out in the railway timetable, where its itinerary never failed to give me the emotion, almost the illusion of starting by it, not to feel that I already knew it. As the delineation in our mind of the features of any form of happiness depends more on the nature of the longings that it inspires in us than on the accuracy of the information which we have about it, I felt that I knew this train in all its details, nor did I doubt that I should feel, sitting in one of its compartments, a special delight as the day began to cool, should be contemplating this or that view as the train approached one or another station; so much so that this train, which always brought to my mind′s eye the images of the same towns, which I bathed in the sunlight of those post-meridian hours through which it sped, seemed to me to be different from every other train; and I had ended — as we are apt to do with a person whom we have never seen but of whom we like to believe that we have won his friendship — by giving a distinct and unalterable cast of countenance to the traveller, artistic, golden-haired, who would thus have taken me with him upon his journey, and to whom I should bid farewell beneath the Cathedral of Saint-Lo, before he hastened to overtake the setting sun.
Comme ma grand′mère ne pouvait se résoudre à aller «tout bêtement» à Balbec, elle s′arrêterait vingt-quatre heures chez une de ses amies, de chez laquelle je repartirais le soir même pour ne pas déranger, et aussi de façon à voir dans la journée du lendemain l′église de Balbec, qui, avions-nous appris, était assez éloignée de Balbec-Plage, et où je ne pourrais peut-être pas aller ensuite au début de mon traitement de bains. Et peut-être était-il moins pénible pour moi de sentir l′objet admirable de mon voyage placé avant la cruelle première nuit où j′entrerais dans une demeure nouvelle et accepterais d′y vivre. Mais il avait fallu d′abord quitter l′ancienne; ma mère avait arrangé de s′installer ce jour-là même à Saint-Cloud, et elle avait pris, ou feint de prendre, toutes ses dispositions pour y aller directement après nous avoir conduits à la gare, sans avoir à repasser par la maison où elle craignait que je ne voulusse, au lieu de partir pour Balbec, rentrer avec elle. Et même sous le prétexte d′avoir beaucoup à faire dans la maison qu′elle venait de louer et d′être à court de temps, en réalité pour m′éviter la cruauté de ce genre d′adieux, elle avait décidé de ne pas rester avec nous jusqu′à ce départ du train où, dissimulée auparavant dans des allées et venues et des préparatifs qui n′engagent pas définitivement, une séparation apparaît brusquement, impossible à souffrir, alors qu′elle n′est déjà plus possible à éviter, concentrée tout entière dans un instant immense de lucidité impuissante et suprême. As my grandmother could not bring herself to do anything so ‘stupid′ as to go straight to Balbec, she was to break the journey half-way, staying the night with one of her friends, from whose house I was to proceed the same evening, so as not to be in the way there and also in order that I might arrive by daylight and see Balbec Church, which, we had learned, was at some distance from Balbec-Plage, so that I might not have a chance to visit it later on, when I had begun my course of baths. And perhaps it was less painful for me to feel that the desirable goal of my journey stood between me and that cruel first night on which I should have to enter a new habitation, and consent to dwell there. But I had had first to leave the old; my mother had arranged to ‘move in,′ that afternoon, at Saint-Cloud, and had made, or pretended to make, all the arrangements for going there directly after she had seen us off at the station, without needing to call again at our own house to which she was afraid that I might otherwise feel impelled at the last moment, instead of going to Balbec, to return with her. In fact, on the pretext of having so much to see to in the house which she had just taken and of being pressed for time, but in reality so as to spare me the cruel ordeal of a long-drawn parting, she had decided not to wait with us until that moment of the signal to start at which, concealed hitherto among ineffective comings and goings and preparations that lead to nothing definite, separation is made suddenly manifest, impossible to endure when it is no longer possibly to be avoided, concentrated in its entirety in one enormous instant of impotent and supreme lucidity.
Pour la première fois je sentais qu′il était possible que ma mère vécût sans moi, autrement que pour moi, d′une autre vie. Elle allait habiter de son côté avec mon père à qui peut-être elle trouvait que ma mauvaise santé, ma nervosité, rendaient l′existence un peu compliquée et triste. Cette séparation me désolait davantage parce que je me disais qu′elle était probablement pour ma mère le terme des déceptions successives que je lui avais causées, qu′elle m′avait tues et après lesquelles elle avait compris la difficulté de vacances communes; et peut-être aussi le premier essai d′une existence à laquelle elle commençait à se résigner pour l′avenir, au fur et à mesure que les années viendraient pour mon père et pour elle, d′une existence où je la verrais moins, où ce qui même dans mes cauchemars ne m′était jamais apparu, elle serait déjà pour moi un peu étrangère, une dame qu′on verrait rentrer seule dans une maison où je ne serais pas, demandant au concierge s′il n′y avait pas de lettres de moi. For the first time I began to feel that it was possible that my mother might live without me, otherwise than for me, a separate life. She was going to stay with my father, whose existence it may have seemed to her that my feeble health, my nervous excitability complicated somewhat and saddened. This separation made me all the more wretched because I told myself that it probably marked for my mother an end of the successive disappointments which I had caused her, of which she had never said a word to me but which had made her realise the difficulty of our taking our holidays together; and perhaps also the first trial of a form of existence to which she was beginning, now, to resign herself for the future, as the years crept on for my father and herself, an existence in which I should see less of her, in which (a thing that not even in my nightmares had yet been revealed to me) she would already have become something of a stranger, a lady who might be seen going home by herself to a house in which I should not be, asking the porter whether there was not a letter for her from me.
Je pus à peine répondre à l′employé qui voulut me prendre ma valise. Ma mère essayait pour me consoler des moyens qui lui paraissaient les plus efficaces. Elle croyait inutile d′avoir l′air de ne pas voir mon chagrin, elle le plaisantait doucement: I could scarcely answer the man in the station who offered to take my bag. My mother, to comfort me, tried the methods which seemed to her most efficacious. Thinking it to be useless to appear not to notice my unhappiness, she gently teased me about it:
— «Eh bien, qu′est-ce que dirait l′église de Balbec si elle savait que c′est avec cet air malheureux qu′on s′apprête à aller la voir? Est-ce cela le voyageur ravi dont parle Ruskin? D′ailleurs, je saurai si tu as été à la hauteur des circonstances, même loin je serai encore avec mon petit loup. Tu auras demain une lettre de ta maman.» “Well, and what would Balbec church say if it knew that people pulled long faces like that when they were going to see it? Surely this is not the enraptured tourist Ruskin speaks of. Besides, I shall know if you rise to the occasion, even when we are miles apart I shall still be with my little man. You shall have a letter to-morrow from Mamma.”
«Ma fille, dit ma grand′mère, je te vois comme Mme de Sévigné, une carte devant les yeux et ne nous quittant pas un instant.» “My dear,” said my grandmother, “I picture you like Mme. de Sévigné, your eyes glued to the map, and never losing sight of us for an instant.”
Puis maman cherchait à me distraire, elle me demandait ce que je commanderais pour dîner, elle admirait Françoise, lui faisait compliment d′un chapeau et d′un manteau qu′elle ne reconnaissait pas, bien qu′ils eussent jadis excité son horreur quand elle les avait vus neufs sur ma grand′tante, l′un avec l′immense oiseau qui le surmontait, l′autre chargé de dessins affreux et de jais. Mais le manteau étant hors d′usage, Françoise l′avait fait retourner et exhibait un envers de drap uni d′un beau ton. Quant à l′oiseau, il y avait longtemps que, cassé, il avait été mis au rancart. Et, de même qu′il est quelquefois troublant de rencontrer les raffinements vers lesquels les artistes les plus conscients s′efforcent, dans une chanson populaire, à la façade de quelque maison de paysan qui fait épanouir au-dessus de la porte une rose blanche ou soufrée juste à la place qu′il fallait — de même le nud de velours, la coque de ruban qui eussent ravi dans un portrait de Chardin ou de Whistler, Françoise les avait placés avec un goût infaillible et nasur le chapeau devenu charmant. Then Mamma sought to distract my mind, asked me what I thought of having for dinner, drew my attention to Françoise, complimented her on a hat and cloak which she did not recognise, in spite of their having horrified her long ago when she first saw them, new, upon my great-aunt, one with an immense bird towering over it, the other decorated with a hideous pattern and jet beads. But the cloak having grown too shabby to wear, Françoise had had it turned, exposing an ‘inside′ of plain cloth and quite a good colour. As for the bird, it had long since come to grief and been thrown away. And just as it is disturbing, sometimes, to find the effects which the most conscious artists attain only by an effort occurring in a folk-song, on the wall of some peasant′s cottage where above the door, at the precisely right spot in the composition, blooms a white or yellow rose — so the velvet band, the loop of ribbon which would have delighted one in a portrait by Chardin or Whistler, Françoise had set with a simple but unerring taste upon the hat, which was now charming.
Pour remonter à un temps plus ancien, la modestie et l′honnêteté qui donnaient souvent de la noblesse souvent au visage de notre vieille servante ayant gagné les vêtements que, en femme réservée mais sans bassesse, qui sait «tenir son rang et garder sa place», elle avait revêtus pour le voyage afin d′être digne d′être vue avec nous sans avoir l′air de chercher à se faire voir, — Françoise dans le drap cerise mais passé de son manteau et les poils sans rudesse de son collet de fourrure, faisait penser à quelqu′une de ces images d′Anne de Bretagne peintes dans des livres d′Heures par un vieux maître, et dans lesquelles tout est si bien en place, le sentiment de l′ensemble s′est si également répandu dans toutes les parties que la riche et désuète singularité du costume exprime la même gravité pieuse que les yeux, les lèvres et les mains. To take a parallel from an earlier age, the modesty and integrity which often gave an air of nobility to the face of our old servant having spread also to the garments which, as a woman reserved but not humbled, who knew how to hold her own and to keep her place, she had put on for the journey so as to be fit to be seen in our company without at the same time seeming or wishing to make herself conspicuous — Françoise in the cherry-coloured cloth, now faded, of her cloak, and the discreet nap of her fur collar, brought to mind one of those miniatures of Anne of Brittany painted in Books of Hours by an old master, in which everything is so exactly in the right place, the sense of the whole is so evenly distributed throughout the parts that the rich and obsolete singularity of the costume expresses the same pious gravity as the eyes, lips and hands.
On n′aurait pu parler de pensée à propos de Françoise. Elle ne savait rien, dans ce sens total où ne rien savoir équivaut à ne rien comprendre, sauf les rares vérités que le cur est capable d′atteindre directement. Le monde immense des idées n′existait pas pour elle. Mais devant la clarté de son regard, devant les lignes délicates de ce nez, de ces lèvres, devant tous ces témoignages absents de tant d′êtres cultivés chez qui ils eussent signifié la distinction suprême, le noble détachement d′un esprit d′élite, on était troublé comme devant le regard intelligent et bon d′un chien à qui on sait pourtant que sont étrangères toutes les conceptions des hommes, et on pouvait se demander s′il n′y a pas parmi ces autres humbles frères, les paysans, des êtres qui sont comme les hommes supérieurs du monde des simples d′esprit, ou plutôt qui, condamnés par une injuste destinée à vivre parmi les simples d′esprit, privés de lumière, mais qui pourtant plus naturellement, plus essentiellement apparentés aux natures d′élite que ne le sont la plupart des gens instruits, sont comme des membres dispersés, égarés, privés de raison, de la famille sainte, des parents, restés en enfance, des plus hautes intelligences, et auxquels — comme il apparaît dans la lueur impossible à méconnaître de leurs yeux où pourtant elle ne s′applique à rien — il n′a manqué, pour avoir du talent, que du savoir. Of thought, in relation to Françoise, one could hardly speak. She knew nothing, in that absolute sense in which to know nothing means to understand nothing, save the rare truths to which the heart is capable of directly attaining. The vast world of ideas existed not for her. But when one studied the clearness of her gaze, the lines of nose and lips, all those signs lacking from so many people of culture in whom they would else have signified a supreme distinction, the noble detachment of a chosen spirit, one was disquieted, as one is by the frank, intelligent eyes of a dog, to which, nevertheless, one knows that all our human concepts must be alien, and was led to ask oneself whether there might not be, among those other humble brethren, our peasant countrymen, creatures who were, like the great ones of the earth, of simple mind, or rather, doomed by a harsh fate to live among the simple-minded, deprived of heavenly light, were yet more naturally, more instinctively akin to the chosen spirits than most educated people, were, so to speak, all members, though scattered, straying, robbed of their heritage of reason, of the celestial family, kinsfolk, that have been lost in infancy, of the loftiest minds to whom — as is apparent from the unmistakable light in their eyes, although they can concentrate that light on nothing — there has been lacking, to endow them with talent, knowledge only.
Ma mère voyant que j′avais peine à contenir mes larmes, me disait: «Régulus avait coutume dans les grandes circonstances . . . Et puis ce n′est pas gentil pour ta maman. Citons Madame de Sévigné, comme ta grand′mère: «Je vais être obligée de me servir de tout le courage que tu n′as pas.» Et se rappelant que l′affection pour autrui détourne des douleurs égoî²´es, elle tâchait de me faire plaisir en me disant qu′elle croyait que son trajet de Saint-Cloud s′effectuerait bien, qu′elle était contente du fiacre qu′elle avait gardé, que le cocher était poli, et la voiture confortable. Je m′efforçais de sourire à ces détails et j′inclinais la tête d′un air d′acquiescement et de satisfaction. Mais ils ne m′aidaient qu′à me représenter avec plus de vérité le départ de Maman et c′est le cur serré que je la regardais comme si elle était déjà séparée de moi, sous ce chapeau de paille rond qu′elle avait acheté pour la campagne, dans une robe légère qu′elle avait mise à cause de cette longue course par la pleine chaleur, et qui la faisaient autre, appartenant déjà à la villa de «Montretout» où je ne la verrais pas. My mother, seeing that I had difficulty in keeping back my tears, said to me: “‘Regulus was in the habit, when things looked grave. . . . ′ Besides, it isn′t nice for Mamma! What does Mme. de Sévigné say? Your grandmother will tell you: ‘I shall be obliged to draw upon all the courage that you lack.′” And remembering that affection for another distracts one′s selfish griefs, she endeavoured to beguile me by telling me that she expected the removal to Saint-Cloud to go without a hitch, that she liked the cab, which she had kept waiting, that the driver seemed civil and the seats comfortable. I made an effort to smile at these trifles, and bowed my head with an air of acquiescence and satisfaction. But they helped me only to depict to myself with more accuracy Mamma′s imminent departure, and it was with an agonised heart that I gazed at her as though she were already torn from me, beneath that wide-brimmed straw hat which she had bought to wear in the country, in a flimsy dress which she had put on in view of the long drive through the sweltering midday heat; hat and dress making her some one else, some one who belonged already to the Villa Montretout, in which I should not see her.
Pour éviter les crises de suffocation que me donnerait le voyage, le médecin m′avait conseillé de prendre au moment du départ un peu trop de bière ou de cognac, afin d′être dans un état qu′il appelait «euphorie», où le système nerveux est momentanément moins vulnérable. J′étais encore incertain si je le ferais, mais je voulais au moins que ma grand′mère reconnût qu′au cas où je m′y déciderais, j′aurais pour moi le droit et la sagesse. Aussi j′en parlais comme si mon hésitation ne portait que sur l′endroit où je boirais de l′alcool, buffet ou wagon-bar. Mais aussitôt à l′air de blâme que prit le visage de ma grand′mère et de ne pas même vouloir s′arrêter à cette idée: «Comment, m′écriai-je, me résolvant soudain à cette action d′aller boire, dont l′exécution devenait nécessaire à prouver ma liberté puisque son annonce verbale n′avait pu passer sans protestation, comment tu sais combien je suis malade, tu sais ce que le médecin m′a dit, et voilà le conseil que tu me donnes!» To prevent the choking fits which the journey might otherwise give me the doctor had advised me to take, as we started, a good stiff dose of beer or brandy, so as to begin the journey in a state of what he called ‘euphoria,′ in which the nervous system is for a time less vulnerable. I had not yet made up my mind whether I should do this, but I wished at least that my grandmother should admit that, if I did so decide, I should have wisdom and authority on my side. I spoke therefore as if my hesitation were concerned only with where I should go for my drink, to the bar on the platform or to the restaurant-car on the train. But immediately, at the air of reproach which my grandmother′s face assumed, an air of not wishing even to entertain such an idea for a moment, “What!” I said to myself, suddenly determining upon this action of going out to drink, the performance of which became necessary as a proof of my independence since the verbal announcement of it had not succeeded in passing unchallenged, “What! You know how ill I am, you know what the doctor ordered, and you treat me like this!”
Quand j′eus expliqué mon malaise à ma grand′mère, elle eut un air si désolé, si bon, en répondant: «Mais alors, va vite chercher de la bière ou une liqueur, si cela doit te faire du bien» que je me jetai sur elle et la couvris de baisers. Et si j′allai cependant boire beaucoup trop dans le bar du train, ce fut parce que je sentais que sans cela j′aurais un accès trop violent et que c′est encore ce qui la peinerait le plus. Quand, à la première station je remontai dans notre wagon, je dis à ma grand′mère combien j′étais heureux d′aller à Balbec, que je sentais que tout s′arrangerait bien, qu′au fond je m′habituerais vite à être loin de maman, que ce train était agréable, l′homme du bar et les employés si charmants que j′aurais voulu refaire souvent ce trajet pour avoir la possibilité de les revoir. Ma grand′mère cependant ne paraissait pas éprouver la même joie que moi de toutes ces bonnes nouvelles. Elle me répondit en évitant de me regarder: When I had explained to my grandmother how unwell I felt, her distress, her kindness were so apparent as she replied, “Run along then, quickly; get yourself some beer or a liqueur if it will do you any good,” that I flung myself upon her, almost smothering her in kisses. And if after that I went and drank a great deal too much in the restaurant-car of the train, that was because I felt that otherwise I should have a more violent attack than usual, which was just what would vex her most. When at the first stop I clambered back into our compartment I told my grandmother how pleased I was to be going to Balbec, that I felt that everything would go off splendidly, that after all I should soon grow used to being without Mamma, that the train was most comfortable, the steward and attendants in the bar so friendly that I should like to make the journey often so as to have opportunities of seeing them again. My grandmother, however, did not appear to feel the same joy as myself at all these good tidings. She answered, without looking me in the face:
«— Tu devrais peut-être essayer de dormir un peu», et tourna les yeux vers la fenêtre dont nous avions baissé le rideau qui ne remplissait pas tout le cadre de la vitre, de sorte que le soleil pouvait glisser sur le chêne ciré de la portière et le drap de la banquette (comme une réclame beaucoup plus persuasive pour une vie mêlée à la nature que celles accrochées trop haut dans le wagon, par les soins de la Compagnie, et représentant des paysages dont je ne pouvais pas lire les noms) la même clarté tiède et dormante qui faisait la sieste dans les clairières. “Why don′t you try to get a little sleep?” and turned her gaze to the window, the blind of which, though we had drawn it, did not completely cover the glass, so that the sun could and did slip in over the polished oak of the door and the cloth of the seat (like an advertisement of a life shared with nature far more persuasive than those posted higher upon the walls of the compartment, by the railway company, representing places in the country the names of which I could not make out from where I sat) the same warm and slumberous light which lies along a forest glade.
Mais quand ma grand′mère croyait que j′avais les yeux fermés, je la voyais par moments sous son voile à gros pois jeter un regard sur moi puis le retirer, puis recommencer, comme quelqu′un qui cherche à s′efforcer pour s′y habituer, à un exercice qui lui est pénible. But when my grandmother thought that my eyes were shut I could see her, now and again, from among the large black spots on her veil, steal a glance at me, then withdraw it, and steal back again, like a person trying to make himself, so as to get into the habit, perform some exercise that hurts him.
Alors je lui parlais, mais cela ne semblait pas lui être agréable. Et à moi pourtant ma propre voix me donnait du plaisir, et de même les mouvements les plus insensibles, les plus intérieurs de mon corps. Aussi je tâchais de les faire durer, je laissais chacune de mes inflexions s′attarder longtemps aux mots, je sentais chacun de mes regards se trouver bien là où il s′était posé et y rester au delà du temps habituel. «Allons, repose-toi, me dit ma grand′mère. Si tu ne peux pas dormir lis quelque chose.» Et elle me passa un volume de Mme de Sévigné que j′ouvris, pendant qu′elle-même s′absorbait dans les Mémoires de Madame de Beausergent. Elle ne voyageait jamais sans un tome de l′une et de l′autre. C′était ses deux auteurs de prédilection. Ne bougeant pas volontiers ma tête en ce moment et éprouvant un grand plaisir à garder une position une fois que je l′avais prise, je restai à tenir le volume de Mme de Sévigné sans l′ouvrir, et je n′abaissai pas sur lui mon regard qui n′avait devant lui que le store bleu de la fenêtre. Mais contempler ce store me paraissait admirable et je n′eusse pas pris la peine de répondre à qui eût voulu me détourner de ma contemplation. La couleur bleue du store me semblait non peut-être par sa beauté mais par sa vivacité intense effacer à tel point toutes les couleurs qui avaient été devant mes yeux depuis le jour de ma naissance jusqu′au moment où j′avais fini d′avaler ma boisson et où elle avait commencé de faire son effet, qu′à côté de ce bleu du store, elles étaient pour moi aussi ternes, aussi nulles, que peut l′être rétrospectivement l′obscurité où ils ont vécu pour les aveugles-nés qu′on opère sur le tard et qui voient enfin les couleurs. Un vieil employé vint nous demander nos billets. Les reflets argentés qu′avaient les boutons en métal de sa tunique ne laissèrent pas de me charmer. Je voulus lui demander de s′asseoir à côté de nous. Mais il passa dans un autre wagon, et je songeai avec nostalgie à la vie des cheminots, lesquels passant tout leur temps en chemin de fer, ne devaient guère manquer un seul jour de voir ce vieil employé. Le plaisir que j′éprouvais à regarder le store bleu et à sentir que ma bouche était à demi ouverte commença enfin à diminuer. Je devins plus mobile; je remuai un peu; j′ouvris le volume que ma grand′mère m′avait tendu et je pus fixer mon attention sur les pages que je choisis çà et là. Tout en lisant je sentais grandir mon admiration pour Mme de Sévigné. Thereupon I spoke to her, but that seemed not to please her either. And yet to myself the sound of my own voice was pleasant, as were the most imperceptible, the most internal movements of my body. And so I endeavoured to prolong it. I allowed each of my inflexions to hang lazily upon its word, I felt each glance from my eyes arrive just at the spot to which it was directed and stay there beyond the normal period. “Now, now, sit still and rest,” said my grandmother. “If you can′t manage to sleep, read something.” And she handed me a volume of Madame de Sévigné which I opened, while she buried herself in the Mémoires de Madame de Beausergent. She never travelled anywhere without a volume of each. They were her two favourite authors. With no conscious movement of my head, feeling a keen pleasure in maintaining a posture after I had adopted it, I lay back holding in my hands the volume of Madame de Sévigné which I had allowed to close, without lowering my eyes to it, or indeed letting them see anything but the blue window-blind. But the contemplation of this blind appeared to me an admirable thing, and I should not have troubled to answer anyone who might have sought to distract me from contemplating it. The blue colour of this blind seemed to me, not perhaps by its beauty but by its intense vivacity, to efface so completely all the colours that had passed before my eyes from the day of my birth up to the moment in which I had gulped down the last of my drink and it had begun to take effect, that when compared with this blue they were as drab, as void as must be retrospectively the darkness in which he has lived to a man born blind whom a subsequent operation has at length enabled to see and to distinguish colours. An old ticket-collector came to ask for our tickets. The silvery gleam that shone from the metal buttons of his jacket charmed me in spite of my absorption. I wanted to ask him to sit down beside us. But he passed on to the next carriage, and I thought with longing of the life led by railwaymen for whom, since they spent all their time on the line, hardly a day could pass without their seeing this′ old collector. The pleasure that I found in staring at the blind, and in feeling that my mouth was half-open, began at length to diminish. I became more mobile; I even moved in my seat; I opened the book that my grandmother had given me and turned its pages casually, reading whatever caught my eye. And as I read I felt my admiration for Madame de Sévigné grow.
Il ne faut pas se laisser tromper par des particularités purement formelles qui tiennent à l′époque, à la vie de salon et qui font que certaines personnes croient qu′elles ont fait leur Sévigné quand elles ont dit: «Mandez-moi ma bonne» ou «Ce comte me parut avoir bien de l′esprit», ou «faner est la plus jolie chose du monde». Déjà Mme de Simiane s′imagine ressembler à sa grand′mère parce qu′elle écrit: «M. de la Boulie se porte à merveille, monsieur, et il est fort en état d′entendre des nouvelles de sa mort», ou «Oh! mon cher marquis, que votre lettre me plaît! Le moyen de ne pas y répondre», ou encore: «Il me semble, monsieur, que vous me devez une réponse et moi des tabatières de bergamote. Je m′en acquitte pour huit, il en viendra d′autres . . .; jamais la terre n′en avait tant porté. C′est apparemment pour vous plaire.» Et elle écrit dans ce même genre la lettre sur la saignée, sur les citrons, etc., qu′elle se figure être des lettres de Mme de Sévigné. Mais ma grand′mère qui était venue à celle-ci par le dedans, par l′amour pour les siens, pour la nature, m′avait appris à en aimer les vraies beautés, qui sont tout autres. Elles devaient bientôt me frapper d′autant plus que Mme de Sévigné est une grande artiste de la même famille qu′un peintre que j′allais rencontrer à Balbec et qui eut une influence si profonde sur ma vision des choses, Elstir. Je me rendis compte à Balbec que c′est de la même façon que lui, qu′elle nous présente les choses, dans l′ordre de nos perceptions, au lieu de les expliquer d′abord par leur cause. Mais déjà cet après-midi-là, dans ce wagon, en relisant la lettre où apparaît le clair de lune: «Je ne pus résister à la tentation, je mets toutes mes coiffes et casques qui n′étaient pas nécessaires, je vais dans ce mail dont l′air est bon comme celui de ma chambre; je trouve mille coquecigrues, des moines blancs et noirs, plusieurs religieuses grises et blanches, du linge jeté par-ci par-là, des hommes ensevelis tout droits contre des arbres, etc.», je fus ravi par ce que j′eusse appelé un peu plus tard (ne peint-elle pas les paysages de la même façon que lui les caractères?) le côté Dostoski des Lettres de Madame de Sévigné. It is a mistake to let oneself be taken in by the purely formal details, idioms of the period or social conventions, the effect of which is that certain people believe that they have caught the Sévigné manner when they have said: “Tell me, my dear,” or “That Count struck me as being a man of parts,” or “Haymaking is the sweetest thing in the world.” Mme. de Simiane imagines already that she is being like her grandmother because she can write: “M. de la Boulie is bearing wonderfully, Sir, and is in excellent condition to hear the news of his death,” or “Oh, my dear Marquis, how your letter enchanted me! What can I do but answer it?” or “Meseems, Sir, that you owe me a letter, and I owe you some boxes of bergamot. I discharge my debt to the number of eight; others shall follow. . . . Never has the soil borne so many. Apparently for your gratification.” And she writes in this style also her letter on bleeding, on lemons and so forth, supposing it to be typical of the letters of Madame de Sévigné. But my grandmother who had approached that lady from within, attracted to her by her own love of kinsfolk and of nature, had taught me to enjoy the real beauties of her correspondence, which are altogether different. They were presently to strike me all the more forcibly inasmuch as Madame de Sévigné is a great artist of the same school as a painter whom I was to meet at Balbec, where his influence on my way of seeing things was immense. I realised at Balbec that it was in the same way as he that she presented things to her readers, in the order of our perception of them, instead of first having to explain them in relation to their several causes. But already that afternoon in the railway carriage, as I read over again that letter in which the moonlight comes: “I cannot resist the temptation: I put on all my bonnets and veils, though there is no need of them, I walk along this mall, where the air is as sweet as in my chamber; I find a thousand phantasms, monks white and black, sisters grey and white, linen cast here and there on the ground, men enshrouded upright against the tree-trunks,” I was enraptured by what, a little later, I should have described (for does not she draw landscapes in the same way as he draws characters?) as the Dostoievsky side of Madame de Sévigné‘s Letters.
Quand le soir, après avoir conduit ma grand′mère et être resté quelques heures chez son amie, j′eus repris seul le train, du moins je ne trouvai pas pénible la nuit qui vint; c′est que je n′avais pas à la passer dans la prison d′une chambre dont l′ensommeillement me tiendrait éveillé; j′étais entouré par la calmante activité de tous ces mouvements du train qui me tenaient compagnie, s′offraient à causer avec moi si je ne trouvais pas le sommeil, me berçaient de leurs bruits que j′accouplais comme le son des cloches à Combray tantôt sur un rythme, tantôt sur un autre (entendant selon ma fantaisie d′abord quatre doubles croches égales, puis une double croche furieusement précipitée contre une noire); ils neutralisaient la force centrifuge de mon insomnie en exerçant sur elle des pressions contraires qui me maintenaient en équilibre et sur lesquelles mon immobilité et bientôt mon sommeil se sentirent portés avec la même impression rafraîchissante que m′aurait donnée le repos dû à la vigilance de forces puissantes au sein de la nature et de la vie, si j′avais pu pour un moment m′incarner en quelque poisson qui dort dans la mer, promené dans son assoupissement par les courants et la vague, ou en quelque aigle étendu sur le seul appui de la tempête. When, that evening, after having accompanied my grandmother to her destination and spent some hours in her friend′s house, I had returned by myself to the train, at any rate I found nothing to distress me in the night which followed; this was because I had not to spend it in a room the somnolence of which would have kept me awake; I was surrounded by the soothing activity of all those movements of the train which kept me company, offered to stay and converse with me if I could not sleep, lulled me with their sounds which I wedded — as I had often wedded the chime of the Combray bells — now to one rhythm, now to another (hearing as the whim took me first four level and equivalent semi-quavers, then one semi-quaver furiously dashing against a crotchet); they neutralised the centrifugal force of my insomnia by exercising upon it a contrary pressure which kept me in equilibrium and on which my immobility and presently my drowsiness felt themselves to be borne with the same sense of refreshment that I should have had, had I been resting under the protecting vigilance of powerful forces, on the breast of nature and of life, had I been able for a moment to incarnate myself in a fish that sleeps in the sea, driven unheeding by the currents and the tides, or in an eagle outstretched upon the air, with no support but the storm.
Les levers de soleil sont un accompagnement des longs voyages en chemin de fer, comme les ufs durs, les journaux illustrés, les jeux de cartes, les rivières où des barques s′évertuent sans avancer. A un moment où je dénombrais les pensées qui avaient rempli mon esprit pendant les minutes précédentes, pour me rendre compte si je venais ou non de dormir (et où l′incertitude même qui me faisait me poser la question, était en train de me fournir une réponse affirmative), dans le carreau de la fenêtre, au-dessus d′un petit bois noir, je vis des nuages échancrés dont le doux duvet était d′un rose fixé, mort, qui ne changera plus, comme celui qui teint les plumes de l′aile qui l′a assimilé ou le pastel sur lequel l′a déposé la fantaisie du peintre. Mais je sentais qu′au contraire cette couleur n′était ni inertie, ni caprice, mais nécessité et vie. Bientôt s′amoncelèrent derrière elle des réserves de lumière. Elle s′aviva, le ciel devint d′un incarnat que je tâchais, en collant mes yeux à la vitre, de mieux voir car je le sentais en rapport avec l′existence profonde de la nature, mais la ligne du chemin de fer ayant changé de direction, le train tourna, la scène matinale fut remplacée dans le cadre de la fenêtre par un village nocturne aux toits bleus de clair de lune, avec un lavoir encrassé de la nacre opaline de la nuit, sous un ciel encore semé de toutes ses étoiles, et je me désolais d′avoir perdu ma bande de ciel rose quand je l′aperçus de nouveau, mais rouge cette fois, dans la fenêtre d′en face qu′elle abandonna à un deuxième coude de la voie ferrée; si bien que je passais mon temps à courir d′une fenêtre à l′autre pour rapprocher, pour rentoiler les fragments intermittents et opposites de mon beau matin écarlate et versatile et en avoir une vue totale et un tableau continu. Sunrise is a necessary concomitant of long railway journeys, just as are hard-boiled eggs, illustrated papers, packs of cards, rivers upon which boats strain but make no progress. At a certain moment — when I was counting over the thoughts that had filled my mind, in the preceding minutes, so as to discover whether I had just been asleep or not (and when the very uncertainty which made me ask myself the question was to furnish me with an affirmative answer), in the pale square of the window, over a small black wood I saw some ragged clouds whose fleecy edges were of a fixed, dead pink, not liable to change, like the colour that dyes the wing which has grown to wear it, or the sketch upon which the artist′s fancy has washed it. But I felt that, unlike them, this colour was due neither to inertia nor to caprice but to necessity and life. Presently there gathered behind it reserves of light. It brightened; the sky turned to a crimson which I strove, gluing my eyes to the window, to see more clearly, for I felt that it was related somehow to the most intimate life of Nature, but, the course of the line altering, the train turned, the morning scene gave place in the frame of the window to a nocturnal village, its roofs still blue with moonlight, its pond encrusted with the opalescent nacre of night, beneath a firmament still powdered with all its stars, and I was lamenting the loss of my strip of pink sky when I caught sight of it afresh, but red this time, in the opposite window which it left at a second bend in the line, so that I spent my time running from one window to the other to reassemble, to collect oh a single canvas the intermittent, antipodean fragments of my fine, scarlet, ever-changing morning, and to obtain a comprehensive view of it and a continuous picture.
Le paysage devint accidenté, abrupt, le train s′arrêta à une petite gare entre deux montagnes. On ne voyait au fond de la gorge, au bord du torrent, qu′une maison de garde enfoncée dans l′eau qui coulait au ras des fenêtres. Si un être peut être le produit d′un sol dont on goûte en lui le charme particulier, plus encore que la paysanne que j′avais tant désiré voir apparaître quand j′errais seul du côté de Méséglise, dans les bois de Roussainville, ce devait être la grande fille que je vis sortir de cette maison et, sur le sentier qu′illuminait obliquement le soleil levant, venir vers la gare en portant une jarre de lait. Dans la vallée à qui ces hauteurs cachaient le reste du monde, elle ne devait jamais voir personne que dans ces trains qui ne s′arrêtaient qu′un instant. Elle longea les wagons, offrant du café au lait à quelques voyageurs réveillés. Empourpré des reflets du matin, son visage était plus rose que le ciel. Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur. Nous oublions toujours qu′ils sont individuels et, leur substituant dans notre esprit un type de convention que nous formons en faisant une sorte de moyenne entre les différents visages qui nous ont plu, entre les plaisirs que nous avons connus, nous n′avons que des images abstraites qui sont languissantes et fades parce qu′il leur manque précisément ce caractère d′une chose nouvelle, différente de ce que nous avons connu, ce caractère qui est propre à la beauté et au bonheur. Et nous portons sur la vie un jugement pessimiste et que nous supposons juste, car nous avons cru y faire entrer en ligne de compte le bonheur et la beauté quand nous les avons omis et remplacés par des synthèses où d′eux il n′y a pas un seul atome. C′est ainsi que bâille d′avance d′ennui un lettré à qui on parle d′un nouveau «beau livre», parce qu′il imagine une sorte de composé de tous les beaux livres qu′il a lus, tandis qu′un beau livre est particulier, imprévisible, et n′est pas fait de la somme de tous les chefs-d′uvre précédents mais de quelque chose que s′être parfaitement assimilé cette somme, ne suffit nullement à faire trouver, car c′est justement en dehors d′elle. Dès qu′il a eu connaissance de cette nouvelle uvre, le lettré, tout à l′heure blasé, se sent de l′intérêt pour la réalité qu′elle dépeint. Telle, étrangère aux modèles de beauté que dessinait ma pensée quand je me trouvais seul, la belle fille me donna aussitôt le goût d′un certain bonheur (seule forme, toujours particulière, sous laquelle nous puissions connaître le goût du bonheur), d′un bonheur qui se réaliserait en vivant auprès d′elle. Mais ici encore la cessation momentanée de l′Habitude agissait pour une grande part. Je faisais bénéficier la marchande de lait de ce que c′était mon être complet, apte à goûter de vives jouissances, qui était en face d′elle. C′est d′ordinaire avec notre être réduit au minimum que nous vivons, la plupart de nos facultés restent endormies parce qu′elles se reposent sur l′habitude qui sait ce qu′il y a à faire et n′a pas besoin d′elles. Mais par ce matin de voyage l′interruption de la routine de mon existence, le changement de lieu et d′heure avaient rendu leur présence indispensable. Mon habitude qui étaient sédentaire et n′était pas matinale, faisait défaut, et toutes mes facultés étaient accourues pour la remplacer, rivalisant entre elles de zèle, — s′élevant toutes, comme des vagues à un même niveau inaccoutumé — de la plus basse, à la plus noble, de la respiration, de l′appétit, et de la circulation sanguine à la sensibilité et à l′imagination. The scenery became broken, abrupt, the train stopped at a little station between two mountains. Far down the gorge, on the edge of a hurrying Stream, one could see only a solitary watch-house, deep-planted in the water which ran past on a level with its windows. If a person can be the product of a soil the peculiar charm of which one distinguishes in that person, more even than the peasant girl whom I had so desperately longed to see appear when I wandered by myself along the Méséglise way, in the woods of Roussainville, such a person must be the big girl whom I now saw emerge from the house and, climbing a path lighted by the first slanting rays of the sun, come towards the station carrying a jar of milk. In her valley from which its congregated summits hid the rest of the world, she could never see anyone save in these trains which stopped for a moment only. She passed down the line of windows, offering coffee and milk to a few awakened passengers. Purpled with the glow of morning, her face was rosier than the sky. I felt in her presence that desire to live which is reborn in us whenever we become conscious anew of beauty and of happiness. We invariably forget that these are individual qualities, and, substituting for them in our mind a conventional type at which we arrive by striking a sort of mean amongst the different faces that have taken our fancy, the pleasures we have known, we are left with mere abstract images which are lifeless and dull because they are lacking in precisely that element of novelty, different from anything we have known, that element which is proper to beauty and to happiness. And we deliver on life a pessimistic judgment which we suppose to be fair, for we believed that we were taking into account when we formed it happiness and beauty, whereas in fact we left them out and replaced them by syntheses in which there is not a single atom of either. So it is that a well-read man will at once begin to yawn with boredom when anyone speaks to him of a new ‘good book,′ because he imagines a sort of composite of all the good books that he has read and knows already, whereas a good book is something special, something incalculable, and is made up not of the sum of all previous masterpieces but of something which the most thorough assimilation of every one of them would not enable him to discover, since it exists not in their sum but beyond it. Once he has become acquainted with this new work, the well-read man, till then apathetic, feels his interest awaken in the reality which it depicts. So, alien to the models of beauty which my fancy was wont to sketch when I was by myself, this strapping girl gave me at once the sensation of a certain happiness (the sole form, always different, in which we may learn the sensation of happiness), of a happiness that would be realised by my staying and living there by her side. But in this again the temporary cessation of Habit played a great part. I was giving the milk-girl the benefit of what was really my own entire being, ready to taste the keenest joys, which now confronted her. As a rule it is with our being reduced to a minimum that we live, most of our faculties lie dormant because they can rely upon Habit, which knows what there is to be done and has no need of their services. But on this morning of travel, the interruption of the routine of my existence, the change of place and time, had made their presence indispensable. My habits, which were sedentary and not matutinal, played me false, and all my faculties came hurrying to take their place, vying with one another in their zeal, rising, each of them, like waves in a storm, to the same unaccustomed level, from the basest to the most exalted, from breath, appetite, the circulation of my blood to receptivity and imagination.
Je ne sais si, en me faisant croire que cette fille n′était pas pareille aux autres femmes, le charme sauvage de ces lieux ajoutait au sien, mais elle le leur rendait. La vie m′aurait paru délicieuse si seulement j′avais pu, heure par heure, la passer avec elle, l′accompagner jusqu′au torrent, jusqu′à la vache, jusqu′au train, être toujours à ses côtés, me sentir connu d′elle, ayant ma place dans sa pensée. Elle m′aurait initié aux charmes de la vie rustique et des premières heures du jour. Je lui fis signe qu′elle vînt me donner du café au lait. J′avais besoin d′être remarqué d′elle. Elle ne me vit pas, je l′appelai. Au-dessus de son corps très grand, le teint de sa figure était si doré et si rose qu′elle avait l′air d′être vue à travers un vitrail illuminé. Elle revint sur ses pas, je ne pouvais détacher mes yeux de son visage de plus en plus large, pareil à un soleil qu′on pourrait fixer et qui s′approcherait jusqu′à venir tout près de vous, se laissant regarder de près, vous éblouissant d′or et de rouge. Elle posa sur moi son regard perçant, mais comme les employés fermaient les portières, le train se mit en marche; je la vis quitter la gare et reprendre le sentier, il faisait grand jour maintenant: je m′éloignais de l′aurore. Que mon exaltation eût été produite par cette fille, ou au contraire eût causé la plus grande partie du plaisir que j′avais eu à me trouver près d′elle, en tous cas elle était si mêlée à lui, que mon désir de la revoir était avant tout le désir moral de ne pas laisser cet état d′excitation périr entièrement, de ne pas être séparé à jamais de l′être qui y avait même à son insu, participé. Ce n′est pas seulement que cet état fût agréable. C′est surtout que (comme la tension plus grande d′une corde ou la vibration plus rapide d′un nerf produit une sonorité ou une couleur différente), il donnait une autre tonalité à ce que je voyais, il m′introduisait comme acteur dans un univers inconnu et infiniment plus intéressant; cette belle fille que j′apercevais encore, tandis que le train accélérait sa marche, c′était comme une partie d′une vie autre que celle que je connaissais, séparée d′elle par un liseré, et où les sensations qu′éveillaient les objets n′étaient plus les mêmes; et d′où sortir maintenant eût été comme mourir à moi-même. Pour avoir la douceur de me sentir du moins attaché à cette vie il eût suffi que j′habitasse assez près de la petite station pour pouvoir venir tous les matins demander du café au lait à cette paysanne. Mais, hélas! elle serait toujours absente de l′autre vie vers laquelle je m′en allais de plus en plus vite et que je ne me résignais à accepter qu′en combinant des plans qui me permettraient un jour de reprendre ce même train et de m′arrêter à cette même gare, projet qui avait aussi l′avantage de fournir un aliment à la disposition intéressée, active, pratique, machinale, paresseuse, centrifuge qui est celle de notre esprit car il se détourne volontiers de l′effort qu′il faut pour approfondir en soi-même, d′une façon générale et désintéressée, une impression agréable que nous avons eue. Et comme d′autre part nous voulons continuer à penser à elle, il préfère l′imaginer dans l′avenir, préparer habilement les circonstances qui pourront la faire renaître, ce qui ne nous apprend rien sur son essence, mais nous évite la fatigue de la recréer en nous-même et nous permet d′espérer la recevoir de nouveau du dehors. I cannot say whether, so as to make me believe that this girl was unlike the rest of women, the rugged charm of these barren tracts had been added to her own, but if so she gave it back to them. Life would have seemed an exquisite thing to me if only I had been free to spend it, hour after hour, with her, to go with her to the stream, to the cow, to the train, to be always at her side, to feel that I was known to her, had my place in her thoughts. She would have initiated me into the delights of country life and of the first hours of the day. I signalled to her to give me some of her coffee. I felt that I must be noticed by her. She did not see me; I called to her. Above her body, which was of massive build, the complexion of her face was so burnished and so ruddy that she appeared almost as though I were looking at her through a lighted window. She had turned and was coming towards me; I could not take my eyes from her face which grew larger as she approached, like a sun which it was somehow possible to arrest in its course and draw towards one, letting itself be seen at close quarters, blinding the eyes with its blaze of red and gold. She fastened on me her penetrating stare, but while the porters ran along the platform shutting doors the train had begun to move. I saw her leave the station and go down the hill to her home; it was broad daylight now; I was speeding away from the dawn. Whether my exaltation had been produced by this girl or had on the other hand been responsible for most of the pleasure that I had found in the sight of her, in the sense of her presence, in either event she was so closely associated with it that my desire to see her again was really not so much a physical as a mental desire, not to allow this state of enthusiasm to perish utterly, not to be separated for ever from the person who, although quite unconsciously, had participated in it. It was not only because this state was a pleasant one. It was principally because (just as increased tension upon a cord or accelerated vibration of a nerve produces a different sound or colour) it gave another tonality to all that I saw, introduced me as an actor upon the stage of an unknown and infinitely more interesting universe; that handsome girl whom I still could see, while the train gathered speed, was like part of a life other than the life that I knew, separated from it by a clear boundary, in which the sensations that things produced in me were no longer the same, from which to return now to my old life would be almost suicide. To procure myself the pleasure of feeling that I had at least an attachment to this new life, it would suffice that I should live near enough to the little station to be able to come to it every morning for a cup of coffee from the girl. But alas, she must be for ever absent from the other life towards which I was being borne with ever increasing swiftness, a life to the prospect of which I resigned myself only by weaving plans that would enable me to take the same train again some day and to stop at the same station, a project which would have the further advantage of providing with subject matter the selfish, active, practical, mechanical, indolent, centrifugal tendency which is that of the human mind; for our mind turns readily aside from the effort which is required if it is to analyse in itself, in a general and disinterested manner, a pleasant impression which we have received. And as, on the other hand, we wish to continue to think of that impression, the mind prefers to imagine it in the future tense, which while it gives us no clue as to the real nature of the thing, saves us the trouble of recreating it in our own consciousness and allows us to hope that we may receive it afresh from without.
Certains noms de villes, Vezelay ou Chartres, Bourges ou Beauvais servent à désigner, par abréviation, leur église principale. Cette acception partielle où nous le prenons si souvent, finit — s′il s′agit de lieux que nous ne connaissons pas encore, — par sculpter le nom tout entier qui dès lors quand nous voudrons y faire entrer l′idée de la ville — de la ville que nous n′avons jamais vue, — lui imposera — comme un moule, — les mêmes ciselures, et du même style, en fera une sorte de grande cathédrale. Ce fut pourtant à une station de chemin de fer, au-dessus d′un buffet, en lettres blanches sur un avertisseur bleu, que je lus le nom, presque de style persan, de Balbec. Je traversai vivement la gare et le boulevard qui y aboutissait, je demandai la grève pour ne voir que l′église et la mer; on n′avait pas l′air de comprendre ce que je voulais dire. Balbec-le-vieux, Balbec-en-terre, où je me trouvais, n′était ni une plage ni un port. Certes, c′était bien dans la mer que les pêcheurs avaient trouvé, selon la légende, le Christ miraculeux dont un vitrail de cette église qui était à quelques mètres de moi racontait la découverte; c′était bien de falaises battues par les flots qu′avait été tirée la pierre de la nef et des tours. Mais cette mer, qu′à cause de cela j′avais imaginée venant mourir au pied du vitrail, était à plus de cinq lieues de distance, à Balbec-plage, et, à côté de sa coupole, ce clocher que, parce que j′avais lu qu′il était lui-même une âpre falaise normande où s′amassaient les grains, où tournoyaient les oiseaux, je m′étais toujours représenté comme recevant à sa base la dernière écume des vagues soulevées, il se dressait sur une place où était l′embranchement de deux lignes de tramways, en face d′un Café qui portait, écrit en lettres d′or, le mot «Billard»; il se détachait sur un fond de maisons aux toits desquelles ne se mêlait aucun mât. Et l′église, — entrant dans mon attention avec le Café, avec le passant à qui il avait fallu demander mon chemin, avec la gare où j′allais retourner, — faisait un avec tout le reste, semblait un accident, un produit de cette fin d′après-midi, dans laquelle la coupe moelleuse et gonflée sur le ciel était comme un fruit dont la même lumière qui baignait les cheminées des maisons, mûrissait la peau rose, dorée et fondante. Mais je ne voulus plus penser qu′à la signification éternelle des sculptures, quand je reconnus les Apôtres dont j′avais vu les statues moulées au musée du Trocadéro et qui des deux côtés de la Vierge, devant la baie profonde du porche m′attendaient comme pour me faire honneur. La figure bienveillante, camuse et douce, le dos voûté, ils semblaient s′avancer d′un air de bienvenue en chantant l′Alleluia d′un beau jour. Mais on s′apercevait que leur expression était immuable comme celle d′un mort et ne se modifiait que si on tournait autour d′eux. Je me disais: c′est ici, c′est l′église de Balbec. Cette place qui a l′air de savoir sa gloire est le seul lieu du monde qui possède l′église de Balbec. Ce que j′ai vu jusqu′ici c′était des photographies de cette église, et, de ces Apôtres, de cette Vierge du porche si célèbres, les moulages seulement. Maintenant c′est l′église elle-même, c′est la statue elle-même, ce sont elles; elles, les uniques: c′est bien plus. Certain names of towns, Vezelay or Chartres, Bourses or Beauvais, serve to indicate, by abbreviation, the principal church in those towns. This partial acceptation, in which we are so accustomed to take the word, comes at length — if the names in question are those of places that we do not yet know — to fashion for us a mould of the name as a solid whole, which from that time onwards, whenever we wish it to convey the idea of the town — of that town which we have never seen — will impose on it, as on a cast, the same carved outlines, in the same style of art, will make of the town a sort of vast cathedral. It was, nevertheless, in a railway-station, above the door of a refreshment-room, that I read the name — almost Persian in style — of Balbec. I strode buoyantly through the station and across the avenue that led past it, I asked my way to the beach so as to see nothing in the place but its church and the sea; people seemed not to understand what I meant. Old Balbec, Balbec-en-Terre, at which I had arrived, had neither beach nor harbour. It was, most certainly, in the sea that the fishermen had found, according to the legend, the miraculous Christ, of which a window in the church that stood a few yards from where I now was recorded the discovery; it was indeed from cliffs battered by the waves that had been quarried the stone of its nave and towers. But this sea, which for those reasons I had imagined as flowing up to die at the foot of the window, was twelve miles away and more, at Balbec-Plage, and, rising beside its cupola, that steeple, which, because I had read that it was itself a rugged Norman cliff on which seeds were blown and sprouted, round which the sea-birds wheeled, I had always pictured to myself as receiving at its base the last drying foam of the uplifted waves, stood on a Square from which two lines of tramway diverged, opposite a Café which bore, written in letters of gold, the word ‘Billiards′; it stood out against a background of houses with the roofs of which no upstanding mast was blended. And the church — entering my mind with the Café, with the passing stranger of whom I had had to ask my way, with the station to which presently I should have to return — made part of the general whole, seemed an accident, a by-product of this summer afternoon, in which its mellow and distended dome against the sky was like a fruit of which the same light that bathed the chimneys of the houses was ripening the skin, pink, glowing, melting-soft. But I wished only to consider the eternal significance of the carvings when I recognised the Apostles, which I had seen in casts in the Trocadéro museum, and which on either side of the Virgin, before the deep bay of the porch, were awaiting me as though to do me reverence. With their benign, blunt, mild faces and bowed shoulders they seemed to be advancing upon me with an air of welcome, singing the Alleluia of a fine day. But it was evident that their expression was unchanging as that on a dead man′s face, and could be modified only by my turning about to look at them in different aspects. I said to myself: “Here I am: this is the Church of Balbec. This square, which looks as though it were conscious of its glory, is the only place in the world that possesses Balbec Church. All that I have seen so far have been photographs of this church — and of these famous Apostles, this Virgin of the Porch, mere casts only. Now it is the church itself, the statue itself; these are they; they, the unique things — this is something far greater.”
C′était moins aussi peut-être. Comme un jeune homme un jour d′examen ou de duel, trouve le fait sur lequel on l′a interrogé, la balle qu′il a tirée, bien peu de chose, quand il pense aux réserves de science et de courage qu′il possède et dont il aurait voulu faire preuve, de même mon esprit qui avait dressé la Vierge du Porche hors des reproductions que j′en avais eues sous les yeux, inaccessible aux vicissitudes qui pouvaient menacer celles-ci, intacte si on les détruisait, idéale, ayant une valeur universelle, s′étonnait de voir la statue qu′il avait mille fois sculptée réduite maintenant à sa propre apparence de pierre, occupant par rapport à la portée de mon bras une place où elle avait pour rivales une affiche électorale et la pointe de ma canne, enchaînée à la Place, inséparable du débouché de la grand′rue, ne pouvant fuir les regards du café et du bureau d′omnibus, recevant sur son visage la moitié du rayon de soleil couchant — et bientôt, dans quelques heures de la clarté du réverbère — dont le bureau du Comptoir d′Escompte recevait l′autre moitié, gagnée en même temps que cette Succursale d′un ètablissement de crédit, par le relent des cuisines du pâtissier, soumise à la tyrannie du Particulier au point que, si j′avais voulu tracer ma signature sur cette pierre, c′est elle, la Vierge illustre que jusque-là j′avais douée d′une existence générale et d′une intangible beauté, la Vierge de Balbec, l′unique (ce qui, hélas! voulait dire la seule), qui, sur son corps encrassé de la même suie que les maisons voisines, aurait, sans pouvoir s′en défaire, montré à tous les admirateurs venus là pour la contempler, la trace de mon morceau de craie et les lettres de mon nom, et c′était elle enfin l′uvre d′art immortelle et si longtemps désirée, que je trouvais, métamorphosée ainsi que l′église elle-même, en une petite vieille de pierre dont je pouvais mesurer la hauteur et compter les rides. L′heure passait, il fallait retourner à la gare où je devais attendre ma grand′mère et Françoise pour gagner ensemble Balbec-Plage. Je me rappelais ce que j′avais lu sur Balbec, les paroles de Swann: «C′est délicieux, c′est aussi beau que Sienne.» Et n′accusant de ma déception que des contingences, la mauvaise disposition où j′étais, ma fatigue, mon incapacité de savoir regarder, j′essayais de me consoler en pensant qu′il restait d′autres villes encore intactes pour moi, que je pourrais prochainement peut-être pénétrer comme au milieu d′une pluie de perles dans le frais gazouillis des égouttements de Quimperlé, traverser le reflet verdissant et rose qui baignait Pont-Aven; mais pour Balbec dès que j′y étais entré ç‘avait été comme si j′avais entr′ouvert un nom qu′il eût fallu tenir hermétiquement clos et où, profitant de l′issue que je leur avais imprudemment offerte en chassant toutes les images qui y vivaient jusque-là, un tramway, un café, les gens qui passaient sur la place, la succursale du Comptoir d′Escompte, irrésistiblement poussés par une pression externe et une force pneumatique, s′étaient engouffrés à l′intérieur des syllabes qui, refermées sur eux, les laissaient maintenant encadrer le porche de l′église persane et ne cesseraient plus de les contenir. It was something less, perhaps, also. As a young man on the day of an examination or of a duel feels the question that he has been asked, the shot that he has fired, to be a very little thing when he thinks of the reserves of knowledge and of valour that he possesses and would like to have displayed, so my mind, which had exalted the Virgin of the Porch far above the reproductions that I had had before my eyes, inaccessible by the vicissitudes which had power to threaten them, intact although they were destroyed, ideal, endowed with universal value, was astonished to see the statue which it had carved a thousand times, reduced now to its own apparent form in stone, occupying, on the radius of my outstretched arm, a place in which it had for rivals an election placard and the point of my stick, fettered to the Square, inseparable from the head of the main street, powerless to hide from the gaze of the Café and of the omnibus office, receiving on its face half of that ray of the setting sun (half, presently, in a few hours′ time, of the light of the street lamp) of which the Bank building received the other half, tainted simultaneously with that branch office of a money-lending establishment by the smells from the pastry-cook′s oven, subjected to the tyranny of the Individual to such a point that, if I had chosen to scribble my name upon that stone, it was she, the illustrious Virgin whom until then I had endowed with a general existence and an intangible beauty, the Virgin of Balbec, the unique (which meant, alas, the only one) who, on her body coated with the same soot as defiled the neighbouring houses, would have displayed — powerless to rid herself of them — to all the admiring strangers come there to gaze upon her, the marks of my piece of chalk and the letters of my name; it was she, indeed, the immortal work of art, so long desired, whom I found, transformed, as was the church itself, into a little old woman in stone whose height I could measure and count her wrinkles. But time was passing; I must return to the station, where I was to wait for my grandmother and Françoise, so that we should all arrive at Balbec-Plage together. I reminded myself of what I had read about Balbec, of Swann′s saying: “It is exquisite; as fine as Siena.” And casting the blame for my disappointment upon various accidental causes, such as the state of my health, my exhaustion after the journey, my incapacity for looking at things properly, I endeavoured to console myself with the thought that other towns remained still intact for me, that I might soon, perhaps, be making my way, as into a shower of pearls, into the cool pattering sound that dripped from Quimperlé, cross that green water lit by a rosy glow in which Pont-Aven was bathed; but as for Balbec, no sooner had I set foot in it than it was as though I had broken open a name which ought to have been kept hermetically closed, and into which, seizing at once the opportunity that I had imprudently given them when I expelled all the images that had been living in it until then, a tramway, a Café, people crossing the square, the local branch of a Bank, irresistibly propelled by some external pressure, by a pneumatic force, had come crowding into the interior of those two syllables which, closing over them, let them now serve as a border to the porch of the Persian church, and would never henceforward cease to contain them.
Dans le petit chemin de fer d′intérêt local qui devait nous conduire à Balbec-Plage, je retrouvai ma grand′mère mais l′y retrouvai seule — car elle avait imaginé de faire partir avant elle pour que tout fût préparé d′avance (mais lui ayant donné un renseignement faux n′avait réussi qu′à faire partir dans une mauvaise direction), Françoise qui en ce moment sans s′en douter filait à toute vitesse sur Nantes et se réveillerait peut-être à Bordeaux. — A peine fus-je assis dans le wagon rempli par la lumière fugitive du couchant et par la chaleur persistante de l′après-midi (la première, hélas! me permettant de voir en plein sur le visage de ma grand′mère combien la seconde l′avait fatiguée), elle me demanda: «Hé bien, Balbec?» avec un sourire si ardemment éclairé par l′espérance du grand plaisir qu′elle pensait que j′avais éprouvé, que je n′osai pas lui avouer tout d′un coup ma déception. D′ailleurs, l′impression que mon esprit avait recherchée m′occupait moins au fur et à mesure que se rapprochait le lieu auquel mon corps aurait à s′accoutumer. Au terme, encore éloigné de plus d′une heure, de ce trajet, je cherchais à imaginer le directeur de l′hôtel de Balbec pour qui j′étais, en ce moment, inexistant, et j′aurais voulu me présenter à lui dans une compagnie plus prestigieuse que celle de ma grand′mère qui allait certainement lui demander des rabais. Il m′apparaissait empreint d′une morgue certaine, mais très vague de contours. In the little train of the local railway company which was to take us to Balbec-Plage I found my grandmother, but found her alone — for, imagining that she was sending Françoise on ahead of her, so as to have everything ready before we arrived, but having mixed up her instructions, she had succeeded only in packing off Françoise in the wrong direction, who at that moment was being carried down all unsuspectingly, at full speed, to Nantes, and would probably wake up next morning at Bordeaux. No sooner had I taken my seat in the carriage, filled with the fleeting light of sunset and with the lingering heat of the afternoon (the former enabling me, alas, to see written clearly upon my grandmother′s face how much the latter had tired her), than she began: “Well, and Balbec?” with a smile so brightly illuminated by her expectation of the great pleasure which she supposed me to have been enjoying that I dared not at once confess to her my disappointment. Besides, the impression which my mind had been seeking occupied it steadily less as the place drew nearer to which my body would have to become accustomed. At the end — still more than an hour away — of this journey I was trying to form a picture of the manager of the hotel at Balbec, to whom I, at that moment, did not exist, and I should have liked to be going to present myself to him in more impressive company than that of my grandmother, who would be certain to ask for a reduction of his terms. The only thing positive about him was his haughty condescension; his lineaments were still vague.
A tout moment le petit chemin de fer nous arrêtait à l′une des stations qui précédaient Balbec-Plage et dont les noms mêmes (Incarville, Marcouville, Doville, Pont-à-Couleuvre, Arambouville, Saint-Mars-le-Vieux, Hermonville, Maineville) me semblaient étranges, alors que lus dans un livre ils auraient eu quelque rapport avec les noms de certaines localités qui étaient voisines de Combray. Mais à l′oreille d′un musicien deux motifs, matériellement composés de plusieurs des mêmes notes, peuvent ne présenter aucune ressemblance, s′ils diffèrent par la couleur de l′harmonie et de l′orchestration. De même, rien moins que ces tristes noms faits de sable, d′espace trop aéré et vide, et de sel, au-dessus desquels le mot ville s′échappait comme vole dans Pigeon-vole, ne me faisait penser à ces autres noms de Roussainville ou de Martinville, qui parce que je les avais entendu prononcer si souvent par ma grand′tante à table, dans la «salle», avaient acquis un certain charme sombre où s′étaient peut-être mélangés des extraits du goût des confitures, de l′odeur du feu de bois et du papier d′un livre de Bergotte, de la couleur de grès de la maison d′en face, et qui, aujourd′hui encore, quand ils remontent comme une bulle gazeuse, du fond de ma mémoire, conservent leur vertu spécifique à travers les couches superposées de milieux différents qu′ils ont à franchir avant d′atteindre jusqu′à la surface. Every few minutes the little train brought us to a standstill in one of the stations which came before Balbec-Plage, stations the mere names of which (Incarville, Marcouville, Doville, Pont-a-Couleuvre, Arambouville, Saint-Mars-le-Vieux, Hermonville, Maineville) seemed to me outlandish, whereas if I had come upon them in a book I should at once have been struck by their affinity to the names of certain places in the neighbourhood of Combray. But to the trained ear two musical airs, consisting each of so many notes, several of which are common to them both, will present no similarity whatever if they differ in the colour of their harmony and orchestration. So it was that nothing could have reminded me less than these dreary names, made up of sand, of space too airy and empty and of salt, out of which the termination ‘ville′ always escaped, as the ‘fly′ seems to spring out from the end of the word ‘butterfly′— nothing could have reminded me less of those other names, Roussainville or Martinville, which, because I had heard them pronounced so often by my great-aunt at table, in the dining-room, had acquired a certain sombre charm in which were blended perhaps extracts of the flavour of ‘preserves,′ the smell of the fire of logs and of the pages of one of Bergotte′s books, the colour of the stony front of the house opposite, all of which things still to-day when they rise like a gaseous bubble from the depths of my memory preserve their own specific virtue through all the successive layers of rival interests which must be traversed before they reach the surface.
C′étaient, dominant la mer lointaine du haut de leur dune, ou s′accommodant déjà pour la nuit au pied de collines d′un vert cru et d′une forme désobligeante, comme celle du canapé d′une chambre d′hôtel où l′on vient d′arriver, composées de quelques villas que prolongeait un terrain de tennis et quelquefois un casino dont le drapeau claquait au vent fraîchissant, évidé et anxieux, de petites stations qui me montraient pour la première fois leurs hôtes habituels, mais me les montraient par leur dehors — des joueurs de tennis en casquettes blanches, le chef de gare vivant là, près de ses tamaris et de ses roses, une dame, coiffée d′un «canotier», qui, décrivant le tracé quotidien d′une vie que je ne connaîtrais jamais, rappelait son lévrier qui s′attardait et rentrait dans son chalet où la lampe était déjà allumée — et qui blessaient cruellement de ces images étrangement usuelles et dédaigneusement familières, mes regards inconnus et mon cur dépaysé. Mais combien ma souffrance s′aggrava quand nous eûmes débarqué dans le hall du grand hôtel de Balbec, en face de l′escalier monumental qui imitait le marbre, et pendant que ma grand′mère, sans souci d′accroître l′hostilité et le mépris des étrangers au milieu desquels nous allions vivre, discutait les «conditions» avec le directeur, sorte de poussah à la figure et à la voix pleines de cicatrices (qu′avait laissées l′extirpation sur l′une, de nombreux boutons, sur l′autre des divers accents dus à des origines lointaines et à une enfance cosmopolite), au smoking de mondain, au regard de psychologue, prenant généralement à l′arrivée de l′«omnibus», les grands seigneurs pour des râleux et les rats d′hôtel pour des grands seigneurs. Oubliant sans doute que lui-même ne touchait pas cinq cent francs d′appointements mensuels, il méprisait profondément les personnes pour qui cinq cents francs ou plutôt comme il disait «vingt-cinq louis» est «une somme» et les considérait comme faisant partie d′une race de parias à qui n′était pas destiné le Grand Hôtel. Il est vrai que dans ce Palace même, il y avait des gens qui ne payaient pas très cher, tout en étant estimés du directeur à condition que celui-ci fût certain qu′ils regardaient à dépenser non pas par pauvreté mais par avarice. Elle ne saurait en effet rien ôter au prestige, puisqu′elle est un vice et peut par conséquent se rencontrer dans toutes les situations sociales. La situation sociale était la seule chose à laquelle le directeur fît attention, la situation sociale, ou plutôt les signes qui lui paraissaient impliquer qu′elle était élevée, comme de ne pas se découvrir en entrant dans le hall, de porter des knickerbockers, un paletot à taille, et de sortir un cigare ceint de pourpre et d′or d′un étui en maroquin écrasé (tous avantages, hélas! qui me faisaient défaut). Il émaillait ses propos commerciaux d′expressions choisies, mais à contre-sens. These were — commanding the distant sea from the crests of their several dunes or folding themselves already for the night beneath hills of a crude green colour and uncomfortable shape, like that of the sofa in one′s bedroom in an hotel at which one has just arrived, each composed of a cluster of villas whose line was extended to include a lawn-tennis court and now and then a casino, over which a flag would be snapping in the freshening breeze, like a hollow cough — a series of watering-places which now let me see for the first time their regular visitors, but let me see only the external features of those visitors — lawn-tennis players in white hats, the station-master spending all his life there on the spot among his tamarisks and roses, a lady in a straw ‘boater′ who, following the everyday routine of an existence which I should never know, was calling to her dog which had stopped to examine something in the road before going in to her bungalow where the lamp was already lighted for her return — which with these strangely usual and slightingly familiar sights stung my un-greeted eyes and stabbed my exiled heart. But how much were my sufferings increased when we had finally landed in the hall of the Grand Hotel at Balbec, and I stood there in front of the monumental staircase that looked like marble, while my grandmother, regardless of the growing hostility of the strangers among whom we should have to live, discussed ‘terms′ with the manager, a sort of nodding mandarin whose face and voice were alike covered with scars (left by the excision of countless pustules from one and from the other of the divers accents acquired from an alien ancestry and in a cosmopolitan upbringing) who stood there in a smart dinner-jacket, with the air of an expert psychologist, classifying, whenever the ‘omnibus′ discharged a fresh load, the ‘nobility and gentry′ as ‘geesers′ and the ‘hotel crooks′ as nobility and gentry. Forgetting, probably, that he himself was not drawing five hundred francs a month, he had a profound contempt for people to whom five hundred francs — or, as he preferred ta put it,‘twenty-five louis′ was ‘a lot of money,′ and regarded them as belonging to a race of pariahs for whom the Grand Hotel was certainly not intended. It is true that even within its walls there were people who did not pay very much and yet had not forfeited the manager′s esteem, provided that he was assured that they were watching their expenditure not from poverty so much as from avarice. For this could in no way lower their standing since it is a vice and may consequently be found at every grade of social position. Social position was the one thing by which the manager was impressed, social position, or rather the signs which seemed to him to imply that it was exalted, such as not taking one′s hat off when one came into the hall, wearing knickerbockers, or an overcoat with a waist, and taking a cigar with a band of purple and gold out of a crushed morocco case — to none of which advantages could I, alas, lay claim. He would also adorn his business conversation with choice expressions, to which, as a rule, he gave a wrong meaning.
Tandis que j′entendais ma grand′mère, sans se froisser qu′il l′écoutât son chapeau sur la tête et tout en sifflotant, lui demander avec une intonation artificielle: «Et quels sont . . . vos prix? . . . Oh! beaucoup trop élevés pour mon petit budget», attendant sur une banquette, je me réfugiais au plus profond de moi-même, je m′efforçais d′émigrer dans des pensées éternelles, de ne laisser rien de moi, rien de vivant, à la surface de mon corps — insensibilisée comme l′est celle des animaux qui par inhibition font les morts quand on les blesse, — afin de ne pas trop souffrir dans ce lieu où mon manque total d′habitude m′était rendu plus sensible encore par la vue de celle que semblait en avoir au même moment, une dame élégante à qui le directeur témoignait son respect en prenant des familiarités avec le petit chien dont elle était suivie, le jeune gandin qui, la plume au chapeau, rentrait en demandant «s′il avait des lettres», tous ces gens pour qui c′était regagner leur home que de gravir les degrés en faux marbre. Et en même temps le regard de Minos, Eaque et Rhadamante (regard dans lequel je plongeai mon âme dépouillée, comme dans un inconnu où plus rien ne la protégeait), me fut jeté sévèrement par des messieurs qui, peu versés peut-être dans l′art de «recevoir», portaient le titre de «chefs de réception»; plus loin, derrière un vitrage clos, des gens étaient assis dans un salon de lecture pour la description duquel il m′aurait fallu choisir dans le Dante, tour à tour les couleurs qu′il prête au Paradis et à l′Enfer, selon que je pensais au bonheur des élus qui avaient le droit d′y lire en toute tranquillité, ou à la terreur que m′eût causée ma grand′mère si, dans son insouci de ce genre d′impressions, elle m′eût ordonné d′y pénétrer. While I heard my grandmother, who shewed no sign of annoyance at his listening to her with his hat on his head and whistling through his teeth at her, ask him in an artificial voice, “And what are . . . your charges? . . . Oh! far too high for my little budget,” waiting upon a bench, I sought refuge in the innermost depths of my own consciousness, strove to migrate to a plane of eternal thoughts — to leave nothing of myself, nothing that lived and felt on the surface of my body, anaesthetised as are those of animals which by inhibition feign death when they are attacked — so as not to suffer too keenly in this place, with which my total unfamiliarity was made all the more evident to me when I saw the familiarity that seemed at the same moment to be enjoyed by a smartly dressed lady for whom the manager shewed his respect by taking liberties with the little dog that followed her across the hall, the young ‘blood′ with a feather in his hat who asked, as he came in, ‘Any letters?′— all these people to whom it was an act of home-coming to mount those stairs of imitation marble. And at the same time the triple frown of Minos, æacus and Rhadamanthus (beneath which I plunged my naked soul as into an unknown element where there was nothing now to protect it) was bent sternly upon me by a group of gentlemen who, though little versed perhaps in the art of receiving, yet bore the title ‘Reception Clerks,′ while beyond them again, through a closed wall of glass, were people sitting in a reading-room for the description of which I should have had to borrow from Dante alternately the colours in which he paints Paradise and Hell, according as I was thinking of the happiness of the elect who had the right to sit and read there undisturbed, or of the terror which my grandmother would have inspired in me if, in her insensibility to this sort of impression, she had asked me to go in there and wait for her by myself.
Mon impression de solitude s′accrut encore un moment après. Comme j′avais avoué à ma grand′mère que je n′étais pas bien, que je croyais que nous allions être obligés de revenir à Paris, sans protester elle avait dit qu′elle sortait pour quelques emplettes, utiles aussi bien si nous partions que si nous restions (et que je sus ensuite m′être toutes destinées, Françoise ayant avec elle des affaires qui m′eussent manqué); en l′attendant j′étais allé faire les cent pas dans les rues encombrées d′une foule qui y maintenait une chaleur d′appartement et où était encore ouverts la boutique du coiffeur et le salon d′un pâtissier chez lequel des habitués prenaient des glaces, devant la statue de Duguay-Trouin. Elle me causa à peu près autant de plaisir que son image au milieu d′un «illustré», peut en procurer au malade qui le feuillette dans le cabinet d′attente d′un chirurgien. Je m′étonnais qu′il y eût des gens assez différents de moi pour que, cette promenade dans la ville, le directeur eût pu me la conseiller comme une distraction, et aussi pour que le lieu de supplice qu′est une demeure nouvelle pût paraître à certains «un séjour de délices» comme disait le prospectus de l′hôtel qui pouvait exagérer, mais pourtant s′adressait à toute une clientèle dont il flattait les goûts. Il est vrai qu′il invoquait, pour la faire venir au Grand-Hôtel de Balbec, non seulement «la chère exquise» et le «coup d′il féerique des jardins du Casino», mais encore les «arrêts de Sa Majesté la Mode, qu′on ne peut violer impunément sans passer pour un béotien, ce à quoi aucun homme bien élevé ne voudrait s′exposer». Le besoin que j′avais de ma grand′mère était grandi par ma crainte de lui avoir causé une désillusion. Elle devait être découragée, sentir que si je ne supportais pas cette fatigue c′était à désespérer qu′aucun voyage pût me faire du bien. Je me décidai à rentrer l′attendre; le directeur vint lui-même pousser un bouton: et un personnage encore inconnu de moi, qu′on appelait «lift» (et qui à ce point le plus haut de l′hôtel où serait le lanternon d′une église normande, était installé comme un photographe derrière son vitrage ou comme un organiste dans sa chambre), se mit à descendre vers moi avec l′agilité d′un écureuil domestique, industrieux et captif. Puis en glissant de nouveau le long d′un pilier il m′entraîna à sa suite vers le dôme de la nef commerciale. A chaque étage, des deux côtés de petits escaliers de communication, se dépliaient en éventails de sombres galeries, dans lesquelles portant un traversin, passait une femme de chambre. J′appliquais à son visage rendu indécis par le crépuscule, le masque de mes rêves les plus passionnés, mais lisais dans son regard tourné vers moi l′horreur de mon néant. Cependant pour dissiper, au cours de l′interminable ascension, l′angoisse mortelle que j′éprouvais à traverser en silence le mystère de ce clair-obscur sans poésie, éclairé d′une seule rangée verticale de verrières que faisait l′unique water-closet de chaque étage, j′adressai la parole au jeune organiste, artisan de mon voyage et compagnon de ma captivité, lequel continuait à tirer les registres de son instrument et à pousser les tuyaux. Je m′excusai de tenir autant de place, de lui donner tellement de peine, et lui demandai si je ne le gênais pas dans l′exercice d′un art, à l′endroit duquel, pour flatter le virtuose, je fis plus que manifester de la curiosité, je confessai ma prédilection. Mais il ne me répondit pas, soit étonnement de mes paroles, attention à son travail, souci de l′étiquette, dureté de son ou respect du lieu, crainte du danger, paresse d′intelligence ou consigne du directeur. My sense of loneliness was further increased a moment later: when I had confessed to my grandmother that I did not feel well, that I thought that we should be obliged to return to Paris, she had offered no protest, saying merely that she was going out to buy a few things which would be equally useful whether we left or stayed (and which, I afterwards learned, were all for my benefit, Françoise having gone off with certain articles which I might need); while I waited for her I had taken a turn through the streets, packed with a crowd of people who imparted to them a sort of indoor warmth, streets in which were still open the hairdresser′s shop and the pastry-cook′s, the latter filled with customers eating ices, opposite the statue of Duguay-Trouin. This crowd gave me just about as much pleasure as a photograph of it in one of the ‘illustrateds′ might give a patient who was turning its pages in the surgeon′s waiting-room. I was astonished to find that there were people so different from myself that this stroll through the town had actually been recommended to me by the manager as a distraction, and also that the torture chamber which a new place of residence is could appear to some people a ‘continuous amusement,′ to quote the hotel prospectus, which might, it was true, exaggerate, but was, for all that, addressed to a whole army of clients to whose tastes it must appeal. True, it invoked, to make them come to the Grand Hotel, Balbec, not only the ‘exquisite fare′ and the ‘fairy-like view across the Casino gardens,′ but also the ‘ordinances of her Majesty Queen Fashion, which no one may break with impunity, or without being taken for a Boeotian, a charge that no well-bred man would willingly incur.′ The need that I now had of my grandmother was enhanced by my fear that I had shattered another of her illusions. She must be feeling discouraged, feeling that if I could not stand the fatigue of this journey there was no hope that any change of air could ever do me good. I decided to return to the hotel and to wait for her there: the manager himself came forward and pressed a button, and a person whose acquaintance I had not yet made, labelled ‘LIFT′ (who at that highest point in the building, which corresponded to the lantern in a Norman church, was installed like a photographer in his darkroom or an organist in his loft) came rushing down towards me with the agility of a squirrel, tamed, active, caged. Then, sliding upwards again along a steel pillar, he bore me aloft in his train towards the dome of this temple of Mammon. On each floor, on either side of a narrow communicating stair, opened out fanwise a range of shadowy galleries, along one of which, carrying a bolster, a chambermaid came past. I lent to her face, which the gathering dusk made featureless, the mask of my most impassioned dreams of beauty, but read in her eyes as they turned towards me the horror of my own nonentity. Meanwhile, to dissipate, in the course of this interminable assent, the mortal anguish which I felt in penetrating thus in silence the mystery of this chiaroscuro so devoid of poetry, lighted by a single vertical line of little windows which were those of the solitary water-closet on each landing, I addressed a few words to the young organist, artificer of my journey and my partner in captivity, who continued to manipulate the registers of his instrument and to finger the stops. I apologised for taking up so much room, for giving him so much trouble, and asked whether I was not obstructing him in the practice of an art to which, so as to flatter the performer, I did more than display curiosity, I confessed my strong attachment. But he vouchsafed no answer, whether from astonishment at my words, preoccupation with what he was doing, regard for convention, hardness of hearing, respect for holy ground, fear of danger, slowness of understanding, or by the manager′s orders.
Il n′est peut-être rien qui donne plus l′impression de la réalité de ce qui nous est extérieur, que le changement de la position, par rapport à nous, d′une personne même insignifiante, avant que nous l′ayons connue, et après. J′étais le même homme qui avait pris à la fin de l′après-midi le petit chemin de fer de Balbec, je portais en moi la même âme. Mais dans cette âme, à l′endroit où, à six heures, il y avait avec l′impossibilité d′imaginer le directeur, le Palace, son personnel, une attente vague et craintive du moment où j′arriverais, se trouvaient maintenant les boutons extirpés dans la figure du directeur cosmopolite (en réalité naturalisé Monégasque, bien qu′il fût — comme il disait parce qu′il employait toujours des expressions qu′il croyait distinguées, sans s′apercevoir qu′elles étaient vicieuses — «d′originalité roumaine») — son geste pour sonner le lift, le lift lui-même, toute une frise de personnages de guignol sortis de cette boîte de Pandore, qu′était le Grand-Hôtel, indéniables, inamovibles, et comme tout ce qui est réalisé, stérilisants. Mais du moins ce changement dans lequel je n′étais pas intervenu me prouvait qu′il s′était passé quelque chose d′extérieur à moi — si dénuée d′intérêt que cette chose fût en soi — et j′étais comme le voyageur qui, ayant eu le soleil devant lui en commençant une course, constate que les heures sont passées, quand il le voit derrière lui. J′étais brisé par la fatigue, j′avais la fièvre, je me serais bien couché, mais je n′avais rien de ce qu′il eût fallu pour cela. J′aurais voulu au moins m′étendre un instant sur le lit, mais à quoi bon puisque je n′aurais pu y faire trouver de repos à cet ensemble de sensations qui est pour chacun de nous son corps conscient, sinon son corps matériel, et puisque les objets inconnus qui l′encerclaient, en le forçant à mettre ses perceptions sur le pied permanent d′une défensive vigilante, auraient maintenu mes regards, mon ou tous mes sens, dans une position aussi réduite et incommode (même si j′avais allongé mes jambes) que celle du cardinal La Balue dans la cage où il ne pouvait ni se tenir debout ni s′asseoir. C′est notre attention qui met des objets dans une chambre, et l′habitude qui les en retire, et nous y fait de la place. De la place, il n′y en avait pas pour moi dans ma chambre de Balbec (mienne de nom seulement), elle était pleine de choses qui ne me connaissaient pas, me rendirent le coup d′il méfiant que je leur jetai et sans tenir aucun compte de mon existence, témoignèrent que je dérangeais le train-train de la leur. La pendule — alors qu′à la maison je n′entendais la mienne que quelques secondes par semaine, seulement quand je sortais d′une profonde méditation — continua sans s′interrompre un instant à tenir dans une langue inconnue des propos qui devaient être désobligeants pour moi, car les grands rideaux violets l′écoutaient sans répondre, mais dans une attitude analogue à celle des gens qui haussent les épaules pour montrer que la vue d′un tiers les irrite. Ils donnaient à cette chambre si haute un caractère quasi-historique qui eût pu la rendre appropriée à l′assassinat du duc de Guise, et plus tard à une visite de touristes, conduits par un guide de l′agence Cook, mais nullement à mon sommeil. J′étais tourmenté par la présence de petites bibliothèques à vitrines, qui couraient le long des murs, mais surtout par une grande glace à pieds, arrêtée en travers de la pièce et avant le départ de laquelle je sentais qu′il n′y aurait pas pour moi de détente possible. Je levais à tout moment mes regards, — que les objets de ma chambre de Paris ne gênaient pas plus que ne faisaient mes propres prunelles, car ils n′étaient plus que des annexes de mes organes, un agrandissement de moi-même, — vers le plafond surélevé de ce belvédère situé au sommet de l′hôtel et que ma grand′mère avait choisi pour moi; et, jusque dans cette région plus intime que celle où nous voyons et où nous entendons, dans cette région où nous éprouvons la qualité des odeurs, c′était presque à l′intérieur de mon moi que celle du vétiver venait pousser dans mes derniers retranchements son offensive, à laquelle j′opposais non sans fatigue la riposte inutile et incessante d′un reniflement alarmé. N′ayant plus d′univers, plus de chambre, plus de corps que menacé par les ennemis qui m′entouraient, qu′envahi jusque dans les os par la fièvre, j′étais seul, j′avais envie de mourir. Alors ma grand′mère entra; et à l′expansion de mon cur refoulé s′ouvrirent aussitôt des espaces infinis. There is perhaps nothing that gives us so strong an impression of the reality of the external world as the difference in the positions, relative to ourselves, of even a quite unimportant person before we have met him and after. I was the same man who had taken, that afternoon, the little train from Balbec to the coast, I carried in my body the same consciousness But on that consciousness, in the place where, at six o′clock, there had been, with the impossibility of forming any idea of the manager, the Grand Hotel or its occupants, a vague and timorous impatience for the moment at which I should reach my destination, were to be found now the pustules excised from the face of the cosmopolitan manager (he was, as a matter of fact, a naturalised Monégasque, although — as he himself put it, for he was always using expressions which he thought distinguished without noticing that they were incorrect —‘of Rumanian originality′), his action in ringing for the lift, the lift-boy himself, a whole frieze of puppet-show characters issuing from that Pandora′s box which was the Grand Hotel, undeniable, irremovable, and, like everything that is realised, sterilising. But at least this change, which I had done nothing to bring about, proved to me that something had happened which was external to myself — however devoid of interest that thing might be — and I was like a traveller who, having had the sun in his face when he started, concludes that he has been for so many hours on the road when he finds the sun behind him. I was half dead with exhaustion, I was burning with fever; I would gladly have gone to bed, but I had no night-things. I should have liked at least to lie down for a little while on the bed, but what good would that have done me, seeing that I should not have been able to find any rest there for that mass of sensations which is for each of us his sentient if not his material body, and that the unfamiliar objects which encircled that body, forcing it to set its perceptions on the permanent footing of a vigilant and defensive guard, would have kept my sight, my hearing, all my senses in a position as cramped and comfortless (even if I had stretched out my legs) as that of Cardinal La Balue in the cage in which he could neither stand nor sit. It is our noticing them that puts things in a room, our growing used to them that takes them away again and clears a space for us. Space there was none for me in my bedroom (mine in name only) at Balbec; it was full of things which did not know me, which flung back at me the distrustful look that I had cast at them, and, without taking any heed of my existence, shewed that I was interrupting the course of theirs. The clock — whereas at home I heard my clock tick only a few seconds in a week, when I was coming out of some profound meditation — continued without a moment′s interruption to utter, in an unknown tongue, a series of observations which must have been most uncomplimentary to myself, for the violet curtains listened to them without replying, but in an attitude such as people adopt who shrug their shoulders to indicate that the sight of a third person irritates them. They gave to this room with its lofty ceiling a semi-historical character which might have made it a suitable place for the assassination of the Duc de Guise, and afterwards for parties of tourists personally conducted by one of Messrs. Thomas Cook and Son′s guides, but for me to sleep in — no. I was tormented by the presence of some little bookcases with glass fronts which ran along the walls, but especially by a large mirror with feet which stood across one corner, for I felt that until it had left the room there would be no possibility of rest for me there. I kept raising my eyes — which the things in my room in Paris disturbed no more than did my eyelids themselves, for they were merely extensions of my organs, an enlargement of myself — towards the fantastically high ceiling of this belvedere planted upon the summit of the hotel which my grandmother had chosen for me; and in that region more intimate than those in which we see and hear, that region in which we test the quality of odours, almost in the very heart of my inmost self, the smell of flowering grasses next launched its offensive against my last feeble line of trenches, where I stood up to it, not without tiring myself still further, with the futile incessant defence of an anxious sniffing. Having no world, no room, no body now that was not menaced by the enemies thronging round me, invaded to the very bones by fever, I was utterly alone; I longed to die. Then my grandmother came in, and to the expansion of my ebbing heart there opened at once an infinity of space.
Elle portait une robe de chambre de percale qu′elle revêtait à la maison chaque fois que l′un de nous était malade (parce qu′elle s′y sentait plus à l′aise, disait-elle, attribuant toujours à ce qu′elle faisait des mobiles égoî²´es), et qui était pour nous soigner, pour nous veiller, sa blouse de servante et de garde, son habit de religieuse. Mais tandis que les soins de celles-là, la bonté qu′elles ont, le mérite qu′on leur trouve et la reconnaissance qu′on leur doit augmentent encore l′impression qu′on a d′être, pour elles, un autre, de se sentir seul, gardant pour soi la charge de ses pensées, de son propre désir de vivre, je savais, quand j′étais avec ma grand′mère, si grand chagrin qu′il y eût en moi, qu′il serait reçu dans une pitié plus vaste encore; que tout ce qui était mien, mes soucis, mon vouloir, serait, en ma grand′mère, étayé sur un désir de conservation et d′accroissement de ma propre vie autrement fort que celui que j′avais de moi-même; et mes pensées se prolongeaient en elle sans subir de déviation parce qu′elles passaient de mon esprit dans le sien sans changer de milieu, de personne. Et — comme quelqu′un qui veut nouer sa cravate devant une glace sans comprendre que le bout qu′il voit n′est pas placé par rapport à lui du côté où il dirige sa main, ou comme un chien qui poursuit à terre l′ombre dansante d′un insecte, — trompé par l′apparence du corps comme on l′est dans ce monde où nous ne percevons pas directement les âmes, je me jetai dans les bras de ma grand′mère et je suspendis mes lèvres à sa figure comme si j′accédais ainsi à ce cur immense qu′elle m′ouvrait. Quand j′avais ainsi ma bouche collée à ses joues, à son front, j′y puisais quelque chose de si bienfaisant, de si nourricier, que je gardais l′immobilité, le sérieux, la tranquille avidité d′un enfant qui tette. She was wearing a loose cambric gown which she put on at home whenever any of us was ill (because she felt more comfortable in it, she used to say, for she always ascribed to her actions a selfish motive), and which was, for tending us, for watching by our beds, her servant′s livery, her nurse′s uniform, her religious habit. But whereas the trouble that servants, nurses, religious take, their kindness to us, the merits that we discover in them and the gratitude that we owe them all go to increase the impression that we have of being, in their eyes, some one different, of feeling that we are alone, keeping in our own hands the control over our thoughts, our will to live, I knew, when I was with my grandmother, that, however great the misery that there was in me, it would be received by her with a pity still more vast; that everything that was mine, my cares, my wishes, would be, in my grandmother, supported upon a desire to save and prolong my life stronger than was my own; and my thoughts were continued in her without having to undergo any deflection, since they passed from my mind into hers without change of atmosphere or of personality. And — like a man who tries to fasten his necktie in front of a glass and forgets that the end which he sees reflected is not on the side to which he raises his hand, or like a dog that chases along the ground the dancing shadow of an insect in the air — misled by her appearance in the body as we are apt to be in this world where we have no direct perception of people′s souls, I threw myself into the arms of my grandmother and clung with my lips to her face as though I had access thus to that immense heart which she opened to me. And when I felt my mouth glued to her cheeks, to her brow, I drew from them something so beneficial, so nourishing that I lay in her arms as motionless, as solemn, as calmly gluttonous as a babe at the breast.
Je regardais ensuite sans me lasser son grand visage découpé comme un beau nuage ardent et calme, derrière lequel on sentait rayonner la tendresse. Et tout ce qui recevait encore, si faiblement que ce fût, un peu de ses sensations, tout ce qui pouvait ainsi être dit encore à elle, en était aussitôt si spiritualisé, si sanctifié que de mes paumes je lissais ses beaux cheveux à peine gris avec autant de respect, de précaution et de douceur que si j′y avais caressé sa bonté. Elle trouvait un tel plaisir dans toute peine qui m′en épargnait une, et, dans un moment d′immobilité et de calme pour mes membres fatigués, quelque chose de si délicieux, que quand, ayant vu qu′elle voulait m′aider à me coucher et me déchausser, je fis le geste de l′en empêcher et de commencer à me déshabiller moi-même, elle arrêta d′un regard suppliant mes mains qui touchaient aux premiers boutons de ma veste et de mes bottines. At last I let go, and lay and gazed, and could not tire of gazing at her large face, as clear in its outline as a fine cloud, glowing and serene, behind which I could discern the radiance of her tender love. And everything that received, in however slight a degree, any share of her sensations, everything that could be said to belong in any way to her was at once so spiritualised, so sanctified, that with outstretched hands I smoothed her dear hair, still hardly grey, with as much respect, precaution, comfort as if I had actually been touching her goodness. She found a similar pleasure in taking any trouble that saved me one, and in a moment of immobility and rest for my weary limbs something so delicious that when, having seen that she wished to help me with my undressing and to take my boots off, I made as though to stop her and began to undress myself, with an imploring gaze she arrested my hands as they fumbled with the top buttons of my coat and boots.
— «Oh, je t′en prie, me dit-elle. C′est une telle joie pour ta grand′mère. Et surtout ne manque pas de frapper au mur si tu as besoin de quelque chose cette nuit, mon lit est adossé au tien, la cloison est très mince. D′ici un moment quand tu seras couché fais-le, pour voir si nous nous comprenons bien.» “Oh, do let me!” she begged. “It is such a joy for your Granny. And be sure you knock on the wall if you want anything in the night. My bed is just on the other side, and the partition is, quite thin. Just give a knock now, as soon as you are ready, so that we shall know where we are.”
Et, en effet, ce soir-là, je frappai trois coups — que une semaine plus tard quand je fus souffrant je renouvelai pendant quelques jours tous les matins parce que ma grand′mère voulait me donner du lait de bonne heure. Alors quand je croyais entendre qu′elle était réveillée — pour qu′elle n′attendît pas et pût, tout de suite après, se rendormir, — je risquais trois petits coups, timidement, faiblement, distinctement malgré tout, car si je craignais d′interrompre son sommeil dans le cas où je me serais trompé et où elle eût dormi, je n′aurais pas voulu non plus qu′elle continuât d′épier un appel qu′elle n′aurait pas distingué d′abord et que je n′oserais pas renouveler. Et à peine j′avais frappé mes coups que j′en entendais trois autres, d′une intonation différente de ceux-là, empreints d′une calme autorité, répétés à deux reprises pour plus de clarté et qui disaient: «Ne t′agite pas, j′ai entendu, dans quelques instants je serai là»; et bientôt après ma grand′mère arrivait. Je lui disais que j′avais eu peur qu′elle ne m′entendît pas ou crût que c′était un voisin qui avait frappé; elle riait: And, sure enough, that evening I gave three knocks — a signal which, the week after, when I was ill, I repeated every morning for several days, because my grandmother wanted me to have some milk early. Then, when I thought that I could hear her stirring, so that she should not be kept waiting but might, the moment she had brought me the milk, go to sleep again, I ventured on three little taps, timidly, faintly, but for all that distinctly, for if I was afraid of disturbing her, supposing that I had been mistaken and that she was still asleep, I should not have wished her either to lie awake listening for a summons which she had not at once caught and which I should not have the courage to repeat. And scarcely had I given my taps than I heard three others, in a different intonation from mine, stamped with a calm authority, repeated twice over so that there should be no mistake, and saying to me plainly: “Don′t get excited; I heard you; I shall be with you in a minute!” and shortly afterwards my grandmother appeared. I explained to her that I had been afraid that she would not hear me, or might think that it was some one in the room beyond who was lapping; at which she smiled:
— «Confondre les coups de mon pauvre chou avec d′autres, mais entre mille sa grand′mère les reconnaîtrait! Crois-tu donc qu′il y en ait d′autres au monde qui soient aussi bêtas, aussi fébriles, aussi partagés entre la crainte de me réveiller et de ne pas être compris. Mais quand même elle se contenterait d′un grattement, on reconnaîtrait tout de suite sa petite souris, surtout quand elle est aussi unique et à plaindre que la mienne. Je l′entendais déjà depuis un moment qui hésitait, qui se remuait dans le lit, qui faisait tous ses manèges.» “Mistake my poor chick′s knocking for anyone else! Why, Granny could tell it among a thousand! Do you suppose there′s anyone else in the world who′s such a silly-billy, with such feverish little knuckles, so afraid of waking me up and of not making me understand? Even if he just gave the least scratch, Granny could tell her mouse′s sound at once, especially such a poor miserable little mouse as mine is. I could hear it just now, trying to make up its mind, and rustling the bedclothes, and going through all its tricks.”
Elle entr′ouvrait les persiennes; à l′annexe en saillie de l′hôtel, le soleil était déjà installé sur les toits comme un couvreur matinal qui commence tôt son ouvrage et l′accomplit en silence pour ne pas réveiller la ville qui dort encore et de laquelle l′immobilité le fait paraître plus agile. Elle me disait l′heure, le temps qu′il ferait, que ce n′était pas la peine que j′allasse jusqu′à la fenêtre, qu′il y avait de la brume sur la mer, si la boulangerie était déjà ouverte, quelle était cette voiture qu′on entendait: tout cet insignifiant lever de rideau, ce négligeable introî² du jour auquel personne n′assiste, petit morceau de vie qui n′était qu′à nous deux, que j′évoquerais volontiers dans la journée devant Françoise ou des étrangers en parlant du brouillard à couper au couteau qu′il y avait eu le matin à six heures, avec l′ostentation non d′un savoir acquis, mais d′une marque d′affection reçue par moi, seul; doux instant matinal qui s′ouvrait comme une symphonie par le dialogue rythmé de mes trois coups auquel la cloison pénétrée de tendresse et de joie, devenue harmonieuse, immatérielle, chantant comme les anges, répondait par trois autres coups, ardemment attendus, deux fois répétés, et où elle savait transporter l′âme de ma grand′mère tout entière et la promesse de sa venue, avec une allégresse d′annonciation et une fidélité musicale. Mais cette première nuit d′arrivée, quand ma grand′mère m′eut quitté, je recommençai à souffrir, comme j′avais déjà souffert à Paris au moment de quitter la maison. Peut-être cet effroi que j′avais — qu′ont tant d′autres — de coucher dans une chambre inconnue, peut-être cet effroi, n′est-il que la forme la plus humble, obscure, organique, presque inconsciente, de ce grand refus désespéré qu′opposent les choses qui constituent le meilleur de notre vie présente à ce que nous revêtions mentalement de notre acceptation la formule d′un avenir où elles ne figurent pas; refus qui était au fond de l′horreur que m′avait fait si souvent éprouver la pensée que mes parents mourraient un jour, que les nécessités de la vie pourraient m′obliger à vivre loin de Gilberte, ou simplement à me fixer définitivement dans un pays où je ne verrais plus jamais mes amis; refus qui était encore au fond de la difficulté que j′avais à penser à ma propre mort ou à une survie comme celle que Bergotte promettait aux hommes dans ses livres, dans laquelle je ne pourrais emporter mes souvenirs, mes défauts, mon caractère qui ne se résignaient pas à l′idée de ne plus être et ne voulaient pour moi ni du néant, ni d′une éternité où ils ne seraient plus. She pushed open the shutters; where a wing of the hotel jutted out at right angles to my window, the sun was already installed upon the roof, like a slater who is up betimes, and starts early and works quietly so as not to rouse the sleeping town, whose stillness seems to enhance his activity. She told me what o′clock, what sort of day it was; that it was not worth while my getting up and coming to the window, that there was a mist over the sea; if the baker′s shop had opened yet; what the vehicle was that I could hear passing. All that brief, trivial curtain-raiser, that negligible introit of a new day, performed without any spectator, a little scrap of life which was only for our two selves, which I should have no hesitation in repeating, later on, to Françoise or even to strangers, speaking of the fog ‘which you could have cut with a knife at six o′clock that morning, with the ostentation of one who was boasting not of a piece of knowledge that he had acquired but of a mark of affection shewn to himself alone; dear morning moment, opened like a symphony by the rhythmical dialogue of my three taps, to which the thin wall of my bedroom, steeped in love and joy, grown melodious, immaterial, singing like the angelic choir, responded with three other taps, eagerly awaited, repeated once and again, in which it contrived to waft to me the soul of my grandmother, whole and perfect, and the promise of her coming, with a swiftness of annunciation and melodic accuracy. But on this first night after our arrival, when my grandmqther had left me, I began again to feel as I had felt, the day before, in Paris, at the moment of leaving home. Perhaps this fear that I had — and shared with so many of my fellow-men — of sleeping in a strange room, perhaps this fear is only the most humble, obscure, organic, almost unconscious form of that great and desperate resistance set up by the things that constitute the better part of our present life towards our mentally assuming, by accepting it as true, the formula of a future in which those things are to have no part; a resistance which was at the root of the horror that I had so often been made to feel by the thought that my parents must, one day, die, that the stern necessity of life might oblige me to live remote from Gilberte, or simply to settle permanently in a place where I should never see any of my old friends; a resistance which was also at the root of the difficulty that I found in imagining my own death, or a survival such as Bergotte used to promise to mankind in his books, a survival in which I should not be allowed to take with me my memories, my frailties, my character, which did not easily resign themselves to the idea of ceasing to be, and desired for me neither annihilation nor an eternity in which they would have no part.
Quand Swann m′avait dit à Paris, un jour que j′étais particulièrement souffrant: «Vous devriez partir pour ces délicieuses îles de l′Océanie, vous verrez que vous n′en reviendrez plus», j′aurais voulu lui répondre: «Mais alors je ne verrai plus votre fille, je vivrai au milieu de choses et de gens qu′elle n′a jamais vus.» Et pourtant ma raison me disait: «Qu′est-ce que cela peut faire, puisque tu n′en seras pas affligé? Quand M. Swann te dit que tu ne reviendras pas, il entend par là que tu ne voudras pas revenir, et puisque tu ne le voudras pas, c′est que, là-bas, tu seras heureux.» Car ma raison savait que l′habitude — l′habitude qui allait assumer maintenant l′entreprise de me faire aimer ce logis inconnu, de changer da place la glace, la nuance des rideaux, d′arrêter la pendule, — se charge aussi bien de nous rendre chers les compagnons qui nous avaient déplu d′abord, de donner une autre forme aux visages, de rendre sympathique le son d′une voix, de modifier l′inclination des curs. Certes ces amitiés nouvelles pour des lieux et des gens, ont pour trame l′oubli des anciennes; mais justement ma raison pensait que je pouvais envisager sans terreur la perspective d′une vie où je serais à jamais séparé d′êtres dont je perdrais le souvenir, et, c′est comme une consolation, qu′elle offrait à mon cur une promesse d′oubli qui ne faisait au contraire qu′affoler son désespoir. Ce n′est pas que notre cur ne doive éprouver lui aussi, quand la séparation sera consommée, les effets analgésiques de l′habitude; mais jusque-là il continuera de souffrir. Et la crainte d′un avenir où nous serons enlevés la vue et l′entretien de ceux que nous aimons et d′où nous tirons aujourd′hui notre plus chère joie, cette crainte, loin de se dissiper, s′accroît, si à la douleur d′une telle privation nous pensons que s′ajoutera ce qui pour nous semble actuellement plus cruel encore: ne pas la ressentir comme une douleur, y rester indifférent; car alors notre moi serait changé, ce ne serait plus seulement le charme de nos parents, de notre maîtresse, de nos amis, qui ne serait plus autour de nous, mais notre affection pour eux; elle aurait été si parfaitement arrachée de notre cur dont elle est aujourd′hui une notable part, que nous pourrions nous plaire à cette vie séparée d′eux dont la pensée nous fait horreur aujourd′hui; ce serait donc une vraie mort de nous-même, mort suivie, il est vrai, de résurrection, mais en un moi différent et jusqu′à l′amour duquel ne peuvent s′élever les parties de l′ancien moi condamnées à mourir. Ce sont elles, — même les plus chétives, comme les obscurs attachements aux dimensions, à l′atmosphère d′une chambre, — qui s′effarent et refusent, en des rébellions où il faut voir un mode secret, partiel, tangible et vrai de la résistance à la mort, de la longue résistance désespérée et quotidienne à la mort fragmentaire et successive telle qu′elle s′insère dans toute la durée de notre vie, détachant de nous à chaque moment des lambeaux de nous-mêmes sur la mortification desquels des cellules nouvelles multiplieront. Et pour une nature nerveuse comme était la mienne, c′est-à-dire chez qui les intermédiaires, les nerfs, remplissent mal leurs fonctions, — n′arrêtent pas dans sa route vers la conscience, mais y laissent au contraire parvenir, distincte, épuisante, innombrable et douloureuse, la plainte des plus humbles éléments du moi qui vont disparaître, — l′anxieuse alarme que j′éprouvais sous ce plafond inconnu et trop haut, n′était que la protestation d′une amitié qui survivait en moi, pour un plafond familier et bas. Sans doute cette amitié disparaîtrait, une autre ayant pris sa place (alors la mort, puis une nouvelle vie auraient, sous le nom d′Habitude, accompli leur uvre double); mais jusqu′à son anéantissement, chaque soir elle souffrirait, et ce premier soir-là surtout, mise en présence d′un avenir déjà réalisé où il n′y avait plus de place pour elle, elle se révoltait, elle me torturait du cri de ses lamentations chaque fois que mes regards, ne pouvant se détourner de ce qui les blessait, essayaient de se poser au plafond inaccessible. When Swann had said to me, in Paris one day when I felt particularly unwell: “You ought to go off to one of those glorious islands in the Pacific; you′d never come back again if you did.” I should have liked to answer: “But then I shall not see your daughter any more; I shall be living among people and things she has never seen.” And yet my better judgment whispered: “What difference can that make, since you are not going to be affected by it? When M. Swann tells you that you will not come back he means by that that you will not want to come back, and if you don′t want to that is because you will be happier out there.” For my judgment was aware that Habit — Habit which was even now setting to work to make me like this unfamiliar lodging, to change the position of the mirror, the shade of the curtains, to stop the clock — undertakes as well to make dear to us the companions whom at first we disliked, to give another appearance to their faces, to make attractive the sound of their voices, to modify the inclinations of their hearts. It is true that these new friendships for places and people are based upon forgetfulness of the old; but what my better judgment was thinking was simply that I could look without apprehension along the vista of a life in which I should be for ever separated from people all memory of whom I should lose, and it was by way of consolation that my mind was offering to my heart a promise of oblivion which succeeded only in sharpening the edge of its despair. Not that the heart also is not bound in time, when separation is complete, to feel the anodyne effect of habit; but until then it will continue to suffer. And our dread of a future in which we must forego the sight of faces, the sound of voices that we love, friends from whom we derive to-day our keenest joys, this dread, far from being dissipated, is intensified, if to the grief of such a privation we reflect that there will be added what seems to us now in anticipation an even more cruel grief; not to feel it as a grief at all — to remain indifferent; for if that should occur, our ego would have changed, it would then be not merely the attractiveness of our family, our mistress, our friends that had ceased to environ us, but our affection for them; it would have been so completely eradicated from our heart, in which to-day it is a conspicuous element, that we should be able to enjoy that life apart from them the very thought of which to-day makes us recoil in horror; so that it would be in a real sense the death of ourselves, a death followed, it is true, by resurrection but in a different ego, the life, the love of which are beyond the reach of those elements of the existing ego that are doomed to die. It is they — even the meanest of them, such as our obscure attachments to the dimensions, to the atmosphere of a bedroom — that grow stubborn and refuse, in acts of rebellion which we must recognise to be a secret, partial, tangible and true aspect of our resistance to death, of the long resistance, desperate and daily renewed, to a fragmentary and gradual death such as interpolates itself throughout the whole course of our life, tearing away from us at every moment a shred of ourselves, dead matter on which new cells will multiply, and grow. And for a neurotic nature such as mine, one that is to say in which the intermediaries, the nerves, perform their functions badly — fail to arrest on its way to the consciousness, allow indeed to penetrate there, distinct, exhausting, innumerable, agonising, the plaint of those most humble elements of the personality which are about to disappear — the anxiety and alarm which I felt as I lay outstretched beneath that strange and too lofty ceiling were but the protest of an affection that survived in me for a ceiling that was familiar and low. Doubtless this affection too would disappear, and another have taken its place (when death, and then another life, would, in the guise of Habit, have performed their double task); but until its annihilation, every night it would suffer afresh, and on this first night especially, confronted with a future already realised in which there would no longer be any place for it, it rose in revolt, it tortured me with the sharp sound of its lamentations whenever my straining eyes, powerless to turn from what was wounding them, endeavoured to fasten their gaze upon that inaccessible ceiling.
Mais le lendemain matin! — après qu′un domestique fut venu m′éveiller et m′apporter de l′eau chaude, et pendant que je faisais ma toilette et essayais vainement de trouver les affaires dont j′avais besoin dans ma malle d′où je ne tirais, pêle-mêle, que celles qui ne pouvaient me servir à rien, quelle joie, pensant déjà au plaisir du déjeuner et de la promenade, de voir dans la fenêtre et dans toutes les vitrines des bibliothèques comme dans les hublots d′une cabine de navire, la mer nue, sans ombrages et pourtant à l′ombre sur une moitié de son étendue que délimitait une ligne mince et mobile, et de suivre des yeux les flots qui s′élançaient l′un après l′autre comme des sauteurs sur un tremplin. A tous moments, tenant à la main la serviette raide et empesée où était écrit le nom de l′hôtel et avec laquelle je faisais d′inutiles efforts pour me sécher, je retournais près de la fenêtre jeter encore un regard sur ce vaste cirque éblouissant et montagneux et sur les sommets neigeux de ses vagues en pierre d′émeraude çà et là polie et translucide, lesquelles avec une placide violence et un froncement léonin, laissaient s′accomplir et dévaler l′écoulement de leurs pentes auxquelles le soleil ajoutait un sourire sans visage. Fenêtre à laquelle je devais ensuite me mettre chaque matin comme au carreau d′une diligence dans laquelle on a dormi, pour voir si pendant la nuit s′est rapprochée ou éloignée une chaîne désirée, — ici ces collines de la mer qui avant de revenir vers nous en dansant, peuvent reculer si loin que souvent ce n′était qu′après une longue plaine sablonneuse que j′apercevais à une grande distance leurs premières ondulations, dans un lointain transparent, vaporeux et bleuâtre comme ces glaciers qu′on voit au fond des tableaux des primitifs toscans. D′autres fois, c′était tout près de moi que le soleil riait sur ces flots d′un vert aussi tendre que celui que conserve aux prairies alpestres (dans les montagnes où le soleil s′étale çà et là comme un géant qui en descendrait gaiement, par bonds inégaux, les pentes), moins l′humidité du sol que la liquide mobilité de la lumière. Au reste, dans cette brêche que la plage et les flots pratiquent au milieu du monde pour du reste y faire passer, pour y accumuler la lumière, c′est elle surtout, selon la direction d′où elle vient et que suit notre il, c′est elle qui déplace et situe les vallonnements de la mer. La diversité de l′éclairage ne modifie pas moins l′orientation d′un lieu, ne dresse pas moins devant nous de nouveaux buts qu′il nous donne le désir d′atteindre, que ne ferait un trajet longuement et effectivement parcouru en voyage. Quand le matin le soleil venait de derrière l′hôtel, découvrant devant moi les grèves illuminées jusqu′aux premiers contreforts de la mer, il semblait m′en montrer un autre versant et m′engager à poursuivre, sur la route tournante de ses rayons, un voyage immobile et varié à travers les plus beaux sites du paysage accidenté des heures. Et dès ce premier matin le soleil me désignait au loin d′un doigt souriant ces cimes bleues de la mer qui n′ont de nom sur aucune carte géographique, jusqu′à ce qu′étourdi de sa sublime promenade à la surface retentissante et chaotique de leurs crêtes et de leurs avalanches, il vînt se mettre à l′abri du vent dans ma chambre, se prélassant sur le lit défait et égrenant ses richesses sur le lavabo mouillé, dans la malle ouverte, où par sa splendeur même et son luxe déplacé, il ajoutait encore à l′impression du désordre. Hélas, le vent de mer, une heure plus tard, dans la grande salle à manger, — tandis que nous déjeunions et que, de la gourde de cuir d′un citron, nous répandions quelques gouttes d′or sur deux soles qui bientôt laissèrent dans nos assiettes le panoche de leurs arêtes, frisé comme une plume et sonore comme une cithare, — il parut cruel à ma grand′mère de n′en pas sentir le souffle vivifiant à cause du châssis transparent mais clos qui, comme une vitrine, nous séparait de la plage tout en nous la laissant entièrement voir et dans lequel le ciel entrait si complètement que son azur avait l′air d′être la couleur des fenêtres et ses nuages blancs un défaut du verre. Me persuadant que j′étais «assis sur le môle» ou au fond du «boudoir» dont parle Beaudelaire, je me demandais si son «soleil rayonnant sur la mer» ce n′était pas — bien différent du rayon du soir, simple et superficiel comme un trait doré et tremblant — celui qui en ce moment brûlait la mer comme une topaze, la faisait fermenter, devenir blonde et laiteuse comme de la bière écumante comme du lait, tandis que par moments s′y promenaient çà et là de grandes ombres bleues, que quelque Dieu semblait s′amuser à déplacer, en bougeant un miroir dans le ciel. Malheureusement ce n′était pas seulement par son aspect que différait de la «salle» de Combray donnant sur les maisons d′en face, cette salle à manger de Balbec, nue, emplie de soleil vert comme l′eau d′une piscine, et à quelques mètres de laquelle, la marée pleine et le grand jour élevaient comme devant la cité céleste, un rempart indestructible et mobile d′émeraude et d′or. A Combray, comme nous étions connus de tout le monde, je ne me souciais de personne. Dans la vie de bains de mer on ne connaît que ses voisins. Je n′étais pas encore assez âgé et j′étais resté trop sensible pour avoir renoncé au désir de plaire aux êtres et de les posséder. Je n′avais pas l′indifférence plus noble qu′aurait éprouvée un homme du monde, à l′égard des personnes qui déjeunaient dans la salle à manger, ni des jeunes gens et des jeunes filles passant sur la digue, avec lesquels je souffrais de penser que je ne pourrais pas faire d′excursions, moins pourtant que si ma grand′mère, dédaigneuse des formes mondaines et ne s′occupant que de ma santé, leur avait adressé la demande, humiliante pour moi, de m′agréer comme compagnon de promenade. Soit qu′ils rentrassent vers quelque chalet inconnu, soit qu′ils en sortissent pour se rendre raquette en mains à un terrain de tennis, ou montassent sur des chevaux dont les sabots me piétinaient le cur, je les regardais avec une curiosité passionnée, dans cet éclairage aveuglant de la plage où les proportions sociales sont changées, je suivais tous leurs mouvements à travers la transparence de cette grande baie vitrée qui laissait passer tant de lumière. Mais elle interceptait le vent et c′était un défaut à l′avis de ma grand′mère qui, ne pouvant supporter l′idée que je perdisse le bénéfice d′une heure d′air, ouvrit subrepticement un carreau et fit envoler du même coup avec les menus, les journaux, voiles et casquettes de toutes les personnes qui étaient en train de déjeuner; elle-même, soutenue par le souffle céleste, restait calme et souriante comme sainte Blandine, au milieu des invectives qui, augmentant mon impression d′isolement et de tristesse, réunissaient contre nous les touristes méprisants, dépeignés et furieux. But next morning! — after a servant had come to call me, and had brought me hot water, and while I was washing and dressing myself and trying in vain to find the things that I wanted in my trunk, from which I extracted, pell-mell, only a lot of things that were of no use whatever, what a joy it was to me, thinking already of the delights of luncheon and of a walk along the shore, to see in the window, and in all the glass fronts of the bookcases as in the portholes of a ship′s cabin, the open sea, naked, unshadowed, and yet with half of its expanse in shadow, bounded by a thin and fluctuant line, and to follow with my eyes the waves that came leaping towards me, one behind another, like divers along a springboard. Every other moment, holding in one hand the starched, unyielding towel, with the name of the hotel printed upon it, with which I was making futile efforts to dry myself, I returned to the window to gaze once more upon that vast amphitheatre, dazzling, mountainous, and upon the snowy crests of its emerald waves, here and there polished and translucent, which with a placid violence, a leonine bending of the brows, let their steep fronts, to which the sun now added a smile without face or features, run forward to their goal, totter and melt and be no more. Window in which I was, henceforward, to plant myself every morning, as at the pane of a mail coach in which one has slept, to see whether, in the night, a long sought mountain-chain has come nearer or withdrawn — only here it was those hills of the sea which, before they come dancing back towards us, are apt to retire so far that often it was only at the end of a long and sandy plain that I would distinguish, miles it seemed away, their first undulations upon a background transparent, vaporous, bluish, like the glaciers that one sees in the backgrounds of the Tuscan Primitives. On other mornings it was quite close at hand that the sun was smiling upon those waters of a green as tender as that preserved in Alpine pastures (among mountains on which the sun spreads himself here and there like a lazy giant who may at any moment come leaping gaily down their craggy sides) less by the moisture of their soil than by the liquid mobility of their light. Anyhow, in that breach which shore and water between them drive through all the rest of the world, for the passage, the accumulation there of light, it is light above all, according to the direction from which it comes and along which our eyes follow it, it is light that shifts and fixes the undulations of the sea. Difference of lighting modifies no less the orientation of a place, constructs no less before our eyes new goals which it inspires in us the yearning to attain, than would a distance in space actually traversed in the course of a long journey. When, in the morning, the sun came from behind the hotel, disclosing to me the sands bathed in light as far as the first bastions of the sea, it seemed to be shewing me another side of the picture, and to be engaging me in the pursuit, along the winding path of its rays, of a journey motionless but ever varied amid all the fairest scenes of the diversified landscape of the hours. And on this first morning the sun pointed out to me far off with a jovial finger those blue peaks of the sea, which bear no name upon any geographer′s chart, until, dizzy with its sublime excursion over the thundering and chaotic surface of their crests and avalanches, it came back to take shelter from the wind in my bedroom, swaggering across the unmade bed and scattering its riches over the splashed surface of the basin-stand, and into my open trunk, where by its very splendour and ill-matched luxury it added still further to the general effect of disorder. Alas, that wind from the sea; an hour later, in the great dining-room — while we were having our luncheon, and from the leathern gourd of a lemon were sprinkling a few golden drops on to a pair of soles which presently left on our plates the plumes of their picked skeletons, curled like stiff feathers and resonant as citherns — it seemed to my grandmother a cruel deprivation not to be able to feel its life-giving breath on her cheek, on account of the window, transparent but closed, which like the front of a glass case in a museum divided us from the beach while allowing us to look out upon its whole extent, and into which the sky entered so completely that its azure had the effect of being the colour of the windows and its white clouds only so many flaws in the glass. Imagining that I was ‘seated upon the mole′ or at rest in the ‘boudoir′ of which Baudelaire speaks I asked myself whether his ‘Sun′s rays upon the sea′ were not — a very different thing from the evening ray, simple and superficial as the wavering stroke of a golden pencil — just what at that moment was scorching the sea topaz-brown, fermenting it, turning it pale and milky like foaming beer, like milk, while now and then there hovered over it great blue shadows which some god seemed, for his pastime, to be shifting to and fro by moving a mirror in the sky. Unfortunately, it was not only in its outlook that it differed from our room at Combray, giving upon the houses over the way, this dining-room at Balbec, bare-walled, filled with a sunlight green as the water in a marble font, while a few feet away the full tide and broad daylight erected as though before the gates of the heavenly city an indestructible and moving rampart of emerald and gold. At Combray, since we were known to everyone, I took heed of no one. In life at the seaside one knows only one′s own party. I was not yet old enough, I was still too sensitive to have outgrown the desire to find favour in the sight of other people and to possess their hearts. Nor had I acquired the more noble indifference which a man of the world would have felt, with regard to the people who were eating their luncheon in the room, nor to the boys and girls who strolled past the window, with whom I was pained by the thought that I should never be allowed to go on expeditions, though not so much pained as if my grandmother, contemptuous of social formalities and concerned about nothing but my health, had gone to them with the request, humiliating for me to overhear, that they would consent to let me accompany them. Whether they were returning to some villa beyond my ken, or had emerged from it, racquet in hand, on their way to some lawn-tennis court, or were mounted on horses whose hooves trampled and tore my heart, I gazed at them with a passionate curiosity, in that blinding light of the beach by which social distinctions are altered, I followed all their movements through the transparency of that great bay of glass which allowed so much light to flood the room. But it intercepted the wind, and this seemed wrong to my grandmother, who, unable to endure the thought that I was losing the benefit of an hour in the open air, surreptitiously unlatched a pane and at once set flying, with the bills of fare, the newspapers, veils and hats of all the people at the other tables; she herself, fortified by the breath of heaven, remained calm and smiling like Saint Blandina, amid the torrent of invective which, increasing my sense of isolation and misery, those scornful, dishevelled, furious visitors combined to pour on us.
Pour une certaine partie — ce qui, à Balbec, donnait à la population, d′ordinaire banalement riche et cosmopolite, de ces sortes d′hôtels de grand luxe, un caractère régional assez accentué — ils se composaient de personnalités éminentes des principaux départements de cette partie de la France, d′un premier président de Caen, d′un bâtonnier de Cherbourg, d′un grand notaire du Mans, qui à l′époque des vacances, partant des points sur lesquels toute l′année ils étaient disséminés en tirailleurs ou comme des pions au jeu de dames, venaient se concentrer dans cet hôtel. Ils y conservaient toujours les mêmes chambres, et, avec leurs femmes qui avaient des prétentions à l′aristocratie, formaient un petit groupe, auquel s′étaient adjoints un grand avocat et un grand médecin de Paris qui le jour du départ leur disaient: To a certain extent — and this, at Balbec, gave to the population, as a rule monotonously rich and cosmopolitan, of that sort of smart and ‘exclusive′ hotel, a quite distinctive local character — they were composed of eminent persons from the departmental capitals of that region of France, a chief magistrate from Caen, a leader of the Cherbourg bar, a big solicitor from Le Mans, who annually, when the holidays came round, starting from the various points over which, throughout the working year, they were scattered like snipers in a battle or draughtsmen upon a board, concentrated their forces upon this hotel. They always reserved the same rooms, and with their wives, who had pretensions to aristocracy, formed a little group, which was joined by a leading barrister and a leading doctor from Paris, who on the day of their departure would say to the others:
— «Ah! c′est vrai, vous ne prenez pas le même train que nous, vous êtes privilégiés, vous serez rendus pour le déjeuner.» “Oh, yes, of course; you don′t go by our train. You are fortunate, you will be home in time for luncheon.”
— «Comment, privilégiés? Vous qui habitez la capitale, Paris, la grand ville, tandis que j′habite un pauvre chef-lieu de cent mille âmes, il est vrai cent deux mille au dernier recensement; mais qu′est-ce à côté de vous qui en comptez deux millions cinq cent mille? et qui allez retrouver l′asphalte et tout l′éclat du monde parisien.» “Fortunate, do you say? You, who live in the Capital, in ‘Paris, the great town,′ while I have to live in a wretched county town of a hundred thousand souls (it is true, we managed to muster a hundred and two thousand at the last census, but what is that compared to your two and a half millions?) going back, too, to asphalt streets and all the bustle and gaiety of Paris life?”
Ils le disaient avec un roulement d′r paysan, sans y mettre d′aigreur, car c′étaient des lumières de leur province qui auraient pu comme d′autres venir à Paris — on avait plusieurs fois offert au premier président de Caen un siège à la Cour de cassation — mais avaient préféré rester sur place, par amour de leur ville, ou de l′obscurité, ou de la gloire, ou parce qu′ils étaient réactionnaires, et pour l′agrément des relations de voisinage avec les châteaux. Plusieurs d′ailleurs ne regagnaient pas tout de suite leur chef-lieu. They said this with a rustic burring of their r′s, but without bitterness, for they were leading lights each in his own province, who could like other people have gone to Paris had they chosen — the chief magistrate of Caen had several times been offered a judgeship in the Court of Appeal — but had preferred to stay where they were, from love of their native towns or of obscurity or of fame, or because they were reactionaries, and enjoyed being on friendly terms with the country houses of the neighbourhood. Besides several of them were not going back at once to their county towns.
Car, — comme la baie de Balbec était un petit univers à part au milieu du grand, une corbeille des saisons où étaient rassemblés en cercle les jours variés et les mois successifs, si bien que, non seulement les jours où on apercevait Rivelelle ce qui était signe d′orage, on y distinguait du soleil sur les maisons pendant qu′il faisait noir à Balbec, mais encore que quand les froids avaient gagné Balbec, on était certain de trouver sur cette autre rive deux ou trois mois supplémentaires de chaleur — ceux de ces habitués du Grand-Hôtel dont les vacances commençaient tard ou duraient longtemps, faisaient, quand arrivaient les pluies et les brumes, à l′approche de l′automne, charger leurs malles sur une barque, et traversaient rejoindre l′été à Rivelelle ou à Costedor. Ce petit groupe de l′hôtel de Balbec regardait d′un air méfiant chaque nouveau venu, et, ayant l′air de ne pas s′intéresser à lui, tous interrogeaient sur son compte leur ami le maître d′hôtel. Car c′était le même, — Aimé — qui revenait tous les ans faire la saison et leur gardait leurs tables; et mesdames leurs épouses, sachant que sa femme attendait un bébé, travaillaient après les repas chacune à une pièce de la layette, tout en nous toisant avec leur face à main, ma grand′mère et moi, parce que nous mangions des ufs durs dans la salade, ce qui était réputé commun et ne se faisait pas dans la bonne société d′Alençon. Ils affectaient une attitude de méprisante ironie à l′égard d′un Français qu′on appelait Majesté et qui s′était, en effet, proclamé lui-même roi d′un petit îlot de l′Océanie peuplé par quelques sauvages. Il habitait l′hôtel avec sa jolie maîtresse, sur le passage de qui quand elle allait se baigner, les gamins criaient: «Vive la reine!» parce qu′elle faisait pleuvoir sur eux des pièces de cinquante centimes. Le premier président et le bâtonnier ne voulaient même pas avoir l′air de la voir, et si quelqu′un de leurs amis la regardait, ils croyaient devoir le prévenir que c′était une petite ouvrière. For — inasmuch as the Bay of Balbec was a little world apart in the midst of a great world, a basketful of the seasons in which were clustered in a ring good days and bad, and the months in their order, so that not only, on days when one could make out Rivebelle, which was in itself a sign of coming storms, could one see the sunlight on the houses there while Balbec was plunged in darkness, but later on, when the cold weather had reached Balbec, one could be certain of finding on that opposite shore two or three supplementary months of warmth — those of the regular visitors to the Grand Hotel whose holidays began late or lasted long, gave orders, when rain and fog came and Autumn was in the air, for their boxes to be packed and embarked, and set sail across the Bay to find summer again at Rivebelle or Costedor. This little group in the Balbec hotel looked with distrust upon each new arrival, and while affecting to take not the least interest in him, hastened, all of them, to ply with questions their friend the head waiter. For it was the same head waiter — Aimé— who returned every year for the season, and kept their tables for them; and their good ladies, having heard that his wife was ‘expecting,′ would sit after meals working each at one of the ‘little things,′ stopping only to put up their glasses and stare at us, my grandmother and myself, because we were eating hard-boiled eggs in salad, which was considered common, and was, in fact, ‘not done′ in the best society of Alençon. They affected an attitude of contemptuous irony with regard to a Frenchman who was called ‘His Majesty′ and had indeed proclaimed himself King of a small island in the South Seas, inhabited by a few savages. He was staying in the hotel with his pretty mistress, whom, as she crossed the beach to bathe, the little boys would greet with “Three cheers for the Queen!” because she would reward them with a shower of small silver. The chief magistrate and the barrister went so far as to pretend not to see her, and if any of their friends happened to look at her, felt bound to warn him that she was only a little shop-girl.
— «Mais on m′avait assuré qu′à Ostende ils usaient de la cabine royale.» “But I was told that at Ostend they used the royal bathing machine.”
— «Naturellement! On la loue pour vingt francs. Vous pouvez la prendre si cela vous fait plaisir. Et je sais pertinemment que lui avait fait demander une audience au roi qui lui a fait savoir qu′il n′avait pas à connaître ce souverain de Guignol. “Well, and why not? It′s on hire for twenty francs. You can take it yourself, if you care for that sort of thing. Anyhow, I know for a fact that the fellow asked for an audience, when he was there, with the King, who sent back word that he took no cognisance of any Pantomime Princes.”
— «Ah, vraiment, c′est intéressant! il y a tout de même des gens! . . . » “Really, that′s interesting! What queer people there are in the world, to be sure!”
Et sans doute tout cela était vrai, mais c′était aussi par ennui de sentir que pour une bonne partie de la foule ils n′étaient, eux, que de bons bourgeois qui ne connaissaient pas ce roi et cette reine prodigues de leur monnaie, que le notaire, le président, le bâtonnier, au passage de ce qu′ils appelaient un carnaval, éprouvaient tant de mauvaise humeur et manifestaient tout haut une indignation au courant de laquelle était leur ami le maître d′hôtel, qui, obligé de faire bon visage aux souverains plus généreux qu′authentiques, cependant tout en prenant leur commande, adressait de loin à ses vieux clients un clignement d′il significatif. Peut-être y avait-il aussi un peu de ce même ennui d′être par erreur crus moins «chic» et de ne pouvoir expliquer qu′ils l′étaient davantage, au fond du «Joli Monsieur!» dont ils qualifiaient un jeune gommeux, fils poitrinaire et fêtard d′un grand industriel et qui, tous les jours, dans un veston nouveau, une orchidée à la boutonnière, déjeunait au champagne, et allait, pâle, impassible, un sourire d′indifférence aux lèvres, jeter au Casino sur la table de baccarat des sommes énormes «qu′il n′a pas les moyens de perdre» disait d′un air renseigné le notaire au premier président duquel la femme «tenait de bonne source» que ce jeune homme «fin de siècle» faisait mourir de chagrin ses parents. And I dare say it was all quite true: but it was also from resentment of the thought that, to many of their fellow-visitors, they were themselves simply respectable but rather common people who did not know this King and Queen so prodigal with their small change, that the solicitor, the magistrate, the barrister, when what they were pleased to call the ‘Carnival′ went by, felt so much annoyance, and expressed aloud an indignation that was quite understood by their friend the head waiter who, obliged to shew proper civility to these generous if not authentic Sovereigns, still, while he took their orders, would dart from afar at his old patrons a covert but speaking glance. Perhaps there was also something of the same resentment at being erroneously supposed to be less and unable to explain that they were more smart, underlining the ‘fine specimen′ with which they qualified a young ‘blood,′ the consumptive and dissipated son of an industrial magnate, who appeared every day in a new suit of clothes with an orchid in his buttonhole, drank champagne at luncheon, and then strolled out of the hotel, pale, impassive, a smile of complete indifference on his lips, to the casino to throw away at the baccarat table enormous sums, ‘which he could ill afford to lose,′ as the solicitor said with a resigned air to the chief magistrate, whose wife had it ‘on good authority′ that this ‘detrimental′ young man was bringing his parents′ grey hair in sorrow to the grave.
D′autre part, le bâtonnier et ses amis ne tarissaient pas de sarcasmes, au sujet d′une vieille dame riche et titrée, parce qu′elle ne se déplaçait qu′avec tout son train de maison. Chaque fois que la femme du notaire et la femme du premier président la voyaient dans la salle à manger au moment des repas, elles l′inspectaient insolemment avec leur face à main du même air minutieux et défiant que si elle avait été quelque plat au nom pompeux mais à l′apparence suspecte qu′après le résultat défavorable d′une observation méthodique on fait éloigner, avec un geste distant, et une grimace de dégoût. On the other hand, the barrister and his friends could not exhaust their flow of sarcasm on the subject of a wealthy old lady of title, because she never moved anywhere without taking her whole household with her. Whenever the wives of the solicitor and the magistrate saw her in the dining-room at meal-times they put up their glasses and gave her an insolent scrutiny, as minute and distrustful as if she had been some dish with a pretentious name but a suspicious appearance which, after the negative result of a systematic study, must be sent away with a lofty wave of the hand and a grimace of disgust.
Sans doute par là voulaient-elles seulement montrer, que s′il y avait certaines choses dont elles manquaient — dans l′espèce certaines prérogatives de la vieille dame, et être en relations avec elle — c′était non pas parce qu′elles ne pouvaient, mais ne voulaient pas les posséder. Mais elles avaient fini par s′en convaincre elles-mêmes; et c′est la suppression de tout désir, de la curiosité pour les formes de la vie qu′on ne connaît pas, de l′espoir de plaire à de nouveaux êtres, remplacés chez ces femmes par un dédain simulé, par une allégresse factice, qui avait l′inconvénient de leur faire mettre du déplaisir sous l′étiquette de contentement et se mentir perpétuellement à elles-mêmes, deux conditions pour qu′elles fussent malheureuses. Mais tout le monde dans cet hôtel agissait sans doute de la même manière qu′elles, bien que sous d′autres formes, et sacrifiait sinon à l′amour-propre, du moins à certains principes d′éducations ou à des habitudes intellectuelles, le trouble délicieux de se mêler à une vie inconnue. Sans doute le microcosme dans lequel la s′isolait la vieille dame n′était pas empoisonné de virulentes aigreurs comme le groupe où ricanaient de rage la femme du notaire et du premier président. Il était au contraire embaumé d′un parfum fin et vieillot mais qui n′était pas moins factice. Car au fond la vieille dame eût probablement trouvé à séduire, à s′attacher, en se renouvelant pour cela elle-même, la sympathie mystérieuse d′êtres nouveaux, un charme dont est dénué le plaisir qu′il y a à ne fréquenter que des gens de son monde et à se rappeler que, ce monde étant le meilleur qui soit, le dédain mal informé d′autrui est négligeable. Peut-être sentait-elle que, si elle était arrivée inconnue au Grand-Hôtel de Balbec elle eût avec sa robe de laine noire et son bonnet démodé fait sourire quelque noceur qui de son «rocking» eût murmuré «quelle purée!» ou surtout quelque homme de valeur ayant gardé comme le premier président entre ses favoris poivre et sel, un visage frais et des yeux spirituels comme elle les aimait, et qui eût aussitôt désigné à la lentille rapprochante du face à main conjugal l′apparition de ce phénomène insolite; et peut-être était-ce par inconsciente appréhension de cette première minute qu′on sait courte mais qui n′est pas moins redoutée — comme la première tête qu′on pique dans l′eau — que cette dame envoyait d′avance un domestique mettre l′hôtel au courant de sa personnalité et de ses habitudes, et coupant court aux salutations du directeur gagnait avec une brièveté où il y avait plus de timidité que d′orgueil sa chambre où des rideaux personnels remplaçant ceux qui pendaient aux fenêtres, des paravents, des photographies, mettaient si bien entre elle et le monde extérieur auquel il eût fallu s′adapter, la cloison de ses habitudes, que c′était son chez elle, au sein duquel elle était restée, qui voyageait plutôt qu′elle-même . . . No doubt by this behaviour they meant only to shew that, if there were things in the world which they themselves lacked — in this instance, certain prerogatives which the old lady enjoyed, and the privilege of her acquaintance — it was not because they could not, but because they did not choose to acquire them. But they had succeeded in convincing themselves that this really was what they felt; and it was the suppression of all desire for, of all curiosity as to forms of life which were unfamiliar, of all hope of pleasing new people (for which, in the women, had been substituted a feigned contempt, an artificial brightness) that had the awkward result of obliging them to label their discontent satisfaction, and lie everlastingly to themselves, for which they were greatly to be pitied. But everyone else in the hotel was no doubt behaving in a similar fashion, though his behaviour might take a different form, and sacrificing, if not to self-importance, at any rate to certain inculcated principles and mental habits the thrilling delight of mixing in a strange kind of life. Of course, the atmosphere of the microcosm in which the old lady isolated herself was not poisoned with virulent bitterness, as was that of the group in which the wives of the solicitor and magistrate sat chattering with impotent rage. It was indeed embalmed with a delicate and old-world fragrance which, however, was none the less artificial. For at heart the old lady would probably have found in attracting, in attaching to herself (and, with that object, recreating herself), the mysterious sympathy of new friends a charm which is altogether lacking from the pleasure that is to be derived from mixing only with the people of one′s own world, and reminding oneself that, one′s own being the best of all possible worlds, the ill-informed contempt of ‘outsiders′ may be disregarded. Perhaps she felt that — were she to arrive incognito at the Grand Hotel, Balbec, she would, in her black stuff gown and old-fashioned bonnet, bring a smile to the lips of some old reprobate, who from the depths of his rocking chair would glance up and murmur, “What a scarecrow!” or, still worse, to those of some man of repute who had, like the magistrate, kept between his pepper-and-salt whiskers a rosy complexion and a pair of sparkling eyes such as she liked to see, and would at once bring the magnifying lens of the conjugal glasses to bear upon so quaint a phenomenon; and perhaps it was in unconfessed dread of those first few minutes, which, though one knows that they will be but a few minutes, are none the less terrifying, like the first plunge of one′s head under water, that this old lady sent down in advance a servant, who would inform the hotel of the personality and habits of his mistress, and, cutting short the manager′s greetings, made, with an abruptness in which there was more timidity than pride, for her room, where her own curtains, substituted for those that draped the hotel windows, her own screens and photographs, set up so effectively between her and the outside world, to which otherwise she would have had to adapt herself, the barrier of her private life that it was her home (in which she had comfortably stayed) that travelled rather than herself.
Dès lors, ayant placé entre elle d′une part, le personnel de l′hôtel et les fournisseurs de l′autre, ses domestiques qui recevaient à sa place le contact de cette humanité nouvelle et entretenaient autour de leur maîtresse l′atmosphère accoutumée, ayant mis ses préjugés entre elle et les baigneurs, insoucieuse de déplaire à des gens que ses amies n′auraient pas reçus, c′est dans son monde qu′elle continuait à vivre par la correspondance avec ses amies, par le souvenir, par la conscience intime qu′elle avait de sa situation, de la qualité de ses manières, de la compétence de sa politesse. Et tous les jours, quand elle descendait pour aller dans sa calèche faire une promenade, sa femme de chambre qui portait ses affaires derrière elle, son valet de pied qui la devançait semblaient comme ces sentinelles, qui aux portes d′une ambassade, pavoisée aux couleurs du pays dont elle dépend, garantissent pour elle, au milieu d′un sol étranger, le privilège de son exterritorialité. Elle ne quitta pas sa chambre avant le milieu de l′après-midi, le jour de notre arrivée et nous ne l′aperçûmes pas dans la salle à manger où le directeur, comme nous étions nouveaux venus, nous conduisit, sous sa protection, à l′heure du déjeuner comme un gradé qui mène des bleus chez le caporal tailleur pour les faire habiller; mais nous y vîmes, en revanche, au bout d′un instant un hobereau et sa fille, d′une obscure mais très ancienne famille de Bretagne, M. et Mlle de Stermaria dont on nous avait fait donner la table croyant qu′ils ne rentreraient que le soir. Venus seulement à Balbec pour retrouver des châtelains qu′ils connaissaient dans le voisinage, ils ne passaient dans la salle à manger de l′hôtel, entre les invitations acceptées au dehors et les visites rendues que le temps strictement nécessaire. C′était leur morgue qui les préservait de toute sympathie humaine, de tout intérêt pour les inconnus assis autour d′eux, et au milieu desquels M. de Stermaria gardait l′air glacial, pressé, distant, rude, pointilleux et malintentionné, qu′on a dans un buffet de chemin de fer au milieu de voyageurs qu′on n′a jamais vus, qu′on ne reverra pas, et avec qui on ne conçoit d′autres rapports que de défendre contre eux son poulet froid et son coin dans le wagon. A peine commencions-nous à déjeuner qu′on vint nous faire lever sur l′ordre de M. de Stermaria, lequel venait d′arriver et sans le moindre geste d′excuse à notre adresse, pria à haute voix le maître d′hôtel de veiller à ce qu′une pareille erreur ne se renouvelât pas, car il lui était désagréable que «des gens qu′il ne connaissait pas» eussent pris sa table. Thenceforward, having placed between herself, on the one hand, and the staff of the hotel and its decorators on the other the servants who bore instead of her the shock of contact with all this strange humanity, and kept up around their mistress her familiar atmosphere, having set her prejudices between herself and the other visitors, indifferent whether or not she gave offence to people whom her friends would not have had in their houses, it was in her own world that she continued to live, by correspondence with her friends, by memories, by her intimate sense of and confidence in her own position, the quality of her manners, the competence of her politeness. And every day, when she came downstairs to go for a drive in her own carriage, the lady′s-maid who came after her carrying her wraps, the footman who preceded her, seemed like sentries who, at the gate of an embassy, flying the flag of the country to which she belonged, assured to her upon foreign soil the privilege of extra-territoriality. She did not leave her room until late in the afternoon on the day following our arrival, so that we did not see her in the dining-room, into which the manager, since we were strangers there, conducted us, taking us under his wing, as a corporal takes a squad of recruits to the master-tailor, to have them fitted; we did see however, a moment later, a country gentleman and his daughter, of an obscure but very ancient Breton family, M. and Mlle, de Stermaria, whose table had been allotted to us, in the belief that they had gone out and would not be back until the evening. Having come to Balbec only to see various country magnates whom they knew in that neighbourhood, they spent in the hotel dining-room, what with the invitations they accepted and the visits they paid, only such time as was strictly unavoidable. It was their stiffness that preserved them intact from all human sympathy, from interesting at all the strangers seated round about them, among whom M. de Stermaria kept up the glacial, preoccupied, distant, rude, punctilious and distrustful air that we assume in a railway refreshment-room, among fellow-passengers whom we have never seen before and will never see again, and with whom we can conceive of no other relations than to defend from their onslaught our ‘portion′ of cold chicken and our corner seat in the train. No sooner had we begun our luncheon than we were asked to leave the table, on the instructions of M. de Stermaria who had just arrived and, without the faintest attempt at an apology to us, requested the head waiter, in our hearing, to “see that such a mistake did not occur again,” for it was repugnant to him that “people whom he did not know” should have taken his table.
Et certes dans le sentiment qui poussait une certaine actrice (plus connue d′ailleurs à cause de son élégance, de son esprit, de ses belles collections de porcelaine allemande que pour quelques rôles joués à l′Odéon), son amant, jeune homme très riche pour lequel elle s′était cultivée, et deux hommes très en vue de l′aristocratie à faire dans la vie bande à part, à ne voyager qu′ensemble, à prendre à Balbec leur déjeuner, très tard quand tout le monde avait fini; à passer la journée dans leur salon à jouer aux cartes, il n′entrait aucune malveillance, mais seulement les exigences du goût qu′ils avaient pour certaines formes spirituelles de conversation, pour certains raffinements de bonne chère, lequel leur faisait trouver plaisir à ne vivre, à ne prendre leurs repas qu′ensemble, et leur eût rendu insupportable la vie en commun avec des gens qui n′y avaient pas été initiés. Même devant une table servie, ou devant une table à jeu, chacun d′eux avait besoin de savoir que dans le convive ou le partenaire qui était assis en face de lui, reposaient en suspens et inutilisés un certain savoir qui permet de reconnaître la camelote dont tant de demeures parisiennes se parent comme d′un «moyen age» ou d′une «Renaissance» authentiques et, en toutes choses, des critériums communs à eux pour distinguer le bon et le mauvais. Sans doute ce n′était plus, dans ces moments-là, que par quelque rare et drôle interjection jetée au milieu du silence du repas ou de la partie, ou par la robe charmante et nouvelle que la jeune actrice avait revêtue pour déjeuner ou faire un poker, que se manifestait l′existence spéciale dans laquelle ces amis voulaient partout rester plongés. Mais en les enveloppant ainsi d′habitudes qu′ils connaissaient à fond, elle suffisait à les protéger contre le mystère de la vie ambiante. Pendant de longs après-midi, la mer n′était suspendue en face d′eux que comme une toile d′une couleur agréable accrochée dans le boudoir d′un riche célibataire, et ce n′était que dans l′intervalle des coups qu′un des joueurs n′ayant rien de mieux à faire, levait les yeux vers elle pour en tirer une indication sur le beau temps ou sur l′heure, et rappeler aux autres que le goûter attendait. Et le soir ils ne dînaient pas à l′hôtel où les sources électriques faisant sourdre à flots la lumière dans la grande salle à manger, celle-ci devenait comme un immense et merveilleux aquarium devant la paroi de verre duquel la population ouvrière de Balbec, les pêcheurs et aussi les familles de petits bourgeois, invisibles dans l′ombre, s′écrasaient au vitrage pour apercevoir, lentement balancée dans des remous d′or la vie luxueuse de ces gens, aussi extraordinaire pour les pauvres que celle de poissons et de mollusques étranges: (une grande question sociale de savoir si la paroi de verre protègera toujours le festin des bêtes merveilleuses et si les gens obscurs qui regardent avidement dans la nuit ne viendront pas les cueillir dans leur aquarium et les manger). En attendant peut-être parmi la foule arrêtée et confondue dans la nuit, y avait-il quelque écrivain, quelque amateur d′ichtyologie humaine, qui, regardant les mâchoires de vieux monstres féminins se refermer sur un morceau de nourriture engloutie, se complaisait à classer ceux-ci par race, par caractères innés et aussi par ces caractères acquis qui font qu′une vieille dame serbe dont l′appendice buccal est d′un grand poisson de mer, parce que depuis son enfance elle vit dans les eaux douces du faubourg Saint-Germain, mange la salade comme une La Rochefoucauld. And certainly into the feeling which impelled a young actress (better known, though, for her smart clothes, her smart sayings, her collection of German porcelain, than in the occasional parts that she had played at the Odéon), her lover, an immensely rich young man for whose sake she had acquired her culture, and two sprigs of aristocracy at that time much in the public eye to form a little band apart, to travel only together, to come down to luncheon — when at Balbec — very late, after everyone had finished; to spend the whole day in their sitting-room playing cards, there entered no sort of ill-humour against the rest of us but simply the requirements of the taste that they had formed for a certain type of conversation, for certain refinements of good living, which made them find pleasure in spending their time, in taking their meals only by themselves, and would have rendered intolerable a life in common with people who had not been initiated into those mysteries. Even at a dinner or a card table, each of them had to be certain that, in the diner or partner who sat opposite to him, there was, latent and not yet made use of, a certain brand of knowledge which would enable him to identify the rubbish with which so many houses in Paris were littered as genuine mediaeval or renaissance ‘pieces′ and, whatever the subject of discussion, to apply the critical standards common to all their party whereby they distinguished good work from bad. Probably it was only — at such moments — by some infrequent, amusing interruption flung into the general silence of meal or game, or by the new and charming frock which the young actress had put on for luncheon or for poker, that the special kind of existence in which these four friends desired, above all things, to remain plunged was made apparent. But by engulfing them thus in a system of habits which they knew by heart it sufficed to protect them from the mystery of the life that was going on all round them. All the long afternoon, the sea was suspended there before their eyes only as a canvas of attractive colouring might hang on the wall of a wealthy bachelor′s flat and it was only in the intervals between the ‘hands′ that one of the players, finding nothing better to do, raised his eyes to it to seek from it some indication of the weather or the time, and to remind the others that tea was ready. And at night they did not dine in the hotel, where, hidden springs of electricity flooding the great dining-room with light, it became as it were an immense and wonderful aquarium against whose wall of glass the working population of Balbec, the fishermen and also the tradesmen′s families, clustering invisibly in the outer darkness, pressed their faces to watch, gently floating upon the golden eddies within, the luxurious life of its occupants, a thing as extraordinary to the poor as the life of strange fishes or molluscs (an important social question, this: whether the wall of glass will always protect the wonderful creatures at their feasting, whether the obscure folk who watch them hungrily out of the night will not break in some day to gather them from their aquarium and devour them). Meanwhile there may have been, perhaps, among the gazing crowd, a motionless, formless mass there in the dark, some writer, some student of human ichthyology who, as he watched the jaws of old feminine monstrosities close over a mouthful of food which they proceeded then to absorb, was amusing himself by classifying them according to their race, by their innate characteristics as well as by those acquired characteristics which bring it about that an old Serbian lady whose buccal protuberance is that of a great sea-fish, because from her earliest years she has moved in the fresh waters of the Faubourg Saint-Germain, eats her salad for all the world like a La Rochefoucauld.
A cette heure-là on apercevait les trois hommes en smoking attendant la femme en retard laquelle bientôt, en une robe presque chaque fois nouvelle et des écharpes, choisies selon un goût particulier à son amant, après avoir de son étage, sonné le lift, sortait de l′ascenseur comme d′une boîte de joujoux. Et tous les quatre qui trouvaient que le phénomène international du Palace, implanté à Balbec, y avait fait fleurir le luxe plus que la bonne cuisine, s′engouffraient dans une voiture, allaient dîner à une demi-lieue de là dans un petit restaurant réputé où ils avaient avec le cuisinier d′interminables conférences sur la composition du menu, et la confection des plats. Pendant ce trajet la route bordée de pommiers qui part de Balbec n′était pour eux que la distance qu′il fallait franchir — peu distincte dans la nuit noire de celle qui séparait leurs domiciles parisiens du Café Anglais ou de la Tour d′Argent, avant d′arriver au petit restaurant élégant où tandis que les amis du jeune homme riche l′enviaient d′avoir une maîtresse si bien habillée, les écharpes de celle-ci tendaient devant la petite société comme un voile parfumé et souple, mais qui la séparait du monde. At that hour one could see the three young men in dinner-jackets, waiting for the young woman, who was as usual late but presently, wearing a dress that was almost always different and one of a series of scarves, chosen to gratify some special instinct in her lover, after having from her landing rung for the lift, would emerge from it like a doll coming out of its box. And then all four, because they found that the international phenomenon of the ‘Palace,′ planted on Balbec soil, had blossomed there in material splendour rather than in food that was fit to eat, bundled into a carriage and went to dine, a mile off, in a little restaurant that was well spoken of, where they held with the cook himself endless discussions of the composition of their meal and the cooking of its various dishes. During their drive, the road bordered with apple-trees that led out of Balbec was no more to them than the distance that must be traversed — barely distinguishable in the darkness from that which separated their homes in Paris from the Café Anglais or the Tour d′Argent — before they could arrive at the fashionable little restaurant where, while the young man′s friends envied him because he had such a smartly dressed mistress, the latter′s scarves were spread about the little company like a fragrant, flowing veil, but one that kept it apart from the outer world.
Malheureusement pour ma tranquillité, j′étais bien loin d′être comme tous ces gens. De beaucoup d′entre eux je me souciais; j′aurais voulu ne pas être ignoré d′un homme au front déprimé, au regard fuyant entre les illères de ses préjugés et de son éducation, le grand seigneur de la contrée, lequel n′était autre que le beau-frère de Legrandin, venait quelquefois en visite à Balbec et, le dimanche, par la garden-party hebdomadaire que sa femme et lui donnaient, dépeuplait l′hôtel d′une partie de ses habitants, parce qu′un ou deux d′entre eux étaient invités à ces fêtes, et parce que les autres pour ne pas avoir l′air de ne pas l′être, choisissaient ce jour-là pour faire une excursion éloignée. Il avait, d′ailleurs, été le premier jour fort mal reçu à l′hôtel quand le personnel, frais débarqué de la Côte d′Azur, ne savait pas encore qui il était. Non seulement il n′était pas habillé en flanelle blanche, mais par vieille manière française, et ignorance de la vie des Palaces, entrant dans un hall où il y avait des femmes, il avait ôté son chapeau dès la porte, ce qui avait fait que le directeur n′avait même pas touché le sien pour lui répondre, estimant que ce devait être quelqu′un de la plus humble extraction, ce qu′il appelait un homme «sortant de l′ordinaire». Seule la femme du notaire s′était sentie attirée vers le nouveau venu qui fleurait toute la vulgarité gourmée des gens comme il faut et elle avait déclaré, avec le fond de discernement infaillible et d′autorité sans réplique d′une personne pour qui la première société du Mans n′a pas de secrets, qu′on se sentait devant lui en présence d′un homme d′une haute distinction, parfaitement bien élevé et qui tranchait sur tout ce qu′on rencontrait à Balbec et qu′elle jugeait infréquentable tant qu′elle ne le fréquentait pas. Ce jugement favorable qu′elle avait porté sur le beau-frère de Legrandin, tenait peut-être au terne aspect de quelqu′un qui n′avait rien d′intimidant, peut-être à ce qu′elle avait reconnu dans ce gentilhomme-fermier à allure de sacristain les signes maçonniques de son propre cléricalisme. Alas for my peace of mind, I had none of the detachment that all these people shewed. To many of them I gave constant thought; I should have liked not to pass unobserved by a man with a receding brow and eyes that dodged between the blinkers of his prejudices and his education, the great nobleman of the district, who was none other than the brother-in-law of Legrandin, and came every now and then to see somebody at Balbec and on Sundays, by reason of the weekly garden-party that his wife and he gave, robbed the hotel of a large number of its occupants, because one or two of them were invited to these entertainments and the others, so as not to appear to have been not invited, chose that day for an expedition to some distant spot. He had had, as it happened, an exceedingly bad reception at the hotel on the first day of the season, when the staff, freshly imported from the Riviera, did not yet know who or what he was. Not only was he not wearing white flannels, but, with old-fashioned French courtesy and in his ignorance of the ways of smart hotels, on coming into the hall in which there were ladies sitting, he had taken off his hat at the door, the effect of which had been that the manager did not so much as raise a finger to his own in acknowledgment, concluding that this must be some one of the most humble extraction, what he called ‘sprung from the ordinary.′ The solicitor′s wife, alone, had felt herself attracted by the stranger, who exhaled all the starched vulgarity of the really respectable, and had declared, with the unerring discernment and the indisputable authority of a person from whom the highest society of Le Mans held no secrets, that one could see at a glance that one was in the presence of a gentleman of great distinction, of perfect breeding, a striking contrast to the sort of people one usually saw at Balbec, whom she condemned as impossible to know so long as she did not know them. This favourable judgment which she had pronounced on Legrandin′s brother-in-law was based perhaps on the spiritless appearance of a man about whom there was nothing to intimidate anyone; perhaps also she had recognised in this gentleman farmer with the gait of a sacristan the Masonic signs of her own inveterate clericalism.
J′avais beau avoir appris que les jeunes gens qui montaient tous les jours à cheval devant l′hôtel étaient les fils du propriétaire véreux d′un magasin de nouveautés et que mon père n′eût jamais consenti à connaître, la «vie de bains de mer» les dressait, à mes yeux, en statues équestres de demi-dieux et le mieux que je pouvais espérer était qu′ils ne laissassent jamais tomber leurs regards sur le pauvre garçon que j′étais, qui ne quittait la salle à manger de l′hôtel que pour aller s′asseoir sur le sable. J′aurais voulu inspirer de la sympathie même à l′aventurier même qui avait été roi d′une île déserte en Océanie, même au jeune tuberculeux dont j′aimais à supposer qu′il cachait sous ses dehors insolents une âme craintive et tendre qui eût peut-être prodigué pour moi seul des trésors d′affection. D′ailleurs (au contraire de ce qu′on dit d′habitude des relations de voyage) comme être vu avec certaines personnes peut vous ajouter, sur une plage où l′on retourne quelquefois un coefficient sans équivalent dans la vraie vie mondaine, il n′y a rien, non pas qu′on tienne aussi à distance, mais qu′on cultive si soigneusement dans la vie de Paris, que les amitiés de bains de mer. Je me souciais de l′opinion que pouvaient avoir de moi toutes ces notabilités momentanées ou locales que ma disposition à me mettre à la place des gens et à recréer leur état d′esprit me faisait situer non à leur rang réel, à celui qu′ils auraient occupé à Paris par exemple et qui eût été fort bas, mais à celui qu′ils devaient croire le leur, et qui l′était à vrai dire à Balbec où l′absence de commune mesure leur donnait une sorte de supériorité relative et d′intérêt singulier. Hélas d′aucune de ces personnes le mépris ne m′était aussi pénible que celui de M. de Stermaria. It made no difference my knowing that the young fellows who went past the hotel every day on horseback were the sons of the questionably solvent proprietor of a linen-drapery to whom my father would never have dreamed of speaking; the glamour of ‘seaside life′ exalted them in my eyes to equestrian statues of demi-gods, and the best thing that I could hope for was that they would never allow their proud gaze to fall upon the wretched boy who was myself, who left the hotel dining-room only to sit humbly upon the sands. I should have been glad to arouse some response even from the adventurer who had been king of a desert island in the South Seas, even of the young consumptive, of whom I liked to think that he was hiding beneath his insolent exterior a shy and tender heart, which would perhaps have lavished on me, and on me alone, the treasures of its affection. Besides (unlike what one generally says of the people one meets when travelling) just as being seen in certain company can invest us, in a watering-place to which we shall return another year, with a coefficient that has no equivalent in our true social life, so there is nothing — not which we keep so resolutely at a distance, but — which we cultivate with such assiduity after our return to Paris as the friendships that we have formed by the sea. I was anxious about the opinion that might be held of me by all these temporary or local celebrities whom my tendency to put myself in the place of other people and to reconstruct what was in their minds had made me place not in their true rank, that which they would have held in Paris, for instance, and which would have been quite low, but in that which they must imagine to be, and which indeed was their rank at Balbec, where the want of a common denominator gave them a sort of relative superiority and an individual interest. Alas, none of these people′s contempt for me was so unbearable as that of M. de Stermaria.
Car j′avais remarqué sa fille, dès son entrée, son joli visage pâle et presque bleuté, ce qu′il y avait de particulier dans le port de sa haute taille, dans sa démarche, et qui m′évoquait avec raison son hérédité, son éducation aristocratique et d′autant plus clairement que je savais son nom, — comme ces thèmes expressifs inventés par des musiciens de génie et qui peignent splendidement le scintillement de la flamme, le bruissement du fleuve, et la paix de la campagne, pour les auditeurs qui en parcourant préalablement le livret, ont aiguillé leur imagination dans la bonne voie. La «race» en ajoutant aux charmes de Mlle de Stermaria l′idée de leur cause les rendait plus intelligibles, plus complets. Elle les faisait aussi plus désirables, annonçant qu′ils étaient peu accessibles, comme un prix élevé ajoute à la valeur d′un objet qui nous a plu. Et la tige héréditaire donnait à ce teint composé de sucs choisis la saveur d′un fruit exotique ou d′un cru célèbre. For I had noticed his daughter, the moment she came into the room, her pretty features, her pallid, almost blue complexion, what there was peculiar in the carriage of her tall figure, in her gait, which suggested to me — and rightly — her long descent, her aristocratic upbringing, all the more vividly because I knew her name, like those expressive themes composed by musicians of genius which paint in splendid colours the glow of fire, the rush of water, the peace of fields and woods, to audiences who, having first let their eyes run over the programme, have their imaginations trained in the right direction. The label ‘Centuries of Breeding,′ by adding to Mlle, de Stermaria′s charms the idea of their origin, made them more desirable also, advertising their rarity as a high price enhances the value of a thing that has already taken our fancy. And its stock of heredity gave to her complexion, in which so many selected juices had been blended, the savour of an exotic fruit or of a famous vintage.
Or, un hasard mit tout d′un coup entre nos mains le moyen de nous donner à ma grand′mère et à moi, pour tous les habitants de l′hôtel, un prestige immédiat. En effet, dès ce premier jour, au moment où la vieille dame descendait de chez elle, exerçant, grâce au valet de pied qui la précédait, à la femme de chambre qui courait derrière avec un livre et une couverture oubliés, une action sur les âmes et excitant chez tous une curiosité et un respect auxquels il fut visible qu′échappait moins que personne M. de Stermaria, le directeur se pencha vers ma grand′mère, et par amabilité (comme on montre le Shah de Perse ou la Reine Ranavalo à un spectateur obscur qui ne peut évidemment avoir aucune relation avec le puissant souverain, mais peut trouver intéressant de l′avoir vu à quelques pas), il lui coula dans l′oreille: «La Marquise de Villeparisis», cependant qu′au même moment cette dame apercevant ma grand′mère ne pouvait retenir un regard de joyeuse surprise. And then mere chance put into our hands, my grandmother′s and mine, the means of giving ourselves an immediate distinction in the eyes of all the other occupants of the hotel. On that first afternoon, at the moment when the old lady came downstairs from her room, producing, thanks to the footman who preceded her, the maid who came running after her with a book and a rug that had been left behind, a marked effect upon all who beheld her and arousing in each of them a curiosity from which it was evident that none was so little immune as M. de Stermaria, the manager leaned across to my grandmother and, from pure kindness of heart (as one might point out the Shah, or Queen Ranavalo to an obscure onlooker who could obviously have no sort of connexion with so mighty a potentate, but might be interested, all the same, to know that he had been standing within a few feet of one) whispered in her ear, “The Marquise de Villeparisis!” while at the same moment the old lady, catching sight of my grandmother,-could not repress a start of pleased surprise.
On peut penser que l′apparition soudaine, sous les traits d′une petite vieille, de la plus puissante des fées, ne m′aurait pas causé plus de plaisir, dénué comme j′étais, de tout recours pour m′approcher de Mlle de Stermaria, dans un pays où je ne connaissais personne. J′entends personne au point de vue pratique. Esthétiquement, le nombre des types humains est trop restreint pour qu′on n′ait pas bien souvent, dans quelque endroit qu′on aille, la joie de revoir des gens de connaissance, même sans les chercher dans les tableaux des vieux maîtres, comme faisait Swann. C′est ainsi que dès les premiers jours de notre séjour à Balbec, il m′était arrivé de rencontrer Legrandin, le concierge de Swann, et Mme Swann elle-même, devenus le premier garçon de café, le second un étranger de passage que je ne revis pas, et la dernière, un maître baigneur. Et une sorte d′aimantation attire et retient si inséparablement les uns auprès les autres certains caractères de physionomie et de mentalité que quand la nature introduit ainsi une personne dans un nouveau corps, elle ne la mutile pas trop. Legrandin changé en garçon de café gardait intacts sa stature, le profil de son nez et une partie du menton; Mme Swann dans le sexe masculin et la condition de maître baigneur avait été suivie non seulement par sa physionomie habituelle, mais même par une certaine manière de parler. Seulement elle ne pouvait pas m′être de plus d′utilité entourée de sa ceinture rouge, et hissant, à la moindre houle, le drapeau qui interdit les bains, car les maîtres-baigneurs sont prudents, sachant rarement nager, qu′elle ne l′eût pu dans la fresque de la Vie de Moî²¥ où Swann l′avait reconnue jadis sous les traits de la fille de Jethro. Tandis que cette Mme de Villeparisis était bien la véritable, elle n′avait pas été victime d′un enchantement qui l′eût dépouillée de sa puissance, mais était capable au contraire d′en mettre un à la disposition de la mienne qu′il centuplerait, et grâce auquel, comme si j′avais été porté par les ailes d′un oiseau fabuleux, j′allais franchir en quelques instants les distances sociales infinies, au moins à Balbec, — qui me séparaient de Mlle de Stermaria. It may be imagined that the sudden appearance, in the guise of a little old woman, of the most powerful of fairies would not have given me so much pleasure, destitute as I was of any means of access to Mlle, de Stermaria, in a strange place where I knew no one: no one, that is to say, for any practical purpose. Aesthetically the number of types of humanity is so restricted that we must constantly, wherever we may be, have the pleasure of seeing people we know, even without looking for them in the works of the old masters, like Swann. Thus it happened that in the first few days of our visit to Balbec I had succeeded in finding Legrandin, Swann′s hall porter and Mme. Swann herself, transformed into a waiter, a foreign visitor whom I never saw again and a bathing superintendent. And a sort of magnetism attracts and retains so inseparably, one after another, certain characteristics, facial and mental, that when nature thus introduces a person into a new body she does not mutilate him unduly. Legrandin turned waiter kept intact his stature, the outline of his nose, part of his chin; Mme. Swann, in the masculine gender and the calling of a bathing superintendent, had been accompanied not only by familiar features, but even by the way she had of speaking. Only, she could be of little if any more use to me, standing upon the beach there in the red sash of her office, and hoisting at the first gust of wind the flag which forbade us to bathe (for these superintendents are prudent men, and seldom know how to swim) than she would have been in that fresco of the Life of Moses in which Swann had long ago identified her in the portrait of Jethro′s Daughter. Whereas this Mme. de Villeparisis was her real self, she had not been the victim of an enchantment which had deprived her of her power, but was capable, on the contrary, of putting at the service of my power an enchantment which would multiply it an hundredfold, and thanks to which, as though I had been swept through the air on the wings of a fabulous bird, I was to cross in a few moments the infinitely wide (at least, at Balbec) social gulf which separated me from Mlle, de Stermaria.
Malheureusement, s′il y avait quelqu′un qui, plus que quiconque, vécût enfermé dans son univers particulier, c′était ma grand′mère. Elle ne m′aurait même pas méprisé, elle ne m′aurait pas compris, si elle avait su que j′attachais de l′importance à l′opinion, que j′éprouvais de l′intérêt pour la personne, de gens dont elle ne remarquait seulement pas l′existence et dont elle devait quitter Balbec sans avoir retenu le nom; je n′osais pas lui avouer que si ces mêmes gens l′avaient vu causer avec Mme de Villeparisis, j′en aurais eu un grand plaisir, parce que je sentais que la marquise avait du prestige dans l′hôtel et que son amitié nous eût posés aux yeux de M. de Stermaria. Non d′ailleurs que l′amie de ma grand′mère me représentât le moins du monde une personne de l′aristocratie: j′étais trop habitué à son nom devenu familier à mes oreilles avant que mon esprit s′arrêtât sur lui, quand tout enfant je l′entendais prononcer à la maison; et son titre n′y ajoutait qu′une particularité bizarre comme aurait fait un prénom peu usité, ainsi qu′il arrive dans les noms de rue où on n′aperçoit rien de plus noble, dans la rue Lord-Byron, dans la si populaire et vulgaire rue Rochechouart, ou dans la rue de Gramont que dans la rue Léonce-Reynaud ou la rue Hippolyte-Lebas. Mme de Villeparisis ne me faisait pas plus penser à une personne d′un monde spécial, que son cousin Mac-Mahon que je ne différenciais pas de M. Carnot, président de la République, comme lui, et de Raspail dont Françoise avait acheté la photographie avec celle de Pie IX. Ma grand′mère avait pour principe qu′en voyage on ne doit plus avoir de relations, qu′on ne va pas au bord de la mer pour voir des gens, qu′on a tout le temps pour cela à Paris, qu′ils vous feraient perdre en politesses, en banalités, le temps précieux qu′il faut passer tout entier au grand air, devant les vagues; et trouvant plus commode de supposer que cette opinion était partagée par tout le monde et qu′elle autorisait entre de vieux amis que le hasard mettait en présence dans le même hôtel la fiction d′un incognito réciproque, au nom que lui cita le directeur, elle se contenta de détourner les yeux et eut l′air de ne pas voir Mme de Villeparisis qui, comprenant que ma grand′mère ne tenait pas à faire de reconnaissances, regarda à son tour dans le vague. Elle s′éloigna, et je restai dans mon isolement comme un naufragé de qui a paru s′approcher un vaisseau, lequel a disparu ensuite sans s′être arrêté. Unfortunately, if there was one person in the world who, more than anyone else, lived shut up in a little world of her own, it was my grandmother. She would not, indeed, have despised me, she would simply not have understood what I meant had she been told that I attached importance to the opinions, that I felt an interest in the persons of people the very existence of whom she had never noticed and would, when the time came to leave Balbec, retain no impression of their names. I dared not confess to her that if these same people had seen her talking to Mme. de Villeparisis, I should have been immensely gratified, because I felt that the Marquise counted for much in the hotel and that her friendship would have given us a position in the eyes of Mlle, de Stermaria. Not that my grandmother′s friend represented to me, in any sense of the word, a member of the aristocracy: I was too well used to her name, which had been familiar to my ears before my mind had begun to consider it, when as a child I had heard it occur in conversation at home: while her title added to it only a touch of quaintness — as some uncommon Christian name would have done, or as in the names of streets, among which we can see nothing more noble in the Rue Lord Byron, in the plebeian and even squalid Rue Rochechouart, or in the Rue Grammont than in the Rue Léonce Reynaud or the Rue Hyppolyte Lebas. Mme. de Villeparisis no more made me think of a person who belonged to a special world than did her cousin MacMahon, whom I did not clearly distinguish from M. Carnot, likewise President of the Republic, or from Raspail, whose photograph Françoise had bought with that of Pius IX. It was one of my grandmother′s principles that, when away from home, one should cease to have any social intercourse, that one did not go to the seaside to meet people, having plenty of time for that sort of thing in Paris, that they would make one waste on being merely polite, in pointless conversation, the precious time which ought all to be spent in the open air, beside the waves; and finding it convenient to assume that this view was shared by everyone else, and that it authorised, between old friends whom chance brought face to face in the same hotel, the fiction of a mutual incognito, on hearing her friend′s name from the manager she merely looked the other way, and pretended not to see Mme. de Villeparisis, who, realising that my grandmother did not want to be recognised, looked also into the void. She went past, and I was left in my isolation like a shipwrecked mariner who has seen a vessel apparently coming towards him which has then, without lowering a boat, vanished under the horizon.
Elle prenait aussi ses repas dans la salle à manger, mais à l′autre bout. Elle ne connaissait aucune des personnes qui habitaient l′hôtel ou y venaient en visite, pas même M. de Cambremer; en effet, je vis qu′il ne la saluait pas, un jour où il avait accepté avec sa femme une invitation à déjeuner du bâtonnier, lequel, ivre de l′honneur d′avoir le gentilhomme à sa table, évitait ses amis des autres jours et se contentait de leur adresser de loin un clignement d′il pour faire à cet événement historique une allusion toutefois assez discrète pour qu′elle ne pût pas être interprétée comme une invite à s′approcher. She, too, had her meals in the dining-room, but at the other end of it. She knew none of the people who were staying in the hotel, or who came there to call, not even M. de Cambremer; in fact, I noticed that he gave her no greeting, one day when, with his wife, he had accepted an invitation to take luncheon with the barrister, who drunken with the honour of having the nobleman at his table avoided his friends of every day, and confined himself to a distant twitch of the eyelid, so as to draw their attention to this historic event but so discreetly that his signal could not be interpreted by them as an invitation to join the party.
Eh bien, j′espère que vous vous mettez bien, que vous êtes un homme chic, lui dit le soir la femme du premier président. “Well, I hope you′ve got on your best clothes; I hope you feel smart enough,” was the magistrate′s wife′s greeting to him that evening.
— «Chic? pourquoi? demanda le bâtonnier, dissimulant sa joie sous un étonnement exagéré; à cause de mes invités? dit-il en sentant qu′il était incapable de feindre plus longtemps; mais qu′est-ce que ça a de chic d′avoir des amis à déjeuner? Faut bien qu′ils déjeunent quelque part! “Smart? Why should I?” asked the barrister, concealing his rapture in an exaggerated astonishment. “Because of my guests, do you mean?” he went on, feeling that it was impossible to keep up the farce any longer. “But what is there smart about having a few friends in to luncheon? After all, they must feed somewhere!”
— Mais si, c′est chic! C′était bien les de Cambremer, n′est-ce pas? Je les ai bien reconnus. C′est une marquise. Et authentique. Pas par les femmes.» “But it is smart! They are the de Cambremers, aren′t they? I recognized them at once. She is a Marquise. And quite genuine, too. Not through the females.”
— «Oh! c′est une femme bien simple, elle est charmante, on ne fait pas moins de façons. Je pensais que vous alliez venir, je vous faisais des signes . . . je vous aurais présenté! dit-il en corrigeant par une légère ironie l′énormité de cette proposition comme Assuérus quand il dit à Esther: «Faut-il de mes États vous donner la moitié!» — «Non, non, non, non, nous restons cachés, comme l′humble violette.» “Oh, she′s a very simple soul, she is charming, no stand-offishness about her. I thought you were coming to join us. I was making signals to you . . . I would have introduced you!” he asserted, tempering with a hint of irony the vast generosity of the offer, like Ahasuerus when he says to Esther: Of all my Kingdom must I give you half! “No, no, no, no! We lie hidden, like the modest violet.”
— «Mais vous avez eu tort, je vous le répète, répondit le bâtonnier enhardi maintenant que le danger était passé. Ils ne vous auraient pas mangés. Allons-nous faire notre petit bezigue?» “But you were quite wrong, I assure you,” replied the barrister, growing bolder now that the danger point was passed. “They weren′t going to eat you. I say, aren′t we going to have our little game of bezique?”
— Mais volontiers, nous n′osions pas vous le proposer, maintenant que vous traitez des marquises! “Why, of course! We were afraid to suggest it, now that you go about entertaining Marquises.”
— «Oh! allez, elles n′ont rien de si extraordinaire. Tenez, j′y dîne demain soir. Voulez-vous y aller à ma place. C′est de grand cur. Franchement, j′aime autant rester ici.» “Oh, get along with you; there′s nothing so very wonderful about them, Why, I′m dining there to-morrow. Would you care to go instead of me? I mean it. Honestly, I′d just as soon stay here.”
— «Non, non! . . . on ne me révoquerait comme réactionnaire, s′écria le président, riant aux larmes de sa plaisanterie. Mais vous aussi vous êtes reçu à Féterne», ajouta-t-il en se tournant vers le notaire. “No, no! I should be removed from the bench as a Reactionary,” cried the chief magistrate, laughing till the tears stood in his eyes at his own joke. “But you go to Féterne too, don′t you?” he went on, turning to the solicitor.
— «Oh! je vais là les dimanches, on entre par une porte, on sort par l′autre. Mais ils ne déjeunent pas chez moi comme chez le bâtonnier.» “Oh, I go there on Sundays — in at one door and out at the other. But I don′t have them here to luncheon, like the Leader.”
M. de Stermaria n′était pas ce jour-là à Balbec au grand regret du bâtonnier. Mais insidieusement il dit au maître d′hôtel: M. de Stermaria was not at Balbec that day, to the barrister′s great regret. But he managed to say a word in season to the head waiter:
— «Aimé, vous pourrez dire à M. de Stermaria qu′il n′est pas le seul noble qu′il y ait eu dans cette salle à manger. Vous avez bien vu ce monsieur qui a déjeuné avec moi ce matin? Hein? petites moustaches, air militaire? Eh bien, c′est le marquis de Cambremer.» “Aimé, you can tell M. de Stermaria that he′s not the only nobleman you′ve had in here. You saw the gentleman who was with me to-day at luncheon? Eh? A small moustache, looked like a military man. Well, that was the Marquis de Cambremer!”
— «Ah, vraiment? cela ne m′étonne pas!» “Was it indeed? I′m not surprised to hear it.”
— « Ça lui montrera qu′il n′est pas le seul homme titré. Et attrape donc! Il n′est pas mal de leur rabattre leur caquet à ces nobles. Vous savez, Aimé, ne lui dites rien si vous voulez, moi, ce que j′en dis, ce n′est pas pour moi; du reste, il le connaît bien.» “That will shew him that he′s not the only man who′s got a title. That will teach him! It′s not a bad thing to take ′em down a peg or two, those noblemen. I say, Aimé, don′t say anything to him unless you like: I mean to say, it′s no business of mine; besides, they know each other already.”
Et le lendemain, M. de Stermaria qui savait que le bâtonnier avait plaidé pour un de ses amis, alla se présenter lui-même. And next day M. de Stermaria, who remembered that the barrister had once held a brief for one of his friends, came up and introduced himself.
— «Nos amis communs, les de Cambremer, voulaient justement nous réunir, nos jours n′ont pas coî­£idé, enfin je ne sais plus», dit le bâtonnier, qui comme beaucoup de menteurs s′imaginent qu′on ne cherchera pas à élucider un détail insignifiant qui suffit pourtant (si le hasard vous met en possession de l′humble réalité qui est en contradiction avec lui) pour dénoncer un caractère et inspirer à jamais la méfiance. “Our friends in common, the de Cambremers, were anxious that we should meet; the days didn′t fit; I don′t know quite what went wrong —” stammered the barrister, who, like most liars, imagined that other people do not take the trouble to investigate an unimportant detail which, for all that, may be sufficient (if chance puts you in possession of the humble facts of the case, and they contradict it) to shew the liar in his true colours and to inspire a lasting mistrust.
Comme toujours, mais plus facilement pendant que son père s′était éloigné pour causer avec le bâtonnier, je regardais Mlle de Stermaria. Autant que la singularité hardie et toujours belle de ses attitudes, comme quand les deux coudes posés sur la table, elle élevait son verre au-dessus de ses deux avant-bras, la sécheresse d′un regard vite épuisé, la dureté foncière, familiale, qu′on sentait, mal recouverte sous ses inflexions personnelles, au fond de sa voix, et qui avait choqué ma grand′mère, une sorte de cran d′arrêt atavique auquel elle revenait dès que dans un coup d′il ou une intonation elle avait achevé de donner sa pensée propre; tout cela ramenait la pensée de celui qui la regardait vers la lignée qui lui avait légué cette insuffisance de sympathie humaine, des lacunes de sensibilité, un manque d′ampleur dans l′étoffe qui à tout moment faisait faute. Mais à certains regards qui passaient un instant sur le fond si vite à sec de sa prunelle et dans lesquels on sentait cette douceur presque humble que le goût prédominant des plaisirs des sens donne à la plus fière, laquelle bientôt ne reconnaît plus qu′un prestige, celui qu′a pour elle tout être qui peut les lui faire éprouver, fût-ce un comédien ou un saltimbanque pour lequel elle quittera peut-être un jour son mari; à certaine teinte d′un rose sensuel et vif qui s′épanouissait dans ses joues pâles, pareille à celle qui mettait son incarnat au cur des nymphéas blancs de la Vivonne, je croyais sentir qu′elle eût facilement permis que je vinsse chercher sur elle le goût de cette vie si poétique, qu′elle menait en Bretagne, vie à laquelle, soit par trop d′habitude, soit par distinction innée, soit par dégoût de la pauvreté ou de l′avarice des siens, elle ne semblait pas trouver grand prix, mais que pourtant elle contenait enclose en son corps. Dans la chétive réserve de volonté qui lui avait été transmise et qui donnait à son expression quelque chose de lâche, peut-être n′eût-elle pas trouvé les ressources d′une résistance. Et surmonté d′une plume un peu démodée et prétentieuse, le feutre gris qu′elle portait invariablement à chaque repas me la rendait plus douce, non parce qu′il s′harmonisait avec son teint d′argent ou de rose, mais parce qu′en me la faisant supposer pauvre, il la rapprochait de moi. Obligée à une attitude de convention par la présence de son père, mais apportant déjà à la perception et au classement des êtres qui étaient devant elle des principes autres que lui, peut-être voyait-elle en moi non le rang insignifiant, mais le sexe et l′âge. Si un jour M. de Stermaria était sorti sans elle, surtout si Mme de Villeparisis en venant s′asseoir à notre table lui avait donné de nous une opinion qui m′eût enhardi à m′approcher d′elle, peut-être aurions-nous pu échanger quelques paroles, prendre un rendez-vous, nous lier davantage. Et, un mois où elle serait restée seule sans ses parents dans son château romanesque peut-être aurions-nous pu nous promener seuls le soir tous deux dans le crépuscule où luiraient plus doucement au-dessus de l′eau assombrie les fleurs roses des bruyères, sous les chênes battus par le clapotement des vagues. Ensemble nous aurions parcouru cette île empreinte pour moi de tant de charme parce qu′elle avait enfermé la vie habituelle de Mlle de Stermaria et qu′elle reposait dans la mémoire de ses yeux. Car il me semblait que je ne l′aurais vraiment possédée que là quand j′aurais traversé ces lieux qui l′enveloppaient de tant de souvenirs — voile que mon désir voulait arracher et de ceux que la nature interpose entre la femme et quelques êtres (dans la même intention qui lui fait, pour tous, mettre l′acte de la reproduction entre eux et le plus vif plaisir, et pour les insectes, placer devant le nectar le pollen qu′ils doivent emporter) afin que trompés par l′illusion de la posséder ainsi plus entière ils soient forcés de s′emparer d′abord des paysages au milieu desquels elle vit et qui plus utiles pour leur imagination que le plaisir sensuel, n′eussent pas suffi pourtant, sans lui, à les attirer. Then as at all times, but more easily now that her father had left her and was talking to the barrister, I was gazing at Mlle, de Stermaria. No less than the bold and always graceful originality of her attitudes, as when, leaning her elbows on the table, she raised her glass in both hands over her outstretched arms, the dry flame of a glance at once extinguished, the ingrained, congenital hardness that one could feel, ill-concealed by her own personal inflexions, in the sound of her voice, which had shocked my grandmother; a sort of atavistic starting point to which she recoiled whenever, by glance or utterance, she had succeeded in expressing a thought of her own; all of these qualities carried the mind of him who watched her back to the line of ancestors who had bequeathed to her that inadequacy of human sympathy, those blanks in her sensibility, that short measure of humanity which was at every moment running out. But from a certain look which flooded for a moment the wells — instantly dry again — of her eyes, a look in which I could discern that almost obsequious docility which the predominance of a taste for sensual pleasures gives to the proudest of women, who will soon come to recognise but one form of personal distinction, that namely which any man enjoys who can make her feel those pleasures, an actor, an acrobat even, for whom, perhaps, she will one day leave her husband; — from a certain rosy tint, warm and sensual, which flushed her pallid cheeks, like the colour that stained the hearts of the white water-lilies in the Vivonne, I thought I could discern that she would readily have consented to my coming to seek in her the savour of that life of poetry and romance which she led in Brittany, a life to which, whether from over-familiarity or from innate superiority, or from disgust at the penury or the avarice of her family, she seemed not to attach any great value, but which, for all that, she held enclosed in her body. In the meagre stock of will-power that had been transmitted to her, and gave an element of weakness to her expression, she would not perhaps have found the strength to resist. And, crowned by a feather that was a trifle old-fashioned and pretentious, the grey felt hat which she invariably wore at meals made her all the more attractive to me, not because it was in harmony with her pearly or rosy complexion, but because, by making me suppose her to be poor, it brought her closer to myself. Obliged by her father′s presence to adopt a conventional attitude, but already bringing to the perception and classification of the people who passed before her eyes other principles than his, perhaps she saw in me not my humble rank, but the right sex and age. If one day M. de Stermaria had gone out leaving her behind, if, above all, Mme. de Villeparisis, by coming to sit at our table, had given her an opinion of me which might have emboldened me to approach her, perhaps then we might have contrived to exchange a few words, to arrange a meeting, to form a closer tie. And for a whole month during which she would be left alone, without her parents, in her romantic Breton castle, we should perhaps have been able to wander by ourselves at evening, she and I together in the dusk which would shew in a softer light above the darkening water pink briar roses, beneath oak trees beaten and stunted by the hammering of the waves. Together we should have roamed that isle impregnated with so intense a charm for me because it had enclosed the everyday life of Mlle, de Stermaria and lay at rest in her remembering eyes. For it seemed to me that I should not really have possessed her save there, when I should have traversed those regions which enveloped her in so many memories — a veil which my desire sought to tear apart, one of those veils which nature interposes between woman and her pursuers (with the same intention as when, for all of us, she places the act of reproduction between ourselves and our keenest pleasure, and for insects, places before the nectar the pollen which they must carry away with them) in order that, tricked by the illusion of possessing her thus more completely, they may be forced to occupy first the scenes among which she lives, and which, of more service to their imagination than sensual pleasure can be, yet would not without that pleasure have had the power to attract them.
Mais je dus détourner mes regards de Mlle de Stermaria, car déjà, considérant sans doute que faire la connaissance d′une personnalité importante était un acte curieux et bref qui se suffisait à lui-même et qui pour développer tout l′intérêt qu′il comportait n′exigeait qu′une poignée de mains et un coup d′il pénétrant sans conversation immédiate ni relations ultérieures, son père avait pris congé du bâtonnier et retournait s′asseoir en face d′elle, en se frottant les mains comme un homme qui vient de faire une précieuse acquisition. Quant au bâtonnier, la première émotion de cette entrevue une fois passée, comme les autres jours, on l′entendait par moments s′adressant au maître d′hôtel: But I was obliged to take my eyes from Mlle, de Stermaria, for already, considering no doubt that making the acquaintance of an important person was a brief, inquisitive act which was sufficient in itself, and to bring out all the interest that was latent in it required only a handshake and a penetrating stare, without either immediate conversation or any subsequent relations, her father had taken leave of the barrister and returned to sit down facing her, rubbing his hands like a man who has just made a valuable acquisition. As for the barrister, once the first emotion of this interview had subsided, then, as on other days, he could be heard every minute addressing the head waiter:
— «Mais moi je ne suis pas roi, Aimé; allez donc près du roi; dites, Premier, cela a l′air très bon ces petites truites-là, nous allons en demander à Aimé. Aimé cela me semble tout à fait recommandable ce petit poisson que vous avez là-bas: vous allez nous apporter de cela, Aimé, et à discrétion.» “But I am not a king, Aimé; go and attend to the king! I say, Chief, those little trout don′t look at all bad, do they? We must ask Aimé to let us have some. Aimé, that little fish you have over there looks to me highly commendable; will you bring us some, please, Aimé, and don′t be sparing with it?”
Il répétait tout le temps le nom d′Aimé, ce qui faisait que quand il avait quelqu′un à dîner, son invité lui disait: «Je vois que vous êtes tout à fait bien dans la maison» et croyait devoir aussi prononcer constamment «Aimé» par cette disposition, où il entre à la fois de la timidité, de la vulgarité et de la sottise, qu′ont certaines personnes à croire qu′il est spirituel et élégant d′imiter à la lettre les gens avec qui elles se trouvent. Il le répétait sans cesse, mais avec un sourire, car il tenait à étaler à la fois ses bonnes relations avec le maître d′hôtel et sa supériorité sur lui. Et le maître d′hôtel lui aussi chaque fois que revenait son nom, souriait d′un air attendri et fier, montrant qu′il ressentait l′honneur et comprenait la plaisanterie. He would repeat the name ‘Aimé′ all day long, one result of which was that when he had anyone to dinner the guest would remark “I can see, you are quite at home in this place,” and would feel himself obliged to keep, on saying ‘Aimé′ also, from that tendency, combining elements of timidity, vulgarity and silliness, which many people have, to believe that it is smart and witty to copy to the letter what is said by the company in which they may happen to be. The barrister repeated the name incessantly, but with a smile, for he felt that he was exhibiting at once the good terms on which he stood with the head waiter and his own superior station. And the head waiter, whenever he caught the sound of his own name, smiled too, as though touched and at the same time proud, shewing that he was conscious of the honour and could appreciate the pleasantry.
Si intimidants que fussent toujours pour moi les repas, dans ce vaste restaurant, habituellement comble du grand-hôtel, ils le devenaient davantage encore quand arrivait pour quelques jours le propriétaire (ou directeur général élu par une société de commanditaires, je ne sais), non seulement de ce palace mais de sept ou huit autres, situés aux quatre coins de la France, et dans chacun desquels, faisant entre eux la navette, il venait passer, de temps en temps, une semaine. Alors, presque au commencement du dîner, apparaissait chaque soir, à l′entrée de la salle à manger, cet homme petit, à cheveux blancs, à nez rouge, d′une impassibilité et d′une correction extraordinaires, et qui était connu paraît-il, à Londres aussi bien qu′à Monte-carlo, pour un des premiers hôteliers de l′Europe. Une fois que j′étais sorti un instant au commencement du dîner, comme en rentrant, je passai devant lui, il me salua, mais avec une froideur dont je ne pus démêler si la cause était la réserve de quelqu′un qui n′oublie pas ce qu′il est, ou le dédain pour un client sans importance. Devant ceux qui en avaient au contraire une très grande, le Directeur général s′inclinait avec autant de froideur mais plus profondément, les paupières abaissées par une sorte de respect pudique, comme s′il eût eu devant lui, à un enterrement, le père de la défunte ou le Saint-Sacrement. Sauf pour ces saluts glacés et rares, il ne faisait pas un mouvement comme pour montrer que ses yeux étincelants qui semblaient lui sortir de la figure, voyaient tout, réglaient tout, assuraient dans «le Dîner au Grand-Hôtel» aussi bien le fini des détails que l′harmonie de l′ensemble. Il se sentait évidemment plus que metteur en scène, que chef d′orchestre, véritable généralissime. Jugeant qu′une contemplation portée à son maximum d′intensité, lui suffisait pour s′assurer que tout était prêt, qu′aucune faute commise ne pouvait entraîner la déroute et pour prendre enfin ses responsabilités, il s′abstenait non seulement de tout geste, même de bouger ses yeux pétrifiés par l′attention qui embrassaient et dirigeaient la totalité des opérations. Je sentais que les mouvements de ma cuiller eux-mêmes ne lui échappaient pas, et s′éclipsât-il dès après le potage, pour tout le dîner la revue qu′il venait de passer m′avait coupé l′appétit. Le sien était fort bon, comme on pouvait le voir au déjeuner qu′il prenait comme un simple particulier, à la même table que tout le monde, dans la salle à manger. Sa table n′avait qu′une particularité, c′est qu′à côté pendant qu′il mangeait, l′autre directeur, l′habituel, restait debout tout le temps à faire la conversation. Car étant le subordonné du Directeur général, il cherchait à le flatter et avait de lui une grande peur. La mienne était moindre pendant ces déjeuners, car perdu alors au milieu des clients, il mettait la discrétion d′un général assis dans un restaurant où se trouvent aussi des soldats à ne pas avoir l′air de s′occuper d′eux. Néanmoins quand le concierge, entouré de ses «chasseurs», m′annonçait: «Il repart demain matin pour Dinard. De là il va à Biarritz et après à Cannes», je respirais plus librement. Terrifying as I always found these meals, in the vast restaurant, generally full, of the mammoth hotel, they became even more terrifying when there arrived for a few days the Proprietor (or he may have been only the General Manager, appointed by a board of directors) not only of this ‘palace′ but of seven or eight more besides, situated at all the four corners of France, in each of which, travelling continuously, he would spend a week now and again. Then, just after dinner had begun, there appeared every evening in the doorway of the dining-room this small man with white hair and a red nose, astonishingly neat and impassive, who was known, it appeared, as well in London as at Monte-Carlo, as one of the leading hotel-keepers in Europe. Once when I had gone out for a moment at the beginning of dinner, as I came in again I passed close by him, and he bowed to me, but with a coldness in which I could not distinguish whether it should be attributed to the reserve of a man who could never forget what he was, or to his contempt for a customer of so little importance. To those whose importance was considerable the Managing Director would bow, with quite as much coldness but more deeply, lowering his eyelids with a reverence that was almost offended modesty, as though he had found himself confronted, at a funeral, with the father of the deceased or with the Blessed Sacrament. Except for these icy and infrequent salutations, he made not the slightest movement, as if to show that his glittering eyes, which appeared to be starting out of his head, saw everything, controlled everything, assured to us in the ‘Hotel dinner′ perfection in every detail as well as a general harmony. He felt, evidently, that he was more than the producer of a play, than the conductor of an orchestra, nothing less than a general in supreme command. Having decided that a contemplation carried to its utmost intensity would suffice to assure him that everything was in readiness, that no mistake had been made which could lead to disaster — to invest him, in a word, with full responsibility, he abstained not merely from any gesture but even from moving his eyes, which, petrified by the intensity of their gaze, took in and directed everything that was going on. I felt that even the movements of my spoon did not escape him, and were he to vanish after the soup, for the whole of dinner the review that he had held would have taken away my appetite. His own was exceedingly good, as one could see at luncheon, which he took like an ordinary guest of the hotel at a table that anyone else might have had in the public dining-room. His table had this peculiarity only, that by his side, while he was eating, the other manager, the resident one, remained standing all the time to make conversation. For being subordinate to this Managing Director he was anxious to please a man of whom he lived in constant fear. My fear of him diminished during these luncheons, for being then lost in the crowd of visitors he would exercise the discretion of a general sitting in a restaurant where there are also private soldiers, in not seeming to take any notice of them. Nevertheless when the porter, from among a cluster of pages, announced to me: “He leaves to-morrow morning for Dinard. Then he′s going down to Biarritz, and after that to Cannes,” I began to breathe more freely.
Ma vie dans l′hôtel était rendue non seulement triste parce que je n′y avais pas de relations, mais incommode, parce que Françoise en avait noué de nombreuses. Il peut sembler qu′elles auraient dû nous faciliter bien des choses. C′était tout le contraire. Les prolétaires s′ils avaient quelque peine à être traités en personnes de connaissance par Françoise et ne le pouvaient qu′à de certaines conditions de grande politesse envers elle, en revanche, une fois qu′ils y étaient arrivés, étaient les seules gens qui comptassent pour elle. Son vieux code lui enseignait qu′elle n′était tenue à rien envers les amis de ses maîtres, qu′elle pouvait si elle était pressée envoyer promener une dame venue pour voir ma grand′mère. Mais envers ses relations à elle, c′est-à-dire avec les rares gens du peuple admis à sa difficile amitié, le protocole le plus subtil et le plus absolu réglait ses actions. Ainsi Françoise ayant fait la connaissance du cafetier et d′une petite femme de chambre qui faisait des robes pour une dame belge, ne remontait plus préparer les affaires de ma grand′mère tout de suite après déjeuner, mais seulement une heure plus tard parce que le cafetier voulait lui faire du café ou une tisane à la caféterie, que la femme de chambre lui demandait de venir la regarder coudre et que leur refuser eût été impossible et de ces choses qui ne se font pas. D′ailleurs des égards particuliers étaient dus à la petite femme de chambre qui était orpheline et avait été élevée chez des étrangers auprès desquels elle allait passer parfois quelques jours. Cette situation excitait la pitié de Françoise et aussi son dédain bienveillant. Elle qui avait de la famille, une petite maison qui lui venait de ses parents et où son frère élevait quelques vaches, elle ne pouvait pas considérer comme son égale une déracinée. Et comme cette petite espérait pour le 15 août aller voir ses bienfaiteurs, Françoise ne pouvait se tenir de répéter: «Elle me fait rire. Elle dit: j′espère d′aller chez moi pour le 15 août. Chez moi, qu′elle dit! C′est seulement pas son pays, c′est des gens qui l′ont recueillie, et ça dit chez moi comme si c′était vraiment chez elle. Pauvre petite! quelle misère qu′elle peut bien avoir pour qu′elle ne connaisse pas ce que c′est que d′avoir un chez soi.» Mais si encore Françoise ne s′était liée qu′avec des femmes de chambre amenées par des clients, lesquelles dînaient avec elle aux «courriers» et devant son beau bonnet de dentelles et son fin profil la prenaient pour quelque dame noble peut-être, réduite par les circonstances, ou poussée par l′attachement à servir de dame de compagnie à ma grand′mère, si en un mot Françoise n′eût connu que des gens qui n′étaient pas de l′hôtel, le mal n′eût pas été grand, parce qu′elle n′eût pu les empêcher de nous servir à quelque chose, pour la raison qu′en aucun cas, et même inconnus d′elle, ils n′auraient pu nous servir à rien. Mais elle s′était liée aussi avec un sommelier, avec un homme de la cuisine, avec une gouvernante d′étage. Et il en résultait en ce qui concernait notre vie de tous les jours que, Françoise qui le jour de son arrivée, quand elle ne connaissait encore personne sonnait à tort et à travers pour la moindre chose, à des heures où ma grand′mère et moi nous n′aurions pas osé le faire, et, si nous lui en faisions une légère observation répondait: «Mais on paye assez cher pour ça», comme si elle avait payé elle-même; maintenant depuis qu′elle était amie d′une personnalité de la cuisine, ce qui nous avait paru de bon augure pour notre commodité, si ma grand′mère ou moi nous avions froid aux pieds, Françoise, fût-il une heure tout à fait normale, n′osait pas sonner; elle assurait que ce serait mal vu parce que cela obligerait à rallumer les fourneaux, ou gênerait le dîner des domestiques qui seraient mécontents. Et elle finissait par une locution qui malgré la façon incertaine dont elle la prononçait n′en était pas moins claire et nous donnait nettement tort: «Le fait est . . . » Nous n′insistions pas, de peur de nous en faire infliger une, bien plus grave: «C′est quelque chose! . . . » De sorte qu′en somme nous ne pouvions plus avoir d′eau chaude parce que Françoise était devenue l′amie de celui qui la faisait chauffer. My life in the hotel was rendered not only dull because I had no friends there but uncomfortable because Françoise had made so many. It might be thought that they would have made things easier for us in various respects. Quite the contrary. The proletariat, if they succeeded only with great difficulty in being treated as people she knew by Françoise, and could not succeed at all unless they fulfilled the condition of shewing the utmost politeness to her, were, on the other hand, once they had reached the position, the only people who ‘counted.′ Her time-honoured code taught her that she was in no way bound to the friends of her employers, that she might, if she was busy, shut the door without ceremony in the face of a lady who had come to call on my grandmother. But towards her own acquaintance, that is to say, the select handful of the lower orders whom she admitted to an unconquerable intimacy, her actions were regulated by the most subtle and most stringent of protocols. Thus Françoise having made the acquaintance of the man in the coffee-shop and of a little maid who did dressmaking for a Belgian lady, no longer came upstairs immediately after luncheon to get my grandmother′s things ready, but came an hour later, because the coffee man had wanted to make her a cup of coffee or a tisane in his shop, or the maid had invited her to go and watch her sew, and to refuse either of them would have been impossible, and one of the things that were not done. Moreover, particular attention was due to the little sewing-maid, who was an orphan and had been brought up by strangers to whom she still went occasionally for a few days′ holiday. Her unusual situation aroused Franchise′s pity, and also a benevolent contempt. She, who had a family, a little house that had come to her from her parents, with a field in which her brother kept his cows, how could she regard so uprooted a creature as her equal? And since this girl hoped, on Assumption Day, to be allowed to pay her benefactors a visit, Françoise kept on repeating: “She does make me laugh! She says, ‘I hope to be going home for the Assumption.′ ‘Home!′ says she! It isn′t just that it′s not her own place, they′re people who took her in from nowhere, and the creature says ‘home′ just as if it really was her home. Poor girl! What a wretched state she must be in, not to know what it is to have a home.” Still, if Françoise had associated only with the ladies′-maids brought to the hotel by other visitors, who fed with her in the ‘service′ quarters and, seeing her grand lace cap and her handsome profile, took her perhaps for some lady of noble birth, whom ‘reduced circumstances,′ or a personal attachment had driven to serve as companion to my grandmother, if in a word Françoise had known only people who did not belong to the hotel, no great harm would have been done, since she could not have prevented them from doing us any service, for the simple reason that in no circumstances, even without her knowledge, would it have been possible for them to serve us at all. But she had formed connexions also with one of the wine waiters, with a man in the kitchen, and with the head chambermaid of our landing. And the result of this in our everyday life was that Françoise, who on the day of her arrival, when she still did not know anypne, would set all the bells jangling for the slightest thing, at an hour when my grandmother and I would never have dared to ring, and if we offered some gentle admonition answered: “Well, we′re paying enough for it, aren′t we?” as though it were she herself that would have to pay; nowadays, since she had made friends with a personage in the kitchen, which had appeared to us to augur well for our future comfort, were my grandmother or I to complain of cold feet, Françoise, even at an hour that was quite normal, dared not ring; she assured us that it would give offence because they would have to light the furnace again, or because it would interrupt the servants′ dinner and they would be annoyed. And she ended with a formula that, in spite of the ambiguous way in which she uttered it, was none the less clear, and put us plainly in the wrong: “The fact is . . . ” We did not insist, for fear of bringing upon ourselves another, far more serious: “It′s a matter . . .!” So that it amounted to this, that we could no longer have any hot water because Françoise had become a friend of the man who would have to heat it.
A la fin nous aussi, nous fîmes une relation, malgré mais par ma grand′mère, car elle et Mme de Villeparisis tombèrent un matin l′une sur l′autre dans une porte et furent obligées de s′aborder non sans échanger au préalable des gestes de surprise, d′hésitation, exécuter des mouvements de recul, de doute et enfin des protestations de politesse et de joie comme dans certaines scènes de Molière où deux acteurs monologuant depuis longtemps chacun de son côté à quelques pas l′un de l′autre, sont censés ne pas s′être vus encore, et tout à coup s′aperçoivent, n′en peuvent croire leurs yeux, entrecoupent leurs propos, finalement parlent ensemble, le chur ayant suivi le dialogue et se jettent dans les bras l′un de l′autre. Mme de Villeparisis par discrétion voulut au bout d′un instant quitter ma grand′mère qui, au contraire, préféra la retenir jusqu′au déjeuner, désirant apprendre comment elle faisait pour avoir son courrier plus tôt que nous et de bonnes grillades (car Mme de Villeparisis, très gourmande, goûtait fort peu la cuisine de l′hôtel où l′on nous servait des repas que ma grand′mère citant toujours Mme de Sévigné prétendait être «d′une magnificence à mourir de faim»). Et la marquise prit l′habitude de venir tous les jours en attendant qu′on la servît, s′asseoir un moment près de nous dans la salle à manger, sans permettre que nous nous levions, que nous nous dérangions en rien. Tout au plus nous attardions-nous souvent à causer avec elle, notre déjeuner fini, à ce moment sordide où les couteaux traînent sur la nappe à côté des serviettes défaites. Pour ma part, afin de garder, pour pouvoir aimer Balbec, l′idée que j′étais sur la pointe extrême de la terre, je m′efforçais de regarder plus loin, de ne voir que la mer, d′y chercher des effets décrits par Beaudelaire et de ne laisser tomber mes regards sur notre table que les jours où y était servi quelque vaste poisson, monstre marin, qui au contraire des couteaux et des fourchettes était contemporain des époques primitives où la vie commençait à affluer dans l′Océan, au temps des Cimmériens, et duquel le corps aux innombrables vertèbres, aux nerfs bleus et roses avait été construit par la nature, mais selon un plan architectural, comme une polychrome cathédrale de la mer. In the end we too formed a connexion, in spite of but through my grandmother, for she and Mme. de Villeparisis came in collision one morning in a doorway and were obliged to accost each other, not without having first exchanged gestures of surprise and hesitation, performed movements of recoil and uncertainty, and finally uttered protestations of joy and greeting, as in some of Molière′s plays, where two actors who have been delivering long soliloquies from opposite sides of the stage, a few feet apart, are supposed not to have seen each other yet, and then suddenly catch sight of each other, cannot believe their eyes, break off what they are saying and finally address each other (the chorus having meanwhile kept the dialogue going) and fall into each other′s arms. Mme. de Villeparisis was tactful, and made as if to leave my grandmother to herself after the first greetings, but my grandmother insisted on her staying to talk to her until luncheon, being anxious to discover how her friend managed to get her letters sent up to her earlier than we got ours, and to get such nice grilled things (for Mme. de Villeparisis, a great epicure, had the poorest opinion of the hotel kitchen which served us with meals that my grandmother, still quoting Mme. de Sévigné, described as “of a magnificence to make you die of hunger.”) And the Marquise formed the habit of coming every day, until her own meal was ready, to sit down for a moment at our table in the dining-room, insisting that we should not rise from our chairs or in any way put ourselves out. At the most we would linger, as often as not, in the room after finishing our luncheon, to talk to her, at that sordid moment when the knives are left littering the tablecloth among crumpled napkins. For my own part, so as to preserve (in order that I might be able to enjoy Balbec) the idea that I was on the uttermost promontory of the earth, I compelled myself to look farther afield, to notice only the sea, to seek in it the effects described by Baudelaire and to let my gaze fall upon our table only on days when there was set on it some gigantic fish, some marine monster, which unlike the knives and forks was contemporary with the primitive epochs in which the Ocean first began to teem with life, in the Cimmerians′ time, a fish whose body with its numberless vertebrae, its blue veins and red, had been constructed by nature, but according to an architectural plan, like a polychrome cathedral of the deep.
Comme un coiffeur voyant un officier qu′il sert avec une considération particulière, reconnaître un client qui vient d′entrer et entamer un bout de causette avec lui, se réjouit en comprenant qu′ils sont du même monde et ne peut s′empêcher de sourire en allant chercher le bol de savon, car il sait que dans son établissement, aux besognes vulgaires du simple salon de coiffure, s′ajoutent des plaisirs sociaux, voire aristocratiques, tel Aimé, voyant que Mme de Villeparisis avait retrouvé en nous d′anciennes relations, s′en allait chercher nos rince-bouches avec le même sourire orgueilleusement modeste et savamment discret de maîtresse de maison qui sait se retirer à propos. On eût dit aussi un père heureux et attendri qui veille sans le troubler sur le bonheur de fiançailles qui se sont nouées à sa table. Du reste, il suffisait qu′on prononçât le nom d′une personne titrée pour qu′Aimé parût heureux, au contraire de Françoise devant qui on ne pouvait dire «le comte Un tel» sans que son visage s′assombrît et que sa parole devînt sèche et brève, ce qui signifiait qu′elle chérissait la noblesse, non pas moins que ne faisait Aimé, mais davantage. Puis Françoise avait la qualité qu′elle trouvait chez les autres le plus grand des défauts, elle était fière. Elle n′était pas de la race agréable et pleine de bonhomie dont Aimé faisait partie. Ils éprouvent, ils manifestent un vif plaisir quand on leur raconte un fait plus ou moins piquant, mais inédit qui n′est pas dans le journal. Françoise ne voulait pas avoir l′air étonné. On aurait dit devant elle que l′archiduc Rodolphe, dont elle n′avait jamais soupçonné l′existence, était non pas mort comme cela passait pour assuré, mais vivant, qu′elle eût répondu «Oui», comme si elle le savait depuis longtemps. Il est, d′ailleurs, à croire que pour que même de notre bouche à nous, qu′elle appelait si humblement ses maîtres et qui l′avions presque si entièrement domptée, elle ne pût entendre, sans avoir à réprimer un mouvement de colère, le nom d′un noble, il fallait que la famille dont elle était sortie, occupât dans son village une situation aisée, indépendante, et qui ne devait être troublée dans la considération dont elle jouissait que par ces mêmes nobles chez lesquels au contraire, dès l′enfance, un Aimé a servi comme domestique, s′il n′y a pas été élevé par charité. Pour Françoise, Mme de Villeparisis avait donc à se faire pardonner d′être noble. Mais, en France du moins, c′est justement le talent, comme la seule occupation, des grands seigneurs et des grandes dames. Françoise, obéissant à la tendance des domestiques qui recueillent sans cesse sur les rapports de leurs maîtres avec les autres personnes des observations fragmentaires dont ils tirent parfois des inductions erronées, comme font les humains sur la vie des animaux — trouvait à tout moment qu′on nous avait «manqué», conclusion à laquelle l′amenait facilement, d′ailleurs, autant que son amour excessif pour nous, le plaisir qu′elle avait à nous être désagréable. Mais ayant constaté, sans erreur possible, les mille prévenances dont nous entourait et dont l′entourait elle-même Mme de Villeparisis, Françoise l′excusa d′être marquise et comme elle n′avait jamais cessé de lui savoir gré de l′être, elle la préféra à toutes les personnes que nous connaissions. C′est qu′aussi aucune ne s′efforçait d′être aussi continuellement aimable. Chaque fois que ma grand′mère remarquait un livre que Mme de Villeparisis lisait ou disait avoir trouvé beaux des fruits que celle-ci avait reçus d′une amie, une heure après un valet de chambre montait nous remettre livre ou fruits. Et quand nous la voyions ensuite, pour répondre à nos remerciements, elle se contentait de dire, ayant l′air de chercher une excuse à son présent dans quelque utilité spéciale: «Ce n′est pas un chef-d′uvre, mais les journaux arrivent si tard, il faut bien avoir quelque chose à lire.» Ou: «C′est toujours plus prudent d′avoir du fruit dont on est sûr au bord de la mer.» «Mais il me semble que vous ne mangez jamais d′huîtres nous dit Mme de Villeparisis, (augmentant l′impression de dégoût que j′avais à cette heure-là, car la chair vivante des huîtres me répugnait encore plus que la viscosité des méduses ne me ternissait la plage de Balbec); elles sont exquises sur cette côte! Ah! je dirai à ma femme de chambre d′aller prendre vos lettres en même temps que les miennes. Comment, votre fille vous écrit tous les jours? Mais qu′est-ce que vous pouvez trouver à vous dire!» Ma grand′mère se tut, mais on peut croire que ce fut par dédain, elle qui répétait pour maman les mots de Mme de Sévigné: «Dès que j′ai reçu une lettre, j′en voudrais tout à l′heure une autre, je ne respire que d′en recevoir. Peu de gens sont dignes de comprendre ce que je sens.» Et je craignais qu′elle n′appliquât à Mme de Villeparisis la conclusion: «Je cherche ceux qui sont de ce petit nombre et j′évite les autres.» Elle se rabattit sur l′éloge des fruits que Mme de Villeparisis nous avait fait apporter la veille. Et ils étaient en effet si beaux que le directeur malgré la jalousie de ses compotiers dédaignés, m′avait dit: «Je suis comme vous, je suis plus frivole de fruit que de tout autre dessert.» Ma grand′mère dit à son amie qu′elle les avait d′autant plus appréciés que ceux qu′on servait à l′hôtel étaient généralement détestables. «Je ne peux pas, ajouta-t-elle, dire comme Mme de Sévigné que si nous voulions par fantaisie trouver un mauvais fruit, nous serions obligés de le faire venir de Paris.» «Ah, oui, vous lisez Mme de Sévigné. Je vous vois depuis le premier jour avec ses lettres» (elle oubliait qu′elle n′avait jamais aperçu ma grand′mère dans l′hôtel avant de la rencontrer dans cette porte). «Est-ce que vous ne trouvez pas que c′est un peu exagéré ce souci constant de sa fille, elle en parle trop pour que ce soit bien sincère. Elle manque de naturel.» Ma grand′mère trouva la discussion inutile et pour éviter d′avoir à parler des choses qu′elle aimait devant quelqu′un qui ne pouvait les comprendre, elle cacha, en posant son sac sur eux, les mémoires de Madame de Beausergent. As a barber, seeing an officer whom he is accustomed to shave with special deference and care recognise a customer who has just entered the shop and stop for a moment to talk to him, rejoices in the thought that these are two men of the same social order, and cannot help smiling as he goes to fetch the bowl of soap, for he knows that in his establishment,′ to the vulgar routine of a mere barber′s-shop, are being added social, not to say aristocratic pleasures, so Aimé, seeing that Mme. de Villeparisis had found in us old friends, went to fetch our finger-bowls with precisely the smile, proudly modest and knowingly discreet, of a hostess who knows when to leave her guests to themselves. He suggested also a pleased and loving father who looks on, without interfering, at the happy pair who have plighted their troth at his hospitable board. Besides, it was enough merely to utter the name of a person of title for Aimé to appear pleased, unlike Françoise, before whom you could not mention Count So-and-so without her face darkening and her speech becoming dry and sharp, all of which meant that she worshipped the aristocracy not less than Aimé but far more. But then Françoise had that quality which in others she condemned as the worst possible fault; she was proud. She was not of that friendly and good-humoured race to which Aimé belonged. They feel, they exhibit an intense delight when you tell them a piece of news which may be more or less sensational but is at any rate new, and not to be found in the papers. Françoise declined to appear surprised. You might have announced in her hearing that the Archduke Rudolf — not that she had the least suspicion of his having ever existed — was not, as was generally supposed, dead, but ‘alive and kicking′; she would have answered only ‘Yes,′ as though she had known it all the time. It may, however, have been that if even from our own lips, from us whom she so meekly called her masters, who had so nearly succeeded in taming her, she could not, without having to check an angry start, hear the name of a noble, that was because the family from which she had sprung occupied in its own village a comfortable and independent position, and was not to be threatened in the consideration which it enjoyed save by those same nobles, in whose households, meanwhile, from his boyhood, an Aimé would have been domiciled as a servant, if not actually brought up by their charity. Of Françoise, then, Mme. de Villeparisis must ask pardon, first, for her nobility. But (in France, at any rate) that is precisely the talent, in fact the sole occupation of our great gentlemen and ladies. Françoise, following the common tendency of servants, who pick up incessantly from the conversation of their masters with other people fragmentary observations from which they are apt to draw erroneous inductions, as the human race generally does with respect to the habits of animals, was constantly discovering that somebody had ‘failed′ us, a conclusion to which she was easily led, not so much, perhaps, by her extravagant love for us, as by the delight that she took in being disagreeable to us. But having once established, without possibility of error, the endless little attentions paid to us, and paid to herself also by Mme. de Villeparisis, Françoise forgave her for being a Marquise, and, as she had never ceased to be proud of her because she was one, preferred her thenceforward to all our other friends. It must be added that no one else took the trouble to be so continually nice to us. Whenever my grandmother remarked on a book that Mme. de Villeparisis was reading, or said she had been admiring the fruit which some one had just sent to our friend, within an hour the footman would come to our rooms with book or fruit. And the next time we saw her, in response to our thanks, she would say only, seeming to seek some excuse for the meagreness of her present in some special use to which it might be put: “It′s nothing wonderful, but the newspapers come so late here, one must have something to read.” Or, “It is always wiser to have fruit one can be quite certain of, at the seaside.”—“But I don′t believe I′ve ever seen you eating oysters,” she said to us, increasing the sense of disgust which I felt at that moment, for the living flesh of the oyster revolted me even more than the gumminess of the stranded jellyfish defiled for me the beach at Balbec; “they are delicious down here! Oh, let me tell my maid to fetch your letters when she goes for mine. What, your daughter writes every day? But what on earth can you find to say to each other?” My grandmother was silent, but it may be assumed that her silence was due to scorn, in her who used to repeat, when she wrote to Mamma, the words of Mme. de Sévigné: “As soon as I have received a letter, I want another at once; I cannot breathe until it comes. There are few who are worthy to understand what I mean.” And I was afraid of her applying to Mme. de Villeparisis the conclusion: “I seek out those who are of the chosen few, and I avoid the rest.” She fell back upon praise of the fruit which Mme. de Villeparisis had sent us the day before. And this had been, indeed, so fine that the manager, in spite of the jealousy aroused by our neglect of his official offerings, had said to me: “I am like you; I′m madder about fruit than any other kind of dessert.” My grandmother told her friend that she had enjoyed them all the more because the fruit which we got in the hotel was generally horrid. “I cannot,” she went on, “say, like Mme. de Sévigné, that if we should take a sudden fancy for bad fruit we should be obliged to order it from Paris.” “Oh yes, of course, you read Mme. de Sévigné. I saw you with her letters the day you came.” (She forgot that she had never officially seen my grandmother in the hotel until their collision in the doorway.) “Don′t you find it rather exaggerated, her constant anxiety about her daughter? She refers to it too often to be really sincere. She is not natural.” My grandmother felt that any discussion would be futile, and so as not to be obliged to speak of the things she loved to a person incapable of understanding them, concealed by laying her bag upon them the Mémoires de Mme. de Beausergent.
Quand Mme de Villeparisis rencontrait Françoise au moment (que celle-ci appelait «le midi») où, coiffée d′un beau bonnet et entourée de la considération générale elle descendait «manger aux courriers», Mme de Villeparisis l′arrêtait pour lui demander de nos nouvelles. Et Françoise, nous transmettant les commissions de la marquise: «Elle a dit: «Vous leur donnerez bien le bonjour», contrefaisait la voix de Mme de Villeparisis de laquelle elle croyait citer textuellement les paroles, tout en ne les déformant pas moins que Platon celles de Socrate ou saint Jean celles de Jésus. Françoise était naturellement très touchée de ces attentions. Tout au plus ne croyait-elle pas ma grand′mère et pensait-elle que celle-ci mentait dans un intérêt de classe, les gens riches se soutenant les uns les autres, quand elle assurait que Mme de Villeparisis avait été autrefois ravissante. Il est vrai qu′il n′en subsistait que de bien faibles restes dont on n′eût pu, à moins d′être plus artiste que Françoise, restituer la beauté détruite. Car pour comprendre combien une vieille femme a pu être jolie, il ne faut pas seulement regarder, mais traduire chaque trait. Were she to encounter Françoise at the moment (which Françoise called ‘the noon′) when, wearing her fine cap and surrounded with every mark of respect, she was coming downstairs to ‘feed with the service,′ Mme. Villeparisis would stop her to ask after us. And Françoise, when transmitting to us the Marquise′s message: “She said to me, ‘You′ll be sure and bid them good day,′ she said,” counterfeited the voice of Mme. de Villeparisis, whose exact words she imagined herself to be quoting textu-ally, whereas she was really corrupting them no less than Plato corrupts the words of Socrates or Saint John the words of Jesus. Françoise, as was natural, was deeply touched by these attentions. Only she did not believe my grandmother, but supposed that she must be lying in the interest of her class (the rich always combining thus to support one another) when she assured us that Mme. de Villeparisis had been lovely as a young woman. It was true that of this loveliness only the faintest trace remained, from which no one — unless he happened to be a great deal more of an artist than Françoise — would have been able to restore her ruined beauty. For in order to understand how beautiful an elderly woman can once have been one must not only study but interpret every line of her face.
«Il faudra que je pense une fois à lui demander si je me trompe et si elle n′a pas quelque parenté avec des Guermantes», me dit ma grand′mère qui excita par là mon indignation. Comment aurais-je pu croire à une communauté d′origine entre deux noms qui étaient entrés en moi l′un par la porte basse et honteuse de l′expérience, l′autre par la porte d′or de l′imagination? “I must remember, some time, to ask her whether I′m not right, after all, in thinking that there is some connexion with the Guermantes,” said my grandmother, to my great indignation. How could I be expected to believe in a common origin uniting two names which had entered my consciousness, one through the low and shameful gate of experience, the other by the golden gate of imagination?
On voyait souvent passer depuis quelques jours, en pompeux équipage, grande, rousse, belle, avec un nez un peu fort, la princesse de Luxembourg qui était en villégiature pour quelques semaines dans le pays. Sa calèche s′était arrêtée devant l′hôtel, un valet de pied était venu parler au directeur, était retourné à la voiture et avait rapporté des fruits merveilleux (qui unissaient dans une seule corbeille, comme la baie elle-même, diverses saisons), avec une carte: «La princesse de Luxembourg», où étaient écrits quelques mots au crayon. A quel voyageur princier demeurant ici incognito, pouvaient être destinés ces prunes glauques, lumineuses et sphériques comme était à ce moment-là la rotondité de la mer, des raisins transparents suspendus au bois desséché comme une claire journée d′automne, des poires d′un outre-mer céleste? Car ce ne pouvait être à l′amie de ma grand′mère que la princesse avait voulu faire visite. Pourtant le lendemain soir Mme de Villeparisis nous envoya la grappe de raisins fraîche et dorée et des prunes et des poires que nous reconnûmes aussi, quoique les prunes eussent passé comme la mer à l′heure de notre dîner, au mauve et que dans l′outre-mer des poires flotassent quelques formes de nuages roses. Quelques jours après nous rencontrâmes Mme de Villeparisis en sortant du concert symphonique qui se donnait le matin sur la plage. Persuadé que les uvres que j′y entendais (le Prélude de Lohengrin, l′ouverture de Tannhauser, etc.) exprimaient les vérités les plus hautes, je tâchais de m′élever autant que je pouvais pour atteindre jusqu′à elles, je tirais de moi pour les comprendre, je leur remettais, tout ce que je recélais alors de meilleur, de plus profond. We had several times, in the last few days, seen driving past us in a stately equipage, tall, auburn, handsome, with a rather prominent nose, the Princesse de Luxembourg, who was staying in the neighbourhood for a few weeks. Her carriage had stopped outside the hotel, a footman had come in and spoken to the manager, had gone back to the carriage and had reappeared with the most amazing armful of fruit (which combined in a single basket, like the bay itself, different seasons) with a card: “La Princesse de Luxembourg,” on which were scrawled a few words in pencil. For what princely traveller sojourning here incognito, could they be intended, those glaucous plums, luminous and spherical as was at that moment the circumfluent sea, transparent grapes clustering on a shrivelled stick, like a fine day in autumn, pears of a heavenly ultramarine? For it could not be on my grandmother′s friend that the Princess had meant to pay a call. And yet on the following evening Mme. de Villeparisis sent us the bunch of grapes, cool, liquid, golden; plums too and pears which we remembered, though the plums had changed, like the sea at our dinner-hour, to a dull purple, and on the ultramarine surface of the pears there floated the forms of a few rosy clouds. A few days later we met Mme. de Villeparisis as we came away from the symphony concert that was given every morning on the beach. Convinced that the music to which I had been listening (the Prelude to Lohengrin, the Overture to Tannhäuser and suchlike) expressed the loftiest of truths, I was trying to elevate myself, as far as I could, so as to attain to a comprehension of them, I was extracting from myself so as to understand them, and was attributing to them, all that was best and most profound in my own nature at that time.
Or, en sortant du concert, comme, en reprenant le chemin qui va vers l′hôtel, nous nous étions arrêtés un instant sur la digue, ma grand′mère et moi, pour échanger quelques mots avec Mme de Villeparisis qui nous annonçait qu′elle avait commandé pour nous à l′hôtel des «Croque Monsieur» et des ufs à la crème, je vis de loin venir dans notre direction la princesse de Luxembourg, à demi-appuyée sur une ombrelle de façon à imprimer à son grand et merveilleux corps cette légère inclinaison, à lui faire dessiner cette arabesque si chère aux femmes qui avaient été belles sous l′Empire et qui savaient, les épaules tombantes, le dos remonté, la hanche creuse, la jambe tendue, faire flotter mollement leur corps comme un foulard, autour de l′armature d′une invisible tige inflexible et oblique, qui l′aurait traversé. Elle sortait tous les matins faire son tour de plage presque à l′heure où tout le monde après le bain remontait pour déjeuner et comme le sien était seulement à une heure et demie, elle ne rentrait à sa villa que longtemps après que les baigneurs avaient abandonné la digue déserte et brûlante. Mme de Villeparisis présenta ma grand′mère, voulut me présenter, mais dut me demander mon nom, car elle ne se le rappelait pas. Elle ne l′avait peut-être jamais su, ou en tous cas avait oublié depuis bien des années à qui ma grand′mère avait marié sa fille. Ce nom parut faire une vive impression sur Mme de Villeparisis. Cependant la princesse de Luxembourg nous avait tendu la main et, de temps en temps, tout en causant avec la marquise, elle se détournait pour poser de doux regards, sur ma grand′mère et sur moi, avec cet embryon de baiser qu′on ajoute au sourire quand celui-ci s′adresse à un bébé avec sa nounou. Même dans son désir de ne pas avoir l′air de siéger dans une sphère supérieure à la nôtre, elle avait sans doute mal calculé la distance, car, par une erreur de réglage, ses regards s′imprégnèrent d′une telle bonté que je vis approcher le moment où elle nous flatterait de la main comme deux bêtes sympathiques qui eussent passé la tête vers elle, à travers un grillage, au Jardin d′Acclimatation. Aussitôt du reste cette idée d′animaux et de Bois-de-Boulogne prit plus de consistance pour moi. C′était l′heure où la digue est parcourue par des marchands ambulants et criards qui vendent des gâteaux, des bonbons, des petits pains. Ne sachant que faire pour nous témoigner sa bienveillance, la princesse arrêta le premier qui passa; il n′avait plus qu′un pain de seigle, du genre de ceux qu′on jette aux canards. La princesse le prit et me dit: «C′est pour votre grand′mère.» Pourtant, ce fut à moi qu′elle le tendit, en me disant avec un fin sourire: «Vous le lui donnerez vous-même», pensant qu′ainsi mon plaisir serait plus complet s′il n′y avait pas d′intermédiaires entre moi et les animaux. D′autres marchands s′approchèrent, elle remplit mes poches de tout ce qu′ils avaient, de paquets tout ficelés, de plaisirs, de babas et de sucres d′orge. Elle me dit: «Vous en mangerez et vous en ferez manger aussi à votre grand′mère» et elle fit payer les marchands par le petit nègre habillé en satin rouge qui la suivait partout et qui faisait l′émerveillement de la plage. Puis elle dit adieu à Mme de Villeparisis et nous tendit la main avec l′intention de nous traiter de la même manière que son amie, en intimes et de se mettre à notre portée. Mais cette fois, elle plaça sans doute notre niveau un peu moins bas dans l′échelle des êtres, car son égalité avec nous fut signifiée par la princesse à ma grand′mère au moyen de ce tendre et maternel sourire qu′on adresse à un gamin quand on lui dit au revoir comme à une grande personne. Par un merveilleux progrès de l′évolution, ma grand′mère n′était plus un canard ou une antilope, mais déjà ce que Mme Swann eût appelé un «baby». Enfin, nous ayant quittés tous trois, la Princesse reprit sa promenade sur la digue ensoleillée en incurvant sa taille magnifique qui comme un serpent autour d′une baguette s′enlaçait à l′ombrelle blanche imprimée de bleu que Mme de Luxembourg tenait fermée à la main. C′était ma première altesse, je dis la première, car la princesse Mathilde n′était pas altesse du tout de façons. La seconde, on le verra plus tard, ne devait pas moins m′étonner par sa bonne grâce. Une forme de l′amabilité des grands seigneurs, intermédiaires bénévoles entre les souverains et les bourgeois me fut apprise le lendemain quand Mme de Villeparisis nous dit: «Elle vous a trouvés charmants. C′est une femme d′un grand jugement, de beaucoup de cur. Elle n′est pas comme tant de souverains ou d′altesses. Elle a une vraie valeur.» Et Mme de Villeparisis ajouta d′un air convaincu, et toute ravie de pouvoir nous le dire: «Je crois qu′elle serait enchantée de vous revoir.» Well, as we came out of the concert, and, on our way back to the hotel, had stopped for a moment on the ‘front,′ my grandmother and I, for a few words with Mme. de Villeparisis who told us that she had ordered some croque-monsieurs and a dish of creamed eggs for us at the hotel, I saw, a long way away, coming in our direction, the Princesse de Luxembourg, half leaning upon a parasol in such a way as to impart to her tall and wonderful form that slight inclination, to make it trace that arabesque dear to the women who had been beautiful under the Empire, and knew how, with drooping shoulders, arched backs, concave hips and bent limbs, to make their bodies float as gently as a silken scarf about the rigidity of the invisible stem which might be supposed to have been passed diagonally through them. She went out every morning for a turn on the beach almost at the time when everyone else, after bathing, was climbing home to luncheon, and as hers was not until half past one she did not return to her villa until long after the hungry bathers had left the scorching ‘front′ a desert. Mme. de Villeparisis presented my grandmother and would have presented me, but had first to ask me my name, which she could not remember. She had, perhaps, never known it, or if she had must have forgotten years ago to whom my grandmother had married her daughter. My name, when she did hear it, appeared to impress Mme. de Villeparisis considerably. Meanwhile the Princesse de Luxembourg had given us her hand and, now and again, while she conversed with the Marquise, turned to bestow a kindly glance on my grandmother and myself, with that embryonic kiss which we put into our smiles when they are addressed to a baby out with its ‘Nana.′ Indeed, in her anxiety not to appear to be a denizen of a higher sphere than ours, she had probably miscalculated the distance there was indeed between us, for by an error in adjustment she made her eyes beam with such benevolence that I could see the moment approaching when she would put out her hand and stroke us, as if we were two nice beasts and had poked our heads out at her through the bars of our cage in the Gardens. And, immediately, as it happened, this idea of caged animals and the Bois de Boulogne received striking confirmation. It was the time of day at which the beach is crowded by itinerant and clamorous vendors, hawking cakes and sweets and biscuits. Not knowing quite what to do to shew her affection for us, the Princess hailed the next that came by; he had nothing left but one rye-cake, of the kind one throws to the ducks. The Princess took it and said to me: “For your grandmother.” And yet it was to me that she held it out, saying with a friendly smile, “You shall give it to her yourself!” thinking that my pleasure would thus be more complete if there were no intermediary between myself and the animals. Other vendors came up; she stuffed my pockets with everything that they had, tied up in packets, comfits, sponge-cakes, sugar-sticks. “You will eat some yourself,” she told me, “and give some to your grandmother,” and she had the vendors paid by the little Negro page, dressed in red satin, who followed her everywhere and was a nine days′ wonder upon the beach. Then she said good-bye to Mme. de Villeparisis and held out her hand to us with the intention of treating us in the same way as she treated her friend, as people whom she knew, and of bringing herself within our reach. But this time she must have reckoned our level as not quite so low in the scale of creation, for her and our equality was indicated by the Princess to my grandmother by that tender and maternal smile which a woman gives a little boy when she says good-bye to him as though to a grown-up person. By a miraculous stride in evolution, my grandmother was no longer a duck or an antelope, but had already become what the anglophil Mme. Swann would have called a ‘baby.′ Finally, having taken leave of us all, the Princess resumed her stroll along the basking ‘front,′ curving her splendid shape which, like a serpent coiled about a wand, was interlaced with the white parasol patterned in blue which Mme. de Luxembourg held, unopened, in her hand. She was my first Royalty — I say my first, for strictly speaking Princesse Mathilde did not count. The second, as we shall see in due course, was to astonish me no less by her indulgence. One of the ways in which our great nobles, kindly intermediaries between commoners and kings, can befriend us was revealed to me next day when Mme. de Villeparisis reported: “She thought you quite charming. She is a woman of the soundest judgment, the warmest heart. Not like so many Queens and people! She has real merit.” And Mme. de Villeparisis went on in a tone of conviction, and quite thrilled to be able to say it to us: “I am sure she would be delighted to see you again.”
Mais ce matin-là même en quittant la princesse de Luxembourg, Mme de Villeparisis me dit une chose qui me frappa davantage et qui n′était pas du domaine de l′amabilité. But on that previous morning, after we had parted from the Princesse de Luxembourg, Mme. de Villeparisis said a thing which impressed me far more and was not prompted merely by friendly feeling.
— Est-ce que vous êtes le fils du directeur au Ministère? me demanda-t-elle. Ah! il paraît que votre père est un homme charmant. Il fait un bien beau voyage en ce moment. “Are you,” she had asked me, “the son of the Permanent Secretary at the Ministry? Indeed! I am told your father is a most charming man. He is having a splendid holiday just now.”
Quelques jours auparavant nous avions appris par une lettre de maman que mon père et son compagnon M. de Norpois avaient perdu leurs bagages. A few days earlier we had heard, in a letter from Mamma, that my father and his friend M. de Norpois had lost their luggage.
— Ils sont retrouvés, ou plutôt ils n′ont jamais été perdus, voici ce qui était arrivé, nous dit Mme de Villeparisis, qui sans que nous sussions comment, avait l′air beaucoup plus renseigné que nous sur les détails du voyage. Je crois que votre père avancera son retour à la semaine prochaine car il renoncera probablement à aller à Algésiras. Mais il a envie de consacrer un jour de plus à Tolède car il est admirateur d′un élève de Titien dont je ne me rappelle pas le nom et qu′on ne voit bien que là. “It has been found; as a matter of fact, it was never really lost, I can tell you what happened,” explained Mme. de Villeparisis, who, without our knowing how, seemed to be far better informed than ourselves of the course of my father′s travels. “I think your father is now planning to come home earlier, next week, in fact, as he will probably give up the idea of going to Algeciras. But he is anxious to devote a day longer to Toledo; it seems, he is an admirer of a pupil of Titian — I forget the name — whose work can only be seen properly there.”
Et je me demandais par quel hasard dans la lunette indifférente à travers laquelle Mme de Villeparisis considérait d′assez loin l′agitation sommaire, minuscule et vague de la foule des gens qu′elle connaissait, se trouvait intercalé à l′endroit où elle considérait mon père, un morceau de verre prodigieusement grossissant qui lui faisait voir avec tant de relief et dans le plus grand détail tout ce qu′il avait d′agréable, les contingences qui le forçaient à revenir, ses ennuis de douane, son goût pour le Greco, et changeant pour elle l′échelle de sa vision, lui montrait ce seul homme si grand au milieu des autres, tout petits, comme ce Jupiter à qui Gustave Moreau a donné, quand il l′a peint à côté d′une faible mortelle, une stature plus qu′humaine. I asked myself by what strange accident, in the impartial glass through which Mme. de Villeparisis considered, from a safe distance, the bustling, tiny, purposeless agitation of the crowd of people whom she knew, there had come to be inserted at the spot through which she observed my father a fragment of prodigious magnifying power which made her see in such high relief and in the fullest detail everything that there was attractive about him, the contingencies that were obliging him to return home, his difficulties with the customs, his admiration for El Greco, and, altering the scale of her vision, shewed her this one man so large among all the rest quite small, like that Jupiter to whom Gustave Moreau gave, when he portrayed him by the side of a weak mortal, a superhuman stature.
Ma grand′mère prit congé de Mme de Villeparisis pour que nous pussions rester à respirer l′air un instant de plus devant l′hôtel, en attendant qu′on nous fît signe à travers le vitrage que notre déjeuner était servi. On entendit un tumulte. C′était la jeune maîtresse du roi des sauvages, qui venait de prendre son bain et rentrait déjeuner. My grandmother bade Mme. de Villeparisis good-bye, so that we might stay and imbibe the fresh air for a little while longer outside the hotel, until they signalled to us through the glazed partition that our luncheon was ready. There were sounds of tumult. The young mistress of the King of the Cannibal Island had been down to bathe and was now coming back to the hotel.
— Vraiment c′est un fléau, c′est à quitter la France! s′écria rageusement le bâtonnier qui passait à ce moment. “Really and truly, it′s a perfect plague: it′s enough to make one decide to emigrate!” cried the barrister, who had happened to cross her path, in a towering rage.
Cependant la femme du notaire attachait des yeux écarquillés sur la fausse souveraine. Meanwhile the solicitor′s wife was following the bogus Queen with eyes that seemed ready to start from their sockets.
— Je ne peux pas vous dire comme Mme Blandais m′agace en regardant ces gens-là comme cela, dit le bâtonnier au président. Je voudrais pouvoir lui donner une gifle. C′est comme cela qu′on donne de l′importance à cette canaille qui naturellement ne demande qu′à ce que l′on s′occupe d′elle. Dites donc à son mari de l′avertir que c′est ridicule; moi je ne sors plus avec eux s′ils ont l′air de faire attention aux déguisés. “I can′t tell you how angry Mme. Blandais makes me when she stares at those people like that,” said the barrister to the chief magistrate, “I feel I want to slap her. That is just the way to make the wretches appear important; and of course that′s the very thing they want, that people should take an interest in them. Do ask her husband to tell her what a fool she′s making of herself. I swear I won′t go out with them again if they stop and gape at those masqueraders.”
Quant à la venue de la princesse de Luxembourg, dont l′équipage le jour où elle avait apporté des fruits, s′était arrêté devant l′hôtel, elle n′avait pas échappé au groupe de la femme du notaire, du bâtonnier et du premier président, déjà depuis quelque temps fort agitées de savoir si c′était une marquise authentique et non une aventurière que cette Madame de Villeparisis qu′on traitait avec tant d′égards, desquels toutes ces dames brûlaient d′apprendre qu′elle était indigne. Quand Mme de Villeparisis traversait le hall, la femme du premier président qui flairait partout des irrégulières, levait son nez sur son ouvrage et la regardait d′une façon qui faisait mourir de rire ses amies. As to the coming of the Princesse de Luxembourg, whose carriage, on the day on which she left the fruit, had drawn up outside the hotel, it had not passed unobserved by the little group of wives, the solicitor′s, the barrister′s and the magistrate′s, who had for some time past been most concerned to know whether she was a genuine Marquise and not an adventuress, that Mme. de Villeparisis whom everyone treated with so much respect, which all these ladies were burning to hear that she did not deserve. Whenever Mme. de Villeparisis passed through the hall the chief magistrate′s wife, who scented irregularities everywhere, would raise her eyes from her ‘work′ and stare at the intruder in a way that made her friends die of laughter.
— Oh! moi, vous savez, disait-elle avec orgueil, je commence toujours par croire le mal. Je ne consens à admettre qu′une femme est vraiment mariée que quand on m′a sorti les extraits de naissance et les actes notariés. Du reste, n′ayez crainte, je vais procéder à ma petite enquête. “Oh, well, you know,” she explained with lofty condescension, “I always begin by believing the worst. I will never admit that a woman is properly married until she has shewn me her birth certificate and her marriage lines. But there′s no need to alarm yourselves; just wait till I′ve finished my little investigation.”
Et chaque jour toutes ces dames accouraient en riant. — Nous venons aux nouvelles. And so, day after day the ladies would come together, and, laughingly, ask one another: “Any news?”
Mais le soir de la visite de la princesse de Luxembourg, la femme du Premier mit un doigt sur sa bouche. But on the evening after the Princesse de Luxembourg′s call the magistrate′s wife laid a finger on her lips.
— Il y a du nouveau. “I′ve discovered something.”
— Oh! elle est extraordinaire, Mme Poncin! je n′ai jamais vu . . . mais dites, qu′y a-t-il? “Oh, isn′t Mme. Poncin simply wonderful? I never saw anyone. . . . But do tell us! What has happened?”
— Hé bien, il y a qu′une femme aux cheveux jaunes, avec un pied de rouge sur la figure, une voiture qui sentait l′horizontale d′une lieue, et comme n′en ont que ces demoiselles, est venue tantôt pour voir la prétendue marquise. “Just listen to this. A woman with yellow hair and six inches of paint on her face and a carriage like a — you could smell it a mile off; which only a creature like that would dare to have — came here to-day to call on the Marquise, by way of!”
— Ouil you uouil! patatras! Voyez-vous ça! mais c′est cette dame que nous avons vue, vous vous rappelez bâtonnier, nous avons bien trouvé qu′elle marquait très mal mais nous ne savions pas qu′elle était venue pour la marquise. Une femme avec un nègre, n′est-ce pas? “Oh-yow-yow! Tut-tut-tut-tut. Did you ever! Why, it must be that woman we saw — you remember, Leader — we said at the time we didn′t at all like the look of her, but we didn′t know that it was the ‘Marquise′ she′d come to see. A woman with a nigger-boy, you mean?”
— C′est cela même. “That′s the one.”
— Ah! vous m′en direz tant. Vous ne savez pas son nom? “D′you mean to say so? You don′t happen to know her name?”
— Si, j′ai fait semblant de me tromper, j′ai pris la carte, elle a comme nom de guerre la princesse de Luxembourg! Avais-je raison de me méfier! C′est agréable d′avoir ici une promiscuité avec cette espèce de Baronne d′Ange.» Le bâtonnier cita Mathurin Régnier et Macette au premier Président. “Yes, I made a mistake on purpose; I picked up her card; she trades under the name of the ‘Princesse de Luxembourg!′ Wasn′t I right to have my doubts about her? It′s a nice thing to have to mix promiscuously with a Baronne d′Ange like that?” The barrister quoted Mathurin Régnier′s Macette to the chief magistrate.
Il ne faut, d′ailleurs, pas croire que ce malentendu fut momentané comme ceux qui se forment au deuxième acte d′un vaudeville pour se dissiper au dernier, Mme de Luxembourg, nièce du roi d′Angleterre et de l′empereur d′Autriche, et Mme de Villeparisis, parurent toujours quand la première venait chercher la seconde pour se promener en voiture deux drôlesses de l′espèce de celles dont on se gare difficilement dans les villes d′eaux. Les trois quarts des hommes du faubourg Saint-Germain passent aux yeux d′une bonne partie de la bourgeoisie pour des décavés crapuleux (qu′ils sont d′ailleurs quelquefois individuellement) et que, par conséquent, personne ne reçoit. La bourgeoisie est trop honnête en cela, car leurs tares ne les empêcheraient nullement d′être reçus avec la plus grande faveur là où elle ne le sera jamais. Et eux s′imaginent tellement que la bourgeoisie le sait qu′ils affectent une simplicité en ce qui les concerne, un dénigrement pour leurs amis particulièrement «à la côte», qui achève le malentendu. Si par hasard un homme du grand monde est en rapports avec la petite bourgeoisie parce qu′il se trouve, étant extrêmement riche, avoir la présidence des plus importantes sociétés financières, la bourgeoisie qui voit enfin un noble digne d′être grand bourgeois jurerait qu′il ne fraye pas avec le marquis joueur et ruiné qu′elle croit d′autant plus dénué de relations qu′il est plus aimable. Et elle n′en revient pas quand le duc, président du conseil d′administration de la colossale Affaire, donne pour femme à son fils, la fille du marquis joueur, mais dont le nom est le plus ancien de France, de même qu′un souverain fera plutôt épouser à son fils la fille d′un roi détrôné que d′un président de la république en fonctions. C′est dire que les deux mondes ont l′un de l′autre une vue aussi chimérique que les habitants d′une plage située à une des extrémités de la baie de Balbec, ont de la plage située à l′autre extrémité: de Rivebelle on voit un peu Marcouville l′Orgueilleuse; mais cela même trompe, car on croit qu′on est vu de Marcouville, d′où au contraire les splendeurs de Rivebelle sont en grande partie invisibles. It must not, however, be supposed that this misunderstanding was merely temporary, like those that occur in the second act of a farce to be cleared up before the final curtain. Mme. de Luxembourg, a niece of the King of England and of the Emperor of Austria, and Mme. de Villeparisis, when one called to take the other for a drive, did look like nothing but two ‘old trots′ of the kind one has always such difficulty in avoiding at a watering place. Nine tenths of the men of the Faubourg Saint-Germain appear to the average man of the middle class simply as alcoholic wasters (which, individually, they not infrequently are) whom, therefore, no respectable person would dream of asking to dinner. The middle class fixes its standard, in this respect, too high, for the feelings of these men would never prevent their being received with every mark of esteem in houses which it, the middle class, may never enter. And so sincerely do they believe that the middle class knows this that they affect a simplicity in speaking of their own affairs and a tone of disparagement of their friends, especially when they are ‘at the coast,′ which make the misunderstanding complete. If, by any chance, a man of the fashionable world is kept in touch with ‘business people′ because, having more money than he knows what to do with, he finds himself elected chairman of all sorts of important financial concerns, the business man who at last sees a nobleman worthy, he considers, to rank with ‘big business,′ would take his oath that such a man can have no dealings with the Marquis ruined by gambling whom the said business man supposes to be all the more destitute of friends the more friendly he makes himself. And he cannot get over his surprise when the Duke, Chairman of the Board of Directors of the colossal undertaking, arranges a marriage for his son with the daughter of that very Marquis, who may be a gambler but who bears the oldest name in France, just as a Sovereign would sooner see his son marry the daughter of a dethroned King than that of a President still in office. That is to say, the two worlds take as fantastic a view of one another as the inhabitants of a town situated at one end of Balbec Bay have of the town at the other end: from Rivebelle you can just see Marcouville l′Orgueilleuse; but even that is deceptive, for you imagine that you are seen from Marcouville, where, as a matter of fact, the splendours of Rivebelle are almost wholly invisible.
Le médecin de Balbec appelé pour un accès de fièvre que j′avais eu, ayant estimé que je ne devrais pas rester toute la journée au bord de la mer, en plein soleil, par les grandes chaleurs, et rédigé à mon usage quelques ordonnances pharmaceutiques, ma grand′mère prit les ordonnances avec un respect apparent où je reconnus tout de suite sa ferme décision de n′en faire exécuter aucune, mais tint compte du conseil en matière d′hygiène et accepta l′offre de Mme de Villeparisis de nous faire faire quelques promenades en voiture. J′allais et venais, jusqu′à l′heure du déjeuner, de ma chambre à celle de ma grand′mère. Elle ne donnait pas directement sur la mer comme la mienne mais prenait jour de trois côtés différents: sur un coin de la digue, sur une cour et sur la campagne, et était meublée autrement, avec des fauteuils brodés de filigranes métalliques et de fleurs roses d′où semblait émaner l′agréable et fraîche odeur qu′on trouvait en entrant. Et à cette heure où des rayons venus d′expositions, et comme d′heures différentes, brisaient les angles du mur, à côté d′un reflet de la plage, mettaient sur la commode un reposoir diapré comme les fleurs du sentier, suspendaient à la paroi les ailes repliées, tremblantes et tièdes d′une clarté prête à reprendre son vol, chauffaient comme un bain un carré de tapis provincial devant la fenêtre de la courette que le soleil festonnait comme une vigne, ajoutaient au charme et à la complexité de la décoration mobilière en semblant exfolier la soie fleurie des fauteuils et détacher leur passementerie, cette chambre que je traversais un moment avant de m′habiller pour la promenade, avait l′air d′un prisme où se décomposaient les couleurs de la lumière du dehors, d′une ruche où les sucs de la journée que j′allais goûter étaient dissociés, épars, enivrants et visibles, d′un jardin de l′espérance qui se dissolvait en une palpitation de rayons d′argent et de pétales de rose. Mais avant tout j′avais ouvert mes rideaux dans l′impatience de savoir quelle était la Mer qui jouait ce matin-là au bord du rivage, comme une néreide. Car chacune de ces Mers ne restait jamais plus d′un jour. Le lendemain il y en avait une autre qui parfois lui ressemblait. Mais je ne vis jamais deux fois la même. The Balbec doctor, who had been called in to cope with a sudden feverish attack, having given the opinion that I ought not to stay out all day on the beach, in the blazing sun, without shelter, and having written out various prescriptions for my use, my grandmother took his prescriptions with a show of respect in which I could at once discern her firm resolve not to have any of them ‘made up,′ but did pay attention to his advice on the matter of hygiene, and accepted an offer from Mme. de Villeparisis to take us for drives in her carriage. After this I would spend the mornings, until luncheon, going to and fro between my own room and my grandmother′s. Hers did not look out directly upon the sea, as mine did, but was lighted from three of its four sides — with views of a strip of the ‘front,′ of a well inside the building, and of the country inland, and was furnished differently from mine, with armchairs upholstered in a metallic tissue with red flowers from which seemed to emanate the cool and pleasant odour that greeted me when I entered the room. And at that hour when the sun′s rays, coming from different aspects and, as it were, from different hours of the day, broke the angles of the wall, thrust in a reflexion of the beach, made of the chest of drawers a festal altar, variegated as a bank of field-flowers, attached to the wall the wings, folded, quivering, warm, of a radiance that would, at any moment, resume its flight, warmed like a bath a square of provincial carpet before the window overlooking the well, which the sun festooned and patterned like a climbing vine, added to the charm and complexity of the room′s furniture by seeming to pluck and scatter the petals of the silken flowers on the chairs, and to make their silver threads stand out from the fabric, this room in which I lingered for a moment before going to get ready for our drive suggested a prism in which the colours of the light that shone outside were broken up, or a hive in which the sweet juices of the day which I was about to taste were distilled, scattered, intoxicating, visible, a garden of hope which dissolved in a quivering haze of silver threads and rose leaves. But before all this I had drawn back my own curtains, impatient to know what Sea it was that was playing that morning by the shore, like a Nereid. For none of those Seas ever stayed with us longer than a day. On the morrow there would be another, which sometimes resembled its predecessor. But I never saw the same one twice.
Il y en avait qui étaient d′une beauté si rare qu′en les apercevant mon plaisir était encore accru par la surprise. Par quel privilège, un matin plutôt qu′un autre, la fenêtre en s′entr′ouvrant découvrit-elle à mes yeux émerveillés la nymphe Glaukonomèné, dont la beauté paresseuse et qui respirait mollement, avait la transparence d′une vaporeuse émeraude à travers laquelle je voyais affluer les éléments pondérables qui la coloraient? Elle faisait jouer le soleil avec un sourire alangui par une brume invisible qui n′était qu′un espace vide réservé autour de sa surface translucide rendue ainsi plus abrégée et plus saisissante, comme ces déesses que le sculpteur détache sur le reste du bloc qu′il ne daigne pas dégrossir. Telle, dans sa couleur unique, elle nous invitait à la promenade sur ces routes grossières et terriennes, d′où, installés dans la calèche de Mme de Villeparisis, nous apercevions tout le jour et sans jamais l′atteindre la fraîcheur de sa molle palpitation. There were some that were of so rare a beauty that my pleasure on catching sight of them was enhanced by surprise. By what privilege, on one morning rather than another, did the window on being uncurtained disclose to my wondering eyes the nymph Glauconome, whose lazy beauty, gently breathing, had the transparence of a vaporous emerald beneath whose surface I could see teeming the ponderable elements that coloured it? She made the sun join in her play, with a smile rendered languorous by an invisible haze which was nought but a space kept vacant about her translucent surface, which, thus curtailed, became more appealing, like those goddesses whom the sculptor carves in relief upon a block of marble, the rest of which he leaves unchiselled. So, in her matchless colour, she invited us out over those rough terrestrial roads, from which, seated beside Mme. de Villeparisis in her barouche, we should see, all day long and without ever reaching it, the coolness of her gentle palpitation.
Mme de Villeparisis faisait atteler de bonne heure, pour que nous eussions le temps d′aller soit jusqu′à Saint-Mars-le-Vêtu, soit jusqu′aux rochers de Quetteholme ou à quelque autre but d′excursion qui, pour une voiture assez lente, était fort lointain et demandait toute la journée. Dans ma joie de la longue promenade que nous allions entreprendre, je fredonnais quelque air récemment écouté, et je faisais les cent pas en attendant que Mme de Villeparisis fût prête. Si c′était dimanche, sa voiture n′était pas seule devant l′hôtel; plusieurs fiacres loués attendaient non seulement les personnes qui étaient invitées au château de Féterne chez Mme de Cambremer, mais celles qui plutôt que de rester là comme des enfants punis déclaraient que le dimanche était un jour assommant à Balbec et partaient dès après déjeuner se cacher dans une plage voisine ou visiter quelque site, et même souvent quand on demandait à Mme Blandais si elle avait été chez les Cambremer, elle répondait péremptoirement: «Non, nous étions aux cascades du Bec», comme si c′était là la seule raison pour laquelle elle n′avait pas passé la journée à Féterne. Et le bâtonnier disait charitablement: Mme. de Villeparisis used to order her carriage early, so that we should have time to reach Saint-Mars le Vêtu, or the rocks of Quetteholme, or some other goal which, for a somewhat lumbering vehicle, was far enough off to require the whole day. In my joy at the long drive we were going to take I would be humming some tune that I had heard recently as I strolled up and down until Mme. de Villeparisis was ready. If it was Sunday hers would not be the only carriage drawn up outside the hotel; several hired flies would be waiting there, not only for the people who had been invited to Féterne by Mme. de Cambremer, but for those who, rather than stay at home all day, like children in disgrace, declared that Sunday was always quite impossible at Balbec and started off immediately after luncheon to hide themselves in some neighbouring watering-place or to visit one of the ‘sights′ of the district. And indeed whenever (which was often) anyone asked Mme. Blandais if she had been to the Cambremers′, she would answer peremptorily: “No; we went to the Falls of the Bee,” as though that were the sole reason for her not having spent the day at Féteme. And the barrister would be charitable, and say:
— Je vous envie, j′aurais bien changé avec vous, c′est autrement intéressant. “I envy you. I wish I had gone there instead; they must be well worth seeing.”
A côté des voitures, devant le porche où j′attendais, était planté comme un arbrisseau d′une espèce rare un jeune chasseur qui ne frappait pas moins les yeux par l′harmonie singulière de ses cheveux colorés, que par son épiderme de plante. A l′intérieur, dans le hall qui correspondait au narthex ou église des Catéchumènes, des églises romanes, et où les personnes qui n′habitaient pas l′hôtel avaient le droit de passer, les camarades du groom «extérieur» ne travaillaient pas beaucoup plus que lui mais exécutaient du moins quelques mouvements. Il est probable que le matin ils aidaient au nettoyage. Mais l′après-midi ils restaient là seulement comme des choristes qui, même quand ils ne servent à rien, demeurent en scène pour ajouter à la figuration. Le Directeur général, celui qui me faisait si peur, comptait augmenter considérablement leur nombre l′année suivante, car il «voyait grand». Et sa décision affligeait beaucoup le Directeur de l′Hôtel, lequel trouvait que tous ces enfants n′étaient que des «faiseurs d′embarras» entendant par là qu′ils embarrassaient le passage et ne servaient à rien. Du moins entre le déjeuner et le dîner, entre les sorties et les rentrées des clients remplissaient-ils le vide de l′action, comme ces élèves de Mme de Maintenon qui sous le costume de jeunes israélites font intermède chaque fois qu′Esther ou Joad s′en vont. Mais le chasseur du dehors, aux nuances précieuses, à la taille élancée et frêle, non loin duquel j′attendais que la marquise descendît, gardait une immobilité à laquelle s′ajoutait de la mélancolie, car ses frères aînés avaient quitté l′hôtel pour des destinées plus brillantes et il se sentait isolé sur cette terre étrangère. Enfin Mme de Villeparisis arrivait. S′occuper de sa voiture et l′y faire monter eût peut-être dû faire partie des fonctions du chasseur. Mais il savait qu′une personne qui amène ses gens avec soi se fait servir par eux, et d′habitude donne peu de pourboires dans un hôtel, que les nobles de l′ancien faubourg Saint-Germain agissent de même. Mme de Villeparisis appartenait à la fois à ces deux catégories. Le chasseur arborescent en concluait qu′il n′avait rien à attendre de la marquise en laissant le maître d′hôtel et la femme de chambre de celle-ci, l′installer avec ses affaires, il rêvait tristement au sort envié de ses frères et conservait son immobilité végétale. Beside the row of carriages, in front of the porch in which I stood waiting, was planted, like some shrub of a rare species, a young page who attracted the eye no less by the unusual and effective colouring of his hair than by his plant-like epidermis. Inside, in the hall, corresponding to the narthex, or Church of the Catechumens in a primitive basilica, through which persons who were not staying in the hotel were entitled to pass, the comrades of this ‘outside′ page did not indeed work much harder than he but did at least execute certain drilled movements. It is probable that in the early morning they helped with the cleaning. But in the afternoon they stood there only like a Chorus who, even when there is nothing for them to do, remain upon the stage in order to strengthen the cast. The General Manager, the same who had so terrified me, reckoned on increasing their number considerably next year, for he had ‘big ideas.′ And this prospect greatly afflicted the manager of the hotel, who found that all these boys about the place only ‘created a nuisance,′ by which he meant that they got in the visitors′ way and were of no use to anyone. But between luncheon and dinner at least, between the exits and entrances of the visitors, they did fill an otherwise empty stage, like those pupils of Mme. de Maintenon who, in the garb of young Israelites, carry on the action whenever Esther or Joad ‘goes off.′ But the outside page, with his delicate tints, his tall, slender, fragile trunk, in proximity to whom I stood waiting for the Marquise to come downstairs, preserved an immobility into which a certain melancholy entered, for his elder brothers had left the hotel for more brilliant careers elsewhere, and he felt keenly his isolation upon this alien soil. At last Mme. de Villeparisis appeared. To stand by her carriage and to help her into it ought perhaps to have been part of the young page′s duties. But he knew on the one hand that a person who brings her own servants to an hotel expects them to wait on her and is not as a rule lavish with her ‘tips,′ and that generally speaking this was true also of the nobility of the old Faubourg Saint-Germain. Mme. de Villeparisis was included in both these categories. The arborescent page concluded therefore that he need expect nothing from her, and leaving her own maid and footman to pack her and her belongings into the carriage, he continued to dream sadly of the enviable lot of his brothers and preserved his vegetable immobility.
Nous partions; quelque temps après avoir contourné la station du chemin de fer nous entrions dans une route campagnarde qui me devint bientôt aussi familière que celles de Combray, depuis le coude où elle s′amorçait entre des clos charmants jusqu′au tournant où nous la quittions et qui avait de chaque côté des terres labourées. Au milieu d′elles, on voyait çà et là un pommier privé il est vrai de ses fleurs et ne portant plus qu′un bouquet de pistils, mais qui suffisait à m′enchanter parce que je reconnaissais ces feuilles inimitables dont la large étendue, comme le tapis d′estrade d′une fête nuptiale maintenant terminée avait été tout récemment foulée par la traîne de satin blanc des fleurs rougissantes. We would start off; some time after rounding the railway station, we came into a country road which soon became as familiar to me as the roads round Combray, from the bend where, like a fish-hook, it was baited with charming orchards, to the turning at which we left it, with tilled fields upon either side. Among these we could see here and there an apple-tree, stripped it was true of its blossom, and bearing no more now than a fringe of pistils, but sufficient even so to enchant me since I could imagine, seeing those inimitable leaves, how their broad expanse, like the ceremonial carpet spread for a wedding that was now over, had been but the other day swept by the white satin train of their blushing flowers.
Combien de fois à Paris dans le mois de mai de l′année suivante, il m′arriva d′acheter une branche de pommier chez le fleuriste et de passer ensuite la nuit devant ses fleurs où s′épanouissait la même essence crémeuse qui poudrait encore de son écume les bourgeons des feuilles et entre les blanches corolles desquelles il semblait que ce fût le marchand qui, par générosité envers moi, par goût inventif aussi et contraste ingénieux eût ajouté de chaque côté, en surplus, un seyant bouton rose; je les regardais, je les faisais poser sous ma lampe, — si longtemps que j′étais souvent encore là quand l′aurore leur apportait la même rougeur qu′elle devait faire en même temps à Balbec — et je cherchais à les reporter sur cette route par l′imagination, à les multiplier, à les étendre dans le cadre préparé, sur la toile toute prête, de ces clos dont je savais le dessin par cur et que j′aurais tant voulu, qu′un jour je devais, — revoir, — au moment où avec la verve ravissante du génie, le printemps couvre leur canevas de ses couleurs. How often in Paris, during the May of the following year, was I to bring home a branch of apple-blossom from the florist, and to stay all night long before its flowers in which bloomed the same creamy essence that powdered besides and whitened the green unfolding leaves, flowers between whose snowy cups it seemed almost as though it had been the salesman who had, in his generosity towards myself, out of his wealth of invention too and as an effective contrast, added on either side the supplement of a becoming crimson bud: I sat gazing at them, I grouped them in the light of my lamp — for so long that I was often still there when the dawn brought to their whiteness the same flush with which it must at that moment have been tingeing their sisters on the Balbec road — and I sought to carry them back in my imagination to that roadside, to multiply them, to spread them out, so as to fill the frame prepared for them, on the canvas, all ready, of those closes the outline of which I knew by heart, which I so longed to see — which one day I must see again, at the moment when, with the exquisite fervour of genius, spring was covering their canvas with its colours.
Avant de monter en voiture j′avais composé le tableau de mer que j′allais chercher, que j′espérais voir avec le «soleil rayonnant», et qu′à Balbec je n′apercevais que trop morcelé entre tant d′enclaves vulgaires et que mon rêve n′admettait pas, de baigneurs, de cabines, de yacht de plaisance. Mais quand la voiture de Mme de Villeparisis étant parvenue au haut d′une côte, j′apercevais la mer entre les feuillages des arbres, alors sans doute de si loin disparaissaient ces détails contemporains qui l′avaient mise comme en dehors de la nature et de l′histoire, et je pouvais en regardant les flots m′efforcer de penser que c′était les mêmes que Leconte de Lisle nous peint dans l′Orestie quand «tel qu′un vol d′oiseaux carnassiers dans l′aurore», les guerriers chevelus de l′héroî°µe Hellas «de cent mille avirons battaient le flot sonore». Mais en revanche je n′étais plus assez près de la mer qui ne me semblait pas vivante, mais figée, je ne sentais plus de puissance sous ses couleurs étendues comme celles d′une peinture entre les feuilles où elle apparaissait aussi inconsistante que le ciel, et seulement plus foncée que lui. Before getting into the carriage I had composed the seascape for which I was going to look out, which I had hoped to see with the ‘sun radiant′ upon it, and which at Balbec I could distinguish only in too fragmentary a form, broken by so many vulgar intromissions that had no place in my dream, bathers, dressing-boxes, pleasure yachts. But when, Mme. de Ville-parisis′s carriage having reached high ground, I caught a glimpse of the sea through the leafy boughs of trees, then no doubt at such a distance those temporal details which had set the sea, as it were, apart from nature and history disappeared, and I could as I looked down towards its waves make myself realise that they were the same which Leconte de Lisle describes for us in his Orestie, where “like a flight of birds of prey, before the dawn of day” the long-haired warriors of heroic Hellas “with oars an hundred thousand sweep the huge resounding deep.” But on the other hand I was no longer near enough to the sea which seemed to me not a living thing now, but fixed; I no longer felt any power beneath its colours, spread like those of a picture among the leaves, through which it appeared as inconsistent as the sky and only of an intenser blue.
Mme de Villeparisis voyant que j′aimais les églises me promettait que nous irions voir une fois l′une, une fois l′autre, et surtout celle de Carqueville «toute cachée sous son vieux lierre», dit-elle avec un mouvement de la main qui semblait envelopper avec goût la façade absente dans un feuillage invisible et délicat. Mme de Villeparisis avait souvent, avec ce petit geste descriptif, un mot juste pour définir le charme et la particularité d′un monument, évitant toujours les termes techniques, mais ne pouvant dissimuler qu′elle savait très bien les choses dont elle parlait. Elle semblait chercher à s′en excuser sur ce qu′un des châteaux de son père, et où elle avait été élevée, étant situé dans une région où il y avait des églises du même style qu′autour de Balbec il eût été honteux qu′elle n′eût pas pris le goût de l′architecture ce château étant d′ailleurs le plus bel exemplaire de celle de la Renaissance. Mais comme il était aussi un vrai musée, comme d′autre part Chopin et Listz y avaient joué, Lamartine récité des vers, tous les artistes connus de tout un siècle écrit des pensées, des mélodies, fait des croquis sur l′album familial. Mme de Villeparisis ne donnait, par grâce, bonne éducation, modestie réelle, ou manque d′esprit philosophique, que cette origine purement matérielle à sa connaissance de tous les arts, et finissait par avoir l′air de considérer la peinture, la musique, la littérature et la philosophie comme l′apanage d′une jeune fille élevée de la façon la plus aristocratique dans un monument classé et illustre. On aurait dit qu′il n′y avait pas pour elle d′autres tableaux que ceux dont on a hérités. Elle fut contente que ma grand′mère aimât un collier qu′elle portait et qui dépassait de sa robe. Il était dans le portrait d′une bisale à elle, par Titien, et qui n′était jamais sorti de la famille. Comme cela on était sûr que c′était un vrai. Elle ne voulait pas entendre parler des tableaux achetés on ne sait comment par un Crésus, elle était d′avance persuadée qu′ils étaient faux et n′avait aucun désir de les voir, nous savions qu′elle-même faisait des aquarelles de fleurs, et ma grand′mère qui les avait entendu vanter lui en parla. Mme de Villeparisis changea de conversation par modestie, mais sans montrer plus d′étonnement ni de plaisir qu′une artiste suffisamment connue à qui les compliments n′apprennent rien. Elle se contenta de dire que c′était un passe-temps charmant parce que si les fleurs nées du pinceau n′étaient pas fameuses, du moins les peindre vous faisait vivre dans la société des fleurs naturelles, de la beauté desquelles, surtout quand on était obligé de les regarder de plus près pour les imiter, on ne se lassait pas. Mais à Balbec Mme de Villeparisis se donnait congé pour laisser reposer ses yeux. Mme. de Villeparisis, seeing that I was fond of churches, promised me that we should visit one one day and another another, and especially the church at Carqueville ‘quite buried in all its old ivy,′ as she said with a wave of the hand which seemed tastefully to be clothing the absent ‘front′ in an invisible and delicate screen of foliage. Mme. de Villeparisis would often, with this little descriptive gesture, find just the right word to define the attraction and the distinctive features of an historic building, always avoiding technical terms, but incapable of concealing her thorough understanding of the things to which she referred. She appeared to seek an excuse for this erudition in the fact that one of her father′s country houses, the one in which she had lived as a girl, was situated in a district in which there were churches similar in style to those round Balbec, so that it would have been unaccountable if she had not acquired a taste for architecture, this house being, incidentally, one of the finest examples of that of the Renaissance. But as it was also a regular museum, as moreover Chopin and Liszt had played there, Lamartine recited poetry, all the most famous artists for fully a century inscribed ‘sentiments,′ scored melodies, made sketches in the family album, Mme. de Villeparisis ascribed, whether from delicacy, good breeding, true modesty or want of intelligence, only this purely material origin to her acquaintance with all the arts, and had come, apparently, to regard painting, music, literature and philosophy as the appanage of a young lady brought up on the most aristocratic lines in an historic building that was catalogued and starred. You would have said, listening to her, that she knew of no pictures that were not heirlooms. She was pleased that my grandmother liked a necklace which she wore, and which fell over her dress. It appeared in the portrait of an ancestress of her own by Titian which had never left the family. So that one could be certain of its being genuine. She would not listen to a word about pictures bought, heaven knew where, by a Croesus, she was convinced before you spoke that they were forgeries, and had so desire to see them. We knew that she herself painted flowers in water-colour, and my grandmother, who had heard these praised, spoke to her of them. Mme. de Villeparisis modestly changed the subject, but without shewing either surprise or pleasure more than would an artist whose reputation was established and to whom compliments meant nothing. She said merely that it was a delightful pastime because, even if the flowers that sprang from the brush were nothing wonderful, at least the work made you live in the company of real flowers, of the beauty of which, especially when you were obliged to study them closely in order to draw them, you could never grow tired. But at Balbec Mme. de Villeparisis was giving herself a holiday, so as to spare her eyes.
Nous fûmes étonnés, ma grand′mère et moi, de voir combien elle était plus «libérale» que même la plus grande partie de la bourgeoisie. Elle s′étonnait qu′on fût scandalisé des expulsions des jésuites, disant que cela s′était toujours fait, même sous la monarchie, même en Espagne. Elle défendait la République à laquelle elle ne reprochait son anticléricalisme que dans cette mesure: «Je trouverais tout aussi mauvais qu′on m′empêchât d′aller à la messe si j′en ai envie que d′être forcée d′y aller si je ne le veux pas», lançant même certains mots comme: «Oh! la noblesse aujourd′hui, qu′est-ce que c′est!» «Pour moi, un homme qui ne travaille pas, ce n′est rien», peut-être seulement parce qu′elle sentait ce qu′ils prenaient de piquant, de savoureux, de mémorable dans sa bouche. We were astonished, my grandmother and I, to find how much more ‘Liberal′ she was than even the majority of the middle class. She did not understand how anyone could be scandalised by the expulsion of the Jesuits, saying that it had always been done, even under the Monarchy, in Spain even. She took up the defence of the Republic, and against its anti-clericalism had not more to say than: “I should be equally annoyed whether they prevented me from hearing mass when I wanted to, or forced me to hear it when I didn′t!” and even startled us with such utterances as: “Oh! the aristocracy in these days, what does it amount to?” “To my mind, a man who doesn′t work doesn′t count!”— perhaps only because she felt that they gained point and flavour, became memorable, in fact, on her lips.
En entendant souvent exprimer avec franchise des opinions avancées — pas jusqu′au socialisme cependant qui était la bête noire de Mme de Villeparisis — précisément par une de ces personnes en considération de l′esprit desquelles, notre scrupuleuse et timide impartialité se refuse à condamner les idées des conservateurs, nous n′étions pas loin, ma grand′mère et moi, de croire qu′en notre agréable compagne, se trouvaient la mesure et le modèle de la vérité en toutes choses. Nous la croyions sur parole tandis qu′elle jugeait ses Titiens, la colonnade de son château, l′esprit de conversation de Louis-philippe. Mais — comme ces érudits qui émerveillent quand on les met sur la peinture égyptienne et les inscriptions étrusques, et qui parlant d′une façon si banale des uvres modernes que nous nous demandons si nous n′avons pas surfait l′intérêt des sciences où ils sont versés, puisque n′y apparaît pas cette même médiocrité qu′ils ont pourtant dû y apporter aussi bien que dans leurs niaises études sur Beaudelaire, — Mme de Villeparisis, interrogée par moi sur Chateaubriand, sur Balzac, sur Victor Hugo, tous reçus jadis par ses parents et entrevus par elle-même, riait de mon admiration, racontait sur eux des traits piquants comme elle venait de faire sur des grands seigneurs ou des hommes politiques, et jugeait sévèrement ces écrivains, précisément parce qu′ils avaient manqué de cette modestie, de cet effacement de soi, de cet art sobre qui se contente d′un seul trait juste et n′appuie pas, qui fuit plus que tout le ridicule de la grandiloquence, de cet à-propos, de ces qualités de modération de jugement et de simplicité, auxquelles on lui avait appris qu′atteint la vraie valeur: on voyait qu′elle n′hésitait pas à leur préférer des hommes qui, peut-être, en effet, avaient eu, à cause d′elles, l′avantage sur un Balzac, un Hugo, un Vigny, dans un salon, une académie, un conseil des ministres, Molé, Fontanes, Vitroles, Bersot, Pasquier, Lebrun, Salvandy ou Daru. When we heard these advanced opinions — though never so far advanced as to amount to Socialism, which Mme. de Villeparisis held in abhorrence — expressed so frequently and with so much frankness precisely by one of those people in consideration of whose intelligence our scrupulous and timid impartiality would refuse to condemn outright the ideas of the Conservatives, we came very near, my grandmother and I, to believing that in the pleasant companion of our drives was to be found the measure and the pattern of truth in all things. We took her word for it when she appreciated her Titians, the colonnade of her country house, the conversational talent of Louis-Philippe. But — like those mines of learning who hold us spellbound when we get them upon Egyptian paintings or Etruscan inscriptions, and yet talk so tediously about modern work that we ask ourselves whether we have not been over-estimating the interest of the sciences in which they are versed since there is not apparent in their treatment of them the mediocrity of mind which they must have brought to those studies just as much as to their fatuous essays on Baudelaire — Mme. de Villeparisis, questioned by me about Chateaubriand, about Balzac, about Victor Hugo, each of whom had in his day been the guest of her parents, and had been seen and spoken to by her, smiled at my reverence, told amusing anecdotes of them, such as she had a moment ago been telling us of dukes and statesmen, and severely criticised those writers simply because they had been lacking in that modesty, that self-effacement, that sober art which is satisfied with a single right line, and lays no stress on it, which avoids more than anything else the absurdity of grandiloquence, in that opportuneness, those qualities of moderation, of judgment and simplicity to which she had been taught that real greatness aspired and attained: it was evident that she had no hesitation in placing above them men who might after all, perhaps, by virtue of those qualities, have had the advantage of a Balzac, a Hugo, a Vigny in a drawing-room, an academy, a cabinet council, men like Mole, Fontanes, Vitroles, Bersot, Pasquier, Lebrun, Salvandy or Daru.
«C′est comme les romans de Stendhal pour qui vous aviez l′air d′avoir de l′admiration. Vous l′auriez beaucoup étonné en lui parlant sur ce ton. Mon père qui le voyait chez M. Mérimée — un homme de talent au moins celui-là — m′a souvent dit que Beyle (c′était son nom) était d′une vulgarité affreuse, mais spirituel dans un dîner, et ne s′en faisant pas accroire pour ses livres. Du reste, vous avez pu voir vous-même par quel haussement d′épaules il a répondu aux éloges outrés de M. de Balzac. En cela du moins il était homme de bonne compagnie.» Elle avait de tous ces grands hommes des autographes, et semblait, se prévalant des relations particulières que sa famille avait eues avec eux, penser que son jugement à leur égard était plus juste que celui de jeunes gens qui comme moi n′avaient pas pu les fréquenter. «Je crois que je peux en parler, car ils venaient chez mon père; et comme disait M. Sainte-Beuve, qui avait bien de l′esprit, il faut croire sur eux ceux qui les ont vus de près et ont pu juger plus exactement de ce qu′ils valaient.» “Like those novels of Stendhal, which you seem to admire. You would have given him a great surprise, I assure you, if you had spoken to him in that tone. My father, who used to meet him at M. Mérimée′s — now he was a man of talent, if you like — often told me that Beyle (that was his real name) was appallingly vulgar, but quite good company at dinner, and never in the least conceited about his books. Why, you can see for yourself how he just shrugged his shoulders at the absurdly extravagant compliments of M. de Balzac. There at least he shewed that he knew how to behave like a gentleman.” She possessed the autographs of all these great men, and seemed, when she put forward the personal relations which her family had had with them, to assume that her judgment of them must be better founded than that of young people who, like myself, had had no opportunity of meeting them. “I′m sure I have a right to speak, for they used to come to my father′s house; and as M. Sainte-Beuve, who was a most intelligent man, used to say, in forming an estimate you must take the word of people who saw them close, and were able to judge more exactly of their real worth.”
Parfois, comme la voiture gravissait une route montante entre des terres labourées, rendant les champs plus réels, leur ajoutant une marque d′authenticité, comme la précieuse fleurette dont certains maîtres anciens signaient leurs tableaux, quelques bleuets hésitants pareils à ceux de Combray suivaient notre voiture. Bientôt nos chevaux les distançaient, mais, mais après quelques pas, nous en apercevions un autre qui en nous attendant avait piqué devant nous dans l′herbe son étoile bleue; plusieurs s′enhardissaient jusqu′à venir se poser au bord de la route et c′était toute une nébuleuse qui se formait avec mes souvenirs lointains et les fleurs apprivoisées. Sometimes as the carriage laboured up a steep road through tilled country, making the fields more real, adding to them a mark of authenticity like the precious flower with which certain of the old masters used to sign their pictures, a few hesitating cornflowers, like the Combray cornflowers, would stream in our wake. Presently the horses outdistanced them, but a little way on we would catch sight of another which while it stayed our coming had pricked up to welcome us amid the grass its azure star; some made so bold as to come and plant themselves by the side of the road, and the impression left in my mind was a nebulous blend of distant memories and of wild flowers grown tame.
Nous redescendions la côte; alors nous croisions, la montant à pied, à bicyclette, en carriole ou en voiture, quelqu′une de ces créatures, — fleurs de la belle journée, mais qui ne sont pas comme les fleurs des champs, car chacune recèle quelque chose qui n′est pas dans une autre et qui empêchera que nous puissions contenter avec ses pareilles le désir qu′elle a fait naître en nous — quelque fille de ferme poussant sa vache ou à demi couchée sur une charrette, quelque fille de boutiquier en promenade, quelque élégante demoiselle assise sur le strapontin d′un landau, en face de ses parents. Certes Bloch m′avait ouvert une ère nouvelle et avait changé pour moi la valeur de la vie, le jour où il m′avait appris que les rêves que j′avais promenés solitairement du côté de Méséglise quand je souhaitais que passât une paysanne que je prendrais dans mes bras, n′étaient pas une chimère qui ne correspondait à rien d′extérieur à moi, mais que toutes les filles qu′on rencontrait, villageoises ou demoiselles étaient toutes prêtes à en exaucer de pareils. Et dussé-je, maintenant que j′étais souffrant et ne sortais pas seul, ne jamais pouvoir faire l′amour avec elles, j′étais tout de même heureux comme un enfant né dans une prison ou dans un hôpital et qui, ayant cru longtemps que l′organisme humain ne peut digérer que du pain sec et des médicaments, a appris tout d′un coup que les pêches, les abricots, le raisin, ne sont pas une simple parure de la campagne, mais des aliments délicieux et assimilables. Même si son geôlier ou son garde-malade ne lui permettent pas de cueillir ces beaux fruits, le monde cependant lui paraît meilleur et l′existence plus clémente. Car un désir nous semble plus beau, nous nous appuyons à lui avec plus de confiance quand nous savons qu′en dehors de nous la réalité s′y conforme, même si pour nous il n′est pas réalisable. Et nous pensons avec plus de joie à une vie où, à condition que nous écartions pour un instant de notre pensée le petit obstacle accidentel et particulier qui nous empêche personnellement de le faire, nous pouvons nous imaginer l′assouvissant. Pour les belles filles qui passaient, du jour où j′avais su que leurs joues pouvaient être embrassées, j′étais devenu curieux de leur âme. Et l′univers m′avait paru plus intéressant. We began to go down hill; and then met, climbing on foot, on a bicycle, in a cart or carriage, one of those creatures — flowers of a fine day but unlike the flowers of the field, for each of them secretes something that is not to be found in another, with the result that we can never satisfy upon any of her fellows the desire which she has brought to birth in us — a farm-girl driving her cow or half-lying along a waggon, a shopkeeper′s daughter taking the air, a fashionable young lady erect on the back seat of a landau, facing her parents. Certainly Bloch had been the means of opening a new era and had altered the value of life for me on the day when he had told me that the dreams which I had entertained on my solitary walks along the Méséglise way, when I hoped that some peasant girl might pass whom I could take in my arms, were not a mere fantasy which corresponded to nothing outside myself, but that all the girls one met, whether villagers or ‘young ladies,′ were alike ready and willing to give ear to such prayers. And even if I were fated, now that I was ill and did not go out by myself, never to be able to make love to them, I was happy all the same, like a child born in a prison or a hospital, who, having always supposed that the human organism was capable of digesting only dry bread and ‘physic,′ has learned suddenly that peaches, apricots and grapes are not simply part of the decoration of the country scene but delicious and easily assimilated food. Even if his gaoler or his nurse does not allow him to pluck those tempting fruits, still the world seems to him a better place and existence in it more clement. For a desire seems to us more attractive, we repose on it with more confidence, when we know that outside ourselves there is a reality which conforms to it, even if, for us, it is not to be realised. And we think with more joy of a life in which (on condition that we eliminate for a moment from our mind the tiny obstacle, accidental and special, which prevents us personally from doing so) we can imagine ourself to be assuaging that desire. As to the pretty girls who went past, from the day on which I had first known that their cheeks could be kissed, I had become curious about their souls. And the universe had appeared to me more interesting.
La voiture de Mme de Villeparisis allait vite. A peine avais-je le temps de voir la fillette qui venait dans notre direction; et pourtant — comme la beauté des êtres n′est pas comme celle des choses, et que nous sentons qu′elle est celle d′une créature unique, consciente et volontaire — dès que son individualité, âme vague, volonté inconnue de moi, se peignait en une petite image prodigieusement réduite, mais complète, au fond de son regard distrait, — aussitôt mystérieuse réplique des pollens tout préparés pour les pistils, je sentais saillir en moi l′embryon aussi vague, aussi minuscule, du désir de ne pas laisser passer cette fille, sans que sa pensée prît conscience de ma personne, sans que j′empêchasse ses désirs d′aller à quelqu′un d′autre, sans que je vinsse me fixer dans sa rêverie et saisir son cur. Cependant notre voiture s′éloignait, la belle fille était déjà derrière nous et comme elle ne possédait de moi aucune des notions qui constituent une personne, ses yeux qui m′avaient à peine vu, m′avaient déjà oublié. Était-ce parce que je ne l′avais qu′entreaperçue que je l′avais trouvée si belle. Peut-être. D′abord l′impossibilité de s′arrêter auprès d′une femme, le risque de ne pas la retrouver un autre jour lui donnent brusquement le même charme qu′à un pays la maladie ou la pauvreté qui nous empêchent de le visiter, ou qu′aux jours si ternes qui nous restent à vivre le combat où nous succomberons sans doute. De sorte que s′il n′y avait pas l′habitude, la vie devrait paraître délicieuse à des êtres qui seraient à chaque heure menacés de mourir, — c′est-à-dire à tous les hommes. Puis si l′imagination est entraînée par le désir de ce que nous ne pouvons posséder, son essor n′est pas limité par une réalité complètement perçue dans ces rencontres où les charmes de la passante sont généralement en relation directe avec la rapidité du passage. Pour peu que la nuit tombe et que la voiture aille vite, à la campagne, dans une ville, il n′y a pas un torse féminin mutilé comme un marbre antique par la vitesse qui nous entraîne et le crépuscule qui le noie, qui ne tire sur notre cur, à chaque coin de route, du fond de chaque boutique, les flèches de la Beauté, de la Beauté dont on serait parfois tenté de se demander si elle est en ce monde autre chose que la partie de complément qu′ajoute à une passante fragmentaire et fugitive notre imagination surexcitée par le regret. Mme. de Villeparisis′s carriage moved fast. Scarcely had I time to see the girl who was coming in our direction; and yet — as the beauty of people is not like the beauty of things, as we feel that it is that of an unique creature, endowed with consciousness and free-will — as soon as her individuality, a soul still vague, a will unknown to me, presented a tiny picture of itself, enormously reduced but complete, in the depths of her indifferent eyes, at once, by a mysterious response of the pollen ready in me for the pistils that should receive it, I felt surging through me the embryo, as vague, as minute, of the desire not to let this girl pass without forcing her mind to become conscious of my person, without preventing her desires from wandering to some one else, without coming to fix myself in her dreams and to seize and occupy her heart. Meanwhile our carriage rolled away from her, the pretty girl was already left behind, and as she had — of me — none of those notions which constitute a person in one′s mind, her eyes which had barely seen me had forgotten me already. Was it because I had caught but a fragmentary glimpse of her that I had found her so attractive? It may have been. In the first place, the impossibility of stopping when I came to her, the risk of not meeting her again another day, give at once to such a girl the same charm as a place derives from the illness or poverty that prevents us from visiting it, or the so unadventurous days through which we should otherwise have to live from the battle in which we shall doubtless fall. So that, if there were no such thing as habit, life must appear delightful to those of us who would at every moment be threatened with death — that is to say, to all mankind. Then, if our imagination is set going by the desire for what we may not possess, its flight is not limited by a reality completely perceived, in these casual encounters in which the charms of the passing stranger are generally in direct ratio to the swiftness of our passage. If only night is falling and the carriage is moving fast, whether in town or country, there is not a female torso, mutilated like an antique marble by the speed that tears us away and the dusk that drowns it, but aims at our heart, from every turning in the road, from the lighted interior of every shop, the arrows of Beauty, that Beauty of which we are sometimes tempted to ask ourselves whether it is, in this world, anything more than the complementary part that is added to a fragmentary and fugitive stranger by our imagination over-stimulated by regret.
Si j′avais pu descendre parler à la fille que nous croisions, peut-être eussé-je été désillusionné par quelque défaut de sa peau que de la voiture je n′avais pas distingué? (Et alors, tout effort pour pénétrer dans sa vie m′eût semblé soudain impossible. Car la beauté est une suite d′hypothèses que rétrécit la laideur en barrant la route que nous voyions déjà s′ouvrir sur l′inconnu.) Peut-être un seul mot qu′elle eût dit, un sourire, m′eussent fourni une clef, un chiffre inattendus, pour lire l′expression de sa figure et de sa démarche, qui seraient aussitôt devenues banales. C′est possible, car je n′ai jamais rencontré dans la vie de filles aussi désirables que les jours où j′étais avec quelque grave personne que malgré les mille prétextes que j′inventais je ne pouvais quitter: quelques années après celle où j′allai pour la première fois à Balbec, faisant à Paris une course en voiture avec un ami de mon père et ayant aperçu une femme qui marchait vite dans la nuit, je pensai qu′il était déraisonnable de perdre pour une raison de convenances, ma part de bonheur dans la seule vie qu′il y ait sans doute, et sautant à terre sans m′excuser, je me mis à la recherche de l′inconnue, la perdis au carrefour de deux rues, la retrouvai dans une troisième, et me trouvai enfin, tout essoufflé, sous un réverbère, en face de la vieille Mme Verdurin que j′évitais partout et qui heureuse et surprise s′écria: Had I been free to stop, to get down from the carriage and to speak to the girl whom we were passing, should I perhaps have been disillusioned by some fault in her complexion which from the carriage I had not distinguished? (After which every effort to penetrate into her life would have seemed suddenly impossible. For beauty is a sequence of hypotheses which ugliness cuts short when it bars the way that we could already see opening into the unknown.) Perhaps a single word which she might have uttered, a smile, would have furnished me with a key, a clue that I had not expected, to read the expression of her face, to interpret her bearing, which would at once have ceased to be of any interest. It is possible, for I have never in real life met any girls so desirable as on days when I was with some serious person from whom, despite the — myriad pretexts that I invented, I could not tear myself away: some years after that in which I went for the first time to Balbec, as I was driving through Paris with a friend of my father, and had caught sight of a woman walking quickly along the dark street, I felt that it was unreasonable to forfeit, for a purely conventional scruple, my share of happiness in what may very well be the only life there is, and jumping from the carriage without a word of apology I followed in quest of the stranger; lost her where two streets crossed; caught her up again in a third, and arrived at last, breathless, beneath a street lamp, face to face with old Mme. Verdurin whom I had been carefully avoiding for years, and who, in her delight and surprise, exclaimed:
«Oh! comme c′est aimable d′avoir couru pour me dire bonjour.» “But how very nice of you to have run all this way just to say how d′ye do to me!”
Cette année-là, à Balbec, au moment de ces rencontres, j′assurais à ma grand′mère, à Mme de Villeparisis qu′à cause d′un grand mal de tête, il valait mieux que je rentrasse seul à pied. Elles refusaient de me laisser descendre. Et j′ajoutais la belle fille (bien plus difficile à retrouver que ne l′est un monument, car elle était anonyme et mobile) à la collection de toutes celles que je me promettais de voir de près. Une pourtant se trouva repasser sous mes yeux, dans des conditions telles que je crus que je pourrais la connaître comme je voudrais. C′était une laitière qui vint d′une ferme apporter un supplément de crème à l′hôtel. Je pensai qu′elle m′avait aussi reconnu et elle me regardait, en effet, avec une attention qui n′était peut-être causée que par l′étonnement que lui causait la mienne. Or le lendemain, jour où je m′étais reposé toute la matinée quand Françoise vint ouvrir les rideaux vers midi, elle me remit une lettre qui avait été déposée pour moi à l′hôtel. Je ne connaissais personne à Balbec. Je ne doutai pas que la lettre ne fût de la laitière. Hélas, elle n′était que de Bergotte qui, de passage, avait essayé de me voir, mais ayant su que je dormais m′avait laissé un mot charmant pour lequel le liftman avait fait une enveloppe que j′avais cru écrite par la laitière. J′étais affreusement déçu, et l′idée qu′il était plus difficile et plus flatteur d′avoir une lettre de Bergotte, ne me consolait en rien qu′elle ne fût pas de la laitière. Cette fille-là même, je ne la retrouvai pas plus que celles que j′apercevais seulement de la voiture de Mme de Villeparisis. La vue et la perte de toutes accroissaient l′état d′agitation où je vivais et je trouvais quelque sagesse aux philosophes qui nous recommandent de borner nos désirs (si toutefois ils veulent parler du désir des êtres, car c′est le seul qui puisse laisser de l′anxiété, s′appliquant à de l′inconnu conscient. Supposer que la philosophie veut parler du désir des richesses serait trop absurde). Pourtant j′étais disposé à juger cette sagesse incomplète, car je me disais que ces rencontres me faisaient trouver encore plus beau un monde qui fait ainsi croître sur toutes les routes campagnardes des fleurs à la fois singulières et communes, trésors fugitifs de la journée, aubaines de la promenade, dont les circonstances contingentes qui ne se reproduiraient peut-être pas toujours m′avaient seules empêché de profiter, et qui donnent un goût nouveau à la vie. That year at Balbec, at the moments of such encounters, I would assure my grandmother and Mme. de Villeparisis that I had so severe a headache that the best thing for me would be to go home alone on foot. But they would never let me get out of the carriage. And I must add that pretty girl (far harder to find again than an historic building, for she was nameless and had the power of locomotion) to the collection of all those whom I promised myself that I would examine more closely at a later date. One of them, however, happened to pass more than once before my eyes in circumstances which allowed me to believe that I should be able to get to know her when I chose. This was a milk-girl who came from a farm with an additional supply of cream for the hotel. I fancied that she had recognised me also; and she did, in fact, look at me with an attentiveness which was perhaps due only to the surprise which my attentiveness caused her. And next day, a day on which I had been resting all morning, when Françoise came in about noon to draw my curtains, she handed me a letter which had been left for me downstairs. I knew no one at Balbec. I had no doubt that the letter was from the milk-girl. Alas, it was only from Bergotte who, as he happened to be passing, had tried to see me, but on hearing that I was asleep had scribbled a few charming lines for which the lift-boy had addressed an envelope which I had supposed to have been written by the milk-girl. I was bitterly disappointed, and the thought that it was more difficult, and more flattering to myself to get a letter from Bergotte did not in the least console me for this particular letter′s not being from her. As for the girl, I never came across her again any more than I came across those whom I had seen only from Mme. de Ville-parisis′s carriage. Seeing and then losing them all thus increased the state of agitation in which I was living, and I found a certain wisdom in the philosophers who recommend us to set a limit to our desires (if, that is, they refer to our desire for people, for that is the only kind that ends in anxiety, having for its object a being at once unknown and unconscious. To suppose that philosophy could refer to the desire for wealth would be too silly.). At the same time I was inclined to regard this wisdom as incomplete, for I said to myself that these encounters made me find even more beautiful a world which thus caused to grow along all the country roads flowers at once rare and common, fleeting treasures of the day, windfalls of the drive, of which the contingent circumstances that would never, perhaps, recur had alone prevented me from taking advantage, and which gave a new zest to life.
Mais peut-être, en espérant qu′un jour, plus libre, je pourrais trouver sur d′autres routes de semblables filles, je commençais déjà à fausser ce qu′a d′exclusivement individuel le désir de vivre auprès d′une femme qu′on a trouvé jolie, et du seul fait que j′admettais la possibilité de le faire naître artificiellement, j′en avais implicitement reconnu l′illusion. But perhaps in hoping that, one day, with greater freedom, I should be able to find on other roads girls much the same, I was already beginning to falsify and corrupt what there is exclusively individual in the desire to live in the company of a woman whom one has found attractive, and by the mere fact that I admitted the possibility of making this desire grow artificially, I had implicitly acknowledged my allusion.
Le jour que Mme de Villeparisis nous mena à Carqueville où était cette église couverte de lierre dont elle avait parlé et qui, bâtie sur un tertre, domine le village, la rivière qui le traverse et qui a conservé son petit pont du moyen âge, ma grand′mère, pensant que je serais content d′être seul pour regarder le monument, proposa à mon amie d′aller goûter chez le pâtissier, sur la place qu′on apercevait distinctement et qui sous sa patine dorée était comme une autre partie d′un objet tout entier ancien. Il fut convenu que j′irais les y retrouver. Dans le bloc de verdure devant lequel on me laissa, il fallait pour reconnaître une église faire un effort qui me fît serrer de plus près l′idée d′église; en effet, comme il arrive aux élèves qui saisissent plus complètement le sens d′une phrase quand on les oblige par la version ou par le thème à la dévêtir des formes auxquelles ils sont accoutumés, cette idée d′église dont je n′avais guère besoin d′habitude devant des clochers qui se faisaient reconnaître d′eux-mêmes, j′étais obligé d′y faire perpétuellement appel pour ne pas oublier, ici que le cintre de cette touffe de lierre était celui d′une verrière ogivale, là, que la saillie des feuilles était due au relief d′un chapiteau. Mais alors un peu de vent soufflait, faisait frémir le porche mobile que parcouraient des remous propagés et tremblants comme une clarté; les feuilles déferlaient les unes contre les autres; et frisssonnante, la façade végétale entraînait avec elle les piliers onduleux, caressés et fuyants. The day on which Mme. de Villeparisis took us to Carqueville, where there was that church, covered in ivy, of which she had spoken to us, a church that, built upon rising ground, dominated both its village and the river that flowed beneath it, and had kept its own little bridge from the middle ages, my grandmother, thinking that I would like to be left alone to study the building at my leisure, suggested to her friend that they should go on and wait for me at the pastry-cook′s, in the village square which was clearly visible from where we were and, in its mellow bloom in the sunshine, seemed like another part of a whole that was all mediaeval. It was arranged that I should join them there later. In the mass of verdure before which I was left standing I was obliged, if I was to discover the church, to make a mental effort which involved my grasping more intensely the idea ‘Church′; in fact, as happens to schoolboys who gather more fully the meaning of a sentence when they are made, by translating or by paraphrasing it, to divest it of the forms to which they are accustomed, this idea of ‘Church,′ which as a rule I scarcely needed when I stood beneath steeples that were recognisable in themselves, I was obliged perpetually to recall so as not to forget, here that the arch in this clump of ivy was that of a pointed window, there that the projection of the leaves was due to the swelling underneath of a capital. Then came a breath of wind, and sent a tremor through the mobile porch, which was overrun by eddies that shot and quivered like a flood of light; the pointed leaves opened one against another; and, shuddering, the arboreal front drew after it green pillars, undulant, caressed and fugitive.
Comme je quittais l′église, je vis devant le vieux pont des filles du village qui sans doute parce que c′était un dimanche se tenaient attifées, interpellant les garçons qui passaient. Moins bien vêtue que les autres, mais semblant les dominer par quelque ascendant, — car elle répondait à peine à ce qu′elles lui disaient — l′air plus grave et plus volontaire, il y en avait une grande qui assise à demi sur le rebord du pont, laissant pendre ses jambes, avait devant elle un petit pot plein de poissons qu′elle venait probablement de pêcher. Elle avait un teint bruni, des yeux doux, mais un regard dédaigneux de ce qui l′entourait, un petit nez d′une forme fine et charmante. Mes regards se posaient sur sa peau et mes lèvres à la rigueur pouvaient croire qu′elles avaient suivi mes regards. Mais ce n′est pas seulement son corps que j′aurais voulu atteindre, c′était aussi la personne, qui vivait en lui et avec laquelle il n′est qu′une sorte d′attouchement, qui est d′attirer son attention, qu′une sorte de pénétration, y éveiller une idée. As I came away from the church I saw by the old bridge a cluster of girls from the village who, probably because it was Sunday, were standing about in their best clothes, rallying the young men who went past. Not so well dressed as the others, but seeming to enjoy some ascendancy over them — for she scarcely answered when they spoke to her — with a more serious and a more determined air, there was a tall one who, hoisted upon the parapet of the bridge with her feet hanging down, was holding on her lap a small vessel full of fish which she had presumably just been catching. She had a tanned complexion, gentle eyes but with a look of contempt for her surroundings, a small nose, delicately and attractively modelled. My eyes rested upon her skin; and my lips, had the need arisen, might have believed that they had followed my eyes. But it was not only to her body that I should have liked to attain, there was also her person, which abode within her, and with which there is but one form of contact, namely to attract its attention, but one sort of penetration, to awaken an idea in it.
Et cet être intérieur de la belle pêcheuse, semblait m′être clos encore, je doutais si j′y étais entré, même après que j′eus aperçu ma propre image se refléter furtivement dans le miroir de son regard, suivant un indice de réfraction qui m′était aussi inconnu que si je me fusse placé dans le champ visuel d′une biche. Mais de même qu′il ne m′eût pas suffi que mes lèvres prissent du plaisir sur les siennes mais leur en donnassent, de même j′aurais voulu que l′idée de moi qui entrerait en cet être, qui s′y accrocherait, n′amenât pas à moi seulement son attention, mais son admiration, son désir, et le forçât à garder mon souvenir jusqu′au jour où je pourrais le retrouver. Cependant, j′apercevais à quelques pas la place où devait m′attendre la voiture de Mme de Villeparisis. Je n′avais qu′un instant; et déjà je sentais que les filles commençaient à rire de me voir ainsi arrêté. J′avais cinq francs dans ma poche. Je les en sortis, et avant d′expliquer à la belle fille la commission dont je la chargeais, pour avoir plus de chance qu′elle m′écoutât, je tins un instant la pièce devant ses yeux: And this inner self of the charming fisher-girl seemed to be still closed to me, I was doubtful whether I had entered it, even after I had seen my own image furtively reflect itself in the twin mirrors of her gaze, following an index of refraction that was as unknown to me as if I had been placed in the field of vision of a deer. But just as it would not have sufficed that my lips should find pleasure in hers without giving pleasure to them also, so I should have wished that the idea of me which was to enter this creature, was to fasten itself in her, should attract to me not merely her attention but her admiration, her desire, and should compel her to keep me in her memory until the day when I should be able to meet her again. Meanwhile I could see, within a stone′s-throw, the square in which Mme. de Villeparisis′s carriage must be waiting for me. I had not a moment to lose; and already I could feel that the girls were beginning to laugh at the sight of me thus held suspended before them. I had a five-franc piece in my pocket. I drew it out, and, before explaining to the girl the errand on which I proposed to send her, so as to have a better chance of her listening to me, I held the coin for a moment before her eyes.
— Puisque vous avez l′air d′être du pays, dis-je à la pêcheuse, est-ce que vous auriez la bonté de faire une petite course pour moi? Il faudrait aller devant un pâtissier qui est paraît-il sur une place, mais je ne sais pas où c′est, et où une voiture m′attend. Attendez! . . . pour ne pas confondre vous demanderez si c′est la voiture de la marquise de Villeparisis. Du reste vous verrez bien, elle a deux chevaux. “Since you seem to belong to the place,” I said to her, “I wonder if you would be so good as to take a message for me. I want you to go to a pastrycook′s — which is apparently in a square, but I don′t know where that is — where there is a carriage waiting for me. One moment! To make quite sure, will you ask if the carriage belongs to the Marquise de Villeparisis? But you can′t miss it; it′s a carriage and pair.”
C′était cela que je voulais qu′elle sût pour prendre une grande idée de moi. Mais quand j′eus prononcé les mots «marquise» et «deux chevaux», soudain j′éprouvai un grand apaisement. Je sentis que la pêcheuse se souviendrait de moi et se dissiper avec mon effroi de ne pouvoir la retrouver, une partie de mon désir de la retrouver. Il me semblait que je venais de toucher sa personne avec des lèvres invisibles et que je lui avais plu. Et cette prise de force de son esprit, cette possession immatérielle, lui avait ôté de son mystère autant que fait la possession physique. That was what I wished her to know, so that she should regard me as someone of importance. But when I had uttered the words ‘Marquise′ and ‘carriage and pair,′ suddenly I had a great sense of calm. I felt that the fisher-girl would remember me, and I felt vanishing, with my fear of not being able to meet her again, part also of my desire to meet her. It seemed to me that I had succeeded in touching her person with invisible lips, and that I had pleased her. And this assault and capture of her mind, this immaterial possession had taken from her part of her mystery, just as physical possession does.
Nous descendîmes sur Hudimesnil; tout d′un coup je fus rempli de ce bonheur profond que je n′avais pas souvent ressenti depuis Combray, un bonheur analogue à celui que m′avaient donné, entre autres, les clochers de Martinville. Mais cette fois il resta incomplet. Je venais d′apercevoir, en retrait de la route en dos d′âne que nous suivions, trois arbres qui devaient servir d′entrée à une allée couverte et formaient un dessin que je ne voyais pas pour la première fois, je ne pouvais arriver à reconnaître le lieu dont ils étaient comme détachés mais je sentais qu′il m′avait été familier autrefois; de sorte que mon esprit ayant trébuché entre quelque année lointaine et le moment présent, les environs de Balbec vacillèrent et je me demandai si toute cette promenade n′était pas une fiction, Balbec un endroit où je n′étais jamais allé que par l′imagination, Mme de Villeparisis un personnage de roman et les trois vieux arbres la réalité qu′on retrouve en levant les yeux de dessus le livre qu′on était en train de lire et qui vous décrivait un milieu dans lequel on avait fini par se croire effectivement transporté. We came down towards Hudimesnil; suddenly I was overwhelmed with that profound happiness which I had not often felt since Combray; happiness analogous to that which had been given me by — among other things — the steeples of Martinville. But this time it remained incomplete. I had just seen, standing a little way back from the steep ridge over which we were passing, three trees, probably marking the entrance to a shady avenue, which made a pattern at which I was looking now not for the first time; I could not succeed in reconstructing the place from which they had been, as it were, detached, but I felt that it had been familiar to me once; so that my mind having wavered between some distant year and the present moment, Balbec and its surroundings began to dissolve and I asked myself whether the whole of this drive were not a make-believe, Balbec a place to which I had never gone save in imagination, Mme. de Villeparisis a character in a story and the three old trees the reality which one recaptures on raising one′s eyes from the book which one has been reading and which describes an environment into which one has come to believe that one has been bodily transported.
Je regardais les trois arbres, je les voyais bien, mais mon esprit sentait qu′ils recouvraient quelque chose sur quoi il n′avait pas prise, comme sur ces objets placés trop loin dont nos doigts allongés au bout de notre bras tendu, effleurent seulement par instant l′enveloppe sans arriver à rien saisir. Alors on se repose un moment pour jeter le bras en avant d′un élan plus fort et tâcher d′atteindre plus loin. Mais pour que mon esprit pût ainsi se rassembler, prendre son élan, il m′eût fallu être seul. Que j′aurais voulu pouvoir m′écarter comme je faisais dans les promenades du côté de Guermantes quand je m′isolais de mes parents. Il me semblait même que j′aurais dû le faire. Je reconnaissais ce genre de plaisir qui requiert, il est vrai, un certain travail de la pensée sur elle-même, mais à côté duquel les agréments de la nonchalance qui vous fait renoncer à lui, semblent bien médiocres. Ce plaisir, dont l′objet n′était que pressenti, que j′avais à créer moi-même, je ne l′éprouvais que de rares fois, mais à chacune d′elles il me semblait que les choses qui s′étaient passées dans l′intervalle n′avaient guère d′importance et qu′en m′attachant à la seule réalité je pourrais commencer enfin une vraie vie. Je mis un instant ma main devant mes yeux pour pouvoir les fermer sans que Mme de Villeparisis s′en aperçût. Je restai sans penser à rien, puis de ma pensée ramassée, ressaisie avec plus de force, je bondis plus avant dans la direction des arbres, ou plutôt dans cette direction intérieure au bout de laquelle je les voyais en moi-même. Je sentis de nouveau derrière eux le même objet connu mais vague et que je pus ramener à moi. Cependant tous trois au fur et à mesure que la voiture avançait, je les voyais s′approcher. Où les avais-je déjà regardés? Il n′y avait aucun lieu autour de Combray, où une allée s′ouvrit ainsi. Le site qu′ils me rappelaient il n′y avait pas de place pour lui davantage dans la campagne allemande où j′étais allé une année avec ma grand′mère prendre les eaux. Fallait-il croire qu′ils venaient d′années déjà si lointaines de ma vie que le paysage qui les entourait avait été entièrement aboli dans ma mémoire et que, comme ces pages qu′on est tout d′un coup ému de retrouver dans un ouvrage qu′on s′imaginait n′avoir jamais lu, ils surnageaient seuls du livre oublié de ma première enfance. N′appartenaient-ils au contraire qu′à ces paysages du rêve, toujours les mêmes, du moins pour moi chez qui leur aspect étrange n′était que l′objectivation dans mon sommeil de l′effort que je faisais pendant la veille soit pour atteindre le mystère dans un lieu derrière l′apparence duquel je pressentais, comme cela m′était arrivé si souvent du côté de Guermantes, soit pour essayer de le réintroduire dans un lieu que j′avais désiré connaître et qui du jour où je l′avais connu n′avait paru tout superficiel, comme Balbec? N′étaient-ils qu′une image toute nouvelle détachée d′un rêve de la nuit précédente mais déjà si effacée qu′elle me semblait venir de beaucoup plus loin? Ou bien ne les avais-je jamais vus et cachaient-ils derrière eux comme tels arbres, telle touffe d′herbes que j′avais vus du côté de Guermantes un sens aussi obscur, aussi difficile à saisir qu′un passé lointain de sorte que, sollicité par eux d′approfondir une pensée, je croyais avoir à reconnaître un souvenir. Ou encore ne cachaient-ils même pas de pensées et était-ce une fatigue de ma vision qui me les faisait voir doubles dans le temps comme on voit quelquefois double dans l′espace? Je ne savais. Cependant ils venaient vers moi; peut-être apparition mythique, ronde de sorcières ou de nornes qui me proposait ses oracles. Je crus plutôt que c′étaient des fantômes du passé, de chers compagnons de mon enfance, des amis disparus qui invoquaient nos communs souvenirs. Comme des ombres ils semblaient me demander de les emmener avec moi, de les rendre à la vie. Dans leur gesticulation naîµ¥ et passionnée, je reconnaissais le regret impuissant d′un être aimé qui a perdu l′usage de la parole, sent qu′il ne pourra nous dire ce qu′il veut et que nous ne savons pas deviner. Bientôt à un croisement de routes, la voiture les abandonna. Elle m′entraînait loin de ce que je croyais seul vrai, de ce qui m′eût rendu vraiment heureux, elle ressemblait à ma vie. I looked at the three trees; I could see them plainly, but my mind felt that they were concealing something which it had not grasped, as when things are placed out of our reach, so that our fingers, stretched out at arm′s-length, can only touch for a moment their outer surface, and can take hold of nothing. Then we rest for a little while before thrusting out our arm with refreshed vigour, and trying to reach an inch or two farther. But if my mind was thus to collect itself, to gather strength, I should have to be alone. What would I not have given to be able to escape as I used to do on those walks along the Guermantes way, when I detached myself from my parents! It seemed indeed that I ought to do so now. I recognised that kind of pleasure which requires, it is true, a certain effort on the part of the mind, but in comparison with which the attractions of the inertia which inclines us to renounce that pleasure seem very slight. That pleasure, the object of which I could but dimly feel, that pleasure which I must create for myself, I experienced only on rare occasions, but on each of these it seemed to me that the things which had happened in the interval were of but scant importance, and that in attaching myself to the reality of that pleasure alone I could at length begin to lead a new life. I laid my hand for a moment across my eyes, so as to be able to shut them without Mme. de Villeparisis′s noticing. I sat there, thinking of nothing, then with my thoughts collected, compressed and strengthened I sprang farther forward in the direction of the trees, or rather in that inverse direction at the end of which I could see them growing within myself. I felt again behind them the same object, known to me and yet vague, which I could not bring nearer. And yet all three of them, as the carriage moved on, I could see coming towards me. Where had I looked at them before? There was no place near Combray where an avenue opened off the road like that. The site which they recalled to me, there was no room for it either in the scenery of the place in Germany where I had gone one year with my grandmother to take the waters. Was I to suppose, then, that they came from years already so remote in my life that the landscape which accompanied them had been entirely obliterated from my memory, and that, like the pages which, with sudden emotion, we recognise in a book which we imagined that we had never read, they surged up by themselves out of the forgotten chapter of my earliest infancy? Were they not rather to be numbered among those dream landscapes, always the same, at least for me in whom their unfamiliar aspect was but the objectivation in my dreams of the effort that I had been making while awake either to penetrate the mystery of a place beneath the outward appearance of which I was dimly conscious of there being something more, as had so often happened to me on the Guermantes way, or to succeed in bringing mystery back to a place which I had longed to know and which, from the day on which I had come to know it, had seemed to me to be wholly superficial, like Balbec? Or were they but an image freshly extracted from a dream of the night before, but already so worn, so altered that it seemed to me to come from somewhere far more distant? Or had I indeed never seen them before; did they conceal beneath their surface, like the trees, like the tufts of grass that I had seen beside the Guermantes way, a meaning as obscure, as hard to grasp as is a distant past, so that, whereas they are pleading with me that I would master a new idea, I imagined that I had to identify something in my memory? Or again were they concealing no hidden thought, and was it simply my strained vision that made me see them double in time as one occasionally sees things double in space? I could not tell. And yet all the time they were coming towards me; perhaps some fabulous apparition, a ring of witches or of norns who would propound their oracles to me. I chose rather to believe that they were phantoms of the past, dear companions of my childhood, vanished friends who recalled our common memories. Like ghosts they seemed to be appealing to me to take them with me, to bring them back to life. In their simple, passionate gesticulation I could discern the helpless anguish of a beloved person who has lost the power of speech, and feels that he will never be able to say to us what he wishes to say and we can never guess. Presently, at a cross-roads, the carriage left them. It was bearing me away from what alone I believed to be true, what would have made me truly happy; it was like my life.
Je vis les arbres s′éloigner en agitant leurs bras désespérés, semblant me dire: ce que tu n′apprends pas de nous aujourd′hui tu ne le sauras jamais. Si tu nous laisses retomber au fond de ce chemin d′où nous cherchions à nous hisser jusqu′à toi, toute une partie de toi-même que nous t′apportions tombera pour jamais au néant. En effet, si dans la suite je retrouvai le genre de plaisir et d′inquiétude que je venais de sentir encore une fois, et si un soir — trop tard, mais pour toujours — je m′attachai à lui, de ces arbres eux-mêmes en revanche je ne sus jamais ce qu′ils avaient voulu m′apporter ni où je les avais vus. Et quand la voiture ayant bifurqué, je leur tournai le dos et cessai de les voir, tandis que Mme de Villeparisis, me demandant pourquoi j′avais l′air rêveur, j′étais triste comme si je venais de perdre un ami, de mourir moi-même, de renier un mort ou de méconnaître un Dieu. I watched the trees gradually withdraw, waving their despairing arms, seeming to say to me: “What you fail to learn from us to-day, you will never know. If you allow us to drop back into the hollow of this road from which we sought to raise ourselves up to you, a whole part of yourself which we were bringing to you will fall for ever into the abyss.” And indeed if, in the course of time, I did discover the kind of pleasure and of disturbance which I had just been feeling once again, and if one evening — too late, but then for all time — I fastened myself to it, of those trees themselves I was never to know what they had been trying to give me nor where else I had seen them. And when, the road having forked and the carriage with it, I turned my back on them and ceased to see them, with Mme. de Villeparisis asking me what I was dreaming about, I was as wretched as though I had just lost a friend, had died myself, had broken faith with the dead or had denied my God.
Il fallait songer au retour. Mme de Villeparisis qui avait un certain sens de la nature, plus froid que celui de ma grand′mère mais qui sait reconnaître même en dehors des musées et des demeures aristocratiques, la beauté simple et majestueuse de certaines choses anciennes, disait au cocher de prendre la vieille route de Balbec, peu fréquentée, mais plantée de vieux ormes qui nous semblaient admirables. It was time to be thinking of home. Mme. de Villeparisis, who had a certain feeling for nature, colder than that of my grandmother but capable of recognising, even outside museums and noblemen′s houses, the simple and majestic beauty of certain old and venerable things, told her coachman to take us back by the old Balbec road, a road little used but planted with old elm-trees which we thought quite admirable.
Une fois que nous connûmes cette vieille route, pour changer, nous revînmes, à moins que nous ne l′eussions prise à l′aller, par une autre qui traversait les bois de Chantereine et de Canteloup. L′invisibilité des innombrables oiseaux qui s′y répondaient tout à côté de nous dans les arbres donnait la même impression de repos qu′on a les yeux fermés. Enchaîné à mon strapontin comme Prométhée sur son rocher, j′écoutais mes Océanides. Et, quand par hasard, j′apercevais l′un de ces oiseaux qui passait d′une feuille sous une autre, il y avait si peu de lien apparent entre lui et ces chants que je ne croyais pas voir la cause de ceux-ci dans ce petit corps sautillant, étonné et sans regard. Once we had got to know this road, for a change we would return — that is, if we had not taken it on the outward journey — by another which ran through the woods of Chantereine and Canteloup. The invisibility of the numberless birds that took up one another′s song close beside us in the trees gave me the same sense of being at rest that one has when one shuts one′s eyes. Chained to my back-seat like Prometheus on his rock I listened to my Oceanides. And when it so happened that I caught a glimpse of one of those birds as it passed from one leaf to another, there was so little apparent connexion between it and the songs that I heard that I could not believe that I was beholding their cause in that little body, fluttering, startled and unseeing.
Cette route était pareille à bien d′autres de ce genre qu′on rencontre en France, montant en pente assez raide, puis redescendant sur une grande longueur. Au moment même, je ne lui trouvais pas un grand charme, j′étais seulement content de rentrer. Mais elle devint pour moi dans la suite une cause de joies en restant dans ma mémoire comme une amorce où toutes les routes semblables sur lesquelles je passerais plus tard au cours d′une promenade ou d′un voyage s′embrancheraient aussitôt sans solution de continuité et pourraient grâce à elle, communiquer immédiatement avec mon cur. Car dès que la voiture ou l′automobile s′engagerait dans une de ces routes qui auraient l′air d′être la continuation de celle que j′avais parcourue avec Mme de Villeparisis, ce à quoi ma conscience actuelle se trouverait immédiatement appuyée comme à mon passé le plus récent, ce serait (toutes les années intermédiaires se trouvant abolies) les impressions que j′avais eues par ces fins d′après-midi-là, en promenade près de Balbec, quand les feuilles sentaient bon, que la brume s′élevait et qu′au delà du prochain village, on apercevrait entre les arbres le coucher du soleil comme s′il avait été quelque localité suivante, forestière, distante et qu′on n′atteindra pas le soir même. Raccordées à celles que j′éprouvais maintenant dans un autre pays, sur une route semblable, s′entourant de toutes les sensations accessoires de libre respiration, de curiosité, d′indolence, d′appétit, de gaieté, qui leur étaient communes, excluant toutes les autres, ces impressions se renforceraient, prendraient la consistance d′un type particulier de plaisir, et presque d′un cadre d′existence que j′avais d′ailleurs rarement l′occasion de retrouver, mais dans lequel le réveil des souvenirs mettait au milieu de la réalité matériellement perçue une part assez grande de réalité évoquée, songée, insaisissable, pour me donner, au milieu de ces régions où je passais, plus qu′un sentiment esthétique, un désir fugitif mais exalté, d′y vivre désormais pour toujours. Que de fois pour avoir simplement senti une odeur de feuillée, être assis sur un strapontin en face de Mme de Villeparisis, croiser la princesse de Luxembourg qui lui envoyait des bonjours de sa voiture, rentrer dîner au grand-hôtel, ne m′est-il pas apparu comme un de ces bonheurs ineffables que ni le présent ni l′avenir ne peuvent nous rendre et qu′on ne goûte qu′une fois dans la vie. This road was like many others of the same kind which are to be found in France, climbing on a fairly steep gradient to its summit and then gradually falling for the rest of the way. At the time, I found no great attraction in it, I was only glad to be going home. But it became for me later on a frequent source of joy by remaining in my memory as a lodestone to which all the similar roads that I was to take, on walks or drives or journeys, would at once attach themselves without breach of continuity and would be able, thanks to it, to communicate directly with my heart. For as soon as the carriage or the motor-car turned into one of these roads that seemed to be merely the continuation of the road along which I had driven with Mme. de Villeparisis, the matter to which I found my consciousness directly applying itself, as to the most recent event in my past, would be (all the intervening years being quietly obliterated) the impressions that I had had on those bright summer afternoons and evenings, driving round Balbec, when the leaves smelt good, a mist rose from the ground, and beyond the village close at hand one could see through the trees the sun setting as though it had been merely some place farther along the road, a forest place and distant, which we should not have time to reach that evening. Harmonised with what I was feeling now in another place, on a similar road, surrounded by all the accessory sensations of breathing deep draughts of air, of curiosity, indolence, appetite, lightness of heart which were common to them both, and excluding all others, these impressions would be reinforced, would take on the consistency of a particular type of pleasure, and almost of a setting of life which, as it happened, I rarely had the luck to-come across, but in which these awakened memories placed, amid the reality that my senses could perceive, no small part of a reality suggested, dreamed, unseizable, to give me, among those regions through which I was passing, more than an aesthetic feeling, a transient but exalted ambition to stay there and to live there always. How often since then, simply because I could smell green leaves, has not being seated on a backseat opposite Mme. de Villeparisis, meeting the Princesse de Luxembourg who waved a greeting to her from her own carriage, coming back to dinner at the Grand Hotel appeared to me as one of those indescribable happinesses which neither the present nor the future can restore to us, which we may taste once only in a lifetime.
Souvent le jour était tombé avant que nous fussions de retour. Timidement je citais à Mme de Villeparisis en lui montrant la lune dans le ciel, quelque belle expression de Chateaubriand ou de Vigny, ou de Victor Hugo: «Elle répandait ce vieux secret de mélancolie» ou «pleurant comme Diane au bord de ses fontaines» ou «L′ombre était nuptiale, auguste et solennelle.» Often dusk would have fallen before we reached the hotel. Timidly I would quote to Mme. de Villeparisis, pointing to the moon in the sky, some memorable expression of Chateaubriand or Vigny or Victor Hugo: ‘Shedding abroad that ancient secret of melancholy′ or ‘Weeping like Diana by the brink of her streams′ or ‘The shadows nuptial, solemn and august.′
— «Et vous trouvez cela beau? me demandait-elle, génial comme vous dites. Je vous dirai que je suis toujours étonnée de voir qu′on prend maintenant au sérieux des choses que les amis de ces messieurs, tout en rendant pleine justice à leurs qualités, étaient les premiers à plaisanter. On ne prodiguait pas le nom de génie comme aujourd′hui, où si vous dites à un écrivain qu′il n′a que du talent il prend cela pour une injure. Vous me citez une grande phrase de M. de Châteaubriand sur le clair de lune. Vous allez voir que j′ai mes raisons pour y être réfractaire. M. de Chateaubriand venait bien souvent chez mon père. Il était du reste agréable quand on était seul parce qu′alors il était simple et amusant, mais dès qu′il y avait du monde, il se mettait à poser et devenait ridicule; devant mon père, il prétendait avoir jeté sa démission à la face du roi et dirigé le conclave, oubliant que mon père avait été chargé par lui de supplier le roi de le reprendre; et l′avait entendu faire sur l′élection du pape les pronostics les plus insensés. Il fallait entendre sur ce fameux conclave M. de Blacas, qui était un autre homme que M. de Chateaubriand. Quant aux phrases de celui-ci sur le clair de lune elles étaient tout simplement devenues une charge à la maison. Chaque fois qu′il faisait clair de lune autour du château, s′il y avait quelque invité nouveau, on lui conseillait d′emmener M. de Chateaubriand prendre l′air après le dîner. Quand ils revenaient, mon père ne manquait pas de prendre à part l′invité: «M. de Chateaubriand a été bien éloquent?» — Oh! oui.» — Il vous a parlé du clair de lune.» — «Oui, comment savez-vous?» — «Attendez, ne vous a-t-il pas dit», et il lui citait la phrase. — «Oui, mais par quel mystère.» — «Et il vous a parlé même du clair de lune dans la campagne romaine.» — «Mais vous êtes sorcier.» Mon père n′était pas sorcier, mais M. de Chateaubriand se contentait de servir toujours un même morceau tout préparé. “And so you think that good, do you?” she would ask, “inspired, as you call it. I must confess that I am always surprised to see people taking things seriously nowadays which the friends of those gentlemen, while doing ample justice to their merits, were the first to laugh at. People weren′t so free then with the word ‘inspired′ as they are now, when if you say to a writer that he has mere talent he thinks you′re insulting him. You quote me a fine passage from M. de Chateaubriand about moonlight. You shall see that I have my own reasons for being refractory. M. de Chateaubriand used constantly to come to see my father. He was quite a pleasant person when you were alone with him, because then he was simple and amusing, but the moment he had an audience he would begin to pose, and then he became absurd; when my father was in the room, he pretended that he had flung his resignation in the King′s face, and that he had controlled the voting in the Conclave, forgetting that it was my father whom he had asked to beg the King to take him back, and that my father had heard him make the most idiotic forecasts of the Papal election. You ought to have heard M. de Blacas on that famous Conclave; he was a very different kind of man from M. de Chateaubriand. As to his fine phrases about the moon, they became part of our regular programme for entertaining our guests. Whenever there was any moonlight about the house, if there was anyone staying with us for the first time he would be told to take M. de Chateaubriand for a stroll after dinner. When they came in, my father would take his guest aside and say: ‘Well, and was M. de Chateaubriand very eloquent?′—‘Oh, yes.′ ‘He′s been talking about the moon?′—‘Yes, how did you know?′—‘One moment, didn′t he say ——′ and then my father would quote the passage. ‘He did; but how in the world . . .?′—‘And he spoke to you of the moonlight on the Roman Campagna?′—‘But, my dear sir, you′re a magician.′ My father was no magician, but M. de Chateaubriand had the same little speech about the moon which he served up every time.”
Au nom de Vigny elle se mit à rire. At the mention of Vigny she laughed:
— Celui qui disait: «Je suis le comte Alfred de Vigny.» On est comte ou on n′est pas comte, ça n′a aucune espèce d′importance. “The man who said: ‘I am the Comte Alfred de Vigny!′ One either is a Comte or one isn′t; it is not of the slightest importance.”
Et peut-être trouvait-elle que cela en avait tout de même un peu, car elle ajoutait: And then perhaps she discovered that it was after all, of some slight importance, for she went on:
— D′abord je ne suis pas sûre qu′il le fût, et il était en tout cas de très petite souche, ce monsieur qui a parlé dans ses vers de son «cimier de gentilhomme». Comme c′est de bon goût et comme c′est intéressant pour le lecteur! Comme c′est Musset, simple bourgeois de Paris, qui disait emphatiquement: «L′épervier d′or dont mon casque est armé.» Jamais un vrai grand seigneur ne dit de ces choses-là. Au moins Musset avait du talent comme poète. Mais à part Cinq-Mars je n′ai jamais rien pu lire de M. de Vigny, l′ennui me fait tomber le livre des mains. M. Molé, qui avait autant d′esprit et de tact que M. de Vigny en avait peu, l′a arrangé de belle façon en le recevant à l′Académie. Comment, vous ne connaissez pas son discours? C′est un chef-d′uvre de malice et d′impertinence.» Elle reprochait à Balzac qu′elle s′étonnait de voir admiré par ses neveux, d′avoir prétendu peindre une société «où il n′était pas reçu», et dont il a raconté mille invraisemblances. Quant à Victor Hugo, elle nous disait que M. de Bouillon, son père, qui avait des camarades dans la jeunesse romantique, était entré grâce à eux à la première d′Hernani mais qu′il n′avait pu rester jusqu′au bout, tant il avait trouvé ridicule, les vers de cet écrivain doué mais exagéré et qui n′a reçu le titre de grand poète qu′en vertu d′un marché fait, et comme récompense de l′indulgence intéressée qu′il a professée pour les dangereuses divagations des socialistes. “For one thing I am by no means sure that he was, and in any case he was of the humblest origin, that gentleman who speaks in his verses of his ‘Esquire′s crest.′ In such charming taste, is it not, and so interesting to his readers! Like Musset, a plain Paris cit, who laid so much stress on ‘The golden falcon that surmounts my helm.′ As if you would ever hear a real gentleman say a thing like that! And yet Musset had some talent as a poet. But except Cinq-Mars I have never been able to read a thing by M. de Vigny. I get so bored that the book falls from my hands. M. Mole, who had all the cleverness and tact that were wanting in M. de Vigny, put him properly in his place when he welcomed him to the Academy. Do you mean to say you don′t know the speech? It is a masterpiece of irony and impertinence.” She found fault with Balzac, whom she was surprised to see her nephews admire, for having pretended to describe a society ‘in which he was never received′ and of which his descriptions were wildly improbable. As for Victor Hugo, she told us that M. de Bouillon, her father, who had friends among the young leaders of the Romantic movement, had been taken by some of them to the first performance of Hernani, but that he had been unable to sit through it, so ridiculous had he found the lines of that talented but extravagant writer who had acquired the title of ‘Major Poet′ only by virtue of having struck a bargain, and as a reward for the not disinterested indulgence that he shewed to the dangerous errors of the Socialists.
Nous apercevions déjà l′hôtel, ses lumières si hostiles le premier soir, à l′arrivée, maintenant protectrices et douces, annonciatrices du foyer. Et quand la voiture arrivait près de la porte, le concierge, les grooms, le lift, empressés, na, vaguement inquiets, de notre retard, massés sur les degrés à nous attendre, étaient devenus familiers, de ces êtres qui changent tant de fois au cours de notre vie, comme nous changeons nous-mêmes, mais dans lesquels au moment où ils sont pour un temps le miroir de nos habitudes, nous trouvons de la douceur à nous sentir fidèlement et amicalement reflétés. Nous les préférons à des amis que nous n′avons pas vus depuis longtemps, car ils contiennent davantage de ce que nous sommes actuellement. Seul «le chasseur» exposé au soleil dans la journée avait été rentré pour ne pas supporter la rigueur du soir, et emmailloté de lainages, lesquels joints à l′éplorement orangé de sa chevelure, et à la fleur curieusement rose de ses joues, faisaient au milieu du hall vitré, penser à une plante de serre qu′on protège contre le froid. Nous descendions de voiture, aidés par beaucoup plus de serviteurs qu′il n′était nécessaire, mais ils sentaient l′importance de la scène et se croyaient obligés d′y jouer un rôle. J′étais affamé. Aussi souvent pour ne pas retarder le moment de dîner, je ne remontais pas dans la chambre qui avait fini par devenir si réellement mienne que revoir les grands rideaux violets et les bibliothèques basses, c′était me retrouver seul avec ce moi-même dont les choses, comme les gens, m′offraient l′image, et nous attendions tous ensemble dans le hall que le maître d′hôtel vînt nous dire que nous étions servis. C′était encore l′occasion pour nous d′écouter Mme de Villeparisis. We had now come in sight of the hotel, with its lights, so hostile that first evening, on our arrival, now protecting and kind, speaking to us of home. And when the carriage drew up outside the door, the porter, the pages, the lift-boy, attentive, clumsy, vaguely uneasy at our lateness, were numbered, now that they had grown familiar, among those beings who change so many times in the course of our life, as we ourself change, but by whom, when they are for the time being the mirror of our habits, we find something attractive in the feeling that we are being faithfully reflected and in a friendly spirit. We prefer them to friends whom we have not seen for some time, for they contain more of what we actually are. Only the outside page, exposed to the sun all day, had been taken indoors for protection from the cold night air and swaddled in thick woollen garments which, combined with the orange effulgence of his locks and the curiously red bloom of his cheeks, made one, seeing him there through the glass front of the hall, think of a hot-house plant muffled up for protection from the frost. We got out of the carriage, with the help of a great many more servants than were required, but they were conscious of the importance of the scene and each felt obliged to take some part in it. I was always very hungry. And so, often, so as not to keep dinner waiting, I would not go upstairs first to the room which had succeeded in becoming so really mine that to catch sight of its long violet curtains and low bookcases was to find myself alone again with that self of which things, like people, gave me a reflected image; but we would all wait together in the hall until the head waiter came to tell us that our dinner was ready. And this gave us another opportunity of listening to Mme. de Villeparisis.
— Nous abusons de vous, disait ma grand′mère. “But you must be tired of us by now,” protested my grandmother.
— Mais comment, je suis ravie, cela m′enchante, répondait son amie avec un sourire câlin, en filant les sons, sur un ton mélodieux, qui contrastait avec sa simplicité coutumière. “Not at all! Why, I am delighted, what could be nicer?” replied her friend with a winning smile, drawing out, almost intoning her words in a way that contrasted markedly with her customary simplicity of speech.
C′est qu′en effet dans ces moments-là elle n′était pas naturelle, elle se souvenait de son éducation, des façons aristocratiques avec lesquelles une grande dame doit montrer à des bourgeois qu′elle est heureuse de se trouver avec eux, qu′elle est sans morgue. Et le seul manque de véritable politesse qu′il y eût en elle était dans l′excès de ses politesses; car on y reconnaissait ce pli professionnel d′une dame du faubourg Saint-Germain, laquelle voyant toujours dans certains bourgeois, les mécontents qu′elle est destinée à faire certains jours, profite avidement de toutes les occasions où il lui est possible, dans le livre de compte de son amabilité avec eux, de prendre l′avance d′un solde créditeur, qui lui permettra prochainement d′inscrire à son débit, le dîner ou le raout où elle ne les invitera pas. Ainsi, ayant agi jadis sur elle une fois pour toutes, et ignorant que maintenant les circonstances étaient autres, les personnes différentes et qu′à Paris elle souhaiterait de nous voir chez elles souvent, le génie de sa caste poussait avec une ardeur fiévreuse Mme de Villeparisis comme si le temps qui lui était concédé pour être aimable était court, à multiplier avec nous, pendant que nous étions à Balbec, les envois de roses et de melons, les prêts de livres, les promenades en voiture et les effusions verbales. Et par là, — tout autant que la splendeur aveuglante de la plage, que le flamboiement multicolore et les lueurs sous-océaniques des chambres, tout autant même que les leçons d′équitation par lesquelles des fils de commerçants étaient déifiés comme Alexandre de Macédoine — les amabilités quotidiennes de Mme de Villeparisis et aussi la facilité momentanée, estivale, avec laquelle ma grand′mère les acceptait, sont restées dans mon souvenir comme caractéristiques de la vie de bains de mer. And indeed at such moments as this she was not natural, her mind reverted to her early training, to the aristocratic manner in which a great lady is supposed to shew common people that she is glad to see them, that she is not at all stiff. And her one and only failure in true politeness lay in this excess of politeness; which it was easy to identify as one of the professional ‘wrinkles′ of a lady of the Faubourg Saint-Germain, who, always seeing in her humbler friends the latent discontent that she must one day arouse in their bosoms, greedily seizes every opportunity en which she can possibly, in the ledger in which she keeps her social account with them, write down a credit balance which will allow her to enter presently on the opposite page the dinner or reception to which she will not invite them. And so, having long ago taken effect in her once and for all, and ignoring the fact that now both the circumstances and the people concerned were different, that in Paris she hoped to see us often come to her house, the spirit of her caste was urging Mme. de Villeparisis on with feverish ardour, and as if the time that was allowed her for being kind to us was limited, to multiply, while we were still at Balbec, her gifts of roses and melons, loans of books, drives in her carriage and verbal effusions. And for that reason, quite as much as the dazzling glories of the beach, the many-coloured flamboyance and subaqueous light of the rooms, as much even as the riding-lessons by which tradesmen′s sons were deified like Alexander of Macedon, the daily kindnesses shewn us by Mme. de Villeparisis and also the unaccustomed, momentary, holiday ease with which my grandmother accepted them have remained in my memory as typical of life at a watering-place.
— Donnez donc vos manteaux pour qu′on les remonte. “Give them your cloaks to take upstairs.”
Ma grand′mère les passait au directeur, et à cause de ses gentillesses pour moi, j′étais désolé de ce manque d′égards dont il paraissait souffrir. My grandmother handed hers to the manager, and because he had been so nice to me I was distressed by this want of consideration, which seemed to pain him.
— Je crois que ce monsieur est froissé, disait la marquise. Il se croit probablement trop grand seigneur pour prendre vos châles. Je me rappelle le duc de Nemours quand j′étais encore bien petite entrant chez mon père qui habitait le dernier étage de l′hôtel Bouillon, avec un gros paquet sous le bras, des lettres et des journaux. Je crois voir le prince dans son habit bleu sous l′encadrement de notre porte qui avait de jolies boiseries, je crois que c′est Bagard qui faisait cela, vous savez ces fines baguettes si souples que l′ébéniste parfois leur faisait former des petites coques, et des fleurs, comme des rubans qui nouent un bouquet. «Tenez, Cyrus, dit-il à mon père, voilà ce que votre concierge m′a donné pour vous. Il m′a dit: «Puisque vous allez chez M. le comte, ce n′est pas la peine que je monte les étages, mais prenez garde de ne pas gâter la ficelle.» Maintenant que vous avez donné vos affaires, asseyez-vous, tenez, mettez-vous là, disait-elle à ma grand′mère en lui prenant la main. “I think you′ve hurt his feelings,” said the Marquise. “He probably fancies himself too great a gentleman to carry your wraps. I remember so well the Duc de Nemours, when I was still quite little, coming to see my father who was living then on the top floor of the Bouillon house, with a fat parcel under his arm of letters and newspapers. I can see the Prince now, in his blue coat, framed in our doorway, which had such pretty woodwork round it — I think it was Bagard made it — you know those fine laths that they used to cut, so supple that the joiner would twist them sometimes into little shells and flowers, like the ribbons round a nosegay. ‘Here you are, Cyrus,′ he said to my father, ‘look what your porter′s given me to bring you. He said to me: “Since you′re going up to see the Count, it′s not worth my while climbing all those stairs; but take care you don′t break the string.”′ Now that you have got rid of your things, why don′t you sit down; look, sit in this seat,” she said to my grandmother, taking her by the hand.
— Oh! si cela vous est égal, pas dans ce fauteuil! Il est trop petit pour deux, mais trop grand pour moi seule, j′y serais mal. “Oh, if you don′t mind, not in that one! There is not room for two, and it′s too big for me by myself; I shouldn′t feel comfortable.”
— Vous me faites penser, car c′était tout à fait le même, à un fauteuil que j′ai eu longtemps mais que j′ai fini par ne pas pouvoir garder parce qu′il avait été donné à ma mère par la malheureuse duchesse de Praslin. Ma mère qui était pourtant la personne la plus simple du monde, mais qui avait encore des idées qui viennent d′un autre temps et que déjà je ne comprenais pas très bien, n′avait pas voulu d′abord se laisser présenter à Mme de Praslin qui n′était que Mlle Sebastiani, tandis que celle-ci, parce qu′elle était duchesse, trouvait que ce n′était pas à elle à se faire présenter. Et par le fait, ajoutait Mme de Villeparisis oubliant qu′elle ne comprenait pas ce genre de nuances, n′eût-elle été que Mme de Choiseul que sa prétention aurait pu se soutenir. Les Choiseul sont tout ce qu′il y a de plus grand, ils sortent d′une sur du roi Louis-le-Gros, ils étaient de vrais souverains en Basigny. J′admets que nous l′emportons par les alliances et l′illustration, mais l′ancienneté est presque la même. Il était résulté de cette question de préséance des incidents comiques, comme un déjeuner qui fut servi en retard de plus d′une grande heure que mit l′une de ces dames à accepter de se laisser présenter. Elles étaient malgré cela devenues de grandes amies et elle avait donné à ma mère un fauteuil du genre de celui-ci et où, comme vous venez de faire, chacun refusait de s′asseoir. Un jour ma mère entend une voiture dans la cour de son hôtel. Elle demande à un petit domestique qui c′est. «C′est Madame la duchesse de La Rochefoucauld, madame la comtesse.» — «Ah! bien, je la recevrai.» Au bout d′un quart d′heure, personne. «Hé bien, Madame la duchesse de La Rochefoucauld? où est-elle donc?» — «Elle est dans l′escalier, à souffle, madame la comtesse», répond le petit domestique qui arrivait depuis peu de la campagne où ma mère avait la bonne habitude de les prendre. Elle les avait souvent vu naître. C′est comme cela qu′on a chez soi de braves gens. Et c′est le premier des luxes. En effet, la duchesse de La Rochefoucauld montait difficilement, étant énorme, si énorme, que quand elle entra ma mère eut un instant d′inquiétude en se demandant où elle pourrait la placer. A ce moment le meuble donné par Mme de Praslin frappa ses yeux: «Prenez donc la peine de vous asseoir, dit ma mère en le lui avançant.» Et la duchesse le remplit jusqu′aux bords. Elle était, malgré cette importance, restée assez agréable. «Elle fait encore un certain effet quand elle entre», disait un de nos amis. «Elle en fait surtout quand elle sort», répondit ma mère qui avait le mot plus leste qu′il ne serait de mise aujourd′hui. Chez Mme de La Rochefoucauld même, on ne se gênait pas pour plaisanter devant elle qui en riait la première, ses amples proportions. «Mais est-ce que vous êtes seul?» demanda un jour à M. de La Rochefoucauld ma mère qui venait faire visite à la duchesse et qui, reçue à l′entrée par le mari, n′avait pas aperçu sa femme qui était dans une baie du fond. «Est-ce que Madame de La Rochefoucauld n′est pas là? je ne la vois pas.» — «Comme vous êtes aimable!» répondit le duc qui avait un des jugements les plus faux que j′aie jamais connus mais ne manquait pas d′un certain esprit. “You remind me, for it was exactly like this, of a seat that I had for many years until at last I couldn′t keep it any longer because it had been given to my mother by the poor Duchesse de Praslin. My mother, though she was the simplest person in the world, really, had ideas that belonged to another generation, which even in those days I could scarcely understand; and at first she had not been at all willing to let herself be introduced to Mme. de Praslin, who had been plain Mlle. Sébastian!, while she, because she was a Duchess, felt that it was not for her to be introduced to my mother. And really, you know,” Mme. de Villeparisis went on, forgetting that she herself did not understand these fine shades of distinction, “even if she had just been Mme. de Choiseul, there was a good deal to be said for her claim. The Choiseuls are everything you could want; they spring from a sister of Louis the Fat; they were ruling princes down in Basigny. I admit that we beat them in marriages and in distinction, but the precedence is pretty much the same. This little difficulty gave rise to several amusing incidents, such as a luncheon party which was kept waiting a whole hour or more before one of these ladies could make up her mind to let herself be introduced to the other. In spite of which they became great friends, and she gave my mother a seat like that, in which people always refused to sit, just as you did, until one day my mother heard a carriage drive into the courtyard. She asked a young servant we had, who it was. ‘The Duchesse de La Rochefoucauld, ma′am.′ ‘Very well, say that I am at home.′ A quarter of an hour passed; no one came. ‘What about the Duchesse de La Rochefoucauld?′ my mother asked. ‘Where is she?′ ‘She′s on the stairs, ma′am, getting her breath,′ said the young servant, who had not been long up from the country, where my mother had the excellent habit of getting all her servants. Often she had seen them born. That′s the only way to get really good ones. And they′re the rarest of luxuries. And sure enough the Duchesse de La Rochefoucauld had the greatest difficulty in getting upstairs, for she was an enormous woman, so enormous, indeed, that when she did come into the room my mother was quite at a loss for a moment to know where to put her. And then the seat that Mme. de Praslin had given her caught her eye. ‘Won′t you sit down?′ she said, bringing it forward. And the Duchess filled it from side to side. She was quite a pleasant woman, for all her massiveness. ‘She still creates an effect when she comes in,′ one of our friends said once. ‘She certainly creates an effect when she goes out,′ said my mother, who was rather more free in her speech than would be thought proper nowadays. Even in Mme. de La Rochefoucauld′s own drawing-room people weren′t afraid to make fun of her to her face (at which she was always the first to laugh) over her ample proportions. ‘But are you all alone?′ my grandmother once asked M. de La Rochefoucauld, when she had come to pay a call on the Duchess, and being met at the door by him had not seen his wife who was at the other end of the room. ‘Is Mme. de La Rochefoucauld not at home? I don′t see her.′—‘How charming of you!′ replied the Duke, who had about the worst judgment of any man I have ever known, but was not altogether lacking in humour.”
Après le dîner, quand j′étais remonté avec ma grand′mère, je lui disais que les qualités qui nous charmaient chez Mme de Villeparisis, le tact, la finesse, la discrétion, l′effacement de soi-même n′étaient peut-être pas bien précieux puisque ceux qui les possédèrent au plus haut degré ne furent que des Molé et des Loménie, et que si leur absence peut rendre les relations quotidiennes désagréables, elle n′a pas empêché de devenir Chateaubriand, Vigny, Hugo, Balzac, des vaniteux qui n′avaient pas de jugement, qu′il était facile de railler, comme Bloch . . . Mais au nom de Bloch ma grand′mère se récriait. Et elle me vantait Mme de Villeparisis. Comme on dit que c′est l′intérêt de l′espèce qui guide en amour les préférences de chacun, et pour que l′enfant soit constitué de la façon la plus normale fait rechercher les femmes maigres aux hommes gras et les grasses aux maigres, de même c′était obscurément les exigences de mon bonheur menacé par le nervosisme, par mon penchant maladif à la tristesse, à l′isolement, qui lui faisaient donner le premier rang aux qualités de pondération et de jugement, particulières non seulement à Mme de Villeparisis mais à une société où je pourrais trouver une distraction, un apaisement, une société pareille à celle où l′on vit fleurir l′esprit d′un Doudan, d′un M. de Rémusat, pour ne pas dire d′un Beausergent, d′un Joubert, d′une Sévigné, esprit qui met plus de bonheur, plus de dignité dans la vie que les raffinements opposés lesquels ont conduit un Baudelaire, un Poë, un Verlaine, un Rimbaud, à des souffrances, à une déconsidération dont ma grand′mère ne voulait pas pour son petit-fils. Je l′interrompais pour l′embrasser et lui demandais si elle avait remarqué telle phrase que Mme de Villeparisis avait dite et dans laquelle se marquait la femme qui tenait plus à sa naissance qu′elle ne l′avouait. Ainsi soumettais-je à ma grand′mère mes impressions car je ne savais jamais le degré d′estime dû à quelqu′un que quand elle me l′avait indiqué. Chaque soir je venais lui apporter les croquis que j′avais pris dans la journée d′après tous ces êtres inexistants qui n′étaient pas elle. Une fois je luis dis:— «Sans toi je ne pourrai pas vivre. — Mais il ne faut pas, me répondit-elle d′une voix troublée. Il faut nous faire un cur plus dur que ça. Sans cela que deviendrais-tu si je partais en voyage. J′espère au contraire que tu serais très raisonnable et très heureux.» After dinner, when I had retired upstairs with my grandmother, I said to her that the qualities which attracted us in Mme. de Villeparisis, her tact, her shrewdness, her discretion, her modesty in not referring to herself, were not, perhaps, of very great value since those who possessed them in the highest degree were simply people like Mole and Loménie, and that if the want of them can make our social relations unpleasant yet it did not prevent from becoming Chateaubriand, Vigny, Hugo, Balzac, a lot of foolish fellows who had no judgment, at whom it was easy to mock, like Bloch. . . . But at the name of Bloch, my grandmother cried out in protest. And she began to praise Mme. de Villeparisis. As we are told that it is the preservation of the species which guides our individual preferences in love, and, so that the child may be constituted in the most normal fashion, sends fat men in pursuit of lean women and vice versa, so in some dim way it was the requirements of my happiness threatened by my disordered nerves, by my morbid tendency to melancholy, to solitude, that made her allot the highest place to the qualities of balance and judgment, peculiar not only to Mme. de Villeparisis but to a society in which our ancestors saw blossom the minds of a Doudan, a M. de Rémusat, not to mention a Beausergent, a Joubert, a Sévigné, a type of mind that invests life with more happiness, with greater dignity than the converse refinements which brought a Baudelaire, a Poe, a Verlaine, a Rimbaud to sufferings, to a disrepute such as my grandmother did not wish for her daughter′s child. I interrupted her with a kiss and asked her if she had noticed some expression which Mme. de Villeparisis had used and which seemed to point to a woman who thought more of her noble birth than she was prepared to admit. In this way I used to submit my impressions of life to my grandmother, for I was never certain what degree of respect was due to anyone until she had informed me. Every evening I would come to her with the mental sketches that I had made during the day of all those non-existent people who were not her. Once I said to her: “I shouldn′t be able to live without you.” “But you mustn′t speak like that;” her voice was troubled. “We must harden our hearts more than that, you know. Or what would become of you if I went away on a journey? But I hope that you would be quite sensible and quite happy.”
— Je saurais être raisonnable si tu partais pour quelques jours, mais je compterais les heures. “I could manage to be sensible if you went away for a few days, but I should count the hours.”
— Mais si je partais pour des mois . . . (A cette seule idée mon cur se serrait), pour des années . . . pour . . . “But if I were to go away for months . . . ” (at the bare suggestion of such a thing my heart was wrung) “ . . . for years . . . for . . . ”
Nous nous taisions tous les deux. Nous n′osions pas nous regarder. Pourtant je souffrais plus de son angoisse que de la mienne. Aussi je m′approchai de la fenêtre et distinctement je lui dis en détournant les yeux: We both remained silent. We dared not look one another in the face. And yet I was suffering more keenly from her anguish than from my own. And so I walked across to the window, and said to her, with a studied clearness of tone but with averted eyes:
— Tu sais comme je suis un être d′habitudes. Les premiers jours où je viens d′être séparé des gens que j′aime le plus, je suis malheureux. Mais tout en les aimant toujours autant, je m′accoutume, ma vie devient calme, douce; je supporterais d′être séparé d′eux, des mois, des années. “You know what a creature of habit I am. For the first few days after I have been parted from the people I love best, I am wretched. But though I go on loving them just as much, I grow used to their absence; life becomes calm, bearable, pleasant; I could stand being parted from them for months, for years . . . ”
Je dus me taire et regarder tout à fait par la fenêtre. Ma grand′mère sortit un instant de la chambre. Mais le lendemain je me mis à parler de philosophie, sur le ton le plus indifférent, en m′arrangeant cependant pour que ma grand′mère fît attention à mes paroles, je dis que c′était curieux, qu′après les dernières découvertes de la science, le matérialisme semblait ruiné, et que le plus probable était encore l′éternité des âmes et leur future réunion. I was obliged to stop, and looked straight out of the window. My grandmother went out of the room for something. But next day I began to talk to her about philosophy, and, speaking in a tone of complete indifference, but at the same time taking care that my grandmother should pay attention to what I was saying, I remarked what a curious thing it was that, according to the latest scientific discoveries, the materialist position appeared to be crumbling, and the most likely thing to be, once again, the survival of the soul and reunion in a life everlasting.
Mme de Villeparisis nous prévint que bientôt elle ne pourrait nous voir aussi souvent. Un jeune neveu qui préparait Saumur, actuellement en garnison dans le voisinage, à Doncières, devait venir passer auprès d′elle un congé de quelques semaines et elle lui donnerait beaucoup de son temps. Au cours de nos promenades, elle nous avait vanté sa grande intelligence, surtout son bon cur; déjà je me figurais qu′il allait se prendre de sympathie pour moi, que je serais son ami préféré et quand, avant son arrivée, sa tante laissa entendre à ma grand′mère qu′il était malheureusement tombé dans les griffes d′une mauvaise femme dont il était fou et qui ne le lâcherait pas, comme j′étais persuadé que ce genre d′amour finissait fatalement par l′aliénation mentale, le crime et le suicide, pensant au temps si court qui était réservé à notre amitié, déjà si grande dans mon cur sans que je l′eusse encore vu, je pleurai sur elle et sur les malheurs qui l′attendaient comme sur un être cher dont on vient de nous apprendre qu′il est gravement atteint et que ses jours sont comptés. Mme. de Villeparisis gave us warning that presently she would not be able to see so much of us. A young nephew who was preparing for Sau-mur, and was meanwhile stationed in the neighbourhood, at Doncières, was coming to spend a few weeks′ furlough with her, and she would be devoting most of her time to him. In the course of our drives together she had boasted to us of his extreme cleverness, and above all of his goodness of heart; already I was imagining that he would have an instinctive feeling for me, that I was to be his best friend; and when, before his arrival, his aunt gave my grandmother to understand that he had unfortunately fallen into the clutches of an appalling woman with whom he was quite infatuated and who would never let him go, since I believed that that sort of love was doomed to end in mental aberration, crime and suicide, thinking how short the time was that was set apart for our friendship, already so great in my heart, although I had not yet set eyes on him, I wept for that friendship and for the misfortunes that were in store for it, as we weep for a person whom we love when some one has just told us that he is seriously ill and that his days are numbered.
Une après-midi de grande chaleur j′étais dans la salle à manger de l′hôtel qu′on avait laissée à demi dans l′obscurité pour la protéger du soleil en tirant des rideaux qu′il jaunissait et qui par leurs interstices laissaient clignoter le bleu de la mer, quand, dans la travée centrale qui allait de la plage à la route, je vis, grand, mince, le cou dégagé, la tête haute et fièrement portée, passer un jeune homme aux yeux pénétrants et dont la peau était aussi blonde et les cheveux aussi dorés que s′ils avaient absorbé tous les rayons du soleil. Vêtu d′une étoffe souple et blanchâtre comme je n′aurais jamais cru qu′un homme eût osé en porter, et dont la minceur n′évoquait pas moins que le frais de la salle à manger, la chaleur et le beau temps du dehors, il marchait vite. Ses yeux, de l′un desquels tombait à tout moment un monocle, étaient de la couleur de la mer. Chacun le regarda curieusement passer, on savait que ce jeune marquis de Saint-Loup-en-Bray était célèbre pour son élégance. Tous les journaux avaient décrit le costume dans lequel il avait récemment servi de témoin au jeune duc d′Uzès, dans un duel. Il semblait que la qualité si particulière de ses cheveux, de ses yeux, de sa peau, de sa tournure qui l′eussent distingué au milieu d′une foule comme un filon précieux d′opale azurée et lumineuse, engaîné dans une matière grossière, devait correspondre à une vie différente de celle des autres hommes. Et en conséquence quand avant la liaison dont Mme de Villeparisis se plaignait, les plus jolies femmes du grand monde se l′étaient disputé, sa présence, dans une plage par exemple, à côté de la beauté en renom à laquelle il faisait la cour, ne la mettait pas seulement tout à fait en vedette, mais attirait les regards autant sur lui que sur elle. A cause de son «chic», de son impertinence de jeune «lion», à cause de son extraordinaire beauté surtout, certains lui trouvaient même un air efféminé, mais sans le lui reprocher car on savait combien il était viril et qu′il aimait passionnément les femmes. C′était ce neveu de Mme de Villeparisis duquel elle nous avait parlé. Je fus ravi de penser que j′allais le connaître pendant quelques semaines et sûr qu′il me donnerait toute son affection. Il traversa rapidement l′hôtel dans toute sa largeur, semblant poursuivre son monocle qui voltigeait devant lui comme un papillon. Il venait de la plage, et la mer qui remplissait jusqu′à mi-hauteur le vitrage du hall lui faisait un fond sur lequel il se détachait en pied, comme dans certains portraits où des peintres prétendent sans tricher en rien sur l′observation la plus exacte de la vie actuelle, mais en choisissant pour leur modèle un cadre approprié, pelouse de polo, de golf, champ de courses, pont de yacht, donner un équivalent moderne de ces toiles où les primitifs faisaient apparaître la figure humaine au premier plan d′un paysage. Une voiture à deux chevaux l′attendait devant la porte; et tandis que son monocle reprenait ses ébats sur la route ensoleillée, avec l′élégance et la maîtrise qu′un grand pianiste trouve le moyen de montrer dans le trait le plus simple, où il ne semblait pas possible qu′il sût se montrer supérieur à un exécutant de deuxième ordre, le neveu de Mme de Villeparisis prenant les guides que lui passa le cocher, s′assit à côté de lui et tout en décachetant une lettre que le directeur de l′hôtel lui remit, fit partir les bêtes. One afternoon of scorching heat I was in the dining-room of the hotel, which they had plunged in semi-darkness, to shield it from the glare, by drawing the curtains which the sun gilded, while through the gaps between them I caught flashing blue glimpses of the sea, when along the central gangway leading inland from the beach to the high road I saw, tall, slender, his head held proudly erect upon a springing neck, a young man go past with searching eyes, whose skin was as fair and whose hair as golden as if they had absorbed all the rays of the sun. Dressed in a clinging, almost white material such as I could never have believed that any man would have the audacity to wear, the thinness of which suggested no less vividly than the coolness of the dining-room the heat and brightness of the glorious day outside, he was walking fast. His eyes, from one of which a monocle kept dropping, were of the colour of the sea. Everyone looked at him with interest as he passed, knowing that this young Marquis de Saint-Loup-en-Bray was famed for the smartness of his clothes. All the newspapers had described the suit in which he had recently acted as second to the young Duc d′Uzès in a duel. One felt that this so special quality of his hair, his eyes, his skin, his figure, which would have marked him out in a crowd like a precious vein of opal, azure-shot and luminous, embedded in a mass of coarser substance, must correspond to a life different from that led by other men. So that when, before the attachment which Mme. de Villeparisis had been deploring, the prettiest women in society had disputed the possession of him, his presence, at a watering-place for instance, in the company of the beauty of the season to whom he was paying court, not only made her conspicuous, but attracted every eye fully as much to himself. Because of his ‘tone,′ of his impertinence befitting a young ‘lion,′ and especially of his astonishing good looks, some people even thought him effeminate, though without attaching any stigma, for everyone knew how manly he was and that he was a passionate ‘womaniser.′ This was Mme. de Villeparisis′s nephew of whom she had spoken to us. I was overcome with joy at the thought that I was going to know him and to see him for several weeks on end, and confident that he would bestow on me all his affection. He strode rapidly across the hotel, seeming to be in pursuit of his monocle, which kept darting away in front of him like a butterfly. He was coming from the beach, and the sea which filled the lower half of the glass front of the hall gave him a background against which he was drawn at full length, as in certain portraits whose painters attempt, without in anyway falsifying the most accurate observation of contemporary life, but by choosing for their sitter appropriate surroundings, a polo ground, golf links, a racecourse, the bridge of a yacht, to furnish a modern equivalent of those canvases on which the old masters used to present the human figure in the foreground of a landscape. A carriage and pair was waiting for him at the door; and, while his monocle resumed its gambollings in the air of the sunlit street, with the elegance and mastery which a great pianist contrives to display in the simplest piece of execution, where it has not appeared possible that he could shew himself superior to a performer of the second class, Mme. de Villeparisis′s nephew, taking the reins that were handed him by the groom, jumped on to the box seat by his side and, while he opened a letter which the manager of the hotel sent out after him, made his horses start.
Quelle déception j′éprouvai les jours suivants quand, chaque fois que je le rencontrai dehors ou dans l′hôtel, — le col haut, équilibrant perpétuellement les mouvements de ses membres autour de son monocle fugitif et dansant qui semblait leur centre de gravité, — je pus me rendre compte qu′il ne cherchait pas à se rapprocher de nous et vis qu′il ne nous saluait pas quoiqu′il ne pût ignorer que nous étions les amis de sa tante. Et me rappelant l′amabilité que m′avaient témoignée Mme de Villeparisis et avant elle M. de Norpois, je pensais que peut-être ils n′étaient que des nobles pour rire et qu′un article secret des lois qui gouvernent l′aristocratie doit y permettre peut-être aux femmes et à certains diplomates de manquer dans leurs rapports avec les roturiers, et pour une raison qui m′échappait, à la morgue que devait au contraire pratiquer impitoyablement un jeune marquis. Mon intelligence aurait pu me dire le contraire. Mais la caractéristique de l′âge ridicule que je traversais — âge nullement ingrat, très fécond — est qu′on n′y consulte pas l′intelligence et que les moindres attributs des êtres semblent faire partie indivisible de leur personnalité. Tout entouré de monstres et de dieux, on ne connaît guère le calme. Il n′y a presque pas un des gestes qu′on a faits alors qu′on ne voudrait plus tard pouvoir abolir. Mais ce qu′on devrait regretter au contraire c′est de ne plus posséder la spontanéité qui nous les faisait accomplir. Plus tard on voit les choses d′une façon plus pratique, en pleine conformité avec le reste de la société, mais l′adolescence est le seul temps où l′on ait appris quelque chose. What a disappointment was mine on the days that followed, when, each time that I met him outside or in the hotel — his head erect, perpetually balancing the movements of his limbs round the fugitive and dancing monocle which seemed to be their centre of gravity — I was forced to admit that he had evidently no desire to make our acquaintance, and saw that he did not bow to us although he must have known that we were friends of his aunt. And calling to mind the friendliness that Mme. de Villeparisis, and before her M. de Norpois, had shewn me, I thought that perhaps they were only of a bogus nobility, and that there might be a secret section in the laws that govern the aristocracy which allowed women, perhaps, and certain diplomats to discard, in their relations with plebeians, for a reason which was beyond me, the stiffness which must, on the other hand, be pitilessly maintained by a young Marquis. My intelligence might have told me the opposite. But the characteristic feature of the silly phase through which I was passing — a phase by no means irresponsive, indeed highly fertile — is that we do not consult our intelligence and that the most trivial attributes of other people seem to us then to form an inseparable part of their personality. In a world thronged with monsters and with gods, we are barely conscious of tranquillity. There is hardly one of the actions which we performed in that phase which we would not give anything, in later life, to be able to erase from our memory. Whereas what we ought to regret is that we no longer possess the spontaneity which made us perform them. In later life we look at things in a more practical way, in full conformity with the rest of society, but youth was the only time in which we learned anything.
Cette insolence que je devinais chez M. de Saint-Loup, et tout ce qu′elle impliquait de dureté naturelle se trouva vérifiée par son attitude chaque fois qu′il passait à côté de nous, le corps aussi inflexiblement élancé, la tête toujours aussi haute, le regard impassible, ce n′est pas assez dire aussi implacable, dépouillé de ce vague respect qu′on a pour les droits d′autres créatures, même si elles ne connaissent pas votre tante et qui faisait que je n′étais pas tout à fait le même devant une vieille dame que devant un bec de gaz. Ces manières glacées étaient aussi loin des lettres charmantes que je l′imaginais encore il y a quelques jours, m′écrivant pour me dire sa sympathie, qu′est loin de l′enthousiasme de la Chambre et du peuple qu′il s′est représenté en train de soulever par un discours inoubliable la situation médiocre, obscure, de l′imaginatif qui après avoir ainsi rêvassé tout seul, pour son compte, à haute voix, se retrouve, les acclamations imaginaires une fois apaisées, gros Jean comme devant. Quand Mme de Villeparisis sans doute pour tâcher d′effacer la mauvaise impression que nous avaient causée ces dehors révélateurs d′une nature orgueilleuse et méchante nous reparla de l′inépuisable bonté de son petit-neveu (il était le fils d′une de ses nièces et était un peu plus âgé que moi) j′admirai comme dans le monde, au mépris de toute vérité, on prête des qualités de cur à ceux qui l′ont si sec, fussent-ils d′ailleurs aimables avec des gens brillants, qui font partie de leur milieu. Mme de Villeparisis ajouta elle-même, quoique indirectement, une confirmation aux traits essentiels, déjà certains pour moi de la nature de son neveu, un jour où je les rencontrai tous deux dans un chemin si étroit qu′elle ne put faire autrement que de me présenter à lui. Il sembla ne pas entendre qu′on lui nommait quelqu′un, aucun muscle de son visage ne bougea; ses yeux où ne brilla pas la plus faible lueur de sympathie humaine, montrèrent seulement dans l′insensibilité, dans l′inanité du regard, une exagération à défaut de laquelle, rien ne les eût différenciés de miroirs sans vie. Puis fixant sur moi ces yeux durs comme s′il eût voulu se renseigner sur moi, avant de me rendre mon salut, par un brusque déclenchement qui sembla plutôt dû à un réflexe musculaire qu′à un acte de volonté, mettant entre lui et moi le plus grand intervalle possible, allongea le bras dans toute sa longueur, et me tendit la main, à distance. Je crus qu′il s′agissait au moins d′un duel, quand le lendemain il me fit passer sa carte. Mais il ne me parla que de littérature, déclara après une longue causerie qu′il avait une envie extrême de me voir plusieurs heures chaque jour. Il n′avait pas, durant cette visite, fait preuve seulement d′un goût très ardent pour les choses de l′esprit, il m′avait témoigné une sympathie qui allait fort peu avec le salut de la veille. Quand je le lui eus vu refaire chaque fois qu′on lui présentait quelqu′un, je compris que c′était une simple habitude mondaine particulière à une certaine partie de sa famille et à laquelle sa mère qui tenait à ce qu′il fût admirablement bien élevé, avait plié son corps; il faisait ces saluts-là sans y penser plus qu′à ses beaux vêtements, à ses beaux cheveux; c′était une chose dénuée de la signification morale que je lui avais donnée d′abord, une chose purement apprise, comme cette autre habitude qu′il avait aussi de se faire présenter immédiatement aux parents de quelqu′un qu′il connaissait, et qui était devenue chez lui si instinctive, que me voyant le lendemain de notre rencontre, il fonça sur moi et, sans me dire bonjour, me demanda de le nommer à ma grand′mère qui était auprès de moi, avec la même rapidité fébrile que si cette requête eût été due à quelque instinct défensif, comme le geste de parer un coup ou de fermer les yeux devant un jet d′eau bouillante et sans le préservatif de laquelle il y eût péril à demeurer une seconde de plus. This insolence which I surmised in M. de Saint-Loup, and all that it implied of ingrained severity, received confirmation from his attitude whenever he passed us, his body as inflexibly erect, his head always held as high, his gaze as impassive, or rather, I should say, as implacable, devoid of that vague respect which one has for the rights of other people, even if they do not know one′s aunt, one example of which was that I did not look in quite the same way at an old lady as at a gas lamp. These frigid manners were as far removed from the charming letters which, but a few days since, I had still been imagining him as writing to tell me of his regard for myself, as is removed from the enthusiasm of the Chamber and of the populace which he has been picturing himself as rousing by an imperishable speech, the humble, dull, obscure position of the dreamer who, after pondering it thus by himself, for himself, aloud, finds himself, once the imaginary applause has died away, just the same Tom, Dick or Harry as before. When Mme. de Villeparisis, doubtless in an attempt to counteract the bad impression that had been made on us by an exterior indicative of an arrogant and evil nature, spoke to us again of the inexhaustible goodness of her great-nephew (he was the son of one of her nieces, and a little older than myself), I marvelled how the world, with an utter disregard of truth, ascribes tenderness of heart to people whose hearts are in reality so hard and dry, provided only that they behave with common courtesy to the brilliant members of their own sets. Mme. de Villeparisis herself confirmed, though indirectly, my diagnosis, which was already a conviction, of the essential points of her nephew′s character one day when I met them both coming along a path so narrow that there was nothing for it but to introduce me to him. He seemed not to hear that a person′s name was being repeated to him, not a muscle of his face moved; his eyes, in which there shone not the faintest gleam of human sympathy, shewed merely in the insensibility, in the inanity of their gaze an exaggeration failing which there would have been nothing to distinguish them from lifeless mirrors. Then fastening on me those hard eyes, as though he wished to make sure of me before returning my salute, by an abrupt release which seemed to be due rather to a reflex action of his muscles than to an exercise of will, keeping between himself and me the greatest possible interval, he stretched his arm out to its full extension and, at the end of it, offered me his hand. I supposed that it must mean, at the very least, a duel when, next day, he sent me his card. But he spoke to me only of literature, declared after a long talk that he would like immensely to spend several hours with me every day. He had not only, in this encounter, given proof of an ardent zest for the things of the spirit, he had shewn a regard for myself which was little in keeping with his greeting of me the day before. After I had seen him repeat the same process whenever anyone was introduced to him, I realised that it was simply a social usage peculiar to his branch of the family, to which his mother, who had seen to it that he should be perfectly brought up, had moulded his limbs; he went through those motions without thinking, any more than he thought about his beautiful clothes or hair; they were a thing devoid of the moral significance which I had at first ascribed to them, a thing purely acquired like that other habit that he had of at once demanding an introduction to the family of anyone whom he knew, which had become so instinctive in him that, seeing me again the day after our talk, he fell upon me and without asking how I did begged me to make him known to my grandmother, who was with me, with the same feverish haste as if the request had been due to some instinct of self-preservation, like the act of warding off a blow, or of shutting one′s eyes to avoid a stream of boiling water, without which precautions it would have been dangerous to stay where one was a moment longer.
Les premiers rites d′exorcisme une fois accomplis, comme une fée hargneuse dépouille sa première apparence et se pare de grâces enchanteresses, je vis cet être dédaigneux devenir le plus aimable, le plus prévenant jeune homme que j′eusse jamais rencontré. «Bon, me dis-je, je me suis déjà trompé sur lui, j′avais été victime d′un mirage, mais je n′ai triomphé du premier que pour tomber dans un second car c′est un grand seigneur féru de noblesse et cherchant à le dissimuler.» Or, toute la charmante éducation, toute l′amabilité de Saint-Loup devait en effet, au bout de peu de temps, me laisser voir un autre être mais bien différent de celui que je soupçonnais. The first rites of exorcism once performed, as a wicked fairy discards her outer form and endures all the most enchanting graces, I saw this disdainful creature become the most friendly, the most considerate young man that I had ever met. “Good,” I said to myself, “I′ve been mistaken about him once already; I was taken in by a mirage; but I have corrected the first only to fall into a second, for he must be a great gentleman who has grown sick of his nobility and is trying to hide it.” As a matter of fact it was not long before all the exquisite breeding, all the friendliness of Saint-Loup were indeed to let me see another creature but one very different from what I had suspected.
Ce jeune homme qui avait l′air d′un aristocrate et d′un sportsman dédaigneux n′avait d′estime et de curiosité que pour les choses de l′esprit, surtout pour ces manifestations modernistes de la littérature et de l′art qui semblaient si ridicules à sa tante; il était imbu d′autre part de ce qu′elle appelait les déclamations socialistes, rempli du plus profond mépris pour sa caste et passait des heures à étudier Nietsche et Proudhon. C′était un de ces «intellectuels» prompts à l′admiration qui s′enferment dans un livre, soucieux seulement de haute pensée. Même chez Saint-Loup l′expression de cette tendance très abstraite et qui l′éloignait tant de mes préoccupations habituelles, tout en me paraissant touchante m′ennuyait un peu. Je peux dire que, quand je sus bien qui avait été son père, les jours où je venais de lire des mémoires tout nourris d′anecdotes sur ce fameux comte de Marsantes en qui se résume l′élégance si spéciale d′une époque déjà lointaine, l′esprit empli de rêveries, désireux d′avoir des précisions sur la vie qu′avait menée M. de Marsantes, j′enrageais que Robert de Saint-Loup au lieu de se contenter d′être le fils de son père, au lieu d′être capable de me guider dans le roman démodé qu′avait été l′existence de celui-ci, se fût élevé jusqu′à l′amour de Nietsche et de Proudhon. Son père n′eût pas partagé mes regrets. Il était lui-même un homme intelligent, excédant les bornes de sa vie d′homme du monde. Il n′avait guère eu le temps de connaître son fils, mais avait souhaité qu′il valût mieux que lui. Et je crois bien que contrairement au reste de la famille, il l′eût admiré, se fût réjoui qu′il délaissât ce qui avait fait ses minces divertissements pour d′austères méditations, et, sans en rien dire, dans sa modestie de grand seigneur spirituel, eût lu en cachette les auteurs favoris de son fils pour apprécier de combien Robert lui était supérieur. This young man who had the air of a scornful, sporting aristocrat had in fact no respect, no interest save for and in the things of the spirit, and especially those modern manifestations of literature and art which seemed so ridiculous to his aunt; he was imbued, moreover, with what she called ‘Socialistic spoutings,′ was filled with the most profound contempt for his caste and spent long hours in the study of Nietzsche and Proudhon. He was one of those intellectuals, quick to admire what is good, who shut themselves up in a book, and are interested only in pure thought. Indeed in Saint-Loup the expression of this highly abstract tendency, which removed him so far from my customary preoccupations, while it seemed to me touching, also annoyed me not a little. I may say that when I realised properly who had been his father, on days when I had been reading memoirs rich in anecdotes of that famous Comte de Marsantes, in whom were embodied the special graces of a generation already remote, the mind full of speculation — anxious to obtain fuller details of the life that M. de Marsantes had led, it used to infuriate me that Robert de Saint-Loup, instead of being content to be the son of his father, instead of being able to guide me through the old-fashioned romance of what had been that father′s existence, had trained himself to enjoy Nietzsche and Proudhon. His father would not have shared my regret. He had been himself a man of brains, who had transcended the narrow confines of his life as a man of the world. He had hardly had time to know his son, but had hoped that his son would prove a better man than himself. And I really believe that, unlike the rest of the family, he would have admired his son, would have rejoiced at his abandoning what had been his own small diversions for austere meditations, and without saying a word, in his modesty as a great gentleman endowed with brains, he would have read in secret his son′s favourite authors in order to appreciate how far Robert was superior to himself.
Il y avait, du reste, cette chose assez triste, c′est que si M. de Marsantes à l′esprit fort ouvert, eût apprécié un fils si différent de lui, Robert de Saint-Loup parce qu′il était de ceux qui croient que le mérite est attaché à certaines formes d′art et de vie, avait un souvenir affectueux mais un peu méprisant d′un père qui s′était occupé toute sa vie de chasse et de course, avait bâillé à Wagner et raffolé d′Offenbach. Saint-Loup n′était pas assez intelligent pour comprendre que la valeur intellectuelle n′a rien à voir avec l′adhésion à une certaine formule esthétique, et il avait pour l′intellectualité de M. de Marsantes, un peu le même genre de dédain qu′auraient pu avoir pour Boieldieu ou pour Labiche, un fils Boieldieu ou un fils Labiche qui eussent été des adeptes de la littérature la plus symbolique et de la musique la plus compliquée. «J′ai très peu connu mon père, disait Robert. Il paraît que c′était un homme exquis. Son désastre a été la déplorable époque où il a vécu. Etre né dans le faubourg Saint-Germain et avoir vécu à l′époque de la Belle-Hélène, cela fait cataclysme dans une existence. Peut-être petit bourgeois fanatique du «Ring» eût-il donné tout autre chose. On me dit même qu′il aimait la littérature. Mais on ne peut pas savoir puisque ce qu′il entendait par littérature, se compose d′uvres périmées.» Et pour ce qui était de moi, si je trouvais Saint-Loup un peu sérieux, lui ne comprenait pas que je ne le fusse pas davantage. Ne jugeant chaque chose qu′au poids d′intelligence qu′elle contient, ne percevant pas les enchantements d′imagination que me donnaient certaines qu′il jugeait frivoles, il s′étonnait que moi — moi à qui il s′imaginait être tellement inférieur — je pusse m′y intéresser. There was, however, this rather painful consideration: that if M. de Marsantes, with his extremely open mind, would have appreciated a son so different from himself, Robert de Saint-Loup, because he was one of those who believe that merit is attached only to certain forms of art and life, had an affectionate but slightly contemptuous memory of a father who had spent all his time hunting and racing, who yawned at Wagner and raved over Offenbach. Saint-Loup had not the intelligence to see that intellectual worth has nothing to do with adhesion to any one aesthetic formula, and had for the intellectuality of M. de Marsantes much the same sort of scorn as might have been felt for Boieldieu or Labiche by a son of Boieldieu or Labiche who had become adepts in the most symbolic literature and the most complex music. “I scarcely knew my father,” he used to say. “He seems to have been a charming person. His tragedy was the deplorable age in which he lived. To have been born in the Faubourg Saint-Germain and to have to live in the days of La Belle Hélène would be enough to wreck any existence. Perhaps if he′d been some little shopkeeper mad about the Ring he′d have turned out quite different. Indeed they tell me that he was fond of literature. But that can never be proved, because literature to him meant such utterly god-forsaken books.” And in my own case, if I found Saint-Loup a trifle earnest, he could not understand why I was not more earnest still. Never judging anything except by the weight of the intelligence that it contained, never perceiving the magic appeal to the imagination that I found in things which he condemned as frivolous, he was astonished that I— I, to whom he imagined himself to be so utterly inferior — could take any interest in them.
Dès les premiers jours Saint-Loup fit la conquête de ma grand′mère, non seulement par la bonté incessante qu′il s′ingéniait à nous témoigner à tous deux, mais par le naturel qu′il y mettait comme en toutes choses. Or, le naturel — sans doute parce que, sous l′art de l′homme, il laisse sentir la nature — était la qualité que ma grand′mère préférait à toutes, tant dans les jardins où elle n′aimait pas qu′il y eût, comme dans celui de Combray, de plates-bandes trop régulières, qu′en cuisine où elle détestait ces «pièces montées» dans lesquelles on reconnaît à peine les aliments qui ont servi à les faire, ou dans l′interprétation pianistique qu′elle ne voulait pas trop fignolée, trop léchée, ayant même eu pour les notes accrochées, pour les fausses notes de Rubinstein, une complaisance particulière. Ce naturel elle le goûtait jusque dans les vêtements de Saint-Loup, d′une élégance souple sans rien de «gommeux» ni de «compassé», sans raideur et sans empois. Elle prisait davantage encore ce jeune homme riche dans la façon négligente et libre qu′il avait de vivre dans le luxe sans «sentir l′argent», sans airs importants; elle retrouvait même le charme de ce naturel dans l′incapacité que Saint-Loup avait gardée et qui généralement disparaît avec l′enfance en même temps que certaines particularités physiologiques de cet âge — d′empêcher son visage de refléter une émotion. Quelque chose qu′il désirait par exemple et sur quoi il n′avait pas compté, ne fût-ce qu′un compliment, faisait se dégager en lui un plaisir si brusque, si brûlant, si volatile, si expansif, qu′il lui était impossible de le contenir et de le cacher; une grimace de plaisir s′emparait irrésistiblement de son visage; la peau trop fine de ses joues laissait transparaître une vive rougeur, ses yeux reflétaient la confusion et la joie; et ma grand′mère était infiniment sensible à cette gracieuse apparence de franchise et d′innocence, laquelle d′ailleurs chez Saint-Loup, au moins à l′époque où je me liai avec lui, ne trompait pas. Mais j′ai connu un autre être et il y en a beaucoup, chez lequel la sincérité physiologique de cet incarnat passager n′excluait nullement la duplicité morale; bien souvent il prouve seulement la vivacité avec laquelle ressentent le plaisir jusqu′à être désarmées devant lui et à être forcées de le confesser aux autres, des natures capables des plus viles fourberies. Mais où ma grand′mère adorait surtout le naturel de Saint-Loup, c′était dans sa façon d′avouer sans aucun détour la sympathie qu′il avait pour moi, et pour l′expression de laquelle il avait de ces mots comme elle n′eût pas pu en trouver elle-même, disait-elle, de plus justes et vraiment aimants, des mots qu′eussent contresignés «Sevigné et Beausergent»; il ne se gênait pas pour paisanter mes défauts — qu′il avait démêlés avec une finesse dont elle était amusée — mais comme elle-même aurait fait, avec tendresse, exaltant au contraire mes qualités avec une chaleur, un abandon qui ne connaissait pas les réserves et la froideur grâce auxquelles les jeunes gens de son âge croient généralement se donner de l′importance. Et il montrait à prévenir mes moindres malaises, à remettre des couvertures sur mes jambes si le temps fraîchissait sans que je m′en fusse aperçu, à s′arranger sans le dire à rester le soir avec moi plus tard, s′il me sentait triste ou mal disposé, une vigilance que, du point de vue de ma santé pour laquelle plus d′endurcissement eût peut-être été préférable, ma grand′mère trouvait presque excessive, mais qui comme preuve d′affection pour moi la touchait profondément. From the first Saint-Loup made a conquest of my grandmother, not only by the incessant acts of kindness which he went out of his way to shew to us both, but by the naturalness which he put into them as into everything. For naturalness — doubtless because through the artifice of man it allows a feeling of nature to permeate — was the quality which my grandmother preferred to all others, whether in gardens, where she did not like there to be, as there had been in our Combray garden, too formal borders, or at table, where she detested those dressed-up dishes in which you could hardly detect the foodstuffs that had gone to make them, or in piano-playing, which she did not like to be too finicking, too laboured, having indeed had a special weakness for the discords, the wrong notes of Rubinstein. This naturalness she found and enjoyed even in the clothes that Saint-Loup wore, of a pliant elegance, with nothing swagger, nothing formal about them, no stiffness or starch. She appreciated this rich young man still more highly for the free and careless way that he had of living in luxury without ‘smelling of money,′ without giving himself airs; she even discovered the charm of this naturalness in the incapacity which Saint-Loup had kept, though as a rule it is outgrown with childhood, at the same time as certain physiological peculiarities of that period, for preventing his face from at once reflecting every emotion. Something, for instance, that he wanted to have but had not expected, were it no more than a compliment, reacted in him in a burst of pleasure so quick, so burning, so volatile, so expansive that it was impossible for him to contain and to conceal it; a grin of delight seized irresistible hold of his face; the too delicate skin of his cheeks allowed a vivid glow to shine through them, his eyes sparkled with confusion and joy; and my grandmother was infinitely touched by this charming show of innocence and frankness, which, incidentally, in Saint-Loup — at any rate at the period of our first friendship — was not misleading. But I have known another person, and there are many such, in whom the physiological sincerity of that fleeting blush in no way excluded moral duplicity; as often as not it proves nothing more than the vivacity with which pleasure is felt — so that it disarms them and they are forced publicly to confess it — by natures capable of the vilest treachery. But where my grandmother did really adore Saint-Loup′s naturalness was in his way of admitting, without any evasion, his affection for me, to give expression to which he found words than which she herself, she told me, could not have thought of any more appropriate, more truly loving, words to which ‘Sévigné and Beausergent′ might have set their signatures. He was not afraid to make fun of my weaknesses — which he had discerned with an acuteness that made her smile — but as she herself would have done, lovingly, at the same time extolling my good qualities with a warmth, an impulsive freedom that shewed no sign of the reserve, the coldness by means of which young men of his age are apt to suppose that they give themselves importance. And he shewed in forestalling every discomfort, however slight, in covering my legs if the day had turned cold without my noticing it, in arranging (without telling me) to stay later with me in the evening if he thought that I was depressed or felt unwell, a vigilance which, from the point of view of my health, for which a more hardening discipline would perhaps have been better, my grandmother found almost excessive, though as a proof of his affection for myself she was deeply touched by it.
Il fut bien vite convenu entre lui et moi que nous étions devenus de grands amis pour toujours, et il disait «notre amitié» comme s′il eût parlé de quelque chose d′important et de délicieux qui eût existé en dehors de nous-mêmes et qu′il appela bientôt — en mettant à part son amour pour sa maîtresse — la meilleure joie de sa vie. Ces paroles me causaient une sorte de tristesse, et j′étais embarrassé pour y répondre, car je n′éprouvais à me trouver, à causer avec lui — et sans doute c′eût été de même avec tout autre — rien de ce bonheur qu′il m′était au contraire possible de ressentir quand j′étais sans compagnon. Seul, quelquefois, je sentais affluer du fond de moi quelqu′une de ces impressions qui me donnaient un bien-être délicieux. Mais dès que j′étais avec quelqu′un, dès que je parlais à un ami, mon esprit faisait volte-face, c′était vers cet interlocuteur et non vers moi-même qu′il dirigeait ses pensées et quand elles suivaient ce sens inverse, elles ne me procuraient aucun plaisir. Une fois que j′avais quitté Saint-Loup, je mettais, à l′aide de mots, une sorte d′ordre dans les minutes confuses que j′avais passées avec lui; je me disais que j′avais un bon ami, qu′un bon ami est une chose rare et je goûtais, à me sentir entouré de biens difficiles à acquérir, ce qui était justement l′opposé du plaisir qui m′était naturel, l′opposé du plaisir d′avoir extrait de moi-même et amené à la lumière quelque chose qui y était caché dans la pénombre. Si j′avais passé deux ou trois heures à causer avec Robert de Saint-Loup et qu′il eût admiré ce que je lui avais dit, j′éprouvais une sorte de remords, de regret, de fatigues de ne pas être resté seul et prêt enfin à travailler. Mais je me disais qu′on n′est pas intelligent que pour soi-même, que les plus grands ont désiré d′être appréciés, que je ne pouvais pas considérer comme perdues des heures où j′avais bâti une haute idée de moi dans l′esprit de mon ami, je me persuadais facilement que je devais en être heureux et je souhaitais d′autant plus vivement que ce bonheur ne me fût jamais enlevé que je ne l′avais pas ressenti. On craint plus que de tous les autres la disparition des biens restés en dehors de nous parce que notre cur ne s′en est pas emparé. Je me sentais capable d′exercer les vertus de l′amitié mieux que beaucoup (parce que je ferais toujours passer le bien de mes amis avant ces intérêts personnels auxquels d′autres sont attachés et qui ne comptaient pas pour moi) mais non pas de connaître la joie par un sentiment qui au lieu d′accroître les différences qu′il y avait entre mon âme et celles des autres — comme il y en a entre les âmes de chacun de nous — les effacerait. En revanche par moment ma pensée démêlait en Saint-Loup un être plus général que lui-même, le «noble», et qui comme un esprit intérieur mouvait ses membres, ordonnait ses gestes et ses actions; alors, à ces moments-là, quoique près de lui j′étais seul comme je l′eusse été devant un paysage dont j′aurais compris l′harmonie. Il n′était plus qu′un objet que ma rêverie cherchait à approfondir. A retrouver toujours en lui cet être antérieur, séculaire, cet aristocrate que Robert aspirait justement à ne pas être, j′éprouvais une vive joie, mais d′intelligence, non d′amitié. Dans l′agilité morale et physique qui donnait tant de grâce à son amabilité, dans l′aisance avec laquelle il offrait sa voiture à ma grand′mère et l′y faisait monter, dans son adresse à sauter du siège quand il avait peur que j′eusse froid, pour jeter son propre manteau sur mes épaules, je ne sentais pas seulement la souplesse héréditaire des grands chasseurs qu′avaient été depuis des générations les ancêtres de ce jeune homme qui ne prétendait qu′à l′intellectualité, leur dédain de la richesse qui, subsistant chez lui à côté du goût qu′il avait d′elle rien que pour pouvoir mieux fêter ses amis, lui faisait mettre si négligemment son luxe à leurs pieds; j′y sentais surtout la certitude ou l′illusion qu′avaient eu ces grands seigneurs d′être «plus que les autres», grâce à quoi ils n′avaient pu léguer à Saint-Loup ce désir de montrer qu′on est «autant que les autres», cette peur de paraître trop empressé, qui lui était en effet vraiment inconnue et qui enlaidit de tant de laideur et de gaucherie la plus sincère amabilité plébéienne. Quelquefois je me reprochais de prendre ainsi plaisir à considérer mon ami comme une uvre d′art, c′est-à-dire à regarder le jeu de toutes les parties de son être comme harmonieusement réglé par une idée générale à laquelle elles étaient suspendues mais qu′il ne connaissait pas et qui par conséquent n′ajoutait rien à ses qualités propres, à cette valeur personnelle d′intelligence et de moralité à quoi il attachait tant de prix. It was promptly settled between us that he and I were to be great friends for ever, and he would say ‘our friendship′ as though he were speaking of some important and delightful thing which had an existence independent of ourselves, and which he soon called — not counting his love for his mistress — the great joy of his life. These words made me rather uncomfortable and I was at a loss for an answer, for I did not feel when I was with him and talked to him — and no doubt it would have been the same with everyone else — any of that happiness which it was, on the other hand, possible for me to experience when I was by myself. For alone, at times, I felt surging from the depths of my being one or other of those impressions which gave me a delicious sense of comfort. But as soon as I was with some one else, when I began to talk to a friend, my mind at once ‘turned about,′ it was towards the listener and not myself that it directed its thoughts, and when they followed this outward course they brought me no pleasure. Once I had left Saint-Loup, I managed, with the help of words, to put more or less in order the confused minutes that I had spent with him; I told myself that I had a good friend, that a good friend was a rare thing, and I tasted, when I felt myself surrounded by ‘goods′ that were difficult to acquire, what was precisely the opposite of the pleasure that was natural to me, the opposite of the pleasure of having extracted from myself and brought to light something that was hidden in my inner darkness. If I had spent two or three hours in conversation with Saint-Loup, and he had expressed his admiration of what I had said to him, I felt a sort of remorse, or regret, or weariness at not having been left alone and ready, at last, to begin my work. But I told myself that one is not given intelligence for one′s own benefit only, that the greatest of men have longed for appreciation, that I could not regard as wasted hours in which I had built up an exalted idea of myself in the mind of my friend; I had no difficulty in persuading myself that I ought to be happy in consequence, and I hoped all the more anxiously that this happiness might never be taken from me simply because I had not yet been conscious of it. We fear more than the loss of everything else the disappearance of the ‘goods′ that have remained beyond our reach, because our heart has not taken possession of them. I felt that I was capable of exemplifying the virtues of friendship better than most people (because I should always place the good of my friends before those personal interests to which other people were devoted but which did not count for me), but not of finding happiness in a feeling which, instead of multiplying the differences that there were between my nature and those of other people — as there are among all of us — would cancel them. At the same time my mind was distinguishing in Saint-Loup a personality more collective than his own, that of the ‘noble′; which like an indwelling spirit moved his limbs, ordered his gestures and his actions; then, at such moments, although in his company, I was as much alone as I should have been gazing at a landscape the harmony of which I could understand. He was no more then than an object the properties of which, in my musing contemplations, I sought to explore. The perpetual discovery in him of this pre-existent, this aeonial creature, this aristocrat who was just what Robert aspired not to be, gave me a keen delight, but one that was intellectual and not social. In the moral and physical agility which gave so much grace to his kindnesses, in the ease with which he offered my grandmother his carriage and made her get into it, in the alacrity with which he sprang from the box, when he was afraid that I might be cold, to spread his own cloak over my shoulders, I felt not only the inherited litheness of the mighty hunters who had been for generations the ancestors of this young man who made no pretence save to intellectuality, their scorn of wealth which, subsisting in him side by side with his enjoyment of it simply because it enabled him to entertain his friends more lavishly, made him so carelessly shower his riches at their feet; I felt in him especially the certainty or the illusion in the minds of those great lords of being ‘better than other people,′ thanks to which they had not been able to hand down to Saint-Loup that anxiety to shew that one is ‘just as good that dread of seeming inferior, of which he was indeed wholly unconscious, but which mars with so much ugliness, so much awkwardness, the most sincere overtures of a plebeian. Sometimes I found fault with myself for thus taking pleasure in my friend as in a work of art, that is to say in regarding the play of all the parts of his being as harmoniously ordered by a general idea from which they depended but which he did not know, so that it added nothing to his own good qualities, to that personal value, intellectual and moral, to which he attached so high a price.
Et pourtant elle était dans une certaine mesure leur condition. C′est parce qu′il était un gentilhomme que cette activité mentale, ces aspirations socialistes, qui lui faisaient rechercher de jeunes étudiants prétentieux et mal mis, avaient chez lui quelque chose de vraiment pur et désintéressé qu′elles n′avaient pas chez eux. Se croyant l′héritier d′une caste ignorante et égoî²´e, il cherchait sincèrement à ce qu′ils lui pardonnassent ces origines aristocratiques qui exerçaient sur eux au contraire une séduction et à cause desquelles ils le recherchaient, tout en simulant à son égard la froideur et même l′insolence. Il était ainsi amené à faire des avances à des gens dont mes parents, fidèles à la sociologie de Combray, eussent été stupéfaits qu′il ne se détournât pas. Un jour que nous étions assis sur le sable, Saint-Loup et moi, nous entendîmes d′une tente de toile contre laquelle nous étions, sortir des imprécations contre le fourmillement d′israélites qui infestait Balbec. «On ne peut faire deux pas sans en rencontrer, disait la voix. Je ne suis pas par principe irréductiblement hostile à la nationalité juive, mais ici il y a pléthore. On n′entend que: «Dis donc Apraham, chai fu Chakop. On se croirait rue d′Aboukir.» L′homme qui tonnait ainsi contre Israël sortit enfin de la tente, nous levâmes les yeux sur cet antisémite. C′était mon camarade Bloch. Saint-Loup me demanda immédiatement de rappeler à celui-ci qu′ils s′étaient rencontrés au Concours Général où Bloch avait eu le prix d′honneur, puis dans une Université populaire. And yet that idea was to a certain extent their determining cause. It was because he was a gentleman that that mental activity, those socialist aspirations, which made him seek the company of young students, arrogant and ill-dressed, connoted in him something really pure and disinterested which was not to be found in them. Looking upon himself as the heir of an ignorant and selfish caste, he was sincerely anxious that they should forgive in him that aristocratic origin which they, on the contrary, found irresistibly attractive and on account of which they sought to know him, though with a show of coldness and indeed of insolence towards him. He was thus led to make advances to people from whom my parents, faithful to the sociological theories of Combray, would have been stupefied at his not turning away in disgust. One day when we were sitting on the sands, Saint-Loup and I, we heard issuing from a canvas tent against which we were leaning a torrent of imprecation against the swarm of Israelites that infested Balbec. “You can′t go a yard without meeting them,” said the voice. “I am not in principle irremediably hostile to the Jewish nation, but here there is a plethora of them. You hear nothing but, ‘I thay, Apraham, I′ve chust theen Chacop.′ You would think you were in the Rue d′Abou-kir.” The man who thus inveighed against Israel emerged at last from the tent; we raised our eyes to behold this anti-Semite. It was my old friend Bloch. Saint-Loup at once begged me to remind him that they had met before the Board of Examiners, when Bloch had carried off the prize of honour, and since then at a popular university course.
Tout au plus souriais-je parfois de retrouver chez Robert les leçons des jésuites dans la gêne que la peur de froisser faisait naître chez lui, chaque fois que quelqu′un de ses amis intellectuels commettait une erreur mondaine, faisait une chose ridicule, à laquelle, lui, Saint-Loup, n′attachait aucune importance, mais dont il sentait que l′autre aurait rougi si l′on s′en était aperçu. Et c′était Robert qui rougissait comme si ç‘avait été lui le coupable, par exemple le jour où Bloch lui promettait d′aller le voir à l′hôtel, ajouta: At the most I may have smiled now and then, to discover in Robert the marks of his Jesuit schooling, in the awkwardness which the fear of hurting people′s feelings at once created in him whenever one of his intellectual friends made a social error, did something silly to which Saint-Loup himself attached no importance but felt that the other would have blushed if anybody had noticed it. And it was Robert who used to blush as though it had been he that was to blame, for instance on the day when Bloch, after promising to come and see him at the hotel, went on:
— Comme je ne peux pas supporter d′attendre parmi le faux chic de ces grands caravansérails, et que les tziganes me feraient trouver mal, dites au «la» de les faire taire et de vous prévenir de suite. “As I cannot endure to be kept waiting among all the false splendour of these great caravanserais, and the Hungarian band would make me ill, you must tell the ‘lighft-boy′ to make them shut up, and to let you know at once.”
Personnellement, je ne tenais pas beaucoup à ce que Bloch vînt à l′hôtel. Il était à Balbec, non pas seul, malheureusement, mais avec ses surs qui y avaient elles-mêmes beaucoup de parents et d′amis. Or cette colonie juive était plus pittoresque qu′agréable. Il en était de Balbec comme de certains pays, la Russie ou la Roumanie, où les cours de géographie nous enseignent que la population israélite n′y jouit point de la même faveur et n′y est pas parvenue au même degré d′assimilation qu′à Paris par exemple. Toujours ensemble, sans mélange d′aucun autre élément, quand les cousines et les oncles de Bloch, ou leurs coreligionnaires mâles ou femelles se rendaient au Casino, les unes pour le «bal», les autres bifurquant vers le baccarat, ils formaient un cortège homogène en soi et entièrement dissemblable des gens qui les regardaient passer et les retrouvaient là tous les ans sans jamais échanger un salut avec eux, que ce fût la société des Cambremer, le clan du premier président, ou des grands et petits bourgeois, ou même de simples grainetiers de Paris, dont les filles, belles, fières, moqueuses et françaises comme les statues de Reims, n′auraient pas voulu se mêler à cette horde de fillasses mal élevées, poussant le souci des modes de «bains de mer» jusqu′à toujours avoir l′air de revenir de pêcher la crevette ou d′être en train de danser le tango. Quant aux hommes, malgré l′éclat des smokings et des souliers vernis, l′exagération de leur type faisait penser à ces recherches dites «intelligentes» des peintres qui, ayant à illustrer les Évangiles ou les Mille et Une Nuits, pensent au pays où la scène se passe et donnent à saint Pierre ou à Ali-Baba précisément la figure qu′avait le plus gros «ponte» de Balbec. Bloch me présenta ses surs, auxquelles il fermait le bec avec la dernière brusquerie et qui riaient aux éclats des moindres boutades de leur frère, leur admiration et leur idole. De sorte qu′il est probable que ce milieu devait renfermer comme tout autre, peut-être plus que tout autre, beaucoup d′agréments, de qualités et de vertus. Mais pour les éprouver, il eût fallu y pénétrer. Or, il ne plaisait pas il le sentait, il voyait là la preuve d′un antisémitisme contre lequel il faisait front en une phalange compacte et close où personne d′ailleurs ne songeait à se frayer un chemin. Personally, I was not particularly anxious that Bloch should come to the hotel. He was at Balbec not by himself, unfortunately, but with his sisters, and they in turn had innumerable relatives and friends staying there. Now this Jewish colony was more picturesque than pleasant. Balbec was in this respect like such countries as Russia or Rumania, where the geography books teach us that the Israelite population does not enjoy anything approaching the same esteem and has not reached the same stage of assimilation as, for instance, in Paris. Always together, with no blend of any other element, when the cousins and uncles of Bloch or their coreligionists male or female repaired to the Casino, the ladies to dance, the gentlemen branching off towards the baccarat-tables, they formed a solid troop, homogeneous within itself, and utterly dissimilar to the people who watched them go past and found them there again every year without ever exchanging a word or a sign with them, whether these were on the Cambremers′ list, or the presiding magistrate′s little group, professional or ‘business′ people, or even simple corn-chandlers from Paris, whose daughters, handsome, proud, derisive and French as the statues at Rheims, would not care to mix with that horde of ill-bred tomboys, who carried their zeal for ‘seaside fashions′ so far as to be always apparently on their way home from shrimping or out to dance the tango. As for the men, despite the brilliance of their dinner-jackets and patent-leather shoes, the exaggeration of their type made one think of what people call the ‘intelligent research′ of painters who, having to illustrate the Gospels or the Arabian Nights, consider the country in which the scenes are laid, and give to Saint Peter or to Ali-Baba the identical features of the heaviest ‘punter′ at the Balbec tables. Bloch introduced his sisters, who, though he silenced their chatter with the utmost rudeness, screamed with laughter at the mildest sallies of this brother, their blindly worshipped idol. So that it is probable that this set of people contained, like every other, perhaps more than any other, plenty of attractions, merits and virtues. But in order to experience these, one had first to penetrate its enclosure. Now it was not popular; it could feel this; it saw in its unpopularity the mark of an anti-semitism to which it presented a bold front in a compact and closed phalanx into which, as it happened, no one ever dreamed of trying to make his way.
Pour ce qui est de «la», cela avait d′autant moins lieu de me surprendre que quelques jours auparavant, Bloch m′ayant demandé pourquoi j′étais venu à Balbec (il lui semblait au contraire tout naturel que lui-même y fût) et si c′était «dans l′espoir de faire de belles connaissances», comme je lui avais dit que ce voyage répondait à un de mes plus anciens désirs, moins profond pourtant que celui d′aller à Venise, il avait répondu: «Oui, naturellement, pour boire des sorbets avec les belles madames, tout en faisant semblant de lire les Stones of Vena, de Lord John Ruskin, sombre raseur et l′un des plus barbifiants bonshommes qui soient.» Bloch croyait donc évidemment qu′en Angleterre, non seulement tous les individus du sexe mâle sont lords, mais encore que la lettre i s′y prononce toujours aí¬ Quant à Saint-Loup, il trouvait cette faute de prononciation d′autant moins grave qu′il y voyait surtout un manque de ces notions presque mondaines que mon nouvel ami méprisait autant qu′il les possédait. Mais la peur que Bloch apprenant un jour qu′on dit Venice et que Ruskin n′était pas lord, crût rétrospectivement que Robert l′avait trouvé ridicule fit que ce dernier se sentit coupable comme s′il avait manqué de l′indulgence dont il débordait et que la rougeur qui colorerait sans doute un jour le visage de Bloch à la découverte de son erreur, il la sentit par anticipation et réversibilité monter au sien. Car il pensait bien que Bloch attachait plus d′importance que lui à cette faute. Ce que Bloch prouva quelque temps après, un jour qu′il m′entendit prononcer «lift», en interrompant: At his use of the word ‘lighft′ I had all the less reason to be surprised in that, a few days before, Bloch having asked me why I had come to Balbec (although it seemed to him perfectly natural that he himself should be there) and whether it had been “in the hope of making grand friends,” when I had explained to him that this visit was a fulfilment of one of my earliest longings, though one not so deep as my longing to see Venice, he had replied: “Yes, of course, to sip iced drinks with the pretty ladies, while you pretend to be reading the Stones of Venighce, by Lord John Ruskin, a dreary shaver, in fact one of the most garrulous old barbers that you could find.” So that Bloch evidently thought that in England not only were all the inhabitants of the male sex called ‘Lord,′ but the letter ‘i′ was invariably pronounced ‘igh.′ As for Saint-Loup, this mistake in pronunciation seemed to him all the less serious inasmuch as he saw in it pre-eminently a want of those almost ‘society′ notions which my new friend despised as fully as he was versed in them. But the fear lest Bloch, discovering one day that one says ‘Venice′ and that Ruskin was not a lord, should retrospectively imagine that Robert had been laughing at him, made the latter feel as guilty as if he had been found wanting in the indulgence with which, as we have seen, he overflowed, so that the blush which would no doubt one day dye the cheek of Bloch on the discovery of his error, Robert already, by anticipation and reflex action, could feel mounting to his own. For he fully believed that Bloch attached more importance than he to this mistake. Which Bloch proved to be true some time later, when he heard me pronounce the word ‘lift,′ by breaking in with:
— «Ah! on dit lift.» Et d′un ton sec et hautain:— «Cela n′a d′ailleurs aucune espèce d′importance.» Phrase analogue à un réflexe, la même chez tous les hommes qui ont de l′amour-propre, dans les plus graves circonstances aussi bien que dans les plus infimes; dénonçant alors aussi bien que dans celle-ci combien importante paraît la chose en question à celui qui la déclare sans importance; phrase tragique parfois qui la première de toutes s′échappe si navrante alors, des lèvres de tout homme un peu fier à qui on vient d′enlever la dernière espérance à laquelle il se raccrochait, en lui refusant un service: «Ah! bien, cela n′a aucune espèce d′importance, je m′arrangerai autrement»; l′autre arrangement vers lequel il est sans aucune espèce d′importance d′être rejeté étant quelquefois le suicide. “Oh, you say ‘lift,′ do you?” And then, in a dry and lofty tone: “Not that it is of the slightest importance.” A phrase that is like a reflex action of the body, the same in all men whose self-esteem is great, in the gravest circumstances as well as in the most trivial, betraying there as clearly as on this occasion how important the thing in question seems to him who declares that it is of no importance; a tragic phrase at times, the first to escape (and then how heart-breaking) the lips of every man at all proud from whom we have just taken the last hope to which he still clung by refusing to do him a service. “Oh, well, it′s not of the slightest importance; I shall make some other arrangement:” the other arrangement which it is not of the slightest importance that he should be driven to adopt being often suicide.
Puis Bloch me dit des choses fort gentilles. Il avait certainement envie d′être très aimable avec moi. Pourtant, il me demanda: «Est-ce par goût de t′élever vers la noblesse — une noblesse très à-côté du reste, mais tu es demeuré na— que tu fréquentes de Saint-Loup-en-Bray. Tu dois être en train de traverser une jolie crise de snobisme. Dis-moi es-tu snob? Oui n′est-ce pas?» Ce n′est pas que son désir d′amabilité eût brusquement changé. Mais ce qu′on appelle en un français assez incorrect «la mauvaise éducation» était son défaut, par conséquent le défaut dont il ne s′apercevait pas, à plus forte raison dont il ne crût pas que les autres pussent être choqués. Dans l′humanité, la fréquence des vertus identiques pour tous, n′est pas plus merveilleuse que la multiplicité des défauts particuliers à chacun. Sans doute, ce n′est pas le bon sens qui est «la chose du monde la plus répandue», c′est la bonté. Dans les coins les plus lointains, les plus perdus, on s′émerveille de la voir fleurir d′elle-même, comme dans un vallon écarté un coquelicot pareil à ceux du reste du monde, lui qui ne les a jamais vus, et n′a jamais connu que le vent qui fait frissonner parfois son rouge chaperon solitaire. Même si cette bonté, paralysée par l′intérêt, ne s′exerce pas, elle existe pourtant, et chaque fois qu′aucun mobile égoî²´e ne l′empêche de le faire, par exemple, pendant la lecture d′un roman ou d′un journal, elle s′épanouit, se tourne, même dans le cur de celui qui, assassin dans la vie, reste tendre comme amateur de feuilletons, vers le faible, vers le juste et le persécuté. Mais la variété des défauts n′est pas moins admirable que la similitude des vertus. Chacun a tellement les siens que pour continuer à l′aimer, nous sommes obligés de n′en pas tenir compte et de les négliger en faveur du reste. La personne la plus parfaite a un certain défaut qui choque ou qui met en rage. L′une est d′une belle intelligence, voit tout d′un point de vue élevé, ne dit jamais de mal de personne, mais oublie dans sa poche les lettres les plus importantes qu′elle vous a demandé elle-même de lui confier, et vous fait manquer ensuite un rendez-vous capital, sans vous faire d′excuses, avec un sourire, parce qu′elle met sa fierté à ne jamais savoir l′heure. Un autre a tant de finesse, de douceur, de procédés délicats, qu′il ne vous dit jamais de vous-même que les choses qui peuvent vous rendre heureux, mais vous sentez qu′il en tait, qu′il en ensevelit dans son cur, où elles aigrissent, de toutes différentes, et le plaisir qu′il a à vous voir lui est si cher qu′il vous ferait crever de fatigue plutôt que de vous quitter. Un troisième a plus de sincérité, mais la pousse jusqu′à tenir à ce que vous sachiez, quand vous vous êtes excusé sur votre état de santé de ne pas être allé le voir, que vous avez été vu vous rendant au théâtre et qu′on vous a trouvé bonne mine, ou qu′il n′a pu profiter entièrement de la démarche que vous avez faite pour lui, que d′ailleurs déjà trois autres lui ont proposé de faire et dont il ne vous est ainsi que légèrement obligé. Dans les deux circonstances, l′ami précédent aurait fait semblant d′ignorer que vous étiez allé au théâtre et que d′autres personnes eussent pu lui rendre le même service. Quant à ce dernier ami il éprouve le besoin de répéter ou de révéler à quelqu′un ce qui peut le plus vous contrarier, est ravi de sa franchise et vous dit avec force: «Je suis comme cela.» Tandis que d′autres vous agacent par leur curiosité exagérée, ou par leur incuriosité si absolue, que vous pouvez leur parler des événements les plus sensationnels sans qu′ils sachent de quoi il s′agit; que d′autres encore restent des mois à vous répondre si votre lettre a trait à un fait qui concerne vous et non eux, ou bien s′ils vous disent qu′ils vont venir vous demander quelque chose et que vous n′osiez pas sortir de peur de les manquer, ne viennent pas et vous laissent attendre des semaines parce que n′ayant pas reçu de vous la réponse que leur lettre ne demandait nullement, ils avaient cru vous avoir fâché. Et certains, consultant leur désir et non le vôtre, vous parlent sans vous laisser placer un mot s′ils sont gais et ont envie de vous voir, quelque travail urgent que vous ayez à faire, mais s′ils se sentent fatigués par le temps, ou de mauvaise humeur, vous ne pouvez pas tirer d′eux une parole, ils opposent à vos efforts une inerte langueur et ne prennent pas plus la peine de répondre, même par monosyllabes, à ce que vous dites que s′ils ne vous avaient pas entendus. Chacun de nos amis a tellement ses défauts que pour continuer à l′aimer nous sommes obligés d′essayer de nous consoler d′eux — en pensant à son talent, à sa bonté, à sa tendresse, — ou plutôt de ne pas en tenir compte en déployant pour cela toute notre bonne volonté. Malheureusement notre complaisante obstination à ne pas voir le défaut de notre ami est surpassée par celle qu′il met à s′y adonner à cause de son aveuglement ou de celui qu′il prête aux autres. Car il ne le voit pas ou croit qu′on ne le voit pas. Comme le risque de déplaire vient surtout de la difficulté d′apprécier ce qui passe ou non inaperçu, on devrait, au moins, par prudence, ne jamais parler de soi, parce que c′est un sujet où on peut être sûr que la vue des autres et la nôtre propre ne concordent jamais. Si on a autant de surprises qu′à visiter une maison d′apparence quelconque dont l′intérieur est rempli de trésors, de pinces-monseigneur et de cadavres quand on découvre la vraie vie des autres, l′univers réel sous l′univers apparent, on n′en éprouve pas moins si au lieu de l′image qu′on s′était faite de soi-même grâce à ce que chacun nous en disait, on apprend par le langage qu′ils tiennent à notre égard en notre absence, quelle image entièrement différente ils portaient en eux de nous et de notre vie. De sorte que chaque fois que nous avons parlé de nous, nous pouvons être sûrs que nos inoffensives et prudentes paroles, écoutées avec une politesse apparente et une hypocrite approbation ont donné lieu aux commentaires les plus exaspérés ou les plus joyeux, en tous cas les moins favorables. Le moins que nous risquions est d′agacer par la disproportion qu′il y a entre notre idée de nous-mêmes et nos paroles, disproportion qui rend généralement les propos des gens sur eux aussi risibles que ces chantonnements des faux amateurs de musique qui éprouvent le besoin de fredonner un air qu′ils aiment en compensant l′insuffisance de leur murmure inarticulé par une mimique énergique et un air d′admiration que ce qu′ils nous font entendre ne justifie pas. Et à la mauvaise habitude de parler de soi et de ses défauts il faut ajouter comme faisant bloc avec elle, cette autre de dénoncer chez les autres des défauts précisément analogues à ceux qu′on a. Or, c′est toujours de ces défauts-là qu′on parle, comme si c′était une manière de parler de soi, détournée, et qui joint au plaisir de s′absoudre celui d′avouer. D′ailleurs il semble que notre attention toujours attirée sur ce qui nous caractérise le remarque plus que toute autre chose chez les autres. Un myope dit d′un autre: «Mais il peut à peine ouvrir les yeux»; un poitrinaire a des doutes sur l′intégrité pulmonaire du plus solide; un malpropre ne parle que des bains que les autres ne prennent pas; un malodorant prétend qu′on sent mauvais; un mari trompé voit partout des maris trompés; une femme légère des femmes légères; le snob des snobs. Et puis chaque vice comme chaque profession, exige et développe un savoir spécial qu′on n′est pas fâché d′étaler. L′investi dépiste les investis, le couturier invité dans le monde n′a pas encore causé avec vous qu′il a déjà apprécié l′étoffe de votre vêtement et que ses doigts brûlent d′en palper les qualités, et si après quelques instants de conversation vous demandiez sa vraie opinion sur vous à un odontalgiste, il vous dirait le nombre de vos mauvaises dents. Rien ne lui paraît plus important, et à vous qui avez remarqué les siennes, plus ridicule. Et ce n′est pas seulement quand nous parlons de nous que nous croyons les autres aveugles; nous agissons comme s′ils l′étaient. Pour chacun de nous, un Dieu spécial est là qui lui cache ou lui promet l′inversibilité de son défaut, de même qu′il ferme les yeux et les narines aux gens qui ne se lavent pas sur la raie de crasse qu′ils portent aux oreilles et l′odeur de transpiration qu′ils gardent au creux des bras et les persuade qu′ils peuvent impunément promener l′une et l′autre dans le monde qui ne s′apercevra de rien. Et ceux qui portent ou donnent en présent de fausses perles s′imaginent qu′on les prendra pour des vraies. Bloch était mal élevé, névropathe, snob et appartenant à une famille peu estimée supportait comme au fond des mers les incalculables pressions que faisaient peser sur lui non seulement les chrétiens de la surface mais les couches superposées des castes juives supérieures à la sienne, chacune accablant de son mépris celle qui lui était immédiatement inférieure. Percer jusqu′à l′air libre en s′élevant de famille juive en famille juive eût demandé à Bloch plusieurs milliers d′années. Il valait mieux chercher à se frayer une issue d′un autre côté. Apart from this, Bloch made me the prettiest speeches. He was certainly anxious to be on the best of terms with me. And yet he asked me: “Is it because you′ve taken a fancy to raise yourself to the peerage that you run after de Saint-Loup-en-Bray? You must be going through a fine crisis of snobbery. Tell me, are you a snob? I think so, what?” Not that his desire to be friendly had suddenly changed. But what is called, in not too correct language, ‘ill breeding′ was his defect, and therefore the defect which he was bound to overlook, all the more that by which he did not believe that other people could be shocked. In the human race the frequency of the virtues that are identical in us all is not more wonderful than the multiplicity of the defects that are peculiar to each one of us. Undoubtedly, it is not common sense that is “the commonest thing in the world”; but human kindness. In the most distant, the most desolate ends of the earth, we marvel to see it blossom of its own accord, as in a remote valley a poppy like the poppies in the world beyond, poppies which it has never seen as it has never known aught but the wind that, now and again, stirring the folds of its scarlet cloak, disturbs its solitude. Even if this human kindness, paralysed by self-interest, is not exercised, it exists none the less, and whenever any inconstant egoist does not restrain its action, when, for example, he is reading a novel or a newspaper, it will bud, blossom, grow, even in the heart of him who, cold-blooded in real life, has retained a tender heart, as a lover of fiction, for the weak, the righteous and the persecuted. But the variety of our defects is no less remarkable than the similarity of our virtues. Each of us has his own, so much so that to continue loving him we are obliged not to take them into account but to ignore them and look only to the rest of his character. The most perfect person in the world has a certain defect which shocks us or makes us angry. One man is of rare intelligence, sees everything from an exalted angle, never speaks evil of anyone, but will pocket and forget letters of supreme importance which it was he himself who asked you to let him post for you, and will then miss a vital engagement without offering you any excuse, with a smile, because he prides himself upon never knowing the time. Another is so refined, so gentle, so delicate in his conduct that he never says anything about you before your face except what you are glad to hear; but you feel that he refrains from uttering, that he keeps buried in his heart, where they grow bitter, very different opinions, and the pleasure that he derives from seeing you is so dear to him that he will let you faint with exhaustion sooner than leave you to yourself. A third has more sincerity, but carries it so far that he feels bound to let you know, when you have pleaded the state of your health as an excuse for not having been to see him, that you were seen going to the theatre and were reported to be looking well, or else that he has not been able to profit entirely by the action which you have taken on his behalf, which, by the way, three other of his friends had already offered to take, so that he is only moderately indebted to you. In similar circumstances the previous friend would have pretended not to know that you had gone to the theatre, or that other people could have done him the same service. But this last friend feels himself obliged to repeat or to reveal to somebody the very thing that is most likely to give offence; is delighted with his own frankness and tells you, emphatically: “I am like that.” While others infuriate you by their exaggerated curiosity, or by a want of curiosity so absolute that you can speak to them of the most sensational happenings without their grasping what it is all about; and others again take months to answer you if your letter has been about something that concerns yourself and not them, or else, if they write that they are coming to ask you for something and you dare not leave the house for fear of missing them, do not appear, but leave you in suspense for weeks because, not having received from you the answer which their letter did not in the least ‘expect,′ they have concluded that you must be cross with them. And others, considering their own wishes and not yours, talk to you without letting you get a word in if they are in good spirits and want to see you, however urgent the work you may have in hand, but if they feel exhausted by the weather or out of humour, you cannot get a word out of them, they meet your efforts with an inert languor and no more take the trouble to reply, even in monosyllables, to what you say to them than if they had not heard you. Each of our friends has his defects so markedly that to continue to love him we are obliged to seek consolation for those defects — in the thought of his talent, his goodness, his affection for ourself — or rather to leave them out of account, and for that we need to display all our good will. Unfortunately our obliging obstinacy in refusing to see the defect in our friend is surpassed by the obstinacy with which he persists in that defect, from his own blindness to it or the blindness that he attributes to other people. For he does not notice it himself, or imagines that it is not noticed. Since the risk of giving offence arises principally from the difficulty of appreciating what does and what does not pass unperceived, we ought, at least, from prudence, never to speak of ourselves, because that is a subject on which we may be sure that other people′s views are never in accordance with our own. If we find as many surprises as on visiting a house of plain exterior which inside is full of hidden treasures, torture-chambers, skeletons, when we discover the true lives of other people, the real beneath the apparent universe, we are no less surprised if, in place of the image that we have made of ourself with the help of all the things that people have said to us, we learn from the terms in which they speak of us in our absence what an entirely different image they have been carrying in their own minds of us and of our life. So that whenever we have spoken about ourselves, we may be sure that our inoffensive and prudent words, listened to with apparent politeness and hypocritical approbation, have given rise afterwards to the most exasperated or the most mirthful, but in either case the least favourable, criticism. The least risk that we run is that of irritating people by the disproportion that there is between our idea of ourselves and the words that we use, a disproportion which as a rule makes people′s talk about themselves as ludicrous as the performances of those self-styled music-lovers who when they feel the need to hum a favourite melody compensate for the inadequacy of their inarticulate murmurings by a strenuous mimicry and a look of admiration which is hardly justified by all that they let us hear. And to the bad habit of speaking about oneself and one′s defects there must be added, as part of the same thing, that habit of denouncing in other people defects precisely analogous to one′s own. For it is always of those defects that people speak, as though it were a way of speaking about oneself, indirectly, which added to the pleasure of absolution that of confession. Besides it seems that our attention, always attracted by what is characteristic of ourselves, notices that more than anything else in other people. One short-sighted man says of another: “But he can scarcely open his eyes!”; a consumptive has his doubts as to the pulmonary integrity of the most robust; an unwashed man speaks only of the baths that other people do not take; an evil-smelling man insists that other people smell; a cuckold sees cuckolds everywhere, a light woman light women, a snob snobs. Then, too, every vice, like every profession, requires and trains a special knowledge which we are never loath to display. The invert detects and denounces inverts; the tailor asked out to dine, before he has begun to talk to you, has passed judgment on the cloth of your coat, which his fingers are itching to feel, and if after a few words of conversation you were to ask a dentist what he really thought of you, he would tell you how many of your teeth wanted filling. To him nothing appears more important, nor more absurd to you who have noticed his own. And it is not only when we speak of ourselves that we imagine other people to be blind; we behave as though they were. On every one of us there is a special god in attendance who hides from him or promises him the concealment from other people of his defect, just as he stops the eyes and nostrils of people who do not wash to the streaks of dirt which they carry in their ears and the smell of sweat which emanates from their armpits, and assures them that they can with impunity carry both of these about a world that will notice nothing. And those who wear artificial pearls, or give them as presents, imagine that people will take them to be genuine. Bloch was ill-bred, neurotic, a snob, and, since he belonged to a family of little repute, had to support, as on the floor of ocean, the incalculable pressure that was imposed on him not only by the Christians upon the surface but by all the intervening layers of Jewish castes superior to his own, each of them crushing with its contempt the one that was immediately beneath it. To carve his way through to the open air by raising himself from Jewish family to Jewish family would have taken Bloch many thousands of years. It was better worth his while to seek an outlet in another direction.
Quand Bloch me parla de la crise de snobisme que je devais traverser et me demanda de lui avouer que j′étais snob, j′aurais pu lui répondre: «Si je l′étais, je ne te fréquenterais pas.» Je lui dis seulement qu′il était peu aimable. Alors il voulut s′excuser mais selon le mode qui est justement celui de l′homme mal élevé, lequel est trop heureux en revenant sur ses paroles de trouver une occasion de les aggraver. «Pardonne-moi, me disait-il maintenant chaque fois qu′il me rencontrait, je t′ai chagriné, torturé, j′ai été méchant à plaisir. Et pourtant — l′homme en général et ton ami en particulier est un si singulier animal — tu ne peux imaginer, moi qui te taquine si cruellement, la tendresse que j′ai pour toi. Elle va souvent quand je pense à toi, jusqu′aux larmes.» Et il fit entendre un sanglot. When Bloch spoke to me of the crisis of snobbery through which I must be passing, and bade me confess that I was a snob, I might well have replied: “If I were, I should not be going about with you.” I said merely that he was not being very polite. Then he tried to apologise, but in the way that is typical of the ill-bred man who is only too glad to hark back to whatever it was if he can find an opportunity to aggravate his offence. “Forgive me,” he used now to plead, whenever we met, “I have vexed you, tormented you; I have been wantonly mischievous. And yet — man in general and your friend in particular is so singular an animal — you cannot imagine the affection that I, I who tease you so cruelly, have for you. It carries me often, when I think of you, to tears.” And he gave an audible sob.
Ce qui m′étonnait plus chez Bloch que ses mauvaises manières, c′était combien la qualité de sa conversation était inégale. Ce garçon si difficile qui des écrivains les plus en vogue disait: «C′est un sombre idiot, c′est tout à fait un imbécile», par moments racontait avec une grande gaieté des anecdotes qui n′avaient rien de drôle et citait comme «quelqu′un de vraiment curieux», tel homme entièrement médiocre. Cette double balance pour juger de l′esprit, de la valeur, de l′intérêt des êtres, ne laissa pas de m′étonner jusqu′au jour où je connus M. Bloch père. What astonished me more in Bloch than his bad manners was to find how the quality of his conversation varied. This youth, so hard to please that of authors who were at the height of their fame he would say: “He′s a gloomy idiot; he′s a sheer imbecile,” would every now and then tell, with immense gusto, stories that were simply not funny or would instance as a ‘really remarkable person′ some man who was completely insignificant. This double scale of measuring the wit, the worth, the interest of people continued to puzzle me until I was introduced to M. Bloch, senior.
Je n′avais pas cru que nous serions jamais admis à le connaître, car Bloch fils avait mal parlé de moi à Saint-Loup et de Saint-Loup à moi. Il avait notamment dit à Robert que j′étais (toujours), affreusement snob. «Si, si, il est enchanté de connaître M. LLLLegrandin», dit-il. Cette manière de détacher un mot était chez Bloch le signe à la fois de l′ironie et de la littérature. Saint-Loup qui n′avait jamais entendu le nom de Legrandin s′étonna: «Mais qui est-ce?» — «Oh! c′est quelqu′un de très bien», répondit Bloch en riant et en mettant frileusement ses mains dans les poches de son veston, persuadé qu′il était en ce moment en train de contempler le pittoresque aspect d′un extraordinaire gentilhomme provincial auprès de quoi ceux de Barbey d′Aurevilly n′étaient rien. Il se consolait de ne pas savoir peindre M. Legrandin en lui donnant plusieurs L et en savourant ce nom comme un vin de derrière les fagots. Mais ces jouissances subjectives restaient inconnues aux autres. S′il dit à Saint-Loup du mal de moi, d′autre part il ne m′en dit pas moins de Saint-Loup. Nous avions connu le détail de ces médisances chacun dès le lendemain, non que nous nous les fussions répétées l′un à l′autre, ce qui nous eût semblé très coupable, mais paraissait si naturel et presque si inévitable à Bloch que dans son inquiétude, et tenant pour certain qu′il ne ferait qu′apprendre à l′un ou à l′autre ce qu′ils allaient savoir, il préféra prendre les devants, et emmenant Saint-Loup à part lui avoua qu′il avait dit du mal de lui, exprès, pour que cela lui fût redit, lui jura «par le Kroniôn Zeus, gardien des serments», qu′il l′aimait, qu′il donnerait sa vie pour lui et essuya une larme. Le même jour, il s′arrangea pour me voir seul, me fit sa confession, déclara qu′il avait agi dans mon intérêt parce qu′il croyait qu′un certain genre de relations mondaines m′était néfaste et que je «valais mieux que cela». Puis, me prenant la main avec un attendrissement d′ivrogne, bien que son ivresse fût purement nerveuse: «Crois-moi, dit-il, et que la noire Ker me saisisse à l′instant et me fasse franchir les portes d′Hadès, odieux aux hommes, si hier en pensant à toi, à Combray, à ma tendresse infinie pour toi, à telles après-midi en classe que tu ne te rappelles même pas, je n′ai pas sangloté toute la nuit. Oui, toute la nuit, je te le jure, et hélas, je le sais car je connais les âmes, tu ne me croiras pas.» Je ne le croyais pas, en effet, et à ces paroles que je sentais inventées à l′instant même et au fur et à mesure qu′il parlait, son serment «par la Ker» n′ajoutait pas un grand poids, le culte hellénique étant chez Bloch purement littéraire. D′ailleurs dès qu′il commençait à s′attendrir et désirait qu′on s′attendrît sur un fait faux, il disait: «Je te le jure», plus encore pour la volupté hystérique de mentir que dans l′intérêt de faire croire qu′il disait la vérité. Je ne croyais pas ce qu′il me disait, mais je ne lui en voulais pas, car je tenais de ma mère et de ma grand′mère d′être incapable de rancune, même contre de bien plus grands coupables et de ne jamais condamner personne. I had not supposed that we should ever be allowed to know him, for Bloch junior had spoken ill of me to Saint-Loup and of Saint-Loup to me. In particular, he had said to Robert that I was (always) a frightful snob. “Yes, really, he is overjoyed at knowing M. LLLLegrandin.” This trick of isolating a word, was, in Bloch, a sign at once of irony and of learning. Saint-Loup, who had never heard the name of Legrandin, was bewildered. “But who is he?” “Oh, he′s a bit of all right, he is!” Bloch laughed, thrusting his hands into his pockets as though for warmth, convinced that he was at that moment engaged in contemplation of the picturesque aspect of an extraordinary country gentleman compared to whom those of Barbey d′Aurevilly were as nothing. He consoled himself for his inability to portray M. Legrandin by giving him a string of capital L′s, smacking his lips over the name as over a wine from the farthest bin. But these subjective enjoyments remained hidden from other people. If he spoke ill of me to Saint-Loup he made up for it by speaking no less ill of Saint-Loup to me. We had each of us learned these slanders in detail, the next day, not that we repeated them to each other, a thing which would have seemed to us very wrong, but to Bloch appeared so natural and almost inevitable that in his natural anxiety, in the certainty moreover that he would be telling us only what each of us was bound sooner or later to know, he preferred to anticipate the disclosure and, taking Saint-Loup aside, admitted that he had spoken ill of him, on purpose, so that it might be repeated to him, swore to him “by Zeus Kronion, binder of oaths” that he loved him dearly, that he would lay down his life for him; and wiped away a tear. The same day, he contrived to see me alone, made his confession, declared that he had acted in my interest, because he felt that a certain kind of social intercourse was fatal to me and that I was ‘worthy of better things.′ Then, clasping me by the hand, with the sentimentality of a drunkard, albeit his drunkenness was purely nervous: “Believe me,” he said, “and may the black Ker seize me this instant and bear me across the portals of Hades, hateful to men, if yesterday, when I thought of you, of Combray, of my boundless affection for you, of afternoon hours in class which you do not even remember, I did not lie awake weeping all night long. Yes, all night long, I swear it, and alas, I know — for I know the human soul — you will not believe me.” I did indeed ‘not believe′ him, and to his words which, I felt, he was making up on the spur of the moment, and expanding as he went on, his swearing ‘by Ker′ added no great weight, the Hellenic cult being in Bloch purely literary. Besides, whenever he began to grow sentimental and wished his hearer to grow sentimental over a falsehood, he would say: “I swear it,” more for the hysterical satisfaction of lying than to make people think that he was speaking the truth. I did not believe what he was saying, but I bore him no ill-will for that, for I had inherited from my mother and grandmother their incapacity for resentment even of far worse offenders, and their habit of never condemning anyone.
Ce n′était du reste pas absolument un mauvais garçon que Bloch, il pouvait avoir de grandes gentillesses. Et depuis que la race de Combray, la race d′où sortaient des êtres absolument intacts comme ma grand′mère et ma mère, semble presque éteinte, comme je n′ai plus guère le choix qu′entre d′honnêtes brutes, insensibles et loyales, et chez qui le simple son de la voix montre bien vite qu′ils ne se soucient en rien de votre vie — et une autre espèce d′hommes qui tant qu′ils sont auprès de vous vous comprennent, vous chérissent, s′attendrissent jusqu′à pleurer, prennent leur revanche quelques heures plus tard en faisant une cruelle plaisanterie sur vous, mais vous reviennent, toujours aussi compréhensifs, aussi charmants, aussi momentanément assimilés à vous-même, je crois que c′est cette dernière sorte d′hommes dont je préfère, sinon la valeur morale, du moins la société. Besides, he was not altogether a bad youth, this Bloch; he could be, and was at times quite charming. And now that the race of Combray, the race from which sprang creatures absolutely unspoiled like my grandmother and mother, seems almost extinct, as I have hardly any choice now save between honest brutes — insensible and loyal, in whom the mere sound of their voices shews at once that they take absolutely no interest in one′s life — and another kind of men who so long as they are with one understand one, cherish one, grow sentimental even to tears, take — their revenge a few hours later by making some cruel joke at one′s expense, but return to one, always just as comprehending, as charming, as closely assimilated, for the moment, to oneself, I think that it is of this latter sort that I prefer if not the moral worth at any rate the society.
Tu ne peux t′imaginer ma douleur quand je pense à toi, reprit Bloch. Au fond, c′est un côté assez juif chez moi, ajouta-t-il ironiquement en rétrécissant sa prunelle comme s′il s′agissait de doser au microscope une quantité infinitésimale de «sang juif» et comme aurait pu le dire mais ne l′eût pas dit — un grand seigneur français que parmi ses ancêtres tous chrétiens eût pourtant compté Samuel Bernard ou plus anciennement encore la Sainte Vierge de qui prétendent descendre, dit-on, les Lévy — qui reparaît: «J′aime assez, ajouta-t-il, faire ainsi dans mes sentiments la part assez mince, d′ailleurs, qui peut tenir à mes origines juives.» Il prononça cette phrase parce que cela lui paraissait à la fois spirituel et brave de dire la vérité sur sa race, vérité que par la même occasion il s′arrangeait à atténuer singulièrement, comme les avares qui se décident à acquitter leurs dettes mais n′ont le courage d′en payer que la moitié. Le genre de fraudes qui consiste à avoir l′audace de proclamer la vérité, mais en y mêlant, pour une bonne part des mensonges qui la falsifient, est plus répandu qu′on ne pense et même chez ceux qui ne le pratiquent pas habituellement, certaines crises dans la vie, notamment celles où une liaison amoureuse est en jeu, leur donnent l′occasion de s′y livrer. “You cannot imagine my grief when I think of you,” Bloch went on. “When you come to think of it, it is a rather Jewish side of my nature,” he added ironically, contracting his pupils as though he had to prepare for the microscope an infinitesimal quantity of ‘Jewish blood,′ and as might (but never would) have said a great French noble who among his ancestors, all Christian, might nevertheless have included Samuel Bernard, or further still, the Blessed Virgin from whom, it is said, the Levy family claim descent, “coming out. I rather like,” he continued, “to find room among my feelings for the share (not that it is more than a very tiny share) which may be ascribed to my Jewish origin.” He made this statement because it seemed to him at once clever and courageous to speak the truth about his race, a truth which at the same time he managed to water down to a remarkable extent, like misers who decide to pay their debts but have not the courage to pay more than half. This kind of deceit which consists in having the boldness to proclaim the truth, but only after mixing with it an ample measure of lies which falsify it, is commoner than people think, and even among those who do not habitually practise it certain crises in life, especially those in which love is at stake, give them an opportunity of taking to it.
Toutes ces diatribes confidentielles de Bloch à Saint-Loup contre moi, à moi contre Saint-Loup finirent par une invitation à dîner. Je ne suis pas bien sûr qu′il ne fit pas d′abord une tentative pour avoir Saint-Loup seul. La vraisemblance rend cette tentative probable, le succès ne la couronna pas, car ce fut à moi et à Saint-Loup que Bloch dit un jour: «Cher maître, et vous, cavalier aimé d′Arès, de Saint-Loup-en-Bray, dompteur de chevaux, puisque je vous ai rencontré sur le rivage d′Amphitrite, résonnant d′écume, près des tentes des Ménier aux nefs rapides, voulez-vous tous deux venir dîner un jour de la semaine chez mon illustre père, au cur irréprochable?» Il nous adressait cette invitation parce qu′il avait le désir de se lier plus étroitement avec Saint-Loup qui le ferait, espérait-il, pénétrer dans des milieux aristocratiques. Formé par moi, pour moi — ce souhait eût paru à Bloch la marque du plus hideux snobisme, bien conforme à l′opinion qu′il avait de tout un côté de ma nature qu′il ne jugeait pas, jusqu′ici du moins, le principal; mais le même souhait, de sa part, lui semblait la preuve d′une belle curiosité de son intelligence désireuse de certains dépaysements sociaux où il pouvait peut-être trouver quelque utilité littéraire. M. Bloch père quand son fils lui avait dit qu′il amènerait à dîner un de ses amis, dont il avait décliné sur un ton de satisfaction sarcastique le titre et le nom: «Le marquis de Saint-Loup-en-Bray» avait éprouvé une commotion violente. «Le marquis de Saint-Loup-en-Bray! Ah! bougre!» s′était-il écrié, usant du juron qui était chez lui la marque la plus forte de la déférence sociale. Et il avait jeté sur son fils, capable de s′être fait de telles relations, un regard admiratif qui signifiait: «Il est vraiment étonnant. Ce prodige est-il mon enfant?» et qui causa autant de plaisir à mon camarade que si cinquante francs avaient été ajoutés à sa pension mensuelle. Car Bloch était mal à l′aise chez lui et sentait que son père le traitait de dévoyé parce qu′il vivait dans l′admiration de Leconte de Lisle, Heredia et autres «bohèmes». Mais des relations avec Saint-Loup-en-Bray dont le père avait été président du Canal de Suez! (ah! bougre!) c′était un résultat «indiscutable». On regretta d′autant plus d′avoir laissé à Paris, par crainte de l′abîmer, le stéréoscope. Seul, M. Bloch, le père, avait l′art ou du moins le droit de s′en servir. Il ne le faisait du reste que rarement, à bon escient, les jours où il y avait gala et domestiques mâles en extra. De sorte que de ces séances de stéréoscope émanaient pour ceux qui y assistaient comme une distinction, une faveur de privilégiés, et pour le maître de maison qui les donnait un prestige analogue à celui que le talent confère et qui n′aurait pas pu être plus grand, si les vues avaient été prises par M. Bloch lui-même et l′appareil de son invention. «Vous n′étiez pas invité hier chez Salomon?» disait-on dans la famille. «Non, je n′étais pas des élus! Qu′est-ce qu′il y avait?» «Un grand tralala, le stéréoscope, toute la boutique.» «Ah! s′il y avait le stéréoscope, je regrette, car il paraît que Salomon est extraordinaire quand il le montre.» «Que veux-tu, dit M. Bloch à son fils, il ne faut pas lui donner tout à la fois, comme cela il lui restera quelque chose à désirer.» Il avait bien pensé dans sa tendresse paternelle et pour émouvoir son fils à faire venir l′instrument. Mais le «temps matériel» manquait, ou plutôt on avait cru qu′il manquerait; mais nous dûmes faire le dîner parce que Saint-Loup ne put se déplacer, attendant un oncle qui allait venir passer quarante-huit heures auprès de Mme de Villeparisis. Comme, très adonné aux exercices physiques, surtout aux longues marches, c′était en grande partie à pied, en couchant la nuit dans les fermes, que cet oncle devait faire la route, depuis le château où il était en villégiature, le moment où il arriverait à Balbec était assez incertain. Et Saint-Loup n′osant bouger me chargea même d′aller porter à Incauville, où était le bureau télégraphique, la dépêche que mon ami envoyait quotidiennement à sa maîtresse. L′oncle qu′on attendait s′appelait Palamède, d′un prénom qu′il avait hérité des princes de Sicile ses ancêtres. Et plus tard quand je retrouvai dans mes lectures historiques, appartenant à tel podestat ou tel prince de l′Église, ce prénom même, belle médaille de la Renaissance, — d′aucuns disaient un véritable antique, — toujours restée dans la famille, ayant glissé de descendant en descendant depuis le cabinet du Vatican jusqu′à l′oncle de mon ami, j′éprouvais le plaisir réservé à ceux qui ne pouvant faute d′argent constituer un médaillier, une pinacothèque, recherchent les vieux noms (noms de localités, documentaires et pittoresques comme une carte ancienne, une vue cavalière, une enseigne ou un coutumier, noms de baptême où résonne et s′entend, dans les belles finales françaises, le défaut de langue, l′intonation d′une vulgarité ethnique, la prononciation vicieuse selon lesquels nos ancêtres faisaient subir aux mots latins et saxons des mutilations durables devenues plus tard les augustes législatrices des grammaires) et en somme grâce à ces collections de sonorités anciennes se donnent à eux-mêmes des concerts, à la façon de ceux qui acquèrent des violes de gambe et des violes d′amour pour jouer de la musique d′autrefois sur des instruments anciens. Saint-Loup me dit que même dans la société aristocratique la plus fermée, son oncle Palamède se distinguait encore comme particulièrement difficile d′accès, dédaigneux, entiché de sa noblesse, formant avec la femme de son frère et quelques autres personnes choisies, ce qu′on appelait le cercle des Phénix. Là même il était si redouté pour ses insolences qu′autrefois il était arrivé que des gens du monde qui désiraient le connaître et s′étaient adressés à son propre frère, avaient essuyé un refus. «Non, ne me demandez pas de vous présenter à mon frère Palamède. Ma femme, nous tous, nous nous y attellerions, que nous ne pourrions pas. Ou bien vous risqueriez qu′il ne soit pas aimable et je ne le voudrais pas.» Au Jockey, il avait avec quelques amis désigné deux cents membres qu′ils ne se laisseraient jamais présenter. Et chez le comte de Paris il était connu sous le sobriquet du «Prince» à cause de son élégance et de sa fierté. All these confidential diatribes by Bloch to Saint-Loup against me and to me against Saint-Loup ended in an invitation to dinner. I am by no means sure that he did not first make an attempt to secure Saint-Loup by himself. It would have been so like Bloch to do so that probably he did; but if so success did not crown his effort, for it was to myself and Saint-Loup that Bloch said one day: “Dear master, and you, O horseman beloved of Ares, de Saint-Loup-en-Bray, tamer of horses, since I have encountered you by the shore of Amphitrite, resounding with foam, hard by the tents of the swift-shipped Méniers, will both of you come to dinner any day this week with my illustrious sire, of blameless heart?” He proffered this invitation because he desired to attach himself more closely to Saint-Loup who would, he hoped, secure him the right of entry into aristocratic circles. Formed by me for myself, this ambition would have seemed to Bloch the mark of the most hideous snobbishness, quite in keeping with the opinion that he already held of a whole side of my nature which he did not regard — or at least had not hitherto regarded — as its most important side; but the same ambition in himself seemed to him the proof of a finely developed curiosity in a mind anxious to carry out certain social explorations from which he might perhaps glean some literary benefit. M. Bloch senior, when his son had told him that he was going to bring one of his friends in to dinner, and had in a sarcastic but satisfied tone enunciated the name and title of that friend: “The Marquis de Saint-Loup-en-Bray,” had been thrown into great commotion. “The Marquis de Saint-Loup-en-Bray! I′ll be jiggered!” he had exclaimed, using the oath which was with him the strongest indication of social deference. And he cast at a son capable of having formed such an acquaintance an admiring glance which seemed to say: “Really, it is astounding. Can this prodigy be indeed a child of mine?” which gave my friend as much pleasure as if his monthly allowance had been increased by fifty francs. For Bloch was not in his element at home and felt that his father treated him like a lost sheep because of his lifelong admiration for Leconte de Lisle, Heredia and other ‘Bohemians.′ But to have got to know Saint-Loup-en-Bray, whose father had been chairman of the Suez Canal board (‘I′ll be jiggered!′) was an indisputable ‘score.′ What a pity, indeed, that they had left in Paris, for fear of its being broken on the journey, the stereoscope. Alone among men, M. Bloch senior had the art, or at least the right to exhibit it. He did this, moreover, on rare occasions only, and then to good purpose, on evenings when there was a full-dress affair, with hired waiters. So that from these exhibitions of the stereoscope there emanated, for those who were present, as it were a special distinction, a privileged position, and for the master of the house who gave them a reputation such as talent confers on a man — which could not have been greater had the photographs been taken by M. Bloch himself and the machine his own invention. “You weren′t invited to Solomon′s yesterday?” one of the family would ask another. “No! I was not one of the elect. What was on?” “Oh, a great how-d′ye-do, the stereoscope, the whole box of tricks!” “Indeed! If they had the stereoscope I′m sorry I wasn′t there; they say Solomon is quite amazing when he works it.”—“It can′t be helped;” said M. Bloch now to his son, “it′s a mistake to let him have everything at once; that would leave him nothing to look forward to.” He had actually thought, in his paternal affection and in the hope of touching his son′s heart, of sending for the instrument. But there was not time, or rather they had thought there would not be; for we were obliged to put off the dinner because Saint-Loup could not leave the hotel, where he was waiting for an uncle who was coming to spend a few days with Mme. de Villeparisis. Since — for he was greatly addicted to physical culture, and especially to long walks — it was largely on foot, spending the night in wayside farms, that this uncle was to make the journey from the country house in which he was staying, the precise date of his arrival at Balbec was by no means certain. And Saint-Loup, afraid to stir out of doors, even entrusted me with the duty of taking to Incauville, where the nearest telegraph-office was, the messages that he sent every day to his mistress. The uncle for whom we were waiting was called Palamède, a name that had come down to him from his ancestors, the Princes of Sicily. And later on when I found, as I read history, belonging to this or that Podestà or Prince of the Church, the same Christian name, a fine renaissance medal — some said, a genuine antique — that had always remained in the family, having passed from generation to generation, from the Vatican cabinet to the uncle of my friend, I felt the pleasure that is reserved for those who, unable from lack of means to start a case of medals, or a picture gallery, look out for old names (names of localities, instructive and picturesque as an old map, a bird′s-eye view, a sign-board or a return of customs; baptismal names, in which rings out and is plainly heard, in their fine French endings, the defect of speech, the intonation of a racial vulgarity, the vicious pronunciation by which our ancestors made Latin and Saxon words undergo lasting mutilations which in due course became the august law-givers of our grammar books) and, in short, by drawing upon their collections of ancient and sonorous words, give themselves concerts like the people who acquire viols da gamba and viols d′amour so as to perform the music of days gone by upon old-fashioned instruments. Saint-Loup told me that even in the most exclusive aristocratic society his uncle Palamède had the further distinction of being particularly difficult to approach, contemptuous, double-dyed in his nobility, forming with his brother′s wife and a few other chosen spirits what was known as the Phoenix Club. There even his insolence was so much dreaded that it had happened more than once that people of good position who had been anxious to meet him and had applied to his own brother for an introduction had met with a refusal: “Really, you mustn′t ask me to introduce you to my brother Palamède. My wife and I, we would all of us do our best for you, but it would be no good. Besides, there′s always the danger of his being rude to you, and I shouldn′t like that.” At the Jockey Club he had, with a few of his friends, marked a list of two hundred members whom they would never allow to be introduced to them. And in the Comte de Paris′s circle he was known by the nickname of ‘The Prince′ because of his distinction and his pride.
Saint-Loup me parla de la jeunesse, depuis longtemps passée, de son oncle. Il amenait tous les jours des femmes dans une garçonnière qu′il avait en commun avec deux de ses amis, beaux comme lui, ce qui faisait qu′on les appelait «les trois Grâces». Saint-Loup told me about his uncle′s early life, now a long time ago. Every day he used to take women to a bachelor establishment which he shared with two of his friends, as good-looking as himself, on account of which they were known as ‘The Three Graces.′
— «Un jour un des hommes qui est aujourd′hui des plus en vue dans le faubourg Saint-Germain, comme eût dit Balzac, mais qui dans une première période assez fâcheuse montrait des goûts bizarres avait demandé à mon oncle de venir dans cette garçonnière. Mais à peine arrivé ce ne fut pas aux femmes, mais à mon oncle Palamède, qu′il se mit à faire une déclaration. Mon oncle fit semblant de ne pas comprendre, emmena sous un prétexte ses deux amis, ils revinrent, prirent le coupable, le déshabillèrent, le frappèrent jusqu′au sang, et par un froid de dix degrés au-dessous de zéro le jetèrent à coups de pieds dehors où il fut trouvé à demi-mort, si bien que la justice fit une enquête à laquelle le malheureux eut toute la peine du monde à la faire renoncer. Mon oncle ne se livrerait plus aujourd′hui à une exécution aussi cruelle et tu n′imagines pas le nombre d′hommes du peuple, lui si hautain avec les gens du monde, qu′il prend en affection, qu′il protège, quitte à être payé d′ingratitude. Ce sera un domestique qui l′aura servi dans un hôtel et qu′il placera à Paris, ou un paysan à qui il fera apprendre un métier. C′est même le côté assez gentil qu′il y a chez lui, par contraste avec le côté mondain.» Saint-Loup appartenait, en effet, à ce genre de jeunes gens du monde, situés à une altitude où on a pu faire pousser ces expressions: «Ce qu′il y a même d′assez gentil chez lui, son côté assez gentil», semences assez précieuses, produisant très vite une manière de concevoir les choses dans laquelle on se compte pour rien, et le «peuple» pour tout; en somme tout le contraire de l′orgueil plébéien. Il paraît qu′on ne peut se figurer comme il donnait le ton, comme il faisait la loi à toute la société dans sa jeunesse. Pour lui en toute circonstance il faisait ce qui lui paraissait le plus agréable, le plus commode, mais aussitôt c′était imité par les snobs. S′il avait eu soif au théâtre et s′était fait apporter à boire dans le fond de sa loge, les petits salons qu′il y avait derrière chacune se remplissaient, la semaine suivante, de rafraîchissements. Un été très pluvieux où il avait un peu de rhumatisme il s′était commandé un pardessus d′une vigogne souple mais chaude qui ne sert que pour faire des couvertures de voyage et dont il avait respecté les raies bleues et oranges. Les grands tailleurs se virent commander aussitôt par leurs clients des pardessus bleus et frangés, à longs poils. Si pour une raison quelconque il désirait ôter tout caractère de solennité à un dîner dans un château où il passait une journée, et pour marquer cette nuance n′avait pas apporté d′habits et s′était mis à table avec le veston de l′après-midi, la mode devenait de dîner à la campagne en veston. Que pour manger un gâteau il se servît, au lieu de sa cuiller, d′une fourchette ou d′un couvert de son invention commandé par lui à un orfèvre, ou de ses doigts, il n′était plus permis de faire autrement. Il avait eu envie de réentendre certains quatuors de Beethoven (car avec toutes ses idées saugrenues il est loin d′être bête, et est fort doué) et avait fait venir des artistes pour les jouer chaque semaine, pour lui et quelques amis. La grande élégance fut cette année-là de donner des réunions peu nombreuses où on entendait de la musique de chambre. Je crois d′ailleurs qu′il ne s′est pas ennuyé dans la vie. Beau comme il a été, il a dû avoir des femmes! Je ne pourrais pas vous dire d′ailleurs exactement lesquelles parce qu′il est très discret. Mais je sais qu′il a bien trompé ma pauvre tante. Ce qui n′empêche pas qu′il était délicieux avec elle, qu′elle l′adorait, et qu′il l′a pleurée pendant des années. Quand il est à Paris, il va encore au cimetière presque chaque jour.» “One day, a man who just now is very much in the eye, as Balzac would say, of the Faubourg Saint-Germain, but who at a rather awkward period of his early life displayed odd tastes, asked my uncle to let him come to this place. But no sooner had he arrived than it was not to the ladies but to my uncle Palamède that he began to make overtures. My uncle pretended not to understand, made an excuse to send for his two friends; they appeared on the scene, seized the offender, stripped him, thrashed him till he bled, and then with twenty degrees of frost outside kicked him into the street where he was found more dead than alive; so much so that the police started an inquiry which the poor devil had the greatest difficulty in getting them to abandon. My uncle would never go in for such drastic methods now, in fact you can′t conceive the number of men of humble position that he, who is so haughty with people in society, has shewn his affection, taken under his wing, even if he is paid for it with ingratitude. It may be a servant who has looked after him in a hotel, for whom he will find a place in Paris, or a farm-labourer whom he will pay to have taught a trade. That is really the rather nice side of his character, in contrast to his social side.” Saint-Loup indeed belonged to that type of young men of fashion, situated at an altitude at which it has been possible to cultivate such expressions as: “What is really rather nice about him,” “His rather nice side,” precious seeds which produce very rapidly a way of looking at things in which one counts oneself as nothing and the ‘people′ as everything; the exact opposite, in a word, of plebeian pride. “It seems, it is quite impossible to imagine how he set the tone, how he laid down the law for the whole of society when he was a young man. He acted entirely for himself; in any circumstances he did what seemed pleasing to himself, what was most convenient, but at once the snobs would start copying him. If he felt thirsty at the play, and sent out from his box for a drink, the little sitting-rooms behind all the boxes would be filled, a week later, with refreshments. One wet summer, when he had a touch of rheumatism, he ordered an ulster of a loose but warm vicuna wool, which is used only for travelling rugs, and kept the blue and orange stripes shewing. The big tailors at once received orders from all their customers for blue and orange ulsters of rough wool. If he had some reason for wishing to keep every trace of ceremony out of a dinner in a country house where he was spending the day, and to point the distinction had come without evening clothes and sat down to table in the suit he had been wearing that afternoon, it became the fashion, when you were dining in the country, not to dress. If he was eating some special sweet and instead of taking his spoon used a knife, or a special implement of his own invention which he had had made for him by a silversmith, or his fingers, it at once became wrong to eat it in any other way. He wanted once to hear some Beethoven quartets again (for with all his preposterous ideas he is no fool, mind, he has great gifts) and arranged for some musicians to come and play them to him and a few friends once a week. The ultra-fashionable thing that season was to give quite small parties, with chamber music. I should say he′s not done at all badly out of life. With his looks, he must have had any number of women! I can′t tell you exactly whom, for he is very discreet. But I do know that he was thoroughly unfaithful to my poor aunt. Not that that prevented his being always perfectly charming to her, and her adoring him; he was in mourning for her for years. When he is in Paris, he still goes to the cemetery nearly every day.”
Le lendemain du jour où Robert m′avait ainsi parlé de son oncle tout en l′attendant, vainement du reste, comme je passais seul devant le casino en rentrant à l′hôtel, j′eus la sensation d′être regardé par quelqu′un qui n′était pas loin de moi. Je tournai la tête et j′aperçus un homme d′une quarantaine d′années, très grand et assez gros, avec des moustaches très noires, et qui, tout en frappant nerveusement son pantalon avec une badine, fixait sur moi des yeux dilatés par l′attention. Par moments, ils étaient percés en tous sens par des regards d′une extrême activité comme en ont seuls devant une personne qu′ils ne connaissent pas des hommes à qui, pour un motif quelconque, elle inspire des pensées qui ne viendraient pas à tout autre, — par exemple des fous ou des espions. Il lança sur moi une suprême illade à la fois hardie, prudente, rapide et profonde, comme un dernier coup que l′on tire au moment de prendre la fuite, et après avoir regardé tout autour de lui, prenant soudain un air distrait et hautain, par un brusque revirement de toute sa personne il se tourna vers une affiche dans la lecture de laquelle il s′absorba, en fredonnant un air et en arrangeant la rose mousseuse qui pendait à sa boutonnière. Il sortit de sa poche un calepin sur lequel il eut l′air de prendre en note le titre du spectacle annoncé, tira deux ou trois fois sa montre, abaissa sur ses yeux un canotier de paille noire dont il prolongea le rebord avec sa main mise en visière comme pour voir si quelqu′un n′arrivait pas, fit le geste de mécontentement par lequel on croit faire voir qu′on a assez d′attendre, mais qu′on ne fait jamais quand on attend réellement, puis rejetant en arrière son chapeau et laissant voir une brosse coupée ras qui admettait cependant de chaque côté d′assez longues ailes de pigeon ondulées, il exhala le souffle bruyant des personnes qui ont non pas trop chaud mais le désir de montrer qu′elles ont trop chaud. J′eus l′idée d′un escroc d′hôtel qui, nous ayant peut-être déjà remarqués les jours précédents ma grand′mère et moi, et préparant quelque mauvais coup, venait de s′apercevoir que je l′avais surpris pendant qu′il m′épiait; pour me donner le change, peut-être cherchait-il seulement par sa nouvelle attitude à exprimer la distraction et le détachement, mais c′était avec une exagération si agressive que son but semblait au moins autant que de dissiper les soupçons que j′avais dû avoir, de venger une humiliation qu′à mon insu je lui eusse infligée, de me donner l′idée non pas tant qu′il ne m′avait pas vu, que celle que j′étais un objet de trop petite importance pour attirer l′attention. Il cambrait sa taille d′un air de bravade, pinçait les lèvres, relevait ses moustaches et dans son regard ajustait quelque chose d′indifférent, de dur, de presque insultant. Si bien que la singularité de son expression me le faisait prendre tantôt pour un voleur, et tantôt pour un aliéné. Pourtant sa mise extrêmement soignée était beaucoup plus grave et beaucoup plus simple que celles de tous les baigneurs que je voyais à Balbec, et rassurante pour mon veston si souvent humilié par la blancheur éclatante et banale de leurs costumes de plage. Mais ma grand′mère venait à ma rencontre, nous fîmes un tour ensemble et je l′attendais, une heure après, devant l′hôtel où elle était rentrée un instant, quand je vis sortir Mme de Villeparisis avec Robert de Saint-Loup et l′inconnu qui m′avait regardé si fixement devant le casino. Avec la rapidité d′un éclair son regard me traversa, ainsi qu′au moment où je l′avais aperçu, et revint, comme s′il ne m′avait pas vu se ranger, un peu bas, devant ses yeux, émoussé, comme le regard neutre qui feint de ne rien voir au dehors et n′est capable de rien dire au dedans, le regard qui exprime seulement la satisfaction de sentir autour de soi les cils qu′il écarte de sa rondeur béate, le regard dévot et confit qu′ont certains hypocrites, le regard fat qu′ont certains sots. Je vis qu′il avait changé de costume. Celui qu′il portait était encore plus sombre; et sans doute c′est que la véritable élégance est moins loin de la simplicité que la fausse; mais il y avait autre chose: d′un peu près on sentait que si la couleur était presque entièrement absente de ces vêtements, ce n′était pas parce que celui qui l′en avait bannie y était indifférent, mais plutôt parce que pour une raison quelconque il se l′interdisait. Et la sobriété qu′ils laissaient paraître semblait de celles qui viennent de l′obéissance à un régime, plutôt que du manque de gourmandise. Un filet de vert sombre s′harmonisait, dans le tissu du pantalon, à la rayure des chaussettes avec un raffinement qui décelait la vivacité d′un goût maté partout ailleurs et à qui cette seule concession avait été faite par tolérance, tandis qu′une tache rouge sur la cravate était imperceptible comme une liberté qu′on n′ose prendre. The morning after Robert had told me all these things about his uncle, while he waited for him (and waited, as it happened, in vain), as I was coming by myself past the Casino on my way back to the hotel, I had the sensation of being watched by somebody who was not far off. I turned my head and saw a man of about forty, very tall and rather stout, with a very dark moustache, who, nervously slapping the leg of his trousers with a switch, kept fastened upon me a pair of eyes dilated with observation. Every now and then those eyes were shot through by a look of intense activity such as the sight of a person whom they do not know excites only in men to whom, for whatever reason, it suggests thoughts that would not occur to anyone else — madmen, for instance, or spies. He trained upon me a supreme stare at once bold, prudent, rapid and profound, like a last shot which one fires at an enemy at the moment when one turns to flee, and, after first looking all round him, suddenly adopting an absent and lofty air, by an abrupt revolution of his whole body turned to examine a playbill on the wall in the reading of which he became absorbed, while he hummed a tune and fingered the moss-rose in his buttonhole. He drew from his pocket a note-book in which he appeared to be taking down the title of the performance that was announced, looked two or three times at his watch, pulled down over his eyes a black straw hat the brim of which he extended with his hand held out over it like a visor, as though to see whether some one were at last coming, made the perfunctory gesture of annoyance by which people mean to shew that they have waited long enough, although they never make it when they are really waiting, then pushing back his hat and exposing a scalp cropped close except at the sides where he allowed a pair of waved ‘pigeon′s-wings′ to grow quite long, he emitted the loud panting breath that people give who are not feeling too hot but would like it to be thought that they were. He gave me the impression of a ‘hotel crook′ who had been watching my grandmother and myself for some days, and while he was planning to rob us had just discovered that I had surprised him in the act of spying; to put me off the scent, perhaps he was seeking only, by his new attitude, to express boredom and detachment, but it was with an exaggeration so aggressive that his object appeared to be — at least as much as the dissipating of the suspicions that I must have had of him — to avenge a humiliation which quite unconsciously I must have inflicted on him, to give me the idea not so much that he had not seen me as that I was an object of too little importance to attract his attention. He threw back his shoulders with an air of bravado, bit his lips, pushed up his moustache, and in the lens of his eyes made an adjustment of something that was indifferent, harsh, almost insulting. So effectively that the singularity of his expression made me take him at one moment for a thief and at another for a lunatic. And yet his scrupulously ordered attire was far more sober and far more simple than that of any of the summer visitors I saw at Balbec, and gave a reassurance to my own suit, so often humiliated by the dazzling and commonplace whiteness of their holiday garb. But my grandmother was coming towards me, we took a turn together, and I was waiting for her, an hour later, outside the hotel into which she had gone for a moment, when I saw emerge from it Mme. de Villeparisis with Robert de Saint-Loup and the stranger who had stared at me so intently outside the Casino. Swift as a lightning-flash his look shot through me, just as at the moment when I first noticed him, and returned, as though he had not seen me, to hover, slightly lowered, before his eyes, dulled, like the neutral look which feigns to see nothing without and is incapable of reporting anything to the mind within, the look which expresses merely the satisfaction of feeling round it the eyelids which it cleaves apart with its sanctimonious roundness, the devout, the steeped look that we see on the faces of certain hypocrites, the smug look on those of certain fools. I saw that he had changed his clothes. The suit he was wearing was darker even than the other; and no doubt this was because the true distinction in dress lies nearer to simplicity than the false; but there was something more; when one came near him one felt that if colour was almost entirely absent from these garments it was not because he who had banished it from them was indifferent to it but rather because for some reason he forbade himself the enjoyment of it. And the sobriety which they displayed seemed to be of the kind that comes from obedience to a rule of diet rather than from want of appetite. A dark green thread harmonised, in the stuff of his trousers, with the clock on his socks, with a refinement which betrayed the vivacity of a taste that was everywhere else conquered, to which this single concession had been made out of tolerance for such a weakness, while a spot of red on his necktie was imperceptible, like a liberty which one dares not take.
— Comment, allez-vous, je vous présente mon neveu, le baron de Guermantes, me dit Mme de Villeparisis, pendant que l′inconnu, sans me regarder, grommelant un vague «Charmé», qu′il fit suivre de: «Heue, heue, heue», pour donner à son amabilité quelque chose de forcé, et repliant le petit doigt, l′index et le pouce, me tendait le troisième doigt et l′annulaire, dépourvus de toute bague, que je serrai sous son gant de Suède; puis sans avoir levé les yeux sur moi il se détourna vers Mme de Villeparisis. “How are you? Let me introduce my nephew, the Baron de Guermantes,” Mme. de Villeparisis greeted me, while the stranger without looking at me, muttering a vague “Charmed!” which he followed with a “H′m, h′m, h′m” to give his affability an air of having been forced, and doubling back his little finger, forefinger and thumb, held out to me his middle and ring fingers, the latter bare of any ring, which I clasped through his suede glove; then, without lifting his eyes to my face, he turned towards Mme. de Villeparisis.
— Mon Dieu, est-ce que je perds la tête, dit celle-ci, voilà que je t′appelle le baron de Guermantes. Je vous présente le baron de Charlus. Après tout l′erreur n′est pas si grande, ajouta-t-elle, tu es bien un Guermantes tout de même. “Good gracious; I shall be forgetting my own name next!” she exclaimed. “Here am I calling you Baron de Guermantes. Let me introduce the Baron de Charlus. After all, it′s not a very serious mistake,” she went on, “for you′re a thorough Guermantes whatever else you are.”
Cependant ma grand′mère sortait, nous fîmes route ensemble. L′oncle de Saint-Loup ne m′honora non seulement pas d′une parole mais même d′un regard. S′il dévisageait les inconnus (et pendant cette courte promenade il lança deux ou trois fois son terrible et profond regard en coup de sonde sur des gens insignifiants et de la plus modeste extraction qui passaient), en revanche, il ne regardait à aucun moment, si j′en jugeais par moi, les personnes qu′il connaissait, — comme un policier en mission secrète mais qui tient ses amis en dehors de sa surveillance professionnelle. Les laissant causer ensemble, ma grand′mère, Mme de Villeparisis et lui, je retins Saint-Loup en arrière: By this time my grandmother had reappeared, and we all set out together. Saint-Loup′s uncle declined to honour me not only with a word, with so much as a look, even, in my direction. If he stared strangers out of countenance (and during this short excursion he two or three times hurled his terrible and searching scrutiny like a sounding lead at insignificant people of obviously humble extraction who happened to pass), to make up for that he never for a moment, if I was to judge by myself, looked at the people whom he did know, just as a detective on special duty might except his personal friends from his professional vigilance. Leaving them — my grandmother, Mme. de Villeparisis and him — to talk to one another, I fell behind with Saint-Loup.
— Dites-moi, ai-je bien entendu, Madame de Villeparisis a dit à votre oncle qu′il était un Guermantes. “Tell me, am I right in thinking I heard Mme. de Villeparisis say just now to your uncle that he was a Guermantes?”
— Mais oui, naturellement, c′est Palamède de Guermantes. “Of course he is; Palamède de Guermantes.”
— Mais des mêmes Guermantes qui ont un château près de Combray et qui prétendent descendre de Geneviève de Brabant? “Not the same Guermantes who have a place near Combray, and claim descent from Geneviève de Brabant?”
— Mais absolument: mon oncle qui est on ne peut plus héraldique vous répondrait que notre cri, notre cri de guerre qui devint ensuite Passavant était d′abord Combraysis, dit-il en riant pour ne pas avoir l′air de tirer vanité de cette prérogative du cri qu′avaient seules les maisons quasi-souveraines, les grands chefs des bandes. Il est le frère du possesseur actuel du château. “Most certainly: my uncle, who is the very last word in heraldry and all that sort of thing, would tell you that our ‘cry,′ our war-cry, that is to say, which was changed afterwards to ‘Passavant′ was originally ‘Combraysis,′” he said, smiling so as not to appear to be priding himself on this prerogative of a ‘cry,′ which only the semi-royal houses, the great chiefs of feudal bands enjoyed. “It′s his brother who has the place now.”
Ainsi s′apparentait et de tout près aux Guermantes, cette Mme de Villeparisis, restée si longtemps pour moi la dame qui m′avait donné une boîte de chocolat tenue par un canard, quand j′étais petit, plus éloignée alors du côté de Guermantes que si elle avait été enfermée dans le côté de Méséglise, moins brillante, moins haut située par moi que l′opticien de Combray, et qui maintenant subissait brusquement une de ces hausses fantastiques, parallèles aux dépréciations non moins imprévues d′autres objets que nous possédons, lesquelles — les unes comme les autres — introduisent dans notre adolescence et dans les parties de notre vie où persiste un peu de notre adolescence, des changements aussi nombreux que les métamorphoses d′Ovide. And so she was indeed related, and quite closely, to the Guermantes, this Mme. de Villeparisis who had so long been for me the lady who had given me a duck filled with chocolates, when I was little, more remote then from the Guermantes way than if she had been shut up somewhere on the Méséglise, less brilliant, less highly placed by me than was the Combray optician, and who now suddenly went through one of those fantastic rises in value, parallel to the depreciations, no less unforeseen, of other objects in our possession, which — rise and fall alike — introduce in our youth and in those periods of our life in which a trace of youth persists changes as numerous as the Metamorphoses of Ovid.
— Est-ce qu′il n′y a pas dans ce château tous les bustes des anciens seigneurs de Guermantes? “Haven′t they got, down there, the busts of all the old lords of Guermantes?”
— Oui, c′est un beau spectacle, dit ironiquement Saint-Loup. Entre nous je trouve toutes ces choses-là un peu falotes. Mais il y a à Guermantes, ce qui est un peu plus intéressant! un portrait bien touchant de ma tante par Carrière. C′est beau comme du Whistler ou du Vélasquez, ajouta Saint-Loup qui dans son zèle de néophyte ne gardait pas toujours très exactement l′échelle des grandeurs. Il y a aussi d′émouvantes peintures de Gustave Moreau. Ma tante est la nièce de votre amie Madame de Villeparisis, elle a été élevée par elle, et a épousé son cousin qui était neveu aussi de ma tante Villeparisis, le duc de Guermantes actuel. “Yes; and a lovely sight they are!” Saint-Loup was ironical. “Between you and me, I look on all that sort of thing as rather a joke. But they have got at Guermantes, what is a little more interesting, and, that is quite a touching portrait of my aunt by Carrière. It′s as fine as Whistler or Velasquez,” went on Saint-Loup, who in his neophyte zeal was not always very exact about degrees of greatness. “There are also some moving pictures by Gustave Moreau. My aunt is the niece of your friend Mme. de Ville-parisis; she was brought up by her, and married her cousin, who was a nephew, too, of my aunt Villeparisis, the present Duc de Guermantes.”
— Et alors qu′est votre oncle? “Then who is this uncle?”
— Il porte le titre de baron de Charlus. Régulièrement, quand mon grand-oncle est mort, mon oncle Palamède aurait dû prendre le titre de prince des Laumes, qui était celui de son frère avant qu′il devînt duc de Guermantes, car dans cette famille-là ils changent de nom comme de chemise. Mais mon oncle a sur tout cela des idées particulières. Et comme il trouve qu′on abuse un peu des duchés italiens, grandesses espagnoles, etc., et bien qu′il eût le choix entre quatre ou cinq titres de prince il a gardé celui de baron de Charlus, par protestation et avec une apparente simplicité où il ya beaucoup d′orgueil. Aujourd′hui, dit-il, tout le monde est prince, il faut pourtant bien avoir quelque chose qui vous distingue; je prendrai un titre de prince quand je voudrai voyager incognito. Il n′y a pas selon lui de titre plus ancien que celui de baron de Charlus; pour vous prouver qu′il est antérieur à celui des Montmorency, qui se disaient faussement les premiers barons de France, alors qu′ils l′étaient seulement de l′Ile-de-France, où était leur fief, mon oncle vous donnera des explications pendant des heures et avec plaisir parce que quoi qu′il soit très fin, très doué, il trouve cela un sujet de conversation tout à fait vivant, dit Saint-Loup avec un sourire. Mais comme je ne suis pas comme lui, vous n′allez pas me faire parler généalogie, je ne sais rien de plus assommant, de plus périmé, vraiment l′existence est trop courte. “He bears the title of Baron de Charlus. Properly speaking, when my great-uncle died, my uncle Palamède ought to have taken the title of Prince des Laumes, which his brother used before he became Duc de Guermantes, for in that family they change their names as you′d change your shirt. But my uncle has peculiar ideas about all that sort of thing. And as he feels that people are rather apt to overdo the Italian Prince and Grandee of Spain business nowadays, though he had half-a-dozen titles of ‘Prince′ to choose from, he has remained Baron de Charlus, as a protest, and with an apparent simplicity which really covers a good deal of pride. ‘In these days,′ he says, ‘everybody is Prince something-or-other; one really must have a title that will distinguish one; I shall call myself Prince when I wish to travel incognito.′ According to him there is no older title than the Charlus barony; to prove to you that it is earlier than the Montmorency title, though they used to claim, quite wrongly, to be the premier barons of France when they were only premier in the He de France, where their fief was, my uncle will explain to you for hours on end and enjoy doing it, because, although he′s a most intelligent man, really gifted, he regards that sort of thing as quite a live topic of conversation,” Saint-Loup smiled again. “But as I am not like him, you mustn′t ask me to talk pedigrees; I know nothing more deadly, more perishing; really, life is not long enough.”
Je reconnaissais maintenant dans le regard dur qui m′avait fait retourner tout à l′heure près du casino celui que j′avais vu fixé sur moi à Tansonville au moment où Mme Swann avait appelé Gilberte. I now recognised in the hard look which had made me turn round that morning outside the Casino the same that I had seen fixed on me at Tan-sonville, at the moment when Mme. Swann called Gilberte away.
— Mais parmi les nombreuses maîtresses que vous me disiez qu′avait eues votre oncle, M. de Charlus, est-ce qu′il n′y avait pas Madame Swann? “But, I say, all those mistresses that, you told me, your uncle M. de Charlus had had, wasn′t Mme. Swann one of them?”
— Oh! pas du tout! C′est-à-dire qu′il est un grand ami de Swann et l′a toujours beaucoup soutenu. Mais on n′a jamais dit qu′il fût l′amant de sa femme. Vous causeriez beaucoup d′étonnement dans le monde si vous aviez l′air de croire cela. “Good lord, no! That is to say, my uncle′s a great friend of Swann, and has always stood up for him. But no one has ever suggested that he was his wife′s lover. You would make a great sensation in Paris society if people thought you believed that.”
Je n′osais lui répondre qu′on en aurait éprouvé bien plus à Combray si j′avais eu l′air de ne pas le croire. I dared not reply that it would have caused an even greater sensation in Combray society if people had thought that I did not believe it.
Ma grand′mère fut enchantée de M. de Charlus. Sans doute il attachait une extrême importance à toutes les questions de naissance et de situation mondaine, et ma grand′mère l′avait remarqué, mais sans rien de cette sévérité où entrent d′habitude une secrète envie et l′irritation de voir un autre se réjouir d′avantages qu′on voudrait et qu′on ne peut posséder. Comme au contraire ma grand′mère contente de son sort et ne regrettant nullement de ne pas vivre dans une société plus brillante, ne se servait que de son intelligence pour observer les travers de M. de Charlus, elle parlait de l′oncle de Saint-Loup avec cette bienveillance détachée, souriante, presque sympathique, par laquelle nous récompensons l′objet de notre observation désintéressée du plaisir qu′elle nous procure, et d′autant plus que cette fois l′objet était un personnage dont elle trouvait que les prétentions sinon légitimes, du moins pittoresques, le faisaient assez vivement trancher sur les personnes qu′elle avait généralement l′occasion de voir. Mais c′était surtout en faveur de l′intelligence et de la sensibilité qu′on devinait extrêmement vives chez M. de Charlus, au contraire de tant de gens du monde dont se moquait Saint-Loup, que ma grand′mère lui avait si aisément pardonné son préjugé aristocratique. Celui-ci n′avait pourtant pas été sacrifié par l′oncle, comme par le neveu, à des qualités supérieures. M. de Charlus l′avait plutôt concilié avec elles. Possédant comme descendant des ducs de Nemours et des princes de Lamballe, des archives, des meubles, des tapisseries, des portraits faits pour ses ax par Raphaël, par Velasquez, par Boucher, pouvant dire justement qu′il visitait un musée et une incomparable bibliothèque, rien qu′en parcourant ses souvenirs de famille, il plaçait au contraire au rang d′où son neveu l′avait fait déchoir, tout l′héritage de l′aristocratie. Peut-être aussi moins idéologue que Saint-Loup, se payant moins de mots, plus réaliste observateur des hommes, ne voulait-il pas négliger un élément essentiel de prestige à leurs yeux et qui, s′il donnait à son imagination des jouissances désintéressées, pouvait être souvent pour son activité utilitaire un adjuvant puissamment efficace. Le débat reste ouvert entre les hommes de cette sorte et ceux qui obéissent à l′idéal intérieur qui les pousse à se défaire de ces avantages pour chercher uniquement à le réaliser, semblables en cela aux peintres, aux écrivains qui renoncent leur virtuosité, aux peuples artistes qui se modernisent, aux peuples guerriers prenant l′initiative du désarmement universel, aux gouvernements absolus qui se font démocratiques et abrogent de dures lois, bien souvent sans que la réalité récompense leur noble effort; car les uns perdent leur talent, les autres leur prédominance séculaire; le pacifisme multiplie quelquefois les guerres et l′indulgence la criminalité. Si les efforts de sincérité et d′émancipation de Saint-Loup ne pouvaient être trouvés que très nobles, à juger par le résultat extérieur, il était permis de se féliciter qu′ils eussent fait défaut chez M. de Charlus, lequel avait fait transporter chez lui une grande partie des admirables boiseries de l′hôtel Guermantes au lieu de les échanger comme son neveu contre un mobilier modern-style, des Lebourg et des Guillaumin. Il n′en était pas moins vrai que l′idéal de M. de Charlus était fort factice, et si cette épithète peut être rapprochée du mot idéal, tout autant mondain qu′artistique. A quelques femmes de grande beauté et de rare culture dont les ales avaient été deux siècles plus tôt mêlées à toute la gloire et à toute l′élégance de l′ancien régime, il trouvait une distinction qui le faisait pouvoir se plaire seulement avec elles et sans doute l′admiration qu′il leur avait vouée était sincère, mais de nombreuses réminiscences d′histoire et d′art évoquées par leurs noms y entraient pour une grande part, comme des souvenirs de l′antiquité sont une des raisons du plaisir qu′un lettré trouve à lire une ode d′Horace peut-être inférieure à des poèmes de nos jours qui laisseraient ce même lettré indifférent. Chacune de ces femmes à côté d′une jolie bourgeoise était pour lui ce qu′est à une toile contemporaine représentant une route ou une noce, ces tableaux anciens dont on sait l′histoire, depuis le Pape ou le Roi qui les commandèrent, en passant par tels personnages auprès de qui leur présence, par don, achat, prise ou héritage nous rappelle quelque événement ou tout au moins quelque alliance d′un intérêt historique, par conséquent des connaissances que nous avons acquises, leur donne une nouvelle utilité, augmente le sentiment de la richesse des possessions de notre mémoire ou de notre érudition. M. de Charlus se félicitait qu′un préjugé analogue au sien en empêchant ces quelques grandes dames de frayer avec des femmes d′un sang moins pur, les offrît à son culte intactes, dans leur noblesse inaltérée, comme telle façade du XVIIIe siècle soutenue par ses colonnes plates de marbre rose et à laquelle les temps nouveaux n′ont rien changé. My grandmother was delighted with M. de Charlus. No doubt he attached an extreme importance to all questions of birth and social position, and my grandmother had remarked this, but without any trace of that severity which as a rule embodies a secret envy and the annoyance of seeing some one else enjoy an advantage which one would like but cannot oneself possess. As on the other hand my grandmother, content with her lot and never for a moment regretting that she did not move in a more brilliant sphere, employed only her intellect in observing the eccentricities of M. de Charlus, she spoke of Saint-Loup′s uncle with that detached, smiling, almost affectionate kindness with which we reward the object of our disinterested study for the pleasure that it has given us, all the more that this time the object was a person with regard to whom she found that his if not legitimate, at any rate picturesque pretensions shewed him in vivid contrast to the people whom she generally had occasion to see. But it was especially in consideration of his intelligence and sensibility, qualities which it was easy to see that M. de Charlus, unlike so many of the people in society whom Saint-Loup derided, possessed in a marked degree, that my grandmother had so readily forgiven him his aristocratic prejudice. And yet this had not been sacrificed by the uncle, as it was by the nephew, to higher qualities. Rather, M. de Charlus had reconciled it with them. Possessing, by virtue of his descent from the Ducs de Nemours and Princes de Lamballe, documents, furniture, tapestries, portraits painted for his ancestors by Raphael, Velasquez, Boucher, justified in saying that he was visiting a museum and a matchless library when he was merely turning over his family relics at home, he placed in the rank from which his nephew had degraded it the whole heritage of the aristocracy. Perhaps also, being less metaphysical than Saint-Loup, less satisfied with words, more of a realist in his study of men, he did not care to neglect a factor that was essential to his prestige in their eyes and, if it gave certain disinterested pleasures to his imagination, could often be a powerfully effective aid to his utilitarian activities. No agreement can ever be reached between men of his sort and those who obey the ideal within them which urges them to strip themselves bare of such advantages so that they may seek only to realise that ideal, similar in that respect to the painters, the writers who renounce their virtuosity, the artistic peoples who modernise themselves, warrior peoples who take the initiative in a move for universal disarmament, absolute governments which turn democratic and repeal their harsh laws, though as often as not the sequel fails to reward their noble effort; for the men lose their talent, the nations their secular predominance; ‘pacificism′ often multiplies wars and indulgence criminality. If Saint-Loup′s efforts towards sincerity and emancipation were only to be commended as most noble, to judge by their visible result, one could still be thankful that they had failed to bear fruit in M. de Charlus, who had transferred to his own home much of the admirable panelling from the Guermantes house, instead of substituting, like his nephew, a ‘modern style′ of decoration, employing Lebourg or Guillaumin. It was none the less true that M. de Charlus′s ideal was highly artificial, and, if the epithet can be applied to the word ideal, as much social as artistic. In certain women of great beauty and rare culture whose ancestresses, two centuries earlier, had shared in all the glory and grace of the old order, he found a distinction which made him take pleasure only in their society, and no doubt the admiration for them which he had protested was sincere, but countless reminiscences; historical and artistic, called forth by their names, entered into and formed a great part of it, just as suggestions of classical antiquity are one of the reasons for the pleasure which a booklover finds in reading an Ode of Horace that is perhaps inferior to poems of our own day which would leave the same booklover cold. Any of these women by the side of a pretty commoner was for him what are, hanging beside a contemporary canvas representing a procession or a wedding, those old pictures the history of which we know, from the Pope or King who ordered them, through the hands of people whose acquisition of them, by gift, purchase, conquest or inheritance, recalls to us some event or at least some alliance of historic interest, and consequently some knowledge that we ourselves have acquired, gives it a fresh utility, increases our sense of the richness of the possessions of our memory or of our erudition. M. de Charlus might be thankful that a prejudice similar to his own, by preventing these several great ladies from mixing with women whose blood was less pure, presented them for his veneration unspoiled, in their unaltered nobility, like an eighteenth-century house-front supported on its flat columns of pink marble, in which the passage of time has wrought no change.
M. de Charlus célébrait la véritable noblesse d′esprit et de cur de ces femmes, jouant ainsi sur le mot par une équivoque qui le trompait lui-même et où résidait le mensonge de cette conception bâtarde, de cet ambigu d′aristocratie, de générosité et d′art, mais aussi sa séduction, dangereuse pour des êtres comme ma grand′mère à qui le préjugé plus grossier mais plus innocent d′un noble qui ne regarde qu′aux quartiers et ne se soucie pas du reste, eût semblé trop ridicule, mais qui était sans défense dès que quelque chose se présentait sous les dehors d′une supériorité spirituelle, au point qu′elle trouvait les princes enviables par-dessus tous les hommes, parce qu′ils purent avoir un Labruyère, un Fénelon comme précepteurs. M. de Charlus praised the true ‘nobility′ of mind and heart which characterised these women, playing upon the word in a double sense by which he himself was taken in, and in which lay the falsehood of this bastard conception, of this medley of aristocracy, generosity and art, but also its seductiveness, dangerous to people like my grandmother, to whom the less refined but more innocent prejudice of a nobleman who cared only about quarterings and took no thought for anything besides would have appeared too silly for words, whereas she was defenceless as soon as a thing presented itself under the externals of a mental superiority, so much so, indeed, that she regarded Princes as enviable above all other men because they were able to have a Labruyère, a Fénelon as their tutors.
Devant le Grand-Hôtel, les trois Guermantes nous quittèrent; ils allaient déjeuner chez la princesse de Luxembourg. Au moment où ma grand′mère disait au revoir à Mme de Villeparisis et Saint-Loup à ma grand′mère, M. de Charlus qui jusque-là ne m′avait pas adressé la parole, fit quelques pas en arrière et arrivé à côté de moi: «Je prendrai le thé ce soir après dîner dans l′appartement de ma tante Villeparisis, me dit-il. J′espère que vous me ferez le plaisir de venir avec Madame votre grand′mère.» Et il rejoignit la marquise. Outside the Grand Hotel the three Guermantes left us; they were going to luncheon with the Princesse de Luxembourg. While my grandmother was saying good-bye to Mme. de Villcparisis and Saint-Loup to my grandmother, M. de Charlus who, so far, had not uttered a word to me, drew back a little way from the group and, when he reached my side, said: “I shall be taking tea this evening after dinner in my aunt Villeparisis′s room; I hope that you will give me the pleasure of seeing you there, and your grandmother.” With which he rejoined the Marquise.
Quoique ce fût dimanche, il n′y avait pas plus de fiacres devant l′hôtel qu′au commencement de la saison. La femme du notaire en particulier trouvait que c′était bien des frais que de louer chaque fois une voiture pour ne pas aller chez les Cambremer, et elle se contentait de rester dans sa chambre. Although it was Sunday there were no more carriages waiting outside the hotel now than at the beginning of the season. The solicitor′s wife, in particular, had decided that it was not worth the expense of hiring one every time simply because she was not going to the Cambremers′, and contented herself with staying in her room.
— Est-ce que Mme Blandais est souffrante, demandait-on au notaire, on ne l′a pas vue aujourd′hui? “Is Mme. Blandais not well?” her husband was asked. “We haven′t seen her all day.”
— Elle a un peu mal à la tête, la chaleur, cet orage. Il lui suffit d′un rien; mais je crois que vous la verrez ce soir. Je lui ai conseillé de descendre. Cela ne peut lui faire que du bien. “She has a slight headache; it′s the heat, there′s thunder coming. The least thing upsets her; but I expect you will see her this evening; I′ve told her she ought to come down. It can′t do her any harm.”
J′avais pensé qu′en nous invitant ainsi chez sa tante, que je ne doutais pas qu′il eût prévenue, M. de Charlus eût voulu réparer l′impolitesse qu′il m′avait témoignée pendant la promenade du matin. Mais quand arrivé dans le salon de Mme de Villeparisis, je voulus saluer le neveu de celle-ci, j′eus beau tourner autour de lui qui, d′une voix aiguë, racontait une histoire assez malveillante pour un de ses parents, je ne pus pas attraper son regard; je me décidai à lui dire bonjour et assez fort, pour l′avertir de ma présence, mais je compris qu′il l′avait remarquée, car avant même qu′aucun mot ne fût sorti de mes lèvres, au moment où je m′inclinais je vis ses deux doigts tendus pour que je les serrasse, sans qu′il eût tourné les yeux ou interrompu la conversation. Il m′avait évidemment vu, sans le laisser paraître, et je m′aperçus alors que ses yeux qui n′étaient jamais fixés sur l′interlocuteur, se promenaient perpétuellement dans toutes les directions, comme ceux de certains animaux effrayés, ou ceux de ces marchands en plein air qui, tandis qu′ils débitent leur boniment et exhibent leur marchandise illicite, scrutent, sans pourtant tourner la tête, les différents points de l′horizon par où pourrait venir la police. Cependant j′étais un peu étonné de voir que Mme de Villeparisis heureuse de nous voir venir, ne semblait pas s′y être attendue, je le fus plus encore d′entendre M. de Charlus dire à ma grand′mère: «Ah! c′est une très bonne idée que vous avez eue de venir, c′est charmant, n′est-ce pas, ma tante?» Sans doute avait-il remarqué la surprise de celle-ci à notre entrée et pensait-il en homme habitué à donner le ton, le «la», qu′il lui suffisait pour changer cette surprise en joie d′indiquer qu′il en éprouvait lui-même, que c′était bien le sentiment que notre venue devait exciter. En quoi il calculait bien, car Mme de Villeparisis qui comptait fort son neveu et savait combien il était difficile de lui plaire, parut soudain avoir trouvé à ma grand′mère de nouvelles qualités et ne cessa de lui faire fête. Mais je ne pouvais comprendre que M. de Charlus eût oublié en quelques heures l′invitation si brève, mais en apparence si intentionnelle, si préméditée qu′il m′avait adressée le matin même et qu′il appelât «bonne idée» de ma grand′mère, une idée qui était toute de lui. Avec un scrupule de précision que je gardai jusqu′à l′âge où je compris que ce n′est pas en la lui demandant qu′on apprend la vérité sur l′intention qu′un homme a eue et que le risque d′un malentendu qui passera probablement inaperçu est moindre que celui d′une naîµ¥ insistance: «Mais, monsieur, lui dis-je, vous vous rappelez bien, n′est-ce pas, que c′est vous qui m′avez demandé que nous vinssions ce soir?» Aucun son, aucun mouvement ne trahirent que M. de Charlus eût entendu ma question. Ce que voyant je la répétai comme les diplomates ou ces jeunes gens brouillés qui mettent une bonne volonté inlassable et vaine à obtenir des éclaircissements que l′adversaire est décidé à ne pas donner. M. de Charlus ne me répondit pas davantage. Il me sembla voir flotter sur ses lèvres le sourire de ceux qui de très haut jugent les caractères et les éducations. I had supposed that in thus inviting us to take tea with his aunt, whom I never doubted that he would have warned that we were coming, M. de Charlus wished to make amends for the impoliteness which he had shewn me during our walk that morning. But when, on our entering Mme. de Villeparisis′s room, I attempted to greet her nephew, even although I walked right round him, while in shrill accents he was telling a somewhat spiteful story about one of his relatives, I did not succeed in catching his eye; I decided to say “Good evening” to him, and fairly loud, to warn him of my presence; but I realised that he had observed it, for before ever a word had passed my lips, just as I began to bow to him, I saw his two fingers stretched out for me to shake without his having turned to look at me or paused in his story. He had evidently seen me, without letting it appear that he had, and I noticed then that his eyes, which were never fixed on the person to whom he was speaking, strayed perpetually in all directions, like those of certain animals when they are frightened, or those of street hawkers who, while they are bawling their patter and displaying their illicit merchandise, keep a sharp look-out, though without turning their heads, on the different points of the horizon from any of which may appear, suddenly, the police. At the same time I was a little surprised to find that Mme. de Villeparisis, while glad to see us, did not seem to have been expecting us, and I was still more surprised to hear M. de Charlus say to my grandmother: “Ah! that was a capital idea of yours to come and pay us a visit; charming of them, is it not, my dear aunt?” No doubt he had noticed his aunt′s surprise at our entry and thought, as a man accustomed to set the tone, to strike the right note, that it would be enough to transform that surprise into joy were he to shew that he himself felt it, that it was indeed the feeling which our arrival there ought to have prompted. In which he calculated wisely; for Mme. de Villeparisis, who had a high opinion of her nephew and knew how difficult it was to please him, appeared suddenly to have found new attractions in my grandmother and continued to make much of her. But I failed to understand how M. de Charlus could, in the space of a few hours, have forgotten the invitation — so curt but apparently so intentional, so premeditated — which he had addressed to me that same morning, or why he called a ‘capital idea′ on my grandmother′s part an idea that had been entirely his own. With a scruple of accuracy which I retained until I had reached the age at which I realised that it is not by asking him questions that one learns the truth of what another man has had in his mind, and that the risk of a misunderstanding which will probably pass unobserved is less than that which may come from a purblind insistence: “But, sir,” I reminded him, “you remember, surely, that it was you who asked me if we would come in this evening?” Not a sound, not a movement betrayed that M. de Charlus had so much as heard my question. Seeing which I repeated it, like a diplomat, or like young men after a misunderstanding who endeavour, with untiring and unrewarded zeal, to obtain an explanation which their adversary is determined not to give them. Still M. de Charlus answered me not a word. I seemed to see hovering upon his lips the smile of those who from a great height pass judgment on the characters and breeding of their inferiors.
Puisqu′il refusait toute explication, j′essayai de m′en donner une, et je n′arrivai qu′à hésiter entre plusieurs dont aucune ne pouvait être la bonne. Peut-être ne se rappelait-il pas ou peut-être c′était moi qui avais mal compris ce qu′il m′avait dit le matin . . . Plus probablement par orgueil ne voulait-il pas paraître avoir cherché à attirer des gens qu′il dédaignait, et préférait-il rejeter sur eux l′initiative de leur venue. Mais alors, s′il nous dédaignait, pourquoi avait-il tenu à ce que nous vinssions ou plutôt à ce que ma grand′mère vînt, car de nous deux ce fut à elle seule qu′il adressa la parole pendant cette soirée et pas une seule fois à moi. Causant avec la plus grande animation avec elle ainsi qu′avec Mme de Villeparisis, caché en quelque sorte derrière elles, comme il eût été au fond d′une loge, il se contentait seulement, détournant par moments le regard investigateur de ses yeux pénétrants, de l′attacher sur ma figure, avec le même sérieux, le même air de préoccupation, que si elle eût été un manuscrit difficile à déchiffrer. Since he refused to give any explanation, I tried to provide one for myself, but succeeded only in hesitating between several, none of which could be the right one. Perhaps he did not remember, or perhaps it was I who had failed to understand what he had said to me that morning. . . . More probably, in his pride, he did not wish to appear to have sought to attract people whom he despised, and preferred to cast upon them the responsibility for their intrusion. But then, if he despised us, why had he been so anxious that we should come, or rather that my grandmother should come, for of the two of us it was to her alone that he spoke that evening, and never once to me. Talking with the utmost animation to her, as also to Mme. de Villeparisis, hiding, so to speak, behind them, as though he were seated at the back of a theatre-box, he contented himself, turning from them every now and then the exploring gaze of his penetrating eyes, with fastening it on my face, with the same gravity, the same air of preoccupation as if my face had been a manuscript difficult to decipher.
Sans doute s′il n′avait pas eu ces yeux, le visage de M. de Charlus était semblable à celui de beaucoup de beaux hommes. Et quand Saint-Loup en me parlant d′autres Guermantes me dit plus tard: «Dame, ils n′ont pas cet air de race, de grand seigneur jusqu′au bout des ongles, qu′a mon oncle Palamède», en confirmant que l′air de race et la distinction aristocratiques n′étaient rien de mystérieux et de nouveau, mais qui consistaient en des éléments que j′avais reconnus sans difficulté et sans éprouver d′impression particulière, je devais sentir se dissiper une de mes illusions. Mais ce visage, auquel une légère couche de poudre donnait un peu l′aspect d′un visage de théâtre, M. de Charlus avait beau en fermer hermétiquement l′expression, les yeux étaient comme une lézarde, comme une meurtrière que seule il n′avait pu boucher et par laquelle, selon le point où on était placé par rapport à lui, on se sentait brusquement croisé du reflet de quelque engin intérieur qui semblait n′avoir rien de rassurant, même pour celui qui, sans en être absolument maître, le porterait en soi, à l′état d′équilibre instable et toujours sur le point d′éclater; et l′expression circonspecte et incessamment inquiète de ces yeux, avec toute la fatigue qui, autour d′eux, jusqu′à un cerne descendu très bas, en résultait pour le visage, si bien composé et arrangé qu′il fût, faisait penser à quelque incognito, à quelque déguisement d′un homme puissant en danger, ou seulement d′un individu dangereux, mais tragique. J′aurais voulu deviner quel était ce secret que ne portaient pas en eux les autres hommes et qui m′avait déjà rendu si énigmatique le regard de M. de Charlus quand je l′avais vu le matin près du casino. Mais avec ce que je savais maintenant de sa parenté, je ne pouvais plus croire ni que ce fût celui d′un voleur, ni, d′après ce que j′entendais de sa conversation, que ce fût celui d′un fou. S′il était si froid avec moi, alors qu′il était tellement aimable avec ma grand′mère, cela ne tenait peut-être pas à une antipathie personnelle, car d′une manière générale, autant il était bienveillant pour les femmes, des défauts de qui il parlait sans se départir, habituellement, d′une grande indulgence, autant il avait à l′égard des hommes, et particulièrement des jeunes gens, une haine d′une violence qui rappelait celle de certains misogynes pour les femmes. De deux ou trois «gigolos» qui étaient de la famille ou de l′intimité de Saint-Loup et dont celui-ci cita par hasard le nom, M. de Charlus dit avec une expression presque féroce qui tranchait sur sa froideur habituelle: «Ce sont de petites canailles.» Je compris que ce qu′il reprochait surtout aux jeunes gens d′aujourd′hui, c′était d′être trop efféminés. «Ce sont de vraies femmes», disait-il avec mépris. Mais quelle vie n′eût pas semblé efféminée auprès de celle qu′il voulait que menât un homme et qu′il ne trouvait jamais assez énergique et virile? (lui-même dans ses voyages à pied, après des heures de course, se jetait brûlant dans des rivières glacées.) Il n′admettait même pas qu′un homme portât une seule bague. Mais ce parti pris de virilité ne l′empêchait pas d′avoir des qualités de sensibilité des plus fines. A Mme de Villeparisis qui le priait de décrire pour ma grand′mère un château où avait séjourné Mme de Sévigné, ajoutant qu′elle voyait un peu de littérature dans ce désespoir d′être séparée de cette ennuyeuse Mme de Grignan: No doubt, if he had not had those eyes, the face of M. de Charlus would have been similar to the faces of many good-looking men. And when Saint-Loup, speaking to me of various other Guermantes, on a later occasion, said: “Gad, they′ve not got that thoroughbred air, of being gentlemen to their finger-tips, that uncle Palamède has!” confirming my suspicion that a thoroughbred air and aristocratic distinction were not anything mysterious and new but consisted in elements which I had recognised without difficulty and without receiving any particular impression from them, I was to feel that another of my illusions had been shattered. But that face, to which a faint layer of powder gave almost the appearance of a face on the stage, in vain might M. de Charlus hermetically seal its expression; his eyes were like two crevices, two loopholes which alone he had failed to stop, and through which, according to where one stood or sat in relation to him, one felt suddenly flash across one the glow of some internal engine which seemed to offer no reassurance even to him who without being altogether master of it must carry it inside him, at an unstable equilibrium and always on the point of explosion; and the circumspect and unceasingly restless expression of those eyes, with all the signs of exhaustion which, extending from them to a pair of dark rings quite low down upon his cheeks, were stamped on his face, however carefully he might compose and regulate it, made one think of some incognito, some disguise assumed by a powerful man in danger, or merely by a dangerous — but tragic — person. I should have liked to divine what was this secret which other men did not carry in their breasts and which had already made M. de Charlus′s gaze so enigmatic to me when I had seen him that morning outside the Casino. But with what I now knew of his family I could no longer believe that they were the eyes of a thief, nor, after what I had heard of his conversation, could I say that they were those of a madman. If he was cold with me, while making himself agreeable to my grandmother, that arose perhaps not from a personal antipathy for, generally speaking, just as he was kindly disposed towards women, of whose faults he used to speak without, as a rule, any narrowing of the broadest tolerance, so he shewed with regard to men, and especially young men, a hatred so violent as to suggest that of certain extreme misogynists for women. Two or three ‘carpet-knights,′ relatives or intimate friends of Saint-Loup who happened to mention their names, M. de Charlus, with an almost ferocious expression, in sharp contrast to his usual coldness, called: “Little cads!” I gathered that the particular fault which he found in the young men of the period was their extreme effeminacy. “They′re absolute women,” he said with scorn. But what life would not have appeared effeminate beside that which he expected a man to lead, and never found energetic or virile enough? (He himself, when he walked across country, after long hours on the road would plunge his heated body into frozen streams.) He would not even allow a man to wear a single ring. But this profession of virility did not prevent his having also the most delicate sensibilities. When Mme. de Villeparisis asked him to describe to my grandmother some country house in which Mme. de Sévigné had stayed, adding that she could not help feeling that there was something rather ‘literary′ about that lady′s distress at being parted from “that tiresome Mme. de Grignan”:
— «Rien au contraire, répondit-il, ne me semble plus vrai. C′était du reste une époque où ces sentiments-là étaient bien compris. L′habitant du Monomopata de Lafontaine, courant chez son ami qui lui est apparu un peu triste pendant son sommeil, le pigeon trouvant que le plus grand des maux est l′absence de l′autre pigeon, vous semblent peut-être, ma tante, aussi exagérés que Mme de Sévigné ne pouvant pas attendre le moment où elle sera seule avec sa fille. C′est si beau ce qu′elle dit quand elle la quitte: cette séparation me fait une douleur à l′âme que je sens comme un mal du corps. Dans l′absence on est libéral des heures. On avance dans un temps auquel on aspire.» Ma grand′mère était ravie d′entendre parler de ces Lettres, exactement de la façon qu′elle eût fait. Elle s′étonnait qu′un homme pût les comprendre si bien. Elle trouvait à M. de Charlus des délicatesses, une sensibilité féminines. Nous nous dîmes plus tard quand nous fûmes seuls et parlâmes tous les deux de lui qu′il avait dû subir l′influence profonde d′une femme, sa mère, ou plus tard sa fille s′il avait des enfants. Moi je pensai: «Une maîtresse» en me reportant à l′influence que celle de Saint-Loup me semblait avoir eue sur lui et qui me permettait de me rendre compte à quel point les femmes avec lesquelles ils vivent affinent les hommes. “On the contrary,” he retorted, “I can think of nothing more true. Besides, it was a time in which feelings of that sort were thoroughly understood. The inhabitant of Lafontaine′s Monomotapa, running to see his friend who had appeared to him in a dream, and had looked sad, the pigeon finding that the greatest of evils is the absence of the other pigeon, seem to you perhaps, my dear aunt, as exaggerated as Mme. de Sévigné‘s impatience for the moment when she will be alone with her daughter. It is so fine what she says when she leaves her: ‘This parting gives a pain to my soul which I feel like an ache in my body. In absence one is liberal with the hours. One anticipates a time for which one is longing.′” My grandmother was in ecstasies at hearing the Letters thus spoken of, exactly as she would have spoken of them herself. She was astonished that a man could understand them so thoroughly. She found in M. de Charlus a delicacy, a sensibility that were quite feminine. We said to each other afterwards, when we were by ourselves and began to discuss him together, that he must have come under the strong influence of a woman, his mother, or in later life his daughter if he had any children. “A mistress, perhaps,” I thought to myself, remembering the influence that Saint-Loup′s seemed to have had over him, which enabled me to realise the point to which men can be refined by the women with whom they live.
«Une fois près de sa fille elle n′avait probablement rien à lui dire», répondit Mme de Villeparisis. “Once she was with her daughter, she had probably nothing to say to her,” put in Mme. de Villeparisis.
«Certainement si; fût-ce de ce qu′elle appelait «choses si légères qu′il n′y a que vous et moi qui les remarquions». Et en tous cas, elle était près d′elle. Et Labruyère nous dit que c′est tout: «Etre près des gens qu′on aime, leur parler, ne leur parler point, tout est égal.» Il a raison; c′est le seul bonheur, ajouta M. de Charlus d′une voix mélancolique; et ce bonheur-là, hélas, la vie est si mal arrangée qu′on le goûte bien rarement; Mme de Sévigné a été en somme moins à plaindre que d′autres. Elle a passé une grande partie de sa vie auprès de ce qu′elle aimait. “Most certainly she had: if it was only what she calls ‘things so slight that nobody else would notice them but you and me.′ And anyhow she was with her. And Labruyère tells us that that is everything. ‘To be with the people one loves, to speak to them, not to speak to them, it is all the same.′ He is right; that is the only form of happiness,” added M. de Charlus in a mournful voice, “and that happiness — alas, life is so ill arranged that one very rarely tastes it; Mme. de Sévigné was after all less to be pitied than most of us. She spent a great part of her life with the person whom she loved.”
— Tu oublies que ce n′était pas de l′amour, c′était de sa fille qu′il s′agissait. “You forget that it was not ‘love′ in her case; the person was her daughter.”
— Mais l′important dans la vie n′est pas ce qu′on aime, reprit-il d′un ton compétent, péremptoire et presque tranchant, c′est d′aimer. Ce que ressentait Mme de Sévigné pour sa fille peut prétendre beaucoup plus justement ressembler à la passion que Racine a dépeinte dans Andromaque ou dans Phèdre, que les banales relations que le jeune Sévigné avait avec ses maîtresses. De même l′amour de tel mystique pour son Dieu. Les démarcations trop étroites que nous traçons autour de l′amour viennent seulement de notre grande ignorance de la vie. “But what matters in life is not whom or what one loves,” he went on, in a judicial, peremptory, almost a cutting tone; “it is the fact of loving. What Mme. de Sévigné felt for her daughter has a far better claim to rank with the passion that Racine described in Andromaque or Phèdre than the commonplace relations young Sévigné had with his mistresses. It′s the same with a mystic′s love for his God. The hard and fast lines with which we circumscribe love arise solely from our complete ignorance of life.”
«Tu aimes beaucoup Andromaque et Phèdre?» demanda Saint-Loup à son oncle, sur un ton légèrement dédaigneux. «Il y a plus de vérité dans une tragédie de Racine que dans tous les drames de Monsieur Victor Hugo», répondit M. de Charlus. «C′est tout de même effrayant le monde, me dit Saint-Loup à l′oreille. Préférer Racine à Victor c′est quand même quelque chose d′énorme!» Il était sincèrement attristé des paroles de son oncle, mais le plaisir de dire «quand même» et surtout «énorme» le consolait. “You think all that of Andromaque and Phèdre, do you?” Saint-Loup asked his uncle in a faintly contemptuous tone. “There is more truth in a single tragedy of Racine than in all the dramatic works of Monsieur Victor Hugo,” replied M. de Charlus. “People really are overwhelming,” Saint-Loup murmured in my ear. “Preferring Racine to Victor, you may say what you like, it′s epoch-making!” He was genuinely distressed by his uncle′s words, but the satisfaction of saying “you may say what you like” and, better still, “epoch-making” consoled him.
Dans ces réflexions sur la tristesse qu′il y a à vivre loin de ce qu′on aime (qui devaient amener ma grand′mère à me dire que le neveu de Mme de Villeparisis comprenait autrement bien certaines uvres que sa tante, et surtout avait quelque chose qui le mettait bien au-dessus de la plupart des gens du club), M. de Charlus ne laissait pas seulement paraître une finesse de sentiment que montrent en effet rarement les hommes; sa voix elle-même, pareille à certaines voix de contralto en qui on n′a pas assez cultivé le médium et dont le chant semble le duo alterné d′un jeune homme et d′une femme, se posait au moment où il exprimait ces pensées si délicates, sur des notes hautes, prenait une douceur imprévue et semblait contenir des churs de fiancées, de surs, qui répandaient leur tendresse. Mais la nichée de jeunes filles que M. de Charlus, avec son horreur de tout efféminement, aurait été si navré, d′avoir l′air d′abriter ainsi dans sa voix, ne s′y bornait pas à l′interprétation, à la modulation, des morceaux de sentiment. Souvent tandis que causait M. de Charlus, on entendait leur rire aigu et frais de pensionnaires ou de coquettes ajuster leur prochain avec des malices de bonnes langues et de fines mouches. In these reflexions upon the sadness of having to live apart from the person whom one loves (which were to lead my grandmother to say to me that Mme. de Villeparisis′s nephew understood certain things quite as well as his aunt, but in a different way, and moreover had something about him that set him far above the average clubman) M. de Charlus not only allowed a refinement of feeling to appear such as men rarely shew; his voice itself, like certain contralto voices which have not been properly trained to the right pitch, so that when they sing it sounds like a duet between a young man and a woman, singing alternately, mounted, when he expressed these delicate sentiments, to its higher notes, took on an unexpected sweetness and seemed to be embodying choirs of betrothed maidens, of sisters, who poured out the treasures of their love. But the bevy of young girls, whom M. de Charlus in his horror of every kind of effeminacy would have been so distressed to learn that he gave the impression of sheltering thus within his voice, did not confine themselves to the interpretation, the modulation of scraps of sentiment. Often while M. de Charlus was talking one could hear their laughter, shrill, fresh laughter of school-girls or coquettes quizzing their partners with all the archness of clever tongues and pretty wits.
Il raconta qu′une demeure qui avait appartenu à sa famille, où Marie-Antoinette avait couché, dont le parc était de Lenôtre, appartenait maintenant aux riches financiers Israël, qui l′avaient achetée. «Israël, du moins c′est le nom que portent ces gens, qui me semble un terme générique, ethnique, plutôt qu′un nom propre. On ne sait pas peut-être que ce genre de personnes ne portent pas de noms et sont seulement désignées par la collectivité à laquelle elles appartiennent. Cela ne fait rien! Avoir été la demeure des Guermantes et appartenir aux Israël!!! s′écria-t-il. Cela fait penser à cette chambre du château de Blois où le gardien qui le faisait visiter me dit: «C′est ici que Marie Stuart faisait sa prière; et c′est là maintenant où ce que je mets mes balais.» Naturellement je ne veux rien savoir de cette demeure qui s′est déshonorée, pas plus que de ma cousine Clara de Chimay qui a quitté son mari. Mais je conserve la photographie de la première encore intacte, comme celle de la princesse quand ses grands yeux n′avaient de regards que pour mon cousin. La photographie acquiert un peu de la dignité qui lui manque quand elle cesse d′être une reproduction du réel et nous montre des choses qui n′existent plus. Je pourrai vous en donner une, puisque ce genre d′architecture vous intéresse», dit-il à ma grand′mère. A ce moment apercevant que le mouchoir brodé qu′il avait dans sa poche laissait dépasser des liserés de couleur, il le rentra vivement avec la mine effarouchée d′une femme pudibonde mais point innocente dissimulant des appâts que, par un excès de scrupule, elle juge indécents. «Imaginez-vous, reprit-il, que ces gens ont commencé par détruire le parc de Lenôtre, ce qui est aussi coupable que de lacérer un tableau de Poussin. Pour cela, ces Israël devraient être en prison. Il est vrai, ajouta-t-il en souriant après un moment de silence, qu′il y a sans doute tant d′autres choses pour lesquelles ils devraient y être! En tous cas vous vous imaginez l′effet que produit devant ces architectures un jardin anglais. He told us how a house that had belonged to his family, in which Marie Antoinette had slept, with a park laid out by Lenôtre, was now in the hands of the Israels, the wealthy financiers, who had bought it. “Israel — at least that is the name these people go by, which seems to me a generic, a racial term rather than a proper name. One cannot tell; possibly people of that sort do not have names, and are designated only by the collective title of the tribe to which they belong. It is of no importance! But fancy, after being a home of the Guermantes, to belong to Israels!!!” His voice rose. “It reminds me of a room in the Château of Blois where the caretaker who was shewing me over said: ‘This is where Mary Stuart used to say her prayers; I use it to keep my brooms in.′ Naturally I wish to know nothing more of this house that has let itself be dishonoured, any more than of my cousin Clara de Chimay after she left her husband. But I keep a photograph of the house, when it was still unspoiled, just as I keep one of the Princess before her large eyes had learned to gaze on anyone but my cousin. A photograph acquires something of the dignity which it ordinarily lacks when it ceases to be a reproduction of reality and shews us things that no longer exist. I could give you a copy, since you are interested in that style of architecture,” he said to my grandmother. At that moment, noticing that the embroidered handkerchief which he had in his pocket was shewing some coloured threads, he thrust it sharply down out of sight with the scandalised air of a prudish but far from innocent lady concealing attractions which, by an excess of scrupulosity, she regards as indecent. “Would you believe,” he went on, “that the first thing the creatures did was to destroy Lenôtre′s park, which is as bad as slashing a picture by Poussin? For that alone, these Israels ought to be in prison. It is true,” he added with a smile, after a moment′s silence, “that there are probably plenty of other reasons why they should be there! In any case, you can imagine the effect, with that architecture behind it, of an English garden.”
— Mais la maison est du même style que le Petit-Trianon, dit Mme de Villeparisis, et Marie-Antoinette y a bien fait faire un jardin anglais. “But the house is in the same style as the Petit Trianon,” said Mme. de Villeparisis, “and Marie-Antoinette had an English garden laid out there.”
— Qui dépare tout de même la façade de Gabriel, répondit M. de Charlus. Évidemment ce serait maintenant une sauvagerie que de détruire le Hameau. Mais quel que soit l′esprit du jour, je doute tout de même qu′à cet égard une fantaisie de Mme Israël ait le même prestige que le souvenir de la Reine. “Which, all the same, ruins Gabriel′s front,” replied M. de Charlus. “Obviously, it would be an act of vandalism now to destroy the Hameau. But whatever may be the spirit of the age, I doubt, all the same, whether, in that respect, a whim of Mme. Israel has the same importance as the memory of the Queen.”
Cependant ma grand′mère m′avait fait signe de monter me coucher, malgré l′insistance de Saint-Loup qui, à ma grande honte, avait fait allusion devant M. de Charlus à la tristesse que j′éprouvais souvent le soir avant de m′endormir et que son oncle devait trouver quelque chose de bien peu viril. Je tardai encore quelques instants, puis m′en allai, et fus bien étonné quand un peu après, ayant entendu frapper à la porte de ma chambre et ayant demandé qui était là, j′entendis la voix de M. de Charlus qui disait d′un ton sec: Meanwhile my grandmother had been making signs to me to go up to bed, in spite of the urgent appeals of Saint-Loup who, to my utter confusion, had alluded in front of M. de Charlus to the depression that used often to come upon me at night before I went to sleep, which his uncle must regard as betokening a sad want of virility. I lingered a few moments still, then went upstairs, and was greatly surprised when, a little later, having heard a knock at my bedroom door and asked who was there, I heard the voice of M. de Charlus saying dryly:
— C′est Charlus. Puis-je entrer, monsieur? Monsieur, reprit-il du même ton une fois qu′il eut refermé la porte, mon neveu racontait tout à l′heure que vous étiez un peu ennuyé avant de vous endormir, et d′autre part que vous admiriez les livres de Bergotte. Comme j′en ai dans ma malle un que vous ne connaissez probablement pas, je vous l′apporte pour vous aider à passer ces moments où vous ne vous sentez pas heureux. “It is Charlus. May I come in, sir? Sir,” he began again in the same tone as soon as he had shut the door, “my nephew was saying just now that you were apt to be worried at night before going to sleep, and also that you were an admirer of Bergotte′s books. As I had one here in my luggage which you probably do not know, I have brought it to help you to while away these moments in which you are not comfortable.”
Je remerciai M. de Charlus avec émotion et lui dis que j′avais au contraire eu peur que ce que Saint-Loup lui avait dit de mon malaise à l′approche de la nuit, m′eût fait paraître à ses yeux plus stupide encore que je n′étais. I thanked M. de Charlus with some warmth and told him that, on the contrary, I had been afraid that what Saint-Loup had said to him about my discomfort when night came would have made me appear in his eyes more stupid even than I was.
— Mais non, répondit-il avec un accent plus doux. Vous n′avez peut-être pas de mérite personnel, si peu d′êtres en ont! Mais pour un temps du moins vous avez la jeunesse et c′est toujours une séduction. D′ailleurs, monsieur, la plus grande des sottises, c′est de trouver ridicules ou blâmables les sentiments qu′on n′éprouve pas. J′aime la nuit et vous me dites que vous la redoutez; j′aime sentir les roses et j′ai un ami à qui leur odeur donne la fièvre. Croyez-vous que je pense pour cela qu′il vaut moins que moi. Je m′efforce de tout comprendre et je me garde de rien condamner. En somme ne vous plaignez pas trop, je ne dirai pas que ces tristesses ne sont pas pénibles, je sais ce qu′on peut souffrir pour des choses que les autres ne comprendraient pas. Mais du moins vous avez bien placé votre affection dans votre grand′mère. Vous la voyez beaucoup. Et puis c′est une tendresse permise, je veux dire une tendresse payée de retour. Il y en a tant dont on ne peut pas dire cela. “No; why?” he answered, in a gentler voice. “You have not, perhaps, any personal merit; so few of us have! But for a time at least you have youth, and that is always a charm. Besides, sir, the greatest folly of all is to laugh at or to condemn in others what one does not happen oneself to feel. I love the night, and you tell me that you are afraid of it. I love the scent of roses, and I have a friend whom it throws into a fever. Do you suppose that I think, for that reason, that he is inferior to me? I try to understand everything and I take care to condemn nothing. After all, you must not be too sorry for yourself; I do not say that these moods of depression are not painful, I know that one can be made to suffer by things which the world would not understand. But at least you have placed your affection wisely, in your grandmother. You see a great deal of her. And besides, that is a legitimate affection, I mean one that is repaid. There are so many of which one cannot say that.”
Il marchait de long en large dans la chambre, regardant un objet, en soulevant un autre. J′avais l′impression qu′il avait quelque chose à m′annoncer et ne trouvait pas en quels termes le faire. He began walking up and down the room, looking at one thing, taking up another. I had the impression that he had something to tell me, and could not find the right words to express it.
«J′ai un autre volume de Bergotte ici, je vais vous le chercher», ajouta-t-il, et il sonna. Un groom vint au bout d′un moment. «Allez me chercher votre maître d′hôtel. Il n′y a que lui ici qui soit capable de faire une commission intelligemment, dit M. de Charlus avec hauteur. «Monsieur Aimé, Monsieur?» demanda le groom. «Je ne sais pas son nom, mais si, je me rappelle que je l′ai entendu appeler Aimé. Allez vite, je suis pressé.» «Il va être tout de suite ici, monsieur, je l′ai justement vu en bas», répondit le groom qui voulait avoir l′air au courant. Un certain temps se passa. Le groom revint. «Monsieur, M. Aimé est couché. Mais je peux faire la commission.» «Non, vous n′avez qu′à le faire lever.» «Monsieur, je ne peux pas, il ne couche pas là.» «Alors, laissez-nous tranquilles.» «Mais, monsieur, dis-je, le groom parti, vous êtes trop bon, un seul volume de Bergotte me suffira.» «C′est ce qui me semble, après tout.» M. de Charlus marchait. Quelques minutes se passèrent ainsi, puis, après quelques instants d′hésitation et se reprenant à plusieurs fois, il pivota sur lui-même et de sa voix redevenue cinglante, il me jeta: «Bonsoir, monsieur» et partit. Après tous les sentiments élevés que je lui avais entendu exprimer ce soir-là, le lendemain qui était jour de son départ, sur la plage, dans la matinée, au moment où j′allais prendre mon bain, comme M. de Charlus s′était approché de moi pour m′avertir que ma grand′mère m′attendait aussitôt que je serais sorti de l′eau, je fus bien étonné de l′entendre me dire, en me pinçant le cou, avec une familiarité et un rire vulgaires: “I have another volume of Bergotte here; I will fetch it for you,” he went on, and rang the bell. Presently a page came. “Go and find me your head waiter. He is the only person here who is capable of obeying an order intelligently,” said M. de Charlus stiffly. “Monsieur Aimé, sir?” asked the page. “I cannot tell you his name; yes, I remember now, I did hear him called Aimé. Run along, I am in a hurry.” “He won′t be a minute, sir, I saw him downstairs just now,” said the page, anxious to appear efficient. There was an interval of silence. The page returned. “Sir, M. Aimé has gone to bed. But I can take your message.” “No, you have only to get him out of bed.” “But I can′t do that, sir; he doesn′t sleep here.” “Then you can leave us alone.” “But, sir,” I said when the page had gone, “you are too kind; one volume of Bergotte will be quite enough.” “That is just what I was thinking.” M. de Charlus walked up and down the room. Several minutes passed in this way, then after a prolonged hesitation, and several false starts, he swung sharply round and, his voice once more stinging, flung at me: “Good night, sir!” and left the room. After all the lofty sentiments which I had heard him express that evening, next day, which was the day of his departure, on the beach, before noon, when I was on my way down to bathe, and M. de Charlus had come across to tell me that my grandmother was waiting for me to join her as soon as I left the water, I was greatly surprised to hear him say, pinching my neck as he spoke, with a familiarity and a laugh that were frankly vulgar:
— Mais on s′en fiche bien de sa vieille grand′mère, hein? petite fripouille! “But he doesn′t give a damn for his old grandmother, does he, eh? Little rascal!”
— Comment, monsieur, je l′adore! “What, sir! I adore her!”
— Monsieur, me dit-il en s′éloignant d′un pas et avec un air glacial, vous êtes encore jeune, vous devriez en profiter pour apprendre deux choses, la première c′est de vous abstenir d′exprimer des sentiments trop naturels pour n′être pas sous-entendus; la seconde c′est de ne pas partir en guerre pour répondre aux choses qu′on vous dit avant d′avoir pénétré leur signification. Si vous aviez pris cette précaution, il y a un instant, vous vous seriez évité d′avoir l′air de parler à tort et à travers comme un sourd et d′ajouter par là un second ridicule à celui d′avoir des ancres brodées sur votre costume de bain. Je vous ai prêté un livre de Bergotte dont j′ai besoin. Faites-le moi rapporter dans une heure par ce maître d′hôtel au prénom risible et mal porté, qui je suppose n′est pas couché à cette heure-ci. Vous me faites apercevoir que je vous ai parlé trop tôt hier soir des séductions de la jeunesse, je vous aurais rendu meilleur service en vous signalant son étourderie, ses inconséquences et son incompréhension. J′espère, monsieur, que cette petite douche ne vous sera pas moins salutaire que votre bain. Mais ne restez pas ainsi immobile, vous pourriez prendre froid. Bonsoir, monsieur. “Sir,” he said, stepping back a pace, and with a glacial air, “you are still young; you should profit by your youth to learn two things; first, to refrain from expressing sentiments that are too natural not to be taken for granted; and secondly not to dash into speech to reply to things that are said to you before you have penetrated their meaning. If you had taken this precaution a moment ago you would have saved yourself the appearance of speaking at cross-purposes like a deaf man, thereby adding a second absurdity to that of having anchors embroidered on your bathing-dress. I have lent you a book by Bergotte which I require. See that it is brought to me within the next hour by that head waiter with the silly and inappropriate name, who, I suppose, is not in bed at this time of day. You make me see that I was premature in speaking to you last night of the charms of youth; I should have done you a better service had I pointed out to you its thoughtlessness, its inconsequence, and its want of comprehension. I hope, sir, that this little douche will be no less salutary to you than your bathe. But don′t let me keep you standing: you may catch cold. Good day, sir.”
Sans doute eut-il regret de ces paroles, car quelque temps après je reçus, — dans une reliure de maroquin sur le plat de laquelle avait été encastrée une plaque de cuir incisé qui représentait en demi-relief une branche de myosotis —e llivre qu′il m′avait prêté et que je lui avais fait remettre, non par Aimé qui se trouvait «de sortie», mais par le liftier. No doubt he was sorry afterwards for this speech, for some time later I received — in a morocco binding on the front of which was inlaid a panel of tooled leather representing in demi-relief a spray of forget-me-nots — the book which he had lent me, and I had sent back to him, not by Aimé who was apparently ‘off duty,′ but by the lift-boy.





TROISIèME PARTIE

Une fois M. de Charlus parti, nous pûmes enfin, Robert et moi, aller dîner chez Bloch. Or je compris pendant cette petite fête, que les histoires trop facilement trouvées drôles par notre camarade étaient des histoires de M. Bloch, père, et que l′homme «tout à fait curieux» était toujours un de ses amis qu′il jugeait de cette façon. Il y a un certain nombre de gens qu′on admire dans son enfance, un père plus spirituel que le reste de la famille, un professeur qui bénéficie à nos yeux de la métaphysique qu′il nous révèle, un camarade plus avancé que nous (ce que Bloch avait été pour moi) qui méprise le Musset de l′Espoir en Dieu quand nous l′aimons encore, et quand nous en serons venus au père Lecomte ou à Claudel ne s′extasiera plus que sur: M. de Charlus having gone, Robert and I were free at last to dine with Bloch. And I realised during this little party that the stories too readily admitted by our friend as funny were favourite stories of M. Bloch senior, and that the son′s ′really remarkable person′ was always one of his father′s friends whom he had so classified. There are a certain number of people whom we admire in our boyhood, a father with better brains than the rest of the family, a teacher who acquires credit in our eyes from the philosophy he reveals to us, a schoolfellow more advanced than we are (which was what Bloch had been to me), who despises the Musset of the _Espoir en Dieu_ when we still admire it, and when we have reached Leconte or Claudel will be in ecstasies only over.
«A Saint-Blaise, à la Zuecca
Vous étiez, vous étiez bien aise».
en y ajoutant
«Padoue est un fort bel endroit
Ou de très grands docteurs en droit
. . . Mais j′aime mieux la polenta
. . . Passe dans son domino noir
La Toppatelle.
et de toutes les «Nuits» ne retient que
«Au Havre, devant l′Atlantique
A Venise, à l′affreux Lido.
Où vient sur l′herbe d′un tombeau
Mourir la pâle Adriatique.
A Saint-Blaise, à la Zuecca
Vous étiez, vous étiez bien aise:
with which he will include:
Padoue est un fort bel endroit
Où de très grands docteurs en droit....
Mais j′aime mieux la polenta....
Passe dans mon domino noir
La Toppatelle
and of all the _Nuits_ will remember only:
Au Havre, devant l′Atlantique
A Venise, à l′affreux Lido.
Où vient sur l′herbe d′un tombeau
Mourir la pâle Adriatique.
Or, de quelqu′un qu′on admire de confiance, on recueille, on cite avec admiration, des choses très inférieures à celles que livré à son propre génie on refuserait avec sévérité, de même qu′un écrivain utilise dans un roman sous prétexte qu′ils sont vrais, des «mots», des personnages, qui dans l′ensemble vivant font au contraire poids mort, partie médiocre. Les portraits de Saint Simon écrits par lui sans qu′il s′admire sans doute, sont admirables, les traits qu′il cite comme charmants de gens d′esprit qu′il a connus, sont restés médiocres ou devenus incompréhensibles. Il eût dédaigné d′inventer ce qu′il rapporte comme si fin ou si coloré de Mme Cornuel ou de Louis XIV, fait qui du reste est à noter chez bien d′autres et comporte diverses interprétations dont il suffit en ce moment de retenir celle-ci: c′est que dans l′état d′esprit où l′on «observe», on est très au-dessous du niveau où l′on se trouve quand on crée. So, whenever we confidently admire anyone, we collect from him, we quote with admiration sayings vastly inferior to the sort which, left to our own judgment, we would sternly reject, just as the writer of a novel puts into it, on the pretext that they are true, things which people have actually said, which in the living context are like a dead weight, form the dull part of the work. Saint-Simon′s portraits composed by himself (and very likely without his admiring them himself) are admirable, whereas what he cites as the charming wit of his clever friends is frankly dull where it has not become meaningless. He would have scorned to invent what he reports as so pointed or so coloured when said by Mme. Cornuel or Louis XIV, a point which is to be remarked also in many other writers, and is capable of various interpretations, of which it is enough to note but one for the present: namely, that in the state of mind in which we ′observe′ we are a long way below the level to which we rise when we create.
Il y avait donc enclavé en mon camarade Bloch, un père Bloch, qui retardait de quarante ans sur son fils, débitait des anecdotes saugrenues, et en riait autant au fond de mon ami, que ne faisait le père Bloch extérieur et véritable, puisque au rire que ce dernier lâchait non sans répéter deux ou trois fois le dernier mot, pour que son public goûtât bien l′histoire, s′ajoutait le rire bruyant par lequel le fils ne manquait pas à table de saluer les histoires de son père. C′est ainsi qu′après avoir dit les choses les plus intelligentes, Bloch jeune, manifestant l′apport qu′il avait reçu de sa famille, nous racontait pour la trentième fois, quelques-uns des mots que le père Bloch sortait seulement (en même temps que sa redingote) les jours solennels où Bloch jeune amenait quelqu′un qu′il valait la peine d′éblouir: un de ses professeurs, un «copain» qui avait tous les prix, ou, ce soir-là, Saint-Loup et moi. Par exemple: «Un critique militaire très fort, qui avait savamment déduit avec preuves à l′appui pour quelles raisons infaillibles dans la guerre russo-japonaise, les Japonais seraient battus et les Russes vainqueurs», ou bien: «C′est un homme éminent qui passe pour un grand financier dans les milieux politiques et pour un grand politique dans les milieux financiers.» Ces histoires étaient interchangeables avec une du baron de Rothschild et une de sir Rufus Israel, personnages mis en scène d′une manière équivoque qui pouvait donner à entendre que M. Bloch les avait personnellement connus. There was, then, embedded in my friend Bloch a father Bloch who lagged forty years behind his son, told impossible stories and laughed as loudly at them from the heart of my friend as did′ the separate, visible and authentic father Bloch, since to the laugh which the latter emitted, not without several times repeating the last word so that his public might taste the full flavour of the story, was added the braying laugh with which the son never failed, at table, to greet his father′s anecdotes. Thus it came about that after saying the most intelligent things young Bloch, to indicate the portion that he had inherited from his family, would tell us for the thirtieth time some of the gems which father Bloch brought out only (with his swallow-tail coat) on the solemn occasions on which young Bloch brought someone to the house on whom it was worth while making an impression; one of his masters, a ‘chum′ who had taken all the prizes, or, this evening, Saint-Loup and myself. For instance: “A military critic of great insight, who had brilliantly worked out, supporting them with proofs, the reasons for which, in the Russo-Japanese war, the Japanese must inevitably be beaten and the Russians victorious,” or else: “He is an eminent gentleman who passes for a great financier in political circles and for a great politician among financiers.” These stories were interchangeable with one about Baron de Rothschild and one about Sir Rufus Israels, who were brought into the conversation in an equivocal manner which might let it be supposed that M. Bloch knew them personally.
J′y fus moi-même pris et à la manière dont M. Bloch père parla de Bergotte, je crus aussi que c′était un de ses vieux amis. Or, tous les gens célèbres, M. Bloch ne les connaissait que «sans les connaître», pour les avoir vus de loin au théâtre, sur les boulevards. Il s′imaginait du reste que sa propre figure, son nom, sa personnalité ne leur étaient pas inconnus et qu′en l′apercevant, ils étaient souvent obligés de retenir une furtive envie de le saluer. Les gens du monde, parce qu′ils connaissent les gens de talent, d′original, qu′ils les reçoivent à dîner, ne les comprennent pas mieux pour cela. Mais quand on a un peu vécu dans le monde, la sottise de ses habitants vous fait trop souhaiter de vivre, trop supposer d′intelligence, dans les milieux obscurs où l′on ne connaît que «sans connaître». J′allais m′en rendre compte en parlant de Bergotte. M. Bloch n′était pas le seul qui eût des succès chez lui. Mon camarade en avait davantage encore auprès de ses surs qu′il ne cessait d′interpeller sur un ton bougon, en enfonçant sa tête dans son assiette, il les faisait ainsi rire aux larmes. Elles avaient d′ailleurs adopté la langue de leur frère qu′elles parlaient couramment, comme si elle eût été obligatoire et la seule dont pussent user des personnes intelligentes. Quand nous arrivâmes, l′aînée dit à une de ses cadettes: «Va prévenir notre père prudent et notre mère vénérable.» «Chiennes, leur dit Bloch, je vous présente le cavalier Saint-Loup, aux javelots rapides qui est venu pour quelques jours de Doncières aux demeures de pierre polie, féconde en chevaux.» Comme il était aussi vulgaire que lettré, le discours se terminait d′habitude par quelque plaisanterie moins homérique: «Voyons, fermez un peu vos peplos aux belles agraffes, qu′est-ce que c′est que ce chichi-là? Après tout c′est pas mon père!» Et les demoiselles Bloch s′écroulaient dans une tempête de rires. Je dis à leur frère combien de joies il m′avait données en me recommandant la lecture de Bergotte dont j′avais adoré les livres. I was myself taken in, and from the way in which M. Bloch spoke of Bergotte I assumed that he too was an old friend. But with him as with all famous people, M. Bloch knew them only ‘without actually knowing them,′ from having seen them at a distance in the theatre or in the street. He imagined, moreover, that his appearance, his name, his personality were not unknown to them, and that when they caught sight of him they had often to repress a stealthy inclination to bow. People in society, because they know men of talent, original characters, and have them to dine in their houses, do not on that account understand them any better. But when one has lived to some extent in society, the silliness of its inhabitants makes one too anxious to live, suppose too high a standard of intelligence in the obscure circles in which people know only ‘without actually knowing.′ I was to discover this when I introduced the topic of Bergotte. M. Bloch was not the only one who was a social success at home. My friend was even more so with his sisters, whom he continually questioned in a hectoring tone, burying his face in his plate, all of which made them laugh until they cried. They had adopted their brother′s language, and spoke it fluently, as if it had been obligatory and the only form of speech that people of intelligence might use. When we arrived, the eldest sister said to one of the younger ones: “Go, tell our sage father and our venerable mother!” “Puppies,” said Bloch, “I present to you the cavalier Saint-Loup, hurler of javelins, who is come for a few days from Doncières to the dwellings of polished stone, fruitful in horses.” And, since he was as vulgar as he was literary, his speech ended as a rule in some pleasantry of a less Homeric kind: “See, draw closer your pepla with fair clasps, what is all that that I see? Does your mother know you′re out?” And the Misses Bloch subsided in a tempest of laughter. I told their brother how much pleasure he had given me by recommending me to read Bergotte, whose books I had loved.
M. Bloch père qui ne connaissait Bergotte que de loin, et la vie de Bergotte que par les racontars du parterre, avait une manière tout aussi indirecte de prendre connaissance de ses uvres, à l′aide de jugements d′apparence littéraire. Il vivait dans le monde des à peu près, où l′on salue dans le vide, où l′on juge dans le faux. L′inexactitude, l′incompétence, n′y diminuent pas l′assurance, au contraire. C′est le miracle bienfaisant de l′amour-propre que peu de gens pouvant avoir les relations brillantes et les connaissances profondes, ceux auxquels elles font défaut se croient encore les mieux partagés parce que l′optique des gradins sociaux fait que tout rang semble le meilleur à celui qui l′occupe et qui voit moins favorisés que lui, mal lotis, à plaindre, les plus grands qu′il nomme et calomnie sans les connaître, juge et dédaigne sans les comprendre. Même dans les cas où la multiplication des faibles avantages personnels par l′amour-propre ne suffirait pas à assurer à chacun la dose de bonheur, supérieure à celle accordée aux autres, qui lui est nécessaire, l′envie est là pour combler la différence. Il est vrai que si l′envie s′exprime en phrases dédaigneuses, il faut traduire: «Je ne veux pas le connaître» par «je ne peux pas le connaître». C′est le sens intellectuel. Mais le sens passionné est bien: je ne veux pas le connaître. On sait que cela n′est pas vrai mais on ne le dit pas cependant par simple artifice, on le dit parce qu′on éprouve ainsi, et cela suffit pour supprimer la distance, c′est-à-dire pour le bonheur. M. Bloch senior, who knew Bergotte only by sight, and Bergotte′s life only from what was common gossip, had a manner quite as indirect of making the acquaintance of his books, by the help of criticisms that were apparently literary. He lived in the world of ‘very nearlies,′ where people salute the empty air and arrive at wrong judgments. Inexactitude, incompetence do not modify their assurance; quite the contrary. It is the propitious miracle of self-esteem that, since few of us are in a position to enjoy the society of distinguished people, or to form intellectual friendships, those to whom they are denied still believe themselves to be the best endowed of men, because the optics of our social perspective make every grade of society seem the best to him who occupies it, and beholds as less favoured than himself, less fortunate and therefore to be pitied, the greater men whom he names and calumniates without knowing, judges and — despises without understanding them. Even in cases where the multiplication of his modest personal advantages by his self-esteem would not suffice to assure a man the dose of happiness, superior to that accorded to others, which is essential to him, envy is always there to make up the balance. It is true that if envy finds expression in scornful phrases, we must translate ‘I have no wish to know him′ by ‘I have no means of knowing him.′ That is the intellectual sense. But the emotional sense is indeed, ‘I have no wish to know him.′ The speaker knows that it is not true, but he does not, all the same, say it simply to deceive; he says it because it is what he feels, and that is sufficient to bridge the gulf between them, that is to say to make him happy.
L′égocentrisme permettant de la sorte à chaque humain de voir l′univers étagé au-dessous de lui qui est roi, M. Bloch se donnait le luxe d′en être un impitoyable quand le matin en prenant son chocolat, voyant la signature de Bergotte au bas d′un article dans le journal à peine entr′ouvert, il lui accordait dédaigneusement une audience écourtée, prononçait sa sentence, et s′octroyait le confortable plaisir de répéter entre chaque gorgée du breuvage bouillant: «Ce Bergotte est devenu illisible. Ce que cet animal-là peut être embêtant. C′est à se désabonner. Comme c′est emberlificoté, quelle tartine!» Et il reprenait une beurrée. Self-centredness thus enabling every human being to see the universe spread out in a descending scale beneath himself who is its lord, M. Bloch afforded himself the luxury of being pitiless when in the morning, as he drank his chocolate, seeing Bergotte′s signature at the foot of an article in the newspaper which he had scarcely opened, he disdainfully granted the writer an audience soon cut short, pronounced sentence upon him, and gave himself the comforting pleasure of repeating after every mouthful of the scalding brew: “That fellow Bergotte has become unreadable. My word, what a bore the creature can be. I really must stop my subscription. How involved it all is, bread and butter nonsense!” And he helped himself to another slice.
Cette importance illusoire de M. Bloch père était d′ailleurs étendue un peu au delà du cercle de sa propre perception. D′abord ses enfants le considéraient comme un homme supérieur. Les enfants ont toujours une tendance soit à déprécier, soit à exalter leurs parents, et pour un bon fils, son père est toujours le meilleur des pères, en dehors même de toutes raisons objectives de l′admirer. Or celles-ci ne manquaient pas absolument pour M. Bloch, lequel était instruit, fin, affectueux pour les siens. Dans la famille la plus proche, on se plaisait d′autant plus avec lui que si dans la «société», on juge les gens d′après un étalon, d′ailleurs absurde, et selon des règles fausses mais fixes, par comparaison avec la totalité des autres gens élégants, en revanche dans le morcellement de la vie bourgeoise, les dîners, les soirées de famille tournent autour de personnes qu′on déclare agréables, amusantes, et qui dans le monde ne tiendraient pas l′affiche deux soirs. Enfin, dans ce milieu où les grandeurs factices de l′aristocratie n′existent pas, on les remplace par des distinctions plus folles encore. C′est ainsi que pour sa famille et jusqu′à un degré de parenté fort éloigné, une prétendue ressemblance dans la façon de porter la moustache et dans le haut du nez faisait qu′on appelait M. Bloch un «faux duc d′Aumale». (Dans le monde des «chasseurs» de cercle, l′un porte sa casquette de travers et sa vareuse très serrée de manière à se donner l′air, croit-il, d′un officier étranger, n′est-il pas une manière de personnage pour ses camarades?) This illusory importance of M. Bloch senior did, moreover, extend some little way beyond the radius of his own perceptions. In the first place his children regarded him as a superior person. Children have always a tendency either to depreciate or to exalt their parents, and to a good son his father is always the best of fathers, quite apart from any objective reason there may be for admiring him. Now, such reasons were not altogether lacking in the case of M. Bloch, who was an educated man, shrewd, affectionate towards his family. In his most intimate circle they were all the more proud of him because, if, in ‘society,′ people are judged by a standard (which is incidentally absurd) and according to false but fixed rules, by comparison with the aggregate of all the other fashionable people, in the subdivisions of middle-class life, on the other hand, the dinners, the family parties all turn upon certain people who are pronounced good company, amusing, and who in ‘society′ would not survive a second evening. Moreover in such an environment where the artificial values of the aristocracy do not exist, their place is taken by distinctions even more stupid. Thus it was that in his family circle, and even among the remotest branches of the tree, an alleged similarity in his way of wearing his moustache and in the bridge of his nose led to M. Bloch′s being called “the Due d′Aumale′s double.” (In the world of club pages, the one who wears his cap on one side and his jacket tightly buttoned, so as to give himself the appearance, he imagines, of a foreign officer, is he not also a personage of a sort to his comrades?)
La ressemblance était des plus vagues, mais on eût dit que ce fût un titre. On répétait: «Bloch? lequel? le duc d′Aumale?» Comme on dit: «La princesse Murat? laquelle? la Reine (de Naples)?» Un certain nombre d′autres infimes indices achevaient de lui donner aux yeux du cousinage une prétendue distinction. N′allant pas jusqu′à avoir une voiture, M. Bloch louait à certains jours une victoria découverte à deux chevaux de la Compagnie et traversait le Bois de Boulogne, mollement étendu de travers, deux doigts sur la tempe, deux autres sous le menton et si les gens qui ne le connaissaient pas le trouvaient à cause de cela «faiseur d′embarras», on était persuadé dans la famille que pour le chic, l′oncle Salomon aurait pu en remontrer à Gramont-Caderousse. Il était de ces personnes qui quand elles meurent et à cause d′une table commune avec le rédacteur en chef de cette feuille, dans un restaurant des boulevards, sont qualifiés de physionomie bien connue des Parisiens, par la Chronique mondaine du Radical. M. Bloch nous dit à Saint-Loup et à moi que Bergotte savait si bien pourquoi lui M. Bloch ne le saluait pas que dès qu′il l′apercevait au théâtre ou au cercle, il fuyait son regard. Saint-Loup rougit, car il réfléchit que ce cercle ne pouvait pas être le Jockey dont son père avait été président. D′autre part ce devait être un cercle relativement fermé, car M. Bloch avait dit que Bergotte n′y serait plus reçu aujourd′hui. Aussi est-ce en tremblant de «sous-estimer l′adversaire» que Saint-Loup demanda si ce cercle était le cercle de la rue Royale, lequel était jugé «déclassant» par la famille de Saint-Loup et où il savait qu′étaient reçus certains israélites. «Non, répondit M. Bloch d′un air négligent, fier et honteux, c′est un petit cercle, mais beaucoup plus agréable, le cercle des ganaches. On y juge sévèrement la galerie.» «Est-ce que sir Rufus Israël n′en est pas président», demanda Bloch fils à son père, pour lui fournir l′occasion d′un mensonge honorable et sans se douter que ce financier n′avait pas le même prestige aux yeux de Saint-Loup qu′aux siens. En réalité, il y avait au Cercle des Ganaches non point sir Rufus Israël, mais un de ses employés. Mais comme il était fort bien avec son patron, il avait à sa disposition des cartes du grand financier, et en donnait une à M. Bloch, quand celui-ci partait en voyage sur une ligne dont sir Rufus était administrateur, ce qui faisait dire au père Bloch: «Je vais passer au cercle demander une recommandation de sir Rufus.» Et la carte lui permettait d′éblouir les chefs de train. Les demoiselles Bloch furent plus intéressées par Bergotte et revenant à lui au lieu de poursuivre sur les «Ganaches», la cadette demanda à son frère du ton le plus sérieux du monde car elle croyait qu′il n′existait pas au monde pour désigner les gens de talent d′autres expressions que celles qu′il employait: «Est-ce un coco vraiment étonnant, ce Bergotte. Est-il de la catégorie des grands bonshommes, des cocos comme Villiers ou Catulle.» «Je l′ai rencontré à plusieurs générales, dit M. Nissim Bernard. Il est gauche, c′est une espèce de Schlemihl.» Cette allusion au comte de Chamisso n′avait rien de bien grave, mais l′épithète de Schlemihl faisait partie de ce dialecte mi-allemand, mi-juif, dont l′emploi ravissait M. Bloch dans l′intimité, mais qu′il trouvait vulgaire et déplacé devant des étrangers. Aussi jeta-t-il un regard sévère sur son oncle. «Il a du talent, dit Bloch.» «Ah!» fit gravement sa sur comme pour dire que dans ces conditions j′étais excusable. «Tous les écrivains ont du talent», dit avec mépris M. Bloch père. «Il paraît même, dit son fils en levant sa fourchette et en plissant ses yeux d′un air diaboliquement ironique qu′il va se présenter à l′Académie.» «Allons donc il n′a pas un bagage suffisant, répondit M. Bloch le père qui ne semblait pas avoir pour l′Académie le mépris de son fils et de ses filles. Il n′a pas le calibre nécessaire.» «D′ailleurs l′Académie est un salon et Bergotte ne jouit d′aucune surface», déclara l′oncle à héritage de Mme Bloch, personnage inoffensif et doux dont le nom de Bernard eût peut-être à lui seul éveillé les dons de diagnostic de mon grand′père, mais eût paru insuffisamment en harmonie avec un visage qui semblait rapporté du palais de Darius et reconstitué par Mme Dieulafoy, si choisi par quelque amateur désireux de donner un couronnement oriental à cette figure de Suse, ce prénom de Nissim n′avait fait planer au-dessus d′elle les ailes de quelque taureau androcéphale de Khorsabad. Mais M. Bloch ne cessait d′insulter son oncle, soit qu′il fût excité par la bonhomie sans défense de son souffre-douleur soit que la villa étant payée par M. Nissim Bernard, le bénéficiaire voulût montrer qu′il gardait son indépendance et surtout qu′il ne cherchait pas par des cajoleries à s′assurer l′héritage à venir du richard. Celui-ci était surtout froissé qu′on le traitât si grossièrement devant le maître d′hôtel. Il murmura une phrase inintelligible où on distinguait seulement: «Quand les Meschorès sont là.» Meschorès désigne dans la Bible le serviteur de Dieu. Entre eux les Bloch s′en servaient pour désigner les domestiques et en étaient toujours égayés parce que leur certitude de n′être pas compris ni des chrétiens ni des domestiques eux-mêmes, exaltait chez M. Nissim Bernard et M. Bloch leur double particularisme de «maîtres» et de «juifs». Mais cette dernière cause de satisfaction en devenait une de mécontentement quand il y avait du monde. Alors M. Bloch entendant son oncle dire «Meschorès» trouvait qu′il laissait trop paraître son côté oriental, de même qu′une cocotte qui invite ses amies avec des gens comme il faut, est irritée si elles font allusion à leur métier de cocotte, ou emploient des mots malsonnants. Aussi, bien loin que la prière de son oncle produisît quelque effet sur M. Bloch, celui-ci, hors de lui, ne put plus se contenir. Il ne perdit plus une occasion d′invectiver le malheureux oncle. «Naturellement, quand il y a quelque bêtise prudhommesque à dire, on peut être sûr que vous ne la ratez pas. Vous seriez le premier à lui lécher les pieds s′il était là», cria M. Bloch tandis que M. Nissim Bernard attristé inclinait vers son assiette la barbe annelée du roi Sargon. Mon camarade depuis qu′il portait la sienne qu′il avait aussi crépue et bleutée ressemblait beaucoup à son grand-oncle. The resemblance was the faintest, but you would have said that it conferred a title. When he was mentioned, it would always be: “Bloch? Which one? The Due d′Aumale?” as people say “Princesse Murât? Which one? The Queen (of Naples)?” And there were certain other minute marks which combined to give him, in the eyes of the cousinhood, an acknowledged claim to distinction. Not going the length of having a carriage of his own, M. Bloch used on special occasions to hire an open victoria with a pair of horses from the Company, and would drive through the Bois de Boulogne, his body sprawling limply from side to side, two fingers pressed to his brow, other two supporting his chin, and if people who did not know him concluded that he was an ‘old nuisance,′ they were all convinced, in the family, that for smartness Uncle Solomon could have taught Gramont-Caderousse a thing or two. He was one of those people who when they die, because for years they have shared a table in a restaurant on the boulevard with its news-editor, are described as “well known Paris figures” in the social column of the Radical. M. Bloch told Saint-Loup and me that Bergotte knew so well why he, M. Bloch, always cut him that as soon as he caught sight of him, at the theatre or in the club, he avoided his eye. Saint-Loup blushed, for it had occurred to him that this club could not be the Jockey, of which his father had been chairman. On the other hand it must be a fairly exclusive club, for M. Bloch had said that Bergotte would never have got into it if he had come up now. So it was not without the fear that he might be ‘underrating his adversary′ that Saint-Loup asked whether the club in question were the Rue Royale, which was considered ‘lowering′ by his own family, and to which he knew that certain Israelites had been admitted. “No,” replied M. Bloch in a tone at once careless, proud and ashamed, “it is a small club, but far more pleasant than a big one, the Ganaches. We′re very strict there, don′t you know.” “Isn′t Sir Rufus Israels the chairman?” Bloch junior asked his father, so as to give him the opportunity for a glorious lie, never suspecting that the financier had not the same eminence in Saint-Loup′s eyes as in his. The fact of the matter was that the Ganaches club boasted not Sir Rufus Israels but one of his staff. But as this man was on the best of terms with his employer, he had at his disposal a stock of the financier′s cards, and would give one to M. Bloch whenever he wished to travel on a line of which Sir Rufus was a director, the result of which was that old Bloch would say: “I′m just going round to the Club to ask Sir Rufus for a line to the Company.” And the card enabled him to dazzle the guards on the trains. The Misses Bloch were more interested in Bergotte and, reverting to him rather than pursue the subject of the Ganaches, the youngest asked her brother, in the most serious tone imaginable, for she believed that there existed in the world, for the designation of men of talent, no other terms than those which he was in the habit of using: “Is he really an amazing good egg, this Bergotte? Is he in the category of the great lads, good eggs like Villiers and Catullus?” “I′ve met him several times at dress rehearsals,” said M. Nissim Bernard. “He is an uncouth creature, a sort of Schlemihl.” There was nothing very serious in this allusion to Chamisso′s story but the epithet ‘Schlemihl′ formed part of that dialect, half-German, half-Jewish, the use of which delighted M. Bloch in the family circle, but struck him as vulgar and out of place before strangers. And so he cast a reproving glance at his uncle. “He has talent,” said Bloch. “Ah!” His sister sighed gravely, as though to imply that in that case there was some excuse for me. “All writers have talent,” said M. Bloch scornfully. “In fact it appears,” went on his son, raising his fork, and screwing up his eyes with an air of impish irony, “that he is going to put up for the Academy.” “Go on. He hasn′t enough to shew them,” replied his father, who seemed not to have for the Academy the same contempt as his son and daughters. “He′s not big enough.” “Besides, the Academy is a salon, and Bergotte has no polish,” declared the uncle (whose heiress Mme. Bloch was), a mild and inoffensive person whose surname, Bernard, might perhaps by itself have quickened my grandfather′s powers of diagnosis, but would have appeared too little in harmony with a face which looked as if it had been brought back from Darius′s palace and restored by Mme. Dieulafoy, had not (chosen by some collector desirous of giving a crowning touch of orientalism to this figure from Susa) his first name, Nissim, stretched out above it the pinions of an androcephalous bull from Khorsabad. But M. Bloch never stopped insulting his uncle, whether it was that he was excited by the unresisting good-humour of his butt, or that the rent of the villa being paid by M. Nissim Bernard, the beneficiary wished to shew that he kept his independence, and, more important still, that he was not seeking by flattery to make sure of the rich inheritance to come. What most hurt the old man was being treated so rudely in front of the manservant. He murmured an unintelligible sentence of which all that could be made out was: “when the meschores are in the room.” ‘Meschores,′ in the Bible, means ‘the servant of God.′ In the family circle the Blochs used the word when they referred to their own servants, and were always exhilarated by it, because their certainty of not being understood either by Christians or by the servants themselves enhanced in M. Nissim Bernard and M. Bloch their twofold distinction of being ‘masters′ and at the same time ‘Jews.′ But this latter source of satisfaction became a source of displeasure when there was ‘company.′ At such times M. Bloch, hearing his uncle say ‘meschores,′ felt that he was making his oriental side too prominent, just as a light-of-love who has invited some of her sisters to meet her respectable friends is annoyed if they allude to their profession or use words that do not sound quite nice. Therefore, so far from his uncle′s request′s producing any effect on M. Bloch, he, beside himself with rage, could contain himself no longer. He let no opportunity pass of scarifying his wretched uncle. “Of course, when there is a chance of saying anything stupid, one can be quite certain that you won′t miss it. You would be the first to lick his boots if he were in the room!” shouted M. Bloch, while M. Nissim Bernard in sorrow lowered over his plate the ringleted beard of King Sargon. My friend, when he began to grow his beard, which also was blue-black and crimped, became very like his great-uncle.
— «Comment, vous êtes le fils du marquis de Marsantes, mais je l′ai très bien connu», dit à Saint-Loup M. Nissim Bernard. Je crus qu′il voulait dire «connu» au sens où le père de Bloch disait qu′il connaissait Bergotte, c′est-à-dire de vue. Mais il ajouta: «Votre père était un de mes bons amis.» Cependant Bloch était devenu excessivement rouge, son père avait l′air profondément contrarié, les demoiselles Bloch riaient en s′étouffant. C′est que chez M. Nissim Bernard le goût de l′ostentation, contenu chez M. Bloch le père et chez ses enfants, avait engendré l′habitude du mensonge perpétuel. Par exemple, en voyage à l′hôtel, M. Nissim Bernard comme aurait pu faire M. Bloch le père, se faisait apporter tous ses journaux par son valet de chambre dans la salle à manger, au milieu du déjeuner, quand tout le monde était réuni pour qu′on vît bien qu′il voyageait avec un valet de chambre. Mais aux gens avec qui il se liait dans l′hôtel, l′oncle disait ce que le neveu n′eût jamais fait, qu′il était sénateur. Il avait beau être certain qu′on apprendrait un jour que le titre était usurpé, il ne pouvait au moment même résister au besoin de se le donner. M. Bloch souffrait beaucoup des mensonges de son oncle et de tous les ennuis qu′ils lui causaient. «Ne faites pas attention, il est extrêmement blagueur», dit-il à mi-voix à Saint-Loup qui n′en fut que plus intéressé, étant très curieux de la psychologie des menteurs. «Plus menteur encore que l′Ithaquesien Odysseus qu′Athènes appelait pourtant le plus menteur des hommes, compléta notre camarade Bloch.» «Ah! par exemple! s′écria M. Nissim Bernard, si je m′attendais à dîner avec le fils de mon ami! Mais j′ai à Paris chez moi, une photographie de votre père et combien de lettres de lui. Il m′appelait toujours mon oncle, on n′a jamais su pourquoi. C′était un homme charmant, étincelant. Je me rappelle un dîner chez moi, à Nice où il y avait Sardou, Labiche, Augier», «Molière, Racine, Corneille», continua ironiquement M. Bloch le père, dont le fils acheva l′énumération en ajoutant: «Plaute, Ménandre, Kalidasa.» M. Nissim Bernard blessé arrêta brusquement son récit et, se privant ascétiquement d′un grand plaisir, resta muet jusqu′à la fin du dîner. “What! Are you the son of the Marquis de Marsantes? Why, I knew him very well,” said M. Nissim Bernard to Saint-Loup. I supposed that he meant the word ‘knew′ in the sense in which Bloch′s father had said that he knew Bergotte, namely by sight. But he went on: “Your father was one of my best friends.” Meanwhile Bloch had turned very red, his father was looking intensely cross, the Misses Bloch were choking with suppressed laughter. The fact was that in M. Nissim Bernard the love of ostentation which in M. Bloch and his children was held in cheek, had engendered the habit of perpetual lying. For instance, if he was staying in an hotel, M. Nissim Bernard, as M. Bloch equally might have done, would have his newspapers brought to him always by his valet in the dining-room, in the middle of luncheon, when everybody was there, so that they should see that he travelled with a valet. But to the people with whom he made friends in the hotel the uncle used to say what the nephew would never have said, that he was a Senator. He might know quite well that they would sooner or later discover that the title was usurped; he could not, at the critical moment, resist the temptation to assume it. M. Bloch suffered acutely from his uncle′s lies and from all the embarrassments that they led to. “Don′t pay any attention to him, he talks a great deal of nonsense,” he whispered to Saint-Loup, whose interest was all the more whetted, for he was curious to explore the psychology of liars. “A greater liar even than the Ithacan Odysseus, albeit Athene called him the greatest liar among mortals,” his son completed the indictment. “Well, upon my word!” cried M. Nissim Bernard, “If I′d only known that I was going to sit down to dinner with my old friend′s son! Why, I have a photograph still of your father at home, in Paris, and any number of letters from him. He used always to call me ‘uncle,′ nobody ever knew why. He was a charming man, sparkling. I remember so well a dinner I gave at Nice; there were Sardou, Labiche, Augier,” “Molière, Racine, Corneille,” M. Bloch added with sarcasm, while his son completed the tale of guests with “Plautus, Menander, Kalidasa.” M. Nissim Bernard, cut to the quick, stopped short in his reminiscence, and, ascetically depriving himself of a great pleasure, remained silent until the end of dinner.
«Saint-Loup au casque d′airain, dit Bloch, reprenez un peu de ce canard aux cuisses lourdes de graisse sur lesquelles l′illustre sacrificateur des volailles a répandu de nombreuses libations de vin rouge.» “Saint-Loup with helm of bronze,” said Bloch, “have a piece more of this duck with thighs heavy with fat, over which the illustrious sacrificer of birds has spilled numerous libations of red wine.”
D′habitude après avoir sorti de derrière les fagots pour un camarade de marque les histoires sur sir Rufus Israel et autres, M. Bloch sentant qu′il avait touché son fils jusqu′à l′attendrissement, se retirait pour ne pas se «galvauder» aux yeux du «potache». Cependant s′il y avait une raison tout à fait capitale, comme quand son fils par exemple fut reçu à l′agrégation, M. Bloch ajouta à la série habituelle des anecdotes cette réflexion ironique qu′il réservait plutôt pour ses amis personnels et que Bloch jeune fut extrêmement fier de voir débiter pour ses amis à lui: «Le gouvernement a été impardonnable. Il n′a pas consulté M. Coquelin! M. Coquelin a fait savoir qu′il était mécontent» (M. Bloch se piquait d′être réactionnaire et méprisant pour les gens de théâtre). As a rule, after bringing out from his store for the entertainment of a distinguished guest his anecdotes of Sir Rufus Israels and others, M. Bloch, feeling that he had succeeded in touching and melting his son′s heart, would withdraw, so as not to spoil his effect in the eyes of the ‘big pot.′ If, however, there was an absolutely compelling reason, as for instance on the night when his son won his fellowship, M. Bloch would add to the usual string of anecdotes the following ironical reflexion which he ordinarily reserved for his own personal friends, so that young Bloch was extremely proud to see it produced for his: “The Government have acted unpardonably. They have forgotten to consult M. Coquelin! M. Coquelin has let it be known that he is displeased.” (M. Bloch prided himself on being a reactionary, with a contempt for theatrical people.)
Mais les demoiselles Bloch et leur frère rougirent jusqu′aux oreilles tant ils furent impressionnés quand Bloch père pour se montrer royal jusqu′au bout envers les deux «labadens» de son fils, donna l′ordre d′apporter du champagne et annonça négligemment que pour nous «régaler», il avait fait prendre trois fauteuils pour la représentation qu′une troupe d′Opéra-Comique donnait le soir même au Casino. Il regrettait de n′avoir pu avoir de loge. Elles étaient toutes prises. D′ailleurs il les avait souvent expérimentées, on était mieux à l′orchestre. Seulement, si le défaut de son fils, c′est-à-dire ce que son fils croyait invisible aux autres, était la grossièreté, celui du père était l′avarice. Aussi, c′est dans une carafe qu′il fit servir sous le nom de champagne un petit vin mousseux et sous celui de fauteuils d′orchestre il avait fait prendre des parterres qui coûtaient moitié moins, miraculeusement persuadé par l′intervention divine de son défaut que ni à table, ni au théâtre (où toutes les loges étaient vides) on ne s′apercevrait de la différence. Quand M. Bloch nous eut laissé tremper nos lèvres dans les coupes plates que son fils décorait du nom de «cratères aux flancs profondément creusés», il nous fit admirer un tableau qu′il aimait tant qu′il l′apportait avec lui à Balbec. Il nous dit que c′était un Rubens. Saint-Loup lui demanda naîµ¥ment s′il était signé. M. Bloch répondit en rougissant qu′il avait fait couper la signature à cause du cadre, ce qui n′avait pas d′importance, puisqu′il ne voulait pas le vendre. Puis il nous congédia rapidement pour se plonger dans le Journal Officiel dont les numéros encombraient la maison et dont la lecture lui était rendue nécessaire, nous dit-il, «par sa situation parlementaire» sur la nature exacte de laquelle il ne nous fournit pas de lumières. «Je prends un foulard, nous dit Bloch, car Zephyros et Boréas se disputent à qui mieux mieux la mer poissonneuse, et pour peu que nous nous attardions après le spectacle, nous ne rentrerons qu′aux premières lueurs d′Eôs aux doigts de pourpre. A propos, demanda-t-il à Saint-Loup quand nous fûmes dehors et je tremblai car je compris bien vite que c′était de M. de Charlus que Bloch parlait sur ce ton ironique: «quel était cet excellent fantoche en costume sombre que je vous ai vu promener avant-hier matin sur la plage? » «C′est mon oncle», répondit Saint-Loup piqué. Malheureusement, une «gaffe» était bien loin de paraître à Bloch chose à éviter. Il se tordit de rire: «Tous mes compliments, j′aurais dû le deviner, il a un excellent chic, et une impayable bobine de gaga de la plus haute lignée». «Vous vous trompez du tout au tout, il est très intelligent», riposta Saint-Loup furieux. «Je le regrette car alors il est moins complet. J′aimerais du reste beaucoup le connaître car je suis sûr que j′écrirais des machines adéquates sur des bonshommes comme ça. Celui-là, à voir passer, est crevant. Mais je négligerais le côté caricatural, au fond assez méprisable pour un artiste épris de la beauté plastique des phrases, de la binette qui, excusez-moi, m′a fait gondoler un bon moment, et je mettrais en relief le côté aristocratique de votre oncle, qui en somme fait un effet buf, et la première rigolade passée, frappe par un très grand style. Mais, dit-il, en s′adressant cette fois à moi, il y a une chose dans un tout autre ordre d′idées, sur laquelle je veux t′interroger et chaque fois que nous sommes ensemble, quelque dieu, bienheureux habitant de l′Olympe, me fait oublier totalement de te demander ce renseignement qui eût pu m′être déjà et me sera sûrement fort utile. Quelle est donc cette belle personne avec laquelle je t′ai rencontré au Jardin d′Acclimatation et qui était accompagnée d′un monsieur que je crois connaître de vue et d′une jeune fille à la longue chevelure?» J′avais bien vu que Mme Swann ne se rappelait pas le nom de Bloch, puisqu′elle m′en avait dit un autre et avait qualifié mon camarade d′attaché à un ministère où je n′avais jamais pensé depuis à m′informer s′il était entré. Mais comment Bloch qui, à ce qu′elle m′avait dit alors, s′était fait présenter à elle pouvait-il ignorer son nom. J′étais si étonné que je restai un moment sans répondre. «En tous cas, tous mes compliments, me dit-il, tu n′as pas dû t′embêter avec elle. Je l′avais rencontrée quelques jours auparavant dans le train de Ceinture. Elle voulut bien dénouer la sienne en faveur de ton serviteur, je n′ai jamais passé de si bons moments et nous allions prendre toutes dispositions pour nous revoir quand une personne qu′elle connaissait eut le mauvais goût de monter à l′avant-dernière station.» Le silence que je gardais ne parut pas plaire à Bloch. «J′espérais, me dit-il, connaître grâce à toi son adresse et aller goûter chez elle plusieurs fois par semaine, les plaisirs d′Eros, chers aux Dieux, mais je n′insiste pas puisque tu poses pour la discrétion à l′égard d′une professionnelle qui s′est donnée à moi trois fois de suite et de la manière la plus raffinée entre Paris et le Point-du-Jour. Je la retrouverai bien un soir ou l′autre.» But the Misses Bloch and their brother reddened to the tips of their ears, so much impressed were they when Bloch senior, to shew that he could be regal to the last in his entertainment of his son′s two ‘chums,′ gave the order for champagne to be served, and announced casually that, as a treat for us, he had taken three stalls for the performance which a company from the Opéra-Comique was giving that evening at the Casino. He was sorry that he had not been able to get a box. They had all been taken. However, he had often been in the boxes, and really one saw and heard better down by the orchestra. All very well, only, if the defect of his son, that is to say the defect which his son believed to be invisible to other people, was coarseness, the father′s was avarice. And so it was in a decanter that we were served with, under the name of champagne, a light sparkling wine, while under that of orchestra stalls he had taken three in the pit, which cost half as much, miraculously persuaded by the divine intervention of his defect that neither at table nor in the theatre (where the boxes were all empty) would the defect be noticed. When M. Bloch had let us moisten our lips in the flat glasses which his son dignified with the style and title of ‘craters with deeply hollowed flanks,′ he made us admire a picture to which he was so much attached that he had brought it with him to Balbec. He told us that it was a Rubens. Saint-Loup asked innocently if it was signed. M. Bloch replied, blushing, that he had had the signature cut off to make it fit the frame, but that it made no difference, as he had no intention of selling the picture. Then he hurriedly bade us good-night, in order to bury himself in the Journal Officiel, back numbers of which littered the house, and which, he informed us, he was obliged to read carefully on account of his ‘parliamentary position′ as to the precise nature of which, however, he gave us no enlightenment. “I shall take a muffler,” said Bloch, “for Zephyrus and Boreas are disputing to which of them shall belong the fish-teeming sea, and should we but tarry a little after the show is over, we shall not be home before the first flush of Eos, the rosy-fingered. By the way,” he asked Saint-Loup when we were outside, and I trembled, for I realised at once that it was of M. de Charlus that Bloch was speaking in that tone of irony, “who was that excellent old card dressed in black that I saw you walking with, the day before yesterday, on the beach?” “That was my uncle.” Saint-Loup was ruffled. Unfortunately, a ‘floater′ was far from seeming to Bloch a thing to be avoided. He shook with laughter. “Heartiest congratulations; I ought to have guessed; he has an excellent style, the most priceless dial of an old ‘gaga′ of the highest lineage.” “You are absolutely mistaken; he is an extremely clever man,” retorted Saint-Loup, now furious. “I am sorry about that; it makes him less complete. All the same, I should like very much to know him, for I flatter myself I could write some highly adequate pieces about old buffers like that. Just to see him go by, he′s killing. But I should leave out of account the caricaturable side, which really is hardly worthy of an artist enamoured of the plastic beauty of phrases, of his mug, which (you′ll forgive me) doubled me up for a moment with joyous laughter, and I should bring into prominence the aristocratic side of your uncle, who after all has a distinct bovine effect, and when one has finished laughing does impress one by his great air of style. But,” he went on, addressing myself this time, “there is also a matter of a very different order about which I have been meaning to question you, and every time we are together, some god, blessed denizen of Olympus, makes me completely forget to ask for a piece of information which might before now have been and is sure some day to be of the greatest use to me. Tell me, who was the lovely lady I saw you with in the Jardin d′Acclimatation accompanied by a gentleman whom I seem to know by sight and a little girl with long hair?” It had been quite plain to me at the time that Mme. Swann did not remember Bloch′s name, since she had spoken of him by another, and had described my friend as being on the staff of some Ministry, as to which I had never since then thought of finding out whether he had joined it. But how came it that Bloch, who, according to what she then told me, had got himself introduced to her, was ignorant of her name? I was so much surprised that I stopped for a moment before answering. “Whoever she is,” he went on, “hearty congratulations; you can′t have been bored with her. I picked her up a few days before that on the Zone railway, where, speaking of zones, she was so kind as to undo hers for the benefit of your humble servant; I have never had such a time in my life, and we were just going to make arrangements to meet again when somebody she knew had the bad taste to get in at the last station but one.” My continued silence did not appear to please Bloch. “I was hoping,” he said, “thanks to you, to learn her address, so as to go there several times a week to taste in her arms the delights of Eros, dear to the gods; but I do not insist since you seem pledged to discretion with respect to a professional who gave herself to me three times running, and in the most refined manner, between Paris and the Point-du-Jour. I am bound to see her again, some night.”
J′allai voir Bloch à la suite de ce dîner, il me rendit ma visite, mais j′étais sorti et il fut aperçu, me demandant, par Françoise, laquelle par hasard bien qu′il fût venu à Combray ne l′avait jamais vu jusque-là. De sorte qu′elle savait seulement qu′un «des Monsieurs» que je connaissais était passé pour me voir, elle ignorait «à quel effet», vêtu d′une manière quelconque et qui ne lui avait pas fait grande impression. Or j′avais beau savoir que certaines idées sociales de Françoise me resteraient toujours impénétrables, qui reposaient peut-être en partie sur des confusions entre des mots, des noms qu′elle avait pris une fois, et à jamais, les uns pour les autres, je ne pus m′empêcher, moi qui avais depuis longtemps renoncé à me poser des questions dans ces cas-là, de chercher vainement, d′ailleurs, ce que le nom de Bloch pouvait représenter d′immense pour Françoise. Car à peine lui eus-je dit que ce jeune homme qu′elle avait aperçu était M. Bloch, elle recula de quelques pas tant furent grandes sa stupeur et sa déception. «Comment, c′est cela, M. Bloch!» s′écria-t-elle d′un air atterré comme si un personnage aussi prestigieux eût dû posséder une apparence qui «fît connaître» immédiatement qu′on se trouvait en présence d′un grand de la terre, et à la façon de quelqu′un qui trouve qu′un personnage historique n′est pas à la hauteur de sa réputation, elle répétait d′un ton impressionné, et où on sentait pour l′avenir les germes d′un scepticisme universel: «Comment c′est ça M. Bloch! Ah! vraiment on ne dirait pas à le voir.» Elle avait l′air de m′en garder rancune comme si je lui eusse jamais «surfait» Bloch. Et pourtant elle eut la bonté d′ajouter: «Hé bien, tout M. Bloch qu′il est, Monsieur peut dire qu′il est aussi bien que lui.» I called upon Bloch after this dinner; he returned my call, but I was out and he was seen asking for me by Françoise, who, as it happened, albeit he had visited us at Combray, had never set eyes on him until then. So that she knew only that one of ‘the gentlemen′ who were friends of mine had looked in to see me, she did not know ‘with what object,′ dressed in a nondescript way, which had not made any particular impression upon her. Now though I knew quite well that certain of Françoise′s social ideas must for ever remain impenetrable by me, ideas based, perhaps, partly upon confusions between words, between names which she had once and for all time mistaken for one another, I could not restrain myself, who had long since abandoned the quest for enlightenment in such cases, from seeking — and seeking, moreover, in vain — to discover what could be the immense significance that the name of Bloch had for Françoise. For no sooner had I mentioned to her that the young man whom she had seen was M. Bloch than she recoiled several paces, so great were her stupor and disappointment. “What! Is that M. Bloch?” she cried, thunderstruck, as if so portentous a personage ought to have been endowed with an appearance which ‘made you know′ as soon as you saw him that you were in the presence of one of the great ones of the earth; and, like some one who has discovered that an historical character is not ‘up to′ the level of his reputation, she repeated in an impressed tone, in which I could detect latent, for future growth, the seeds of a universal scepticism: “What! Is that M. Bloch? Well, really, you would never think it, to look at him.” She seemed also to bear me a grudge, as if I had always ‘overdone′ the praise of Bloch to her. At the same time she was kind enough to add: “Well, he may be M. Bloch, and all that. I′m sure Master can say he′s every bit as good.”
Elle eut bientôt à l′égard de Saint-Loup qu′elle adorait une désillusion d′un autre genre, et d′une moindre dureté: elle apprit qu′il était républicain. Or bien qu′en parlant par exemple de la Reine de Portugal, elle dît avec cet irrespect qui dans le peuple est le respect suprême «Amélie, la sur à Philippe», Françoise était royaliste. Mais surtout un marquis, un marquis qui l′avait éblouie, et qui était pour la République, ne lui paraissait plus vrai. Elle en marquait la même mauvaise humeur que si je lui eusse donné une boîte qu′elle eût cru d′or, de laquelle elle m′eût remercié avec effusion et qu′ensuite un bijoutier lui eût révélé être en plaqué. Elle retira aussitôt son estime à Saint-Loup, mais bientôt après la lui rendit, ayant réfléchi qu′il ne pouvait pas, étant le marquis de Saint-Loup être républicain, qu′il faisait seulement semblant, par intérêt, car avec le gouvernement qu′on avait, cela pouvait lui rapporter gros. De ce jour sa froideur envers lui, son dépit contre moi cessèrent. Et quand elle parlait de Saint-Loup, elle disait: «C′est un hypocrite», avec un large et bon sourire qui faisait bien comprendre qu′elle le «considérait» de nouveau autant qu′au premier jour et qu′elle lui avait pardonné. She had presently, with respect to Saint-Loup, whom she worshipped, a disillusionment of a different kind and of less severity: she discovered that he was a Republican. Now for all that, when speaking, for instance, of the Queen of Portugal, she would say with that disrespect which is, among the people, the supreme form of respect: “Amélie, Philippe′s sister,” Françoise was a Royalist. But when it came to a Marquis; a Marquis who had dazzled her at first sight, and who was for the Republic, seemed no longer real. And she shewed the same ill-humour as if I had given her a box which she had believed to be made of gold, and had thanked me for it effusively, and then a jeweller had revealed to her that it was only plated. She at once withdrew her esteem from Saint-Loup, but soon afterwards restored it to him, having reflected that he could not, being the Marquis de Saint-Loup, be a Republican, that he was just pretending, in his own interest, for with such a Government as we had it might be a great advantage to him. From that moment her coldness towards him, her resentment towards myself ceased. And when she spoke of Saint-Loup she said: “He is a hypocrite,” with a broad and friendly smile which made it clear that she ‘considered′ him again just as much as when she first knew him, and that she had forgiven him.
Or la sincérité et le désintéressement de Saint-Loup étaient au contraire absolus et c′était cette grande pureté morale qui, ne pouvant se satisfaire entièrement dans un sentiment égoî²´e comme l′amour, ne rencontrant pas d′autre part en lui l′impossibilité qui existait par exemple en moi de trouver sa nourriture spirituelle autre part qu′en soi-même, le rendait vraiment capable, autant que moi incapable, d′amitié. As a matter of fact, Saint-Loup was absolutely sincere and disinterested, and it was this intense moral purity which, not being able to find entire satisfaction in a selfish sentiment such as love, nor on the other hand meeting in him the impossibility (which existed in me, for instance) of finding its spiritual nourishment elsewhere than in himself, rendered him truly capable (just as I was incapable) of friendship.
Françoise ne se trompait pas moins sur Saint-Loup quand elle disait qu′il avait l′air comme ça de ne pas dédaigner le peuple, mais que ce n′est pas vrai et qu′il n′y avait qu′à le voir quand il était en colère après son cocher. Il était arrivé en effet quelquefois à Robert de le gronder avec une certaine rudesse, qui prouvait chez lui moins le sentiment de la différence que de l′égalité entre les classes. «Mais, me dit-il en réponse aux reproches que je lui faisais d′avoir traité un peu durement ce cocher, pourquoi affecterais-je de lui parler poliment? N′est-il pas mon égal? N′est-il pas aussi près de moi que mes oncles ou mes cousins? Vous avez l′air de trouver que je devrais le traiter avec égards, comme un inférieur! Vous parlez comme un aristocrate», ajouta-t-il avec dédain. Françoise was no less mistaken about Saint-Loup when she complained that he had that sort of air, as if he did not look down upon the people, but that it was all just a pretence, and you had only to see him when he was in a temper with his groom. It had indeed sometimes happened that Robert would scold his groom with a certain amount of brutality, which proved that he had the sense not so much of the difference as of the equality between classes and masses. “But,” he said in answer to my rebuke of his having treated the man rather harshly, “why should I go out of my way to speak politely to him? Isn′t he my equal? Isn′t he just as near to me as any of my uncles and cousins? You seem to think that I ought to treat him with respect, as an inferior. You talk like an aristocrat!” he added scornfully.
En effet, s′il y avait une classe contre laquelle il eût de la prévention et de la partialité, c′était l′aristocratie, et jusqu′à croire aussi difficilement à la supériorité d′un homme du monde, qu′il croyait facilement à celle d′un homme du peuple. Comme je lui parlais de la princesse de Luxembourg que j′avais rencontrée avec sa tante: And indeed if there was a class to which he shewed himself prejudiced and hostile, it was the aristocracy, so much so that he found it as hard to believe in the superior qualities of a man in society as he found it easy to believe in those of a man of the people. When I mentioned the Princesse de Luxembourg, whom I had met with his aunt:
— Une carpe, me dit-il, comme toutes ses pareilles. C′est d′ailleurs un peu ma cousine. “An old trout,” was his comment. “Like all that lot. She′s a sort of cousin of mine, by the way.”
Ayant un préjugé contre les gens qui le fréquentaient, il allait rarement dans le monde et l′attitude méprisante ou hostile qu′il y prenait, augmentait encore chez tous ses proches parents le chagrin de sa liaison avec une femme «de théâtre», liaison qu′ils accusaient de lui être fatale et notamment d′avoir développé chez lui cet esprit de dénigrement, ce mauvais esprit, de l′avoir «dévoyé», en attendant qu′il se «déclassât» complètement. Aussi bien des hommes légers du faubourg Saint-Germain étaient-ils sans pitié quand ils parlaient de la maîtresse de Robert. «Les grues font leur métier, disait-on, elles valent autant que d′autres; mais celle-là, non! Nous ne lui pardonnerons pas! Elle a fait trop de mal à quelqu′un que nous aimons.» Certes, il n′était pas le premier qui eût un fil à la patte. Mais les autres s′amusaient en hommes du monde, continuaient à penser en hommes du monde sur la politique, sur tout. Lui, sa famille le trouvait «aigri». Elle ne se rendait pas compte que pour bien des jeunes gens du monde, lesquels sans cela resteraient incultes d′esprit, rudes dans leurs amitiés, sans douceur et sans goût, — c′est bien souvent leur maîtresse qui est leur vrai maître et les liaisons de ce genre la seule école morale où ils soient initiés à une culture supérieure, où ils apprennent le prix des connaissances désintéressées. Même dans le bas-peuple (qui au point de vue de la grossièreté ressemble si souvent au grand monde), la femme, plus sensible, plus fine, plus oisive, a la curiosité de certaines délicatesses, respecte certaines beautés de sentiment et d′art que, ne les comprît-elle pas, elle place pourtant au-dessus de ce qui semblait le plus désirable à l′homme, l′argent, la situation. Or, qu′il s′agisse de la maîtresse d′un jeune clubman comme Saint-Loup ou d′un jeune ouvrier (les électriciens par exemple comptent aujourd′hui dans les rangs de la Chevalerie véritable), son amant a pour elle trop d′admiration et de respect pour ne pas les étendre à ce qu′elle-même respecte et admire; et pour lui l′échelle des valeurs s′en trouve renversée. A cause de son sexe même elle est faible, elle a des troubles nerveux, inexplicables, qui chez un homme, et même chez une autre femme, chez une femme dont il est neveu ou cousin auraient fait sourire ce jeune homme robuste. Mais il ne peut voir souffrir celle qu′il aime. Le jeune noble qui comme Saint-Loup a une maîtresse, prend l′habitude quand il va dîner avec elle au cabaret d′avoir dans sa poche le valérianate dont elle peut avoir besoin, d′enjoindre au garçon, avec force et sans ironie, de faire attention à fermer les portes sans bruit, à ne pas mettre de mousse humide sur la table, afin d′éviter à son amie ces malaises que pour sa part il n′a jamais ressentis, qui composent pour lui un monde occulte à la réalité duquel elle lui a appris à croire, malaises qu′il plaint maintenant sans avoir besoin pour cela de les connaître, qu′il plaindra même quand ce sera d′autres qu′elle qui les ressentiront. La maîtresse de Saint-Loup — comme les premiers moines du moyen âge, à la chrétienté — lui avait enseigné la pitié envers les animaux car elle en avait la passion, ne se déplaçant jamais sans son chien, ses serins, ses perroquets; Saint-Loup veillait sur eux avec des soins maternels et traitait de brutes les gens qui ne sont pas bons avec les bêtes. D′autre part, une actrice, ou soi-disant telle, comme celle qui vivait avec lui — qu′elle fût intelligente ou non, ce que j′ignorais — en lui faisant trouver ennuyeuse la société des femmes du monde et considérer comme une corvée l′obligation d′aller dans une soirée, l′avait préservé du snobisme et guéri de la frivolité. Si grâce à elle les relations mondaines tenaient moins de place dans la vie de son jeune amant, en revanche tandis que s′il avait été un simple homme de salon, la vanité ou l′intérêt auraient dirigé ses amitiés comme la rudesse les aurait empreintes, sa maîtresse lui avait appris à y mettre de la noblesse et du raffinement. Avec son instinct de femme et appréciant plus chez les hommes certaines qualités de sensibilité que son amant eût peut-être sans elle méconnues ou plaisantées, elle avait toujours vite fait de distinguer entre les autres celui des amis de Saint-Loup qui avait pour lui une affection vraie, et de le préférer. Elle savait le forcer à éprouver pour celui-là de la reconnaissance, à la lui témoigner, à remarquer les choses qui lui faisaient plaisir, celles qui lui faisaient de la peine. Et bientôt Saint-Loup, sans plus avoir besoin qu′elle l′avertît, commença à se soucier de tout cela et à Balbec où elle n′était pas, pour moi qu′elle n′avait jamais vu et dont il ne lui avait même peut-être pas encore parlé dans ses lettres, de lui-même il fermait la fenêtre d′une voiture où j′étais, emportait les fleurs qui me faisaient mal, et quand il eut à dire au revoir à la fois à plusieurs personnes, à son départ s′arrangea à les quitter un peu plus tôt afin de rester seul et en dernier avec moi, de mettre cette différence entre elles et moi, de me traiter autrement que les autres. Sa maîtresse avait ouvert son esprit à l′invisible, elle avait mis du sérieux dans sa vie, des délicatesses dans son cur, mais tout cela échappait à la famille en larmes qui répétait: «Cette gueuse le tuera, et en attendant elle le déshonore.» Il est vrai qu′il avait fini de tirer d′elle tout le bien qu′elle pouvait lui faire; et maintenant elle était cause seulement qu′il souffrait sans cesse, car elle l′avait pris en horreur et le torturait. Elle avait commencé un beau jour à le trouver bête et ridicule parce que les amis qu′elle avait parmi les jeunes auteurs et acteurs, lui avaient assuré qu′il l′était, et elle répétait à son tour ce qu′ils avaient dit avec cette passion, cette absence de réserves qu′on montre chaque fois qu′on reçoit du dehors et qu′on adopte des opinions ou des usages qu′on ignorait entièrement. Elle professait volontiers, comme ces comédiens, qu′entre elle et Saint-Loup le fossé était infranchissable, parce qu′ils étaient d′une autre race, qu′elle était une intellectuelle et que lui, quoi qu′il prétendît, était, de naissance, un ennemi de l′intelligence. Cette vue lui semblait profonde et elle en cherchait la vérification dans les paroles les plus insignifiantes, les moindres gestes de son amant. Mais quand les mêmes amis l′eurent en outre convaincue qu′elle détruisait dans une compagnie aussi peu faite pour elle les grandes espérances qu′elle avait, disaient-ils, données, que son amant finirait par déteindre sur elle, qu′à vivre avec lui, elle gâchait son avenir d′artiste, à son mépris pour Saint-Loup s′ajouta la même haine que s′il s′était obstiné à vouloir lui inoculer une maladie mortelle. Elle le voyait le moins possible tout en reculant encore le moment dd′une rupture définitive, laquelle me paraissait à moi bien peu vraisemblable. Saint-Loup faisait pour elle de tels sacrifices que, à moins qu′elle fût ravissante (mais il n′avait jamais voulu me montrer sa photographie, me disant: «D′abord ce n′est pas une beauté et puis elle vient mal en photographie, ce sont des instantanés que j′ai faits moi-même avec mon Kodak et ils vous donneraient une fausse idée d′elle»), il semblait difficile qu′elle trouvât un second homme qui en consentît de semblables. Je ne songeais pas qu′une certaine toquade de se faire un nom, même quand on n′a pas de talent, que l′estime, rien que l′estime privée, de personnes qui vous imposent, peuvent (ce n′était peut-être du reste pas le cas pour la maîtresse de Saint-Loup) être même pour une petite cocotte des motifs plus déterminants que le plaisir de gagner de l′argent. Saint-Loup qui sans bien comprendre ce qui se passait dans la pensée de sa maîtresse, ne la croyait pas complètement sincère ni dans les reproches injustes ni dans les promesses d′amour éternel, avait pourtant à certains moments le sentiment qu′elle romprait quand elle le pourrait, et à cause de cela, mû sans doute par l′instinct de conservation de son amour, plus clairvoyant peut-être que Saint-Loup n′était lui-même, usant d′ailleurs d′une habileté pratique qui se conciliait chez lui avec les plus grands et les plus aveugles élans du cur, il s′était refusé à lui constituer un capital, avait emprunté un argent énorme pour qu′elle ne manquât de rien, mais ne le lui remettait qu′au jour le jour. Et sans doute, au cas où elle eût vraiment songé à le quitter, attendait-elle froidement d′avoir «fait sa pelotte», ce qui avec les sommes données par Saint-Loup demanderait sans doute un temps fort court, mais tout de même concédé en supplément pour prolonger le bonheur de mon nouvel ami — ou son malheur. Having a strong prejudice against the people who frequented it, he went rarely into ‘Society,′ and the contemptuous or hostile attitude which he adopted towards it served to increase, among all his near relatives, the painful impression made by his intimacy with a woman on the stage, a connexion which, they declared, would be his ruin, blaming it specially for having bred in him that spirit of denigration, that bad spirit, and for having led him astray, after which it was only a matter of time before he would have dropped out altogether. And so, many easy-going men of the Faubourg Saint-Germain were without compunction when they spoke of Robert′s mistress. “Those girls do their job,” they would say, “they are as good as anybody else. But that one; no, thank youl We cannot forgive her. She has done too much harm to a fellow we were fond of.” Of course, he was not the first to be caught in that snare. But the others amused themselves like men of the world, continued to think like men of the world about politics, about everything. As for him, his family found him ‘soured.′ They did not bear in mind that, for many young men of fashion who would otherwise remain uncultivated mentally, rough in their friendships, without gentleness or taste — it is very often their mistress who is their real master, and connexions of this sort the only school of morals in which they are initiated into a superior culture, and learn the value of disinterested relations. Even among the lower orders (who, when it comes to coarseness, so often remind us of the world of fashion) the woman, more sensitive, finer, more leisured, is driven by curiosity to adopt certain refinements, respects certain beauties of sentiment and of art which, though she may fail to understand them, she nevertheless places above what has seemed most desirable to the man, above money or position. Now whether the mistress be a young blood′s (such as Saint-Loup) or a young workman′s (electricians, for instance, must now be included in our truest order of Chivalry) her lover has too much admiration and respect for her not to extend them also to what she herself respects and admires; and for him the scale of values is thereby reversed. Her sex alone makes her weak; she suffers from nervous troubles, inexplicable things which in a man, or even in another woman — a woman whose nephew or cousin he was — would bring a smile to the lips of this stalwart young man. But he cannot bear to see her suffer whom he loves. The young nobleman who, like Saint-Loup, has a mistress acquires the habit, when he takes her out to dine, of carrying in his pocket the valerian ‘drops′ which she may need, of ordering the waiter, firmly and with no hint of sarcasm, to see that he shuts the doors quietly and not to put any damp moss on the table, so as to spare his companion those discomforts which himself he has never felt, which compose for him an occult world in whose reality she has taught him to believe, discomforts for which he now feels pity without in the least needing to understand them, for which he will still feel pity when other women than she shall be the sufferers. Saint-Loup′s mistress — as the first monks of the middle ages taught Christendom — had taught him to be kind to animals, for which she had a passion, never moving without her dog, her canaries, her love-birds; Saint-Loup looked after them with motherly devotion and treated as brutes the people who were not good to dumb creatures. On the other hand, an actress, or so-called actress, like this one who was living with him — whether she were intelligent or not, and as to that I had no knowledge — by making him find the society of fashionable women boring, and look upon having to go out to a party as a painful duty, had saved him from snobbishness and cured him of frivolity. If, thanks to her, his social engagements filled a smaller place in the life of her young lover, at the same time, whereas if he had been simply a drawing-room man, vanity or self-interest would have dictated his choice of friends as rudeness would have characterised his treatment of them, his mistress had taught him to bring nobility and refinement into his friendship. With her feminine instinct, with a keener appreciation in men of certain qualities of sensibility which her lover might perhaps, without her guidance, have misunderstood and laughed at, she had always been swift to distinguish from among the rest of Saint-Loup′s friends, the one who had a real affection for him, and to make that one her favourite. She knew how to make him feel grateful to such a friend, shew his gratitude, notice what things gave his friend pleasure and what pain. And presently Saint-Loup, without any more need of her to prompt him, began to think of all these things by himself, and at Balbec, where she was not with him, for me whom she had never seen, whom he had perhaps not yet so much as mentioned in his letters to her, of his own accord would pull up the window of a carriage in which I was sitting, take out of the room the flowers that made me feel unwell, and when he had to say good-bye to several people at once manage to do so before it was actually time for him to go, so as to be left alone and last with me, to make that distinction between them and me, to treat me differently from the rest. His mistress had opened his mind to the invisible, had brought a serious element into his life, delicacy into his heart, but all this escaped his sorrowing family who repeated: “That creature will be the death of him; meanwhile she′s doing what she can to disgrace him.” It is true that he had succeeded in getting out of her all the good that she was capable of doing him; and that she now caused him only incessant suffering, for she had taken an intense dislike to him and tormented him in every possible way. She had begun, one fine day, to look upon him as stupid and absurd because the friends that she had among the younger writers and actors had assured her that he was, and she duly repeated what they had said with that passion, that want of reserve which we shew whenever we receive from without and adopt as our own opinions or customs of which we previously knew nothing. She readily professed, like her actor friends, that between Saint-Loup and herself there was a great gulf fixed, and not to be crossed, because they were of different races, because she was an intellectual and he, whatever he might pretend, the born enemy of the intellect. This view of him seemed to her profound, and she sought confirmation of it in the most insignificant words, the most trivial actions of her lover. But when the same friends had further convinced her that she was destroying, in company so ill-suited to her, the great hopes which she had, they said, aroused in them, that her lover would leave a mark on her, that by living with him she was spoiling her future as an artist; to her contempt for Saint-Loup was added the same hatred that she would have felt for him if he had insisted upon inoculating her with a deadly germ. She saw him as seldom as possible, at the same time postponing the hour of a definite rupture, which seemed to me a highly improbable event. Saint-Loup made such sacrifices for her that unless she was ravishingly beautiful (but he had always refused to shew me her photograph, saying: “For one thing, she′s not a beauty, and besides she always takes badly. These are only some snapshots that I took myself with my kodak; they would give you a wrong idea of her.”) it would surely be difficult for her to find another man who would consent to anything of the sort. I never reflected that a certain obsession to make a name for oneself, even when one has no talent, that the admiration, no more than the privately expressed admiration of people who are imposing on one, can (although it may not perhaps have been the case with Saint-Loup′s mistress) be, even for a little prostitute, motives more determining than the pleasure of making money. Saint-Loup who, without quite understanding what was going on in the mind of his mistress, did not believe her to be completely sincere either in her unfair reproaches or in her promises of undying love, had all the same at certain moments the feeling that she would break with him whenever she could, and accordingly, impelled no doubt by the instinct of self-preservation which was part of his love, a love more clear-sighted, possibly, than Saint-Loup himself, making use, too, of a practical capacity for business which was compatible in him with the loftiest and blindest flights of the heart, had refused to settle upon her any capital, had borrowed an enormous sum so that she should want nothing, but made it over to her only from day to day. And no doubt, assuming that she really thought of leaving him, she was calmly waiting until she had feathered her nest, a process which, with the money given her by Saint-Loup, would not perhaps take very long, but would all the same require a time which must be conceded to prolong the happiness of my new friend — or his misery.
Cette période dramatique de leur liaison, — et qui était arrivée maintenant à son point le plus aigu, le plus cruel pour Saint-Loup, car elle lui avait défendu de rester à Paris où sa présence l′exaspérait et l′avait forcé de prendre son congé à Balbec, à côté de sa garnison — avait commencé un soir chez une tante de Saint-Loup, lequel avait obtenu d′elle que son amie viendrait pour de nombreux invités dire des fragments d′une pièce symboliste qu′elle avait jouée une fois sur une scène d′avant-garde et pour laquelle elle lui avait fait partager l′admiration qu′elle éprouvait elle-même. This dramatic period of their connexion, which had now reached its most acute stage, the most cruel for Saint-Loup, for she had forbidden him to remain in Paris, where his presence exasperated her, and had forced him to spend his leave at Balbec, within easy reach of his regiment — had begun one evening at the house of one of Saint-Loup′s aunts, on whom he had prevailed to allow his friend to come there, before a large party, to recite some of the speeches from a symbolical play in which she had once appeared in an ‘advanced′ theatre, and for which she had made him share the admiration that she herself professed.
Mais quand elle était apparue, un grand lys à la main, dans un costume copié de l′«Ancilla Domini» et qu′elle avait persuadé à Robert être une véritable «vision d′art», son entrée avait été accueillie dans cette assemblée d′hommes de cercles et de duchesses par des sourires que le ton monotone de la psalmodie, la bizarrerie de certains mots, leur fréquente répétition avaient changés en fous-rires d′abord étouffés, puis si irrésistibles que la pauvre récitante n′avait pu continuer. Le lendemain la tante de Saint-Loup avait été unanimement blâmée d′avoir laissé paraître chez elle une artiste aussi grotesque. Un duc bien connu ne lui cacha pas qu′elle n′avait à s′en prendre qu′à elle-même si elle se faisait critiquer. But when she appeared in the room, with a large lily in her hand, and wearing a costume copied from the Ancilla Domini, which she had persuaded Saint-Loup was an absolute ‘vision of beauty,′ her entrance had been greeted, in that assemblage of clubmen and duchesses, with smiles which the monotonous tone of her chantings, the oddity of certain words and their frequent recurrence had changed into fits of laughter, stifled at first but presently so uncontrollable that the wretched reciter had been unable to go on. Next day Saint-Loup′s aunt had been universally censured for having allowed so grotesque an actress to appear in her drawing-room. A well-known duke made no bones about telling her that she had only herself to blame if she found herself criticised.
— Que diable aussi, on ne nous sort pas des numéros de cette force-là! Si encore cette femme avait du talent, mais elle n′en a et n′en aura jamais aucun. Sapristi! Paris n′est pas si bête qu′on veut bien le dire. La société n′est pas composée que d′imbéciles. Cette petite demoiselle a évidemment cru étonner Paris. Mais Paris est plus difficile à étonner que cela et il y a tout de même des affaires qu′on ne nous fera pas avaler. “Damn it all, people really don′t come to see ‘turns′ like that! If the woman had talent, even; but she has none and never will have any. ‘Pon my soul, Paris is not such a fool as people make out. Society does not consist exclusively of imbeciles. This little lady evidently believed that she was going to take Paris by surprise. But Paris is not so easily surprised as all that, and there are still some things that they can′t make us swallow.”
Quant à l′artiste, elle sortit en disant à Saint-Loup: As for the actress, she left the house with Saint-Loup, exclaiming:
— Chez quelles dindes, chez quelles garces sans éducation, chez quels goujats m′as-tu fourvoyée? J′aime mieux te le dire, il n′y en avait pas un des hommes présents qui ne m′eût fait de l′il, du pied, et c′est parce que j′ai repoussé leurs avances qu′ils ont cherché à se venger. “What do you mean by letting me in for those geese, those uneducated bitches, those dirty corner-boys? I don′t mind telling you, there wasn′t a man in the room who didn′t make eyes at me or squeeze my foot, and it was because I wouldn′t look at them that they were out for revenge.”
Paroles qui avaient changé l′antipathie de Robert pour les gens du monde en une horreur autrement profonde et douloureuse et que lui inspiraient particulièrement ceux qui la méritaient le moins, des parents dévoués qui délégués par la famille avaient cherché à persuader à l′amie de Saint-Loup de rompre avec lui, démarche qu′elle lui présentait comme inspirée par leur amour pour elle. Robert quoiqu′il eût aussitôt cessé de les fréquenter pensait, quand il était loin de son amie comme maintenant, qu′eux ou d′autres, en profitaient pour revenir à la charge et avaient peut-être reçu ses faveurs. Et quand il parlait des viveurs qui trompent leurs amis, cherchent à corrompre les femmes, tâchent de les faire venir dans des maisons de passe, son visage respirait la souffrance et la haine. Words which had changed Robert′s antipathy for people in society into a horror that was at once deep and distressing, and was provoked in him most of all by those who least deserved it, devoted kinsmen who, on behalf of the family, had sought to persuade Saint-Loup′s lady to break with him, a move which she represented to him as inspired by their passion for her. Robert, although he had at once ceased to see them, used to imagine when he was parted from his mistress as he was now, that they or others like them were profiting by his absence to return to the charge and had possibly prevailed over her. And when he spoke of the sensualists who were disloyal to their friends, who sought to seduce their friends′ wives, tried to make them come to houses of assignation, his whole face would glow with suffering and hatred.
— Je les tuerais avec moins de remords qu′un chien qui est du moins une bête gentille, loyale et fidèle. En voilà qui méritent la guillotine, plus que des malheureux qui ont été conduits au crime par la misère et par la cruauté des riches. “I would kill them with less compunction than I would kill a dog, which is at least a well-behaved beast, and loyal and faithful. There are men who deserve the guillotine if you like, far more than poor wretches who have been led into crime by poverty and by the cruelty of the rich.”
Il passait la plus grande partie de son temps à envoyer à sa maîtresse des lettres et des dépêches. Chaque fois que, tout en l′empêchant de venir à Paris, elle trouvait, à distance, le moyen d′avoir une brouille avec lui, je l′apprenais à sa figure décomposée. Comme sa maîtresse ne lui disait jamais ce qu′elle avait à lui reprocher, soupçonnant que, peut-être, si elle ne le lui disait pas, c′est qu′elle ne le savait pas et qu′elle avait simplement assez de lui, il aurait pourtant voulu avoir des explications, il lui écrivait: «Dis-moi ce que j′ai fait de mal. Je suis prêt à reconnaître mes torts», le chagrin qu′il éprouvait ayant pour effet de le persuader qu′il avait mal agi. He spent the greater part of his time in sending letters and telegrams to his mistress. Every time that, while still preventing him from returning to Paris, she found an excuse to quarrel with him by post, I read the news at once in his evident discomposure. Inasmuch as his mistress never told him what fault she found with him, suspecting that possibly if she did not tell him it was because she did not know herself, and simply had had enough of him, he would still have liked an explanation and used to write to her: “Tell me what I have done wrong. I am quite ready to acknowledge my faults,” the grief that overpowered him having the effect of persuading him that he had behaved badly.
Mais elle lui faisait attendre indéfiniment des réponses d′ailleurs dénuées de sens. Aussi c′est presque toujours le front soucieux et bien souvent les mains vides que je voyais Saint-Loup revenir de la poste où seul de tout l′hôtel avec Françoise, il allait chercher ou porter lui-même ses lettres, lui par impatience d′amant, elle par méfiance de domestique. (Les dépêches le forçaient à faire beaucoup plus de chemin.) But she kept him waiting indefinitely for her answers which, when they did come, were meaningless. And so it was almost always with a furrowed brow, and often with empty hands that I would see Saint-Loup returning from the post office, where, alone in all the hotel, he and Françoise went to fetch or to hand in letters, he from a lover′s impatience, she with a servant′s mistrust of others. (His telegrams obliged him to take a much longer journey.)
Quand quelques jours après le dîner chez les Bloch ma grand′mère me dit d′un air joyeux que Saint-Loup venait de lui demander si avant qu′il quittât Balbec elle ne voulait pas qu′il la photographiât, et quand je vis qu′elle avait mis pour cela sa plus belle toilette et hésitait entre diverses coiffures, je me sentis un peu irrité de cet enfantillage qui m′étonnait tellement de sa part. J′en arrivais même à me demander si je ne m′étais pas trompé sur ma grand′mère, si je ne la plaçais pas trop haut, si elle était aussi détachée que j′avais toujours cru de ce qui concernait sa personne, si elle n′avait pas ce que je croyais lui être le plus étranger, de la coquetterie. When, some days after our dinner with the Blochs, my grandmother told me with a joyful air that Saint-Loup had just been asking her whether, before he left Balbec, she would not like him to take a photograph of her, and when I saw that she had put on her nicest dress on purpose, and was hesitating between several of her best hats, I felt a little annoyed by this childishness, which surprised me coming from her. I even went the length of asking myself whether I had not been mistaken in my grandmother, whether I did not esteem her too highly, whether she was as unconcerned as I had always supposed in the adornment of her person, whether she had not indeed the very weakness that I believed most alien to her temperament, namely coquetry.
Malheureusement, ce mécontentement que me causaient le projet de séance photographique et surtout la satisfaction que ma grand′mère paraissait en ressentir, je le laissai suffisamment apercevoir pour que Françoise le remarquât et s′empressât involontairement de l′accroître en me tenant un discours sentimental et attendri auquel je ne voulus pas avoir l′air d′adhérer. Unfortunately, this displeasure that I derived from the prospect of a photographic ‘sitting,′ and more particularly from the satisfaction with which my grandmother appeared to be looking forward to it, I made so apparent that Françoise remarked it and did her best, unintentionally, to increase it by making me a sentimental, gushing speech, by which I refused to appear moved.
— Oh! monsieur, cette pauvre madame qui sera si heureuse qu′on tire son portrait, et qu′elle va même mettre le chapeau que sa vieille Françoise, elle lui a arrangé, il faut la laisser faire, monsieur. “Oh, Master; my poor Madame will be so pleased at having her likeness taken, she is going to wear the hat that her old Françoise has trimmed for her, you must allow her, Master.”
Je me convainquis que je n′étais pas cruel de me moquer de la sensibilité de Françoise, en me rappelant que ma mère et ma grand′mère mes modèles en tout, le faisaient souvent aussi. Mais ma grand′mère s′apercevant que j′avais l′air ennuyé, me dit que si cette séance de pose pouvait me contrarier elle y renoncerait. Je ne le voulus pas, je l′assurai que je n′y voyais aucun inconvénient et la laissai se faire belle, mais crus faire preuve de pénétration et de force en lui disant quelques paroles ironiques et blessantes destinées à neutraliser le plaisir qu′elle semblait trouver à être photographiée, de sorte que si je fus contraint de voir le magnifique chapeau de ma grand′mère, je réussis du moins à faire disparaître de son visage cette expression joyeuse qui aurait dû me rendre heureux et qui, comme il arrive trop souvent tant que sont encore en vie les êtres que nous aimons le mieux, nous apparaît comme la manifestation exaspérante d′un travers mesquin plutôt que comme la forme précieuse du bonheur que nous voudrions tant leur procurer. Ma mauvaise humeur venait surtout de ce que cette semaine là ma grand′mère avait paru me fuir et que je n′avais pu l′avoir un instant à moi, pas plus le jour que le soir. Quand je rentrais dans l′après-midi pour être un peu seul avec elle, on me disait qu′elle n′était pas là; ou bien elle s′enfermait avec Françoise pour de longs conciliabules qu′il ne m′était pas permis de troubler. Et quand ayant passé la soirée dehors avec Saint-Loup je songeais pendant le trajet du retour au moment où j′allais pouvoir retrouver et embrasser ma grand′mère, j′avais beau attendre qu′elle frappât contre la cloison ces petits coups qui me diraient d′entrer lui dire bonsoir, je n′entendais rien; je finissais par me coucher, lui en voulant un peu de ce qu′elle me privât, avec une indifférence si nouvelle de sa part, d′une joie sur laquelle j′avais tant compté, je restais encore, le cur palpitant comme dans mon enfance, à écouter le mur qui restait muet et je m′endormais dans les larmes. I acquired the conviction that I was not cruel in laughing at Françoise′s sensibility, by reminding myself that my mother and grandmother, my models in all things, often did the same. But my grandmother, noticing that I seemed cross, said that if this plan of her sitting for her photograph offended me in any way she would give it up. I would not let her; I assured her that I saw no harm in it, and left her to adorn herself, but, thinking that I shewed my penetration and strength of mind, I added a few stinging words of sarcasm, intended to neutralize the pleasure which she seemed to find in being photographed, so that if I was obliged to see my grandmother′s magnificent hat, I succeeded at least in driving from her face that joyful expression which ought to have made me glad; but alas, it too often happens, while the people we love best are still alive, that such expressions appear to us as the exasperating manifestation of some unworthy freak of fancy rather than as the precious form of the happiness which we should dearly like to procure for them. My ill-humour arose more particularly from the fact that, during the last week, my grandmother had appeared to be avoiding me, and I had not been able to have her to myself for a moment, either by night or day. When I came back in the afternoon to be alone with her for a little I was told that she was not in the hotel; or else she would shut herself up with Françoise for endless confabulations which I was not permitted to interrupt. And when, after being out all evening with Saint-Loup, I had been thinking on the way home of the moment at which I should be able to go to my grandmother and to kiss her, in vain might I wait for her to knock on the partition between us the three little taps which would tell me to go in and say good night to her; I heard nothing; at length I would go to bed, a little resentful of her for depriving me, with an indifference so new and strange in her, of a joy on which I had so much counted, I would lie still for a while, my heart throbbing as in my childhood, listening to the wall which remained silent, until I cried myself to sleep.
. . . Â…
Ce jour-là, comme les précédents, Saint-Loup avait été obligé d′aller à Doncières où en attendant qu′il y rentrât d′une manière définitive, on aurait toujours besoin de lui maintenant jusqu′à la fin de l′après-midi. Je regrettais qu′il ne fût pas à Balbec. J′avais vu descendre de voiture et entrer, les unes dans la salle de danse du Casino, les autres chez le glacier, des jeunes femmes qui, de loin, m′avaient paru ravissantes. J′étais dans une de ces périodes de la jeunesse, dépourvues d′un amour particulier, vacantes, où partout — comme un amoureux, la femme dont il est épris — on désire, on cherche, on voit la beauté. Qu′un seul trait réel — le peu qu′on distingue d′une femme vue de loin, ou de dos — nous permette de projeter la Beauté devant nous, nous nous figurons l′avoir reconnue, notre cur bat, nous pressons le pas, et nous resterons toujours à demi persuadés que c′était elle, pourvu que la femme ait disparu: ce n′est que si nous pouvons la rattraper que nous comprenons notre erreur. That day, as for some days past, Saint-Loup had been obliged to go to Doncières, where, until his leave finally expired, he would be on duty now until late every afternoon. I was sorry that he was not at Balbec. I had seen alight from carriages and pass, some into the ball-room of the Casino, others into the ice-cream shop, young women who at a distance had seemed to me lovely. I was passing through one of those periods of our youth, unprovided with any one definite love, vacant, in which at all times and in all places — as a lover the woman by whose charms he is smitten — we desire, we seek, we see Beauty. Let but a single real feature — the little that one distinguishes of a woman seen from afar or from behind — enable us to project the form of beauty before our eyes, we imagine that we have seen her before, our heart beats, we hasten in pursuit, and will always remain half-persuaded that it was she, provided that the woman has vanished: it is only if we manage to overtake her that we realise our mistake.
D′ailleurs, de plus en plus souffrant, j′étais tenté de surfaire les plaisirs les plus simples à cause des difficultés mêmes qu′il y avait pour moi à les atteindre. Des femmes élégantes, je croyais en apercevoir partout, parce que j′étais trop fatigué si c′était sur la plage, trop timide si c′était au Casino ou dans une pâtisserie, pour les approcher nulle part. Pourtant, si je devais bientôt mourir, j′aurais aimé savoir comment étaient faites de près, en réalité, les plus jolies jeunes filles que la vie pût offrir, quand même c′eût été un autre que moi, ou même personne, qui dût profiter de cette offre (je ne me rendais pas compte, en effet, qu′il y avait un désir de possession à l′origine de ma curiosité). J′aurais osé entrer dans la salle de bal, si Saint-Loup avait été avec moi. Seul, je restai simplement devant le Grand-Hôtel à attendre le moment d′aller retrouver ma grand′mère, quand, presque encore à l′extrémité de la digue où elles faisaient mouvoir une tache singulière, je vis s′avancer cinq ou six fillettes, aussi différentes, par l′aspect et par les façons, de toutes les personnes auxquelles on était accoutumé à Balbec, qu′aurait pu l′être, débarquée on ne sait d′où, une bande de mouettes qui exécute à pas comptés sur la plage, — les retardataires rattrapant les autres en voletant, — une promenade dont le but semble aussi obscur aux baigneurs qu′elles ne paraissent pas voir, que clairement déterminé pour leur esprit d′oiseaux. Besides, as I grew more and more delicate, I was inclined to overrate the simplest pleasures because of the difficulties that sprang up in the way of my attaining them. Charming women I seemed to see all round me, because I was too tired, if it was on the beach, too shy if it was in the Casino or at a pastry-cook′s, to go anywhere near them. And yet if I was soon to die I should have liked first to know the appearance at close quarters, in reality of the prettiest girls that life had to offer, even although it should be another than myself or no one at all who was to take advantage of the offer. (I did not, in fact, appreciate the desire for possession that underlay my curiosity.) I should have had the courage to enter the ballroom if Saint-Loup had been with me. Left by myself, I was simply hanging about in front of the Grand Hotel until it was time for me to join my grandmother, when, still almost at the far end of the paved ‘front′ along which they projected in a discordant spot of colour, I saw coming towards me five or six young girls, as different in appearance and manner from all the people whom one was accustomed to see at Balbec as could have been, landed there none knew whence, a flight of gulls which performed with measured steps upon the sands — the dawdlers using their wings to overtake the rest — a movement the purpose of which seems as obscure to the human bathers, whom they do not appear to see, as it is clearly determined in their own birdish minds.
Une de ces inconnues poussait devant elle, de la main, sa bicyclette; deux autres tenaient des «clubs» de golf; et leur accoutrement tranchait sur celui des autres jeunes filles de Balbec, parmi lesquelles quelques-unes il est vrai, se livraient aux sports, mais sans adopter pour cela une tenue spéciale. One of these strangers was pushing as she came, with one hand, her bicycle; two others carried golf-clubs; and their attire generally was in contrast to that of the other girls at Balbec, some of whom, it was true, went in for games, but without adopting any special outfit.
C′était l′heure où dames et messieurs venaient tous les jours faire leur tour de digue, exposés aux feux impitoyables du face-à-main que fixait sur eux, comme s′ils eussent été porteurs de quelque tare qu′elle tenait à inspecter dans ses moindres détails, la femme du premier président, fièrement assise devant le kiosque de musique, au milieu de cette rangée de chaises redoutée où eux-mêmes tout à l′heure, d′acteurs devenus critiques, viendraient s′installer pour juger à leur tour ceux qui défileraient devant eux. Tous ces gens qui longeaient la digue en tanguant aussi fort que si elle avait été le pont d′un bateau (car ils ne savaient pas lever une jambe sans du même coup remuer le bras, tourner les yeux, remettre d′aplomb leurs épaules, compenser par un mouvement balancé du côté opposé le mouvement qu′ils venaient de faire de l′autre côté, et congestionner leur face), et qui, faisant semblant de ne pas voir pour faire croire qu′ils ne se souciaient pas d′elles, mais regardant à la dérobée pour ne pas risquer de les heurter, les personnes qui marchaient à leurs côtés ou venaient en sens inverse, butaient au contraire contre elles, s′accrochaient à elles, parce qu′ils avaient été réciproquement de leur part l′objet de la même attention secrète, cachée sous le même dédain apparent; l′amour — par conséquent la crainte — de la foule étant un des plus puissants mobiles chez tous les hommes, soit qu′ils cherchent à plaire aux autres ou à les étonner, soit à leur montrer qu′ils les méprisent. Chez le solitaire, la claustration même absolue et durant jusqu′à la fin de la vie, a souvent pour principe un amour déréglé de la foule qui l′emporte tellement sur tout autre sentiment, que, ne pouvant obtenir quand il sort l′admiration de la concierge, des passants, du cocher arrêté, il préfère n′être jamais vu d′eux, et pour cela renoncer à toute activité qui rendrait nécessaire de sortir. It was the hour at which ladies and gentlemen came out every day for a turn on the ‘front,′ exposed to the merciless fire of the long glasses fastened upon them, as if they had each borne some disfigurement which she felt it her duty to inspect in its minutest details, by the chief magistrate′s wife, proudly seated there with her back to the band-stand, in the middle of that dread line of chairs on which presently they too, actors turned critics, would come and establish themselves, to scrutinise in their turn those others who would then be filing past them. All these people who paced up and down the ‘front,′ tacking as violently as if it had been the deck of a ship (for they could not lift a leg without at the same time waving their arms, turning their heads and eyes, settling their shoulders, compensating by a balancing movement on one side for the movement they had just made on the other, and puffing out their faces), and who, pretending not to see so as to let it be thought that they were not interested, but covertly watching, for fear of running against the people who were walking beside or coming towards them, did, in fact, butt into them, became entangled with them, because each was mutually the object of the same secret attention veiled beneath the same apparent disdain; their love — and consequently their fear — of the crowd being one of the most powerful motives in all men, whether they seek to please other people or to astonish them, or to shew them that they despise them. In the case of the solitary, his seclusion, even when it is absolute and ends only with life itself, has often as its primary cause a disordered love of the crowd, which so far overrules every other feeling that, not being able to win, when he goes out, the admiration of his hall-porter, of the passers-by, of the cabman whom h e hails, he prefers not to be seen by them at all, and with that object abandons every activity that would oblige him to go out of doors.
Au milieu de tous ces gens dont quelques-uns poursuivaient une pensée, mais en trahissaient alors la mobilité par une saccade de gestes, une divagation de regards, aussi peu harmonieuses que la circonspecte titubation de leurs voisins, les fillettes que j′avais aperçues, avec la maîtrise de gestes que donne un parfait assouplissement de son propre corps et un mépris sincère du reste de l′humanité, venaient droit devant elles, sans hésitation ni raideur, exécutant exactement les mouvements qu′elles voulaient, dans une pleine indépendance de chacun de leurs membres par rapport aux autres, la plus grande partie de leur corps gardant cette immobilité si remarquable chez les bonnes valseuses. Elles n′étaient plus loin de moi. Quoique chacune fût d′un type absolument différent des autres, elles avaient toutes de la beauté; mais, à vrai dire, je les voyais depuis si peu d′instants et sans oser les regarder fixement que je n′avais encore individualisé aucune d′elles. Sauf une, que son nez droit, sa peau brune mettait en contraste au milieu des autres comme dans quelque tableau de la Renaissance, un roi Mage de type arabe, elles ne m′étaient connues, l′une que par une paire d′yeux durs, butés et rieurs; une autre que par des joues où le rose avait cette teinte cuivrée qui évoque l′idée de géranium; et même ces traits je n′avais encore indissolublement attaché aucun d′entre eux à l′une des jeunes filles plutôt qu′à l′autre; et quand (selon l′ordre dans lequel se déroulait cet ensemble merveilleux parce qu′y voisinaient les aspects les plus différents, que toutes les gammes de couleurs y étaient rapprochées, mais qui était confus comme une musique où je n′aurais pas su isoler et reconnaître au moment de leur passage les phrases, distinguées mais oubliées aussitôt après), je voyais émerger un ovale blanc, des yeux noirs, des yeux verts, je ne savais pas si c′était les mêmes qui m′avaient déjà apporté du charme tout à l′heure, je ne pouvais pas les rapporter à telle jeune fille que j′eusse séparée des autres et reconnue. Et cette absence, dans ma vision, des démarcations que j′établirais bientôt entre elles, propageait à travers leur groupe un flottement harmonieux, la translation continue d′une beauté fluide, collective et mobile. Among all these people, some of whom were pursuing a train of thought, but if so betrayed its instability by spasmodic gestures, a roving gaze as little in keeping as the circumspect titubation of their neighbours, the girls whom I had noticed, with that mastery over their limbs which comes from perfect bodily condition and a sincere contempt for the rest of humanity, were advancing straight ahead, without hesitation or stiffness, performing exactly the movements that they wished to perform, each of their members in full independence of all the rest, the greater part of their bodies preserving that immobility which is so noticeable in a good waltzer. They were now quite near me. Although each was a type absolutely different from the others, they all had beauty; but to tell the truth I had seen them for so short a time, and without venturing to look them straight in the face, that I had not yet individualised any of them. Save one, whom her straight nose, her dark complexion pointed in contrast among the rest, like (in a renaissance picture of the Epiphany) a king of Arab cast, they were known to me only, one by a pair of eyes, hard, set and mocking; another by cheeks in which the pink had that coppery tint which makes one think of geraniums; and even of these points I had not yet indissolubly attached any one to one of these girls rather than to another; and when (according to the order in which their series met the eye, marvellous because the most different aspects came next one another, because all scales of colours were combined in it, but confused as a piece of music in which I should not have been able to isolate and identify at the moment of their passage the successive phrases, no sooner distinguished than forgotten) I saw emerge a pallid oval, black eyes, green eyes, I knew not if these were the same that had already charmed me a moment ago, I could not bring them home to any one girl whom I might thereby have set apart from the rest and so identified. And this want, in my vision, of the demarcations which I should presently establish between them sent flooding over the group a wave of harmony, the continuous transfusion of a beauty fluid, collective and mobile.
Ce n′était peut-être pas, dans la vie, le hasard seul qui, pour réunir ces amies les avait toutes choisies si belles; peut-être ces filles (dont l′attitude suffisait à révéler la nature hardie, frivole et dure), extrêmement sensibles à tout ridicule et à toute laideur, incapables de subir un attrait d′ordre intellectuel ou moral, s′étaient-elles naturellement trouvées, parmi les camarades de leur âge, éprouver de la répulsion pour toutes celles chez qui des dispositions pensives ou sensibles se trahissaient par de la timidité, de la gêne, de la gaucherie, par ce qu′elles devaient appeler «un genre antipathique», et les avaient-elles tenues à l′écart; tandis qu′elles s′étaient liées au contraire avec d′autres vers qui les attiraient un certain mélange de grâce, de souplesse et d′élégance physique, seule forme sous laquelle elles pussent se représenter la franchise d′un caractère séduisant et la promesse de bonnes heures à passer ensemble. Peut-être aussi la classe à laquelle elles appartenaient et que je n′aurais pu préciser, était-elle à ce point de son évolution où, soit grâce à l′enrichissement et au loisir, soit grâce aux habitudes nouvelles de sport, répandues même dans certains milieux populaires, et d′une culture physique à laquelle ne s′est pas encore ajoutée celle de l′intelligence, un milieu social pareil aux écoles de sculpture harmonieuses et fécondes qui ne recherchent pas encore l′expression tourmentée — produit naturellement, et en abondance, de beaux corps aux belles jambes, aux belles hanches, aux visages sains et reposés, avec un air d′agilité et de ruse. Et n′étaient-ce pas de nobles et calmes modèles de beauté humaine que je voyais là, devant la mer, comme des statues exposées au soleil sur un rivage de la Grèce? It was not perhaps, in this life of ours, mere chance that had, in forming this group of friends, chosen them all of such beauty; perhaps these girls (whose attitude was enough to reveal their nature, bold, frivolous and hard), extremely sensitive to everything that was ludicrous or ugly, incapable of yielding to an intellectual or moral attraction, had naturally felt themselves, among companions of their own age, repelled by all those in whom a pensive or sensitive disposition was betrayed by shyness, awkwardness, constraint, by what, they would say,‘didn′t appeal′ to them, and from such had held aloof; while they attached themselves, on the other hand, to others to whom they were drawn by a certain blend of grace, suppleness, and physical neatness, the only form in which they were able to picture the frankness of a seductive character and the promise of pleasant hours in one another′s company. Perhaps, too, the class to which they belonged, a class which I should not have found it easy to define, was at that point in its evolution at which, whether thanks to its growing wealth and leisure, or thanks to new athletic habits, extended now even to certain plebeian elements, and a habit of physical culture to which had not yet been added the culture of the mind, a social atmosphere, comparable to that of smooth and prolific schools of sculpture, which have not yet gone in for tortured expressions, produces naturally and in abundance fine bodies with fine legs, fine hips, wholesome and reposeful faces, with an air of agility and guile. And were they not noble and calm models of human beauty that I beheld there, outlined against the sea, like statues exposed to the sunlight upon a Grecian shore?
Telles que si, du sein de leur bande qui progressait le long de la digue comme une lumineuse comète, elles eussent jugé que la foule environnante était composée d′êtres d′une autre race et dont la souffrance même n′eût pu éveiller en elles un sentiment de solidarité, elles ne paraissaient pas la voir, forçaient les personnes arrêtées à s′écarter ainsi que sur le passage d′une machine qui eût été lâchée et dont il ne fallait pas attendre qu′elle évitât les piétons, et se contentaient tout au plus si quelque vieux monsieur dont elles n′admettaient pas l′existence et dont elles repoussaient le contact s′était enfui avec des mouvements craintifs ou furieux, précipités ou risibles, de se regarder entre elles en riant. Elles n′avaient à l′égard de ce qui n′était pas de leur groupe aucune affectation de mépris, leur mépris sincère suffisait. Mais elles ne pouvaient voir un obstacle sans s′amuser à le franchir en prenant leur élan ou à pieds joints, parce qu′elles étaient toutes remplies, exubérantes, de cette jeunesse qu′on a si grand besoin de dépenser même quand on est triste ou souffrant, obéissant plus aux nécessités de l′âge qu′à l′humeur de la journée, on ne laisse jamais passer une occasion de saut ou de glissade sans s′y livrer consciencieusement, interrompant, semant, sa marche lente — comme Chopin la phrase la plus mélancolique — de gracieux détours où le caprice se mêle à la virtuosité. La femme d′un vieux banquier, après avoir hésité pour son mari entre diverses expositions, l′avait assis, sur un pliant, face à la digue, abrité du vent et du soleil par le kiosque des musiciens. Le voyant bien installé, elle venait de le quitter pour aller lui acheter un journal qu′elle lui lirait et qui le distrairait, petites absences pendant lesquelles elle le laissait seul et qu′elle ne prolongeait jamais au delà de cinq minutes, ce qui lui semblait bien long, mais qu′elle renouvelait assez fréquemment pour que le vieil époux à qui elle prodiguait à la fois et dissimulait ses soins eût l′impression qu′il était encore en état de vivre comme tout le monde et n′avait nul besoin de protection. La tribune des musiciens formait au-dessus de lui un tremplin naturel et tentant sur lequel sans une hésitation l′aînée de la petite bande se mit à courir: elle sauta par-dessus le vieillard épouvanté, dont la casquette marine fut effleurée par les pieds agiles, au grand amusement des autres jeunes filles, surtout de deux yeux verts dans une figure poupine qui exprimèrent pour cet acte une admiration et une gaieté où je crus discerner un peu de timidité, d′une timidité honteuse et fanfaronne, qui n′existait pas chez les autres. «C′pauvre vieux, i m′fait d′la peine, il a l′air à moitié crevé», dit l′une de ces filles d′une voix rogommeuse et avec un accent à demi-ironique. Elles firent quelques pas encore, puis s′arrêtèrent un moment au milieu du chemin sans s′occuper d′arrêter la circulation des passants, en un conciliabule, un agrégat de forme irrégulière, compact, insolite et piaillant, comme des oiseaux qui s′assemblent au moment de s′envoler; puis elles reprirent leur lente promenade le long de la digue, au-dessus de la mer. Just as if, in the heart of their band, which progressed along the ‘front′ like a luminous comet, they had decided that the surrounding crowd was composed of creatures of another race whose sufferings even could not awaken in them any sense of fellowship, they appeared not to see them, forced those who had stopped to talk to step aside, as though from the path of a machine that had been set going by itself, so that it was no good waiting for it to get out of their way, their utmost sign of consciousness being when, if some old gentleman of whom they did not admit the existence and thrust from them the contact, had fled with a frightened or furious, but a headlong or ludicrous motion, they looked at one another and smiled. They had, for whatever did not form part of their group, no affectation of contempt; their genuine contempt was sufficient. But they could not set eyes on an obstacle without amusing themselves by crossing it, either in a running jump or with both feet together, because they were all filled to the brim, exuberant with that youth which we need so urgently to spend that even when we are unhappy or unwell, obedient rather to the necessities of our age than to the mood of the day, we can never pass anything that can be jumped over or slid down without indulging ourselves conscientiously, interrupting, interspersing our slow progress — as Chopin his most melancholy phrase — with graceful deviations in which caprice is blended with virtuosity. The wife of an elderly banker, after hesitating between various possible exposures for her husband, had settled him on a folding chair, facing the ‘front,′ sheltered from wind and sun by the band-stand. Having seen him comfortably installed there, she had gone to buy a newspaper which she would read aloud to him, to distract him — one of her little absences which she never prolonged for more than five minutes, which seemed long enough to him but which she repeated at frequent intervals so that this old husband on whom she lavished an attention that she took care to conceal, should have the impression that he was still quite alive and like other people and was in no need of protection. The platform of the band-stand provided, above his head, a natural and tempting springboard, across which, without a moment′s hesitation, the eldest of the little band began to run; she jumped over the terrified old man, whose yachting cap was brushed by the nimble feet, to the great delight of the other girls, especially of a pair of green eyes in a ‘dashing′ face, which expressed, for that bold act, an admiration and a merriment in which I seemed to discern a trace of timidity, a shamefaced and blustering timidity which did not exist in the others. “Oh, the poor old man; he makes me sick; he looks half dead;” said a girl with a croaking voice, but with more sarcasm than sympathy. They walked on a little way, then stopped for a moment in the middle of the road, with no thought whether they were impeding the passage of other people, and held a council, a solid body of irregular shape, compact, unusual and shrill, like birds that gather on the ground at the moment of flight; then they resumed their leisurely stroll along the ‘front,′ against a background of sea.
Maintenant, leurs traits charmants n′étaient plus indistincts et mêlés. Je les avais répartis et agglomérés (à défaut du nom de chacune, que j′ignorais) autour de la grande qui avait sauté par dessus le vieux banquier; de la petite qui détachait sur l′horizon de la mer ses joues bouffies et roses, ses yeux verts; de celle au teint bruni, au nez droit, qui tranchait au milieu des autres; d′une autre, au visage blanc comme un uf dans lequel un petit nez faisait un arc de cercle comme un bec de poussin, visage comme en ont certains très jeunes gens; d′une autre encore, grande, couverte d′une pélerine (qui lui donnait un aspect si pauvre et démentait tellement sa tournure élégante que l′explication qui se présentait à l′esprit était que cette jeune fille devait avoir des parents assez brillants et plaçant leur amour-propre assez au-dessus des baigneurs de Balbec et de l′élégance vestimentaire de leurs propres enfants pour qu′il leur fût absolument égal de la laisser se promener sur la digue dans une tenue que de petites gens eussent jugée trop modeste); d′une fille aux yeux brillants, rieurs, aux grosses joues mates, sous un «polo» noir, enfoncé sur sa tête, qui poussait une bicyclette avec un dandinement de hanches si dégingandé, un air et employant des termes d′argot si voyous et criés si fort, quand je passai auprès d′elle (parmi lesquels je distinguai cependant la phrase fâcheuse de «vivre sa vie») qu′abandonnant l′hypothèse que la pélerine de sa camarade m′avait fait échafauder, je conclus plutôt que toutes ces filles appartenaient à la population qui fréquente les vélodromes, et devaient être les très jeunes maîtresses de coureurs cyclistes. En tous cas, dans aucune de mes suppositions, ne figurait celle qu′elles eussent pu être vertueuses. A première vue — dans la manière dont elles se regardaient en riant, dans le regard insistant de celle aux joues mates, — j′avais compris qu′elles ne l′étaient pas. D′ailleurs, ma grand-mère avait toujours veillé sur moi avec une délicatesse trop timorée pour que je ne crusse pas que l′ensemble des choses qu′on ne doit pas faire est indivisible et que des jeunes filles qui manquent de respect à la vieillesse, fussent tout d′un coup arrêtées par des scrupules quand il s′agit de plaisirs plus tentateurs que de sauter par dessus un octogénaire. By this time their charming features had ceased to be indistinct and impersonal. I had dealt them like cards into so many heaps to compose (failing their names, of which I was still ignorant) the big one who had jumped over the old banker; the little one who stood out against the horizon of sea with her plump and rosy cheeks, her green eyes; the one with the straight nose and dark complexion, in such contrast to all the rest; another, with a white face like an egg on which a tiny nose described an arc of a circle like a chicken′s beak; yet another, wearing a hooded cape (which gave her so poverty-stricken an appearance, and so contradicted the smartness of the figure beneath that the explanation which suggested itself was that this girl must have parents of high position who valued their self-esteem so far above the visitors to Balbec and the sartorial elegance of their own children that it was a matter of the utmost indifference to them that their daughter should stroll on the ‘front′ dressed in a way which humbler people would have considered too modest); a girl with brilliant, laughing eyes and plump, colourless cheeks, a black polo-cap pulled down over her face, who was pushing a bicycle with so exaggerated a movement of her hips, with an air borne out by her language, which was so typically of the gutter and was being shouted so loud, when I passed her (although among her expressions I caught that irritating ‘live my own life′) that, abandoning the hypothesis which her friend′s hooded cape had made me construct, I concluded instead that all these girls belonged to the population which frequents the racing-tracks, and must be the very juvenile mistresses of professional bicyclists. In any event, in none of my suppositions was there any possibility of their being virtuous. At first sight — in the way in which they looked at one another and smiled, in the insistent stare of the one with the dull cheeks — I had grasped that they were not. Besides, my grandmother had always watched over me with a delicacy too timorous for me not to believe that the sum total of the things one ought not to do was indivisible or that girls who were lacking in respect for their elders would suddenly be stopped short by scruples when there were pleasures at stake more tempting than that of jumping over an octogenarian.
Individualisées maintenant, pourtant la réplique que se donnaient les uns aux autres leurs regards animés de suffisance et d′esprit de camaraderie, et dans lesquels se rallumaient d′instant en instant tantôt l′intérêt, tantôt l′insolente indifférence dont brillentt chacune, selon qu′il s′agissait de l′une de ses amies ou des passants, cette conscience aussi de se connaître entre elles assez intimement pour se promener toujours ensemble, en faisant «bande à part», mettaient entre leurs corps indépendants et séparés, tandis qu′ils s′avançaient lentement, une liaison invisible, mais harmonieuse comme une même ombre chaude, une même atmosphère, faisant d′eux un tout aussi homogène en ses parties qu′il était différent de la foule au milieu de laquelle se déroulait lentement leur cortège. Though they were now separately identifiable, still the mutual response which they gave one another with eyes animated by self-sufficiency and the spirit of comradeship, in which were kindled at every moment now the interest now the insolent indifference with which each of them sparkled according as her glance fell on one of her friends or on passing strangers, that consciousness, moreover, of knowing one another intimately enough always to go about together, by making them a ‘band apart′ established between their independent and separate bodies, as slowly they advanced, a bond invisible but harmonious, like a single warm shadow, a single atmosphere making of them a whole as homogeneous in its parts as it was different from the crowd through which their procession gradually wound.
Un instant, tandis que je passais à côté de la brune aux grosses joues qui poussait une bicyclette, je croisai ses regards obliques et rieurs, dirigés du fond de ce monde inhumain qui enfermait la vie de cette petite tribu, inaccessible inconnu où l′idée de ce que j′étais ne pouvait certainement ni parvenir ni trouver place. Toute occupée à ce que disaient ses camarades, cette jeune fille coiffée d′un polo qui descendait très bas sur son front, m′avait-elle vu au moment où le rayon noir émané de ses yeux m′avait rencontré. Si elle m′avait vu, qu′avais-je pu lui représenter? Du sein de quel univers me distinguait-elle? Il m′eût été aussi difficile de le dire que, lorsque certaines particularités nous apparaissent grâce au télescope, dans un astre voisin, il est malaisé de conclure d′elles que des humains y habitent, qu′ils nous voient, et quelles idées cette vue a pu éveiller en eux. For an instant, as I passed the dark one with the fat cheeks who was wheeling a bicycle, I caught her smiling, sidelong glance, aimed from the centre of that inhuman world which enclosed the life of this little tribe, an inaccessible, unknown world to which the idea of what I was could certainly never attain nor find a place in it. Wholly occupied with what her companions were saying, this young girl in her polo-cap, pulled down very low over her brow, had she seen me at the moment in which the dark ray emanating from her eyes had fallen on me? In the heart of what universe did she distinguish me? It would have been as hard for me to say as, when certain peculiarities are made visible, thanks to the telescope, in a neighbouring planet, it is difficult to arrive at the conclusion that human beings inhabit it, that they can see us, or to say what ideas the sight of us can have aroused in their minds.
Si nous pensions que les yeux d′une telle fille ne sont qu′une brillante rondelle de mica, nous ne serions pas avides de connaître et d′unir à nous sa vie. Mais nous sentons que ce qui luit dans ce disque réfléchissant n′est pas dû uniquement à sa composition matérielle; que ce sont, inconnues de nous, les noires ombres des idées que cet être se fait, relativement aux gens et aux lieux qu′il connaît — pelouses des hippodromes, sable des chemins où, pédalant à travers champs et bois, m′eût entraîné cette petite péri, plus séduisante pour moi que celle du paradis persan, — les ombres aussi de la maison où elle va rentrer, des projets qu′elle forme ou qu′on a formés pour elle; et surtout que c′est elle, avec ses désirs, ses sympathies, ses répulsions, son obscure et incessante volonté. Je savais que je ne posséderais pas cette jeune cycliste si je ne possédais aussi ce qu′il y avait dans ses yeux. Et c′était par conséquent toute sa vie qui m′inspirait du désir; désir douloureux, parce que je le sentais irréalisable, mais enivrant, parce que ce qui avait été jusque-là ma vie ayant brusquement cessé d′être ma vie totale, n′étant plus qu′une petite partie de l′espace étendu devant moi que je brûlais de couvrir, et qui était fait de la vie de ces jeunes filles, m′offrait ce prolongement, cette multiplication possible de soi-même, qui est le bonheur. Et, sans doute, qu′il n′y eût entre nous aucune habitude — comme aucune idée — communes, devait me rendre plus difficile de me lier avec elles et de leur plaire. Mais peut-être aussi c′était grâce à ces différences, à la conscience qu′il n′entrait pas dans la composition de la nature et des actions de ces filles, un seul élément que je connusse ou possédasse, que venait en moi de succéder à la satiété, la soif, — pareille à celle dont brûle une terre altérée, — d′une vie que mon âme, parce qu′elle n′en avait jamais reçu jusqu′ici une seule goutte, absorberait d′autant plus avidement, à longs traits, dans une plus parfaite imbibition. If we thought that the eyes of a girl like that were merely two glittering sequins of mica, we should not be athirst to know her and to unite her life to ours. But we feel that what shines in those reflecting discs is not due solely to their material composition; that it is, unknown to us, the dark shadows of the ideas that the creature is conceiving, relative to the people and places that she knows — the turf of racecourses, the sand of cycling tracks over which, pedalling on past fields and woods, she would have drawn me after her, that little peri, more seductive to me than she of the Persian paradise — the shadows, too, of the home to which she will presently return, of the plans that she is forming or that others have formed for her; and above all that it is she, with her desires, her sympathies, her revulsions, her obscure and incessant will. I knew that I should never possess this young cyclist if I did not possess also what there was in her eyes. And it was consequently her whole life that filled me with desire; a sorrowful desire because I felt that it was not to be realised, but exhilarating, because what had hitherto been my life, having ceased of a sudden to be my whole life, being no more now than a little part of the space stretching out before me, which I was burning to cover and which was composed of the lives of these girls, offered me that prolongation, that possible multiplication of oneself which is happiness. And no doubt the fact that we had, these girls and I, not one habit — as we had not one idea — in common, was to make it more difficult for me to make friends with them and to please them. But perhaps, also, it was thanks to those differences, to my consciousness that there did not enter into the composition of the nature and actions of these girls a single element that I knew or possessed, that there came in place of my satiety a thirst — like that with which a dry land burns — for a life which my soul, because it had never until now received one drop of it, would absorb all the more greedily in long draughts, with a more perfect imbibition.
J′avais tant regardé cette cycliste aux yeux brillants qu′elle parut s′en apercevoir et dit à la plus grande un mot que je n′entendis pas mais qui fit rire celle-ci. A vrai dire, cette brune n′était pas celle qui me plaisait le plus, justement parce qu′elle était brune, et que (depuis le jour où dans le petit raidillon de Tansonville, j′avais vu Gilberte), une jeune fille rousse à la peau dorée était restée pour moi l′idéal inaccessible. Mais Gilberte elle-même ne l′avais-je pas aimée surtout parce qu′elle m′était apparue nimbée par cette auréole d′être l′amie de Bergotte, d′aller visiter avec lui les cathédrales. Et de la même façon ne pouvais-je me réjouir d′avoir vu cette brune me regarder (ce qui me faisait espérer qu′il me serait plus facile d′entrer en relations avec elle d′abord), car elle me présenterait aux autres, à l′impitoyable qui avait sauté par-dessus le vieillard, à la cruelle qui avait dit: «Il me fait de la peine, ce pauvre vieux»; à toutes successivement, desquelles elle avait d′ailleurs le prestige d′être l′inséparable compagne. Et cependant, la supposition que je pourrais un jour être l′ami de telle ou telle de ces jeunes filles, que ces yeux dont les regards inconnus me frappaient parfois en jouant sur moi sans le savoir comme un effet de soleil sur un mur, pourraient jamais par une alchimie miraculeuse laisser transpénétrer entre leurs parcelles ineffables l′idée de mon existence, quelque amitié pour ma personne, moi-même je pourrais un jour prendre place entre elles, dans la théorie qu′elles déroulaient le long de la mer — cette supposition me paraissait enfermer en elle une contradiction aussi insoluble, que si devant quelque frise attique ou quelque fresque figurant un cortège, j′avais cru possible, moi spectateur, de prendre place, aimé d′elles, entre les divines processionnaires. I had looked so closely at the dark cyclist with the bright eyes that she seemed to notice my attention, and said to the biggest of the girls something that I could not hear. To be honest, this dark one was not the one that pleased me most, simply because she was dark and because (since the day on which, from the little path by Tansonville, I had seen Gilberte) a girl with reddish hair and a golden skin had remained for me the inaccessible ideal. But Gilberte herself, had I not loved her principally because she had appeared to me haloed with that aureole of being the friend of Bergotte, of going with him to look at old cathedrals? And in the same way could I not rejoice at having seen this dark girl look at me (which made me hope that it would be easier for me to get to know her first), for she would introduce me to the others, to the pitiless one who had jumped over the old man′s head, to the cruel one who had said “He makes me sick, poor old man!”— to all of them in turn, among whom, moreover, she had the distinction of being their inseparable companion? And yet the supposition that I might some day be the friend of one or other of these girls, that their eyes, whose incomprehensible gaze struck me now and again, playing upon me unawares, like the play of sunlight upon a wall, might ever, by a miraculous alchemy, allow to interpenetrate among their ineffable particles the idea of my existence, some affection for my person, that I myself might some day take my place among them in the evolution of their course by the sea′s edge — that supposition appeared to me to contain within it a contradiction as insoluble as if, standing before some classical frieze or a fresco representing a procession, I had believed it possible for me, the spectator, to take my place, beloved of them, among the godlike hierophants.
Le bonheur de connaître ces jeunes filles était-il donc irréalisable? Certes ce n′eût pas été le premier de ce genre auquel j′eusse renoncé. Je n′avais qu′à me rappeler, tant d′inconnues que, même à Balbec, la voiture s′éloignant à toute vitesse m′avait fait à jamais abandonner. Et même le plaisir que me donnait la petite bande noble comme si elle était composée de vierges helléniques, venait de ce qu′elle avait quelque chose de la fuite des passantes sur la route. Cette fugacité des êtres qui ne sont pas connus de nous, qui nous forcent à démarrer de la vie habituelle où les femmes que nous fréquentons finissent par dévoiler leurs tares, nous met dans cet état de poursuite où rien n′arrête plus l′imagination. Or dépouiller d′elle nos plaisirs, c′est les réduire à eux-mêmes, à rien. Offertes chez une de ces entremetteuses que, par ailleurs, on a vu que je ne méprisais pas retirées de l′élément qui leur donnait tant de nuances et de vague, ces jeunes filles m′eussent moins enchanté. Il faut que l′imagination, éveillée par l′incertitude de pouvoir atteindre son objet, crée un but qui nous cache l′autre, et en substituant au plaisir sensuel l′idée de pénétrer dans une vie, nous empêche de reconnaître ce plaisir, d′éprouver son goût véritable, de le restreindre à sa portée. The happiness of knowing these girls was, then, not to be realised. Certainly it would not have been the first of its kind that I had renounced. I had only to recall the numberless strangers whom, even at Balbec, the carriage bowling away from them at full speed had forced me for ever to abandon. And indeed the pleasure that was given me by the little band, as noble as if it had been composed of Hellenic virgins, came from some suggestion that there was in it of the flight of passing figures along a road. This fleetingness of persons who are not known to us, who force us to put out from the harbour of life, in which the women whose society we frequent have all, in course of time, laid bare their blemishes, urges us into that state of pursuit in which there is no longer anything to arrest the imagination. But to strip our pleasures of imagination is to reduce them to their own dimensions, that is to say to nothing. Offered me by one of those procuresses (whose good offices, all the same, the reader has seen that I by no means scorned), withdrawn from the element which gave them so many fine shades and such vagueness, these girls would have enchanted me less. We must have imagination, awakened by the uncertainty of being able to attain our object, to create a goal which hides our other goal from us, and by substituting for sensual pleasures the idea of penetrating into a life prevents us from recognising that pleasure, from tasting its true savour, from restricting it to its own range.
Il faut qu′entre nous et le poisson qui si nous le voyions pour la première fois servi sur une table ne paraîtrait pas valoir les mille ruses et détours nécessaires pour nous emparer de lui, s′interpose, pendant les après-midi de pêche, le remous à la surface duquel viennent affleurer, sans que nous sachions bien ce que nous voulons en faire, le poli d′une chair, l′indécision d′une forme, dans la fluidité d′un transparent et mobile azur. There must be, between us and the fish which, if we saw it for the first time cooked and served on a table, would not appear worth the endless trouble, craft and stratagem that are necessary if we are to catch it, interposed, during our afternoons with the rod, the ripple to whose surface come wavering, without our quite knowing what we intend to do with them, the burnished gleam of flesh, the indefiniteness of a form, in the fluidity of a transparent and flowing azure.
Ces jeunes filles bénéficiaient aussi de ce changement des proportions sociales caractéristiques de la vie des bains de mer. Tous les avantages qui dans notre milieu habituel nous prolongent, nous agrandissent, se trouvent là devenus invisibles, en fait supprimés; en revanche les êtres à qui on suppose indûment de tels avantages, ne s′avancent qu′amplifiés d′une étendue postiche. Elle rendait plus aisé que des inconnues et ce jour-là ces jeunes filles, prissent à mes yeux une importance énorme, et impossible de leur faire connaître celle que je pouvais avoir. These girls benefited also by that alteration of social values characteristic of seaside life. All the advantages which, in our ordinary environment, extend and magnify our importance, we there find to have become invisible, in fact to be eliminated; while on the other hand the people whom we suppose, without reason, to enjoy similar advantages appear to us amplified to artificial dimensions. This made it easy for strange women generally, and to-day for these girls in particular, to acquire an enormous importance in my eyes, and impossible to make them aware of such importance as I might myself possess.
Mais si la promenade de la petite bande avait pour elle de n′être qu′un extrait de la fuite innombrable de passantes, laquelle m′avait toujours troublé, cette fuite était ici ramenée à un mouvement tellement lent qu′il se rapprochait de l′immobilité. Or, précisément, que dans une phase aussi peu rapide, les visages non plus emportés dans un tourbillon, mais calmes et distincts, me parussent encore beaux, cela m′empêchait de croire, comme je l′avais fait si souvent quand m′emportait la voiture de Mme de Villeparisis, que, de plus près, si je me fusse arrêté un instant, tels détails, une peau grêlée, un défaut dans les ailes du nez, un regard bênet, la grimace du sourire, une vilaine taille, eussent remplacé dans le visage et dans le corps de la femme ceux que j′avais sans doute imaginés; car il avait suffi d′une jolie ligne de corps, d′un teint frais entrevu, pour que de très bonne foi j′y eusse ajouté quelque ravissante épaule, quelque regard délicieux dont je portais toujours en moi le souvenir ou l′idée préconçue, ces déchiffrages rapides d′un être qu′on voit à la volée, nous exposant ainsi aux mêmes erreurs que ces lectures trop rapides où, sur une seule syllabe et sans prendre le temps d′identifier les autres, on met à la place du mot qui est écrit, un tout différent que nous fournit notre mémoire. Il ne pouvait en être ainsi maintenant. J′avais bien regardé leurs visages; chacun d′eux je l′avais vu, non pas dans tous ses profils, et rarement de face, mais tout de même selon deux ou trois aspects assez différents pour que je pusse faire soit la rectification, soit la vérification et la «preuve» des différentes suppositions de lignes et de couleurs que hasarde la première vue, et pour voir subsister en eux, à travers les expressions successives, quelque chose d′inaltérablement matériel. Aussi, je pouvais me dire avec certitude que, ni à Paris, ni à Balbec, dans les hypothèses les plus favorables de ce qu′auraient pu être, même si j′avais pu rester à causer avec elles, les passantes qui avaient arrêté mes yeux, il n′y en avait jamais eu dont l′apparition, puis la disparition sans que je les eusse connues, m′eussent laissé plus de regrets que ne feraient celles-ci, m′eussent donné l′idée que leur amitié pût être une telle ivresse. Ni parmi les actrices, ou les paysannes, ou les demoiselles d pensionnat religieux, je n′avais rien vu d′aussi beau, imprégné d′autant d′inconnu, aussi inestimablement précieux, aussi vraisemblablement inaccessible. Elles étaient, du bonheur inconnu et possible de la vie, un exemplaire si délicieux et en si parfait état, que c′était presque pour des raisons intellectuelles que j′étais désespéré de ne pas pouvoir faire dans des conditions uniques, ne laissant aucune place à l′erreur possible, l′expérience de ce que nous offre de plus mystérieux la beauté qu′on désire et qu′on se console de ne posséder jamais, en demandant du plaisir — comme Swann avait toujours refusé de faire, avant Odette — à des femmes qu′on n′a pas désirées, si bien qu′on meurt sans avoir jamais su ce qu′était cet autre plaisir. Sans doute, il se pouvait qu′il ne fût pas en réalité un plaisir inconnu, que de près son mystère se dissipât, qu′il ne fût qu′une projection, qu′un mirage du désir. Mais, dans ce cas, je ne pourrais m′en prendre qu′à la nécessité d′une loi de la nature — qui si elle s′appliquait à ces jeunes filles, s′appliquerait à toutes — et non à la défectuosité de l′objet. Car il était celui que j′eusse choisi entre tous, me rendant bien compte, avec une satisfaction de botaniste, qu′il n′était pas possible de trouver réunies des espèces plus rares que celles de ces jeunes fleurs qui interrompaient en ce moment devant moi la ligne du flot de leur haie légère, pareille à un bosquet de roses de Pennsylvanie, ornement d′un jardin sur la falaise, entre lesquelles tient tout le trajet de l′océan parcouru par quelque steamer, si lent à glisser sur le trait horizontal et bleu qui va d′une tige à l′autre, qu′un papillon paresseux, attardé au fond de la corolle que la coque du navire a depuis longtemps dépassée, peut pour s′envoler en étant sûr d′arriver avant le vaisseau, attendre que rien qu′une seule parcelle azurée sépare encore la proue de celui-ci de la première pétale de la fleur vers laquelle il navigue. But if there was this to be said for the excursion of the little band, that it was but an excerpt from the innumerable flight of passing women, which had always disturbed me, their flight was here reduced to a movement so slow as to approach immobility. Now, precisely because, in a phase so far from rapid, faces no longer swept past me in a whirlwind, but calm and distinct still appeared beautiful, I was prevented from thinking as I had so often thought when Mme. de Villeparisis′s carriage bore me away that, at closer quarters, if I had stopped for a moment, certain details, a pitted skin, drooping nostrils, a silly gape, a grimace of a smile, an ugly figure might have been substituted, in the face and body of the woman, for those that I had doubtless imagined; for there had sufficed a pretty outline, a glimpse of a fresh complexion, for me to add, in entire good faith, a fascinating shoulder, a delicious glance of which I carried in my mind for ever a memory or a preconceived idea, these rapid decipherings of a person whom we see in motion exposing us thus to the same errors as those too rapid readings in which, on a single syllable and without waiting to identify the rest, we base instead of the word that is in the text a wholly different word with which our memory supplies us. It could not be so with me now. I had looked well at them all; each of them I had seen, not from every angle and rarely in full face, but all the same in two or three aspects different enough to enable me to make either the correction or the verification, to take a ‘proof of the different possibilities of line and colour that are hazarded at first sight, and to see persist in them, through a series of expressions, something unalterably material. I could say to myself with conviction that neither in Paris nor at Balbec, in the most favourable hypotheses of what might have happened, even if I had been able to stop and talk to them, the passing women who had caught my eye, had there ever been one whose appearance, followed by her disappearance without my having managed to know her, had left me with more regret than would these, had given me the idea that her friendship might be a thing so intoxicating. Never, among actresses nor among peasants nor among girls from a convent school had I beheld anything so beautiful, impregnated with so much that was unknown, so inestimably precious, so apparently inaccessible. They were, of the unknown and potential happiness of life, an illustration so delicious and in so perfect a state that it was almost for intellectual reasons that I was desperate with the fear that I might not be able to make, in unique conditions which left no room for any possibility of error, proper trial of what is the most mysterious thing that is offered to us by the beauty which we desire and console ourselves for never possessing, by demanding pleasure — as Swann had always refused to do before Odette′s day — from women whom we have not desired, so that, indeed, we die without having ever known what that other pleasure was. No doubt it was possible that it was not in reality an unknown pleasure, that on a close inspection its mystery would dissipate and vanish, that it was no more than a projection, a mirage of desire. But in that case I could blame only the compulsion of a law of nature — which if it applied to these girls would apply to all — and not the imperfection of the object. For it was that which I should have chosen above all others, feeling quite certain, with a botanist′s satisfaction, that it was not possible to find collected anywhere rarer specimens than these young flowers who were interrupting at this moment before my eyes the line of the sea with their slender hedge, like a bower of Pennsylvania roses adorning a garden on the brink of a cliff, between which is contained the whole tract of ocean crossed by some steamer, so slow in gliding along the blue and horizontal line that stretches from one stem to the next that an idle butterfly, dawdling in the cup of a flower which the moving hull has long since passed, can, if it is to fly and be sure of arriving before the vessel, wait until nothing but the tiniest slice of blue still separates the questing prow from the first petal of the flower towards which it is steering.
Je rentrai parce que je devais aller dîner à Rivebelle avec Robert et que ma grand′mère exigeait qu′avant de partir, je m′étendisse ces soirs-là pendant une heure sur mon lit, sieste que le médecin de Balbec m′ordonna bientôt d′étendre à tous les autres soirs. I went indoors because I was to dine at Rivebelle with Robert, and my grandmother insisted that on those evenings, before going out, I must lie down for an hour on my bed, a rest which the Balbec doctor presently ordered me to extend to the other evenings also.
D′ailleurs, il n′y avait même pas besoin pour rentrer de quitter la digue et de pénétrer dans l′hôtel par le hall, c′est-à-dire par derrière. En vertu d′une avance comparable à celle du samedi où à Combray on déjeunait une heure plus tôt, maintenant avec le plein de l′été les jours étaient devenus si longs que le soleil était encore haut dans le ciel, comme à une heure de goûter, quand on mettait le couvert pour le dîner au Grand-Hôtel de Balbec. Aussi les grandes fenêtres vitrées et à coulisses, restaient-elles ouvertes de plain-pied avec la digue. Je n′avais qu′à enjamber un mince cadre de bois pour me trouver dans la salle à manger que je quittais aussitôt pour prendre l′ascenseur. However, there was no need, when one went indoors, to leave the ‘front′ and to enter the hotel by the hall, that is to say from behind. By virtue of an alteration of the clock which reminded me of those Saturdays when, at Combray, we used to have luncheon an hour earlier, now with summer at the full the days had become so long that the sun was still high in the heavens, as though it were only tea-time, when the tables were being laid for dinner in the Grand Hotel. And so the great sliding windows were kept open from the ground. I had but to step across a low wooden sill to find myself in the dining-room, through which I walked and straight across to the lift.
En passant devant le bureau j′adressai un sourire au directeur et sans l′ombre de dégoût, en recueillis un dans sa figure que, depuis que j′étais à Balbec, mon attention compréhensive injectait et transformait peu à peu comme une préparation d′histoire naturelle. Ses traits m′étaient devenus courants, chargés d′un sens médiocre, mais intelligible comme une écriture qu′on lit et ne ressemblaient plus en rien à ces caractères bizarres, intolérables que son visage m′avait présentés ce premier jour où j′avais vu devant moi un personnage maintenant oublié, ou si je parvenais à l′évoquer méconnaissable, difficile à identifier avec la personnalité insignifiante et polie dont il n′était que la caricature, hideuse et sommaire. Sans la timidité ni la tristesse du soir de mon arrivée, je sonnai le lift qui ne restait plus silencieux pendant que je m′élevais à côté de lui dans l′ascenseur, comme dans une cage thoracique mobile qui se fût déplacée le long de la colonne montante, mais me répétait: As I passed the office I addressed a smile to the manager, and with no shudder of disgust gathered one for myself from his face which, since I had been at Balbec, my comprehensive study of it was injecting and transforming, little by little, like a natural history preparation. His features had become familiar to me, charged with a meaning that was of no importance but still intelligible, like a script which one can read, and had ceased in any way to resemble these queer, intolerable characters which his face had presented to me on that first day, when I had seen before me a personage now forgotten, or, if I succeeded in recalling him, unrecognisable, difficult to identify with this insignificant and polite personality of which the other was but a caricature, a hideous and rapid sketch. Without either the shyness or the sadness of the evening of my arrival I rang for the attendant, who no longer stood in silence while I rose by his side in the lift as in a mobile thoracic cage propelled upwards along its ascending pillar, but repeated:
«Il n′y a plus autant de monde comme il y a un mois. On va commencer à s′en aller, les jours baissent.» Il disait cela, non que ce fût vrai, mais parce qu′ayant un engagement pour une partie plus chaude de la côte, il aurait voulu que nous partîmes tous le plus tôt possible afin que l′hôtel fermât et qu′il eût quelques jours à lui, avant de «rentrer» dans sa nouvelle place. Rentrer et «nouvelle» n′étaient du reste pas des expressions contradictoires car, pour le lift, «rentrer» était la forme usuelle du verbe entier. La seule chose qui m′étonnât était qu′il condescendît à dire «place», car il appartenait à ce prolétariat moderne qui désire effacer dans le langage la trace du régime de la domesticité. Du reste, au bout d′un instant, il m′apprit que dans la «situation» où il allait «rentrer», il aurait une plus jolie «tunique» et un meilleur «traitement»; les mots «livrée» et «gages» lui paraissaient désuets et inconvenants. Et comme par une contradiction absurde, le vocabulaire a, malgré tout, chez les «patrons», survécu à la conception de l′inégalité, je comprenais toujours mal ce que me disait le lift. Ainsi la seule chose qui m′intéressât était de savoir si ma grand′mère était à l′hôtel. Or, prévenant mes questions, le lift me disait: «Cette dame vient de sortir de chez vous.» J′y étais toujours pris, je croyais que c′était ma grand-mère. «Non, cette dame qui est je crois employée chez vous.» Comme dans l′ancien langage bourgeois, qui devrait bien être aboli, une cuisinière ne s′appelle pas une employée, je pensais un instant: «Mais il se trompe nous ne possédons ni usine, ni employés.» Tout d′un coup, je me rappelais que le nom d′employé est comme le port de la moustache pour les garçons de café, une satisfaction d′amour-propre donnée aux domestiques et que cette dame qui venait de sortir était Françoise (probablement en visite à la caféterie ou en train de regarder coudre la femme de chambre de la dame belge), satisfaction qui ne suffisait pas encore au lift car il disait volontiers en s′apitoyant sur sa propre classe «chez l′ouvrier ou chez le petit» se servant du même singulier que Racine quand il dit: «le pauvre . . . ». Mais d′habitude, car mon zèle et ma timidité du premier jour étaient loin, je ne parlais plus au lift. C′était lui maintenant qui restait sans recevoir de réponses dans la courte traversée dont il filait les nuds à travers l′hôtel, évidé comme un jouet et qui déployait autour de nous, étage par étage, ses ramifications de couloirs dans les profondeurs desquels la lumière se veloutait, se dégradait, amincissait les portes de communication ou les degrés des escaliers intérieurs qu′elle convertissait en cette ambre dorée, inconsistante et mystérieuse comme un crépuscule, où Rembrandt découpe tantôt l′appui d′une fenêtre ou la manivelle d′un puits. Et à chaque étage une lueur d′or reflétée sur le tapis annonçait le coucher du soleil et la fenêtre des cabinets. “There aren′t the people now there were a month back. They′re beginning to go now; the days are drawing in.” He said this not because there was any truth in it but because, having an engagement, presently, for a warmer part of the coast, he would have liked us all to leave, so that the hotel could be shut up and he have a few days to himself before ‘rejoining′ in his new place. ‘Rejoin′ and ‘new′ were not, by the way, incompatible terms, since, for the lift-boy,‘rejoin′ was the usual form of the verb ‘to join.′ The only thing that surprised me was that he condescended to say ‘place,′ for he belonged to that modern proletariat which seeks to efface from our language every trace of the rule of domesticity. A moment later, however, he informed me that in the ‘situation′ which he was about to ‘rejoin,′ he would have a smarter ‘tunic′ and a better ‘salary,′ the words ‘livery′ and ‘wages′ sounding to him obsolete and unseemly. And as, by an absurd contradiction, the vocabulary has, through thick and thin, among us ‘masters,′ survived the conception of inequality, I was always failing to understand what the lift-boy said. For instance, the only thing that interested me was to know whether my grandmother was in the hotel. Now, forestalling my questions, the lift-boy would say to me: “That lady has just gone out from your rooms.” I was invariably taken in; I supposed that he meant my grandmother. “No, that lady; I think she′s an employee of yours.” As in the old speech of the middle classes, which ought really to be done away with, a cook is not called an employee, I thought for a moment: “But he must be mistaken. We don′t own a factory; we haven′t any employees.” Suddenly I remembered that the title of ‘employee′ is, like the wearing of a moustache among waiters, a sop to their self-esteem given to servants, and realised that this lady who had just gone out must be Françoise (probably on a visit to the coffee-maker, or to watch the Belgian lady′s little maid at her sewing), though even this sop did not satisfy the lift-boy, for he would say quite naturally, speaking pityingly of his own class, ‘with the working man′ or ‘the small person,′ using the same singular form as Racine when he speaks of ‘the poor.′ But as a rule, for my zeal and timidity of the first evening were now things of the past, I no longer spoke to the lift-boy. It was he now who stood there and received no answer during the short journey on which he threaded his way through the hotel, hollowed out inside like a toy, which extended round about us, floor by floor, the ramifications of its corridors in the depths of which the light grew velvety, lost its tone, diminished the communicating doors, the steps of the service stairs which it transformed into that amber haze, unsubstantial and mysterious as a twilight, in which Rembrandt picks out here and there a window-sill or a well-head. And on each landing a golden light reflected from the carpet indicated the setting sun and the lavatory window.
Je me demandais si les jeunes filles que je venais de voir habitaient Balbec et qui elles pouvaient être. Quand le désir est ainsi orienté vers une petite tribu humaine qu′il sélectionne, tout ce qui peut se rattacher à elle devient motif d′émotion, puis de rêverie. J′avais entendu une dame dire sur la digue: «C′est une amie de la petite Simonet» avec l′air de précision avantageuse de quelqu′un qui explique: «C′est le camarade inséparable du petit La Rochefoucauld.» Et aussitôt on avait senti sur la figure de la personne à qui on apprenait cela une curiosité de mieux regarder la personne favorisée qui était «amie de la petite Simonet». Un privilège assurément qui ne paraissait pas donné à tout le monde. Car l′aristocratie est une chose relative. Et il y a des petits trous pas cher où le fils d′un marchand de meubles est prince des élégances et règne sur une cour comme un jeune prince de Galles. J′ai souvent cherché depuis à me rappeler comment avait résonné pour moi sur la plage, ce nom de Simonet, encore incertain alors dans sa forme que j′avais mal distinguée, et aussi quant à sa signification, à la désignation par lui de telle personne, ou peut-être de telle autre; en somme empreint de ce vague et de cette nouveauté si émouvants pour nous dans la suite, quand ce nom dont les lettres sont à chaque seconde plus profondément gravées en nous par notre attention incessante, est devenu (ce qui ne devait arriver pour moi, à l′égard de la petite Simonet, que quelques années plus tard) le premier vocable que nous retrouvions, soit au moment du réveil, soit après un évanouissement, même avant la notion de l′heure qu′il est, du lieu où nous sommes, presque avant le mot «je», comme si l′être qu′il nomme était plus nous que nous-même, et si après quelques moments d′inconscience, la trêve qui expire avant toute autre, est celle pendant laquelle on ne pensait pas à lui. Je ne sais pourquoi je me dis dès le premier jour que le nom de Simonet devait être celui d′une des jeunes filles, je ne cessai plus de me demander comment je pourrais connaître la famille Simonet; et cela par des gens qu′elle jugeât supérieurs à elle-même ce qui ne devait pas être difficile si ce n′étaient que de petites grues du peuple, pour qu′elle ne pût avoir une idée dédaigneuse de moi. Car on ne peut avoir de connaissance parfaite, on ne peut pratiquer l′absorption complète de qui vous dédaigne, tant qu′on n′a pas vaincu ce dédain. Or, chaque fois que l′image de femmes si différentes pénètre en nous, à moins que l′oubli ou la concurrence d′autres images ne l′élimine, nous n′avons de repos que nous n′ayons converti ces étrangères en quelque chose qui soit pareil à nous, notre âme étant à cet égard douée du même genre de réaction et d′activité que notre organisme physique, lequel ne peut tolérer l′immixtion dans son sein d′un corps étranger sans qu′il s′exerce aussitôt à digérer et assimiler l′intrus, la petite Simonet devait être la plus jolie de toutes — celle, d′ailleurs, qui, me semblait-il, aurait pu devenir ma maîtresse, car elle était la seule qui à deux ou trois reprises détournant à demi la tête, avait paru prendre conscience de mon fixe regard. Je demandai au lift s′il ne connaissait pas à Balbec, des Simonet. N′aimant pas à dire qu′il ignorait quelque chose, il répondit qu′il lui semblait avoir entendu causer de ce nom-là. Arrivé au dernier étage, je le priai de me faire apporter les dernières listes d′étrangers. I asked myself whether the girls I had just seen lived at Balbec, and who they could be. When our desire is thus concentrated upon a little tribe of humanity which it singles out from the rest, everything that can be associated with that tribe becomes a spring of emotion and then of reflexion. I had heard a lady say on the ‘front′: “She is a friend of the little Simonet girl” with that self-important air of inside knowledge, as who should say: “He is the inseparable companion of young La Rochefoucauld.” And immediately she had detected on the face of the person to whom she gave this information a curiosity to see more of the favoured person who was ‘a friend of the little Simonet.′ A privilege, obviously, that did not appear to be granted to all the world. For aristocracy is a relative state. And there are plenty of inexpensive little holes and corners where the son of an upholsterer is the arbiter of fashion and reigns over a court like any young Prince of Wales. I have often since then sought to recall how it first sounded for me there on the beach, that name of Simonet, still quite indefinite as to its form, which I had failed to distinguish, and also as to its significance, to the designation by it of such and such a person, or perhaps of some one else; imprinted, in fact, with that vagueness, that novelty which we find so moving in the sequel, when the name whose letters are every moment engraved more deeply on our hearts by our incessant thought of them has become (though this was not to happen to me with the name of the ‘little Simonet′ until several years had passed) the first coherent sound that comes to our lips, whether on waking from sleep or on recovering from a swoon, even before the idea of what o′clock it is or of where we are, almost before the word ‘I,′ as though the person whom it names were more ‘we′ even than we ourselves, and as though after a brief spell of unconsciousness the phase that is the first of all to dissolve is that in which we were not thinking of her. I do not know why I said to myself from the first that the name Simonet must be that of one of the band of girls; from that moment I never ceased to ask myself how I could get to know the Simonet family, get to know them, moreover, through people whom they considered superior to themselves (which ought not to be difficult if the girls were only common little ‘bounders′) so that they might not form a disdainful idea of me. For one cannot have a perfect knowledge, one cannot effect the complete absorption of a person who disdains one, so long as one has not overcome her disdain. And since, whenever the idea of women who are so different from us penetrates our senses, unless we are able to forget it or the competition of other ideas eliminates it, we know no rest until we have converted those aliens into something that is compatible with ourself, our heart being in this respect endowed with the same kind of reaction and activity as our physical organism, which cannot abide the infusion of any foreign body into its veins without at once striving to digest and assimilate it: the little Simonet must be the prettiest of them all — she who, I felt moreover, might yet become my mistress, for she was the only one who, two or three times half-turning her head, had appeared to take cognisance of my fixed stare. I asked the lift-boy whether he knew of any people at Balbec called Simonet. Not liking to admit that there was anything which he did not know, he replied that he seemed to have heard the name somewhere. As we reached the highest landing I told him to have the latest lists of visitors sent up to me.
Je sortis de l′ascenseur, mais au lieu d′aller vers ma chambre je m′engageai plus avant dans le couloir, car à cette heure-là le valet de chambre de l′étage, quoiqu′il craignît les courants d′air, avait ouvert la fenêtre du bout, laquelle regardait, au lieu de la mer, le côté de la colline et de la vallée, mais ne les laissait jamais voir, car ses vitres, d′un verre opaque, étaient le plus souvent fermées. Je m′arrêtai devant elle en une courte station et le temps de faire mes dévotions à la «vue» que pour une fois elle découvrait au delà de la colline à laquelle était adossé l′hôtel et qui ne contenait qu′une maison posée à quelque distance mais à laquelle la perspective et la lumière du soir en lui conservant son volume donnait une ciselure précieuse et un écrin de velours comme à une de ces architectures en miniature, petit temple ou petite chapelle d′orfèvrerie et d′émaux qui servent de reliquaires et qu′on n′expose qu′à de rares jours à la vénération des fidèles. Mais cet instant d′adoration avait déjà trop duré, car le valet de chambre qui tenait d′une main un trousseau de clefs et de l′autre me saluait en touchant sa calotte de sacristain, mais sans la soulever à cause de l′air pur et frais du soir, venait refermer comme ceux d′une châsse les deux battants de la croisée et dérobait à mon adoration le monument réduit et la relique d′or. J′entrai dans ma chambre. Au fur et à mesure que la saison s′avança, changea le tableau que j′y trouvais dans la fenêtre. D′abord il faisait grand jour, et sombre seulement s′il faisait mauvais temps; alors, dans le verre glauque et qu′elle boursoufflait de ses vagues rondes, la mer, sertie entre les montants de fer de ma croisée comme dans les plombs d′un vitrail, effilochait sur toute la profonde bordure rocheuse de la baie des triangles empennés d′une immobile écume linéamentée avec la délicatesse d′une plume ou d′un duvet dessinés par Pisanello, et fixés par cet émail blanc, inaltérable et crémeux qui figure une couche de neige dans les verreries de Gallé. I stepped out of the lift, but instead of going to my room I made my way farther along the corridor, for before my arrival the valet in charge of the landing, despite his horror of draughts, had opened the window at the end, which instead of looking out to the sea faced the hill and valley inland, but never allowed them to be seen, for its panes, which were made of clouded glass, were generally closed. I made a short ‘station′ in front of it, time enough just to pay my devotions to the view which for once it revealed over the hill against which the back of the hotel rested, a view that contained but a solitary house, planted in the middle distance, though the perspective and the evening light in which I saw it, while preserving its mass, gave it a sculptural beauty and a velvet background, as though to one of those architectural works in miniature, tiny temples or chapels wrought in gold and enamels, which serve as reliquaries and are exposed only on rare and solemn days for the veneration of the faithful. But this moment of adoration had already lasted too long, for the valet, who carried in one hand a bunch of keys and with the other saluted me by touching his verger′s skull-cap, though without raising it, on account of the pure, cool evening air, came and drew together, like those of a shrine, the two sides of the window, and so shut off the minute edifice, the glistening relic from my adoring gaze. I went into my room. Regularly, as the season advanced, the picture that I found there in my window changed. At first it was broad daylight, and dark only if the weather was bad: and then, in the greenish glass which it distended with the curve of its round waves, the sea, set among the iron uprights of my window like a piece of stained glass in its leads, ravelled out over all the deep rocky border of the bay little plumed triangles of an unmoving spray delineated with the delicacy of a feather or a downy breast from Pisanello′s pencil, and fixed in that white, unalterable, creamy enamel which is used to depict fallen snow in Gallé‘s glass.
Bientôt les jours diminuèrent et au moment où j′entrais dans la chambre, le ciel violet semblait stigmatisé par la figure raide, géométrique, passagère et fulgurante du soleil (pareille à la représentation de quelque signe miraculeux, de quelque apparition mystique), s′inclinait vers la mer sur la charnière de l′horizon comme un tableau religieux au-dessus du maître-autel, tandis que les parties différentes du couchant exposées dans les glaces des bibliothèques basses en acajou qui couraient le long des murs et que je rapportais par la pensée à la merveilleuse peinture dont elles étaient détachées, semblaient comme ces scènes différentes que quelque maître ancien exécuta jadis pour une confrérie sur une châsse et dont on exhibe à côté les uns des autres dans une salle de musée les volets séparés que l′imagination seule du visiteur remet à leur place sur les prédelles du retable. Quelques semaines plus tard, quand je remontais, le soleil était déjà couché. Pareille à celle que je voyais à Combray au-dessus du Calvaire à mes retours de promenade et quand je m′apprêtais à descendre avant le dîner à la cuisine, une bande de ciel rouge au-dessus de la mer compacte et coupante comme de la gelée de viande, puis bientôt sur la mer déjà froide et bleue comme le poisson appelé mulet, le ciel du même rose qu′un de ces saumons que nous nous ferions servir tout à l′heure à Rivebelle ravivaient le plaisir que j′allais avoir à me mettre en habit pour partir dîner. Sur la mer, tout près du rivage, essayaient de s′élever, les unes par-dessus les autres, à étages de plus en plus larges, des vapeurs d′un noir de suie mais aussi d′un poli, d′une consistance d′agate, d′une pesanteur visible, si bien que les plus élevées penchant au-dessus de la tige déformée et jusqu′en dehors du centre de gravité de celles qui les avaient soutenues jusqu′ici, semblaient sur le point d′entraîner cet échafaudage déjà à demi-hauteur du ciel et de le précipiter dans la mer. La vue d′un vaisseau qui s′éloignait comme un voyageur de nuit me donnait cette même impression que j′avais eue en wagon, d′être affranchi des nécessités du sommeil et de la claustration dans une chambre. D′ailleurs je ne me sentais pas emprisonné dans celle où j′étais puisque dans une heure j′allais la quitter pour monter en voiture. Je me jetais sur mon lit; et, comme si j′avais été sur la couchette d′un des bateaux que je voyais assez près de moi et que la nuit on s′étonnerait de voir se déplacer lentement dans l′obscurité, comme des cygnes assombris et silencieux mais qui ne dorment pas, j′étais de tous côtés entouré des images de la mer. Presently the days grew shorter and at the moment when I entered my room the violet sky seemed branded with the stiff, geometrical, travelling, effulgent figure of the sun (like the representation of some miraculous sign, of some mystical apparition) leaning over the sea from the hinge of the horizon as a sacred picture leans over a high altar, while the different parts of the western sky exposed in the glass fronts of the low mahogany bookcases that ran along the walls, which I carried back in my mind to the marvellous painting from which they had been detached, seemed like those different scenes which some old master executed long ago for a confraternity upon a shrine, whose separate panels are now exhibited side by side upon the wall of a museum gallery, so that the visitor′s imagination alone can restore them to their place on the predella of the reredos. A few weeks later, when I went upstairs, the sun had already set. Like the one that I used to see at Combray, behind the Calvary, when I was coming home from a walk and looking forward to going down to the kitchen before dinner, a band of red sky over the sea, compact and clear-cut as a layer of aspic over meat, then, a little later, over a sea already cold and blue like a grey mullet, a sky of the same pink as the salmon that we should presently be ordering at Rivebelle reawakened the pleasure which I was to derive from the act of dressing to go out to dinner. Over the sea, quite near the shore, were trying to rise, one beyond another, at wider and wider intervals, vapours of a pitchy blackness but also of the polish and consistency of agate, of a visible weight, so much so that the highest among them, poised at the end of their contorted stem and overreaching the centre of gravity of the pile that had hitherto supported them, seemed on the point of bringing down in ruin this lofty structure already half the height of the sky, and of precipitating it into the sea. The sight of a ship that was moving away like a nocturnal traveller gave me the same impression that I had had in the train of being set free from the necessity of sleep and from confinement in a bedroom. Not that I felt myself a prisoner in the room in which I now was, since in another hour I should have left it and be getting into the carriage. I threw myself down on the bed; and, just as if I had been lying in a berth on board one of those steamers which I could see quite near to me and which, when night came, it would be strange to see stealing slowly out into the darkness, like shadowy and silent but unsleeping swans, I was on all sides surrounded by pictures of the sea.
Mais bien souvent ce n′était, en effet, que des images; j′oubliais que sous leur couleur se creusait le triste vide de la plage, parcouru par le vent inquiet du soir, que j′avais si anxieusement ressenti à mon arrivée à Balbec; d′ailleurs, même dans ma chambre, tout occupé des jeunes filles que j′avais vu passer, je n′étais plus dans des dispositions assez calmes ni assez désintéressées pour que pussent se produire en moi des impressions vraiment profondes de beauté. L′attente du dîner à Rivebelle rendait mon humeur plus frivole encore et ma pensée, habitant à ces moments-là la surface de mon corps que j′allais habiller pour tâcher de paraître le plus plaisant possible aux regards féminins qui me dévisageraient dans le restaurant illuminé, était incapable de mettre de la profondeur derrière la couleur des choses. Et si, sous ma fenêtre, le vol inlassable et doux des martinets et des hirondelles n′avait pas monté comme un jet d′eau, comme un feu d′artifice de vie, unissant l′intervalle de ses hautes fusées par la filée immobile et blanche de longs sillages horizontaux, sans le miracle charmant de ce phénomène naturel et local qui rattachait à la réalité les paysages que j′avais devant les yeux, j′aurais pu croire qu′ils n′étaient qu′un choix, chaque jour renouvelé, de peintures qu′on montrait arbitrairement dans l′endroit où je me trouvais et sans qu′elles eussent de rapport nécessaire avec lui. Une fois c′était une exposition d′estampes japonaises: à côté de la mince découpure de soleil rouge et rond comme la lune, un nuage jaune paraissait un lac contre lequel des glaives noirs se profilaient ainsi que les arbres de sa rive, une barre d′un rose tendre que je n′avais jamais revu depuis ma première boîte de couleurs s′enflait comme un fleuve sur les deux rives duquel des bateaux semblaient attendre à sec qu′on vînt les tirer pour les mettre à flot. Et avec le regard dédaigneux, ennuyé et frivole d′un amateur ou d′une femme parcourant, entre deux visites mondaines, une galerie, je me disais: «C′est curieux ce coucher de soleil, c′est différent, mais enfin j′en ai déjà vu d′aussi délicats, d′aussi étonnants que celui-ci.» J′avais plus de plaisir les soirs où un navire absorbé et fluidifié par l′horizon tellement de la même couleur que lui, ainsi que dans une toile apparaissait impressionniste, qu′il semblait aussi de la même matière, comme si on n′eût fait que découper son avant, et les cordages en lesquels elle s′était amincie et filigranée dans le bleu vaporeux du ciel. Parfois l′océan emplissait presque toute ma fenêtre, surélevée qu′elle était par une bande de ciel bordée en haut seulement d′une ligne qui était du même bleu que celui de la mer, mais qu′à cause de cela je croyais être la mer encore et ne devant sa couleur différente qu′à un effet d′éclairage. Un autre jour la mer n′était peinte que dans la partie basse de la fenêtre dont tout le reste était rempli de tant de nuages poussés les uns contre les autres par bandes horizontales, que les carreaux avaient l′air par une préméditation ou une spécialité de l′artiste, de présenter une «étude de nuages», cependant que les différentes vitrines de la bibliothèque montrant des nuages semblables mais dans une autre partie de l′horizon et diversement colorés par la lumière, paraissaient offrir comme la répétition, chère à certains maîtres contemporains, d′un seul et même effet, pris toujours à des heures différentes mais qui maintenant avec l′immobilité de l′art pouvaient être tous vus ensemble dans une même pièce, exécutés au pastel et mis sous verre. Et parfois sur le ciel et la mer uniformément gris, un peu de rose s′ajoutait avec un raffinement exquis, cependant qu′un petit papillon qui s′était endormi au bas de la fenêtre semblait apposer avec ses ailes au bas de cette «harmonie gris et rose» dans le goût de celles de Whistler, la signature favorite du maître de Chesca. Le rose même disparaissait, il n′y avait plus rien à regarder. Je me mettais debout un instant et avant de m′étendre de nouveau je fermais les grands rideaux. Au-dessus d′eux, je voyais de mon lit la raie de clarté qui y restait encore, s′assombrissant, s′amincissant progressivement, mais c′est sans m′attrister et sans lui donner de regret que je laissais ainsi mourir au haut des rideaux l′heure où d′habitude j′étais à table, car je savais que ce jour-ci était d′une autre sorte que les autres, plus long comme ceux du pôle que la nuit interrompt seulement quelques minutes; je savais que de la chrysalide de ce crépuscule se préparait à sortir, par une radieuse métamorphose, la lumière éclatante du restaurant de Rivebelle. Je me disais: «Il est temps»; je m′étirais, sur le lit, je me levais, j′achevais ma toilette; et je trouvais du charme à ces instants inutiles, allégés de tout fardeau matériel, où tandis qu′en bas les autres dînaient, je n′employais les forces accumulées pendant l′inactivité de cette fin de journée qu′à sécher mon corps, à passer un smoking, à attacher ma cravate, à faire tous ces gestes que guidait déjà le plaisir attendu de revoir cette femme que j′avais remarquée la dernière fois à Rivebelle, qui avait paru me regarder, n′était peut-être sortie un instant de table que dans l′espoir que je la suivrais; c′est avec joie que j′ajoutais à moi tous ces appâts pour me donner entier et dispos à une vie nouvelle, libre, sans souci, où j′appuierais mes hésitations au calme de Saint-Loup et choisirais entre les espèces de l′histoire naturelle et les provenances de tous les pays, celles qui, composant les plats inusités, aussitôt commandés par mon ami, auraient tenté ma gourmandise ou mon imagination. But as often as not they were, indeed, only pictures; I forgot that below their coloured expanse was hollowed the sad desolation of the beach, travelled by the restless evening breeze whose breath I had so anxiously felt on my arrival at Balbec; besides, even in my room, being wholly taken up with thoughts of the girls whom I had seen go past, I was no longer in a state of mind calm or disinterested enough to allow the formation of any really deep impression of beauty. The anticipation of dinner at Rivebelle made my mood more frivolous still, and my mind, dwelling at such moments upon the surface of the body which I was going to dress up so as to try to appear as pleasing as possible in the feminine eyes which would be scrutinising me in the brilliantly lighted restaurant, was incapable of putting any depth behind the colour of things. And if, beneath my window, the unwearying, gentle flight of sea-martins and swallows had not arisen like a playing fountain, like living fireworks, joining the intervals between their soaring rockets with the motionless white streaming lines of long horizontal wakes of foam, without the charming miracle of this natural and local phenomenon, which brought into touch with reality the scenes that I had before my eyes, I might easily have believed that they were no more than a selection, made afresh every day, of paintings which were shewn quite arbitrarily in the place in which I happened to be and without having any necessary connexion with that place. At one time it was an exhibition of Japanese colour-prints: beside the neat disc of sun, red and round as the moon, a yellow cloud seemed a lake against which black swords were outlined like the trees upon its shore; a bar of a tender pink which I had never seen again after my first paint-box swelled out into a river on either bank of which boats seemed to be waiting high and dry for some one to push them down and set them afloat. And with the contemptuous, bored, frivolous glance of an amateur or a woman hurrying through a picture gallery between two social engagements, I would say to myself: “Curious sunset, this; it′s different from what they usually are but after all I′ve seen them just as fine, just as remarkable as this.” I had more pleasure on evenings when a ship, absorbed and liquefied by the horizon so much the same in colour as herself (an Impressionist exhibition this time) that it seemed to be also of the same matter, appeared as if some one had simply cut out with a pair of scissors her bows and the rigging in which she tapered into a slender filigree from the vaporous blue of the sky. Sometimes the ocean filled almost the whole of my window, when it was enlarged and prolonged by a band of sky edged at the top only by a line that was of the same blue as the sea, so that I supposed it all to be still sea, and the change in colour due only to some effect of light and shade. Another day the sea was painted only in the lower part of the window, all the rest of which was so filled with innumerable clouds, packed one against another in horizontal bands, that its panes seemed to be intended, for some special purpose or to illustrate a special talent of the artist, to present a ‘Cloud Study,′ while the fronts of the various bookcases shewing similar clouds but in another part of the horizon and differently coloured by the light, appeared to be offering as it were the repetition — of which certain of our contemporaries are so fond — of one and the same effect always observed at different hours but able now in the immobility of art to be seen all together in a single room, drawn in pastel and mounted under glass. And sometimes to a sky and sea uniformly grey a rosy touch would be added with an exquisite delicacy, while a little butterfly that had gone to sleep at the foot of the window seemed to be attaching with its wings at the corner of this ‘Harmony in Grey and Pink′ in the Whistler manner the favourite signature of the Chelsea master. The pink vanished; there was nothing now left to look at. I rose for a moment and before lying down again drew close the inner curtains. Above them I could see from my bed the ray of light that still remained, growing steadily fainter and thinner, but it was without any feeling of sadness, without any regret for its passing that I thus allowed to die above the curtains the hour at which, as a rule, I was seated at table, for I knew that this day was of another kind than ordinary days, longer, like those arctic days which night interrupts for a few minutes only; I knew that from the chrysalis of the dusk was preparing to emerge, by a radiant metamorphosis, the dazzling light of the Rivebelle restaurant. I said to myself: “It is time”; I stretched myself on the bed, and rose, and finished dressing; and I found a charm in these idle moments, lightened of every material burden, in which while down below the others were dining I was employing the forces accumulated during the inactivity of this last hour of the day only in drying my washed body, in putting on a dinner jacket, in tying my tie, in making all those gestures which were already dictated by the anticipated pleasure of seeing again some woman whom I had noticed, last time, at Rivebelle, who had seemed to be watching me, had perhaps left the table for a moment only in the hope that I would follow her; it was with joy that I enriched myself with all these attractions so as to give myself, whole, alert, willing, to a new life, free, without cares, in which I would lean my hesitations upon the calm strength of Saint-Loup, and would choose from among the different species of animated nature and the produce of every land those which, composing the unfamiliar dishes that my companion would at once order, might have tempted my appetite or my imagination.
Et tout à la fin, les jours vinrent où je ne pouvais plus rentrer de la digue par la salle à manger, ses vitres n′étaient plus ouvertes, car il faisait nuit dehors, et l′essaim des pauvres et des curieux attirés par le flamboiement qu′ils ne pouvaient atteindre pendait, en noires grappes morfondues par la bise, aux parois lumineuses et glissantes de la ruche de verre. And then at the end of the season came the days when I could no longer pass indoors from the ‘front′ through the dining-room; its windows stood open no more, for it was night now outside and the swarm of poor folk and curious idlers, attracted by the blaze of light which they might not reach, hung in black clusters chilled by the north wind to the luminous sliding walls of that buzzing hive of glass.
On frappa; c′était Aimé qui avait tenu à m′apporter lui-même les dernières listes d′étrangers. There was a knock at my door; it was Aimé who had come upstairs in person with the latest lists of visitors.
Aimé, avant de se retirer, tint à me dire que Dreyfus était mille fois coupable. «On saura tout, me dit-il, pas cette année, mais l′année prochaine: c′est un monsieur très lié dans l′état-major qui me l′a dit. Je lui demandais si on ne se déciderait pas à tout découvrir tout de suite avant la fin de l′année. Il a posé sa cigarette, continua Aimé en mimant la scène et en secouant la tête et l′index comme avait fait son client voulant dire: il ne faut pas être trop exigeant. «Pas cette année, Aimé, qu′il m′a dit en me touchant à l′épaule, ce n′est pas possible. Mais à Pâques, oui!» Et Aimé me frappa légèrement sur l′épaule en me disant: «Vous voyez je vous montre exactement comme il a fait», soit qu′il fût flatté de cette familiarité d′un grand personnage, soit pour que je pusse mieux apprécier en pleine connaissance de cause la valeur de l′argument et nos raisons d′espérer. Aimé could not go away without telling me that Dreyfus was guilty a thousand times over. “It will all come out,” he assured me, “not this year, but next. It was a gentleman who′s very thick with the General Staff, told me. I asked him if they wouldn′t decide to bring it all to light at once, before the year is out. He laid down his cigarette,” Aimé went on, acting the scene for my benefit, and, shaking his head and his forefinger as his informant had done, as much as to say: “We mustn′t expect too much!”—”‘Not this year, Aimé,′ those were his very words, putting his hand on my shoulder, ‘It isn′t possible. But next Easter, yes!′” And Aimé tapped me gently on my shoulder, saying, “You see, I′m letting you have it exactly as he told me,” whether because he was flattered at this act of familiarity by a distinguished person or so that I might better appreciate, with a full knowledge of the facts, the worth of the arguments and our grounds for hope.
Ce ne fut pas sans un léger choc au cur qu′à la première page de la liste des étrangers, j′aperçus les mots: «Simonet et sa famille». J′avais en moi de vieilles rêveries qui dataient de mon enfance et où toute la tendresse qui était dans mon cur, mais qui éprouvée par lui ne s′en distinguait pas, m′était apportée par un être aussi différent que possible de moi. Cet être, une fois de plus je le fabriquais en utilisant pour cela le nom de Simonet et le souvenir de l′harmonie qui régnait entre les jeunes corps que j′avais vus se déployer sur la plage, en une procession sportive, digne de l′antique et de Giotto. Je ne savais pas laquelle de ces jeunes filles était Mlle Simonet, si aucune d′elles s′appelait ainsi, mais je savais que j′étais aimé de Mlle Simonet et que j′allais grâce à Saint-Loup essayer de la connaître. Malheureusement n′ayant obtenu qu′à cette condition une prolongation de congé, il était obligé de retourner tous les jours à Doncières; mais, pour le faire manquer à ses obligations militaires, j′avais cru pouvoir compter, plus encore que pour son amitié pour moi, sur cette même curiosité de naturaliste humain que si souvent, — même sans avoir vu la personne dont on parlait et rien qu′à entendre dire qu′il y avait une jolie caissière chez un fruitier, — j′avais eue de faire connaissance avec une nouvelle variété de la beauté féminine. Or, cette curiosité, c′est à tort que j′avais espéré l′exciter chez Saint-Loup en lui parlant de mes jeunes filles. Car elle était pour longtemps paralysée en lui par l′amour qu′il avait pour cette actrice dont il était l′amant. Et même l′eût-il légèrement ressentie qu′il l′eût réprimée, à cause d′une sorte de croyance superstitieuse que de sa propre fidélité pouvait dépendre celle de sa maîtresse. Aussi fût-ce sans qu′il m′eût promis de s′occuper activement de mes jeunes filles que nous partîmes dîner à Rivebelle. It was not without a slight throb of the heart that on the first page of the list I caught sight of the words ‘Simonet and family.′ I had in me a store of old dream-memories which dated from my childhood, and in which all the tenderness (tenderness that existed in my heart, but, when my heart felt it, was not distinguishable from anything else) was wafted to me by a person as different as possible from myself. This person, once again I fashioned her, utilising for the purpose the name Simonet and the memory of the harmony that had reigned between the young bodies which I had seen displaying themselves on the beach, in a sportive procession worthy of Greek art or of Giotto. I knew not which of these girls was Mlle. Simonet, if indeed any of them were so named, but I did know that I was loved by Mlle. Simonet and that I was going, with Saint-Loup′s help, to attempt to know her. Unfortunately, having on that condition only obtained an extension of his leave, he was obliged to report for duty every day at Doncières: but to make him forsake his military duty I had felt that I might count, more even than on his friendship for myself, on that same curiosity, as a human naturalist, which I myself had so often felt — even without having seen the person mentioned, and simply on hearing some one say that there was a pretty cashier at a fruiterer′s — to acquaint myself with a new variety of feminine beauty. But that curiosity I had been wrong in hoping to excite in Saint-Loup by speaking to him of my band of girls. For it had been and would long remain paralysed in him by his love for that actress whose lover he was. And even if he had felt it lightly stirring him he would have repressed it, from an almost superstitious belief that on his own fidelity might depend that of his mistress. And so it was without any promise from him that he would take an active interest in my girls that we started out to dine at Rivebelle.
Les premiers temps, quand nous arrivions, le soleil venait de se coucher, mais il faisait encore clair; dans le jardin du restaurant dont les lumières n′étaient pas encore allumées, la chaleur du jour tombait, se déposait, comme au fond d′un vase le long des parois duquel la gelée transparente et sombre de l′air semblait si consistante qu′un grand rosier appliqué au mur obscurci qu′il veinait de rose, avait l′air de l′arborisation qu′on voit au fond d′une pierre d′onyx. Bientôt ce ne fut qu′à la nuit que nous descendions de voiture, souvent même que nous partions de Balbec si le temps était mauvais et que nous eussions retardé le moment de faire atteler, dans l′espoir d′une accalmie. Mais ces jours-là, c′est sans tristesse que j′entendais le vent souffler, je savais qu′il ne signifiait pas l′abandon de mes projets, la réclusion dans une chambre, je savais que, dans la grande salle à manger du restaurant où nous entrerions au son de la musique des tziganes, les innombrables lampes triompheraient aisément de l′obscurité et du froid en leur appliquant leurs larges cautères d′or, et je montais gaiement à côté de Saint-Loup dans le coupé qui nous attendait sous l′averse. Depuis quelque temps, les paroles de Bergotte, se disant convaincu que malgré ce que je prétendais, j′étais fait pour goûter surtout les plaisirs de l′intelligence, m′avaient rendu au sujet de ce que je pourrais faire plus tard une espérance que décevait chaque jour l′ennui que j′éprouvais à me mettre devant une table à commencer une étude critique ou un roman. «Après tout, me disais-je, peut-être le plaisir qu′on a eu à l′écrire n′est-il pas le critérium infaillible de la valeur d′une belle page; peut-être n′est-il qu′un état accessoire qui s′y surajoute souvent, mais dont le défaut ne peut préjuger contre elle. Peut-être certains chefs-d′uvre ont-ils été composés en bâillant.» Ma grand′mère apaisait mes doutes en me disant que je travaillerais bien et avec joie si je me portais bien. Et, notre médecin ayant trouvé plus prudent de m′avertir des graves risques auxquels pouvait m′exposer mon état de santé, et m′ayant tracé toutes les précautions d′hygiène à suivre pour éviter un accident, — je subordonnais tous les plaisirs au but que je jugeais infiniment plus important qu′eux, de devenir assez fort pour pouvoir réaliser l′uvre que je portais peut-être en moi, j′exerçais sur moi-même depuis que j′étais à Balbec un contrôle minutieux et constant. On n′aurait pu me faire toucher à la tasse de café qui m′eût privé du sommeil de la nuit, nécessaire pour ne pas être fatigué le lendemain. Mais quand nous arrivions à Rivebelle, aussitôt, à cause de l′excitation d′un plaisir nouveau et me trouvant dans cette zone différente où l′exceptionnel nous fait entrer après avoir coupé le fil, patiemment tissé depuis tant de jours, qui nous conduisait vers la sagesse — comme s′il ne devait plus jamais y avoir de lendemain, ni de fins élevées à réaliser, disparaissait ce mécanisme précis de prudente hygiène qui fonctionnait pour les sauvegarder. Tandis qu′un valet de pied me demandait mon paletot, Saint-Loup me disait: At first, when we arrived there, the sun used just to have set, but it was light still; in the garden outside the restaurant, where the lamps had not yet been lighted, the heat of the day fell and settled, as though in a vase along the sides of which the transparent, dusky jelly of the air seemed of such consistency that a tall rose-tree fastened against the dim wall which it streaked with pink veins, looked like the arborescence that one sees at the heart of an onyx. Presently night had always fallen when we left the carriage, often indeed before we started from Balbec if the evening was wet and we had put off sending for the carriage in the hope of the weather′s improving. But on those days it was without any sadness that I listened to the wind howling, I knew that it did not mean the abandonment of my plans, imprisonment in my bedroom; I knew that in the great dining-room of the restaurant, which we would enter to the sound of the music of the gypsy band, the innumerable lamps would triumph easily over darkness and chill, by applying to them their broad cauteries of molten gold, and I jumped light-heartedly after Saint-Loup into the closed carriage which stood waiting for us in the rain. For some time past the words of Bergotte, when he pronounced himself positive that, in spite of all I might say, I had been created to enjoy, pre-eminently, the pleasures of the mind, had restored to me, with regard to what I might succeed in achieving later on, a hope that was disappointed afresh every day by the boredom that I felt on setting myself down before a writing-table to start work on a critical essay or a novel. “After all,” I said to myself, “possibly the pleasure that its author has found in writing it is not the infallible test of the literary value of a page; it may be only an accessory, one that is often to be found superadded to that value, but the want of which can have no prejudicial effect on it. Perhaps some of the greatest masterpieces were written yawning.” My grandmother set my doubts at rest by telling me that I should be able to work and should enjoy working as soon as my health improved. And, our doctor having thought it only prudent to warn me of the grave risks to which my state of health might expose me, and having outlined all the hygienic precaution that I ought to take to avoid any accident — I subordinated all my pleasures to an object which I judged to be infinitely more important than them, that of becoming strong enough to be able to bring into being the work which I had, possibly, within me; I had been exercising over myself, ever since I had come to Balbec, a scrupulous and constant control. Nothing would have induced me, there, to touch the cup of coffee which would have robbed me of the night′s sleep that was necessary if I was not to be tired next day. But as soon as we reached Rivebelle, immediately, what with the excitement of a new pleasure, and finding myself in that different zone into which the exception to our rule of life takes us after it has cut the thread, patiently spun throughout so many days, that was guiding us towards wisdom — as though there were never to be any such thing as to-morrow, nor any lofty aims to be realised, vanished all that exact machinery of prudent hygienic measures which had been working to safeguard them. A waiter was offering to take my coat, whereupon Saint-Loup asked:
— Vous n′aurez pas froid? Vous feriez peut-être mieux de le garder il ne fait pas très chaud. “You′re sure you won′t be cold? Perhaps you′d better keep it: it′s not very warm in here.”
Je répondais: «Non, non,» et peut-être je ne sentais pas le froid, mais en tous cas je ne savais plus la peur de tomber malade, la nécessité de ne pas mourir, l′importance de travailler. Je donnais mon paletot; nous entrions dans la salle du restaurant aux sons de quelque marche guerrière jouée par les tziganes, nous nous avancions entre les rangées des tables servies comme dans un facile chemin de gloire, et, sentant l′ardeur joyeuse imprimée à notre corps, par les rythmes de l′orchestre qui nous décernait ses honneurs militaires et ce triomphe immérité, nous la dissimulions sous une mine grave et glacée, sous une démarche pleine de lassitude, pour ne pas imiter ces gommeuses de café-concert qui, venant de chanter sur un air belliqueux un couplet grivois, entrent en courant sur la scène avec la contenance martiale d′un général vainqueur. “No, no,” I assured him; and perhaps I did not feel the cold; but however that might be, I no longer knew the fear of falling ill, the necessity of not dying, the importance of work. I gave up my coat; we entered the dining-room to the sound of some warlike march played by the gipsies, we advanced between two rows of tables laid for dinner as along an easy path of glory, and, feeling a happy glow imparted to our bodies by the rhythms of the orchestra which rendered us its military honours, gave us this unmerited triumph, we concealed it beneath a grave and frozen mien, beneath a languid, casual gait, so as not to be like those music-hall ‘mashers′ who, having wedded a ribald verse to a patriotic air, come running on to the stage with the martial countenance of a victorious general.
A partir de ce moment-là j′étais un homme nouveau, qui n′était plus le petit-fils de ma gran-‘mère et ne se souviendrait d′elle qu′en sortant, mais le frère momentané des garçons qui allaient nous servir. From that moment I was a new man, who was no longer my grandmother′s grandson and would remember her only when it was time to get up and go, but the brother, for the time being, of the waiters who were going to bring us our dinner.
La dose de bière, à plus forte raison de champagne, qu′à Balbec je n′aurais pas voulu atteindre en une semaine, alors pourtant qu′à ma conscience calme et lucide la saveur de ces breuvages représentassent un plaisir clairement appréciable mais aisément sacrifié, je l′absorbais en une heure en y ajoutant quelques gouttes de porto, trop distrait pour pouvoir le goûter, et je donnais au violoniste qui venait de jouer les deux «louis» que j′avais économisés depuis un mois en vue d′un achat que je ne me rappelais pas. Quelques-uns des garçons qui servaient, lâchés entre les tables, fuyaient à toute vitesse, ayant sur leur paumes tendues un plat que cela semblait être le but de ce genre de courses de ne pas laisser choir. Et de fait, les soufflés au chocolat arrivaient à destination sans avoir été renversés, les pommes à l′anglaise, malgré le galop qui avait dû les secouer, rangées comme au départ autour de l′agneau de Pauilhac. Je remarquai un de ces servants, très grand emplumé de superbes cheveux noirs, la figure fardée d′un teint qui rappelait davantage certaines espèces d′oiseaux rares que l′espèce humaine et qui, courant sans trêve et, eût-on dit, sans but, d′un bout à l′autre de la salle, faisait penser à quelqu′un de ces «aras» qui remplissent les grandes volières des jardins zoologiques de leur ardent coloris et de leur incompréhensible agitation. Bientôt le spectacle s′ordonna, à mes yeux du moins, d′une façon plus noble et plus calme. Toute cette activité vertigineuse se fixait en une calme harmonie. Je regardais les tables rondes, dont l′assemblée innombrable emplissait le restaurant, comme autant de planètes, telles que celles-ci sont figurées dans les tableaux allégoriques d′autrefois. D′ailleurs, une force d′attraction irrésistible s′exerçait entre ces astres divers et à chaque table les dîneurs n′avaient d′yeux que pour les tables où ils n′étaient pas, exception faite pour quelque riche amphitryon, lequel ayant réussi à amener un écrivain célèbre, s′évertuait à tirer de lui, grâce aux vertus de la table tournante, des propos insignifiants dont les dames s′émerveillaient. L′harmonie de ces tables astrales n′empêchait pas l′incessante révolution des servants innombrables, lesquels parce qu′au lieu d′être assis, comme les dîneurs, étaient debout évoluaient dans une zone supérieure. Sans doute l′un courait porter des hors-d′uvre, changer le vin, ajouter des verres. Mais malgré ces raisons particulières, leur course perpétuelle entre les tables rondes finissait par dégager la loi de sa circulation vertigineuse et réglée. Assises derrière un massif de fleurs, deux horribles caissières, occupées à des calculs sans fin semblaient deux magiciennes occupées à prévoir par des calculs astrologiques les bouleversements qui pouvaient parfois se produire dans cette voûte céleste conçue selon la science du moyen âge. The dose of beer — all the more, that of champagne — which at Balbec I should not have ventured to take in a week, albeit to my calm and lucid consciousness the flavour of those beverages represented a pleasure clearly appreciable, since it was also one that could easily be sacrificed, I now imbibed at a sitting, adding to it a few drops of port wine, too much distracted to be able to taste it, and I gave the violinist who had just been playing the two louis which I had been saving up for the last month with a view to buying something, I could not remember what. Several of the waiters, set going among the tables, were flying along at full speed, each carrying on his outstretched palms a dish which it seemed to be the object of this kind of race not to let fall. And in fact the chocolate soufflés arrived at their destination unspilled, the potatoes à l′anglaise, in spite of the pace which ought to have sent them flying, came arranged as at the start round the Pauilhac lamb. I noticed one of these servants, very tall, plumed with superb black locks, his face dyed in a tint that suggested rather certain species of rare birds than a human being, who, running without pause (and, one would have said, without purpose) from one end of the room to the other, made me think of one of those macaws which fill the big aviaries in zoological gardens with their gorgeous colouring and incomprehensible agitation. Presently the spectacle assumed an order, in my eyes at least, growing at once more noble and more calm. All this dizzy activity became fixed in a quiet harmony. I looked at the round tables whose innumerable assemblage filled the restaurant like so many planets as planets are represented in old allegorical pictures. Moreover, there seemed to be some irresistibly attractive force at work among these divers stars, and at each table the diners had eyes only for the tables at which they were not sitting, except perhaps some wealthy amphitryon who, having managed to secure a famous author, was endeavouring to extract from him, thanks to the magic properties of the turning table, a few unimportant remarks at which the ladies marvelled. The harmony of these astral tables did not prevent the incessant revolution of the countless servants who, because instead of being seated like the diners they were on their feet, performed their evolutions in a more exalted sphere. No doubt they were running, one to fetch the hors d′oeuvres, another to change the wine or with clean glasses. But despite these special reasons, their perpetual course among the round tables yielded, after a time, to the observer the law of its dizzy but ordered circulation. Seated behind a bank of flowers, two horrible cashiers, busy with endless calculations, seemed two witches occupied in forecasting by astrological signs the disasters that might from time to time occur in this celestial vault fashioned according to the scientific conceptions of the middle ages.
Et je plaignais un peu tous les dîneurs parce que je sentais que pour eux les tables rondes n′étaient pas des planètes et qu′ils n′avaient pas pratiqué dans les choses un sectionnement qui nous débarrasse de leur apparence coutumière et nous permet d′apercevoir des analogies. Ils pensaient qu′ils dînaient avec telle ou telle personne, que le repas coûterait à peu près tant et qu′ils recommenceraient le lendemain. Et ils paraissaient absolument insensibles au déroulement d′un cortège de jeunes commis qui, probablement n′ayant pas à ce moment de besogne urgente, portaient processionnellement des pains dans des paniers. Quelques-uns, trop jeunes, abrutis par les taloches que leur donnaient en passant les maîtres d′hôtel, fixaient mélancoliquement leurs yeux sur un rêve lointain et n′étaient consolés que si quelque client de l′hôtel de Balbec où ils avaient jadis été employés, les reconnaissant, leur adressait la parole et leur disait personnellement d′emporter le champagne qui n′était pas buvable, ce qui les remplissait d′orgueil. And I rather pitied all the diners because I felt that for them the round tables were not planets and that they had not cut through the scheme of things one of those sections which deliver us from the bondage of appearances and enable us to perceive analogies. They thought that they were dining with this or that person, that the dinner would cost roughly so much, and that to-morrow they would begin all over again. And they appeared absolutely unmoved by the progress through their midst of a train of young assistants who, having probably at that moment no urgent duty, advanced processionally bearing rolls of bread in baskets. Some of them, the youngest, stunned by the cuffs which the head waiters administered to them as they passed, fixed melancholy eyes upon a distant dream and were consoled only if some visitor from the Balbec hotel in which they had once been employed, recognising them, said a few words to them, telling them in person to take away the champagne which was not fit to drink, an order that filled them with pride.
J′entendais le grondement de mes nerfs dans lesquels il y avait du bien-être indépendant des objets extérieurs qui peuvent en donner et que le moindre déplacement que j′occasionnais à mon corps, à mon attention, suffisait à me faire éprouver, comme à un il fermé une légère compression donne la sensation de la couleur. J′avais déjà bu beaucoup de porto, et si je demandais à en prendre encore, c′était moins en vue du bien-être que les verres nouveaux m′apporteraient que par l′effet du bien-être produit par les verres précédents. Je laissais la musique conduire elle-même mon plaisir sur chaque note où, docilement, il venait alors se poser. Si, pareil à ces industries chimiques grâce auxquelles sont débités en grandes quantités, des corps qui ne se rencontrent dans la nature que d′une façon accidentelle et fort rarement, ce restaurant de Rivebelle réunissait en un même moment, plus de femmes au fond desquelles me sollicitaient des perspectives de bonheur que le hasard des promenades ou des voyages ne m′en eût fait rencontrer en une année, d′autre part, cette musique que nous entendions — arrangements de valses, d′opérettes allemandes, de chansons de cafés-concerts, toutes nouvelles pour moi — était elle-même comme un lieu de plaisir aérien superposé à l′autre et plus grisant que lui. Car chaque motif, particulier comme une une femme, ne réservait pas comme elle eût fait, pour quelque privilégié, le secret de volupté qu′il recélait: il me le proposait, me reluquait, venait à moi d′une allure capricieuse ou canaille, m′accostait, me caressait, comme si j′étais devenu tout d′un coup plus séduisant, plus puissant ou plus riche; je leur trouvais bien, à ces airs, quelque chose de cruel; c′est que tout sentiment désintéressé de la beauté, tout reflet de l′intelligence leur était inconnu; pour eux le plaisir physique existe seul. Et ils sont l′enfer le plus impitoyable, le plus dépourvu d′issues pour le malheureux jaloux à qui ils présentent ce plaisir, ce plaisir que la femme aimée goûte avec un autre — comme la seule chose qui existe au monde pour celle qui le remplit tout entier. Mais tandis que je répétais à mi-voix les notes de cet air, et lui rendais son baiser, la volupté à lui spéciale qu′il me faisait éprouver me devint si chère, que j′aurais quitté mes parents pour suivre le motif dans le monde singulier qu′il construisait dans l′invisible, en lignes tour à tour pleines de langeur et de vivacité. Quoiqu′un tel plaisir ne soit pas d′une sorte qui donne plus de valeur à l′être auquel il s′ajoute, car il n′est perçu que de lui seul, et quoique, chaque fois que dans notre vie, nous avons déplu à une femme qui nous a aperçu elle ignorât si à ce moment-là nous possédions ou non cette félicité intérieure et subjective qui, par conséquent, n′eût rien changé au jugement qu′elle porta sur nous, je me sentais plus puissant, presque irrésistible. Il me semblait que mon amour n′était plus quelque chose de déplaisant et dont on pouvait sourire mais avait précisément la beauté touchante, la séduction de cette musique, semblable elle-même à un milieu sympathique où celle que j′aimais et moi nous nous serions rencontrés, soudain devenus intimes. I could hear the twinging of my nerves, in which there was a sense of comfort independent of the external objects that might have produced it, a comfort which the least shifting of my body or of my attention was enough to make me feel, just as to a shut eye a slight pressure gives the sensation of colour. I had already drunk a good deal of port wine, and if I now asked for more it was not so much with a view to the comfort which the additional glasses would bring me as an effect of the comfort produced by the glasses that had gone before. I allowed the music itself to guide to each of its notes my pleasure which, meekly following, rested on each in turn. If, like one of those chemical industries by means of which are prepared in large quantities bodies which in a state of nature come together only by accident and very rarely, this restaurant at Rivebelle united at one and the same moment more women to tempt me with beckoning vistas of happiness than the hazard of walks and drives would have made me encounter in a year; on the other hand, this music that greeted our ears — arrangements of waltzes, of German operettas, of music-hall songs, all of them quite new to me — was itself like an ethereal resort of pleasure superimposed upon the other and more intoxicating still. For these tunes, each as individual as a woman, were not keeping, as she would have kept, for some privileged person, the voluptuous secret which they contained: they offered me their secrets, ogled me, came up to me with affected or vulgar movements, accosted me, caressed me as if I had suddenly become more seductive, more powerful and more rich; I indeed found in these tunes an element of cruelty; because any such thing as a disinterested feeling for beauty, a gleam of intelligence was unknown to them; for them physical pleasures alone existed. And they are the most merciless of hells, the most gateless and imprisoning for the jealous wretch to whom they present that pleasure — that pleasure which the woman he loves is enjoying with another — as the only thing that exists in the world for her who is all the world to him. But while I was humming softly to myself the notes of this tune, and returning its kiss, the pleasure peculiar to itself which it made me feel became so dear to me that I would have left my father and mother, to follow it through the singular world which it constructed in the invisible, in lines instinct with alternate languor and vivacity. Although such a pleasure as this is not calculated to enhance the value of the person to whom it comes, for it is perceived by him alone, and although whenever, in the course of our life, we have failed to attract a woman who has caught sight of us, she could not tell whether at that moment we possessed this inward and subjective felicity which, consequently, could in no way have altered the judgment that she passed on us, I felt myself more powerful, almost irresistible. It seemed to me that my love was no longer something unattractive, at which people might smile, but had precisely the touching beauty, the seductiveness of this music, itself comparable to a friendly atmosphere in which she whom I loved and I were to meet, suddenly grown intimate.
Le restaurant n′était pas fréquenté seulement par des demi-mondaines, mais aussi par des gens du monde le plus élégant, qui y venaient goûter vers cinq heures ou y donnaient de grands dîners. Les goûters avaient lieu dans une longue galerie vitrée, étroite, en forme de couloir qui, allant du vestibule à la salle à manger, longeait sur un côté le jardin, duquel elle n′était séparée, sauf en exceptant quelques colonnes de pierre, que par le vitrage qu′on ouvrait ici ou là. Il en résultait outre de nombreux courants d′air, des coups de soleil brusques, intermittents, un éclairage éblouissant, empêchant presque de distinguer les goûteuses, ce qui faisait que, quand elles étaient là, empilées deux tables par deux tables dans toute la longueur de l′étroit goulot, comme elles châtoyaient à tous les mouvements qu′elles faisaient pour boire leur thé ou se saluer entre elles, on aurait dit un réservoir, une nasse où le pêcheur a entassé les éclatants poissons qu′il a pris, lesquels à moitié hors de l′eau et baignés de rayons miroitent aux regards en leur éclat changeant. This restaurant was the resort not only of light women; it was frequented also by people in the very best society, who came there for afternoon tea or gave big dinner-parties. The tea-parties were held in a long gallery, glazed and narrow, shaped like a funnel, which led from the entrance hall to the dining-room and was bounded on one side by the garden, from which it was separated (save for a few stone pillars) only by its wall of glass, in which panes would be opened here and there. The result of which, apart from ubiquitous draughts, was sudden and intermittent bursts of sunshine, a dazzling light that made it almost impossible to see the tea-drinkers, so that when they were installed there, at tables crowded pair after pair the whole way along the narrow gully, as they were shot with colours at every movement they made in drinking their tea or in greeting one another, you would have called it a reservoir, a stewpond in which the fisherman has collected all his glittering catch, and the fish, half out of water and bathed in sunlight, dazzle the eye as they mirror an ever-changing iridescence.
Quelques heures plus tard, pendant le dîner qui lui, était naturellement servi dans la salle à manger, on allumait les lumières, bien qu′il fît encore clair dehors, de sorte qu′on voyait devant soi, dans le jardin, à côté de pavillons éclairés par le crépuscule et qui semblaient les pâles spectres du soir, des charmilles dont la glauque verdure était traversée par les derniers rayons et qui de la pièce éclairée par les lampes où on dînait, apparaissaient au delà du vitrage — non plus comme on aurait dit des dames qui goûtaient à la fin de l′après-midi, le long du couloir bleuâtre et or, dans un filet étincelant et humide — mais comme les végétations d′un pâle et vert aquarium géant à la lumière surnaturelle. On se levait de table; et si les convives, pendant le repas, tout en passant leur temps à regarder, à reconnaître, à se faire nommer les convives du dîner voisin, avaient été retenus dans une cohésion parfaite autour de leur propre table, la force attractive qui les faisait graviter autour de leur amphytrion d′un soir perdait de sa puissance, au moment où pour prendre le café ils se rendaient dans ce même couloir qui avait servi aux goûters; il arrivait souvent qu′au moment du passage, tel dîner en marche abandonnait l′un ou plusieurs de ses corpuscules, qui ayant subi trop fortement l′attraction du dîner rival se détachaient un instant du leur, où ils étaient remplacés par des messieurs ou des dames qui étaient venus saluer des amis, avant de rejoindre, en disant: «Il faut que je me sauve retrouver M. X . . . dont je suis ce soir l′invité.» Et pendant un instant on aurait dit de deux bouquets séparés qui auraient interchangé quelques-unes de leurs fleurs. Puis le couloir lui-même se vidait. Souvent, comme il faisait même après dîner encore un peu jour, on n′allumait pas ce long corridor, et côtoyé par les arbres qui se penchaient au dehors de l′autre côté du vitrage, il avait l′air d′une allée dans un jardin boisé et ténébreux. Parfois dans l′ombre une dîneuse s′y attardait. En le traversant pour sortir, j′y distinguai un soir, assise au milieu d′un groupe inconnu, la belle princesse de Luxembourg. Je me découvris sans m′arrêter. Elle me reconnut, inclina la tête en souriant; très au-dessus de ce salut, émanant de ce mouvement même, s′élevèrent mélodieusement quelques paroles à mon adresse, qui devaient être un bonsoir un peu long, non pour que je m′arrêtasse, mais seulement pour compléter le salut, pour en faire un salut parlé. Mais les paroles restèrent si indistinctes et le son que seul je perçus se prolongea si doucement et me sembla si musical, que ce fut comme si dans la ramure assombrie des arbres, un rossignol se fût mis à chanter. Si par hasard pour finir la soirée avec telle bande d′amis à lui que nous avions rencontrée, Saint-Loup décidait de nous rendre au Casino d′une plage voisine, et partant avec eux, s′il me mettait seul dans une voiture, je recommandais au cocher d′aller à toute vitesse, afin que fussent moins longs les instants que je passerais sans avoir l′aide de personne pour me dispenser de fournir moi-même à ma sensibilité — en faisant machine en arrière et en sortant de la passivité où j′étais pris comme dans un engrenage, — ces modifications que depuis mon arrivée à Rivebelle je recevais des autres. Le choc possible avec une voiture venant en sens inverse dans ces sentiers où il n′y avait de place que pour une seule et où il faisait nuit noire, l′instabilité du sol souvent éboulé de la falaise, la proximité de son versant à pic sur la mer, rien de tout cela ne trouvait en moi le petit effort qui eût été nécessaire pour amener la représentation et la crainte du danger jusqu′à ma raison. C′est que pas plus que ce n′est le désir de devenir célèbre, mais l′habitude d′être laborieux qui nous permet de produire une uvre, ce n′est l′allégresse du moment présent, mais les sages réflexions du passé, qui nous aident à préserver le futur. Or, si déjà en arrivant à Rivebelle, j′avais jeté loin de moi ces béquilles du raisonnement, du contrôle de soi-même qui aident notre infirmité à suivre le droit chemin, et me trouvais en proie à une sorte d′ataxie morale, l′alcool, en tendant exceptionnellement mes nerfs, avait donné aux minutes actuelles, une qualité, un charme, qui n′avaient pas eu pour effet de me rendre plus apte ni même plus résolu à les défendre; car en me les faisant préférer mille fois au reste de ma vie, mon exaltation les en isolait; j′étais enfermé dans le présent comme les héros, comme les ivrognes; momentanément éclipsé, mon passé ne projetait plus devant moi cette ombre de lui-même que nous appelons notre avenir; plaçant le but de ma vie, non plus dans la réalisation des rêves de ce passé, mais dans la félicité de la minute présente, je ne voyais pas plus loin qu′elle. De sorte que, par une contradiction qui n′était qu′apparente, c′est au moment où j′éprouvais un plaisir exceptionnel, où je sentais que ma vie pouvait être heureuse, où elle aurait dû avoir à mes yeux plus de prix, c′est à ce moment que, délivré des soucis qu′elle avait pu m′inspirer jusque-là, je la livrais sans hésitation au hasard d′un accident. Je ne faisais, du reste, en somme, que concentrer dans une soirée l′incurie qui pour les autres hommes est diluée dans leur existence entière où journellement ils affrontent sans nécessité le risque d′un voyage en mer, d′une promenade en aéroplane ou en automobile quand les attend à la maison l′être que leur mort briserait ou quand est encore lié à la fragilité de leur cerveau le livre dont la prochaine mise au jour est la seule raison de leur vie. Et de même dans le restaurant de Rivebelle, les soirs où nous y restions, si quelqu′un était venu dans l′intention de me tuer, comme je ne voyais plus que dans un lointain sans réalité ma grand-mère, ma vie à venir, mes livres à composer, comme j′adhérais tout entier à l′odeur de la femme qui était à la table voisine, à la politesse des maîtres d′hôtel, au contour de la valse qu′on jouait, que j′étais collé à la sensation présente, n′ayant pas plus d′extension qu′elle ni d′autre but que de ne pas en être séparé, je serais mort contre elle, je me serais laissé massacrer sans offrir de défense, sans bouger, abeille engourdie par la fumée du tabac, qui n′a plus le souci de préserver sa ruche. A few hours later, during dinner, which, naturally, was served in the dining-room, the lights would be turned on, although it was still quite light out of doors, so that one saw before one′s eyes, in the garden, among summer-houses glimmering in the twilight, like pale spectres of evening, alleys whose greyish verdure was pierced by the last rays of the setting sun and, from the lamp-lit room in which we were dining, appeared through the glass — no longer, as one would have said of the ladies who had been drinking tea there in the afternoon, along the blue and gold corridor, caught in a glittering and dripping net — but like the vegetation of a pale and green aquarium of gigantic size seen by a supernatural light. People began to rise from table; and if each party while their dinner lasted, albeit they spent the whole time examining, recognising, naming the party at the next table, had been held in perfect cohesion about their own, the attractive force that had kept them gravitating round their host of the evening lost its power at the moment when, for coffee, they repaired to the same corridor that had been used for the tea-parties; it often happened that in its passage from place to place some party on the march dropped one or more of its human corpuscles who, having come under the irresistible attraction of the rival party, detached themselves for a moment from their own, in which their places were taken by ladies or gentlemen who had come across to speak to friends before hurrying off with an “I really must fly: I′m dining with M. So-and-So.” And for the moment you would have been reminded, looking at them, of two separate nosegays that had exchanged a few of their flowers. Then the corridor too began to empty. Often, since even after dinner there was still a little light left outside, they left this long corridor unlighted, and, skirted by the trees that overhung it on the other side of the glass, it suggested a pleached alley in a wooded and shady garden. Here and there, in the gloom, a fair diner lingered. As I passed through this corridor one evening on my way out I saw, sitting among a group of strangers, the beautiful Princesse de Luxembourg. I raised my hat without stopping. She remembered me, and bowed her head with a smile; in the air, far above her bowed head, but emanating from the movement, rose melodiously a few words addressed to myself, which must have been a somewhat amplified good-evening, intended not to stop me but simply to complete the gesture, to make it a spoken greeting. But her words remained so indistinct and the sound which was all that I caught was prolonged so sweetly and seemed to me so musical that it seemed as if among the dim branches of the trees a nightingale had begun to sing. If it so happened that, to finish the evening with a party of his friends whom we had met, Saint-Loup decided to go on to the Casino of a neighbouring village, and, taking them with him, put me in a carriage by myself, I would urge the driver to go as fast as he possibly could, so that the minutes might pass less slowly which I must spend without having anyone at hand to dispense me from the obligation myself to provide my sensibility — reversing the engine, so to speak, and emerging from the passivity in which I was caught and held as in the teeth of a machine — with those modifications which, since my arrival at Rivebelle, I had been receiving from other people. The risk of collision with a carriage coming the other way along those lanes where there was barely room for one and it was dark as pitch, the insecurity of the soil, crumbling in many places, at the cliff′s edge, the proximity of its vertical drop to the sea, none of these things exerted on me the slight stimulus that would have been required to bring the vision and the fear of danger within the scope of my reasoning. For just as it is not the desire to become famous but the habit of being laborious that enables us to produce a finished work, so it is not the activity of the present moment but wise reflexions from the past that help us to safeguard the future. But if already, before this point, on my arrival at Rivebelle, I had flung irretrievably away from me those crutches of reason and self-control which help our infirmity to follow the right road, if I now found myself the victim of a sort of moral ataxy, the alcohol that I had drunk, by unduly straining my nerves, gave to the minutes as they came a quality, a charm which did not have the result of leaving me more ready, or indeed more resolute to inhibit them, prevent their coming; for while it made me prefer them a thousand times to anything else in my life, my exaltation made me isolate them from everything else; I was confined to the present, as heroes are or drunkards; eclipsed for the moment, my past no longer projected before me that shadow of itself which we call our future; placing the goal of my life no longer in the realisation of the dreams of that past, but in the felicity of the present moment, I could see nothing now of what lay beyond it. So that, by a contradiction which, however, was only apparent, it was at the very moment in which I was tasting an unfamiliar pleasure, feeling that my life might yet be happy, in which it should have become more precious in my sight; it was at this very moment that, delivered from the anxieties which my life had hitherto contrived to suggest to me, I unhesitatingly abandoned it to the chance of an accident. After all, I was doing no more than concentrate in a single evening the carelessness that, for most men, is diluted throughout their whole existence, in which every day they face, unnecessarily, the dangers of a sea-voyage, of a trip in an aeroplane or motor-car, when there is waiting for them at home the creature whose life their death would shatter, or when there is still stored in the fragile receptacle of their brain that book the approaching publication of which is their one object, now, in life. And so too in the Rivebelle restaurant, on evenings when we just stayed there after dinner, if anyone had come in with the intention of killing me, as I no longer saw, save in a distant prospect too remote to have any reality, my grandmother, my life to come, the books that I was going to write, as I clung now, body and mind, wholly to the scent of the lady at the next table, the politeness of the waiters, the outline of the waltz that the band was playing, as I was glued to my immediate sensation, with no extension beyond its limits, nor any object other than not to be separated from it, I should have died in and with that sensation, I should have let myself be strangled without offering any resistance, without a movement, a bee drugged with tobacco smoke that had ceased to take any thought for preserving the accumulation of its labours and the hopes of its hive.
Je dois du reste dire que cette insignifiance où tombaient les choses les plus graves, par contraste avec la violence de mon exaltation finissait par comprendre même Mlle Simonet et ses amies. L′entreprise de les connaître me semblait maintenant facile mais indifférente, car ma sensation présente seule, grâce à son extraordinaire puissance, à la joie que provoquaient ses moindres modifications et même sa simple continuité, avait de l′importance pour moi; tout le reste, parents, travail, plaisirs, jeunes filles de Balbec, ne pesait pas plus qu′un flocon d′écume dans un grand vent qui ne le laisse pas se poser, n′existait plus que relativement à cette puissance intérieure: l′ivresse réalise pour quelques heures l′idéalisme subjectif, le phénoménisme pur; tout n′est plus qu′apparences et n′existe plus qu′en fonction de notre sublime nous-même. Ce n′est pas, du reste, qu′un amour véritable, si nous en avons un, ne puisse subsister dans un semblable état. Mais nous sentons si bien, comme dans un milieu nouveau, que des pressions inconnues ont changé les dimensions de ce sentiment que nous ne pouvons pas le considérer pareillement. Ce même amour, nous le retrouvons bien, mais déplacé, ne pesant plus sur nous, satisfait de la sensation que lui accorde le présent et qui nous suffit, car de ce qui n′est pas actuel nous ne nous soucions pas. Malheureusement le coefficient qui change ainsi les valeurs ne les change que dans cette heure d′ivresse. Les personnes qui n′avaient plus d′importance et sur lesquelles nous soufflions comme sur des bulles de savon reprendront le lendemain leur densité; il faudra essayer de nouveau de se remettre aux travaux qui ne signifiaient plus rien. Chose plus grave encore, cette mathématique du lendemain, la même que celle d′hier et avec les problèmes de laquelle nous nous retrouverons inexorablement aux prises, c′est celle qui nous régit même pendant ces heures-là, sauf pour nous-même. S′il se trouve près de nous une femme vertueuse ou hostile, cette chose si difficile la veille — à savoir que nous arrivions à lui plaire, — nous semble maintenant un million de fois plus aisée sans l′être devenue en rien, car ce n′est qu′à nos propres yeux, à nos propres yeux intérieurs que nous avons changé. Et elle est aussi mécontente à l′instant même que nous nous soyons permis une familiarité que nous le serons le lendemain d′avoir donné cent francs au chasseur et, pour la même raison, qui pour nous a été seulement retardée: l′absence d′ivresse. I ought here to add that this insignificance into which the most serious matters subsided, by contrast with the violence of my exaltation, came in the end to include Mlle. Simonet and her friends. The enterprise of knowing them seemed to me easy now but hardly worth the trouble, for my immediate sensation alone, thanks to its extraordinary intensity, to the joy that its slightest modifications, its mere continuity provoked, had any importance for me; all the rest — parents, work, pleasures, girls at Balbec weighed with me no more than does a flake of foam in a strong wind that will not let it find a resting place, existed no longer save in relation to this internal power: intoxication makes real for an hour or two a subjective idealism, pure phenomenism; nothing is left now but appearances, nothing exists save as a function of our sublime self. This is not to say that a genuine love, if we have one, cannot survive in such conditions. But we feel so unmistakably, as though in a new atmosphere, that unknown pressures have altered the dimensions of that sentiment that we can no longer consider it in the old way. It is indeed still there and we shall find it, but in a different place, no longer weighing upon us, satisfied by the sensation which the present affords it, a sensation that is sufficient for us, since for what is not actually present we take no thought. Unfortunately the coefficient which thus alters our values alters them only in the hour of intoxication. The people who had lost all their importance, whom we scattered with our breath like soap-bubbles, will to-morrow resume their density; we shall have to try afresh to settle down to work which this evening had ceased to have any significance. A more serious matter still, these mathematics of the morrow, the same as those of yesterday, in whose problems we shall find ourselves inexorably involved, it is they that govern us even in these hours, and we alone are unconscious of their rule. If there should happen to be, near us, a woman, virtuous or inimical, that question so difficult an hour ago — to know whether we should succeed in finding favour with her — seems to us now a million times easier of solution without having become easier in any respect, for it is only in our own sight, in our own inward sight, that we have altered. And she is as much annoyed with us at this moment as we shall be next day at the thought of our having given a hundred francs to the messenger, and for the same reason which in our case has merely been delayed in its operation, namely the absence of intoxication.
Je ne connaissais aucune des femmes qui étaient à Rivebelle, et qui parce qu′elles faisaient partie de mon ivresse comme les reflets font partie du miroir, me paraissaient mille fois plus désirables que la de moins en moins existante Mlle Simonet. Une jeune blonde, seule, à l′air triste, sous son chapeau de paille piqué de fleurs des champs me regarda un instant d′un air rêveur et me parut agréable. Puis ce fut le tour d′une autre, puis d′une troisième; enfin d′une brune au teint éclatant. Presque toutes étaient connues, à défaut de moi, par Saint-Loup. I knew none of the women who were at Rivebelle and, because they formed a part of my intoxication just as its reflexions form part of a mirror, appeared to me now a thousand times more to be desired than the less and less existent Mlle. Simonet. One of them, young, fair, by herself, with a sad expression on a face framed in a straw hat trimmed with field-flowers, gazed at me for a moment with a dreamy air and struck me as being attractive. Then it was the turn of another, and of a third; finally of a dark one with glowing cheeks. Almost all of them were known, if not to myself, to Saint-Loup.
Avant qu′il eût fait la connaissance de sa maîtresse actuelle, il avait en effet tellement vécu dans le monde restreint de la noce, que de toutes les femmes qui dînaient ces soirs-là à Rivebelle et dont beaucoup s′y trouvaient par hasard, étant venues au bord de la mer, certaines pour retrouver leur amant, d′autres pour tâcher d′en trouver un, il n′y en avait guère qu′il ne connût pour avoir passé — lui-même ou tel de ses amis — au moins une nuit avec elles. Il ne les saluait pas si elles étaient avec un homme, et elles tout en le regardant plus qu′un autre parce que l′indifférence qu′on lui savait pour toute femme qui n′était pas son actrice, lui donnait aux yeux de celles-ci un prestige singulier, elles avaient l′air de ne pas le connaître. Et l′une chuchotait: «C′est le petit Saint-Loup. Il paraît qu′il aime toujours sa grue. C′est la grande amour. Quel joli garçon! Moi je le trouve épatant; et quel chic! Il y a tout de même des femmes qui ont une sacrée veine. Et un chic type en tout. Je l′ai bien connu quand j′étais avec d′Orléans. C′était les deux inséparables. Il en faisait une noce à ce moment-là! Mais ce n′est plus ça; il ne lui fait pas de queues. Ah! elle peut dire qu′elle en a une chance. Et je me demande qu′est-ce qu′il peut lui trouver. Il faut qu′il soit tout de même une fameuse truffe. Elle a des pieds comme des bateaux, des moustaches à l′américaine et des dessous sales! Je crois qu′une petite ouvrière ne voudrait pas de ses pantalons. Regardez-moi un peu quels yeux il a, on se jetterait au feu pour un homme comme ça. Tiens, tais-toi, il m′a reconnue, il rit, oh! il me connaissait bien. On n′a qu′à lui parler de moi.» Entre elles et lui je surprenais un regard d′intelligence. J′aurais voulu qu′il me présentât à ces femmes, pouvoir leur demander un rendez-vous et qu′elles me l′accordassent même si je n′avais pas pu l′accepter. Car sans cela leur visage resterait éternellement dépourvu dans ma mémoire, de cette partie de lui-même, — et comme si elle était cachée par un voile — qui varie avec toutes les femmes, que nous ne pouvons imaginer chez l′une quand nous ne l′y avons pas vue, et qui apparaît seulement dans le regard qui s′adresse à nous et qui acquiesce à notre désir et nous promet qu′il sera satisfait. Et pourtant même aussi réduit, leur visage était pour moi bien plus que celui des femmes que j′aurais su vertueuses et ne me semblait pas comme le leur, plat, sans dessous, composé d′une pièce unique et sans épaisseur. Sans doute il n′était pas pour moi ce qu′il devait être pour Saint-Loup qui par la mémoire sous l′indifférence, pour lui transparente, des traits immobiles qui affectaient de ne pas le connaître ou sous la banalité du même salut que l′on eût adressé aussi bien à tout autre, se rappelait, voyait, entre des cheveux défaits, une bouche pâmée et des yeux mi-clos, tout un tableau silencieux comme ceux que les peintres, pour tromper le gros des visiteurs revêtent d′une toile décente. Certes, pour moi au contraire qui sentais que rien de mon être n′avait pénétré en telle ou telle de ces femmes et n′y serait emporté dans les routes inconnues qu′elle suivrait pendant sa vie, ces visages restaient fermés. Mais c′était déjà assez de savoir qu′ils s′ouvraient pour qu′ils me semblassent d′un prix que je ne leur aurais pas trouvé s′ils n′avaient été que de belles médailles, au lieu de médaillons sous lesquels se cachaient des souvenirs d′amour. Quand à Robert, tenant à peine en place, quand il était assis, dissimulant sous un sourire d′homme de cour l′avidité d′agir en homme de guerre, à le bien regarder, je me rendais compte combien l′ossature énergique de son visage triangulaire devait être la même que celle de ses ancêtres, plus faite pour un ardent archer que pour un lettré délicat. Sous la peau fine, la construction hardie, l′architecture féodale apparaissaient. Sa tête faisait penser à ces tours d′antiques donjons dont les créneaux inutilisés restent visibles, mais qu′on a aménagées intérieurement en bibliothèque. He had, in fact, before he made the acquaintance of his present mistress, lived so much in the restricted world of amorous adventure that all the women who would be dining on these evenings at Rivebelle, where many of them had appeared quite by chance, having come to the coast some to join their lovers, others in the hope of finding fresh lovers there, there was scarcely one that he did not know from having spent — or if not he, one or other of his friends — at least one night in their company. He did not bow to them if they were with men, and they, albeit they looked more at him than at anyone else, for the indifference which he was known to feel towards every woman who was not his mistress gave him in their eyes an exceptional interest, appeared not to know him. But you could hear them whispering: “That′s young Saint-Loup. It seems he′s still quite gone on that girl of his. Got it bad, he has. What a dear boy! I think he′s just wonderful; and what style! Some girls do have all the luck, don′t they? And he′s so nice in every way. I saw a lot of him when I was with d′Orléans. They were quite inseparable, those two. He was going the pace, that time. But he′s given it all up now, she can′t complain. She′s had a good run of luck, that she can say. And I ask you, what in the world can he see in her? He must be a bit of a chump, when all′s said and done. She′s got feet like boats, whiskers like an American, and her undies are filthy. I can tell you, a little shop girl would be ashamed to be seen in her knickers. Do just look at his eyes a moment; you would jump into the fire for a man like that. Hush, don′t say a word; he′s seen me; look, he′s smiling. Oh, he remembers me all right. Just you mention my name to him, and see what he says!” Between these girls and him I surprised a glance of mutual understanding. I should have liked him to introduce me to them, so that I might ask them for assignations and they give them to me, even if I had been unable to keep them. For otherwise their appearance would remain for all time devoid, in my memory, of that part of itself — just as though it had been hidden by a veil — which varies in every woman, which we cannot imagine in any woman until we have actually seen it in her, and which is apparent only in the glance that she directs at us, that acquiesces in our desire and promises that it shall be satisfied. And yet, even when thus reduced, their aspect was for me far more than that of women whom I should have known to be virtuous, and it seemed to me not to be, like theirs, flat, with nothing behind it, fashioned in one piece with no solidity. It was not, of course, for me what it must be for Saint-Loup who, by an act of memory, beneath the indifference, transparent to him, of the motionless features which affected not to know him, or beneath the dull formality of the greeting that might equally well have been addressed to anyone else, could recall, could see, through dishevelled locks, a swooning mouth, a pair of half-closed eyes, a whole silent picture like those that painters, to cheat their visitors′ senses, drape with a decent covering. Undoubtedly, for me who felt that nothing of my personality had penetrated the surface of this woman or that, or would be borne by her upon the unknown ways which she would tread through life, those faces remained sealed. But it was quite enough to know that they did open, for them to seem to me of a price which I should not have set on them had they been but precious medals, instead of lockets within which were hidden memories of love. As for Robert, scarcely able to keep in his place at table, concealing beneath a courtier′s smile his warrior′s thirst for action — when I examined him I could see how closely the vigorous structure of his triangular face must have been modelled on that of his ancestors′ faces, a face devised rather for an ardent bowman than for a delicate student. Beneath his fine skin the bold construction, the feudal architecture were apparent. His head made one think of those old dungeon keeps on which the disused battlements are still to be seen, although inside they have been converted into libraries.
En rentrant à Balbec, de telle de ces inconnues à qui il m′avait présenté je me redisais sans m′arrêter une seconde et pourtant sans presque m′en apercevoir: «Quelle femme délicieuse!» comme on chante un refrain. Certes, ces paroles étaient plutôt dictées par les dispositions nerveuses que par un jugement durable. Il n′en est pas moins vrai que si j′eusse eu mille francs sur moi et qu′il y eût encore des bijoutiers d′ouverts à cette heure-là, j′eusse acheté une bague à l′inconnue. Quand les heures de notre vie se déroulent ainsi que sur des plans trop différents, on se trouve donner trop de soi pour des personnes diverses qui le lendemain vous semblent sans intérêt. Mais on se sent responsable de ce qu′on leur a dit la veille et on veut y faire honneur. On our way back to Balbec, of those of the fair strangers to whom he had introduced me I would repeat to myself without a moment′s interruption, and yet almost unconsciously: “What a delightful woman!” as one chimes in with the refrain of a song. I admit that these words were prompted rather by the state of my nerves than by any lasting judgment. It was nevertheless true that if I had had a thousand francs on me and if there had still been a jeweller′s shop open at that hour, I should have bought the lady a ring. When the successive hours of our life are thus displayed against too widely dissimilar backgrounds, we find that we give away too much of ourselves to all sorts of people who next day will not interest us in the least. But we feel that we are still responsible for what we said to them overnight, and that we must honour our promises.
Comme ces soirs-là je rentrais plus tard, je retrouvais avec plaisir dans ma chambre qui n′était plus hostile le lit où le jour de mon arrivée, j′avais cru qu′il me serait toujours impossible de me reposer et où maintenant mes membres si las cherchaient un soutien; de sorte que successivement mes cuisses, mes hanches, mes épaules tâchaient d′adhérer en tous leurs points aux draps qui enveloppaient le matelas, comme si ma fatigue, pareille à un sculpteur, avait voulu prendre un moulage total d′un corps humain. Mais je ne pouvais m′endormir, je sentais approcher le matin; le calme, la bonne santé n′étaient plus en moi. Dans ma détresse, il me semblait que jamais je ne les retrouverais plus. Il m′eût fallu dormir longtemps pour les rejoindre. Or, me fussé-je assoupi, que de toutes façons je serais réveillé deux heures après par le concert symphonique. Tout à coup je m′endormais, je tombais dans ce sommeil lourd où se dévoilent pour nous le retour à la jeunesse, la reprise des années passées, des sentiments perdus, la désincarnation, la transmigration des âmes, l′évocation des morts, les illusions de la folie, la régression vers les règnes les plus élémentaires de la nature (car on dit que nous voyons souvent des animaux en rêve, mais on oublie que presque toujours que nous y sommes nous-même un animal privé de cette raison qui projette sur les choses une clarté de certitude; nous n′y offrons au contraire, au spectacle de la vie, qu′une vision douteuse et à chaque minute anéantie pour l′oubli, la réalité précédente s′évanouissant devant celle qui lui succède comme une projection de lanterne magique devant la suivante quand on a changé le verre), tous ces mystères que nous croyons ne pas connaître et auxquels nous sommes en réalité initiés presque toutes les nuits ainsi qu′à l′autre grand mystère de l′anéantissement et de la résurrection. Rendue plus vagabonde par la digestion difficile du dîner de Rivebelle, l′illumination successive et errante de zones assombries de mon passé faisait de moi un être dont le suprême bonheur eût été de rencontrer Legrandin avec lequel je venais de causer en rêve. As on these evenings I came back later than usual to the hotel, it was with joy that I recognised, in a room no longer hostile, the bed on which, on the day of my arrival, I had supposed that it would always be impossible for me to find any rest, whereas now my weary limbs turned to it for support; so that, in turn, thighs, hips, shoulders burrowed into, trying to adhere at every angle to, the sheets that covered its mattress, as if my fatigue, like a sculptor, had wished to take a cast of an entire human body. But I could not go to sleep; I felt the approach of morning; peace of mind, health of body, were no longer mine. In my distress it seemed that never should I recapture them. I should have had to sleep for a long time if I were to overtake them. But then, had I begun to doze, I must in any event be awakened in a couple of hours by the symphonic concert on the beach. Suddenly I was asleep, I had fallen into that deep slumber in which are opened to us a return to childhood, the recapture of past years, of lost feelings, the disincarnation, the transmigration of the soul, the evoking of the dead, the illusions of madness, retrogression towards the most elementary of the natural kingdoms (for we say that we often see animals in our dreams, but we forget almost always that we are ourself then an animal deprived of that reasoning power which projects upon things the light of certainty; we present on the contrary to the spectacle of life only a dubious vision, destroyed afresh every moment by oblivion, the former reality fading before that which follows it as one projection of a magic lantern fades before the next as we change the slide), all those mysteries which we imagine ourselves not to know and into which we are in reality initiated almost every night, as we are into the other great mystery of annihilation and resurrection. Rendered more vagabond by the difficulty of digesting my Rivebelle dinner, the successive and flickering illumination of shadowy zones of my past made of me a being whose supreme happiness would have been that of meeting Legrandin, with whom I had just been talking in my dream.
Puis, même ma propre vie m′était entièrement cachée par un décor nouveau, comme celui planté tout au bord du plateau et devant lequel pendant que, derrière, on procède aux changements de tableaux, des acteurs donnent un divertissement. Celui où je tenais alors mon rôle, était dans le goût des contes orientaux, je n′y savais rien de mon passé ni de moi-même, à cause de cet extrême rapprochement d′un décor interposé; je n′étais qu′un personnage qui recevait la bastonnade et subissais des châtiments variés pour une faute que je n′apercevais pas mais qui était d′avoir bu trop de porto. Tout à coup je m′éveillais, je m′apercevais qu′à la faveur d′un long sommeil, je n′avais pas entendu le concert symphonique. C′était déjà l′après-midi; je m′en assurais à ma montre, après quelques efforts pour me redresser, efforts infructueux d′abord et interrompus par des chutes sur l′oreiller, mais de ces chutes courtes qui suivent le sommeil comme les autres ivresses, que ce soit le vin qui les procure, ou une convalescence; du reste avant même d′avoir regardé l′heure j′étais certain que midi était passé. Hier soir, je n′étais plus qu′un être vidé, sans poids (et comme il faut avoir été couché pour être capable de s′asseoir et avoir dormi pour l′être de se taire), je ne pouvais cesser de remuer ni de parler, je n′avais plus de consistance, de centre de gravité, j′étais lancé, il me semblait que j′aurais pu continuer ma morne course jusque dans la lune. Or, si en dormant mes yeux n′avaient pas vu l′heure, mon corps avait su la calculer, il avait mesuré le temps non pas sur un cadran superficiellement figuré, mais par la pesée progressive de toutes mes forces refaites que comme une puissante horloge il avait cran par cran, laissé descendre de mon cerveau dans le reste de mon corps où elles entassaient maintenant jusque au-dessus de mes genoux l′abondance intacte de leurs provisions. S′il est vrai que la mer ait été autrefois notre milieu vital où il faille replonger notre sang pour retrouver nos forces, il en est de même de l′oubli, du néant mental; on semble alors absent du temps pendant quelques heures; mais les forces qui se sont rangées pendant ce temps-là sans être dépensées le mesurent par leur quantité aussi exactement que les poids de l′horloge où les croulants monticules du sablier. On ne sort, d′ailleurs, pas plus aisément d′un tel sommeil que de la veille prolongée, tant toutes choses tendent à durer et s′il est vrai que certains narcotiques font dormir, dormir longtemps est un narcotique plus puissant encore, après lequel on a bien de la peine à se réveiller. Pareil à un matelot qui voit bien le quai où amarrer sa barque, secouée cependant encore par les flots, j′avais bien l′idée de regarder l′heure et de me lever, mais mon corps était à tout instant rejeté dans le sommeil; l′atterrissage était difficile, et avant de me mettre debout pour atteindre ma montre et confronter son heure avec celle qu′indiquait la richesse de matériaux dont disposaient mes jambes rompues, je retombais encore deux ou trois fois sur mon oreiller. And then, even my own life was entirely hidden from me by a new setting, like the ‘drop′ lowered right at the front of the stage before which, while the scene shifters are busy behind, actors appear in a fresh ‘turn.′ The turn in which I was now cast for a part was in the manner of an Oriental fairy-tale; I retained no knowledge of my past or of myself, on account of the intense proximity of this interpolated scenery; I was merely a person who received the bastinado and underwent various punishments for a crime the nature of which I could not distinguish, though it was actually that of having taken too much port wine. Suddenly I awoke and discovered that, thanks to a long sleep, I had not heard a note of the concert. It was already afternoon; I verified this by my watch after several efforts to sit up in bed, efforts fruitless at first and interrupted by backward falls on to my pillow, but those short falls which are a sequel of sleep as of other forms of intoxication, whether due to wine or to convalescence; besides, before I had so much as looked at the time, I was certain that it was past midday. Last night I had been nothing more than an empty vessel, without weight, and (since I must first have gone to bed to be able to keep still, and have been asleep to be able to keep silent) had been unable to refrain from moving about and talking; I had no longer any stability, any centre of gravity, I was set in motion and it seemed that I might have continued on my dreary course until I reached the moon. But if, while I slept, my eyes had not seen the time, my body had nevertheless contrived to calculate it, had measured the hours; not on a dial superficially marked and figured, but by the steadily growing weight of all my replenished forces which, like, a powerful clockwork, it had allowed, notch by notch, to descend from my brain into the rest of my body in which there had risen now to above my knees the unbroken abundance of their store. If it is true that the sea was once upon a time our native element, into which we must plunge our cooling blood if we are to recover our strength, it is the same with the oblivion, the mental non-existence of sleep; we seem then to absent ourselves for a few hours from Time, but the forces which we have gathered in that interval without expending them, measure it by their quantity as accurately as the pendulum of the clock or the crumbling pyramid of the sandglass. Nor does one emerge more easily from such sleep than from a prolonged spell of wakefulness, so strongly does everything tend to persist; and if it is true that certain narcotics make us sleep, to have slept for any time is an even stronger narcotic, after which we have great difficulty in making ourselves wake up. Like a sailor who sees plainly the harbour in which he can moor his vessel, still tossed by the waves, I had a quite definite idea of looking at the time and of getting up, but my body was at every moment cast back upon the tide of sleep; the landing was difficult, and before I attained a position in which I could reach my watch and confront with its time that indicated by the wealth of accumulated material which my stiffened limbs had at their disposal, I fell back two or three times more upon my pillow.
Enfin je voyais clairement: «deux heures de l′après-midi!» je sonnais, mais aussitôt je rentrais dans un sommeil qui cette fois devait être infiniment plus long, si j′en jugeais par le repos et la vision d′une immense nuit dépassée, que je trouvais au réveil. Pourtant comme celui-ci était causé par l′entrée de Françoise, entrée qu′avait elle-même motivée mon coup de sonnette. Ce nouveau sommeil qui me paraissait avoir dû être plus long que l′autre et avait amené en moi tant de bien-être et d′oubli, n′avait duré qu′une demi-minute. At length I could reach and read it: “Two o′clock in the afternoon!” I rang; but at once I returned to a slumber which, this time, must have lasted infinitely longer, if I was to judge by the refreshment, the vision of an immense night overpassed, which I found on awakening. And yet as my awakening was caused by the entry of Françoise, and as her entry had been prompted by my ringing the bell, this second sleep which, it seemed to me, must have been longer than the other, and had brought me so much comfort and forgetfulness, could not have lasted for more than half a minute.
Ma grand-mère ouvrait la porte de ma chambre, je lui posais mille questions sur la famille Legrandin. My grandmother opened the door of my bedroom; I asked her various questions about the Legrandin family.
Ce n′est pas assez de dire que j′avais rejoint le calme et la santé, car c′était plus qu′une simple distance qui les avait la veille séparés de moi, j′avais eu toute la nuit à lutter contre un flot contraire, et puis je ne me retrouvais pas seulement auprès d′eux, ils étaient rentrés en moi. A des points précis et encore un peu douloureux de ma tête vide et qui serait un jour brisée, laissant mes idées s′échapper à jamais, celles-ci avaient une fois encore repris leur place, et retrouvé cette existence dont hélas jusqu′ici elles n′avaient pas su profiter. It is not enough to say that I had returned to tranquillity and health, for it was more than a mere interval of space that had divided them from me yesterday, I had had all night long to struggle against a contrary tide, and now I not only found myself again in their presence, they had once more entered into me. At certain definite and still somewhat painful points beneath the surface of my empty head which would one day be broken, letting my ideas escape for all time, those ideas had once again taken their proper places and resumed that existence by which hitherto, alas, they had failed to profit.
Une fois de plus j′avais échappé à l′impossibilité de dormir, au déluge, au naufrage des crises nerveuses. Je ne craignais plus du tout ce qui me menaçait la veille au soir quand j′étais démuni de repos. Une nouvelle vie s′ouvrait devant moi; sans faire un seul mouvement, car j′étais encore brisé quoique déjà dispos, je goûtais ma fatigue avec allégresse; elle avait isolé et rompu les os de mes jambes, de mes bras, que je sentais assemblés devant moi, prêts à se rejoindre, et que j′allais relever rien qu′en chantant comme l′architecte de la fable. Once again I had escaped from the impossibility of sleeping, from the deluge, the shipwreck of my nervous storms. I feared now not at all the menaces that had loomed over me the evening before, when I was dismantled of repose. A new life was opening before me; without making a single movement, for I was still shattered, although quite alert and well, I savoured my weariness with a light heart; it had isolated and broken asunder the bones of my legs and arms, which I could feel assembled before me, ready to cleave together, and which I was to raise to life merely by singing, like the builder in the fable.
Tout à coup je me rappelai la jeune blonde à l′air triste que j′avais vue à Rivebelle et qui m′avait regardé un instant. Pendant toute la soirée, bien d′autres m′avaient semblé agréables, maintenant elle venait seule de s′élever du fond de mon souvenir. Il me semblait qu′elle m′avait remarqué, je m′attendais à ce qu′un des garçons de Rivebelle vînt me dire un mot de sa part. Saint-Loup ne la connaissait pas et croyait qu′elle était comme il faut. Il serait bien difficile de la voir, de la voir sans cesse. Mais j′étais prêt à tout pour cela, je ne pensais plus qu′à elle. La philosophie parle souvent d′actes libres et d′actes nécessaires. Peut-être n′en est-il pas de plus complètement subi par nous, que celui qui en vertu d′une force ascensionnelle comprimée pendant l′action, fait jusque-là une fois notre pensée au repos, remonter ainsi un souvenir nivelé avec les autres par la force oppressive de la distraction, et s′élancer parce qu′à notre insu il contenait plus que les autres un charme dont nous ne nous apercevons que vingt quatre heures après. Et peut-être n′y a-t-il pas non plus d′acte aussi libre, car il est encore dépourvu de l′habitude, de cette sorte de manie mentale qui dans l′amour, favorise la renaissance exclusive de l′image d′une certaine personne. Suddenly I thought of the fair girl with the sad expression whom I had seen at Rivebelle, where she had looked at me for a moment. Many others, in the course of the evening, had seemed to me attractive; now she alone arose from the dark places of my memory. I had felt that she noticed me, had expected one of the waiters to come to me with a whispered message from her. Saint-Loup did not know her and fancied that she was respectable. It would be very difficult to see her, to see her constantly. But I was prepared to make any sacrifice, I thought now only of her. Philosophy distinguishes often between free and necessary acts. Perhaps there is none to the necessity of which we are more completely subjected than that which, by virtue of an ascending power held in check during the act itself, makes so unfailingly (once our mind is at rest) spring up a memory that was levelled with other memories by the distributed pressure of our indifference, and rush to the surface, because unknown to us it contained, more than any of the others, a charm of which we do not become aware until the following day. And perhaps there is not, either, any act so free, for it is still unprompted by habit, by that sort of mental hallucination which, when we are in love, facilitates the invariable reappearance of the image of one particular person.
Ce jour-là était justement le lendemain de celui où j′avais vu défiler devant la mer le beau cortège de jeunes filles. J′interrogeai à leur sujet plusieurs clients de l′hôtel, qui venaient presque tous les ans à Balbec. Ils ne purent me renseigner. Plus tard une photographie m′expliqua pourquoi. Qui eût pu reconnaître maintenant en elles, à peine mais déjà sorties d′un âge où on change si complètement, telle masse amorphe et délicieuse, encore tout enfantine, de petites filles que, quelques années seulement auparavant, on pouvait voir assises en cercle sur le sable, autour d′une tente: sorte de blanche et vague constellation où l′on n′eût distingué deux yeux plus brillants que les autres, un malicieux visage, des cheveux blonds, que pour les reperdre et les confondre bien vite au sein de la nébuleuse indistincte et lactée. This was the day immediately following that on which I had seen file past me against a background of sea the beautiful procession of young girls. I put questions about them to a number of the visitors in the hotel, people who came almost every year to Balbec. They could tell me nothing. Later on, a photograph shewed me why. Who could ever recognise now in them, scarcely and yet quite definitely beyond an age in which one changes so utterly, that amorphous, delicious mass, still wholly infantine, of little girls who, only a few years back, might have been seen sitting in a ring on the sand round a tent; a sort of white and vague constellation in which one would have distinguished a pair of eyes that sparkled more than the rest, a mischievous face, flaxen hair, only to lose them again and to confound them almost at once in the indistinct and milky nebula.
Sans doute en ces années-là encore si peu éloignées, ce n′était pas comme la veille dans leur première apparition devant moi, la vision du groupe, mais le groupe lui-même qui manquait de netteté. Alors, ces enfants trop jeunes étaient encore à ce degré élémentaire de formation où la personnalité n′a pas mis son sceau sur chaque visage. Comme ces organismes primitifs où l′individu n′existe guère par lui-même, est plutôt constitué par le polypier que par chacun des polypes qui le composent, elles restaient pressées les unes contre les autres. Parfois l′une faisait tomber sa voisine, et alors un fou rire qui semblait la seule manifestation de leur vie personnelle, les agitait toutes à la fois, effaçant, confondant ces visages indécis et grimaçants dans la gelée d′une seule grappe scintillatrice et tremblante. Dans une photographie ancienne qu′elles devaient me donner un jour, et que j′ai gardée, leur troupe enfantine offre déjà le même nombre de figurantes, que plus tard leur cortège féminin; on y sent qu′elles devaient déjà faire sur la plage une tache singulière qui forçait à les regarder; mais on ne peut les y reconnaître individuellement que par le raisonnement, en laissant le champ libre à toutes les transformations possibles pendant la jeunesse jusqu′à la limite où ces formes reconstituées empiétraient sur une autre individualité qu′il faut identifier aussi et dont le beau visage, à cause de la concomitance d′une grande taille et de cheveux frisés, a chance d′avoir été jadis ce ratatinement de grimace rabougrie présenté par la carte-album; et la distance parcourue en peu de temps par les caractères physiques de chacune de ces jeunes filles, faisant d′eux un critérium fort vague et d′autre part ce qu′elles avaient de commun et comme de collectif étant dès lors marqué, il arrivait parfois à leurs meilleures amies de les prendre l′une pour l′autre sur cette photographie, si bien que le doute ne pouvait finalement être tranché que par tel accessoire de toilette que l′une était certaine d′avoir porté, à l′exclusion des autres. Depuis ces jours si différents de celui où je venais de les voir sur la digue, si différents et pourtant si proches, elles se laissaient encore aller au rire comme je m′en étais rendu compte la veille, mais à un rire qui n′était pas celui intermittent et presque automatique de l′enfance, détente spasmodique qui autrefois faisait à tous moments faire un plongeon à ces têtes comme les blocs de vairons dans la Vivonne se dispersaient et disparaissaient pour se reformer un instant après; leurs physionomies maintenant étaient devenues maîtresses d′elles-mêmes, leurs yeux étaient fixés sur le but qu′ils poursuivaient; et il avait fallu hier l′indécision et le tremblé de ma perception première pour confondre indistinctement, comme l′avait fait l′hilarité ancienne et la vieille photographie — les sporades aujourd′hui individualisées et désunies du pâle madrépore. No doubt, in those earlier years that were still so recent, it was not, as it had been yesterday when they appeared for the first time before me, one′s impression of the group, but the group itself that had been lacking in clearness. Then those children, mere babies, had been still at that elementary stage in their formation when personality has not set its seal on every face. Like those primitive organisms in which the individual barely exists by itself, consists in the reef rather than in the coral insects that compose it, they were still pressed one against another. Sometimes one pushed her neighbour over, and then a wild laugh, which seemed the sole manifestation of their personal life, convulsed them all at once, obliterating, confounding those indefinite, grinning faces in the congealment of a single cluster, scintillating and tremulous. In an old photograph of themselves, which they were one day to give me, and which I have kept ever since, their infantile troop already presents the same number of participants as, later, their feminine procession; one can see from it that their presence must, even then, have made on the beach an unusual mark which forced itself on the attention; but one cannot recognise them individually in it save by a process of reasoning, leaving a clear field to all the transformations possible during girlhood, up to the point at which one reconstructed form would begin to encroach upon another individuality, which must be identified also, and whose handsome face, owing to the accessories of a large build and curly hair, may quite possibly have been, once, that wizened and impish little grin which the photograph album presents to us; and the distance traversed in a short interval of time by the physical characteristics of each of these girls making of them a criterion too vague to be of any use, whereas what they had in common and, so to speak, collectively, had at that early date been strongly marked, it sometimes happened that even their most intimate friends mistook one for another in this photograph, so much so that the question could in the last resort be settled only by some detail of costume which one of them could be certain that she herself, and not any of the others, had worn. Since those days, so different from the day on which I had just seen them strolling along the ‘front,′ so different and yet so close in time, they still gave way to fits of laughter, as I had observed that afternoon, but to laughter of a kind that was no longer the intermittent and almost automatic laughter of childhood, a spasmodic discharge which, in those days, had continually sent their heads dipping out of the circle, as the clusters of minnows in the Vivonne used to scatter and vanish only to gather again a moment later; each countenance was now mistress of itself, their eyes were fixed on the goal towards which they were marching; and it had taken, yesterday, the indecision and tremulousness of my first impression to make me confuse vaguely (as their childish hilarity and the old photograph had confused) the spores now individualised and disjoined of the pale madrepore.
Sans doute bien des fois, au passage de jolies jeunes filles, je m′étais fait la promesse de les revoir. D′habitude, elles ne reparaissent pas; d′ailleurs la mémoire qui oublie vite leur existence, retrouverait difficilement leurs traits; nos yeux ne les reconnaîtraient peut-être pas, et déjà nous avons vu passer de nouvelles jeunes filles que nous ne reverrons pas non plus. Mais d′autres fois et c′est ainsi que cela devait arriver pour la petite bande insolente, le hasard les ramène avec insistance devant nous. Il nous paraît alors beau, car nous discernons en lui, comme un commencement d′organisation, d′effort, pour composer notre vie; il nous rend facile, inévitable et quelquefois — après des interruptions qui ont pu faire espérer de cesser de nous souvenir — cruelle, la fidélité des images à la possession desquelles nous nous croirons plus tard avoir été prédestinés, et que sans lui nous aurions pu, tout au début, oublier, comme tant d′autres, si aisément. Repeatedly, I dare say, when pretty girls went by, I had promised myself that I would see them again. As a rule, people do not appear a second time; moreover our memory, which speedily forgets their existence, would find it difficult to recall their appearance; our eyes would not recognise them, perhaps, and in the meantime we have seen new girls go by, whom we shall not see again either. But at other times, and this was what was to happen with the pert little band at Balbec, chance brings them back insistently before our eyes. Chance seems to us then a good and useful thing, for we discern in it as it were rudiments of organisation, of an attempt to arrange our life; and it makes easy to us, inevitable, and sometimes — after interruptions that have made us hope that we may cease to remember — cruel, the retention in our minds of images to the possession of which we shall come in time to believe that we were predestined, and which but for chance we should from the very first have managed to forget, like so many others, with so little difficulty.
Bientôt le séjour de Saint-Loup toucha à sa fin. Je n′avais pas revu ces jeunes filles sur la plage. Il restait trop peu l′après-midi à Balbec pour pouvoir s′occuper d′elles et tâcher de faire, à mon intention, leur connaissance. Le soir il était plus libre et continuait à m′emmener souvent à Rivebelle. Il y a dans ces restaurants, comme dans les jardins publics et les trains, des gens enfermés dans une apparence ordinaire et dont le nom nous étonne, si l′ayant par hasard demandé, nous découvrons qu′ils sont non l′inoffensif premier venu que nous supposions, mais rien de moins que le ministre ou le duc dont nous avons si souvent entendu parler. Déjà deux ou trois fois dans le restaurant de Rivebelle, nous avions, Saint-Loup et moi, vu venir s′asseoir à une table quand tout le monde commençait à partir un homme de grande taille, très musclé, aux traits réguliers, à la barbe grisonnante, mais de qui le regard songeur restait fixé avec application dans le vide. Un soir que nous demandions au patron qui était ce dîneur obscur, isolé et retardataire: «Comment, vous ne connaissiez pas le célèbre peintre Elstir?» nous dit-il. Swann avait une fois prononcé son nom devant moi, j′avais entièrement oublié à quel propos; mais l′omission d′un souvenir, comme celui d′un membre de phrase dans une lecture, favorise parfois non l′incertitude, mais l′éclosion d′une certitude prématurée. «C′est un ami de Swann, et un artiste très connu, de grande valeur», dis-je à Saint-Loup. Aussitôt passa sur lui et sur moi, comme un frisson, la pensée qu′Elstir était un grand artiste, un homme célèbre, puis, que nous confondant avec les autres dîneurs, il ne se doutait pas de l′exaltation où nous jetait l′idée de son talent. Sans doute, qu′il ignorât notre admiration, et que nous connaissions Swann, ne nous eût pas été pénible si nous n′avions pas été aux bains de mer. Mais attardés à un âge où l′enthousiasme ne peut rester silencieux, et transportés dans une vie où l′incognito semble étouffant, nous écrivîmes une lettre signée de nos noms, où nous dévoilions à Elstir dans les deux dîneurs assis à quelques pas de lui deux amateurs passionnés de son talent, deux amis de son grand ami Swann et où nous demandions à lui présenter nos hommages. Un garçon se chargea de porter cette missive à l′homme célèbre. Presently Saint-Loup′s visit drew to an end. I had not seen that party of girls again on the beach. He was too little at Balbec in the afternoons to have time to bother about them, or to attempt, in my interest, to make their acquaintance. In the evenings he was more free, and continued to take me constantly to Rivebelle. There are, in those restaurants, as there are in public gardens and railway trains, people embodied in a quite ordinary appearance, whose name astonishes us when, having happened to ask it, we discover that this is not the mere inoffensive stranger whom we supposed but nothing less than the Minister or Duke of whom we have so often heard. Two or three times already, in the Rivebelle restaurant, we had — Saint-Loup and I— seen come in and sit down at a table when everyone else was getting ready to go, a man of large stature, very muscular, with regular features and a grizzled beard, gazing, with concentrated attention, into the empty air. One evening, on our asking the landlord who was this obscure, solitary and belated diner, “What!” he exclaimed, “do you mean to say you don′t know the famous painter Elstir?” Swann had once mentioned his name to me, I had entirely forgotten in what connexion; but the omission of a particular memory, like that of part of a sentence when we are reading, leads sometimes not to uncertainty but to a birth of certainty that is premature. “He is a friend of Swann, a very well known artist, extremely good,” I told Saint-Loup. Whereupon there passed over us both, like a wave of emotion, the thought that Elstir was a great artist, a celebrated man, and that, confounding us with the rest of the diners, he had no suspicion of the ecstasy into which we were thrown by the idea of his talent. Doubtless, his unconsciousness of our admiration and of our acquaintance with Swann would not have troubled us had we not been at the seaside. But since we were still at an age when enthusiasm cannot keep silence, and had been transported into a life in which not to be known is unendurable, we wrote a letter, signed with both our names, in which we revealed to Elstir in the two diners seated within a few feet of him two passionate admirers of his talent, two friends of his great friend Swann, and asked to be allowed to pay our homage to him in person. A waiter undertook to convey this missive to the celebrity.
Célèbre, Elstir ne l′était peut-être pas encore à cette époque tout à fait autant que le prétendait le patron de l′établissement, et qu′il le fut d′ailleurs bien peu d′années plus tard. Mais il avait été un des premiers à habiter ce restaurant alors que ce n′était encore qu′une sorte de ferme et à y amener une colonie d′artistes (qui avaient du reste tous émigré ailleurs dès que la ferme où l′on mangeait en plein air sous un simple auvent, était devenue un centre élégant; Elstir lui-même ne revenait en ce moment à Rivebelle qu′à cause d′une absence de sa femme avec laquelle il habitait non loin de là). Mais un grand talent, même quand il n′est pas encore reconnu, provoque nécessairement quelques phénomènes d′admiration, tels que le patron de la ferme avait été à même d′en distinguer dans les questions de plus d′une Anglaise de passage, avide de renseignements sur la vie que menait Elstir, ou dans le nombre de lettres que celui-ci recevait de l′étranger. Alors le patron avait remarqué davantage qu′Elstir n′aimait pas être dérangé pendant qu′il travaillait, qu′il se relevait la nuit pour emmener un petit modèle poser nu au bord de la mer, quand il y avait clair de lune, et il s′était dit que tant de fatigues n′étaient pas perdues, ni l′admiration des touristes injustifiée, quand il avait dans un tableau d′Elstir reconnu une croix de bois qui était plantée à l′entrée de Rivebelle. A celebrity Elstir was, perhaps, not yet at this period quite to the extent claimed by the landlord, though he was to reach the height of his fame within a very few years. But he had been one of the first to frequent this restaurant when it was still only a sort of farmhouse, and had brought to it a whole colony of artists (who had all, as it happened, migrated elsewhere as soon as the farm-yard in which they used to feed in the open air, under a lean-to roof, had become a fashionable centre); Elstir himself had returned to Rivebelle this evening only on account of a temporary absence of his wife, from the house which he had taken in the neighbourhood. But great talent, even when its existence is not yet recognised, will inevitably provoke certain phenomena of admiration, such as the landlord had managed to detect in the questions asked by more than one English lady visitor, athirst for information as to the life led by Elstir, or in the number of letters that he received from abroad. Then the landlord had further remarked that Elstir did not like to be disturbed when he was working, that he would rise in the middle of the night and take a little model down to the water′s edge to pose for him, nude, if the moon was shining; and had told himself that so much labour was not in vain, nor the admiration of the tourists unjustified when he had, in one of Elstir′s pictures, recognised a wooden cross which stood by the roadside as you came into Rivebelle.
— C′est bien elle, répétait-il avec stupéfaction. Il y a les quatre morceaux! Ah! aussi il s′en donne une peine! “It′s all right!” he would repeat with stupefaction, “there are all the four beams! Oh, he does take a lot of trouble!”
Et il ne savait pas si un petit «lever de soleil sur la mer» qu′Elstir lui avait donné, ne valait pas une fortune. And he did not know whether a little Sunrise Over the Sea which Elstir had given him might not be worth a fortune.
Nous le vîmes lire notre lettre, la remettre dans sa poche, continuer à dîner, commencer à demander ses affaires, se lever pour partir, et nous étions tellement sûrs de l′avoir choqué par notre démarche que nous eussions souhaité maintenant, tout autant que nous l′avions redouté) de partir sans avoir été remarqués par lui. Nous ne pensions pas un seul instant à une chose qui aurait dû pourtant nous sembler la plus importante, c′est que notre enthousiasme pour Elstir, de la sincérité duquel nous n′aurions pas permis qu′on doutât et dont nous aurions pu, en effet, donner comme témoignage notre respiration entrecoupée par l′attente, notre désir de faire n′importe quoi de difficile ou d′héroî°µe pour le grand homme, n′était pas, comme nous nous le figurions, de l′admiration, puisque nous n′avions jamais rien vu d′Elstir; notre sentiment pouvait avoir pour objet l′idée creuse de «un grand artiste», non pas une uvre qui nous était inconnue. C′était tout au plus de l′admiration à vide, le cadre nerveux, l′armature sentimentale d′une admiration sans contenu, c′est-à-dire quelque chose d′aussi indissolublement attaché à l′enfance que certains organes qui n′existent plus chez l′homme adulte; nous étions encore des enfants. Elstir cependant allait arriver à la porte, quand tout à coup il fit un crochet et vint à nous. J′étais transporté d′une délicieuse épouvante comme je n′aurais pu en éprouver quelques années plus tard, parce que, en même temps que l′âge diminue la capacité, l′habitude du monde ôte toute idée de provoquer d′aussi étranges occasions, de ressentir ce genre d′émotions. We watched him read our letter, put it in his pocket, finish his dinner, begin to ask for his things, get up to go; and we were so convinced that we had shocked him by our overture that we would now have hoped (as keenly as at first we had dreaded) to make our escape without his noticing us. We did not bear in mind for a single instant a consideration which should, nevertheless, have seemed to us most important, namely that our enthusiasm for Elstir, on the sincerity of which we should not have allowed the least doubt to be cast, which we could indeed have supported with the evidence of our breathing arrested by expectancy, our desire to do no matter what that was difficult or heroic for the great man, was not, as we imagined it to be, admiration, since neither of us had ever seen anything that he had painted; our feeling might have as its object the hollow idea of a ‘great artist,′ but not a body of work which was unknown to us. It was, at the most, admiration in the abstract, the nervous envelope, the sentimental structure of an admiration without content, that is to say a thing as indissolubly attached to boyhood as are certain organs which have ceased to exist in the adult man; we were still boys. Elstir meanwhile was reaching the door when suddenly he turned and came towards us. I was transported by a delicious thrill of terror such as I could not have felt a few years later, because, while age diminishes our capacity, familiarity with the world has meanwhile destroyed in us any inclination to provoke such strange encounters, to feel that kind of emotion.
Dans les quelques mots qu′Elstir vint nous dire, en s′asseyant à notre table, il ne me répondit jamais, les diverses fois où je lui parlai de Swann. Je commençai à croire qu′il ne le connaissait pas. Il ne m′en demanda pas moins d′aller le voir à son atelier de Balbec, invitation qu′il n′adressa pas à Saint-Loup, et que me valurent, ce que n′aurait peut-être pas fait la recommandation de Swann si Elstir eût été lié avec lui (car la part des sentiments désintéressés est plus grande qu′on ne croit dans la vie des hommes) quelques paroles qui lui firent penser que j′aimais les arts. Il prodigua pour moi une amabilité, qui était aussi supérieure à celle de Saint-Loup que celle-ci à l′affabilité d′un petit bourgeois. A côté de celle d′un grand artiste, l′amabilité d′un grand seigneur, si charmante soit-elle, a l′air d′un jeu d′acteur, d′une simulation. Saint-Loup cherchait à plaire, Elstir aimait à donner, à se donner. Tout ce qu′il possédait, idées, uvres, et le reste qu′il comptait pour bien moins, il l′eût donné avec joie à quelqu′un qui l′eût compris. Mais faute d′une société supportable, il vivait dans un isolement, avec une sauvagerie que les gens du monde appelaient de la pose et de la mauvaise éducation, les pouvoirs publics un mauvais esprit, ses voisins, de la folie, sa famille de l′égoî²­e et de l′orgueil. In the course of the few words that Elstir had come back to say to us, sitting down at our table, he never gave any answer on the several occasions on which I spoke to him of Swann. I began to think that he did not know him. He asked me, nevertheless, to come and see him at his Balbec studio, an invitation which he did not extend to Saint-Loup, and which I had earned (as I might not, perhaps, from Swann′s recommendation, had Elstir been intimate with him, for the part played by disinterested motives is greater than we are inclined to think in people′s lives) by a few words which made him think that I was devoted to the arts. He lavished on me a friendliness which was as far above that of Saint-Loup as that was above the affability of a mere tradesman. Compared with that of a great artist, the friendliness of a great gentleman, charming as it may be, has the effect of an actor′s playing a part, of being feigned. Saint-Loup sought to please; Elstir loved to give, to give himself. Everything that he possessed, ideas, work, and the rest which he counted for far less, he would have given gladly to anyone who could understand him. But, failing society that was endurable, he lived in an isolation, with a savagery which fashionable people called pose and ill-breeding, public authorities a recalcitrant spirit, his neighbours madness, his family selfishness and pride.
Et sans doute les premiers temps avait-il pensé, dans la solitude même, avec plaisir que, par le moyen de ses uvres, il s′adressait à distance, il donnait une plus haute idée de lui, à ceux qui l′avaient méconnu ou froissé. Peut-être alors vécut-il seul, non par indifférence, mais par amour des autres, et, comme j′avais renoncé à Gilberte pour lui réapparaître un jour sous des couleurs plus aimables, destinait-il son uvre à certains, comme un retour vers eux, où sans le revoir lui-même, on l′aimerait, on l′admirerait, on s′entretiendrait de lui; un renoncement n′est pas toujours total dès le début, quand nous le décidons avec notre âme ancienne et avant que par réaction il n′ait agi sur nous, qu′il s′agisse du renoncement d′un malade, d′un moine, d′un artiste, d′un héros. Mais s′il avait voulu produire en vue de quelques personnes, en produisant, lui avait vécu pour lui-même, loin de la société à laquelle il était indifférent; la pratique de la solitude lui en avait donné l′amour comme il arrive pour toute grande chose que nous avons crainte d′abord, parce que nous la savions incompatible avec de plus petites auxquelles nous tenions et dont elle nous prive moins qu′elle ne nous détache. Avant de la connaître, toute notre préoccupation est de savoir dans quelle mesure nous pourrons la concilier avec certains plaisirs qui cessent d′en être dès que nous l′avons connue. And no doubt at first he had thought, even in his solitude, with enjoyment that, thanks to his work, he was addressing, in spite of distance, he was giving a loftier idea of himself, to those who had misunderstood or hurt him. Perhaps, in those days, he lived alone not from indifference but from love of his fellows, and, just as I had renounced Gilberte to appear to her again one day in more attractive colours, dedicated his work to certain people as a way of approaching them again, by which without actually seeing him they would be made to love him, admire him, talk about him; a renunciation is not always complete from the start, when we decide upon it in our original frame of mind and before it has reacted upon us, whether it be the renunciation of an invalid, a monk, an artist or a hero. But if he had wished to produce with certain people in his mind, in producing he had lived for himself, remote from the society to which he had become indifferent; the practice of solitude had given him a love for it, as happens with every big thing which we have begun by fearing, because we knew it to be incompatible with smaller things to which we clung, and of which it does not so much deprive us as it detaches us from them. Before we experience it, our whole preoccupation is to know to what extent we can reconcile it with certain pleasures which cease to be pleasures as soon as we have experienced it.
Elstir ne resta pas longtemps à causer avec nous. Je me promettais d′aller à son atelier dans les deux ou trois jours suivants, mais le lendemain de cette soirée, comme j′avais accompagné ma grand-mère tout au bout de la digue vers les falaises de Canapville, en revenant, au coin d′une des petites rues qui débouchent perpendiculairement sur la plage, nous croisâmes une jeune fille qui, tête basse comme un animal qu′on fait rentrer malgré lui dans l′étable, et tenant des clubs de golf, marchait devant une personne autoritaire, vraisemblablement son «anglaise», ou celle d′une de ses amies, laquelle ressemblait au portrait de Jeffries par Hogarth, le teint rouge comme si sa boisson favorite avait été plutôt le gin que le thé, et prolongeant par le croc noir d′un reste de chique une moustache grise, mais bien fournie. La fillette qui la précédait, ressemblait à celle de la petite bande qui, sous un polo noir, avait dans un visage immobile et joufflu des yeux rieurs. Or, celle qui rentrait en ce moment avait aussi un polo noir, mais elle me semblait encore plus jolie que l′autre, la ligne de son nez était plus droite, à la base, l′aile en était plus large et plus charnue. Puis l′autre m′était apparue comme une fière jeune fille pâle, celle-ci comme une enfant domptée et de teint rose. Pourtant, comme elle poussait une bicyclette pareille et comme elle portait les mêmes gants de renne, je conclus que les différences tenaient peut-être à la façon dont j′étais placé et aux circonstances, car il était peu probable qu′il y eût à Balbec, une seconde jeune fille, de visage malgré tout si semblable, et qui dans son accoutrement réunît les mêmes particularités. Elle jeta dans ma direction un regard rapide; les jours suivants, quand je revis la petite bande sur la plage, et même plus tard quand je connus toutes les jeunes filles qui la composaient, je n′eus jamais la certitude absolue qu′aucune — d′elles même celle qui de toutes lui ressemblait le plus, la jeune fille à la bicyclette — fût bien celle que j′avais vue ce soir-là au bout de la plage, au coin de la rue, jeune fille, qui n′était guère, mais qui était tout de même un peu différente de celle que j′avais remarquée dans le cortège. Elstir did not stay long talking to us. I made up my mind that I would go to his studio during the next few days, but on the following afternoon, when I had accompanied my grandmother right to the point at which the ‘front′ ended, near the cliffs of Canapville, on our way back, at the foot of one of the little streets which ran down at right angles to the beach, we came upon a girl who, with lowered head like an animal that is being driven reluctant to its stall, and carrying golf-clubs, was walking in front of a person in authority, in all probability her or her friends′ ‘Miss,′ who suggested a portrait of Jeffreys by Hogarth, with a face as red as if her favourite beverage were gin rather than tea, on which a dried smear of tobacco at the corner of her mouth prolonged the curve of a moustache that was grizzled but abundant. The girl who preceded her was like that one of the little band who, beneath a black polo-cap, had shewn in an inexpressive chubby face a pair of laughing eyes. Now, the girl who was now passing me had also a black polo-cap, but she struck me as being even prettier than the other, the line of her nose was straighter, the curve of nostril at its base fuller and more fleshy. Besides, the other had seemed a proud, pale girl, this one a child well-disciplined and of rosy complexion. And yet, as she was pushing a bicycle just like the other′s, and was wearing the same reindeer gloves, I concluded that the differences arose perhaps from the angle and circumstances in which I now saw her, for it was hardly likely that there could be at Balbec a second girl, with a face that, when all was said, was so similar and with the same details in her accoutrements. She cast a rapid glance in my direction; for the next few days, when I saw the little band again on the beach, and indeed long afterwards when I knew all the girls who composed it, I could never be absolutely certain that any of them — even she who among them all was most like her, the girl with the bicycle — was indeed the one that I had seen that evening at the end of the ‘front,′ where a street ran down to the beach, a girl who differed hardly at all, but was still just perceptibly different from her whom I had noticed in the procession.
A partir de cet après-midi-là, moi, qui les jours précédents avais surtout pensé à la grande, ce fut celle aux clubs de golf, présumée être Mlle Simonet qui recommença à me préoccuper. Au milieu des autres, elle s′arrêtait souvent, forçant ses amies qui semblaient la respecter beaucoup à interrompre aussi leur marche. C′est ainsi, faisant halte, les yeux brillants sous son «polo» que je la revois encore maintenant silhouettée sur l′écran que lui fait, au fond, la mer, et séparée de moi par un espace transparent et azuré, le temps écoulé depuis lors, première image, toute mince dans mon souvenir, désirée, poursuivie, puis oubliée, puis retrouvée, d′un visage que j′ai souvent depuis projeté dans le passé pour pouvoir me dire d′une jeune fille qui était dans ma chambre: «c′est elle!» From that moment, whereas for the last few days my mind had been occupied chiefly by the tall one, it was the one with the golf-clubs, presumed to be Mlle. Simonet, who began once more to absorb my attention. When walking with the others she would often stop, forcing her friends, who seemed greatly to respect her, to stop also. Thus it is, calling a halt, her eyes sparkling beneath her polo-cap, that I see her again to-day, outlined against the screen which the sea spreads out behind her, and separated from me by a transparent, azure space, the interval of time that has elapsed since then, a first impression, faint and fine in my memory, desired, pursued, then forgotten, then found again, of a face which I have many times since projected upon the cloud of the past to be able to say to myself, of a girl who was actually in my room: “It is she!”
Mais c′est peut-être encore celle au teint de géranium, aux yeux verts que j′aurais le plus désiré connaître. Quelle que fût, d′ailleurs, tel jour donné, celle que je préférais apercevoir, les autres, sans celle-là, suffisaient à m′émouvoir, mon désir même se portant une fois plutôt sur l′une, une fois plutôt sur l′autre, continuait — comme le premier jour ma confuse vision — à les réunir, à faire d′elles le petit monde à part, animé d′une vie commune qu′elles avaient, sans doute, d′ailleurs, la prétention de constituer, j′eusse pénétré en devenant l′ami de l′une elle — comme un pa raffiné ou un chrétien scrupuleux chez les barbares — dans une société rajeunissante où régnaient la santé, l′inconscience, la volupté, la cruauté, l′inintellectualité et la joie. But it was perhaps yet another, the one with geranium cheeks and green eyes, whom I should have liked most to know. And yet, whichever of them it might be, on any given day, that I preferred to see, the others, without her, were sufficient to excite my desire which, concentrated now chiefly on one, now on another, continued — as, on the first day, my confused vision — to combine and blend them, to make of them the little world apart, animated by a life in common, which for that matter they doubtless imagined themselves to form; and I should have penetrated, in becoming a friend of one of them — like a cultivated pagan or a meticulous Christian going among barbarians — into a rejuvenating society in which reigned health, unconsciousness of others, sensual pleasures, cruelty, unintellectuality and joy.
Ma grand-mère, à qui j′avais raconté mon entrevue avec Elstir et qui se réjouissait de tout le profit intellectuel que je pouvais tirer de son amitié, trouvait absurde et peu gentil que je ne fusse pas encore allé lui faire une visite. Mais je ne pensais qu′à la petite bande, et incertain de l′heure où ces jeunes filles passeraient sur la digue, je n′osais pas m′éloigner. Ma grand-mère s′étonnait aussi de mon élégance car je m′étais soudain souvenu des costumes que j′avais jusqu′ici laissés au fond de ma malle. J′en mettais chaque jour un différent et j′avais même écrit à Paris pour me faire envoyer de nouveaux chapeaux, et de nouvelles cravates. My grandmother, who had been told of my meeting with Elstir, and rejoiced at the thought of all the intellectual profit that I might derive from his friendship, considered it absurd and none too polite of me not to have gone yet to pay him a visit. But I could think only of the little band, and being uncertain of the hour at which the girls would be passing along the front, I dared not absent myself. My grandmother was astonished, too, at the smartness of my attire, for I had suddenly remembered suits which had been lying all this time at the bottom of my trunk. I put on a different one every day, and had even written to Paris ordering new hats and neckties.
C′est un grand charme ajouté à la vie dans une station balnéaire comme était Balbec, si le visage d′une jolie fille, une marchande de coquillages, de gâteaux ou de fleurs, peint en vives couleurs dans notre pensée, est quotidiennement pour nous dès le matin le but de chacune de ces journées oisives et lumineuses qu′on passe sur la plage. Elles sont alors, et par là, bien que désuvrées, alertes comme des journées de travail, aiguillées, aimantées, soulevées légèrement vers un instant prochain, celui où tout en achetant des sablés, des roses, des ammonites, on se délectera à voir sur un visage féminin, les couleurs étalées aussi purement que sur une fleur. Mais au moins, ces petites marchandes, d′abord on peut leur parler, ce qui évite d′avoir à construire avec l′imagination les autres côtés que ceux que nous fournit la simple perception visuelle, et à recréer leur vie, à s′exagérer son charme, comme devant un portrait; surtout, justement parce qu′on leur parle, on peut apprendre où, à quelles heures on peut les retrouver. Or il n′en était nullement ainsi pour moi en ce qui concernait les jeunes filles de la petite bande. Leurs habitudes m′étant inconnues, quand certains jours je ne les apercevais pas, ignorant la cause de leur absence, je cherchais si celle-ci était quelque chose de fixe, si on ne les voyait que tous les deux jours, ou quand il faisait tel temps, ou s′il y avait des jours où on ne les voyait jamais. Je me figurais d′avance ami avec elles et leur disant «Mais vous n′étiez pas là tel jour?» «Ah! oui, c′est parce que c′était un samedi, le samedi nous ne venons jamais parce que . . . » Encore si c′était aussi simple que de savoir que le triste samedi il est inutile de s′acharner, qu′on pourrait parcourir la plage en tous sens, s′asseoir à la devanture du pâtissier, faire semblant de manger un éclair, entrer chez le marchand de curiosités, attendre l′heure du bain, le concert, l′arrivée de la marée, le coucher du soleil, la nuit sans voir la petite bande désirée. Mais le jour fatal ne revenait peut-être pas une fois par semaine. Il ne tombait peut-être pas forcément un samedi. Peut-être certaines conditions atmosphériques influaient-elles sur lui ou lui étaient-elles entièrement étrangères. Combien d′observations patientes mais non point sereines, il faut recueillir sur les mouvements en apparence irréguliers de ces mondes inconnus avant de pouvoir être sûr qu′on ne s′est pas laissé abuser par des coî­£idences, que nos prévisions ne seront pas trompées, avant de dégager les lois certaines, acquises au prix d′expériences cruelles, de cette astronomie passionnée. Me rappelant que je ne les avais pas vues le même jour qu′aujourd′hui, je me disais qu′elles ne viendraient pas, qu′il était inutile de rester sur la plage. Et justement je les apercevais. En revanche, un jour où, autant que j′avais pu supposer que des lois réglaient le retour de ces constellations j′avais calculé devoir être un jour faste, elles ne venaient pas. Mais à cette première incertitude si je les verrais ou non le jour même venait s′en ajouter une plus grave, si je les reverrais jamais, car j′ignorais en somme si elles ne devaient pas partir pour l′Amérique, ou rentrer à Paris. Cela suffisait pour me faire commencer à les aimer. On peut avoir du goût pour une personne. Mais pour déchaîner cette tristesse, ce sentiment de l′irréparable, ces angoisses, qui préparent l′amour, il faut — et il est peut-être ainsi, plutôt que ne l′est une personne, l′objet même que cherche anxieusement à étreindre la passion — le risque d′une impossibilité. Ainsi agissaient déjà ces influences qui se répètent au cours d′amours successives, pouvant du reste se produire mais alors plutôt dans l′existence des grandes villes au sujet d′ouvrières dont on ne sait pas les jours de congé et qu′on s′effraye de ne pas avoir vues à la sortie de l′atelier ou du moins qui se renouvelèrent au cours des miennes. Peut-être sont-elles inséparables de l′amour; peut-être tout ce qui fut une particularité du premier vient-il s′ajouter aux suivants, par souvenir, suggestion, habitude et à travers les périodes successives de notre vie donner à ses aspects différents un caractère général. It adds a great charm to life in a watering-place like Balbec if the face of a pretty girl, a vendor of shells, cakes or flowers, painted in vivid colours in our mind, is regularly, from early morning, the purpose of each of those leisured, luminous days which we spend upon the beach. They become then, and for that reason, albeit unoccupied by any business, as alert as working-days, pointed, magnetised, raised slightly to meet an approaching moment, that in which, while we purchase sand-cakes, roses, ammonites, we will delight in seeing upon a feminine face its colours displayed as purely as on a flower. But at least, with these little traffickers, first of all we can speak to them, which saves us from having to construct with our imagination their aspects other than those with which the mere visual perception of them furnishes us, and to recreate their life, magnifying its charm, as when we stand before a portrait; moreover, just because we speak to them, we can learn where and at what time it will be possible to see them again. Now I had none of these advantages with respect to the little band. Their habits were unknown to me; when on certain days I failed to catch a glimpse of them, not knowing the cause of their absence I sought to discover whether it was something fixed and regular, if they were to be seen only every other day, or in certain states of the weather, or if there were days on which no one ever saw them. I imagined myself already friends with them, and saying: “But you weren′t there the other day?” “Weren′t we? Oh, no, of course not; that was because it was a Saturday. On Saturdays we don′t ever come, because . . . ” If it were only as simple as that, to know that on black Saturday it was useless to torment oneself, that one might range the beach from end to end, sit down outside the pastry-cook′s and pretend to be nibbling an éclair, poke into the curiosity shop, wait for bathing time, the concert, high tide, sunset, night, all without seeing the longed-for little band. But the fatal day did not, perhaps, come once a week. It did not, perhaps, of necessity fall on Saturdays. Perhaps certain atmospheric conditions influenced it or were entirely unconnected with it. How many observations, patient but not at all serene, must one accumulate of the movements, to all appearance irregular, of those unknown worlds before being able to be sure that one has not allowed oneself to be led astray by mere coincidence, that one′s forecasts will not be proved wrong, before one elucidates the certain laws, acquired at the cost of so much painful experience, of that passionate astronomy. Remembering that I had not yet seen them on some particular day of the week, I assured myself that they would not be coming, that it was useless to wait any longer on the beach. And at that very moment I caught sight of them. And yet on another day which, so far as I could suppose that there were laws that guided the return of those constellations, must, I had calculated, prove an auspicious day, they did not come. But to this primary uncertainty whether I should see them or not that day, there was added another, more disquieting: whether I should ever set eyes on them again, for I had no reason, after all, to know that they were not about to sail for America, or to return to Paris. This was enough to make me begin to love them. One can feel an attraction towards a particular person. But to release that fount of sorrow, that sense of the irreparable, those agonies which prepare the way for love, there must be — and this is, perhaps, more than any person can be, the actual object which our passion seeks so anxiously to embrace — the risk of an impossibility. Thus there were acting upon me already those influences which recur in the course of our successive love-affairs, which can, for that matter, be provoked (but then rather in the life of cities) by the thought of little working girls whose half-holiday is we know not on what day, and whom we are afraid of having missed as they came out of the factory; or which at least have recurred in mine. Perhaps they are inseparable from love; perhaps everything that formed a distinctive feature of our first love attaches itself to those that come after, by recollection, suggestion, habit, and through the successive periods of our life gives to its different aspects a general character.
Je prenais tous les prétextes pour aller sur la plage aux heures où j′espérais pouvoir les rencontrer. Les ayant aperçues une fois pendant notre déjeuner je n′y arrivais plus qu′en retard, attendant indéfiniment sur la digue qu′elles y passassent; restant le peu de temps que j′étais assis dans la salle à manger à interroger des yeux l′azur du vitrage; me levant bien avant le dessert pour ne pas les manquer dans le cas où elles se fussent promenées à une autre heure et m′irritant contre ma grand-mère, inconsciemment méchante, quand elle me faisait rester avec elle au delà de l′heure qui me semblait propice. Je tâchais de prolonger l′horizon en mettant ma chaise de travers; si par hasard j′apercevais n′importe laquelle des jeunes filles, comme elles participaient toutes à la même essence spéciale, c′était comme si j′avais vu projeté en face de moi dans une hallucination mobile et diabolique un peu de rêve ennemi et pourtant passionnément convoité qui l′instant d′avant encore, n′existait, y stagnant d′ailleurs d′une façon permanente, que dans mon cerveau. I seized every pretext for going down to the beach at the hours when I hoped to succeed in finding them there. Having caught sight of them once while we were at luncheon, I now invariably came in late for it, waiting interminably upon the ‘front′ for them to pass; devoting all the short time that I did spend in the dining-room to interrogating with my eyes its azure wall of glass; rising long before the dessert, so as not to miss them should they have gone out at a different hour, and chafing with irritation at my grandmother, when, with unwitting malevolence, she made me stay with her past the hour that seemed to me propitious. I tried to prolong the horizon by setting my chair aslant; if, by chance, I did catch sight of no matter which of the girls, since they all partook of the same special essence, it was as if I had seen projected before my face in a shifting, diabolical hallucination, a little of the unfriendly and yet passionately coveted dream which, but a moment ago, had existed only — where it lay stagnant for all time — in my brain.
Je n′en aimais aucune les aimant toutes, et pourtant leur rencontre possible était pour mes journées le seul élément délicieux, faisait seule naître en moi de ces espoirs où on briserait tous les obstacles, espoirs souvent suivis de rage, si je ne les avais pas vues. En ce moment, ces jeunes filles éclipsaient pour moi ma grand-mère; un voyage m′eût tout de suite souri si ç‘avait été pour aller dans un lieu où elles dussent se trouver. C′était à elles que ma pensée s′était agréablement suspendue quand je croyais penser à autre chose ou à rien. Mais quand même ne le sachant pas, je pensais à elles, plus inconsciemment encore, elles, c′était pour moi les ondulations montueuses et bleues de la mer, le profil d′un défilé devant la mer. C′était la mer que j′espérais retrouver, si j′allais dans quelque ville où elles seraient. L′amour le plus exclusif pour une personne est toujours l′amour d′autre chose. I was in love with none of them, loving them all, and yet the possibility of meeting them was in my daily life the sole element of delight, alone made to burgeon in me those high hopes by which every obstacle is surmounted, hopes ending often in fury if I had not seen them. For the moment, these girls eclipsed my grandmother in my affection; the longest journey would at once have seemed attractive to me had it been to a place in which they might be found. It was to them that my thoughts comfortably clung when I supposed myself to be thinking of something else or of nothing. But when, even without knowing it, I thought of them, they, more unconsciously still, were for me the mountainous blue undulations of the sea, a troop seen passing in outline against the waves. Our most intensive love for a person is always the love, really, of something else as well.
Ma grand′mère me témoignait, parce que maintenant, je m′intéressais extrêmement au golf et au tennis et laissais échapper l′occasion de regarder travailler et entendre discourir un artiste qu′elle savait des plus grands, un mépris qui me semblait procéder de vues un peu éroites. J′avais autrefois entrevu aux Champs Élysées et je m′étais rendu mieux compte depuis qu′en étant amoureux d′une femme nous projetons simplement en elle un état de notre âme; que par conséquent l′important n′est pas la valeur de la femme mais la profondeur de l′état; et que les émotions qu′une jeune fille médiocre nous donne peuvent nous permettre de faire monter à notre conscience des parties plus intimes de nous-même, plus personnelles, plus lointaines, plus essentielles, que ne ferait le plaisir que nous donne la conversation d′un homme supérieur ou même la contemplation admirative de ses uvres. Meanwhile my grandmother was shewing, because now I was keenly interested in golf and lawn-tennis and was letting slip an opportunity of seeing at work and hearing talk an artist whom she knew to be one of the greatest of his time, a disapproval which seemed to me to be based on somewhat narrow views. I had guessed long ago in the Champs-Elysées, and had since established to my own satisfaction, that when we are in love with a woman we simply project into her a state of our own soul, that the important thing is, therefore, not the worth of the woman but the depth of the state; and that the emotions which a young girl of no kind of distinction arouses in us can enable us to bring to the surface of our consciousness some of the most intimate parts of our being, more personal, more remote, more essential than would be reached by the pleasure that we derive from the conversation of a great man or even from the admiring contemplation of his work.
Je dus finir par obéir à ma grand-mère avec d′autant plus d′ennui qu′Elstir habitait assez loin de la digue, dans une des avenues les plus nouvelles de Balbec. La chaleur du jour m′obligea à prendre le tramway qui passait par la rue de la Plage, et je m′efforçais, pour penser que j′étais dans l′antique royaume des Cimmériens, dans la patrie peut-être du roi Mark ou sur l′emplacement de la forêt de Broceliande, de ne pas regarder le luxe de pacotille des constructions qui se développaient devant moi et entre lesquelles la villa d′Elstir était peut-être la plus somptueusement laide, louée malgré cela par lui, parce que de toutes celles qui existaient à Balbec, c′était la seule qui pouvait lui offrir un vaste atelier. I was to end by complying with my grandmother′s wishes, all the more reluctantly in that Elstir lived at some distance from the ‘front′ in one of the newest of Balbec′s avenues. The heat of the day obliged me to take the tramway which passed along the Rue de la Plage, and I made an effort (so as still to believe that I was in the ancient realm of the Cimmerians, in the country it might be, of King Mark, or upon the site of the Forest of Broceliande) not to see the gimcrack splendour of the buildings that extended on either hand, among which Elstir′s villa was perhaps the most sumptuously hideous, in spite of which he had taken it, because, of all that there were to be had at Balbec, it was the only one that provided him with a really big studio.
C′est aussi en détournant les yeux que je traversai le jardin qui avait une pelouse — en plus petit comme chez n′importe quel bourgeois dans la banlieue de Paris, — une petite statuette de galant jardinier, des boules de verre où l′on se regardait, des bordures de bégonias et une petite tonnelle sous laquelle des rocking-chair étaient allongés devant une table de fer. Mais après tous ces abords empreints de laideur citadine, je ne fis plus attention aux moulures chocolat des plinthes quand je fus dans l′atelier; je me sentis parfaitement heureux, car par toutes les études qui étaient autour de moi, je sentais la possibilité de m′élever à une connaissance poétique, féconde en joies, de maintes formes que je n′avais pas isolées jusque-là du spectacle total de la réalité. Et l′atelier d′Elstir m′apparut comme le laboratoire d′une sorte de nouvelle création du monde, où, du chaos que sont toutes choses que nous voyons, il avait tiré, en les peignant sur divers rectangles de toile qui étaient posés dans tous les sens, ici une vague de la mer écrasant avec colère sur le sable son écume lilas, là un jeune homme en coutil blanc accoudé sur le pont d′un bateau. Le veston du jeune homme et la vague éclaboussante avaient pris une dignité nouvelle du fait qu′ils continuaient à être, encore que dépourvus de ce en quoi ils passaient pour consister, la vague ne pouvant plus mouiller, ni le veston habiller personne. It was also with averted eyes that I crossed the garden, which had a lawn — in miniature, like any little suburban villa round Paris — a statuette of an amorous gardener, glass balls in which one saw one′s distorted reflexion, beds of begonias and a little arbour, beneath which rocking chairs were drawn up round an iron table. But after all these preliminaries hallmarked with philistine ugliness, I took no notice of the chocolate mouldings on the plinths once I was in the studio; I felt perfectly happy, for, with the help of all the sketches and studies that surrounded me, I foresaw the possibility of raising myself to a poetical understanding, rich in delights, of many forms which I had not, hitherto, isolated from the general spectacle of reality. And Elstir′s studio appeared to me as the laboratory of a sort of new creation of the world in which, from the chaos that is all the things we see, he had extracted, by painting them on various rectangles of canvas that were hung everywhere about the room, here a wave of the sea crushing angrily on the sand its lilac foam, there a young man in a suit of white linen, leaning upon the rail of a vessel. His jacket and the spattering wave had acquired fresh dignity from the fact that they continued to exist, even although they were deprived of those qualities in which they might be supposed to consist, the wave being no longer able to splash nor the jacket to clothe anyone.
Au moment où j′entrai, le créateur était en train d′achever, avec le pinceau qu′il tenait dans sa main, la forme du soleil à son coucher. At the moment at which I entered, the creator was just finishing, with the brush which he had in his hand, the form of the sun at its setting.
Les stores étaient clos de presque tous les côtés, l′atelier était assez frais, et, sauf à un endroit où le grand jour apposait au mur sa décoration éclatante et passagère, obscur; seule était ouverte une petite fenêtre rectangulaire encadrée de chèvrefeuilles, qui après une bande de jardin, donnait sur une avenue; de sorte que l′atmosphère de la plus grande partie de l′atelier était sombre, transparente et compacte dans la masse, mais humide et brillante aux cassures où la sertissait la lumière, comme un bloc de cristal de roche dont une face déjà taillée et polie, çà et là, luit comme un miroir et s′irise. Tandis qu′Elstir sur ma prière, continuait à peindre, je circulais dans ce clair-obscur, m′arrêtant devant un tableau puis devant un autre. The shutters were closed almost everywhere round the studio, which was fairly cool and, except in one place where daylight laid against the wall its brilliant but fleeting decoration, dark; there was open only one little rectangular window embowered in honeysuckle, which, over a strip of garden, gave on an avenue; so that the atmosphere of the greater part of the studio was dusky, transparent and compact in the mass, but liquid and sparkling at the rifts where the golden clasp of sunlight banded it, like a lump of rock crystal of which one surface, already cut and polished, here and there, gleams like a mirror with iridescent rays. While Elstir, at my request, went on painting, I wandered about in the half-light, stopping to examine first one picture, then another.
Le plus grand nombre de ceux qui m′entouraient n′étaient pas ce que j′aurais le plus aimé à voir de lui, les peintures appartenant à ses première et deuxième manières, comme disait une revue d′Art anglaise qui traînait sur la table du salon du Grand Hôtel, la manière mythologique et celle où il avait subi l′influence du Japon, toutes deux admirablement représentées, disait-on, dans la collection de Mme de Guermantes. Naturellement, ce qu′il avait dans son atelier, ce n′était guère que des marines prises ici, à Balbec. Mais j′y pouvais discerner que le charme de chacune consistait en une sorte de métamorphose des choses représentées, analogue à celle qu′en poésie on nomme métaphore et que si Dieu le Père avait créé les choses en les nommant, c′est en leur ôtant leur nom, ou en leur en donnant un autre qu′Elstir les recréait. Les noms qui désignent les choses répondent toujours à une notion de l′intelligence, étrangère à nos impressions véritables et qui nous force à éliminer d′elles tout ce qui ne se rapporte pas à cette notion. Most of those that covered the walls were not what I should chiefly have liked to see of his work, paintings in what an English art journal which lay about on the reading-room table in the Grand Hotel called his first and second manners, the mythological manner and the manner in which he shewed signs of Japanese influence, both admirably exemplified, the article said, in the collection of Mme. de Guermantes. Naturally enough, what he had in his studio were almost all seascapes done here, at Balbec. But I was able to discern from these that the charm of each of them lay in a sort of metamorphosis of the things represented in it, analogous to what in poetry we call metaphor, and that, if God the Father had created things by naming them, it was by taking away their names or giving them other names that Elstir created them anew. The names which denote things correspond invariably to an intellectual notion, alien to our true impressions, and compelling us to eliminate from them everything that is not in keeping with itself.
Parfois à ma fenêtre, dans l′hôtel de Balbec, le matin quand Françoise défaisait les couvertures qui cachaient la lumière, le soir quand j′attendais le moment de partir avec Saint-Loup, il m′était arrivé grâce à un effet de soleil, de prendre une partie plus sombre de la mer pour une côte éloignée, ou de regarder avec joie une zone bleue et fluide sans savoir si elle appartenait à la mer ou au ciel. Bien vite mon intelligence rétablissait entre les éléments la séparation que mon impression avait abolie. C′est ainsi qu′il m′arrivait à Paris, dans ma chambre, d′entendre une dispute, presque une émeute, jusqu′à ce que j′eusse rapporté à sa cause, par exemple une voiture dont le roulement approchait, ce bruit dont j′éliminais alors ces vociférations aiguës et discordantes que mon oreille avait réellement entendues — mais que mon intelligence savait que des roues ne produisaient pas. Mais les rares moments où l′on voit la nature telle qu′elle est, poétiquement, c′était de ceux-là qu′était faite l′uvre d′Elstir. Une de ses métaphores les plus fréquentes dans les marines qu′il avait près de lui en ce moment était justement celle qui, comparant la terre à la mer, supprimait entre elles toute démarcation. C′était cette comparaison, tacitement et inlassablement répétée dans une même toile qui y introduisait cette multiforme et puissante unité, cause, parfois non clairement aperçue par eux, de l′enthousiasme qu′excitait chez certains amateurs la peinture d′Elstir. Sometimes in my window in the hotel at Balbec, in the morning when Françoise undid the fastenings of the curtains that shut out the light, in the evening when I was waiting until it should be time to go out with Saint-Loup, I had been led by some effect of sunlight to mistake what was only a darker stretch of sea for a distant coastline, or to gaze at a belt of liquid azure without knowing whether it belonged to sea or sky. But presently my reason would re-establish between the elements that distinction which in my first impression I had overlooked. In the same way I used, in Paris, in my bedroom, to hear a dispute, almost a riot, in the street below, until I had referred back to its cause — a carriage for instance that was rattling towards me — this noise, from which I now eliminated the shrill and discordant vociferations which my ear had really heard but which my reason knew that wheels did not produce. But the rare moments in which we see nature as she is, with poetic vision, it was from those that Elstir′s work was taken. One of his metaphors that occurred most commonly in the seascapes which he had round him was precisely that which, comparing land with sea, suppressed every line of demarcation between them. It was this comparison, tacitly and untiringly repeated on a single canvas, which gave it that multiform and powerful unity, the cause (not always clearly perceived by themselves) of the enthusiasm which Elstir′s work aroused in certain collectors.
C′est par exemple à une métaphore de ce genre — dans un tableau, représentant le port de Carquethuit, tableau qu′il avait terminé depuis peu de jours et que je regardai longuement — qu′Elstir avait préparé l′esprit du spectateur en n′employant pour la petite ville que des termes marins, et que des termes urbains pour la mer. Soit que les maisons cachassent une partie du port, un bassin de calfatage ou peut-être la mer même s′enfonçant en golfe dans les terres ainsi que cela arrivait constamment dans ce pays de Balbec, de l′autre côté de la pointe avancée où était construite la ville, les toits étaient dépassés (comme ils l′eusent été par des cheminées ou par des clochers) par des mâts lesquels avaient l′air de faire des vaisseaux auxquels ils appartenaient, quelque chose de citadin, de construit sur terre, impression qu′augmentaient d′autres bateaux, demeurés le long de la jetée, mais en rangs si pressés que les hommes y causaient d′un bâtiment à l′autre sans qu′on pût distinguer leur séparation et l′interstice de l′eau, et ainsi cette flotille de pêche avait moins l′air d′appartenir à la mer que, par exemple, les églises de Criquebec qui, au loin, entourées d′eau de tous côtés parce qu′on les voyait sans la ville, dans un poudroiement de soleil et de vagues, semblaient sortir des eaux, soufflées en albâtre ou en écume et, enfermées dans la ceinture d′un arc-en-ciel versicolore, former un tableau irréel et mystique. Dans le premier plan de la plage, le peintre avait su habituer les yeux à ne pas reconnaître de frontière fixe, de démarcation absolue, entre la terre et l′océan. Des hommes qui poussaient des bateaux à la mer, couraient aussi bien dans les flots que sur le sable, lequel mouillé, réfléchissait déjà les coques comme s′il avait été de l′eau. La mer elle-même ne montait pas régulièrement, mais suivait les accidents de la grève, que la perspective déchiquetait encore davantage, si bien qu′un navire en pleine mer, à demi-caché par les ouvrages avancés de l′arsenal semblait voguer au milieu de la ville; des femmes qui ramassaient des crevettes dans les rochers, avaient l′air, parce qu′elles étaient entourées d′eau et à cause de la dépression qui, après la barrière circulaire des roches, abaissait la plage (des deux côtés les plus rapprochés de terre) au niveau de la mer, d′être dans une grotte marine surplombée de barques et de vagues, ouverte et protégée au milieu des flots écartés miraculeusement. Si tout le tableau donnait cette impression des ports où la mer entre dans la terre, où la terre est déjà marine, et la population amphibie, la force de l′élément marin éclatait partout; et près des rochers, à l′entrée de la jetée, où la mer était agitée, on sentait aux efforts des matelots et à l′obliquité des barques couchées en angle aigu devant la calme verticalité de l′entrepôt, de l′église, des maisons de la ville, où les uns rentraient, d′où les autres partaient pour la pêche, qu′ils trottaient rudement sur l′eau comme sur un animal fougueux et rapide dont les soubresauts, sans leur adresse, les eût jetés à terre. Une bande de promeneurs sortait gaiement en une barque secouée comme une carriole; un matelot joyeux, mais attentif aussi la gouvernait comme avec des guides, menait la voile fougueuse, chacun se tenait bien à sa place pour ne pas faire trop de poids d′un côté et ne pas verser, et on courait ainsi par les champs ensoleillés dans les sites ombreux, dégringolant les pentes. C′était une belle matinée malgré l′orage qu′il avait fait. Et même on sentait encore les puissantes actions qu′avait à neutraliser le bel équilibre des barques immobiles, jouissant du soleil et de la fraîcheur, dans les parties où la mer était si calme que les reflets avaient presque plus de solidité et de réalité que les coques vaporisées par un effet de soleil et que la perspective faisait s′enjamber les unes les autres. Ou plutôt on n′aurait pas dit d′autres parties de la mer. Car entre ces parties, il y avait autant de différence qu′entre l′une d′elles et l′église sortant des eaux, et les bateaux derrière la ville. L′intelligence faisait ensuite un même élément de ce qui était, ici noir dans un effet d′orage, plus loin tout d′une couleur avec le ciel et aussi verni que lui, et là si blanc de soleil, de brume et d′écume, si compact, si terrien, si circonvenu de maisons, qu′on pensait à quelque chaussée de pierres ou à un champ de neige, sur lequel on était effrayé de voir un navire s′élever en pente raide et à sec comme une voiture qui s′ébroue en sortant d′un gué, mais qu′au bout d′un moment, en y voyant sur l′étendue haute et inégale du plateau solide, des bateaux titubants, on comprenait, identique en tous ces aspects divers, être encore la mer. It was, for instance, for a metaphor of this sort — in a picture of the harbour of Carquethuit, a picture which he had finished a few days earlier and at which I now stood gazing my fill — that Elstir had prepared the mind of the spectator by employing, for the little town, only marine terms, and urban terms for the sea. Whether its houses concealed a part of the harbour, a dry dock, or perhaps the sea itself came cranking in among the land, as constantly happened on the Balbec coast, on the other side of the promontory on which the town was built the roofs were overtopped (as it had been by mill-chimneys or church-steeples) by masts which had the effect of making the vessels to which they belonged appear town-bred, built on land, an impression which was strengthened by the sight of other boats, moored along the jetty but in such serried ranks that you could see men talking across from one deck to another without being able to distinguish the dividing line, the chink of water between them, so that this fishing fleet seemed less to belong to the water than, for instance, the churches of Criquebec which, in the far distance, surrounded by water on every side because you saw them without seeing the town, in a powdery haze of sunlight and crumbling waves, seemed to be emerging from the waters, blown in alabaster or in sea-foam, and, enclosed in the band of a particoloured rainbow, to form an unreal, a mystical picture. On the beach in the foreground the painter had arranged that the eye should discover no fixed boundary, no absolute line of demarcation between earth and ocean. The men who were pushing down their boats into the sea were running as much through the waves as along the sand, which, being wet, reflected their hulls as if they were already in the water. The sea itself did not come up in an even line but followed the irregularities of the shore, which the perspective of the picture increased still further, so that a ship actually at sea, half-hidden by the projecting works of the arsenal, seemed to be sailing across the middle of the town; women who were gathering shrimps among the rocks had the appearance, because they were surrounded by water and because of the depression which, after the ringlike barrier of rocks, brought the beach (on the side nearest the land) down to sea-level, of being in a marine grotto overhung by ships and waves, open yet unharmed in the path of a miraculously averted tide. If the whole picture gave this impression of harbours in which the sea entered into the land, in which the land was already subaqueous and the population amphibian, the strength of the marine element was everywhere apparent; and round about the rocks, at the mouth of the harbour, where the sea was rough, you felt from the muscular efforts of the fishermen and the obliquity of the boats leaning over at an acute angle, compared with the calm erectness of the warehouse on the harbour, the church, the houses of the town to which some of the figures were returning while others were coming out to fish, that they were riding bareback on the water, as it might be a swift and fiery animal whose rearing, but for their skill, must have unseated them. A party of holiday makers were putting gaily out to sea in a boat that tossed like a jaunting-car on a rough road; their boatman, blithe but attentive, also, to what he was doing, trimmed the bellying sail, every one kept in his place, so that the weight should not be all on one side of the boat, which might capsize, and so they went racing over sunlit fields into shadowy places, dashing down into the troughs of waves. It was a fine morning in spite of the recent storm. Indeed, one could still feel the powerful activities that must first be neutralized in order to attain the easy balance of the boats that lay motionless, enjoying sunshine and breeze, in parts where the sea was so calm that its reflexions had almost more solidity and reality than the floating hulls, vaporised by an effect of the sunlight, parts which the perspective of the picture dovetailed in among others. Or rather you would not have called them other parts of the sea. For between those parts there was as much difference as there was between one of them and the church rising from the water, or the ships behind the town. Your reason then set to work and made a single element of what was here black beneath a gathering storm, a little farther all of one colour with the sky and as brightly burnished, and elsewhere so bleached by sunshine, haze and foam, so compact, so terrestrial, so circumscribed with houses that you thought of some white stone causeway or of a field of snow, up the surface of which it was quite frightening to see a ship go climbing high and dry, as a carriage climbs dripping from a ford, but which a moment later, when you saw on the raised and broken surface of the solid plain boats drunkenly heaving, you understood, identical in all these different aspects, to be still the sea.
Bien qu′on dise avec raison qu′il n′y a pas de progrès, pas de découvertes en art, mais seulement dans les sciences, et que chaque artiste recommençant pour son compte, un effort individuel ne peut y être aidé ni entravé par les efforts de tout autre, il faut pourtant reconnaître, que dans la mesure où l′art met en lumière certaines lois, une fois qu′une industrie les a vulgarisées, l′art antérieur perd rétrospectivement un peu de son originalité. Depuis les débuts d′Elstir, nous avons connu ce qu′on appelle «d′admirables» photographies de paysages et de villes. Si on cherche à préciser ce que les amateurs désignent dans ce cas par cette épithète, on verra qu′elle s′applique d′ordinaire à quelque image singulière d′une chose connue, image différente de celles que nous avons l′habitude de voir, singulière et pourtant vraie et qui à cause de cela est pour nous doublement saisissante parce qu′elle nous étonne, nous fait sortir de nos habitudes, et tout à la fois nous fait rentrer en nous-même en nous rappelant une impression. Par exemple celle de ces photographies «magnifiques», illustrera une loi de la perspective, nous montrera telle cathédrale que nous avons l′habitude de voir au milieu de la ville, prise au contraire d′un point choisi d′où elle aura l′air trente fois plus haute que les maisons et faisant éperon au bord du fleuve d′où elle est en réalité distante. Or, l′effort d′Elstir de ne pas exposer les choses telles qu′il savait qu′elles étaient mais selon ces illusions optiques dont notre vision première est faite, l′avait précisément amené à mettre en lumière certaines de ces lois de perspective, plus frappantes alors, car l′art était le premier à les dévoiler. Un fleuve, à cause du tournant de son cours, un golfe à cause du rapprochement apparent des falaises, avaient l′air de creuser au milieu de la plaine ou des montagnes un lac absolument fermé de toutes parts. Dans un tableau pris de Balbec par une torride journée d′été un rentrant de la mer, semblait enfermé dans des murailles de granit rose, n′être pas la mer, laquelle commençait plus loin. La continuité de l′océan n′était suggérée que par des mouettes qui, tournoyant sur ce qui semblait au spectateur de la pierre, humaient au contraire l′humidité du flot. D′autres lois se dégageaient de cette même toile comme, au pied des immenses falaises, la grâce lilliputienne des voiles blanches sur le miroir bleu où elles semblaient des papillons endormis, et certains contrastes entre la profondeur des ombres et la pâleur de la lumière. Ces jeux des ombres, que la photographie a banalisés aussi, avaient intéressé Elstir au point qu′il s′était complu autrefois à prendre de véritables mirages, où un château coiffé d′une tour apparaissait comme un château circulaire complètement prolongé d′une tour à son faîte, et en bas d′une tour inverse, soit que la pureté extraordinaire d′un beau temps donnât à l′ombre qui se reflétait dans l′eau la dureté et l′éclat de la pierre, soit que les brumes du matin rendissent la pierre aussi vaporeuse que l′ombre. De même au delà de la mer, derrière une rangée de bois une autre mer commençait, rosée par le coucher du soleil et qui était le ciel. La lumière inventant comme de nouveaux solides, poussait la coque du bateau qu′elle frappait, en retrait de celle qui était dans l′ombre, et disposait comme les degrés d′un escalier de cristal la surface matériellement plane, mais brisée par l′éclairage de la mer au matin. Un fleuve qui passe sous les ponts d′une ville était pris d′un point de vue tel qu′il apparaissait entièrement disloqué, étalé ici en lac, aminci là en filet, rompu ailleurs par l′interposition d′une colline couronnée de bois où le citadin va le soir respirer la fraîcheur du soir; et le rythme même de cette ville bouleversée n′était assuré que par la verticale inflexible des clochers qui ne montaient pas, mais plutôt, selon le fil à plomb de la pesanteur marquant la cadence comme dans une marche triomphale, semblaient tenir en suspens au-dessous d′eux toute la masse plus confuse des maisons étagées dans la brume, le long du fleuve écrasé et décousu. Et (comme les premières uvres d′Elstir dataient de l′époque où on agrémentait les paysages par la présence d′un personnage) sur la falaise ou dans la montagne, le chemin, cette partie à demi-humaine de la nature, subissait comme le fleuve ou l′océan les éclipses de la perspective. Et soit qu′une arête montagneuse, ou la brume d′une cascade, ou la mer, empêchât de suivre la continuité de la route, visible pour le promeneur mais non pour nous, le petit personnage humain en habits démodés perdu dans ces solitudes semblait souvent arrêté devant un abîme, le sentier qu′il suivait finissant là, tandis que, trois cents mètres plus haut dans ces bois de sapins, c′est d′un il attendri et d′un cur rassuré que nous voyions reparaître la mince blancheur de son sable hospitalier au pas du voyageur, mais dont le versant de la montagne nous avait dérobé, contournant la cascade ou le golfe, les lacets intermédiaires. Although we are justified in saying that there can be no progress, no discovery in art, but only in the sciences, and that the artist who begins afresh upon his own account an individual effort cannot be either helped or hindered by the efforts of all the others, we must nevertheless admit that, in so far as art brings into prominence certain laws, once an industry has taken those laws and vulgarised them, the art that was first in the field loses, in retrospect, a little of its originality. Since Elstir began to paint, we have grown familiar with what are called ‘admirable′ photographs of scenery and towns. If we press for a definition of what their admirers mean by the epithet, we shall find that it is generally applied to some unusual picture of a familiar object, a picture different from those that we are accustomed to see, unusual and yet true to nature, and for that reason doubly impressive to us because it startles us, makes us emerge from our habits and at the same time brings us back to ourselves by recalling to us an earlier impression. For instance, one of these ‘magnificent′ photographs will illustrate a law of perspective, will shew us some cathedral which we are accustomed to see in the middle of a town, taken instead from a selected point of view from which it will appear to be thirty times the height of the houses and to be thrusting a spur out from the bank of the river, from which it is actually a long way off. Now the effort made by Elstir to reproduce things not as he knew them to be but according to the optical illusions of which our first sight of them is composed, had led him exactly to this point; he gave special emphasis to certain of these laws of perspective, which were thus all the more striking, since his art had been their first interpreter. A river, because of the windings of its course, a bay because of the apparent contact of the cliffs on either side of it, would look as though there had been hollowed out in the heart of the plain or of the mountains a lake absolutely landlocked on every side. In a picture of a view from Balbec painted upon a scorching day in summer an inlet of the sea appeared to be enclosed in walls of pink granite, not to be the sea, which began farther out. The continuity of the ocean was suggested only by the gulls which, wheeling over what, when one looked at the picture, seemed to be solid rock, were as a matter of fact inhaling the moist vapour of the shifting tide. Other laws were discernible in the same canvas, as, at the foot of immense cliffs, the lilliputian grace of white sails on the blue mirror on whose surface they looked like butterflies asleep, and certain contrasts between the depth of the shadows and the pallidity of the light. This play of light and shade, which also photography has rendered commonplace, had interested Elstir so much that at one time he had painted what were almost mirages, in which a castle crowned with a tower appeared as a perfect circle of castle prolonged by a tower at its summit, and at its foot by an inverted tower, whether because the exceptional purity of the atmosphere on a fine day gave the shadow reflected in the water the hardness and brightness of the stone, or because the morning mists rendered the stone as vaporous as the shadow. And similarly, beyond the sea, behind a line of woods, began another sea roseate with the light of the setting sun, which was, in fact, the sky. The light, as it were precipitating new solids, thrust back the hull of the boat on which it fell behind the other hull that was still in shadow, and rearranged like the steps of a crystal staircase what was materially a plane surface, but was broken up by the play of light and shade upon the morning sea. A river running beneath the bridges of a town was caught from a certain point of view so that it appeared entirely dislocated, now broadened into a lake, now narrowed into a rivulet, broken elsewhere by the interruption of a hill crowned with trees among which the burgher would repair at evening to taste the refreshing breeze; and the rhythm of this disintegrated town was assured only by the inflexible uprightness of the steeples which did not rise but rather, following the plumb line of the pendulum marking its cadence as in a triumphal march, seemed to hold in suspense beneath them all the confused mass of houses that rose vaguely in the mist along the banks of the crushed, disjointed stream. And (since Elstir′s earliest work belonged to the time in which a painter would make his landscape attractive by inserting a human figure), on the cliff′s edge or among the mountains, the road, that half human part of nature, underwent, like river or ocean, the eclipses of perspective. And whether a sheer wall of mountain, or the mist blown from a torrent, or the sea prevented the eye from following the continuity of the path, visible to the traveller but not to us, the little human personage in old-fashioned attire seemed often to be stopped short on the edge of an abyss, the path which he had been following ending there, while, a thousand feet above him in those pine-forests, it was with a melting eye and comforted heart that we saw reappear the threadlike whiteness of its dusty surface, hospitable to the wayfaring foot, whereas from us the side of the mountain had hidden, where it turned to avoid waterfall or gully, the intervening bends.
L′effort qu′Elstir faisait pour se dépouiller en présence de la réalité de toutes les notions de son intelligence était d′autant plus admirable que cet homme qui, avant de peindre, se faisait ignorant, oubliait tout par probité, car ce qu′on sait n′est pas à soi, avait justement une intelligence exceptionnellement cultivée. Comme je lui avouais la déception que j′avais eue devant l′église de Balbec: «Comment, me dit-il, vous avez été déçu par ce porche, mais c′est la plus belle Bible historiée que le peuple ait jamais pu lire. Cette vierge et tous les bas-reliefs qui racontent sa vie, c′est l′expression la plus tendre, la plus inspirée de ce long poème d′adoration et de louanges que le moyen âge déroulera à la gloire de la Madone. Si vous saviez à côté de l′exactitude la plus minutieuse à traduire le texte saint, quelles trouvailles de délicatesse a eues le vieux sculpteur, que de profondes pensées, quelle délicieuse poésie! The effort made by Elstir to strip himself, when face to face with reality, of every intellectual concept, was all the more admirable in that this man who, before sitting down to paint, made himself deliberately ignorant, forgot, in his honesty of purpose, everything that he knew, since what one knows ceases to exist by itself, had in reality an exceptionally cultivated mind. When I confessed to him the disappointment that I had felt upon seeing the porch at Balbec: “What!” he had exclaimed, “you were disappointed by the porch! Why, it′s the finest illustrated Bible that the people have ever had. That Virgin, and all the bas-reliefs telling the story of her life, they are the most loving, the most inspired expression of that endless poem of adoration and praise in which the middle ages extolled the glory of the Madonna. If you only knew, side by side with the most scrupulous accuracy in rendering the sacred text, what exquisite ideas the old carver had, what profound thoughts, what delicious poetry!
«L′idée de ce grand voile dans lequel les Anges portent le corps de la Vierge, trop sacré pour qu′ils osent le toucher directement (Je lui dis que le même sujet était traité à Saint-André-des-Champs; il avait vu des photographies du porche de cette dernière église mais me fit remarquer que l′empressement de ces petits paysans qui courent tous à la fois autour de la Vierge était autre chose que la gravité des deux grands anges presque italiens, si élancés, si doux); l′ange qui emporte l′âme de la Vierge pour la réunir à son corps; dans la rencontre de la Vierge et d′Elisabeth, le geste de cette dernière qui touche le sein de Marie et s′émerveille de le sentir gonflé; et le bras bandé de la sage-femme qui n′avait pas voulu croire, sans toucher, à l′Immaculée-Conception; et la ceinture jetée par la Vierge à saint Thomas pour lui donner la preuve de sa résurrection; ce voile aussi que la Vierge arrache de son sein pour en voiler la nudité de son fils d′un côté de qui l′Église recueille le sang, la liqueur de l′Eucharistie, tandis que, de l′autre, la Synagogue dont le règne est fini, a les yeux bandés, tient un sceptre à demi-brisé et laisse échapper avec sa couronne qui lui tombe de la tête, les tables de l′ancienne Loi; et l′époux qui aidant, à l′heure du Jugement dernier, sa jeune femme à sortir du tombeau lui appuie la main contre son propre cur pour la rassurer et lui prouver qu′il bat vraiment, est-ce aussi assez chouette comme idée, assez trouvé? Et l′ange qui emporte le soleil et la lune devenus inutiles puisqu′il est dit que la Lumière de la Croix sera sept fois plus puissante que celle des astres; et celui qui trempe sa main dans l′eau du bain de Jésus pour voir si elle est assez chaude; et celui qui sort des nuées pour poser sa couronne sur le front de la Vierge; et tous ceux qui penchés du haut du ciel, entre les balustres de la Jérusalem céleste lèvent les bras d′épouvante ou de joie à la vue des supplices des méchants et du bonheur des élus! Car c′est tous les cercles du ciel, tout un gigantesque poème théologique et symbolique que vous avez là. C′est fou, c′est divin, c′est mille fois supérieur à tout ce que vous verrez en Italie où d′ailleurs ce tympan a été littéralement copié par des sculpteurs de bien moins de génie. Il n′y a pas eu d′époque où tout le monde a du génie, tout ça c′est des blagues, ça serait plus fort que l′âge d′or. Le type qui a sculpté cette façade-là, croyez bien qu′il était aussi fort, qu′il avait des idées aussi profondes que les gens de maintenant que vous admirez le plus. Je vous montrerais cela, si nous y allions ensemble. Il y a certaines paroles de l′office de l′Assomption qui ont été traduites avec une subtilité qu′un Redon n′a pas égalée. “A wonderful idea, that great sheet in which the angels are carrying the body of the Virgin, too sacred for them to venture to touch it with their hands”; (I mentioned to him that this theme had been treated also at Saint-André-des-Champs; he had seen photographs of the porch there, and agreed, but pointed out that the bustling activity of those little peasant figures, all hurrying at once towards the Virgin, was not the same thing as the gravity of those two great angels, almost Italian, so springing, so gentle) “the angel who is carrying the Virgin′s soul, to reunite it with her body; in the meeting of the Virgin with Elizabeth, Elizabeth′s gesture when she touches the Virgin′s Womb and marvels to feel that it is great with child; and the bandaged arm of the midwife who had refused, unless she touched, to believe the Immaculate Conception; and the linen cloth thrown by the Virgin to Saint Thomas to give him a proof of the Resurrection; that veil, too, which the Virgin tears from her own bosom to cover the nakedness of her Son, from Whose Side the Church receives in a chalice the Wine of the Sacrament, while, on His other side the Synagogue, whose kingdom is at an end, has its eyes bandaged, holds a half-broken sceptre and lets fall, with the crown that is slipping from its head, the tables of the old law; and the husband who, on the Day of Judgment, as he helps his young wife to rise from her grave, lays her hand against his own heart to reassure her, to prove to her that it is indeed beating, is that such a trumpery idea, do you think, so stale and commonplace? And the angel who is taking away the sun and the moon, henceforth useless, since it is written that the Light of the Cross shall be seven times brighter than the light of the firmament; and the one who is dipping his hand in the water of the Child′s bath, to see whether it is warm enough; and the one emerging from the clouds to place the crown upon the Virgin′s brow, and all the angels who are leaning from the vault of heaven, between the balusters of the New Jerusalem, and throwing up their arms with terror or joy at the sight of the torments of the wicked or the bliss of the elect! For it is all the circles of heaven, a whole gigantic poem full of theology and symbolism that you have before you there. It is fantastic, mad, divine, a thousand times better than anything you will see in Italy, where for that matter this very tympanum has been carefully copied by sculptors with far less genius. There never was a time when genius was universal; that is all nonsense; it would be going beyond the age of gold. The fellow who carved that front, you may make up your mind that he was every bit as great, that he had just as profound ideas as the men you admire most at the present day. I could shew you what I mean if we went there together. There are certain passages from the Office of the Assumption which have been rendered with a subtilty of expression that Redon himself has never equalled.”
Cette vaste vision céleste dont il me parlait, ce gigantesque poème théologique que je comprenais avoir été écrit là, pourtant quand mes yeux pleins de désirs s′étaient ouverts, devant la façade, ce n′est pas eux que j′avais vus. Je lui parlai de ces grandes statues de saints qui montées sur des échasses forment une sorte d′avenue. This vast celestial vision of which he spoke to me, this gigantic theological poem which, I understood, had been inscribed there in stone, yet when my eyes, big with desire, had opened to gaze upon the front of Balbec church, it was not these things that I had seen. I spoke to him of those great statues of saints, which, mounted on scaffolds, formed a sort of avenue on either side.
— Elle part des fonds des âges pour aboutir à Jésus-Christ, me dit-il. Ce sont d′un côté, ses ancêtres selon l′esprit, de l′autre, les Rois de Judas, ses ancêtres selon la chair. Tous les siècles sont là. Et si vous aviez mieux regardé ce qui vous a paru des échasses, vous auriez pu nommer ceux qui y étaient perchés. Car sous les pieds de Moî²¥, vous auriez reconnu le veau d′or, sous les pieds d′Abraham, le bélier, sous ceux de Joseph, le démon conseillant la femme de Putiphar. “It starts from the mists of antiquity to end in Jesus Christ,” he explained. “You see on one side His ancestors after the spirit, on the other the Kings of Judah, His ancestors after the flesh. All the ages are there. And if you had looked more closely at what you took for scaffolds you would have been able to give names to the figures standing on them. At the feet of Moses you would have recognised the calf of gold, at Abraham′s the ram and at Joseph′s the demon counselling Potiphar′s wife.”
Je lui dis aussi que je m′étais attendu à trouver un monument presque persan et que ç‘avait sans doute été là une des causes de mon mécompte. «Mais non, me répondit-il, il y a beaucoup de vrai. Certaines parties sont tout orientales; un chapiteau reproduit si exactement un sujet persan, que la persistance des traditions orientales ne suffit pas à l′expliquer. Le sculpteur a dû copier quelque coffret apporté par des navigateurs.» Et en effet il devait me montrer plus tard la photographie d′un chapiteau où je vis des dragons quasi chinois qui se dévoraient, mais à Balbec ce petit morceau de sculpture avait passé pour moi inaperçu dans l′ensemble du monument qui ne ressemblait pas à ce que m′avaient montré ces mots: «église presque persane». I told him also that I had gone there expecting to find an almost Persian building, and that this had doubtless been one of the chief factors in my disappointment. “Indeed, no,” he assured me, “it is perfectly true. Some parts of it are quite oriental; one of the capitals reproduces so exactly a Persian subject that you cannot account for it by the persistence of Oriental traditions. The carver must have copied some casket brought from the East by explorers.” And he did indeed shew me, later on, the photograph of a capital on which I saw dragons that were almost Chinese devouring one another, but at Balbec this little piece of carving had passed unnoticed by me in the general effect of the building which did not conform to the pattern traced in my mind by the words, ‘an almost Persian church.′
Les joies intellectuelles que je goûtais dans cet atelier ne m′empêchaient nullement de sentir, quoiqu′ils nous entourassent comme malgré nous, les tièdes glacis, la pénombre étincelante de la pièce, et au bout de la petite fenêtre encadrée de chèvrefeuilles, dans l′avenue toute rustique, la résistante sécheresse de la terre brûlée de soleil que voilait seulement la transparence de l′éloignement et de l′ombre des arbres. Peut-être l′inconscient bien-être que me causait ce jour d′été venait-il agrandir comme un affluent la joie que me causait la vue du «Port de Carquethuit». The intellectual pleasures which I enjoyed in this studio did not in the least prevent me from feeling, although they enveloped us as it were in spite of ourselves, the warm polish, the sparkling gloom of the place itself and, through the little window framed in honeysuckle, in the avenue that was quite rustic, the resisting dryness of the sun-parched earth, screened only by the diaphanous gauze woven of distance and of a tree-cast shade. Perhaps the unaccountable feeling of comfort which this summer day was giving me came like a tributary to swell the flood of joy that had surged in me at the sight of Elstir′s Carquethuit Harbour.
J′avais cru Elstir modeste mais je compris que je m′étais trompé, en voyant son visage se nuancer de tristesse quand dans une phrase de remerciements je prononçai le mot de gloire. Ceux qui croient leurs uvres durables et c′était le cas pour Elstir — prennent l′habitude de les situer dans une époque où eux-mêmes ne seront plus que poussière. Et ainsi en les forçant à réfléchir au néant, l′idée de la gloire les attriste parce qu′elle est inséparable de l′idée de la mort. Je changeai de conversation pour dissiper ce nuage d′orgueilleuse mélancolie dont j′avais sans le vouloir chargé le front d′Elstir. «On m′avait conseillé, lui dis-je en pensant à la conversation que nous avions eue avec Legrandin à Combray et sur laquelle j′étais content d′avoir son avis, de ne pas aller en Bretagne, parce que c′était malsain pour un esprit déjà porté au rêve.» «Mais non, me répondit-il, quand un esprit est porté au rêve, il ne faut pas l′en tenir écarté, le lui rationner. Tant que vous détournerez votre esprit de ses rêves, il ne les connaîtra pas; vous serez le jouet de mille apparences parce que vous n′en aurez pas compris la nature. Si un peu de rêve est dangereux, ce qui en guérit, ce n′est pas moins de rêve, mais plus de rêve, mais tout le rêve. Il importe qu′on connaisse entièrement ses rêves pour n′en plus souffrir; il y a une certaine séparation du rêve et de la vie qu′il est souvent utile de faire si que je me demande si on ne devrait pas à tout hasard la pratiquer préventivement, comme certains chirurgiens prétendent qu′il faudrait, pour éviter la possibilité d′une appendicite future, enlever l′appendice chez tous les enfants. I had supposed Elstir to be a modest man, but I realised my mistake on seeing his face cloud with melancholy when, in a little speech of thanks, I uttered the word ‘fame.′ Men who believe that their work will last — as was the case with Elstir — form the habit of placing that work in a period when they themselves will have crumbled into dust. And thus, by obliging them to reflect on their own extinction, the thought of fame saddens them because it is inseparable from the thought of death. I changed the conversation in the hope of driving away the cloud of ambitious melancholy with which unwittingly I had loaded Elstir′s brow. “Some one advised me once,” I began, thinking of the conversation we had had with Legrandin at Combray, as to which I was glad of an opportunity of learning Elstir′s views, “not to visit Brittany, because it would not be wholesome for a mind with a natural tendency to dream.” “Not at all;” he replied. “When the mind has a tendency to dream, it is a mistake to keep dreams away from it, to ration its dreams. So long as you distract your mind from its dreams, it will not know them for what they are; you will always be being taken in by the appearance of things, because you will not have grasped their true nature. If a little dreaming is dangerous, the cure for it is not to dream less but to dream more, to dream all the time. One must have a thorough understanding of one′s dreams if one is not to be troubled by them; there is a way of separating one′s dreams from one′s life which so often produces good results that I ask myself whether one ought not, at all costs, to try it, simply as a preventive, just as certain surgeons make out that we ought, to avoid the risk of appendicitis later on, to have all our appendices taken out when we are children.”
Elstir et moi nous étions allés jusqu′au fond de l′atelier, devant la fenêtre qui donnait derrière le jardin sur une étroite avenue de traverse, presque un petit chemin rustique. Nous étions venus là pour respirer l′air rafraîchi de l′après-midi plus avancé. Je me croyais bien loin des jeunes filles de la petite bande et c′est en sacrifiant pour une fois l′espérance de les voir, que j′avais fini par obéir à la prière de ma grand-mère et aller voir Elstir. Car où se trouve ce qu′on cherche on ne le sait pas, et on fuit souvent pendant bien longtemps le lieu où, pour d′autres raisons, chacun nous invite. Mais nous ne soupçonnons pas que nous y verrions justement l′être auquel nous pensons. Je regardais vaguement le chemin campagnard qui, extérieur à l′atelier, passait tout près de lui mais n′appartenait pas à Elstir. Tout à coup y apparut, le suivant à pas rapides, la jeune cycliste de la petite bande avec, sur ses cheveux noirs, son polo abaissé vers ses grosses joues, ses yeux gais et un peu insistants; et dans ce sentier fortuné miraculeusement rempli de douces promesses, je la vis sous les arbres, adresser à Elstir un salut souriant d′amie, arc-en-ciel qui unit pour moi notre monde terraqué à des régions que j′avais jugées jusque-là inaccessibles. Elle s′approcha même pour tendre la main au peintre, sans s′arrêter, et je vis qu′elle avait un petit grain de beauté au menton. «Vous connaissez cette jeune fille, monsieur?» dis-je à Elstir, comprenant qu′il pourrait me présenter à elle, l′inviter chez lui. Et cet atelier paisible avec son horizon rural s′était rempli d′un surcroît délicieux comme il arrive d′une maison où un enfant se plaisait déjà et où il apprend que, en plus, de par la générosité qu′ont les belles choses et les nobles gens à accroître indéfiniment leurs dons, se prépare pour lui un magnifique goûter. Elstir me dit qu′elle s′appelait Albertine Simonet et me nomma aussi ses autres amies que je lui décrivis avec assez d′exactitude pour qu′il n′eût guère d′hésitation. J′avais commis à l′égard de leur situation sociale une erreur, mais pas dans le même sens que d′habitude à Balbec. J′y prenais facilement pour des princes des fils de boutiquiers montant à cheval. Cette fois j′avais situé dans un milieu interlope des filles d′une petite bourgeoisie fort riche, du monde de l′industrie et des affaires. C′était celui qui de prime-abord m′intéressait le moins, n′ayant pour moi le mystère ni du peuple, ni d′une société comme celle des Guermantes. Et sans doute si un prestige préalable qu′elles ne perdraient plus ne leur avait été conféré, devant mes yeux éblouis, par la vacuité éclatante de la vie de plage, je ne serais peut-être pas arrivé à lutter victorieusement contre l′idée qu′elles étaient les filles de gros négociants. Je ne pus qu′admirer combien la bourgeoisie française était un atelier merveilleux de sculpture la plus généreuse et la plus variée. Que de types imprévus, quelle invention dans le caractère des visages, quelle décision, quelle fraîcheur, quelle naîµ¥té dans les traits. Les vieux bourgeois avares d′où étaient issues ces Dianes et ces nymphes me semblaient les plus grands des statuaires. Avant que j′eusse eu le temps de m′apercevoir de la métamorphose sociale de ces jeunes filles, et tant ces découvertes d′une erreur, ces modifications de la notion qu′on a d′une personne ont l′instantanéité d′une réaction chimique, s′était déjà installée derrière le visage d′un genre si voyou de ces jeunes filles que j′avais prises pour des maîtresses de coureurs cyclistes, de champions de boxe, l′idée qu′elles pouvaient très bien être liées avec la famille de tel notaire que nous connaissions. Je ne savais guère ce qu′était Albertine Simonet. Elle ignorait certes ce qu′elle devait être un jour pour moi. Même ce nom de Simonet que j′avais déjà entendu sur la plage, si on m′avait demandé de l′écrire je l′aurais orthographié avec deux n. ne me doutant pas de l′importance que cette famille attachait à n′en posséder qu′un seul. Au fur et à mesure que l′on descend dans l′échelle sociale, le snobisme s′accroche à des riens qui ne sont peut-être pas plus nuls que les distinctions de l′aristocratie, mais qui plus obscurs, plus particuliers à chacun, surprennent davantage. Peut-être y avait-il eu des Simonet qui avaient fait de mauvaises affaires ou pis encore. Toujours est-il que les Simonet s′étaient, paraît-il, toujours irrités comme d′une calomnie quand on doublait leur n. Ils avaient l′air d′être les seuls Simonet avec un n au lieu de deux, autant de fierté peut-être que les Montmorency d′être les premiers barons de France. Je demandai à Elstir si ces jeunes filles habitaient Balbec, il me répondit oui pour certaines d′entre elles. La villa de l′une était précisément située tout au bout de la plage, là où commencent les falaises du Canapville. Comme cette jeune fille était une grande amie d′Albertine Simonet, ce me fut une raison de plus de croire que c′était bien cette dernière que j′avais rencontrée, quand j′étais avec ma grand-mère. Certes il y avait tant de ces petites rues perpendiculaires à la plage où elles faisaient un angle pareil, que je n′aurais pu spécifier exactement laquelle c′était. On voudrait avoir un souvenir exact mais au moment même la vision a été trouble. Pourtant qu′Albertine et cette jeune fille entrant chez son amie fussent une seule et même personne, c′était pratiquement une certitude. Malgré cela tandis que les innombrables images que m′a présentées dans la suite la brune joueuse de golf, si différentes qu′elles soient les unes des autres, se superposent (parce que je sais qu′elles lui appartiennent toutes), et que si je remonte le fil de mes souvenirs, je peux, sous le couvert de cette identité et comme dans un chemin de communication intérieure, repasser par toutes ces images sans sortir d′une même personne, en revanche, si je veux remonter jusqu′à la jeune fille que je croisai le jour où j′étais avec ma grand-mère, il me faut ressortir à l′air libre. Je suis persuadé que c′est Albertine que je retrouve, la même que celle qui s′arrêtait souvent, au milieu de ses amies, dans sa promenade dépassant l′horizon de la mer; mais toutes ces images restent séparées de cette autre parce que je ne peux pas lui conférer rétrospectivement une identité qu′elle n′avait pas pour moi au moment où elle a frappé mes yeux; quoi que puisse m′assurer le calcul des probabilités, cette jeune fille aux grosses joues qui me regarda si hardiment au coin de la petite rue et de la plage et par qui je crois que j′aurais pu être aimé, au sens strict du mot revoir, je ne l′ai jamais revue. Elstir and I had meanwhile been walking about the studio, and had reached the window that looked across the garden on to a narrow avenue, a side-street that was almost a country lane. We had gone there to breathe the cooler air of the late afternoon. I supposed myself to be nowhere near the girls of the little band, and it was only by sacrificing for once the hope of seeing them that I had yielded to my grandmother′s prayers and had gone to see Elstir. For where the thing is to be found that we are seeking we never know, and often we steadily, for a long time, avoid the place to which, for quite different reasons, everyone has been asking us to go. But we never suspect that we shall there see the very person of whom we are thinking. I looked out vaguely over the country road which, outside the studio, passed quite close to it but did not belong to Elstir. Suddenly there appeared on it, coming along it at a rapid pace, the young bicyclist of the little band, with, over her dark hair, her polo-cap pulled down towards her plump cheeks, her eyes merry and almost importunate; and on that auspicious path, miraculously filled with promise of delights, I saw her beneath the trees throw to Elstir the smiling greeting of a friend, a rainbow that bridged the gulf for me between our terraqueous world and regions which I had hitherto regarded as inaccessible. She even came up to give her hand to the painter, though without stopping, and I could see that she had a tiny beauty spot on her chin. “Do you know that girl, sir?” I asked Elstir, realising that he could if he chose make me known to her, could invite us both to the house. And this peaceful studio with its rural horizon was at once filled with a surfeit of delight such as a child might feel in a house where he was already happily playing when he learned that, in addition, out of that bounteousness which enables lovely things and noble hosts to increase their gifts beyond all measure, there was being prepared for him a sumptuous repast. Elstir told me that she was called Albertine Simonet, and gave me the names also of her friends, whom I described to him with sufficient accuracy for him to identify them almost without hesitation. I had, with regard to their social position, made a mistake, but not the mistake that I usually made at Balbec. I was always ready to take for princes the sons of shopkeepers when they appeared on horseback. This time I had placed in an interloping class the daughters of a set of respectable people, extremely rich, belonging to the world of industry and business. It was the class which, on first thoughts, interested me least, since it held for me neither the mystery of the lower orders nor that of a society such as the Guermantes frequented. And no doubt if an inherent quality, a rank which they could never forfeit, had not been conferred on them, in my dazzled eyes, by the glaring vacuity of the seaside life all round them, I should perhaps not have succeeded in resisting and overcoming the idea that they were the daughters of prosperous merchants. I could not help marvelling to see how the French middle class was a wonderful studio full of sculpture of the noblest and most varied kind. What unimagined types, what richness of invention in the character of their faces, what firmness, what freshness, what simplicity in their features. The shrewd old moneychangers from whose loins these Dianas and these nymphs had sprung seemed to me to have been the greatest of statuaries. Before I had time to register the social metamorphosis of these girls — so are these discoveries of a mistake, these modifications of the notion one has of a person instantaneous as a chemical combination — there was already installed behind their faces, so street-arab in type that I had taken them for the mistresses of racing bicyclists, of boxing champions, the idea that they might easily be connected with the family of some lawyer or other whom we knew. I was barely conscious of what was meant by Albertine Simonet; she had certainly no conception of what she was one day to mean to me. Even the name, Simonet, which I had already heard spoken on the beach, if I had been asked to write it down I should have spelt with a double ‘n,′ never dreaming of the importance which this family attached to there being but one in their name. In proportion as we descend the social scale our snobbishness fastens on to mere nothings which are perhaps no more null than the distinctions observed by the aristocracy, but, being more obscure, more peculiar to the individual, take us more by surprise. Possibly there had been Simonnets who had done badly in business, or something worse still even. The fact remains that the Simonets never failed, it appeared, to be annoyed if anyone doubled their ‘n.′ They wore the air of being the only Simonets in the world with one ‘n′ instead of two, and were as proud of it, perhaps, as the Montmorency family were of being the premier barons of France. I asked Elstir whether these girls lived at Balbec; yes, he told me, some of them at any rate. The villa in which one of them lived was at that very spot, right at the end of the beach, where the cliffs of Canapville began. As this girl was a great friend of Albertine Simonet, this was another reason for me to believe that it was indeed the latter whom I had met that day when I was with my grandmother. There were of course so many of those little streets running down to the beach, and all at the same angle, that I could not have pointed out exactly which of them it had been. One would like always to remember a thing accurately, but at the time one′s vision was clouded. And yet that Albertine and the girl whom I had seen going to her friend′s house were one and the same person was a practical certainty. In spite of which, whereas the countless images that have since been furnished me by the dark young golfer, however different they may have been from one another, have overlaid one another (because I now know that they all belong to her), and if I retrace the thread of my memories I can, under cover of that identity, and as though along a tunnelled passage, pass through all those images in turn without losing my consciousness of the same person behind them all, if, on the other hand, I wish to revert to the girl whom I passed that day when I was with my grandmother, I must escape first into freer air. I am convinced that it is Albertine whom I find there, the same girl as her who would often stop dead among her moving comrades, in her walk along the foreground of the sea; but all those more recent images remain separate from that earlier one because I am unable to confer on her retrospectively an identity which she had not for me at the moment in which she caught my eye; whatever assurance I may derive from the law of probabilities, that girl with plump cheeks who stared at me so boldly from the angle of the little street and the beach, and by whom I believe that I might have been loved, I have never, in the strict sense of the words, seen again.
Mon hésitation entre les diverses jeunes filles de la petite bande lesquelles gardaient toutes un peu du charme collectif qui m′avait d′abord troublé, s′ajouta-t-il aussi à ces causes pour me laisser plus tard, même au temps de mon plus grand — de mon second — amour pour Albertine, une sorte de liberté intermittente, et bien brève, de ne l′aimer pas. Pour avoir erré entre toutes ses amies avant de se porter définitivement sur elle, mon amour garda parfois entre lui et l′image d′Albertine certain «jeu» qui lui permettait, comme un éclairage mal adapté, de se poser sur d′autres avant de revenir s′appliquer à elles; le rapport entre le mal que je ressentais au cur et le souvenir d′Albertine ne me semblait pas nécessaire, j′aurais peut-être pu le coordonner avec l′image d′une autre personne. Ce qui me permettait, l′éclair d′un instant, de faire évanouir la réalité, non pas seulement la réalité extérieure comme dans mon amour pour Gilberte (que j′avais reconnu pour un état intérieur où je tirais de moi seul la qualité particulière, le caractère spécial de l′être que j′aimais, tout ce qui le rendait indispensable à mon bonheur) mais même la réalité intérieure et purement subjective. My hesitation between the different girls of the little band, all of whom retained something of the collective charm which had at first disturbed me, combined with the reasons already given to allow me later on, even at the time of my greater — my second — passion for Albertine, a sort of intermittent and very brief liberty to abstain from loving her. From having strayed among all her friends before it finally concentrated itself on her, my love kept, now and then, between itself and the image of Albertine a certain ‘play′ of light and shade which enabled it, like a badly fitted lamp, to flit over the surface of each of the others before settling its focus upon her; the connexion between the pain which I felt in my heart and the memory of Albertine did not seem to me necessary; I might perhaps have managed to co-ordinate it with the image of another person, Which enabled me, in a momentary flash, to banish reality altogether, not only external reality, as in my love for Gilberte (which I had recognised to be an internal state in which I drew from myself alone the particular quality, the special character of the person whom I loved, everything that rendered her indispensable to my happiness), but even the other reality, internal and purely subjective.
«Il n′y a pas de jour qu′une ou l′autre d′entre elles ne passe devant l′atelier et n′entre me faire un bout de visite», me dit Elstir, me désespérant ainsi par la pensée que si j′avais été le voir aussitôt que ma grand-mère m′avait demandé de le faire, j′eusse probablement depuis longtemps déjà, fait la connaissance d′Albertine. “Not a day passes but one or the other of them comes by here, and looks in for a minute or two,” Elstir told me, plunging me in despair when I thought that if I had gone to see him at once, when my grandmother had begged me to do so, I should, in all probability, long since have made Albertine′s acquaintance.
Elle s′était éloignée; de l′atelier on ne la voyait plus. Je pensai qu′elle était allée rejoindre ses amies sur la digue. Si j′avais pu m′y trouver avec Elstir, j′eusse fait leur connaissance. J′inventai mille prétextes pour qu′il consentît à venir faire un tour de plage avec moi. Je n′avais plus le même calme qu′avant l′apparition de la jeune fille dans le cadre de la petite fenêtre si charmante jusque-là sous ses chèvrefeuilles et maintenant bien vide. Elstir me causa une joie mêlée de torture en me disant qu′il ferait quelques pas avec moi, mais qu′il était obligé de terminer d′abord le morceau qu′il était en train de peindre. C′était des fleurs, mais pas de celles dont j′eusse mieux aimé lui commander le portrait que celui d′une personne, afin d′apprendre par la révélation de son génie ce que j′avais si souvent cherché en vain devant elles — aubépines, épines roses, bluets, fleurs de pommiers. Elstir tout en peignant me parlait de botanique, mais je ne l′écoutais guère; il ne se suffisait plus à lui-même, il n′était plus que l′intermédiaire nécessaire entre ces jeunes filles et moi; le prestige que quelques instants encore auparavant, lui donnait pour moi son talent, ne valait plus qu′en tant qu′il m′en conférait un peu à moi-même aux yeux de la petite bande à qui je serais présenté par lui. She had passed on; from the studio she was no longer in sight. I supposed that she had gone to join her friends on the ‘front.′ Could I have appeared there suddenly with Elstir, I should have got to know them all. I thought of endless pretexts for inducing him to take a turn with me on the beach. I had no longer the same peace of mind as before the apparition of the girl in the frame of the little window; so charming until then in its fringe of honeysuckle, and now so drearily empty. Elstir caused me a joy that was tormenting also when he said that he would go a little way with me, but that he must first finish the piece of work on which he was engaged. It was a flower study but not one of any of the flowers, portraits of which I would rather have commissioned him to paint than the portrait of a person, so that I might learn from the revelation of his genius what I had so often sought in vain from the flowers themselves — hawthorn white and pink, cornflowers, apple-blossom. Elstir as he worked talked botany to me, but I scarcely listened; he was no longer sufficient in himself, he was now only the necessary intermediary between these girls and me; the distinction which, only a few moments ago, his talent had still given him in my eyes was now worthless save in so far as it might confer a little on me also in the eyes of the little band to whom I should be presented by him.
J′allais et venais, impatient qu′il eût fini de travailler; je saisissais pour les regarder des études dont beaucoup tournées contre le mur, étaient empilées les unes sur les autres. Je me trouvais ainsi mettre au jour une aquarelle qui devait être d′un temps bien plus ancien de la vie d′Elstir et me causa cette sorte particulière d′enchantement que dispensent des uvres non seulement d′une exécution délicieuse mais aussi d′un sujet si singulier et si séduisant, que c′est à lui que nous attribuons une partie de leur charme, comme si, ce charme, le peintre n′avait eu qu′à le découvrir, qu′à l′observer, matériellement réalisé déjà dans la nature et à le reproduire. Que de tels objets puissent exister, beaux en dehors même de l′interprétation du peintre, cela contente en nous un matérialisme inné, combattu par la raison, et sert de contre-poids aux abstractions de l′esthétique. C′était, — cette aquarelle, — le portrait d′une jeune femme pas jolie, mais d′un type curieux, que coiffait un serre-tête assez semblable à un chapeau melon bordé d′un ruban de soie cerise; une de ses mains gantées de mitaines tenait une cigarette allumée, tandis que l′autre élevait à la hauteur du genou une sorte de grand chapeau de jardin, simple écran de paille contre le soleil. A côté d′elle, un porte-bouquet plein de roses sur une table. Souvent c′était le cas ici, la singularité de ces uvres, tient surtout à ce qu′elles ont été exécutées dans des conditions particulières dont nous ne nous rendons pas clairement compte d′abord, par exemple si la toilette étrange d′un modèle féminin, est un déguisement de bal costumé, ou si au contraire le manteau rouge d′un vieillard qui a l′air de l′avoir revêtu pour se prêter à une fantaisie du peintre, est sa robe de professeur ou de conseiller, ou son camail de cardinal. Le caractère ambigu de l′être dont j′avais le portrait sous les yeux, tenait sans que je le comprisse à ce que c′était une jeune actrice d′autrefois en demi-travesti. Mais son melon, sous lequel ses cheveux étaient bouffants, mais courts, son veston de velours sans revers ouvrant sur un plastron blanc me firent hésiter sur la date de la mode et le sexe du modèle, de façon que je ne savais pas exactement ce que j′avais sous les yeux, sinon le plus clair des morceaux de peinture. Et le plaisir qu′il me donnait était troublé seulement par la peur qu′Elstir en s′attardant encore me fît manquer les jeunes filles, car le soleil était déjà oblique et bas dans la petite fenêtre. Aucune chose dans cette aquarelle n′était simplement constatée en fait et peinte à cause de son utilité dans la scène, le costume parce qu′il fallait que la femme fût habillée, le porte-bouquet pour les fleurs. Le verre du porte-bouquet, aimé pour lui-même, avait l′air d′enfermer l′eau où trempaient les tiges des illets dans quelque chose d′aussi limpide, presque d′aussi liquide qu′elle; l′habillement de la femme l′entourait d′une manière qui avait un charme indépendant, fraternel, et si les uvres de l′industrie pouvaient rivaliser de charme avec les merveilles de la nature, aussi délicates, aussi savoureuses au toucher du regard, aussi fraîchement peintes que la fourrure d′une chatte, les pétales d′un illet, les plumes d′une colombe. La blancheur du plastron, d′une finesse de grésil et dont le frivole plissage avait des clochettes comme celles du muguet, s′étoilait des clairs reflets de la chambre, aigus eux-mêmes et finement nuancés comme des bouquets de fleurs qui auraient broché le linge. Et le velours du veston brillant et nacré, avait çà et là quelque chose de hérissé, de déchiqueté et de velu qui faisait penser à l′ébouriffage des illets dans le vase. Mais surtout on sentait qu′Elstir, insoucieux de ce que pouvait présenter d′immoral ce travesti d′une jeune actrice pour qui le talent avec lequel elle jouerait son rôle avait sans doute moins d′importance que l′attrait irritant qu′elle allait offrir aux sens blasés ou dépravés de certains spectateurs, s′était au contraire attaché à ces traits d′ambiguité comme à un élément esthétique qui valait d′être mis en relief et qu′il avait tout fait pour souligner. Le long des lignes du visage, le sexe avait l′air d′être sur le point d′avouer qu′il était celui d′une fille un peu garçonnière, s′évanouissait, et plus loin se retrouvait, suggérant plutôt l′idée d′un jeune efféminé vicieux et songeur, puis fuyait encore, restait insaisissable. Le caractère de tristesse rêveuse du regard, par son contraste même avec les accessoires appartenant au monde de la noce et du théâtre, n′était pas ce qui était le moins troublant. On pensait du reste qu′il devait être factice et que le jeune être qui semblait s′offrir aux caresses dans ce provocant costume avait probablement trouvé piquant d′y ajouter l′expression romanesque d′un sentiment secret, d′un chagrin inavoué. Au bas du portrait était écrit: Miss Sacripant, octobre 1872. Je ne pus contenir mon admiration. «Oh! ce n′est rien, c′est une pochade de jeunesse, c′était un costume pour une Revue des Variétés. Tout cela est bien loin.» «Et qu′est devenu le modèle?» Un étonnement provoqué par mes paroles précéda sur la figure d′Elstir l′air indifférent et distrait qu′au bout d′une seconde il y étendit. «Tenez, passez-moi vite cette toile, me dit-il, j′entends Madame Elstir qui arrive et bien que la jeune personne au melon n′ait joué, je vous assure, aucun rôle dans ma vie, il est inutile que ma femme ait cette aquarelle sous les yeux. Je n′ai gardé cela que comme un document amusant sur le théâtre de cette époque.» Et avant de cacher l′aquarelle derrière lui, Elstir qui peut-être ne l′avait pas vue depuis longtemps y attacha un regard attentif. «Il faudra que je ne garde que la tête, murmura-t-il, le bas est vraiment trop mal peint, les mains sont d′un commençant.» J′étais désolé de l′arrivée de Mme Elstir qui allait encore nous retarder. Le rebord de la fenêtre fut bientôt rose. Notre sortie serait en pure perte. Il n′y avait plus aucune chance de voir les jeunes filles, par conséquent plus aucune importance à ce que Mme Elstir nous quittât plus ou moins vite. Elle ne resta, d′ailleurs, pas très longtemps. Je la trouvai très ennuyeuse; elle aurait pu être belle, si elle avait eu vingt ans, conduisant un buf dans la campagne romaine; mais ses cheveux noirs blanchissaient; et elle était commune sans être simple, parce qu′elle croyait que la solennité des manières et la majesté de l′attitude étaient requises par sa beauté sculpturale à laquelle, d′ailleurs, l′âge avait enlevé toutes ses séductions. Elle était mise avec la plus grande simplicité. Et on était touché mais surpris d′entendre Elstir dire à tout propos et avec une douceur respectueuse comme si rien que prononcer ces mots lui causait de l′attendrissement et de la vénération: «Ma belle Gabrielle!» Plus tard, quand je connus la peinture mythologique d′Elstir, Mme Elstir prit pour moi aussi de la beauté. Je compris qu′à certain type idéal résumé en certaines lignes, en certaines arabesques qui se retrouvaient sans cesse dans son uvre, à un certain canon, il avait attribué en fait un caractère presque divin, puisque tout son temps, tout l′effort de pensée dont il était capable, en un mot toute sa vie, il l′avait consacrée à la tâche de distinguer mieux ces lignes, de les reproduire plus fidèlement. Ce qu′un tel idéal inspirait à Elstir, c′était vraiment un culte si grave, si exigeant, qu′il ne lui permettait jamais d′être content, c′était la partie la plus intime de lui-même: aussi n′avait-il pu le considérer avec détachement, en tirer des émotions jusqu′au jour où il le rencontra, réalisé au dehors, dans le corps d′une femme, le corps de celle qui était par la suite devenue Madame Elstir et chez qui il avait pu — comme cela ne nous est possible que pour ce qui n′est pas nous-mêmes — le trouver méritoire, attendrissant, divin. Quel repos, d′ailleurs, de poser ses lèvres sur ce Beau que jusqu′ici il fallait avec tant de peine extraire de soi, et qui maintenant mystérieusement incarné, s′offrait à lui pour une suite de communions efficaces. Elstir à cette époque n′était plus dans la première jeunesse où l′on attend que de la puissance de la pensée, la réalisation de son idéal. Il approchait de l′âge où l′on compte sur les satisfactions du corps pour stimuler la force de l′esprit, où la fatigue de celui-ci, en nous inclinant au matérialisme, et la diminution de l′activité à la possibilité d′influences passivement reçues commencent à nous faire admettre qu′il y a peut-être bien certains corps, certains métiers, certains rythmes privilégiés, réalisant si naturellement notre idéal, que même sans génie, rien qu′en copiant le mouvement d′une épaule, la tension d′un cou, nous ferions un chef-d′uvre; c′est l′âge où nous aimons à caresser la Beauté du regard, hors de nous, près de nous, dans une tapisserie, dans une belle esquisse de Titien découverte chez un brocanteur, dans une maîtresse aussi belle que l′esquisse de Titien. Quand j′eus compris cela, je ne pus plus voir sans plaisir Mme Elstir, et son corps perdit de sa lourdeur, car je le remplis d′une idée, l′idée qu′elle était une créature immatérielle, un portrait d′Elstir. Elle en était un pour moi et pour lui aussi sans doute. Les données de la vie ne comptent pas pour l′artiste, elles ne sont pour lui qu′une occasion de mettre à nu son génie. On sent bien à voir les uns à côté des autres dix portraits de personnes différentes peintes par Elstir, que ce sont avant tout des Elstir. Seulement, après cette marée montante du génie qui recouvre la vie, quand le cerveau se fatigue, peu à peu l′équilibre se rompt et comme un fleuve qui reprend son cours après le contreflux d′une grande marée, c′est la vie qui reprend le dessus. Or, pendant que durait la première période, l′artiste a, peu à peu, dégagé la loi, la formule de son don inconscient. Il sait quelles situations s′il est romancier, quels paysages s′il est peintre, lui fournissent la matière, indifférente en soi, mais nécessaire à ses recherches comme serait un laboratoire ou un atelier. Il sait qu′il a fait ses chefs d′uvre avec des effets de lumière atténuée, avec des remords modifiant l′idée d′une faute, avec des femmes posées sous les arbres ou à demi plongées dans l′eau, comme des statues. Un jour viendra où par l′usure de son cerveau, il n′aura plus devant ces matériaux dont se servait son génie, la force de faire l′effort intellectuel qui seul peut produire son uvre, et continuera pourtant à les rechercher, heureux de se trouver près d′eux à cause du plaisir spirituel, amorce du travail, qu′ils éveillent en lui; et les entourant d′ailleurs d′une sorte de superstition comme s′ils étaient supérieurs à autre chose, si en eux résidait déjà une bonne part de l′uvre d′art qu′ils porteraient en quelque sorte toute faite, il n′ira pas plus loin que la fréquentation, l′adoration des modèles. Il causera indéfiniment avec des criminels repentis, dont les remords, la régénération a fait l′objet de ses romans; il achètera une maison de campagne dans un pays où la brume atténue la lumière; il passera de longues heures à regarder des femmes se baigner; il collectionnera les belles étoffes. Et ainsi la beauté de la vie, mot en quelque sorte dépourvu de signification, stade situé en deçà de l′art et auquel j′avais vu s′arrêter Swann, était celui où par ralentissement du génie créateur, idolâtrie des formes qui l′avaient favorisé désir du moindre effort, devait un jour rétrograder peu à peu un Elstir. I paced up and down the room, impatient for him to finish what he was doing; I picked up and examined various sketches, any number of which were stacked against the walls. In this way I happened to bring to light a water-colour which evidently belonged to a much earlier period in Elstir′s life, and gave me that particular kind of enchantment which is diffused by works of art not only deliriously executed but representing a subject so singular and so seductive that it is to it that we attribute a great deal of their charm, as if the charm were something that the painter had merely to uncover, to observe, realised already in a material form by nature, and to reproduce in art. That such objects can exist, beautiful quite apart from the painter′s interpretation of them, satisfies a sort of innate materialism in us, against which our reason contends and acts as a counterpoise to the abstractions of aesthetics. It was — this water-colour — the portrait of a young woman, by no means beautiful but of a curious type, in a close-fitting mob-cap not unlike a ‘billy-cock′ hat, trimmed with a ribbon of cherry-coloured silk; in one of her mittened hands was a lighted cigarette, while the other held, level with her knee, a sort of broad-brimmed garden hat, nothing more than a fire screen of plaited straw to keep off the sun. On a table by her side, a tall vase filled with pink carnations. Often (and it was the case here) the singularity of such works is due principally to their having been executed in special conditions for which we do not at first sight make proper allowance, if, for instance, the strange attire of a feminine model is her costume for a masked ball, or conversely the scarlet cloak which an elderly man looks as though he had put on to humour some whim in the painter is his gown as a professor or alderman or his cardinal′s cassock. The ambiguous character of the person whose portrait now confronted me arose, without my understanding it, from the fact that she was a young actress of an earlier generation half dressed for a part. But the cap or hat, beneath which the hair stuck out but was cut short, the velvet coat opening without lapels over a white shirt-front, made me hesitate as to the period of the clothes and the sex of the model, so that I did not know what it was exactly that I was holding before my eyes, unless simply the brightest coloured of these scraps of painting. And the pleasure which it afforded me was disturbed only by the fear that Elstir, by delaying further, would make me miss the girls, for the sun was now declining and hung low in the little window. Nothing in this water-colour was merely stated there as a fact and painted because of its utility to the composition, the costume because the young woman must be wearing something, the vase to hold the flowers. The glass of the vase, cherished for its own sake, seemed to be holding the water in which the stems of the carnations were dipped in something as limpid, almost as liquid as itself; the woman′s dress encompassed her in a manner that had an independent, a brotherly charm, and, if the works of man can compete in charm with the wonders of nature, as delicate, as pleasing to the touch of the eye, as freshly painted as the fur of a cat, the petals of a flower, the feathers of a dove. The whiteness of the shirt-front, fine as driven rain, with its gay pleats gathered into little bells like lilies of the valley, was starred with bright gleams of light from the room, as sharply edged and as finely shaded as though they had been posies of flowers stitched on the woven lawn. And the velvet of the coat, brilliant with a milky sheen, had here and there a roughness, a scoring, a shagginess on its surface which made one think of the crumpled brightness of the carnations in the vase. But above all one felt that Elstir, sublimely indifferent to whatever immoral suggestion there might be in this disguise of a young actress for whom the talent with which she would play her part on the stage was doubtless of less importance than the irritant attraction which she would offer to the jaded or depraved senses of some of her audience, had on the contrary fastened upon those ambiguous points as on an aesthetic element which deserved to be brought into prominence, and which he had done everything in his power to emphasise. Along the lines of the face, the latent sex seemed to be on the point of confessing itself to be that of a somewhat boyish girl, then vanished and farther on reappeared with a suggestion rather of an effeminate youth, vicious and pensive, then fled once more to remain uncapturable. The dreamy sadness in the expression of her eyes, by the mere fact of its contrast with the accessories belonging to the world of love-making and play-acting, was not the least disturbing element in the picture. One imagined moreover that it must be feigned, and that the young person who seemed ready to submit to caresses in this provoking costume had probably thought it effective to enhance the provocation with this romantic expression of a secret longing, an unspoken grief. At the foot of the picture was inscribed “Miss Sacripant: October, 1872.” I could not contain my admiration. “Oh, it′s nothing, only a rough sketch I did when I was young; it was a costume for a variety show. It′s all ages ago now.” “And what has become of the model?” A bewilderment provoked by my words preceded on Elstir′s face the indifferent, absent-minded air which, a moment later, he displayed there. “Quick, give it to me!” he cried, “I hear Madame Elstir coming, and, though, I assure you, the young person in the billy-cock hat never played any part in my life, still there′s no point in my wife′s coming in and finding it staring her in the face. I have kept it only as an amusing sidelight on the theatre of those days.” And, before putting it away behind the pile, Elstir, who perhaps had not set eyes on the sketch for years, gave it his careful scrutiny. “I must keep just the head,” he murmured, “the lower part is really too shockingly bad, the hands are a beginner′s work.” I was miserable at the arrival of Mme. Elstir, who could only delay us still further. The window sill was already aglow. Our excursion would be a pure waste of time. There was no longer the slightest chance of our seeing the girls, consequently it mattered now not at all how soon Mme. Elstir left us or how long she stayed. Not that she did stay for any length of time. I found her most tedious; she might have been beautiful, once, at twenty, driving an ox in the Roman Campagna, but her dark hair was streaked with grey and she was common without being simple, because she believed that a pompous manner and majestic attitudes were required by her statuesque beauty, which, however, advancing age had robbed of all its charm. She was dressed with the utmost simplicity. And it was touching, but at the same time surprising to hear Elstir, whenever he opened his mouth, and with a respectful gentleness, as if merely uttering the words moved him to tenderness and veneration, repeat: “My beautiful Gabrielle!” Later on, when I had become familiar with Elstir′s mythological paintings, Mme. Elstir acquired beauty in my eyes also. I understood then that to a certain ideal type illustrated by certain lines, certain arabesques which reappeared incessantly throughout his work, to a certain canon of art he had attributed a character that was almost divine, since the whole of his time, all the mental effort of which he was capable, in a word his whole life he had consecrated to the task of distinguishing those lines as clearly and of reproducing them as faithfully as possible. What such an ideal inspired in Elstir was indeed a cult so solemn, so exacting that it never allowed him to be satisfied with what he had achieved; was the most intimate part of himself, and so he had never been able to look at it from a detached standpoint, to extract emotion from it, until the day on which he encountered it realised outside, apart from himself, in the body of a woman, the body of her who in due course became Mme. Elstir and in whom he had been able (as one is able only with something that is not oneself) to find it meritorious, moving, god-like. How comforting, moreover, to let his lips rest upon that Beauty which hitherto he had been obliged with so great labour to extract from within himself, whereas now, mysteriously incarnate, it offered itself to him in a series of communions, filled with saving grace. Elstir at this period was no longer in that early youth in which we look only to the power of our own mind for the realisation of our ideal. He was nearing the age at which we count on bodily satisfactions to stimulate the forces of the brain, at which the exhaustion of the brain inclining us to materialism and the diminution of our activity to the possibility of influences passively received, begin to make us admit that there may indeed be certain bodies, certain callings, certain rhythms that are privileged, realising so naturally our ideal that even without genius, merely by copying the movement of a shoulder, the tension of a throat, we can achieve a masterpiece, it is the age at which we like to caress Beauty with our eyes objectively, outside ourselves, to have it near us, in a tapestry, in a lovely sketch by Titian picked up in a second-hand shop, in a mistress as lovely as Titian′s sketch. When I understood this I could no longer look without pleasure at Mme. Elstir, and her body began to lose its heaviness, for I filled it with an idea, the idea that she was an immaterial creature, a portrait by Elstir. She was one for me, and for him also I dare say. The facts of life have no meaning for the artist, they are to him merely an opportunity for exposing the naked blaze of his genius. One feels unmistakably, when one sees side by side ten portraits of different people painted by Elstir, that they are all, first and foremost, Elstirs. Only, after this rising tide of genius, which sweeps over and submerges a man′s life, when the brain begins to tire, gradually the balance is upset and, like a river that resumes its course after the counter-flow of a spring tide, it is life that once more takes the upper hand. While the first period lasted, the artist has gradually evolved the law, the formula of his unconscious gift. He knows what situations, should he be a novelist — if a painter, what scenes — furnish him with the subject matter, which may be anything in the world but, whatever it is, is essential to his researches as a laboratory might be of a workshop. He knows that he has created his masterpieces out of effects of attenuated light, the action of remorse upon consciousness of guilt, out of women posed beneath trees or half-immersed in water, like statues. A day will come when, owing to the exhaustion of his brain, he will no longer have the strength, when provided with those materials which his genius was wont to use, to make the intellectual effort which alone can produce his work, and will yet continue to seek them out, happy when he finds himself in their presence, because of the spiritual pleasure, the allurement to work that they arouse in him; and, surrounding them besides with a kind of hedge of superstition as if they were superior to all things else, as if in them already dwelt a great part of the work of art which they might be said to carry within them ready made, he will confine himself to the company, to the adoration of his models. He will hold endless conversations with the repentant criminals whose remorse, whose regeneration formed, when he still wrote, the subject of his novels; he will buy a country house in a district where mists attenuate the light, he will spend long hours gazing at the limbs of bathing women; will collect sumptuous stuffs. And thus the beauty of life, a phase that has to some extent lost its meaning, a stage beyond the boundaries of art at which I had already seen Swann come to rest, was that also which, by a slackening of the creative ardour, idolatry of the forms which had inspired it, desire to avoid effort, must ultimately arrest an Elstir′s progress.
Il venait enfin de donner un dernier coup de pinceau à ses fleurs; je perdis un instant à les regarder; je n′avais pas de mérite à le faire, puisque je savais que les jeunes filles ne se trouveraient plus sur la plage; mais j′aurais cru qu′elles y étaient encore et que ces minutes perdues me les faisaient manquer que j′aurais regardé tout de même, car je me serais dit qu′Elstir s′intéressait plus à ses fleurs qu′à ma rencontre avec les jeunes filles. La nature de ma grand-mère, nature qui était juste l′opposé de mon total égoî²­e, se reflétait pourtant dans la mienne. Dans une circonstance où quelqu′un qui m′était indifférent, pour qui j′avais toujours feint de l′affection ou du respect, ne risquait qu′un désagrément tandis que je courais un danger, je n′aurais pas pu faire autrement que de le plaindre de son ennui comme d′une chose considérable et de traiter mon danger comme un rien, parce qu′il me semblait que c′était avec ces proportions que les choses devaient lui apparaître. Pour dire les choses telles qu′elles sont, c′est même un peu plus que cela, et pas seulement ne pas déplorer le danger que je courais moi-même, mais aller au devant de ce danger-là, et pour celui qui concernait les autres, tâcher au contraire, dussè-je avoir plus de chances d′être atteint moi-même, de le leur éviter. Cela tient à plusieurs raisons qui ne sont point à mon honneur. L′une est que si, tant que je ne faisais que raisonner, je croyais surtout tenir à la vie, chaque fois qu′au cours de mon existence, je me suis trouvé obsédé par des soucis moraux ou seulement par des inquiétudes nerveuses, quelquefois si puériles que je n′oserais pas les rapporter, si une circonstance imprévue survenait alors, amenant pour moi le risque d′être tué, cette nouvelle préoccupation était si légère, relativement aux autres, que je l′accueillais avec un sentiment de détente qui allait jusqu′à l′allégresse. Je me trouve ainsi avoir connu, quoique étant l′homme le moins brave du monde, cette chose qui me semblait quand je résonnais, si étrangère à ma nature, si inconcevable, l′ivresse du danger. Mais même fussé-je quand il y en a un, et mortel, qui se présente, dans une période entièrement calme et heureuse, je ne pourrais pas, si je suis avec une autre personne, ne pas la mettre à l′abri et choisir pour moi la place dangereuse. Quand un assez grand nombre d′expériences m′eurent appris que j′agissais toujours ainsi, et avec plaisir, je découvris et à ma grande honte, que contrairement à ce que j′avais toujours cru et affirmé j′étais très sensible à l′opinion des autres. Cette sorte d′amour-propre inavoué n′a pourtant aucun rapport avec la vanité ni avec l′orgueil. Car ce qui peut contenter l′une ou l′autre, ne me causerait aucun plaisir et je m′en suis toujours abstenu. Mais les gens devant qui j′ai réussi à cacher le plus complètement les petits avantages qui auraient pu leur donner une moins piètre idée de moi, je n′ai jamais pu me refuser le plaisir de leur montrer que je mets plus de soin à écarter la mort de leur route que de la mienne. Comme son mobile est alors l′amour-propre et non la vertu, je trouve bien naturel qu′en toute circonstance, ils agissent autrement. Je suis bien loin de les en blâmer, ce que je ferais, peut-être, si j′avais été mû par l′idée d′un devoir qui me semblerait dans ce cas être obligatoire pour eux aussi bien que pour moi. Au contraire, je les trouve fort sages de préserver leur vie, tout en ne pouvant m′empêcher de faire passer au second plan la mienne, ce qui est particulièrement absurde et coupable, depuis que j′ai cru reconnaître que celle de beaucoup de gens devant qui je me place quand éclate une bombe est plus dénuée de prix. D′ailleurs le jour de cette visite à Elstir les temps étaient encore loin où je devais prendre conscience de cette différence de valeur, et il ne s′agissait d′aucun danger, mais simplement, signe avant-coureur du pernicieux amour-propre, de ne pas avoir l′air d′attacher au plaisir que je désirais si ardemment plus d′importance qu′à la besogne d′aquarelliste qu′il n′avait pas achevée. Elle le fut enfin. Et, une fois dehors, je m′aperçus que — tant les jours étaient longs dans cette saison là — il était moins tard que je ne croyais; nous allâmes sur la digue. Que de ruses j′employai pour faire demeurer Elstir à l′endroit où je croyais que ces jeunes filles pouvaient encore passer. Lui montrant les falaises qui s′élevaient à côté de nous je ne cessais de lui demander de me parler d′elles, afin de lui faire oublier l′heure et de le faire rester. Il me semblait que nous avions plus de chance de cerner la petite bande en allant vers l′extrémité de la plage. «J′aurais voulu voir d′un tout petit peu près avec vous ces falaises», dis-je à Elstir, ayant remarqué qu′une de ces jeunes filles s′en allait souvent de ce côté. Et pendant ce temps-là, parlez-moi de Carquethuit. Ah! que j′aimerais aller à Carquethuit!» ajoutai-je sans penser que le caractère si nouveau qui se manifestait avec tant de puissance dans le «Port de Carquethuit» d′Elstir, tenait peut-être plus à la vision du peintre qu′à un mérite spécial de cette plage. «Depuis que j′ai vu ce tableau, c′est peut-être ce que je désire le plus connaître avec la Pointe-du-Raz qui serait, d′ailleurs, d′ici, tout un voyage.» «Et puis même si ce n′était pas plus près je vous conseillerais peut-être tout de même davantage Carquethuit, me répondit Elstir. La Pointe-du-Raz est admirable, mais enfin c′est toujours la grande falaise normande ou bretonne que vous connaissez. Carquethuit c′est tout autre chose avec ces roches sur une plage basse. Je ne connais rien en France d′analogue, cela me rappelle plûtot certains aspects de la Floride. C′est très curieux, et du reste extrêmement sauvage aussi. C′est entre Clitourps et Nehomme et vous savez combien ces parages sont désolés; la ligne des plages est ravissante. Ici, la ligne de la plage est quelconque; mais là-bas, je ne peux vous dire quelle grâce elle a, quelle douceur.» At last he had applied the final brush-stroke to his flowers; I sacrificed a minute to look at them; I acquired no merit by the act, for I knew that there was no chance now of our finding the girls on the beach; and yet, had I believed them to be still there, and that these wasted moments would make me miss them, I should have stopped to look none the less, for I should have told myself that Elstir was more interested in his flowers than in my meeting with the girls. My grandmother′s nature, a nature that was the exact counterpart of my complete egoism, was nevertheless reflected in certain aspects of my own. In circumstances in which someone to whom I was indifferent, for whom I had always made a show of affection or respect, ran the risk merely of some unpleasantness whereas I was in real danger, I could not have done otherwise than commiserate with him on his annoyance as though it had been something important, and treat my own danger as nothing, because I would feel that these were the proportions in which he must see things. To be quite accurate, I would go even further, and not only not complain of the danger in which I myself stood but go half-way to meet it, and with that which involved other people try, on the contrary, were I to increase the risk of my being caught myself, to avert it from them. The reasons for this are several, none of which does me the slightest credit. One is that if, while only my reason was employed, I have always believed in self-preservation, whenever in the course of my existence I have found myself obsessed by moral anxieties, or merely by nervous scruples, so puerile often that I dare not enumerate them here, if an unforeseen circumstance then arose, involving for me the risk of being killed, this new preoccupation was so trivial in comparison with the others that I welcomed it with a sense of relief, almost of hilarity. Thus I find myself, albeit the least courageous of men, to have known that feeling which has always seemed to me, in my reasoning moods, so foreign to my nature, so inconceivable, the intoxication of danger. But even although I were, when any, even a deadly peril threatened me, passing through an entirely calm and happy phase, I could not, were I with another person, refrain from sheltering him behind me and choosing for myself the post of danger. When a sufficient store of experience had taught me that I invariably acted, and enjoyed acting, thus, I discovered — and was deeply ashamed by the discovery — that it was because, in contradiction of what I had always believed and asserted, I was extremely sensitive to the opinions of others. Not that this kind of unconfessed self-esteem is in any sense vanity or conceit. For what might satisfy one or other of those failings would give me no pleasure, and I have always refrained from indulging them. But with the people in whose company I have succeeded in concealing most effectively the slight advantages a knowledge of which might have given them a less derogatory idea of myself, I have never been able to deny myself the pleasure of shewing them that I take more trouble to avert the risk of death from their path than from my own. As my motive is then self-esteem and not valour, I find it quite natural that in any crisis they should act differently. I am far from blaming them for it, as I should perhaps if I had been moved by a sense of duty, a duty which would seem to me, in that case, to be as incumbent upon them as upon myself. On the contrary, I feel that it is eminently sensible of them to safeguard their lives, though at the same time I cannot prevent my own safety from receding into the background, which is particularly silly and culpable of me since I have come to realise that the lives of many of the people in front of whom I plant myself when a bomb bursts are more valueless even than my own. However, on the day of this first visit to Elstir, the time was still distant at which I was to become conscious of this difference in value, and there was no question of danger, but simply — a harbinger this of that pernicious self-esteem — the question of my not appearing to attach to the pleasure which I so ardently desired more importance than to the work which the painter had still to finish. It was finished at last. And, once we were out of doors, I discovered that — so long were the days still at this season — it was not so late as I had supposed; we strolled down to the ‘front.′ What stratagems I employed to keep Elstir standing at the spot where I thought that the girls might still come past. Pointing to the cliffs that towered beside us, I kept on asking him to tell me about them, so as to make him forget the time and stay there a little longer. I felt that we had a better chance of waylaying the little band if we moved towards the end of the beach. “I should like to look at those cliffs with you from a little nearer,” I said to him, having noticed that one of the girls was in the habit of going in that direction. “And as we go, do tell me about Carquethuit. I should so like to see Carquethuit,” I went on, without thinking that the so novel character which manifested itself with such force in Elstir′s Carquethuit Harbour, might belong perhaps rather to the painter′s vision than to any special quality in the place itself. “Since I′ve seen your picture, I think that is where I should most like to go, there and to the Pointe du Raz, but of course that would be quite a journey from here.” “Yes, and besides, even if it weren′t nearer, I should advise you perhaps all the same to visit Carquethuit,” he replied. “The Pointe du Raz is magnificent, but after all it is simply the high cliff of Normandy or Brittany which you know already. Carquethuit is quite different, with those rocks bursting from a level shore. I know nothing in France like it, it reminds me rather of what one sees in some parts of Florida. It is most interesting, and for that matter extremely wild too. It is between Clitourps and Nehomme; you know how desolate those parts are; the sweep of the coast-line is delicious. Here, the coast-line is like anywhere else; but along there I can′t tell you what charm it has, what softness.”
Le soir tombait: il fallut revenir; je ramenais Elstir vers sa villa, quand tout d′un coup, tel Méphistophélès surgissant devant Faust, apparurent au bout de l′avenue — comme une simple objectivation irréelle et diabolique du tempérament opposé au mien, de la vitalité quasi-barbare et cruelle dont était si dépourvue ma faiblesse, mon excès de sensibilité douloureuse et d′intellectualité — quelques taches de l′essence impossible à confondre avec rien d′autre, quelques sporades de la bande zoophytique des jeunes filles, lesquelles avaient l′air de ne pas me voir, mais sans aucun doute n′en étaient pas moins en train de porter sur moi un jugement ironique. Sentant qu′il était inévitable que la rencontre entre elles et nous se produisît, et qu′Elstir allait m′appeler, je tournai le dos comme un baigneur qui va recevoir la lame; je m′arrêtai net et laissant mon illustre compagnon poursuivre son chemin, je restai en arrière, penché, comme si j′étais subitement intéressé par elle, vers la vitrine du marchand d′antiquités devant lequel nous passions en ce moment; je n′étais pas fâché d′avoir l′air de pouvoir penser à autre chose qu′à ces jeunes filles, et je savais déjà obscurément que quand Elstir m′appellerait pour me présenter, j′aurais la sorte de regard interrogateur qui décèle non la surprise, mais le désir d′avoir l′air surpris — tant chacun est un mauvais acteur ou le prochain un bon physiognomoniste; — que j′irais même jusqu′à indiquer ma poitrine avec mon doigt pour demander: «C′est bien moi que vous appelez» et accourir vite, la tête courbée par l′obéissance et la docilité, le visage dissimulant froidement l′ennui d′être arraché à la contemplation de vieilles faces pour être présenté à des personnes que je ne souhaitais pas de connaître. Cependant je considérais la devanture en attendant le moment où mon nom crié par Elstir viendrait me frapper comme une balle attendue et inoffensive. La certitude de la présentation à ces jeunes filles avait eu pour résultat, non seulement de me faire à leur égard, jouer, mais éprouver, l′indifférence. Désormais inévitable, le plaisir de les connaître fut comprimé, réduit, me parut plus petit que celui de causer avec Saint-Loup, de dîner avec ma grand-mère, de faire dans les environs des excursions que je regretterais d′être probablement, par le fait de relations avec des personnes qui devaient peu s′intéresser aux monuments historiques, contraint de négliger. D′ailleurs, ce qui diminuait le plaisir que j′allais avoir, ce n′était pas seulement l′imminence mais l′incohérence de sa réalisation. Des lois aussi précises que celles de l′hydrostatique, maintiennent la superposition des images que nous formons dans un ordre fixe que la proximité de l′événement bouleverse. Elstir allait m′appeler. Ce n′était pas du tout de cette façon que je m′étais souvent, sur la plage, dans ma chambre, figuré que je connaîtrais ces jeunes filles. Ce qui allait avoir lieu, c′était un autre événement auquel je n′étais pas préparé. Je ne reconnaissais ni mon désir, ni son objet; je regrettais presque d′être sorti avec Elstir. Mais, surtout, la contraction du plaisir que j′avais auparavant cru avoir, était due à la certitude que rien ne pouvait plus me l′enlever. Et il reprit comme en vertu d′une force élastique, toute sa hauteur, quand il cessa de subir l′étreinte de cette certitude, au moment où m′étant décidé à tourner la tête, je vis Elstir arrêté quelques pas plus loin avec les jeunes filles, leur dire au revoir. La figure de celle qui était le plus près de lui, grosse et éclairée par ses regards, avait l′air d′un gâteau où on eût réservé de la place pour un peu de ciel. Ses yeux, même fixes, donnaient l′impression de la mobilité comme il arrive par ces jours de grand vent où l′air, quoique invisible, laisse percevoir la vitesse avec laquelle il passe sur le fond de l′azur. Un instant ses regards croisèrent les miens, comme ces ciels voyageurs des jours d′orage qui approchent d′une nuée moins rapide, la côtoient, la touchent, la dépassent. Mais ils ne se connaissent pas et s′en vont loin l′un de l′autre. Tels nos regards furent un instant face à face, ignorant chacun ce que le continent céleste qui était devant lui contenait de promesses et de menaces pour l′avenir. Au moment seulement où son regard passa exactement sous le mien sans ralentir sa marche il se voila légèrement. Ainsi, par une nuit claire, la lune emportée par le vent passe sous un nuage et voile un instant son éclat, puis reparaît bien vite. Mais déjà Elstir avait quitté les jeunes filles sans m′avoir appelé. Elles prirent une rue de traverse, il vint vers moi. Tout était manqué. Night was falling; it was time to be turning homewards; I was escorting Elstir in the direction of his villa when suddenly, as it were Mephistopheles springing up before Faust, there appeared at the end of the avenue — like simply an objectification, unreal, diabolical, of the temperament diametrically opposed to my own, of the semi-barbarous and cruel vitality of which I, in my weakness, my excess of tortured sensibility and intellectuality was so destitute — a few spots of the essence impossible to mistake for anything else in the world, a few spores of the zoophytic band of girls, who wore an air of not having seen me but were unquestionably, for all that, proceeding as they advanced to pass judgment on me in their ironic vein. Feeling that a collision between them and us was now inevitable, and that Elstir would be certain to call me, I turned my back, like a bather preparing to meet the shock of a wave; I stopped dead and, leaving my eminent companion to pursue his way, remained where I was, stooping, as if I had suddenly become engrossed in it, towards the window of the curiosity shop which we happened to be passing at the moment. I was not sorry to give the appearance of being able to think of something other than these girls, and I was already dimly aware that when Elstir did call me up to introduce me to them I should wear that sort of challenging expression which betokens not surprise but the wish to appear as though one were surprised — so far is every one of us a bad actor, or everyone else a good thought-reader; — that I should even go so far as to point a finger to my breast, as who should ask “It is me, really, that you want?” and then run to join him, my head lowered in compliance and docility and my face coldly masking my annoyance at being torn from the study of old pottery in order to be introduced to people whom I had no wish to know. Meanwhile I explored the window and waited for the moment in which my name, shouted by Elstir, would come to strike me like an expected and innocuous bullet. The certainty of being introduced to these girls had had the result of making me not only feign complete indifference to them, but actually to feel it. Inevitable from this point, the pleasure of knowing them began at once to shrink, became less to me than the pleasure of talking to Saint-Loup, of dining with my grandmother, of making, in the neighbourhood of Balbec, excursions which I would regret the probability, in consequence of my having to associate with people who could scarcely be much interested in old buildings, of my being forced to abandon. Moreover, what diminished the pleasure which I was about to feel was not merely the imminence but the incoherence of its realisation. Laws as precise as those of hydrostatics maintain the relative position of the images which we form in a fixed order, which the coming event at once upsets. Elstir was just about to call me. This was not at all the fashion in which I had so often, on the beach, in my bedroom, imagined myself making these girls′ acquaintance. What was about to happen was a different event, for which I was not prepared. I recognised neither my desire nor its object; I regretted almost that I had come out with Elstir. But, above all, the shrinking of the pleasure that I expected to feel was due to the certainty that nothing, now, could take that pleasure from me. And it resumed, as though by some latent elasticity in itself, its whole extent when it ceased to be subjected to the pressure of that certainty, at the moment when, having decided to turn my head, I saw Elstir, standing where he had stopped a few feet away with the girls, bidding them good-bye. The face of the girl who stood nearest to him, round and plump and glittering with the light in her eyes, reminded me of a cake on the top of which a place has been kept for a morsel of blue sky. Her eyes, even when fixed on an object, gave one the impression of motion, just as on days of high wind the air, although invisible, lets us perceive the speed with which it courses between us and the unchanging azure. For a moment her gaze intersected mine, like those travelling skies on stormy days which hurry after a rain-cloud that moves less rapidly than they, overtake, touch, cover, pass it and are gone; but they do not know one another, and are soon driven far apart. So our eyes were for a moment confronted, neither pair knowing what the celestial continent that lay before their gaze held of future blessing or disaster. Only at the moment when her gaze was directly coincident with mine, without slackening its movement it grew perceptibly duller. So on a starry night the wind-swept moon passes behind a cloud and veils her brightness for a moment, but soon will shine again. But Elstir had already said goodbye to the girls, and had never summoned me. They disappeared down a cross street; he came towards me. My whole plan was spoiled.
J′ai dit qu′Albertine ne m′était pas apparue ce jour-là, la même que les précédents, et que chaque fois elle devait me sembler différente. Mais je sentis à ce moment que certaines modifications dans l′aspect, l′importance, la grandeur d′un être peuvent tenir aussi à la variabilité de certains états interposés entre cet être et nous. L′un de ceux qui jouent à cet égard le rôle le plus considérable est la croyance (ce soir-là la croyance puis l′évanouissement de la croyance, que j′allais connaître Albertine, l′avait, à quelques secondes d′intervalle, rendue presque insignifiante puis infiniment précieuse à mes yeux; quelques années plus tard, la croyance, puis la disparition de la croyance qu′Albertine m′était fidèle, amena des changements analogues). I have said that Albertine had not seemed to me that day to be the same as on previous days and that afterwards, each time I saw her, she was to appear different. But I felt at that moment that certain modifications in the appearance, the importance, the stature of a person may also be due to the variability of certain states of consciousness interposed between that person and us. One of those that play an important part in such transformations is belief; that evening my belief, then the vanishing of my belief, that I was about to know Albertine had, with a few seconds′ interval only, rendered her almost insignificant, then infinitely precious in my sight; some years later, the belief, then the disappearance of the belief, that Albertine was faithful to me brought about similar changes.
Certes, à Combray déjà j′avais vu diminuer ou grandir selon les heures, selon que j′entrais dans l′un ou l′autre des deux grands modes qui se partageaient ma sensibilé, le chagrin de n′être pas près de ma mère, aussi imperceptible tout l′après-midi que la lumière de la lune tant que brille le soleil et, la nuit venue, régnant seul dans mon âme anxieuse à la place de souvenirs effacés et récents. Mais ce jour-là, en voyant qu′Elstir quittait les jeunes filles sans m′avoir appelé, j′appris que les variations de l′importance qu′ont à nos yeux un plaisir ou un chagrin peuvent ne pas tenir seulement à cette alternance de deux états, mais au déplacement de croyances invisibles, lesquelles par exemple nous font paraître indifférente la mort parce qu′elles répandent sur celle-ci une lumière d′irréalité, et nous permettent ainsi d′attacher de l′importance à nous rendre à une soirée musicale qui perdrait de son charme si, à l′annonce que nous allons être guillotinés, la croyance qui baigne cette soirée se dissipait tout à coup; ce rôle des croyances, il est vrai que quelque chose en moi le savait c′était la volonté, mais elle le sait en vain si l′intelligence, la sensibilité continuent à l′ignorer; celles-ci sont de bonne foi quand elles croient que nous avons envie de quitter une maîtresse à laquelle seule notre volonté sait que nous tenons. C′est qu′elles sont obscurcies par la croyance que nous la retrouverons dans un instant. Mais que cette croyance se dissipe, qu′elles apprennent tout d′un coup que cette maîtresse est partie pour toujours, alors l′intelligence et la sensibilité ayant perdu leur mise au point sont comme folles, le plaisir infime s′agrandit à l′infini. Of course, long ago, at Combray, I had seen shrink or stretch, according to the time of day, according as I was entering one or the other of the two dominant moods that governed my sensibility in turn, my grief at not having my mother with me, as imperceptible all afternoon as is the moon′s light when the sun is shining, and then, when night had come, reigning alone in my anxious heart in the place of recent memories now obliterated. But on that day at Balbec, when I saw that Elstir was leaving the girls and had not called me, I learned for the first time that the variations in the importance which a pleasure or a pain has in our eyes may depend not merely on this alternation of two moods, but on the displacement of invisible beliefs, such, for example, as make death seem to us of no account because they bathe it in a glow of unreality, and thus enable us to attach importance to our attending an evening party, which would lose much of its charm for if, on the announcement that we were sentenced to die by the guillotine, the belief that had bathed the party in its warm glow was instantly shattered; and this part that belief plays, it is true that something in me was aware of it; this was my will; but its knowledge is vain if the mind, the heart continue in ignorance; these last act in good faith when they believe that we are anxious to forsake a mistress to whom our will alone knows that we are still attached. This is because they are clouded by the belief that we shall see her again at any moment. But let this belief be shattered, let them suddenly become aware that this mistress is gone from us for ever, then the mind and heart, having lost their focus, are driven like mad things, the meanest pleasure becomes infinitely great.
Variation d′une croyance, néant de l′amour aussi, lequel, préexistant et mobile s′arrête à l′image d′une femme simplement parce que cette femme sera presque impossible à atteindre. Dès lors on pense moins à la femme qu′on se représente difficilement, qu′aux moyens de la connaître. Tout un processus d′angoisses se développe et suffit pour fixer notre amour sur elle, qui en est l′objet à peine connu de nous. L′amour devient immense, nous ne songeons pas combien la femme réelle y tient peu de place. Et si tout d′un coup, comme au moment où j′avais vu Elstir s′arrêter avec les jeunes filles, nous cessons d′être inquiets, d′avoir de l′angoisse, comme c′est elle qui est tout notre amour, il semble brusquement qu′il se soit évanoui au moment où nous tenons enfin la proie à la valeur de laquelle nous n′avons pas assez pensé. Que connaissais-je d′Albertine? Un ou deux profils sur la mer, moins beaux assurément que ceux des femmes de Véronèse que j′aurais dû, si j′avais obéi à des raisons purement esthétiques, lui préférer. Or, pouvais-je en d′autres raisons, puisque, l′anxiété tombée, je ne pouvais retrouver que ces profils muets, je ne possédais rien d′autre. Depuis que j′avais vu Albertine, j′avais fait chaque jour à son sujet des milliers de réflexions, j′avais poursuivi avec ce que j′appelais elle, tout un entretien intérieur, où je la faisais questionner, répondre, penser, agir, et dans la série indéfinie d′Albertines imaginées qui se succédaient en moi heure par heure, l′Albertine réelle, aperçue sur la plage, ne figurait qu′en tête, comme la créatrice d′un rôle, l′étoile, ne paraît, dans une longue série de représentations, que dans toutes les premières. Cette Albertine-là n′était guère qu′une silhouette, tout ce qui était superposé était de mon cru, tant dans l′amour les apports qui viennent de nous l′emportent — à ne se placer même qu′au point de vue quantité — sur ceux qui nous viennent de l′être aimé. Et cela est vrai des amours les plus effectifs. Il en est qui peuvent non seulement se former mais subsister autour de bien peu de chose, — et même parmi ceux qui ont reçu leur exaucement charnel. Un ancien professeur de dessin de ma grand′mère avait eu d′une maîtresse obscure une fille. La mère mourut peu de temps après la naissance de l′enfant et le professeur de dessin en eut un chagrin tel qu′il ne survécut pas longtemps. Dans les derniers mois de sa vie, ma grand′mère et quelques dames de Combray, qui n′avaient jamais voulu faire même allusion devant leur professeur à cette femme avec laquelle d′ailleurs il n′avait pas officiellement vécu et n′avait eu que peu de relations, songèrent à assurer le sort de la petite fille en se cotisant pour lui faire une rente viagère. Ce fut ma grand′mère qui le proposa, certaines amies se firent tirer l′oreille, cette petite fille était-elle vraiment si intéressante, était-elle seulement la fille de celui qui s′en croyait le père; avec des femmes comme était la mère, on n′est jamais sûr. Enfin on se décida. La petite fille vint remercier. Elle était laide et d′une ressemblance avec le vieux maître de dessin qui ôta tous les doutes; comme ses cheveux étaient tout ce qu′elle avait de bien, une dame dit au père qui l′avait conduite: «Comme elle a de beaux cheveux». Et pensant que maintenant, la femme coupable étant morte et le professeur à demi-mort, une allusion à ce passé qu′on avait toujours feint d′ignorer n′avait plus de conséquence, ma grand-mère ajouta: « Ça doit être de famille. Est-ce que sa mère avait ces beaux cheveux-là?» «Je ne sais pas, répondit naîµ¥ment le père. Je ne l′ai jamais vue qu′en chapeau.» Variance of a belief, annulment also of love, which, pre-existent and mobile, comes to rest at the image of any one woman simply because that woman will be almost impossible of attainment. Thenceforward we think not so much of the woman of whom we find difficult in forming an exact picture, as of the means of getting to know her. A whole series of agonies develops and is sufficient to fix our love definitely upon her who is its almost unknown object. Our love becomes immense; we never dream how small a place in it the real woman occupies. And if suddenly, as at the moment when I had seen Elstir stop to talk to the girls, we cease to be uneasy, to suffer pain, since it is this pain that is the whole of our love, it seems to us as though love had abruptly vanished at the moment when at length we grasp the prey to whose value we had not given enough thought before. What did I know of Albertine? One or two glimpses of a profile against the sea, less beautiful, assuredly, than those of Veronese′s women whom I ought, had I been guided by purely aesthetic reasons, to have preferred to her. By what other reasons could I be guided, since, my anxiety having subsided, I could recapture only those mute profiles; I possessed nothing of her besides. Since my first sight of Albertine I had meditated upon her daily, a thousandfold, I had carried on with what I called by her name an interminable unspoken dialogue in which I made her question me, answer me, think and act, and in the infinite series of imaginary Albertines who followed one after the other in my fancy, hour after hour, the real Albertine, a glimpse caught on the beach, figured only at the head, just as the actress who creates a part, the star, appears, out of a long series of performances, in the few first alone. That Albertine was scarcely more than a silhouette, all that was superimposed being of my own growth, so far when we are in love does the contribution that we ourself make outweigh — even if we consider quantity only — those that come to us from the beloved object. And the same is true of love that is given its full effect. There are loves that manage not only to be formed but to subsist around a very little core — even among those whose prayer has been answered after the flesh. An old drawing-master who had taught my grandmother had been presented by some obscure mistress with a daughter. The mother died shortly after the birth of her child, and the drawing-master was so broken-hearted that he did not long survive her. In the last months of his life my grandmother and some of the Combray ladies, who had never liked to make any allusion in the drawing-master′s presence to the woman, with whom, for that matter, he had not officially ‘lived′ and had had comparatively slight relations, took it into their heads to ensure the little girl′s future by combining to purchase an annuity for her. It was my grandmother who suggested this; several of her friends made difficulties; after all was the child really such a very interesting case, was she even the child of her reputed father; with women like that, it was never safe to say. Finally, everything was settled. The child came to thank the ladies. She was plain, and so absurdly like the old drawing-master as to remove every shadow of doubt; her hair being the only nice thing about her, one of the ladies said to her father, who had come with her: “What pretty hair she has.” And thinking that now, the woman who had sinned being dead and the old man only half alive, a discreet allusion to that past of which they had always pretended to know nothing could do no harm, my grandmother added: “It runs in families. Did her mother have pretty hair like that?” “I don′t know,” was the old man′s quaint answer. “I never saw her except with a hat on.”
Il fallait rejoindre Elstir. Je m′aperçus dans une glace. En plus du désastre de ne pas avoir été présenté, je remarquai que ma cravate était tout de travers, mon chapeau laissait voir mes cheveux longs ce qui m′allait mal; mais c′était une chance tout de même qu′elles m′eussent, même ainsi, rencontré avec Elstir et ne pussent pas m′oublier; c′en était une autre que j′eusse ce jour-là, sur le conseil de ma grand′mère, mis mon joli gilet qu′il s′en était fallu de si peu que j′eusse remplacé par un affreux, et pris ma plus belle canne; car un événement que nous désirons, ne se produisant jamais comme nous avons pensé, à défaut des avantages sur lesquels nous croyions pouvoir compter, d′autres que nous n′espérions pas, se sont présentés, le tout se compense; et nous redoutions tellement le pire que nous sommes finalement enclins à trouver que dans l′ensemble pris en bloc, le hasard nous a, somme toute, plutôt favorisé. But I must not keep Elstir waiting. I caught sight of myself in a glass. To add to the disaster of my not having been introduced to the girls, I noticed that my necktie was all crooked, my hat left long wisps of hair shewing, which did not become me; but it was a piece of luck, all the same, that they should have seen me, even thus attired, in Elstir′s company and so could not forget me; also that I should have put on, that morning, at my grandmother′s suggestion, my smart waistcoat, when I might so easily have been wearing one that was simply hideous, and be carrying my best stick. For while an event for which we are longing never happens quite in the way we have been expecting, failing the advantages on which we supposed that we might count, others present themselves for which we never hoped, and make up for our disappointment; and we have been so dreading the worst that in the end we are inclined to feel that, taking one thing with another, chance has, on the whole, been rather kind to us.
«J′aurais été si content de les connaître,» dis-je à Elstir en arrivant près de lui. «Aussi pourquoi restez-vous à des lieues?» Ce furent les paroles qu′il prononça, non qu′elles exprimassent sa pensée, puisque si son désir avait été d′exaucer le mien, m′appeler lui eût été bien facile, mais peut-être parce qu′il avait entendu des phrases de ce genre, familier aux gens vulgaires pris en faute, et parce que même les grands hommes sont, en certaines choses, pareils aux gens vulgaires, prennent les excuses journalières dans le même répertoire qu′eux, comme le pain quotidien chez le même boulanger; soit que de telles paroles qui doivent en quelque sorte être lues à l′envers puisque leur lettre signifie le contraire de la vérité soient l′effet nécessaire, le graphique négatif d′un réflexe. «Elles étaient pressées.» Je pensai que surtout elles l′avaient empêché d′appeler quelqu′un qui leur était peu sympathique; sans cela il n′y eût pas manqué, après toutes les questions que je lui avais posées sur elles, et l′intérêt qu′il avait bien vu que je leur portais. «Je vous parlais de Carquethuit, me dit-il, avant que je l′eusse quitté à sa porte. J′ai fait une petite esquisse où on voit bien mieux la cernure de la plage. Le tableau n′est pas trop mal, mais c′est autre chose. Si vous le permettez, en souvenir de notre amitié, je vous donnerai mon esquisse, ajouta-t-il, car les gens qui vous refusent les choses qu′on désire vous en donnent d′autres. “I did so much want to know them,” I said as I reached Elstir. “Then why did you stand a mile away?” These were his actual words, not that they expressed what was in his mind, since, if his desire had been to grant mine, to call me up to him would have been quite easy, but perhaps because he had heard phrases of this sort, in familiar use among common people when they are in the wrong, and because even great men are in certain respects much the same as common people, take their everyday excuses from the same common stock just as they get their daily bread from the same baker; or it may be that such expressions (which ought, one might almost say, to be read ‘backwards,′ since their literal interpretation is the opposite of the truth) are the instantaneous effect, the negative exposure of a reflex action. “They were in a hurry.” It struck me that of course they must have stopped him from summoning a person who did not greatly attract them; otherwise he would not have failed, after all the questions that I had put to him about them, and the interest which he must have seen that I took in them, to call me. “We were speaking just now of Carquethuit,” he began, as we walked towards his villa. “I have done a little sketch, in which you can see much better how the beach curves. The painting is not bad, but it is different. If you will allow me, just to cement our friendship, I would like to give you the sketch,” he went on, for the people who refuse us the objects of our desire are always ready to offer us something else.
«J′aurais beaucoup aimé, si vous en possédiez, avoir une photographie du petit portrait de Miss Sacripant! Mais qu′est-ce que c′est que ce nom?» «C′est celui d′un personnage que tint le modèle dans une stupide petite opérette». «Mais vous savez que je ne la connais nullement, monsieur, vous avez l′air de croire le contraire.» Elstir se tut. «Ce n′est pourtant pas Mme Swann avant son mariage», dis-je par une de ces brusques rencontres fortuites de la vérité, qui sont somme toute assez rares, mais qui suffisent après coup à donner un certain fondement à la théorie des pressentiments si on prend soin d′oublier toutes les erreurs qui l′infirmeraient. Elstir ne me répondit pas. C′était bien un portrait d′Odette de Crécy. Elle n′avait pas voulu le garder pour beaucoup de raisons dont quelques-unes sont trop évidentes. Il y en avait d′autres. Le portrait était antérieur au moment où Odette disciplinant ses traits avait fait de son visage et de sa taille cette création dont à travers les années, ses coiffeurs, ses couturiers, elle-même — dans sa façon de se tenir, de parler, de sourire, de poser ses mains, ses regards, de penser, — devaient respecter les grandes lignes. Il fallait la dépravation d′un amant rassasié pour que Swann préférât aux nombreuses photographies de l′Odette ne varietur qu′était sa ravissante femme, la petite photographie qu′il avait dans sa chambre, et où sous un chapeau de paille orné de pensées on voyait une maigre jeune femme assez laide, aux cheveux bouffants, aux traits tirés. “I should very much like, if you have such a thing, a photograph of the little picture of Miss Sacripant. ‘Sacripant′— that′s not a real name, surely?” “It is the name of a character the sitter played in a stupid little musical comedy.” “But, I assure you, sir, I have never set eyes on her; you look as though you thought that I knew her.” Elstir was silent. “It isn′t Mme. Swann, before she was married?” I hazarded, in one of those sudden fortuitous stumblings upon the truth, which are rare enough in all conscience, and yet give, in the long run, a certain cumulative support to the theory of presentiments, provided that one takes care to forget all the wrong guesses that would invalidate it. Elstir did not reply. The portrait was indeed that of Odette de Crécy. She had preferred not to keep it for many reasons, some of them obvious. But there were others less apparent. The portrait dated from before the point at which Odette, disciplining her features, had made of her face and figure that creation the broad outlines of which her hairdressers, her dressmakers, she herself — in her way of standing, of speaking, of smiling, of moving her hands, her eyes, of thinking — were to respect throughout the years to come. It required the vitiated tastes of a surfeited lover to make Swann prefer to all the countless photographs of the ‘sealed pattern′ Odette which was his charming wife the little photographs which he kept in his room and in which, beneath a straw hat trimmed with pansies, you saw a thin young woman, not even good-looking, with bunched-out hair and drawn features.
Mais d′ailleurs le portrait eût-il été, non pas antérieur, comme la photographie préférée de Swann, à la systématisation des traits d′Odette en un type nouveau, majestueux et charmant, mais postérieur, qu′il eût suffi de la vision d′Elstir pour désorganiser ce type. Le génie artistique agit à la façon de ces températures extrêmement élevées qui ont le pouvoir de dissocier les combinaisons d′atomes et de grouper ceux-ci suivant un ordre absolument contraire, répondant à un autre type. Toute cette harmonie factice que la femme a imposée à ses traits et dont chaque jour avant de sortir elle surveille la persistance dans sa glace, chargeant l′inclinaison du chapeau, le lissage des cheveux, l′enjouement du regard, d′en assurer la continuité, cette harmonie, le coup d′il du grand peintre la détruit en une seconde, et à sa place il fait un regroupement des traits de la femme, de manière à donner satisfaction à un certain idéal féminin et pictural qu′il porte en lui. De même, il arrive souvent qu′à partir d′un certain âge, l′il d′un grand chercheur trouve partout les éléments nécessaires à établir les rapports qui seuls l′intéressent. Comme ces ouvriers et ces joueurs qui ne font pas d′embarras et se contentent de ce qui leur tombe sous la main, ils pourraient dire de n′importe quoi: cela fera l′affaire. Ainsi une cousine de la princesse de Luxembourg, beauté des plus altières, s′étant éprise autrefois d′un art qui était nouveau à cette époque, avait demandé au plus grand des peintres naturalistes de faire son portrait. Aussitôt l′il de l′artiste avait trouvé ce qu′il cherchait partout. Et sur la toile il y avait à la place de la grande dame un trottin, et derrière lui un vaste décor incliné et violet qui faisait penser à la place Pigalle. Mais même sans aller jusque-là, non seulement le portrait d′une femme par un grand artiste ne cherchera aucunement à donner satisfaction à quelques-unes des exigences de la femme — comme celles qui, par exemple, quand elle commence à vieillir la font se faire photographier dans des tenues presque de fillette qui font valoir sa taille restée jeune et la font paraître comme la sur ou même la fille de sa fille — celle-ci au besoin «fagotée» pour la circonstance, à côté d′elle — et mettra au contraire en relief les désavantages qu′elle cherche à cacher et qui comme un teint fiévreux voire verdâtre, le tentent d′autant plus parce qu′ils ont du «caractère»; mais ils suffisent à désenchanter le spectateur vulgaire et réduisent pour lui en miettes l′idéal dont la femme soutenait si fièrement l′armature et qui la plaçait dans sa forme unique, irréductible, si en dehors, si au-dessus du reste de l′humanité. Maintenant déchue, située hors de son propre type où elle trônait invulnérable, elle n′est plus qu′une femme quelconque en la supériorité de qui nous avons perdu toute foi. Ce type nous faisions tellement consister en lui, non seulement la beauté d′une Odette, mais sa personnalité, son identité, que devant le portrait qui l′a dépouillée de lui, nous sommes tentés de nous écrier non pas seulement: «Comme c′est enlaidi», mais: «Comme c′est peu ressemblant». Nous avons peine à croire que ce soit elle. Nous ne la reconnaissons pas. Et pourtant il y a là un être que nous sentons bien que nous avons déjà vu. Mais cet être-là ce n′est pas Odette; le visage de cet être, son corps, son aspect, nous sont bien connus. Ils nous rappellent, non pas la femme, qui ne se tenait jamais ainsi, dont la pose habituelle ne dessine nullement une telle étrange et provocante arabesque, mais d′autres femmes, toutes celles qu′à peintes Elstir et que toujours, si différentes qu′elles puissent être, il a aimé à camper ainsi de face, le pied cambré dépassant de la jupe, le large chapeau rond tenu à la main, répondant symétriquement à la hauteur du genou qu′il couvre à cet autre disque vu de face, le visage. Et enfin non seulement un portrait génial disloque le type d′une femme, tel que l′ont défini sa coquetterie et sa conception égoî²´e de la beauté mais s′il est ancien il ne se contente pas de vieillir l′original de la même manière que la photographie, en le montrant dans des atours démodés. Dans le portrait, ce n′est pas seulement la manière que la femme avait de s′habiller qui date, c′est aussi la manière que l′artiste avait de peindre. Cette manière, la première manière d′Elstir était l′extrait de naissance le plus accablant pour Odette parce qu′il faisait d′elle non pas seulement comme ses photographies d′alors une cadette de cocottes connues, mais parce qu′il faisait de son portrait le contemporain d′un des nombreux portraits que Manet ou Whistler ont peints d′après tant de modèles disparus qui appartiennent déjà à l′oubli ou à l′histoire. But apart from this, had the portrait been not anterior like Swann′s favourite photograph, to the systematisation of Odette′s features in a fresh type, majestic and charming, but subsequent to it, Elstir′s vision would alone have sufficed to disorganise that type. Artistic genius in its reactions is like those extremely high temperatures which have the power to disintegrate combinations of atoms which they proceed to combine afresh in a diametrically opposite order, following another type. All that artificially harmonious whole into which a woman has succeeded in bringing her limbs and features, the persistence of which every day, before going out, she studies in her glass, changing the angle of her hat, smoothing her hair, exercising the sprightliness in her eyes, so as to ensure its continuity, that harmony the keen eye of the great painter instantly destroys, substituting for it a rearrangement of the woman′s features such as will satisfy a certain pictorial ideal of femininity which he carries in his head. Similarly it often happens that, after a certain age, the eye of a great seeker after truth will find everywhere the elements necessary to establish those relations which alone are of interest to him. Like those craftsmen, those players who, instead of making a fuss and asking for what they cannot have, content themselves with the instrument that comes to their hand, the artist might say of anything, no matter what, that it would serve his purpose. Thus a cousin of the Princesse de Luxembourg, a beauty of the most queenly type, having succumbed to a form of art which was new at that time, had asked the leading painter of the naturalist school to do her portrait. At once the artist′s eye had found what he sought everywhere in life. And on his canvas there appeared, in place of the proud lady, a street-boy, and behind him a vast, sloping, purple background which made one think of the Place Pigalle. But even without going so far as that, not only will the portrait of a woman by a great artist not seek in the least to give satisfaction to various demands on the woman′s part — such as for instance, when she begins to age, make her have herself photographed in dresses that are almost those of a young girl, which bring out her still youthful figure and make her appear like the sister, or even the daughter of her own daughter, who, if need be, is tricked out for the occasion as a ‘perfect fright′ by her side — it will, on the contrary, emphasise those very drawbacks which she seeks to hide, and which (as for instance a feverish, that is to say a livid complexion) are all the more tempting to him since they give his picture ‘character′; they are quite enough, however, to destroy all the illusions of the ordinary man who, when he sees the picture, sees crumble into dust the ideal which the woman herself has so proudly sustained for him, which has placed her in her unique, her unalterable form so far apart, so far above the rest of humanity. Fallen now, represented otherwise than in her own type in which she sat unassailably enthroned, she is become nothing more than just an ordinary woman, in the legend of whose superiority we have lost all faith. In this type we are so accustomed to regard as included not only the beauty of an Odette but her personality, her identity, that standing before the portrait which has thus transposed her from it we are inclined to protest not simply “How plain he has made her!” but “Why, it isn′t the least bit like her!” We find it hard to believe that it can be she. We do not recognise her. And yet there is a person there on the canvas whom we are quite conscious of having seen before. But that person is not Odette; the face of the person, her body, her general appearance seem familiar. They recall to us not this particular woman who never held herself like that, whose natural pose had no suggestion of any such strange and teasing arabesque in its outlines, but other women, all the women whom Elstir has ever painted, women whom invariably, however they may differ from one another, he has chosen to plant thus on his canvas facing you, with an arched foot thrust out from under the skirt, a large round hat in one hand, symmetrically corresponding at the level of the knee which it hides to what also appears as a disc, higher up in the picture: the face. And furthermore, not only does a portrait by the hand of genius disintegrate and destroy a woman′s type, as it has been defined by her coquetry and her selfish conception of beauty, but if it is also old, it is not content with ageing the original in the same way as a photograph ages its sitter, by shewing her dressed in the fashions of long ago. In a portrait, it is not only the manner the woman then had of dressing that dates it, there is also the manner the artist had of painting. And this, Elstir′s earliest manner, was the most damaging of birth certificates for Odette because it not only established her, as did her photographs of the same period, as the younger sister of various time-honoured courtesans, but made her portrait contemporary with the countless portraits that Manet or Whistler had painted of all those vanished models, models who already belonged to oblivion or to history.
C′est dans ces pensées silencieusement ruminées à côté d′Elstir tandis que je le conduisais chez lui, que m′entraînait la découverte que je venais de faire relativement à l′identité de son modèle, quand cette première découverte m′en fit faire une seconde, plus troublante encore pour moi, concernant l′identité de l′artiste. Il avait fait le portrait d′Odette de Crécy. Serait-il possible que cet homme de génie, ce sage, ce solitaire, ce philosophe à la conversation magnifique et qui dominait toutes choses fût le peintre ridicule et pervers, adopté jadis par les Verdurin. Je lui demandai s′il les avait connus, si par hasard ils ne le surnommaient pas alors M. Biche. Il me répondit que si, sans embarras, comme s′il s′agissait d′une partie déjà un peu ancienne de son existence et s′il ne se doutait pas de la déception extraordinaire qu′il éveillait en moi, mais levant les yeux, il la lut sur mon visage. Le sien eut une expression de mécontentement. Et comme nous étions déjà presque arrivés chez lui, un homme moins éminent par l′intelligence et par le cur, m′eût peut-être simplement dit au revoir un peu sèchement et après cela eût évité de me revoir. Mais ce ne fut pas ainsi qu′Elstir agit avec moi; en vrai maître — et c′était peut-être au point de vue de la création pure son seul défaut d′en être un, dans ce sens du mot maître, car un artiste pour être tout à fait dans la vérité de la vie spirituelle doit être seul, et ne pas prodiguer de son moi, même à des disciples — de toute circonstance, qu′elle fût relative à lui ou à d′autres, il cherchait à extraire pour le meilleur enseignement des jeunes gens la part de vérité qu′elle contenait. Il préféra donc aux paroles qui auraient pu venger son amour-propre celles qui pouvaient m′instruire. «Il n′y a pas d′homme si sage qu′il soit, me, dit-il qui n′ait à telle époque de sa jeunesse prononcé des paroles, ou même mené une vie, dont le souvenir lui soit désagréable et qu′il souhaiterait être aboli. Mais il ne doit pas absolument le regretter, parce qu′il ne peut être assuré d′être devenu un sage, dans la mesure où cela est possible, que s′il a passé par toutes les incarnations ridicules ou odieuses qui doivent précéder cette dernière incarnation-là. Je sais qu′il y a des jeunes gens, fils et petits-fils d′hommes distingués, à qui leurs précepteurs ont enseigné la noblesse de l′esprit et l′élégance morale dès le collège. Ils n′ont peut-être rien à retrancher de leur vie, ils pourraient publier et signer tout ce qu′ils ont dit, mais ce sont de pauvres esprits, descendants sans force de doctrinaires, et de qui la sagesse est négative et stérile. On ne reçoit pas la sagesse, il faut la découvrir soi-même après un trajet que personne ne peut faire pour nous, ne peut nous épargner, car elle est un point de vue sur les choses. Les vies que vous admirez, les attitudes que vous trouvez nobles n′ont pas été disposées par le père de famille ou par le précepteur, elles ont été précédées de débuts bien différents, ayant été influencées par ce qui régnait autour d′elles de mal ou de banalité. Elles représentent un combat et une victoire. Je comprends que l′image de ce que nous avons été dans une période première ne soit plus reconnaissable et soit en tous cas déplaisante. Elle ne doit pas être reniée pourtant, car elle est un témoignage que nous avons vraiment vécu, que c′est selon les lois de la vie et de l′esprit, que nous avons, des éléments communs de la vie, de la vie des ateliers, des coteries artistiques s′il s′agit d′un peintre, extrait quelque chose qui les dépasse.» Nous étions arrivés devant sa porte. J′étais déçu de ne pas avoir connu ces jeunes filles. Mais enfin maintenant il y aurait une possibilité de les retrouver dans la vie; elles avaient cessé de ne faire que passer à un horizon où j′avais pu croire que je ne les verrais plus jamais apparaître. Autour d′elles ne flottait plus comme ce grand remous qui nous séparait et qui n′était que la traduction du désir en perpétuelle activité, mobile, urgent, alimenté d′inquiétudes, qu′éveillaient en moi leur inaccessibilité, leur fuite peut-être pour toujours. Mon désir d′elles, je pouvais maintenant le mettre au repos, le garder en réserve, à côté de tant d′autres dont, une fois que je la savais possible, j′ajournais la réalisation. Je quittai Elstir, je me retrouvai seul. Alors tout d′un coup, malgré ma déception, je vis dans mon esprit tous ces hasards que je n′eusse pas soupçonné pouvoir se produire, qu′Elstir fût justement lié avec ces jeunes filles, que celles qui le matin encore étaient pour moi des figures dans un tableau ayant pour fond la mer, m′eussent vu, m′eussent vu lié avec un grand peintre, lequel savait maintenant mon désir de les connaître et le seconderait sans doute. Tout cela avait causé pour moi du plaisir, mais ce plaisir m′était resté caché; il était de ces visiteurs qui attendent, pour nous faire savoir qu′ils sont là, que les autres nous aient quitté, que nous soyions seuls. Alors nous les apercevons, nous pouvons leur dire: je suis tout à vous, et les écouter. Quelquefois entre le moment où ces plaisirs sont entrés en nous et le moment où nous pouvons y rentrer nous-même, il s′est écoulé tant d′heures, nous avons vu tant de gens dans l′intervalle que nous craignons qu′ils ne nous aient pas attendu. Mais ils sont patients, ils ne se lassent pas et dès que tout le monde est parti nous les trouvons en face de nous. Quelquefois c′est nous alors qui sommes si fatigués qu′il nous semble que nous n′aurons plus dans notre pensée défaillante assez de force pour retenir ces souvenirs, ces impressions, pour qui notre moi fragile est le seul lieu habitable, l′unique mode de réalisation. Et nous le regretterions car l′existence n′a guère d′intérêt que dans les journées où la poussière des réalités est mêlée de sable magique, où quelque vulgaire incident de la vie devient un ressort romanesque. Tout un promontoire du monde inaccessible surgit alors de l′éclairage du songe, et entre dans notre vie, dans notre vie où comme le dormeur éveillé nous voyons les personnes dont nous avions si ardemment rêvé que nous avions cru que nous ne les verrions jamais qu′en rêve. It was along this train of thought, meditated in silence by the side of Elstir as I accompanied him to his door, that I was being led by the discovery that I had just made of the identity of his model, when this original discovery caused me to make a second, more disturbing still, involving the identity of the artist. He had painted the portrait of Odette de Crécy. Could it possibly be that this man of genius, this sage, this eremite, this philosopher with his marvellous flow of conversation, who towered over everyone and everything, was the foolish, corrupt little painter who had at one time been ‘taken up′ by the Verdurins? I asked him if he had known them, whether by any chance it was he that they used to call M. Biche. He answered me in the affirmative, with no trace of embarrassment, as if my question referred to a period in his life that was ended and already somewhat remote, with no suspicion of what a cherished illusion his words were shattering in me, until looking up he read my disappointment upon my face. His own assumed an expression of annoyance. And, as we were now almost at the gate of his house, a man of less outstanding eminence, in heart and brain, might simply have said ‘good-bye′ to me, a trifle dryly, and taken care to avoid seeing me again. This however was not Elstir′s way with me; like the master that he was — and this was, perhaps, from the point of view of sheer creative genius, his one fault, that he was a master in that sense of the word, for an artist if he is to live the true life of the spirit in its full extent, must be alone and not bestow himself with profusion, even upon disciples — from every circumstance, whether involving himself or other people, he sought to extract, for the better edification of the young, the element of truth that it contained. He chose therefore, rather than say anything that might have avenged the injury to his pride, to say what he thought would prove instructive to me. “There is no man,” he began, “however wise, who has not at some period of his youth said things, or lived in a way the consciousness of which is so unpleasant to him in later life that he would gladly, if he could, expunge it from his memory. And yet he ought not entirely to regret it, because he cannot be certain that he has indeed become a wise man — so far as it is possible for any of us to be wise — unless he has passed through all the fatuous or unwholesome incarnations by which that ultimate stage must be preceded. I know that there are young fellows, the sons and grandsons of famous men, whose masters have instilled into them nobility of mind and moral refinement in their schooldays. They have, perhaps, when they look back upon their past lives, nothing to retract; they can, if they choose, publish a signed account of everything they have ever said or done; but they are poor creatures, feeble descendants of doctrinaires, and their wisdom is negative and sterile. We are not provided with wisdom, we must discover it for ourselves, after a journey through the wilderness which no one else can take for us, an effort which no one can spare us, for our wisdom is the point of view from which we come at last to regard the world. The lives that you admire, the attitudes that seem noble to you are not the result of training at home, by a father, or by masters at school, they have sprung from beginnings of a very different order, by reaction from the influence of everything evil or commonplace that prevailed round about them. They represent a struggle and a victory. I can see that the picture of what we once were, in early youth, may not be recognisable and cannot, certainly, be pleasing to contemplate in later life. But we must not deny the truth of it, for it is evidence that we have really lived, that it is in accordance with the laws of life and of the mind that we have, from the common elements of life, of the life of studios, of artistic groups — assuming that one is a painter — extracted something that goes beyond them.” Meanwhile we had reached his door. I was disappointed at not having met the girls. But after all there was now the possibility of meeting them again later on; they had ceased to do no more than pass beyond a horizon on which I had been ready to suppose that I should never see them reappear. Around them no longer swirled that sort of great eddy which had separated me from them, which had been merely the expression of the perpetually active desire, mobile, compelling, fed ever on fresh anxieties, which was aroused in me by their inaccessibility, their flight from me, possibly for ever. My desire for them, I could now set it at rest, hold it in reserve, among all those other desires the realisation of which, as soon as I knew it to be possible, I would cheerfully postpone. I took leave of Elstir; I was alone once again. Then all of a sudden, despite my recent disappointment, I saw in my mind′s eye all that chain of coincidence which I had not supposed could possibly come about, that Elstir should be a friend of those very girls, that they who only that morning had been to me merely figures in a picture with the sea for background had seen me, had seen me walking in friendly intimacy with a great painter, who was now informed of my secret longing and would no doubt do what he could to assuage it. All this had been a source of pleasure to me, but that pleasure had remained hidden; it was one of those visitors who wait before letting us know that they are in the room until all the rest have gone and we are by ourselves. Then only do we catch sight of them, and can say to them, “I am at your service,” and listen to what they have to tell us. Sometimes between the moment at which these pleasures have entered our consciousness and the moment at which we are free to entertain them, so many hours have passed, we have in the interval seen so many people that we are afraid lest they should have grown tired of waiting. But they are patient, they do not grow tired, and as soon as the crowd has gone we find them there ready for us. Sometimes it is then we who are so exhausted that it seems as though our weary mind will not have the strength left to seize and retain those memories, those impressions for which our frail self is the one habitable place, the sole means of realisation. And we should regret that failure, for existence to us is hardly interesting save on the days on which the dust of realities is shot with magic sand, on which some trivial incident of life becomes a spring of romance. Then a whole promontory of the inaccessible world rises clear in the light of our dream, and enters into our life, our life in which, like the sleeper awakened, we actually see the people of whom we have been so ardently dreaming that we came to believe that we should never behold them save in our dreams.
L′apaisement apporté par la probabilité de connaître maintenant ces jeunes filles quand je le voudrais me fut d′autant plus précieux que je n′aurais pu continuer à les guetter les jours suivants, lesquels furent pris par les préparatifs du départ de Saint-Loup. Ma grand′mère était désireuse de témoigner à mon ami sa reconnaissance de tant de gentillesses qu′il avait eues pour elle et pour moi. Je lui dis qu′il était grand admirateur de Proudhon et je lui donnai l′idée de faire venir de nombreuses lettres autographes de ce philosophe qu′elle avait achetées; Saint-Loup vint les voir à l′hôtel, le jour où elles arrivèrent qui était la veille de son départ. Il les lut avidement, maniant chaque feuille avec respect, tâchant de retenir les phrases, puis s′étant levé, s′excusait déjà auprès de ma grand′mère d′être resté aussi longtemps, quand il l′entendit lui répondre: The sense of comfort that I drew from the probability of my now being able to meet the little band whenever I chose was all the more precious to me because I should not have been able to keep watch for them during the next few days, which would be taken up with preparations for Saint-Loup′s departure. My grandmother was anxious to offer my friend some proof of her gratitude for all the kindnesses that he had shewn to her and myself. I told her that he was a great admirer of Proudhon, and this put it into her head to send for a collection of autograph letters by that philosopher which she had once bought; Saint-Loup came to her room to look at them on the day of their arrival, which was also his last day at Balbec. He read them eagerly, fingering each page with reverence, trying to get the sentences by heart; and then, rising from the table, was beginning to apologise to my grandmother for having stayed so long, when he heard her say:
— Mais non, emportez-les, c′est à vous, c′est pour vous les donner que je les ai fait venir. “No, no; take them with you; they are for you to keep; that was why I sent for them, to give them to you.”
Il fut pris d′une joie dont il ne fut pas plus le maître que d′un état physique qui se produit sans intervention de la volonté, il devint écarlate comme un enfant qu′on vient de punir, et ma grand′mère fut beaucoup plus touchée de voir tous les efforts qu′il avait faits (sans y réussir) pour contenir la joie qui le secouait, que par tous les remerciements qu′il aurait pu proférer. Mais lui craignant d′avoir mal témoigné sa reconnaissance me priait encore de l′en excuser, le lendemain, penché à la fenêtre du petit chemin de fer d′intérêt local qu′il prit pour rejoindre sa garnison. Celle-ci était, en effet, très peu éloignée. Il avait pensé s′y rendre, comme il faisait souvent, quand il devait revenir le soir et qu′il ne s′agissait pas d′un départ définitif, en voiture. Mais il eût fallu cette fois-ci qu′il mît ses nombreux bagages dans le train. Et il trouva plus simple d′y monter aussi lui-même, suivant en cela l′avis du directeur qui consulté, répondit que, voiture ou petit chemin de fer, «ce serait à peu près équivoque». Il entendait signifier par là que ce serait équivalent (en somme, à peu près ce que Françoise eût exprimé en disant que «cela reviendrait du pareil au même»). He was overpowered by a joy which he could no more control than we can a physical condition that arises without the intervention of our will. He blushed scarlet as a child who has just been whipped, and my grandmother was a great deal more touched to see all the efforts that he was making (without success) to control the joy that convulsed him than she would have been to hear any words of thanks that he could have uttered. But he, fearing that he had failed to shew his gratitude properly, begged me to make his excuses to her again, next day, leaning from the window of the little train of the local railway company which was to take him back to his regiment. The distance was, as a matter of fact, nothing. He had thought of going, as he had frequently done that summer, when he was to return the same evening and was not encumbered with luggage, by road. But this time he would have had, anyhow, to put all his heavy luggage in the train. And he found it simpler to take the train himself also, following the advice of the manager who, on being consulted, replied that “Carriage or train, it was more or less equivocal.” He meant us to understand that they were equivalent (in fact, very much what Françoise would have expressed as “coming to as near as made no difference”).
«Soit, avait conclu Saint-Loup, je prendrai le petit «tortillard». Je l′aurais pris aussi si je n′avais été fatigué et aurais accompagné mon ami jusqu′à Doncières; je lui promis du moins, tout le temps que nous restâmes à la gare de Balbec, — c′est-à-dire que le chauffeur du petit train passa à attendre des amis retardataires, sans lesquels il ne voulait pas s′en aller, et aussi à prendre quelques rafraîchissements, — d′aller le voir plusieurs fois par semaine. Comme Bloch était venu aussi à la gare — au grand ennui de Saint-Loup, — ce dernier voyant que notre camarade l′entendait me prier de venir déjeuner, dîner, habiter à Doncières, finit par lui dire d′un ton extrêmement froid lequel était chargé de corriger l′amabilité forcée de l′invitation et d′empêcher Bloch de la prendre au sérieux: «Si jamais vous passez par Doncières une après-midi où je sois libre, vous pourrez me demander au quartier, mais libre, je ne le suis à peu près jamais.» Peut-être aussi Robert craignait-il que, seul, je ne vinsse pas et pensant que j′étais plus lié avec Bloch que je ne le disais, me mettait-il ainsi en mesure d′avoir un compagnon de route, un entraîneur. “Very well,” Saint-Loup had decided, “I will take the ‘little crawler.′” I should have taken it too, had I not been tired, and gone with my friend to Doncières; failing this I kept on promising, all the time that we waited in the Balbec station — the time, that is to say, which the driver of the little train spent in waiting for unpunctual friends, without whom he refused to start, and also in seeking some refreshment for himself — to go over there and see him several times a week. As Bloch had come to the station also — much to Saint-Loup′s disgust — the latter, seeing that our companion could hear him begging me to come to luncheon, to dinner, to stay altogether at Doncières, finally turned to him and, in the most forbidding tone, intended to counteract the forced civility of the invitation and to prevent Bloch from taking it seriously: “If you ever happen to be passing through Doncières any afternoon when I am off duty, you might ask for me at the barracks; but I hardly ever am off duty.” Perhaps, also, Robert feared lest, if left to myself, I might not come, and, thinking that I was more intimate with Bloch than I made out, was providing me in this way with a travelling companion, one who would urge me on.
J′avais peur que ce ton, cette manière d′inviter quelqu′un en lui conseillant de ne pas venir, n′eût froissé Bloch, et je trouvais que Saint-Loup eût mieux fait de ne rien dire. Mais je m′étais trompé, car après le départ du train, tant que nous fîmes route ensemble jusqu′au croisement de deux avenues où il fallait nous séparer, l′une allant à l′hôtel, l′autre à la villa de Bloch, celui-ci ne cessa de me demander quel jour nous irions à Doncières, car après «toutes les amabilités que Saint-Loup lui avait faites», il eût été «trop grossier de sa part» de ne pas se rendre à son invitation. J′étais content qu′il n′eût pas remarqué, ou fût assez peu mécontent pour désirer feindre de ne pas avoir remarqué sur quel ton moins que pressant, à peine poli, l′invitation avait été faite. J′aurais pourtant voulu pour Bloch qu′il s′évitât le ridicule d′aller tout de suite à Doncières. Mais je n′osais pas lui donner un conseil qui n′eût pu que lui déplaire en lui montrant que Saint-Loup avait été moins pressant que lui n′était empressé. Il l′était beaucoup trop et bien que tous les défauts qu′il avait dans ce genre fussent compensés chez lui par de remarquables qualités que d′autres plus réservés n′auraient pas eues, il poussait l′indiscrétion à un point dont on était agacé. La semaine ne pouvait, à l′entendre, se passer sans que nous allions à Doncières (il disait nous, car je crois qu′il comptait un peu sur ma présence pour excuser la sienne). Tout le long de la route, devant le gymnase perdu dans ses arbres, devant le terrain de tennis, devant la maison, devant le marchand de coquillages, il m′arrêta, me suppliant de fixer un jour et comme je ne le fis pas, me quitta fâché en me disant: «A ton aise, messire. Moi en tous cas, je suis obligé d′y aller puisqu′il m′a invité.» I was afraid that this tone, this way of inviting a person while warning him not to come, might have wounded Bloch, and felt that Saint-Loup would have done better, saying nothing. But I was mistaken, for after the train had gone, while we were walking back together as far as the crossroads at which we should have to part, one road going to the hotel, the other to the Blochs′ villa, he never ceased from asking me on what day we should go to Doncières, for after “all the civilities that Saint-Loup had shewn” him, it would be ‘too unmannerly′ on his part not to accept the invitation. I was glad that he had not noticed, or was so little displeased as to wish to let it be thought that he had not noticed on how far from pressing, how barely polite a note the invitation had been sounded. At the same time I should have liked Bloch, for his own sake, to refrain from making a fool of himself by going over at once to Doncières. But I dared not offer a piece of advice which could only have offended him by hinting that Saint-Loup had been less pressing than himself impressed. He was a great deal too ready to respond, and even if all his faults of this nature were atoned for by remarkable qualities which others, with more reserve than he, would not possess, he carried indiscretion to a pitch that was almost maddening. The week must not, to hear him speak, pass without our going to Doncières (he said ‘our′ for I think that he counted to some extent on my presence there as an excuse for his own). All the way home, opposite the gymnasium, in its grove of trees, opposite the lawn-tennis courts, the mayor′s office, the shell-fish stall, he stopped me, imploring me to fix a day, and, as I did not, left me in a towering rage, saying: “As your lordship pleases. For my part, I′m obliged to go since he has invited me.”
Saint-Loup avait si peur d′avoir mal remercié ma grand-mère qu′il me chargeait encore de lui dire sa gratitude le surlendemain, dans une lettre que je reçus de lui de la ville où il était en garnison et qui semblait sur l′enveloppe où la poste en avait timbré le nom, accourir vite vers moi, me dire qu′entre ses murs, dans le quartier de cavalerie Louis XVI, il pensait à moi. Le papier était aux armes de Marsantes dans lesquelles je distinguais un lion que surmontait une couronne fermée par un bonnet de pair de France. Saint-Loup was still so much afraid of not having thanked my grandmother properly that he charged me once again to express his gratitude to her a day or two later in a letter I received from him from the town in which he was quartered, a town which seemed, on the envelope where the post-mark had stamped its name, to be hastening to me across country, to tell me that within its walls, in the Louis XVI cavalry barracks, he was thinking of me. The paper was embossed with the arms of Marsantes, in which I could make out a lion, surmounted by a coronet formed by the cap of a Peer of France.
«Après un trajet qui, me disait-il, s′est bien effectué, en lisant un livre acheté à la gare, qui est par Arvède Barine (c′est un auteur russe je pense, cela m′a paru remarquablement écrit pour un étranger, mais donnez-moi votre appréciation, car vous devez connaître cela vous, puits de science qui avez tout lu), me voici revenu, au milieu de cette vie grossière, où hélas, je me sens bien exilé, n′y ayant pas ce que j′ai laissé à Balbec; cette vie où je ne retrouve aucun souvenir d′affection, aucun charme d′intellectualité; vie dont vous mépriseriez sans doute l′ambiance et qui n′est pourtant pas sans charme. Tout m′y semble avoir changé depuis que j′en étais parti, car dans l′intervalle, une des ères les plus importantes de ma vie, celle d′où notre amitié date, a commencé. J′espère qu′elle ne finira jamais. Je n′ai parlé d′elle, de vous, qu′à une seule personne, qu′à mon amie qui m′a fait la surprise de venir passer une heure auprès de moi. Elle aimerait beaucoup vous connaître et je crois que vous vous accorderiez car elle est aussi extrêmement littéraire. En revanche, pour repenser à nos causeries, pour revivre ces heures que je n′oublierai jamais, je me suis isolé de mes camarades, excellents garçons mais qui eussent été bien incapables de comprendre cela. Ce souvenir des instants passés avec vous, j′aurais presque mieux aimé, pour le premier jour, l′évoquer pour moi seul et sans vous écrire. Mais j′ai craint que vous, esprit subtil et cur ultrasensitif, ne vous mettiez martel en tête en ne recevant pas de lettre si toutefois vous avez daigné abaisser votre pensée sur le rude cavalier que vous aurez fort à faire pour dégrossir et rendre un peu plus subtil et plus digne de vous.» “After a journey which,” he wrote, “passed pleasantly enough, with a book I bought at the station, by Arvède Barine (a Russian author, I fancy; it seemed to me remarkably well written for a foreigner, but you shall give me your critical opinion, you are bound to know all about it, you fount of knowledge who have read everything), here I am again in the thick of this debased existence, where, alas, I feel a sad exile, not having here what I had to leave at Balbec; this life in which I cannot discover one affectionate memory, any intellectual attraction; an environment on which you would probably look with contempt — and yet it has a certain charm. Everything seems to have changed since I was last here, for in the interval one of the most important periods in my life, that from which our friendship dates, has begun. I hope that it may never come to an end. I have spoken of our friendship, of you, to one person only, to the friend I told you of, who has just paid me a surprise visit here. She would like immensely to know you, and I feel that you would get on well together, for she too is extremely literary. I, on the other hand, to go over in my mind all our talk, to live over again those hours which I never shall forget, have shut myself off from my comrades, excellent fellows, but altogether incapable of understanding that sort of thing. This remembrance of moments spent with you I should almost have preferred, on my first day here, to call up for my own solitary enjoyment, without writing. But I was afraid lest you, with your subtle mind and ultra-sensitive heart, might, if you did not hear from me, needlessly torment yourself, if, that is to say, you still condescend to occupy your thoughts with this blunt trooper whom you will have a hard task to polish and refine, and make a little more subtle and worthier of your company.”
Au fond cette lettre ressemblait beaucoup par sa tendresse à celles que, quand je ne connaissais pas encore Saint-Loup, je m′étais imaginé qu′il m′écrirait, dans ces songeries d′où la froideur de son premier accueil m′avait tiré en me mettant en présence d′une réalité glaciale qui ne devait pas être définitive. Une fois que je l′eus reçue, chaque fois qu′à l′heure du déjeuner, on apportait le courrier, je reconnaissais tout de suite quand c′était de lui que venait une lettre, car elle avait toujours ce second visage qu′un être montre quand il est absent et dans les traits duquel (les caractères de l′écriture) il n′y a aucune raison pour que nous ne croyions pas saisir une âme individuelle aussi bien que dans la ligne du nez ou les inflexions de la voix. On the whole this letter, in its affectionate spirit, was not at all unlike those which, when I did not yet know Saint-Loup, I had imagined that he would write to me, in those daydreams from which the coldness of his first greeting had shaken me by bringing me face to face with an icy reality which was not, however, to endure. Once I had received this letter, whenever, at luncheon-time, the post was brought in, I could tell at once when it was from him that a letter came, for it had always that second face which a person assumes when he is absent, in the features of which (the characters of his script) there is no reason why we should not suppose that we are tracing an individual soul just as much as in the line of a nose or the inflexions of a voice.
Je restais maintenant volontiers à table pendant qu′on desservait, et si ce n′était pas un moment où les jeunes filles de la petite bande pouvaient passer, ce n′était plus uniquement du côté de la mer que je regardais. Depuis que j′en avais vu dans des aquarelles d′Elstir, je cherchais à retrouver dans la réalité, j′aimais comme quelque chose de poétique, le geste interrompu des couteaux encore de travers, la rondeur bombée d′une serviette défaite où le soleil intercale un morceau de velours jaune, le verre à demi vidé qui montre mieux ainsi le noble évasement de ses formes et au fond de son vitrage translucide et pareil à une condensation du jour, un reste de vin sombre, mais scintillant de lumières, le déplacement des volumes, la transmutation des liquides par l′éclairage, l′altération des prunes qui passent du vert au bleu et du bleu à l′or dans le compotier déjà à demi dépouillé, la promenade des chaises vieillottes qui deux fois par jour viennent s′installer autour de la nappe dressée sur la table ainsi que sur un autel où sont célébrées les fêtes de la gourmandise et sur laquelle au fond des huîtres quelques gouttes d′eau lustrale restent comme dans de petits bénitiers de pierre, j′essayais de trouver la beauté là où je ne m′étais jamais figuré qu′elle fût, dans les choses les plus usuelles, dans la vie profonde des «natures mortes». I would now gladly remain at the table while it was being cleared, and, if it was not a moment at which the girls of the little band might be passing, it was no longer solely towards the sea that I would turn my eyes. Since I had seen such things depicted in water-colours by Elstir, I sought to find again in reality, I cherished, as though for their poetic beauty, the broken gestures of the knives still lying across one another, the swollen convexity of a discarded napkin upon which the sun would patch a scrap of yellow velvet, the half-empty glass which thus shewed to greater advantage the noble sweep of its curved sides, and, in the heart of its translucent crystal, clear as frozen daylight, a dreg of wine, dusky but sparkling with reflected lights, the displacement of solid objects, the transmutation of liquids by the effect of light and shade, the shifting colour of the plums which passed from green to blue and from blue to golden yellow in the half-plundered dish, the chairs, like a group of old ladies, that came twice daily to take their places round the white cloth spread on the table as on an altar at which were celebrated the rites of the palate, where in the hollows of oyster-shells a few drops of lustral water had gathered as in tiny holy water stoups of stone; I tried to find beauty there where I had never imagined before that it could exist, in the most ordinary things, in the profundities of ‘still life.′
Quand quelques jours après le départ de Saint-Loup, j′eus réussi à ce qu′Elstir donnât une petite matinée où je rencontrerais Albertine, le charme et l′élégance tout momentanés qu′on me trouva au moment où je sortais du Grand-Hôtel (et qui était dus à un repos prolongé, à des frais de toilette spéciaux), je regrettai de ne pas pouvoir les réserver (et aussi le crédit d′Elstir) pour la conquête de quelque autre personne plus intéressante, je regrettai de consommer tout cela pour le simple plaisir de faire la connaissance d′Albertine. Mon intelligence jugeait ce plaisir fort peu précieux, depuis qu′il était assuré. Mais en moi la volonté ne partagea pas un instant cette illusion, la volonté qui est le serviteur, persévérant et immuable, de nos personnalités successives; cachée dans l′ombre, dédaignée, inlassablement fidèle, travaillant sans cesse, et sans se soucier des variations de notre moi, à ce qu′il ne manque jamais du nécessaire. Pendant qu′au moment où va se réaliser un voyage désiré, l′intelligence et la sensibilité commencent à se demander s′il vaut vraiment la peine d′être entrepris, la volonté qui sait que ces maîtres oisifs recommenceraient immédiatement à trouver merveilleux ce voyage, si celui-ci ne pouvait avoir lieu, la volonté les laisse disserter devant la gare, multiplier les hésitations; mais elle s′occupe de prendre les billets et de nous mettre en wagon pour l′heure du départ. Elle est aussi invariable que l′intelligence et la sensibilité sont changeantes, mais comme elle est silencieuse, ne donne pas ses raisons, elle semble presque inexistante; c′est sa ferme détermination que suivent les autres parties de notre moi, mais sans l′apercevoir tandis qu′elles distinguent nettement leurs propres incertitudes. Ma sensibilité et mon intelligence instituèrent donc une discussion sur la valeur du plaisir qu′il y aurait à connaître Albertine tandis que je regardais dans la glace de vains et fragiles agréments qu′elles eussent voulu garder intacts pour une autre occasion. Mais ma volonté ne laissa pas passer l′heure où il fallait partir, et ce fut l′adresse d′Elstir qu′elle donna au cocher. Mon intelligence et ma sensibilité eurent le loisir, puisque le sort en était jeté, de trouver que c′était dommage. Si ma volonté avait donné une autre adresse, elles eussent été bien attrapées. When, some days after Saint-Loup′s departure, I had succeeded in persuading Elstir to give a small tea-party, at which I was to meet Albertine, that freshness of appearance, that smartness of attire, both (alas) fleeting, which were to be observed in me at the moment of my starting out from the Grand Hotel, and were due respectively to a longer rest than usual and to special pains over my toilet, I regretted my inability to reserve them (and also the credit accruing from Elstir′s friendship) for the captivation of some other, more interesting person; I regretted having to use them all up on the simple pleasure of making Albertine′s acquaintance. My brain assessed this pleasure at a very low value now that it was assured me. But, inside, my will did not for a moment share this illusion, that will which is the persevering and unalterable servant of our successive personalities; hiding itself in secret places, despised, downtrodden, untiringly faithful, toiling without intermission and with no thought for the variability of the self, its master, if only that master may never lack what he requires. Whereas at the moment when we are just about to start on a long-planned and eagerly awaited holiday, our brain, our nerves begin to ask themselves whether it is really worth all the trouble involved, the will, knowing that those lazy masters would at once begin to consider their journey the most wonderful experience, if it became impossible for them to take it, the will leaves them explaining their difficulties outside the station, multiplying their hesitations; but busies itself with taking the tickets and putting us into the carriage before the train starts. It is as invariable as brain and nerves are fickle, but as it is silent, gives no account of its actions, it seems almost non-existent; it is by its dogged determination that the other constituent parts of our personality are led, but without seeing it, while they distinguish clearly all their own uncertainties. My nerves and brain then started a discussion as to the real value of the pleasure that there would be in knowing Albertine, while I studied in the glass vain and perishable attractions which nerves and brain would have preserved intact for use on some other occasion. But my will would not let the hour pass at which I must start, and it was Elstir′s address that it called out to the driver. Brain and nerves were at liberty, now that the die was cast, to think this ‘a pity.′ If my will had given the man a different address, they would have been finely ‘sold.′
Quand j′arrivai chez Elstir, un peu plus tard, je crus d′abord que Mlle Simonet n′était pas dans l′atelier. Il y avait bien une jeune fille assise, en robe de soie, nu tête, mais de laquelle je ne connaissais pas la magnifique chevelure, ni le nez, ni ce teint et où je ne retrouvais pas l′entité que j′avais extraite d′une jeune cycliste se promenant coiffée d′un polo, le long de la mer. C′était pourtant Albertine. Mais même quand je le sus, je ne m′occupai pas d′elle. En entrant dans toute réunion mondaine, quand on est jeune, on meurt à soi-même, on devient un homme différent, tout salon étant un nouvel univers où, subissant la loi d′une autre perspective morale on darde son attention comme si elles devaient nous importer à jamais, sur des personnes, des danses, des parties de cartes, que l′on aura oubliées le lendemain. Obligé de suivre, pour me diriger vers une causerie avec Albertine, un chemin nullement tracé par moi et qui s′arrêtait d′abord devant Elstir, passait par d′autres groupes d′invités à qui on me nommait, puis le long du buffet, où m′étaient offertes, et où je mangeais, des tartes aux fraises, cependant que j′écoutais, immobile, une musique qu′on commençait d′exécuter je me trouvais donner à ces divers épisodes la même importance qu′à ma présentation à Mlle Simonet, présentation qui n′était plus que l′un d′entre eux et que j′avais entièrement oubliée avoir été, quelques minutes auparavant, le but unique de ma venue. D′ailleurs n′en est-il pas ainsi, dans la vie active, de nos vrais bonheurs, de nos grands malheurs. Au milieu d′autres personnes, nous recevons de celle que nous aimons la réponse favorable ou mortelle que nous attendions depuis une année. Mais il faut continuer à causer, les idées s′ajoutent les unes aux autres, développant une surface sous laquelle c′est à peine si de temps à autre vient sourdement affleurer le souvenir autrement profond mais fort étroit que le malheur est venu pour nous. Si, au lieu du malheur, c′est le bonheur il peut arriver que ce ne soit que plusieurs années après que nous nous rappelons que le plus grand événement de notre vie sentimentale s′est produit, sans que nous eussions le temps de lui accorder une longue attention, presque d′en prendre conscience, dans une réunion mondaine par exemple, et où nous ne nous étions rendus que dans l′attente de cet événement. When I arrived at Elstir′s, a few minutes later, my first impression was that Mlle. Simonet was not in the studio. There was certainly a girl sitting there in a silk frock, bareheaded, but one whose marvellous hair, whose nose, meant nothing to me, in whom I did not recognise the human entity that I had formed out of a young cyclist strolling past, in a polo-cap, between myself and the sea. It was Albertine, nevertheless. But even when I knew it to be she, I gave her no thought. On entering any social gathering, when we are young, we lose consciousness of our old self, we become a different man, every drawing-room being a fresh universe, in which, coming under the sway of a new moral perspective, we fasten our attention, as if they were to matter to us for all time, on people, dances, card-tables, all of which we shall have forgotten by the morning. Obliged to follow, if I was to arrive at the goal of conversation with Albertine, a road in no way of my own planning, which first brought me to a halt at Elstir, passed by other groups of guests to whom I was presented, then along the table, at which I was offered, and ate, a strawberry tart or two, while I listened, motionless, to the music that was beginning in another part of the room, I found myself giving to these various incidents the same importance as to my introduction to Mlle. Simonet, an introduction which was now nothing more than one among several such incidents, having entirely forgotten that it had been, but a few minutes since, my sole object in coming there that day. But is it not ever thus in the bustle of daily life, with every true happiness, every great sorrow? In a room full of other people we receive from her whom we love the answer, propitious or fatal, which we have been awaiting for the last year. But we must go on talking, ideas come, one after another, forming a smooth surface which is pricked, at the very most, now and then by a dull throb from within of the memory, deep-rooted enough but of very slender growth, that misfortune has come upon us. If, instead of misfortune, it is happiness, it may be that not until many years have elapsed will we recall that the most important event in our sentimental life occurred without our having time to give it any prolonged attention, or even to become aware of it almost, at a social gathering, it may have been, to which we had gone solely in expectation of that event.
Au moment où Elstir me demanda de venir pour qu′il me présentât à Albertine, assise un peu plus loin, je finis d′abord de manger un éclair au café et demandai avec intérêt à un vieux monsieur dont je venais de faire connaissance et auquel je crus pouvoir offrir la rose qu′il admirait à ma boutonnière, de me donner des détails sur certaines foires normandes. Ce n′est pas à dire que la présentation qui suivit ne me causa aucun plaisir et n′offrit pas à mes yeux, une certaine gravité. Pour le plaisir, je ne le connus naturellement qu′un peu plus tard, quand, rentré à l′hôtel, resté seul, je fus redevenu moi-même. Il en est des plaisirs comme des photographies. Ce qu′on prend en présence de l′être aimé, n′est qu′un cliché négatif, on le développe plus tard, une fois chez soi, quand on a retrouvé à sa disposition cette chambre noire intérieure dont l′entrée est «condamnée» tant qu′on voit du monde. When Elstir asked me to come with him so that he might introduce me to Albertine, who was sitting a little farther down the room, I first of all finished eating a coffee éclair and, with a show of keen interest, asked an old gentleman whose acquaintance I had just made (and thought that I might, perhaps, offer him the rose in my buttonhole which he had admired) to tell me more about the old Norman fairs. This is not to say that the introduction which followed did not give me any pleasure, nor assume a definite importance in my eyes. But so far as the pleasure was concerned, I was not conscious of it, naturally, until some time later, when, once more in the hotel, and in my room alone, I had become myself again. Pleasure in this respect is like photography. What we take, in the presence of the beloved object, is merely a negative film; we develop it later, when we are at home, and have once again found at our disposal that inner darkroom, the entrance to which is barred to us so long as we are with other people.
Si la connaissance du plaisir fut ainsi retardée pour moi de quelques heures, en revanche la gravité de cette présentation, je la ressentis tout de suite. Au moment de la présentation, nous avons beau nous sentir tout à coup gratifiés et porteurs d′un «bon», valable pour des plaisirs futurs, après lequel nous courions depuis des semaines, nous comprenons bien que son obtention met fin pour nous, non pas seulement à de pénibles recherches — ce qui ne pourrait que nous remplir de joie — mais aussi à l′existence d′un certain être celui que notre imagination avait dénaturé, que notre crainte anxieuse de ne jamais pouvoir être connus de lui avait grandi. Au moment où notre nom résonne dans la bouche du présentateur surtout si celui-ci l′entoure comme fit Elstir de commentaires élogieux — ce moment sacramentel, analogue à celui où, dans une féérie, le génie ordonne à une personne d′en être soudain une autre, celle que nous avons désiré d′approcher, s′évanouit; d′abord comment resterait-elle pareille à elle-même puisque — de par l′attention que l′inconnue est obligée de prêter à notre nom et de marquer à notre personne — dans les yeux hier situés à l′infini (et que nous croyions que les nôtres, errants, mal réglés, désespérés, divergents, ne parviendraient jamais à rencontrer) le regard conscient, la pensée inconnaissable que nous cherchions, vient d′être miraculeusement et tout simplement remplacée par notre propre image peinte comme au fond d′un miroir qui sourirait. Si l′incarnation de nous même en ce qui nous en semblait le plus différent, est ce qui modifie le plus la personne à qui on vient de nous présenter, la forme de cette personne reste encore assez vague; et nous pouvons nous demander si elle sera dieu, table ou cuvette. Mais, aussi agiles que ces ciroplastes qui font un buste devant nous en cinq minutes, les quelques mots que l′inconnue va nous dire, préciseront cette forme et lui donneront quelque chose de définitif qui exclura toutes les hypothèses auxquelles se livraient la veille notre désir et notre imagination. Sans doute, même avant de venir à cette matinée, Albertine n′était plus tout à fait pour moi ce seul fantôme digne de hanter notre vie que reste une passante dont nous ne savons rien, que nous avons à peine discernée. Sa parenté avec Mme Bontemps avait déjà restreint ces hypothèses merveilleuses, en aveuglant une des voies par lesquelles elles pouvaient se répandre. Au fur et à mesure que je me rapprochais de la jeune fille, et la connaissais davantage, cette connaissance se faisait par soustraction, chaque partie d′imagination et de désir étant remplacée par une notion qui valait infiniment moins, notion à laquelle il est vrai que venait s′ajouter une sorte d′équivalent, dans le domaine de la vie, de ce que les Sociétés financières donnent après le remboursement de l′action primitive, et qu′elles appellent action de jouissance. Son nom, ses parentés avaient été une première limite apportée à mes suppositions. Son amabilité tandis que tout près d′elle je retrouvais son petit grain de beauté sur la joue au-dessous de l′il fut une autre borne; enfin, je fus étonné de l′entendre se servir de l′adverbe parfaitement au lieu de tout à fait, en parlant de deux personnes, disant de l′une «elle est parfaitement folle, mais très gentille tout de même» et de l′autre «c′est un monsieur parfaitement commun et parfaitement ennuyeux». Si peu plaisant que soit cet emploi de parfaitement, il indique un degré de civilisation et de culture auquel je n′aurais pu imaginer qu′atteignait la bacchante à bicyclette, la muse orgiaque du golf. Il n′empêche d′ailleurs qu′après cette première métamorphose, Albertine devait changer encore bien des fois pour moi. Les qualités et les défauts qu′un être présente disposés au premier plan de son visage, se rangent selon une formation tout autre si nous l′abordons par un côté différent — comme dans une ville les monuments répandus en ordre dispersé sur une seule ligne, d′un autre point de vue s′échelonnent en profondeur et échangent leurs grandeurs relatives. Pour commencer je trouvai Albertine l′air assez intimidée à la place d′implacable; elle me sembla plus comme il faut que mal élevée à en juger par les épithètes de «elle a un mauvais genre, elle a un drôle de genre» qu′elle appliqua à toutes les jeunes filles dont je lui parlai; elle avait enfin comme point de mire du visage une tempe assez enflammée et peu agréable à voir, et non plus le regard singulier auquel j′avais toujours repensé jusque-là. Mais ce n′était qu′une seconde vue et il y en avait d′autres sans doute par lesquelles je devrais successivement passer. Ainsi ce n′est qu′après avoir reconnu non sans tâtonnements les erreurs d′optique du début qu′on pourrait arriver à la connaissance exacte d′un être si cette connaissance était possible. Mais elle ne l′est pas; car tandis que se rectifie la vision que nous avons de lui, lui-même qui n′est pas un objectif inerte change pour son compte, nous pensons le rattraper, il se déplace, et, croyant le voir enfin plus clairement, ce n′est que les images anciennes que nous en avions prises que nous avons réussi à éclaircir, mais qui ne le représentent plus. If my consciousness of the pleasure it had brought me was thus retarded by a few hours, the importance of this introduction I felt immediately. At such moments of introduction, for all that we feel ourselves to have been suddenly enriched, to have been furnished with a pass that will admit us henceforward to pleasures which we have been pursuing for weeks past, but in vain, we realise only too clearly that this acquisition puts an end for us not merely to hours of toilsome search — a relief that could only fill us with joy — but also to the very existence of a certain person, her whom our imagination had wildly distorted, our anxious fear that we might never become known to her enlarged. At the moment when our name sounds on the lips of the person introducing us, especially if he amplifies it, as Elstir was now doing, with a flattering account of us — in that sacramental moment, as when in a fairy tale the magician commands a person suddenly to become someone else, she to whose presence we have been longing to attain vanishes; how could she remain the same when, for one thing — owing to the attention which the stranger is obliged to pay to the announcement of our name and the sight of our person — in the eyes that only yesterday were situated at an infinite distance (where we supposed that our eyes, wandering, uncontrolled, desperate, divergent, would never succeed in meeting them) the conscious gaze, the incommunicable thought which we have been seeking have been miraculously and quite simply replaced by our own image, painted in them as though behind the glass of a smiling mirror. If this incarnation of ourself in the person who seems to differ most from us is what does most to modify the appearance of the person to whom we have just been introduced, the form of that person still remains quite vague; and we are free to ask ourself whether she will turn out to be a god, a table or a basin. But, as nimble as the wax-modellers who will fashion a bust before our eyes in five minutes, the few words which the stranger is now going to say to us will substantiate her form, will give her something positive and final that will exclude all the hypotheses by which, a moment ago, our desire, our imagination were being tempted. Doubtless, even before her coming to this party, Albertine had ceased to be to me simply that sole phantom worthy to haunt our life which is what remains of a passing stranger, of whom we know nothing and have caught but the barest glimpse. Her relation to Mme. Bontemps had already restricted the scope of those marvellous hypotheses, by stopping one of the channels along which they might have spread. As I drew closer to the girl, and began to know her better, my knowledge of her underwent a process of subtraction, all the factors of imagination and desire giving place to a notion which was worth infinitely less, a notion to which, it must be admitted, there was added presently what was more or less the equivalent, in the domain of real life, of what joint stock companies give one, after paying interest on one′s capital, and call a bonus. Her name, her family connexions had been the original limit set to my suppositions. Her friendly greeting while, standing close beside her, I saw once again the tiny mole on her cheek, below her eye, marked another stage; last of all, I was surprised to hear her use the adverb ‘perfectly′ (in place of ‘quite′) of two people whom she mentioned, saying of one: “She is perfectly mad, but very nice for all that,” and of the other, “He is a perfectly common man, a perfect bore.” However little to be commended this use of ‘perfectly′ may be, it indicates a degree of civilisation and culture which I could never have imagined as having been attained by the bacchante with the bicycle, the frenzied muse of the golf-course. Nor did it mean that after this first transformation Albertine was not to change again for me, many times. The good and bad qualities which a person presents to us, exposed to view on the surface of his or her face, rearrange themselves in a totally different order if we approach them from another angle — just as, in a town, buildings that appear strung irregularly along a single line, from another aspect retire into a graduated distance, and their relative heights are altered. To begin with, Albertine now struck me as not implacable so much as almost frightened; she seemed to me rather respectably than ill bred, judging by the description, ‘bad style,′ ‘a comic manner′ which she applied to each in turn of the girls of whom I spoke to her; finally, she presented as a target for my line of sight a temple that was distinctly flushed and hardly attractive to the eye, and no longer the curious gaze which I had always connected with her until then. But this was merely a second impression and there were doubtless others through which I was successively to pass. Thus it can be only after one has recognised, not without having had to feel one′s way, the optical illusions of one′s first impression that one can arrive at an exact knowledge of another person, supposing such knowledge to be ever possible. But it is not; for while our original impression of him undergoes correction, the person himself, not being an inanimate object, changes in himself, we think that we have caught him, he moves, and, when we imagine that at last we are seeing him clearly, it is only the old impressions which we had already formed of him that we have succeeded in making clearer, when they no longer represent him.
Pourtant, quelques déceptions inévitables qu′elle doive apporter, cette démarche vers ce qu′on n′a qu′entrevu, ce qu′on a eu le loisir d′imaginer, cette démarche est la seule qui soit saine pour les sens, qui y entretienne l′appétit. De quel morne ennui est empreinte la vie des gens qui par paresse ou timidité, se rendent directement en voiture chez des amis qu′ils ont connus sans avoir d′abord rêvé d′eux, sans jamais oser sur le parcours s′arrêter auprès de ce qu′ils désirent. And yet, whatever the inevitable disappointments that it must bring in its train, this movement towards what we have only half seen, what we have been free to dwell upon and imagine at our leisure, this movement is the only one that is wholesome for the senses, that whets the appetite. How dreary a monotony must pervade those people′s lives who, from indolence or timidity, drive in their carriages straight to the doors of friends whom they have got to know without having first dreamed of knowing them, without ever daring, on the way, to stop and examine what arouses their desire.
Je rentrai en pensant à cette matinée, en revoyant l′éclair au café que j′avais fini de manger avant de me laisser conduire par Elstir auprès d′Albertine, la rose que j′avais donnée au vieux monsieur, tous ces détails choisis à notre insu par les circonstances et qui composent pour nous, en un arrangement spécial et fortuit, le tableau d′une première rencontre. Mais ce tableau, j′eus l′impression de le voir d′un autre point de vue, de très loin de moi-même, comprenant qu′il n′avait pas existé que pour moi, quand quelques mois plus tard, à mon grand étonnement, comme je parlais à Albertine du premier jour où je l′avais connue, elle me rappela l′éclair, la fleur que j′avais donnée, tout ce que je croyais je ne peux pas dire n′être important que pour moi, mais n′avoir été aperçu que de moi, que je retrouvais ainsi, transcrit en une version dont je ne soupçonnais l′existence, dans la pensée d′Albertine. Dès ce premier jour, quand en entrant je pus voir le souvenir que je rapportais, je compris quel tour de muscade avait été parfaitement exécuté, et comment j′avais causé un moment avec une personne qui, grâce à l′habileté du prestidigitateur, sans avoir rien de celle que j′avais suivie si longtemps au bord de la mer, d′elle lui avait été substituée. J′aurais du reste pu le deviner d′avance, puisque la jeune fille de la plage avait été fabriquée par moi. Malgré cela, comme je l′avais, dans mes conversations avec Elstir, identifiée à Albertine, je me sentais envers celle-ci l′obligation morale de tenir les promesses d′amour faites à l′Albertine imaginaire. On se fiance par procuration, et on se croit obligé d′épouser ensuite la personne interposée. D′ailleurs, si avait disparu provisoirement du moins de ma vie, une angoisse qu′eût suffi à apaiser le souvenir des manières comme il faut, de cette expression «parfaitement commun» et de la tempe enflammée, ce souvenir éveillait en moi un autre genre de désir qui, bien que doux et nullement douloureux, semblable à un sentiment fraternel, pouvait à la longue devenir aussi dangereux en me faisant ressentir à tout moment le besoin d′embrasser cette personne nouvelle dont les bonnes façons et la timidité, la disponibilité inattendue, arrêtaient la course inutile de mon imagination, mais donnaient naissance à une gratitude attendrie. Et puis comme la mémoire commence tout de suite à prendre des clichés indépendants les uns des autres, supprime tout lien, tout progrès, entre les scènes qui y sont figurées, dans la collection de ceux qu′elle expose, le dernier ne détruit pas forcément les précédents. En face de la médiocre et touchante Albertine à qui j′avais parlé, je voyais la mystérieuse Albertine en face de la mer. C′était maintenant des souvenirs, c′est-à-dire des tableaux dont l′un ne me semblait pas plus vrai que l′autre. Pour en finir maintenant des souvenirs, c′est-à-dire des tableaux avec ce premier soir de présentation, en cherchant à revoir ce petit grain de beauté sur la joue au-dessous de l′il, je me rappelai que de chez Elstir quand Albertine était partie, j′avais vu ce grain de beauté sur le menton. En somme, quand je la voyais, je remarquais qu′elle avait un grain de beauté, mais ma mémoire errante le promenait ensuite sur la figure d′Albertine et le plaçait tantôt ici tantôt là. I returned home, my mind full of the party, the coffee éclair which I had finished eating before I let Elstir take me up to Albertine, the rose which I had given the old gentleman, all the details selected without our knowledge by the circumstances of the occasion, which compose in a special and quite fortuitous order the picture that we retain of a first meeting. But this picture, I had the impression that I was seeing it from a fresh point of view, a long way remote from myself, realising that it had not existed only for me, when some months later, to my great surprise, on my speaking to Albertine on the day on which I had first met her, she reminded me of the éclair, the flower that I had given away, all those things which I had supposed to have been — I will not say of importance only to myself but — perceived only by myself, and which I now found thus transcribed, in a version the existence of which I had never suspected, in the mind of Albertine. On this first day itself, when, on my return to the hotel, I was able to visualise the memory which I had brought away with me, I realised the consummate adroitness with which the sleight of hand had been performed, and how I had talked for a moment or two with a person who, thanks to the skill of the conjurer, without actually embodying anything of that other person whom I had for so long been following as she paced beside the sea, had been effectively substituted for her. I might, for that matter, have guessed as much in advance, since the girl of the beach was a fabrication invented by myself. In spite of which, as I had, in my conversations with Elstir, identified her with this other girl, I felt myself in honour bound to fulfil to the real the promises of love made to the imagined Albertine. We betroth ourselves by proxy, and think ourselves obliged, in the sequel, to marry the person who has intervened. Moreover, if there had disappeared, provisionally at any rate, from my life, an anguish that found adequate consolation in the memory of polite manners, of that expression ‘perfectly common′ and of the glowing temple, that memory awakened in me desire of another kind which, for all that it was placid and not at all painful, resembling rather brotherly love, might in the long run become fully as dangerous by making me feel at every moment a compelling need to kiss this new person, whose charming ways, shyness, unlooked-for accessibility, arrested the futile process of my imagination but gave birth to a sentimental gratitude. And then, since memory begins at once to record photographs independent of one another, eliminates every link, any kind of sequence from between the scenes portrayed in the collection which it exposes to our view, the most recent does not necessarily destroy or cancel those that came before. Confronted with the commonplace though appealing Albertine to whom I had spoken that afternoon, I still saw the other, mysterious Albertine outlined against the sea. These were now memories, that is to say pictures neither of which now seemed to me any more true than the other. But, to make an end of this first afternoon of my introduction to Albertine, when trying to recapture that little mole on her cheek, just under the eye, I remembered that, looking from Elstir′s window, when Albertine had gone by, I had seen the mole on her chin. In fact, whenever I saw her I noticed that she had a mole, but my inaccurate memory made it wander about the face of Albertine, fixing it now in one place, now in another.
J′avais beau être assez désappointé d′avoir trouvé en Mlle Simonet une jeune fille trop peu différente de tout ce que je connaissais, de même que ma déception devant l′église de Balbec ne m′empêchait pas de désirer aller à Quimperlé, à Pontaven et à Venise je me disais que par Albertine du moins, si elle-même n′était pas ce que j′avais espéré, je pourrais connaître ses amies de la petite bande. Whatever my disappointment in finding in Mlle. Simonet a girl so little different from those that I knew already, just as my rude awakening when I saw Balbec Church did not prevent me from wishing still to go to Quimperlé, Pont-Aven and Venice, I comforted myself with the thought that through Albertine at any rate, even if she herself was not all that I had hoped, I might make the acquaintance of her comrades of the little band.
Je crus d′abord que j′y échouerais. Comme elle devait rester fort longtemps encore à Balbec et moi aussi, j′avais trouvé que le mieux était de ne pas trop chercher à la voir et d′attendre une occasion qui me fît la rencontrer. Mais cela arrivât-il tous les jours, il était fort à craindre qu′elle se contentât de répondre de loin à mon salut, lequel dans ce cas, répété quotidiennement pendant toute la saison, ne m′avancerait à rien. I thought at first that I should fail. As she was to be staying (and I too) for a long time still at Balbec, I had decided that the best thing was not to make my efforts to meet her too apparent, but to wait for an accidental encounter. But should this occur every day, even, it was greatly to be feared that she would confine herself to acknowledging my bow from a distance, and such meetings, repeated day after day throughout the whole season, would benefit me not at all.
Peu de temps après, un matin où il avait plu et où il faisait presque froid, je fus abordé sur la digue par une jeune fille portant un toquet et un manchon, si différente de celle que j′avais vue à la réunion d′Elstir que reconnaître en elle la même personne semblait pour l′esprit une opération impossible; le mien y réussit cependant, mais après une seconde de surprise qui je crois n′échappa pas à Albertine. D′autre part me souvenant à ce moment-là des «bonnes façons» qui m′avaient frappé, elle me fit éprouver l′étonnement inverse par son ton rude et ses manières «petite bande». Au reste la tempe avait cessé d′être le centre optique et rassurant du visage, soit que je fusse placé de l′autre côté, soit que le toquet la recouvrît, soit que son inflammation ne fût pas constante. «Quel temps, me dit-elle, au fond l′été sans fin à Balbec est une vaste blague. Vous ne faites rien ici? On ne vous voit jamais au golf, aux bals du Casino; vous ne montez pas à cheval non plus. Comme vous devez vous raser. Vous ne trouvez pas qu′on se bêtifie à rester tout le temps sur la plage. Ah! vous aimez à faire le lézard. Vous avez du temps de reste. Je vois que vous n′êtes pas comme moi, j′adore tous les sports! Vous n′étiez pas aux courses de la Sogne? Nous y sommes allés par le tram et je comprends que ça ne vous amuse pas de prendre un tacot pareil! nous avons mis deux heures! J′aurais fait trois fois l′aller et retour avec ma bécane.» Moi qui avais admiré Saint-Loup quand il avait appelé tout naturellement le petit chemin de fer d′intérêt local, le tortillard, à cause des innombrables détours qu′il faisait, j′étais intimidé par la facilité avec laquelle Albertine disait le «tram», le «tacot». Je sentais sa maîtrise dans un mode de désignations où j′avais peur qu′elle ne constatât et ne méprisât mon infériorité. Encore la richesse de synonymes que possédait la petite bande pour désigner ce chemin de fer ne m′était-elle pas encore révélée. En parlant, Albertine gardait la tête immobile, les narines serrées, ne faisait remuer que le bout des lèvres. Il en résultait ainsi un son traînard et nasal dans la composition duquel entraient peut-être des hérédités provinciales, une affectation juvénile de flegme britannique, les leçons d′une institutrice étrangère et une hypertrophie congestive de la muqueuse du nez. Cette émission qui cédait bien vite du reste quand elle connaissait plus les gens et redevenait naturellement enfantine, aurait pu passer pour désagréable. Mais elle était particulière et m′enchantait. Chaque fois que j′étais quelques jours sans la rencontrer, je m′exaltais en me répétant: «On ne vous voit jamais au golf», avec le ton nasal sur lequel elle l′avait dit, toute droite sans bouger la tête. Et je pensais alors qu′il n′existait pas de personne plus désirable. Shortly after this, one morning when it had been raining and was almost cold, I was accosted on the ‘front′ by a girl wearing a close-fitting toque and carrying a muff, so different from the girl whom I had met at Elstir′s party that to recognise in her the same person seemed an operation beyond the power of the human mind; mine was, nevertheless, successful in performing it, but after a momentary surprise which did not, I think, escape Albertine′s notice. On the other hand, when I instinctively recalled the good breeding which had so impressed me before, she filled me with a converse astonishment by her rude tone and manners typical of the ‘little band.′ Apart from these, her temple had ceased to be the optical centre, on which the eye might comfortably rest, of her face, either because I was now on her other side, or because her toque hid it, or else possibly because its inflammation was not a constant thing. “What weather!” she began. “Really the perpetual summer of Balbec is all stuff and nonsense. You don′t go in for anything special here, do you? We don′t ever see you playing golf, or dancing at the Casino. You don′t ride, either. You must be bored stiff. You don′t find it too deadly, staying about on the beach all day? I see, you just bask in the sun like a lizard; you enjoy that. You must have plenty of time on your hands. I can see you′re not like me; I simply adore all sports. You weren′t at the Sogne races! We went in the ‘tram,′ and I can quite believe you don′t see the fun of going in an old ‘tin-pot′ like that. It took us two whole hours! I could have gone there and back three times on my bike.” I, who had been lost in admiration of Saint-Loup when he, in the most natural manner in the world, called the little local train the ‘crawler,′ because of the ceaseless windings of its line, was positively alarmed by the glibness with which Albertine spoke of the ‘tram,′ and called it a ‘tin-pot.′ I could feel her mastery of a form of speech in which I was afraid of her detecting and scorning my inferiority. And yet the full wealth of the synonyms that the little band possessed to denote this railway had not yet been revealed to me. In speaking, Albertine kept her head motionless, her nostrils closed, allowing only the corners of her lips to move. The result of this was a drawling, nasal sound, into the composition of which there entered perhaps a provincial descent, a juvenile affectation of British phlegm, the teaching of a foreign governess and a congestive hypertrophy of the mucus of the nose. This enunciation which, as it happened, soon disappeared when she knew people better, giving place to a natural girlish tone, might have been thought unpleasant. But it was peculiar to herself, and delighted me. Whenever I had gone for several days without seeing her, I would refresh my spirit by repeating to myself: “We don′t ever see you playing golf,” with the nasal intonation in which she had uttered the words, point blank, without moving a muscle of her face. And I thought then that there could be no one in the world so desirable.
Nous formions ce matin-là un de ces couples qui piquent çà et là la digue de leur conjonction, de leur arrêt, juste le temps d′échanger quelques paroles avant de se désunir pour reprendre séparément chacun sa promenade divergente. Je profitai de cette immobilité pour regarder et savoir définitivement où était situé le grain de beauté. Or, comme une phrase de Vinteuil qui m′avait enchanté dans la Sonate et que ma mémoire faisait errer de l′andante au final jusqu′au jour où ayant la partition en main je pus la trouver et l′immobiliser dans mon souvenir à sa place, dans le scherzo, de même le grain de beauté que je m′étais rappelé tantôt sur la joue, tantôt sur le menton, s′arrêta à jamais sur la lèvre supérieure au-dessous du nez. C′est ainsi encore que nous rencontrons avec étonnement des vers que nous savons par cur, dans une pièce où nous ne soupçonnions pas qu′ils se trouvassent. We formed that morning one of those couples who dotted the ‘front′ here and there with their conjunction, their stopping together for time enough just to exchange a few words before breaking apart, each to resume separately his or her divergent stroll. I seized the opportunity, while she stood still, to look again and discover once and for all where exactly the little mole was placed. Then, just as a phrase of Vinteuil which had delighted me in the sonata, and which my recollection allowed to wander from the andante to the finale, until the day when, having the score in my hands, I was able to find it, and to fix it in my memory in its proper place, in the scherzo, so this mole, which I had visualised now on her cheek, now on her chin, came to rest for ever on her upper lip, just below her nose. In the same way, too, do we come with amazement upon lines that we know by heart in a poem in which we never dreamed that they were to be found.
A ce moment, comme pour que devant la mer se multipliât en liberté, dans la variété de ses formes, tout le riche ensemble décoratif qu′était le beau déroulement des vierges, à la fois dorées et roses, cuites par le soleil et par le vent, les amies d′Albertine, aux belles jambes, à la taille souple, mais si différentes les unes des autres, montrèrent leur groupe qui se développa, s′avançant dans notre direction, plus près de la mer, sur une ligne parallèle. Je demandai à Albertine la permission de l′accompagner pendant quelques instants. Malheureusement elle se contenta de leur faire bonjour de la main. «Mais vos amies vont se plaindre si vous les laissez», lui-dis-je, espérant que nous nous promènerions ensemble. Un jeune homme aux traits réguliers, qui tenait à la main des raquettes, s′approcha de nous. C′était le joueur de baccarat dont les folies indignaient tant la femme du premier président. D′un air froid, impassible, en lequel il se figurait évidemment que consistait la distinction suprême, il dit bonjour à Albertine. «Vous venez du golf, Octave? lui demanda-t-elle. Ça a-t-il bien marché, étiez-vous en forme?» «Oh! ça me dégoûte, je suis dans les choux», répondit-il. «Est-ce qu′Andrée y était?» «Oui, elle a fait soixante-dix-sept.» «Oh! mais c′est un record.» «J′avais fait quatre-vingt-deux hier.» Il était le fils d′un très riche industriel qui devait jouer un rôle assez important dans l′organisation de la prochaine Exposition Universelle. Je fus frappé à quel point chez ce jeune homme et les autres très rares amis masculins de ces jeunes filles la connaissance de tout ce qui était vêtements, manière de les porter, cigares, boissons anglaises, cheveux, et qu′il possédait jusque dans ses moindres détails avec une infaillibilité orgueilleuse qui atteignait à la silencieuse modestie du savant — s′était développée isolément sans être accompagnée de la moindre culture intellectuelle. Il n′avait aucune hésitation sur l′opportunité du smoking ou du pyjama, mais ne se doutait pas du cas où on peut ou non employer tel mot, même des règles les plus simples du français. Cette disparité entre les deux cultures devait être la même chez son père, président du Syndicat des propriétaires de Balbec, car dans une lettre ouverte aux électeurs, qu′il venait de faire afficher sur tous les murs, il disait: «J′ai voulu voir le maire pour lui en causer, il n′a pas voulu écouter mes justes griefs.» Octave obtenait, au casino, des prix dans tous les concours de boston, de tango, etc., ce qui lui ferait faire s′il le voulait un joli mariage dans ce milieu des «bains de mer» où ce n′est pas au figuré mais au propre que les jeunes filles épousent leur «danseur». Il alluma un cigare en disant à Albertine: «Vous permettez», comme on demande l′autorisation de terminer tout en causant un travail pressé. Car il ne pouvait jamais «rester sans rien faire» quoique il ne fît d′ailleurs jamais rien. Et comme l′inactivité complète finit par avoir les mêmes effets que le travail exagéré, aussi bien dans le domaine moral que dans la vie du corps et des muscles, la constante nullité intellectuelle qui habitait sous le front songeur d′Octave avait fini par lui donner malgré son air calme, d′inefficaces démangeaisons de penser qui la nuit l′empêchaient de dormir, comme il aurait pu arriver à un métaphysicien surmené. At that moment, as if in order that against the sea there might multiply in freedom, in the variety of its forms, all the rich decorative whole which was the lovely unfolding of the train of maidens, at once golden and rosy, baked by sun and wind, Albertine′s friends, with their shapely limbs, their supple figures, but so different one from another, came into sight in a cluster that expanded as it approached, advancing towards us, but keeping closer to the sea, along a parallel line. I asked Albertine′s permission to walk for a little way with her. Unfortunately, all she did was to wave her hand to them in greeting. “But your friends will be disappointed if you don′t go with them,” I hinted, hoping that we might all walk together. A young man with regular features, carrying a bag of golf-clubs, sauntered up to us. It was the baccarat-player, whose fast ways so enraged the chief magistrate′s wife. In a frigid, impassive tone, which he evidently regarded as an indication of the highest refinement, he bade Albertine good day. “Been playing golf, Octave?” she asked. “How did the game go? Were you in form?” “Oh, it′s too sickening; I can′t play for nuts,” he replied. “Was Andrée playing?” “Yes, she went round in seventy-seven.” “Why, that′s a record!” “I went round in eighty-two yesterday.” He was the son of an immensely rich manufacturer who was to take an important part in the organisation of the coming World′s Fair. I was struck by the extreme degree to which, in this young man and in the other by no means numerous male friends of the band of girls, the knowledge of everything that pertained to clothes and how to wear them, cigars, English drinks, horses, a knowledge which he possessed in its minutest details with a haughty infallibility that approached the reticent modesty of the true expert, had been developed in complete isolation, unaccompanied by the least trace of any intellectual culture. He had no hesitation as to the right time and place for dinner-jacket or pyjamas, but neither had he any suspicion of the circumstances in which one might or might not employ this or that word, or even of the simplest rules of grammar. This disparity between the two forms of culture must have existed also in his father, the President of the Syndicate that ‘ran′ Balbec, for, in an open letter to the electors which he had recently had posted on all the walls, he announced: “I desired to see the Mayor, to speak to him of the matter; he would not listen to my righteous plaint.” Octave, at the Casino, took prizes in all the dancing competitions, for bostons, tangos and what-not, an accomplishment that would entitle him, if he chose, to make a fine marriage in that seaside society where it is not figuratively but in sober earnest that the young women ‘marry their dancing-partners.′ He lighted a cigar with a “D′you mind?” to Albertine, as one who asks permission to finish, while going on talking, an urgent piece of work. For he was one of those people who can never be ‘doing nothing,′ although there was nothing, for that matter, that he could ever be said to do. And as complete inactivity has the same effect on us, in the end, as prolonged overwork, and on the character as much as on the life of body and muscles, the unimpaired nullity of intellect that was enshrined behind Octave′s meditative brow had ended by giving him, despite his air of unruffled calm, ineffectual longings to think which kept him awake at night, for all the world like an overwrought philosopher.
Pensant que si je connaissais leurs amis j′aurais plus d′occasions de voir ces jeunes filles, j′avais été sur le point de lui demander à être présenté. Je le dis à Albertine, dès qu′il fut parti en répétant: «Je suis dans les choux.» Je pensais lui inculquer ainsi l′idée de le faire la prochaine fois. «Mais voyons, s′écria-t-elle, je ne peux pas vous présenter à un gigolo! Ici ça pullule de gigolos. Mais ils ne pourraient pas causer avec vous. Celui-ci joue très bien au golf, un point c′est tout. Je m′y connais, il ne serait pas du tout votre genre». «Vos amies vont se plaindre si vous les laissez ainsi», lui dis-je, espérant qu′elle allait me proposer d′aller avec elle les rejoindre. «Mais non, elles n′ont aucun besoin de moi». Nous croisâmes Bloch qui m′adressa un sourire fin et insinuant, et, embarrassé au sujet d′Albertine qu′il ne connaissait pas ou du moins connaissait «sans la connaître», abaissa sa tête vers son col d′un mouvement raide et rébarbatif. «Comment s′appelle-t-il, cet ostrogoth-là», me demanda Albertine. Je ne sais pas pourquoi il me salue puisqu′il ne me connaît pas. Aussi je ne lui ai pas rendu son salut.» Je n′eus pas le temps de répondre à Albertine, car marchant droit sur nous: «Excuse-moi, dit-il, de t′interrompre, mais je voulais t′avertir que je vais demain à Doncières. Je ne peux plus attendre sans impolitesse et je me demande ce que Saint-Loup-en-bray doit penser de moi. Je te préviens que je prends le train de deux heures. A ta disposition.» Mais je me pensais plus qu′à revoir Albertine et à tâcher de connaître ses amies, et Doncières, comme elles n′y allaient pas et me ferait rentrer après l′heure où elles allaient sur la plage, me paraissait au bout du monde. Je dis à Bloch que cela m′était impossible. «Hé bien, j′irai seul. Selon les deux ridicules alexandrins du sieur Arouet, je dirai à Saint-Loup, pour charmer son cléricalisme: «Apprends que mon devoir ne dépend pas du sien, qu′il y manque s′il veut; je dois faire le mien.» «Je reconnais qu′il est assez joli garçon, me dit Albertine, mais ce qu′il me dégoûte!» Je n′avais jamais songé que Bloch pût être joli garçon; il l′était, en effet. Avec une tête un peu proéminente, un nez très busqué, un air d′extrême finesse et d′être persuadé de sa finesse, il avait un visage agréable. Mais il ne pouvait pas plaire à Albertine. C′était peut-être du reste à cause des mauvais côtés de celle-ci, de la dureté, de l′insensibilité de la petite bande, de sa grossièreté avec tout ce qui n′était pas elle. D′ailleurs plus tard quand je les présentai, l′antipathie d′Albertine ne diminua pas. Bloch appartenait à un milieu où, entre la blague exercée dans le monde et pourtant le respect suffisant des bonnes manières que doit avoir un homme qui a «les mains propres», on a fait une sorte de compromis spécial qui diffère des manières du monde et est malgré tout une sorte particulièrement odieuse de mondanité. Quand on le présentait, il s′inclinait à la fois avec un sourire de scepticisme et un respect exagéré et si c′était à un homme disait: «Enchanté, Monsieur», d′une voix qui se moquait des mots qu′elle prononçait mais avait conscience d′appartenir à quelqu′un qui n′était pas un mufle. Cette première seconde donnée à une coutume qu′il suivait et raillait à la fois (comme il disait le premier janvier: «Je vous la souhaite bonne et heureuse») il prenait un air fin et rusé et «proférait des choses subtiles» qui étaient souvent pleines de vérité mais «tapaient sur les nerfs» d′Albertine. Quand je lui dis ce premier jour qu′il s′appelait Bloch, elle s′écria: «Je l′aurais parié que c′était un youpin. C′est bien leur genre de faire les punaises.» Du reste, Bloch devait dans la suite irriter Albertine d′autre façon. Comme beaucoup d′intellectuels il ne pouvait pas dire simplement les choses simples. Il trouvait pour chacune d′elles un qualificatif précieux, puis généralisait. Cela ennuyait Albertine, laquelle n′aimait pas beaucoup qu′on s′occupât de ce qu′elle faisait, que quand elle s′était foulé le pied et restait tranquille, Bloch dît: «Elle est sur sa chaise longue, mais par ubiquité ne cesse pas de fréquenter simultanément de vagues golfs et de quelconques tennis.» Ce n′était que de la «littérature», mais qui, à cause des difficultés qu′Albertine sentait que cela pouvait lui créer avec des gens chez qui elle avait refusé une invitation en disant qu′elle ne pouvait pas remuer, eût suffi pour lui faire prendre en grippe la figure, le son de la voix, du garçon qui disait ces choses. Nous nous quittâmes, Albertine et moi, en nous promettant de sortir une fois ensemble. J′avais causé avec elle sans plus savoir où tombaient mes paroles, ce qu′elles devenaient, que si j′eusse jeté des cailloux dans un abîme sans fond. Qu′elles soient remplies en général par la personne à qui nous les adressons d′un sens qu′elle tire de sa propre substance et qui est très différent de celui que nous avions mis dans ces mêmes paroles, c′est un fait que la vie courante nous révèle perpétuellement. Mais si de plus nous nous trouvons auprès d′une personne dont l′éducation (comme pour moi celle d′Albertine) nous est inconcevable, inconnus les penchants, les lectures, les principes, nous ne savons pas si nos paroles éveillent en elle quelque chose qui y ressemble plus que chez un animal à qui pourtant on aurait à faire comprendre certaines choses. De sorte qu′essayer de me lier avec Albertine m′apparaissait comme une mise en contact avec l′inconnu sinon avec l′impossible, comme un exercice aussi malaisé que dresser un cheval, aussi reposant qu′élever des abeilles ou que cultiver des rosiers. Supposing that if I knew their male friends I should have more opportunities of seeing the girls, I had been on the point of asking for an introduction to Octave. I told Albertine this, as soon as he had left us, still muttering, “I couldn′t play for nuts!” I thought I would thus put into her head the idea of doing it next time. “But I can′t,” she cried, “introduce you to a tame cat like that. This place simply swarms with them. But what on earth would they have to say to you? That one plays golf quite well, and that′s all there is to it. I know what I′m talking about; you′d find he wasn′t at all your sort.” “Your friends will be cross with you if you desert them like this,” I repeated, hoping that she would then suggest my joining the party. “Oh, no, they don′t want me.” We ran into Bloch, who directed at me a subtle, insinuating smile, and, embarrassed by the presence of Albertine, whom he did not know, or, rather, knew ‘without knowing′ her, bent his head with a stiff, almost irritated jerk. “What′s he called, that Ostrogoth?” Albertine asked. “I can′t think why he should bow to me; he doesn′t know me. And I didn′t bow to him, either.” I had no time to explain to her, for, bearing straight down upon us, “Excuse me,” he began, “for interrupting you, but I must tell you that I am going to Don-cières to-morrow. I cannot put it off any longer without discourtesy; indeed, I ask myself, what must de Saint-Loup-en-Bray think of me. I just came to let you know that I shall take the two o′clock train. At your service.” But I thought now only of seeing Albertine again, and of trying to get to know her friends, and Doncières, since they were not going there, and my going would bring me back too late to see them still on the beach, seemed to me to be situated at the other end of the world. I told Bloch that it was impossible. “Oh, very well, I shall go alone. In the fatuous words of Master Arouet, I shall say to Saint-Loup, to beguile his clericalism: ‘My duty stands alone, by his in no way bound; Though he should choose to fail, yet faithful I′ll be found.′” “I admit he′s not a bad looking boy,” was Albertine′s comment, “but he makes me feel quite sick.” I had never thought that Bloch might be ‘not a bad looking boy′; and yet, when one came to think of it, so he was. With his rather prominent brow, very aquiline nose, and his air of extreme cleverness and of being convinced of his cleverness, he had a pleasing face. But he could not succeed in pleasing Albertine. This was perhaps due, to some extent, to her own disadvantages, the harshness, the want of feeling of the little band, its rudeness towards everything that was not itself. And later on, when I introduced them, Albertine′s antipathy for him grew no less. Bloch belonged to a section of society in which, between the free and easy customs of the ‘smart set′ and the regard for good manners which a man is supposed to shew who ‘does not soil his hands,′ a sort of special compromise has been reached which differs from the manners of the world and is nevertheless a peculiarly unpleasant form of worldliness. When he was introduced to anyone he would bow with a sceptical smile, and at the same time with an exaggerated show of respect, and, if it was to a man, would say: “Pleased to meet you, sir,” in a voice which ridiculed the words that it was uttering, though with a consciousness of belonging to some one who was no fool. Having sacrificed this first moment to a custom which he at once followed and derided (just as on the first of January he would greet you with a ‘Many happy!′) he would adopt an air of infinite cunning, and would ‘proffer subtle words′ which were often true enough but ‘got on′ Albertine′s nerves. When I told her on this first day that his name was Bloch, she exclaimed: “I would have betted anything he was a Jew-boy. Trust them to put their foot in it!” Moreover, Bloch was destined to give Albertine other grounds for annoyance later on. Like many intellectuals, he was incapable of saying a simple thing in a simple way. He would find some precious qualification for every statement, and would sweep from particular to general. It vexed Albertine, who was never too well pleased at other people′s shewing an interest in what she was doing, that when she had sprained her ankle and was keeping quiet, Bloch said of her: “She is outstretched on her chair, but in her ubiquity has not ceased to frequent simultaneously vague golf-courses and dubious tennis-courts.” He was simply being ‘literary,′ of course, but this, in view of the difficulties which Albertine felt that it might create for her with friends whose invitations she had declined on the plea that she was unable to move, was quite enough to disgust her with the face, the sound of the voice, of the young man who could say such things about her. We parted, Albertine and I, after promising to take a walk together later. I had talked to her without being any more conscious of where my words were falling, of what became of them, than if I were dropping pebbles into a bottomless pit. That our words are, as a general rule, filled, by the person to whom we address them, with a meaning which that person derives from her own substance, a meaning widely different from that which we had put into the same words when we uttered them, is a fact which the daily round of life is perpetually demonstrating. But if we find ourselves as well in the company of a person whose education (as Albertine′s was to me) is inconceivable, her tastes, her reading, her principles unknown, we cannot tell whether our words have aroused in her anything that resembles their meaning, any more than in an animal, although there are things that even an animal may be made to understand. So that to attempt any closer friendship with Albertine seemed to me like placing myself in contact with the unknown, if not the impossible, an occupation as arduous as breaking a horse, as reposeful as keeping bees or growing roses.
J′avais cru il y avait quelques heures qu′Albertine ne répondrait à mon salut que de loin. Nous venions de nous quitter en faisant le projet d′une excursion ensemble. Je me promis, quand je rencontrerais Albertine, d′être plus hardi avec elle, et je m′étais tracé d′avance le plan de tout ce que je lui dirais et même (maintenant que j′avais tout à fait l′impression qu′elle devait être légère) de tous les plaisirs que je lui demanderais. Mais l′esprit est influençable comme la plante, comme la cellule, comme les éléments chimiques, et le milieu qui le modifie si on l′y plonge, ce sont des circonstances, un cadre nouveau. Devenu différent par le fait de sa présence même, quand je me trouvai de nouveau avec Albertine, je lui dis tout autre chose que ce que j′avais projeté. Puis me souvenant de la tempe enflammée je me demandais si Albertine n′apprécierait pas davantage une gentillesse qu′elle saurait être désintéressée. Enfin j′étais embarrassé devant certains de ses regards, de ses sourires. Ils pouvaient signifier moeurs faciles mais aussi gaîté un peu bête d′une jeune fille sémillante mais ayant un fond d′honnêteté. Une même expression, de figure comme de langage, pouvant comporter diverses acceptions, j′étais hésitant comme un élève devant les difficultés d′une version grecque. I had thought, a few hours before, that Albertine would acknowledge my bow but would not speak to me. We had now parted, after planning to make some excursion soon together. I vowed that when I next met Albertine I would treat her with greater boldness, and I had sketched out in advance a draft of all that I would say to her, and even (being now quite convinced that she was not strait-laced) of all the favours that I would demand of her. But the mind is subject to external influences, as plants are, and cells and chemical elements, and the medium in which its immersion alters it is a change of circumstances, or new surroundings. Grown different by the mere fact of her presence, when I found myself once again in Albertine′s company, what I said to her was not at all what I had meant to say. Remembering her flushed temple, I asked myself whether she might not appreciate more keenly a polite attention which she knew to be disinterested. Besides, I was embarrassed by certain things in her look, in her smile. They might equally well signify a laxity of morals and the rather silly merriment of a girl who though full of spirits was at heart thoroughly respectable. A single expression, on a face as in speech, is susceptible of divers interpretations, and I stood hesitating like a schoolboy faced by the difficulties of a piece of Greek prose.
Cette fois-là nous rencontrâmes presque tout de suite la grande Andrée, celle qui avait sauté par-dessus le premier président, Albertine dut me présenter. Son amie avait des yeux extraordinairement clairs, comme est dans un appartement à l′ombre l′entrée par la porte ouverte, d′une chambre où donnent le soleil et le reflet verdâtre de la mer illuminée. On this occasion we met almost immediately the tall one, Andrée, the one who had jumped over the old banker, and Albertine was obliged to introduce me. Her friend had a pair of eyes of extraordinary brightness, like, in a dark house, a glimpse through an open door of a room into which the sun is shining with a greenish reflexion from the glittering sea.
Cinq messieurs passèrent que je connaissais très bien de vue depuis que j′étais à Balbec. Je m′étais souvent demandé qui ils étaient. «Ce ne sont pas des gens très chics, me dit Albertine en ricanant d′un air de mépris. Le petit vieux, qui a des gants jaunes, il en a une touche, hein, il dégotte bien, c′est le dentiste de Balbec, c′est un brave type; le gros c′est le maire, pas le tout petit gros, celui-là vous devez l′avoir vu, c′est le professeur de danses, il est assez moche aussi, il ne peut pas nous souffrir parce que nous faisons trop de bruit au Casino, que nous démolissons ses chaises, que nous voulons danser sans tapis, aussi il ne nous a jamais donné le prix quoique il n′y a que nous qui sachions danser. Le dentiste est un brave homme, je lui aurais fait bonjour pour faire rager le maître de danse, mais je ne pouvais pas parce qu′il y a avec eux M. de Sainte-Croix, le conseiller général, un homme d′une très bonne famille qui s′est mis du côté des républicains, pour de l′argent; aucune personne propre ne le salue plus. Il connaît mon oncle, à cause du gouvernement, mais le reste de ma famille lui a tourné le dos. Le maigre avec un imperméable, c′est le chef d′orchestre. Comment, vous ne le connaissez pas! Il joue divinement. Vous n′avez pas été entendre Cavalleria Rusticana? Ah! je trouve ça idéal! Il donne un concert ce soir, mais nous ne pouvons pas y aller parce que ça a lieu dans la salle de la Mairie. Au casino ça ne fait rien, mais dans la salle de la Mairie d′où on a enlevé le Christ, la mère d′Andrée tomberait en apoplexie si nous y allions. Vous me direz que le mari de ma tante est dans le gouvernement. Mais qu′est-ce que vous voulez? Ma tante est ma tante. Ce n′est pas pour cela que je l′aime! Elle n′a jamais eu qu′un désir, se débarrasser de moi. La personne qui m′a vraiment servi de mère, et qui a eu double mérite puisqu′elle ne m′est rien, c′est une amie que j′aime du reste comme une mère. Je vous montrerai sa photo.» Nous fûmes abordés un instant par le champion de golf et joueur de baccara, Octave. Je pensai avoir découvert un lien entre nous, car j′appris dans la conversation qu′il était un peu parent, et de plus assez aimé des Verdurin. Mais il parla avec dédain des fameux mercredis, et ajouta que M. Verdurin ignorait l′usage du smoking ce qui rendait assez gênant de le rencontrer dans certains «music-halls» où on aurait tant aimé ne pas s′entendre crier: «Bonjour galopin» par un monsieur en veston et en cravate noire de notaire de village. Puis Octave nous quitta, et bientôt après ce fut le tour d′Andrée, arrivée devant son chalet où elle entra sans que de toute la promenade elle m′eût dit un seul mot. Je regrettai d′autant plus son départ que tandis que je faisais remarquer à Albertine combien son amie avait été froide avec moi, et rapprochais en moi-même cette difficulté qu′Albertine semblait avoir à me lier avec ses amies, de l′hostilité contre laquelle pour exaucer mon souhait, paraissait s′être le premier jour heurté Elstir, passèrent des jeunes filles que je saluai, les demoiselles d′Ambresac, auxquelles Albertine dit aussi bonjour. A party of five were passing, men whom I had come to know very well by sight during my stay at Balbec. I had often wondered who they could be. “They′re nothing very wonderful,” said Albertine with a sneering laugh. “The little old one with dyed hair and yellow gloves has a fine touch; he knows how to draw all right, he′s the Balbec dentist; he′s a good sort. The fat one is the Mayor, not the tiny little fat one, you must have seen him before, he′s the dancing master; he′s rather a beast, you know; he can′t stand us, because we make such a row at the Casino; we smash his chairs, and want to have the carpet up when we dance; that′s why he never gives us prizes, though we′re the only girls there who can dance a bit. The dentist is a dear, I would have said how d′ye do to him, just to make the dancing master swear, but I couldn′t because they′ve got M. de Sainte-Croix with them; he′s on the General Council; he comes of a very good family, but he′s joined the Republicans, to make more money. No nice people ever speak to him now. He knows my uncle, because they′re both in the Government, but the rest of my family always cut him. The thin one in the waterproof is the bandmaster. You know him, of course. You don′t? Oh, he plays divinely. You haven′t been to Cavalleria Rusticana? I thought it too lovely! He′s giving a concert this evening, but we can′t go because it′s to be in the town hall. In the Casino it wouldn′t matter, but in the town hall, where they′ve taken down the crucifix. Andrée′s mother would have a fit if we went there. You′re going to say that my aunt′s husband is in the Government. But what difference does that make? My aunt is my aunt. That′s not why I′m fond of her. The only thing she has ever wanted has been to get rid of me. No, the person who has really been a mother to me, and all the more credit to her because she′s no relation at all, is a friend of mine whom I love just as much as if she was my mother. I will let you see her ‘photo.′” We were joined for a moment by the golf champion and baccarat plunger, Octave. I thought that I had discovered a bond between us, for I learned in the course of conversation that he was some sort of relative, and even more a friend of the Verdurins. But he spoke contemptuously of the famous Wednesdays, adding that M. Verdurin had never even heard of a dinner-jacket, which made it a horrid bore when one ran into him in a music-hall, where one would very much rather not be greeted with “Well, you young rascal,” by an old fellow in a frock coat and black tie, for all the world like a village lawyer. Octave left us, and soon it was Andrée′s turn, when we came to her villa, into which she vanished without having uttered a single word to me during the whole of our walk. I regretted her departure, all the more in that, while I was complaining to Albertine how chilling her friend had been with me, and was comparing in my mind this difficulty which Albertine seemed to find in making me know her friends with the hostility that Elstir, when he might have granted my desire, seemed to have encountered on that first afternoon, two girls came by to whom I lifted my hat, the young Ambresacs, whom Albertine greeted also.
Je pensai que ma situation vis-à-vis d′Albertine allait en être améliorée. Elles étaient les filles d′une parente de Mme de Villeparisis et qui connaissait aussi Mme de Luxembourg. M. et Mme d′Ambresac qui avaient une petite villa à Balbec, et excessivement riches, menaient une vie des plus simples, étaient toujours habillés, le mari du même veston, la femme d′une robe sombre. Tous deux faisaient à ma grand′mère d′immenses saluts qui ne menaient à rien. Les filles, très jolies, s′habillaient avec plus d′élégance mais une élégance de ville et non de plage. Dans leurs robes longues, sous leurs grands chapeaux, elles avaient l′air d′appartenir à une autre humanité qu′Albertine. Celle-ci savait très bien qui elles étaient. «Ah! vous connaissez les petites d′Ambresac. Hé bien, vous connaissez des gens très chics. Du reste, ils sont très simples, ajouta-t-elle comme si c′était contradictoire. Elles sont très gentilles mais tellement bien élevées qu′on ne les laisse pas aller au Casino, surtout à cause de nous, parce que nous avons trop mauvais genre. Elles vous plaisent? Dame, ça dépend. C′est tout à fait les petites oies blanches. Ça a peut-être son charme. Si vous aimez les petites oies blanches, vous êtes servi à souhait. Il paraît qu′elles peuvent plaire puisqu′il y en a déjà une de fiancée au marquis de Saint-Loup. Et cela fait beaucoup de peine à la cadette qui était amoureuse de ce jeune homme. Moi, rien que leur manière de parler du bout des lèvres m′énerve. Et puis elles s′habillent d′une manière ridicule. Elles vont jouer au golf en robes de soie. A leur âge elles sont mises plus prétentieusement que des femmes âgées qui savent s′habiller. Tenez Madame Elstir, voilà une femme élégante.» Je répondis qu′elle m′avait semblé vêtue avec beaucoup de simplicité. Albertine se mit à rire. «Elle est mise très simplement, en effet, mais elle s′habille à ravir et pour arriver à ce que vous trouvez de la simplicité, elle dépense un argent fou.» Les robes de Mme Elstir passaient inaperçues aux yeux de quelqu′un qui n′avait pas le goût sûr et sobre des choses de la toilette. Il me faisait défaut. Elstir le possédait au suprême degré, à ce que me dit Albertine. Je ne m′en étais pas douté ni que les choses élégantes mais simples qui emplissaient son atelier étaient des merveilles désirées par lui, qu′il avait suivies de vente en vente, connaissant toute leur histoire, jusqu′au jour où il avait gagné assez d′argent pour pouvoir les posséder. Mais là-dessus, Albertine aussi ignorante que moi, ne pouvait rien m′apprendre. Tandis que pour les toilettes, avertie par un instinct de coquette et peut-être par un regret de jeune fille pauvre qui goûte avec plus de désintéressement, de délicatesse chez les riches ce dont elle ne pourra se parer elle-même, elle sut me parler très bien des raffinements d′Elstir, si difficile qu′il trouvait toute femme mal habillée, et que mettant tout un monde dans une proportion, dans une nuance, il faisait faire pour sa femme à des prix fous des ombrelles, des chapeaux, des manteaux qu′il avait appris à Albertine à trouver charmants et qu′une personne sans goût n′eût pas plus remarqués que je n′avais fait. Du reste, Albertine qui avait fait un peu de peinture sans avoir d′ailleurs, elle l′avouait, aucune «disposition», éprouvait une grande admiration pour Elstir, et grâce à ce qu′il lui avait dit et montré, s′y connaissait en tableaux d′une façon qui contrastait fort avec son enthousiasme pour Cavalleria Rusticana. C′est qu′en réalité bien que cela ne se vît guère encore, elle était très intelligente et dans les choses qu′elle disait, la bêtise n′était pas sienne, mais celle de son milieu et de son âge. Elstir avait eu sur elle une influence heureuse mais partielle. Toutes les formes de l′intelligence n′étaient pas arrivées chez Albertine au même degré de développement. Le goût de la peinture avait presque rattrapé celui de la toilette et de toutes les formes de l′élégance, mais n′avait pas été suivi par le goût de la musique qui restait fort en arrière. I felt that, in Albertine′s eyes, my position would be improved by this meeting. They were the daughters of a kinswoman of Mme. de Ville-parisis, who was also a friend of Mme. de Luxembourg. M. and Mme. d′Ambresac, who had a small villa at Balbec and were immensely rich, led the simplest of lives there, and always went about dressed he in an unvarying frock coat, she in a dark gown. Both of them used to make sweeping bows to my grandmother, which never led to anything further. The daughters, who were very pretty, were dressed more fashionably, but in a fashion suited rather to Paris than to the seaside. With their long skirts and large hats, they had the look of belonging to a different race from Albertine. She, I discovered, knew all about them. “Oh, so you know the little d′Ambresacs, do you? Dear me, you have some swagger friends. After all, they′re very simple souls,” she went on as though this might account for it. “They′re very nice, but so well brought up that they aren′t allowed near the Casino, for fear of us — we′ve such a bad tone. They attract you, do they? Well, it all depends on what you like. They′re just little white rabbits, really. There may be something in that, of course. If little white rabbits are what appeals to you, they may supply a long-felt want. It seems, there must be some attraction, because one of them has got engaged already to the Marquis de Saint-Loup. Which is a cruel blow to the younger one, who is madly in love with that young man. I′m sure, the way they speak to you with their lips shut is quite enough for me. And then they dress in the most absurd way. Fancy going to play golf in silk frocks! At their age, they dress more showily than grown-up women who really know about clothes. Look at Mme. Elstir; there′s a well dressed woman if you like.” I answered that she had struck me as being dressed with the utmost simplicity. Albertine laughed. “She does put on the simplest things, I admit, but she dresses wonderfully, and to get what you call simplicity costs her a fortune.” Mme. Elstir′s gowns passed unnoticed by any one who had not a sober and unerring taste in matters of attire. This was lacking in me. Elstir possessed it in a supreme degree, or so Albertine told me. I had not suspected this, nor that the beautiful but quite simple objects which littered his studio were treasures long desired by him which he had followed from sale room to sale room, knowing all their history, until he had made enough money to be able to acquire them. But as to this Albertine, being as ignorant as myself, could not enlighten me. Whereas when it came to clothes, prompted by a coquettish instinct, and perhaps by the regretful longing of a penniless girl who is able to appreciate with greater disinterestedness, more delicacy of feeling, in other, richer people the things that she will never be able to afford for herself, she expressed herself admirably on the refinement of Elstir′s taste, so hard to satisfy that all women appeared to him badly dressed, while, attaching infinite importance to right proportions and shades of colour, he would order to be made for his wife, at fabulous prices, the sunshades, hats and cloaks which he had learned from Albertine to regard as charming, and which a person wanting in taste would no more have noticed than myself. Apart from this, Albertine, who had done a little painting, though without, she confessed, having any ‘gift′ for it, felt a boundless admiration for Elstir, and, thanks to his precept and example, shewed a judgment of pictures which was in marked contrast to her enthusiasm for Cavalleria Rusticana. The truth was, though as yet it was hardly apparent, that she was highly intelligent, and that in the things that she said the stupidity was not her own but that of her environment and age. Elstir′s had been a good but only a partial influence. All the branches of her intelligence had not reached the same stage of development. The taste for pictures had almost caught up the taste for clothes and all forms of smartness, but had not been followed by the taste for music, which was still a long way behind.
Albertine avait beau savoir qui étaient les Ambresac, comme qui peut le plus ne peut pas forcément le moins, je ne la trouvai pas, après que j′eusse salué ces jeunes filles, plus disposée à me faire connaître ses amies. «Vous êtes bien bon d′attacher, de leur donner de l′importance. Ne faites pas attention à elles, ce n′est rien du tout. Qu′est-ce que ces petites gosses peuvent compter pour un homme de votre valeur. Andrée au moins est remarquablement intelligente. C′est une bonne petite fille, quoique parfaitement fantasque, mais les autres sont vraiment très stupides.» Après avoir quitté Albertine, je ressentis tout à coup beaucoup de chagrin que Saint-Loup m′eût caché ses fiancailles, et fît quelque chose d′aussi mal que se marier sans avoir rompu avec sa maîtresse. Peu de jours après pourtant, je fus présenté à Andrée et comme elle parla assez longtemps, j′en profitai pour lui dire que je voudrais bien la voir le lendemain, mais elle me répondit que c′était impossible parce qu′elle avait trouvé sa mère assez mal et ne voulait pas la laisser seule. Deux jours après, étant allé voir Elstir, il me dit la sympathie très grande qu′Andrée avait pour moi; comme je lui répondais: «Mais c′est moi qui ai eu beaucoup de sympathie pour elle dès le premier jour, je lui avais demandé à la revoir le lendemain, mais elle ne pouvait pas.» «Oui, je sais, elle me l′a raconté, me dit Elstir, elle l′a assez regretté, mais elle avait accepté un pique-nique à dix lieues d′ici où elle devait aller en break et elle ne pouvait plus se décommander.» Bien que ce mensonge fût, Andrée me connaissant si peu, fort insignifiant, je n′aurais pas dû continuer à fréquenter une personne qui en était capable. Car ce que les gens ont fait, ils le recommencent indéfiniment. Et qu′on aille voir chaque année un ami qui les premières fois n′a pu venir à votre rendez-vous, ou s′est enrhumé, on le retrouvera avec un autre rhume qu′il aura pris, on le manquera à un autre rendez-vous où il ne sera pas venu, pour une même raison permanente à la place de laquelle il croit voir des raisons variées, tirées des circonstances. Albertine might know all about the Ambresacs; but as he who can achieve great things is not necessarily capable of small, I did not find her, after I had bowed to those young ladies, any better disposed to make me known to her friends. “It′s too good of you to attach any importance to them. You shouldn′t take any notice of them; they don′t count. What on earth can a lot of kids like them mean to a man like you? Now Andrée, I must say, is remarkably clever. She is a good girl, that, though she is perfectly fantastic at times, but the others are really dreadfully stupid.” When I had left Albertine, I felt suddenly a keen regret that Saint-Loup should have concealed his engagement from me and that he should be doing anything so improper as to choose a wife before breaking with his mistress. And then, shortly afterwards, I met Andrée, and as she went on talking to me for some time I seized the opportunity to tell her that I would very much like to see her again next day, but she replied that this was impossible, because her mother was not at all well, and she would have to stay beside her. The next day but one, when I was at Elstir′s, he told me how greatly Andrée had been attracted by me; on my protesting: “But it was I who was attracted by her from the start; I asked her to meet me again yesterday, but she could not.” “Yes, I know; she told me all about that,” was his reply, “she was very sorry, but she had promised to go to a picnic, somewhere miles from here. They were to drive over in a break, and it was too late for her to get out of it.” Albeit this falsehood (Andrée knowing me so slightly) was of no real importance, I ought not to have continued to seek the company of a person who was capable of uttering it. For what people have once done they will do again indefinitely, and if you go every year to see a friend who, the first time, was not able to meet you at the appointed place, or was in bed with a chill, you will find him in bed with another chill which he has just caught, you will miss him again at another meeting-place at which he has failed to appear, for a single and unalterable reason in place of which he supposes himself to have various reasons, drawn from the circumstances.
Un des matins qui suivirent celui où Andrée m′avait dit qu′elle était obligée de rester auprès de sa mère, je faisais quelques pas avec Albertine que j′avais aperçue, élevant au bout d′un cordonnet un attribut bizarre qui la faisait ressembler à l′«Idolâtrie» de Giotto; il s′appelle d′ailleurs un «diabolo» et est tellement tombé en désuétude que devant le portrait d′une jeune fille en tenant un, les commentateurs de l′avenir pourront disserter comme devant telle figure allégorique de l′Arêna, sur ce qu′elle a dans la main. Au bout d′un moment, leur amie à l′air pauvre et dur, qui avait ricané le premier jour d′un air si méchant: «Il me fait de la peine ce pauvre vieux» en parlant du vieux monsieur effleuré par les pieds légers d′Andrée, vint dire à Albertine: «Bonjour, je vous dérange». Elle avait ôté son chapeau qui la gênait, et ses cheveux comme une variété végétale ravissante et inconnue reposaient sur son front, dans la minutieuse délicatesse de leur foliation. Albertine, peut-être irritée de la voir tête nue, ne répondit rien, garda un silence glacial malgré lequel l′autre resta, tenue à distance de moi par Albertine qui s′arrangeait à certains instants pour être seule avec elle, à d′autres pour marcher avec moi, en la laissant derrière. Je fus obligé pour qu′elle me présentât de le lui demander devant l′autre. Alors au moment où Albertine me nomma, sur la figure et dans les yeux bleus de cette jeune fille à qui j′avais trouvé un air si cruel quand elle avait dit: «Ce pauvre vieux, y m′fait d′la peine», je vis passer et briller un sourire cordial, aimant, et elle me tendit la main. Ses cheveux étaient dorés, et ne l′étaient pas seuls; car si ses joues étaient roses et ses yeux bleus, c′était comme le ciel encore empourpré du matin où partout pointe et brille l′or. One morning, not long after Andree′s telling me that she would be obliged to stay beside her mother, I was taking a short stroll with Albertine, whom I had found on the beach tossing up and catching again on a cord an oddly shaped implement which gave her a look of Giotto′s ‘Idolatry′; it was called, for that matter, ‘Diabolo,′ and is so fallen into disuse now that, when they come upon the picture of a girl playing with one, the critics of future generations will solemnly discuss, as it might be over one of the allegorical figures in the Arena, what it is that she is holding. A moment later their friend with the penurious and harsh appearance, the same one who on that first day had sneered so malevolently: “I do feel sorry for him, poor old man,” when, she saw the old gentleman′s head brushed by the flying feet of Andrée, came up to Albertine with “Good morning,‘m I disturbing you?” She had taken off her hat, for comfort, and her hair, like a strange and fascinating-plant, lay over her brow, displaying all the delicate tracery of its foliation. Albertine, perhaps because she resented seeing the other bare-headed, made-no reply, preserved a frigid silence in spite of which the girl stayed with us, kept apart from myself by Albertine, who arranged at one moment to be-alone with her, at another to walk with me leaving her to follow. I was obliged, to secure an introduction, to ask for it in the girl′s hearing. Then, as Albertine was uttering my name, on the face and in the blue eyes of this girl, whose expression I had thought so cruel when I heard her say: “Poor old man, I do feel so sorry for him,” I saw gather and gleam a cordial, friendly smile, and she held out her hand. Her hair was golden, and not her hair only; for if her cheeks were pink and her eyes blue it was like the still roseate morning sky which sparkles everywhere with dazzling points of gold.
Prenant feu aussitôt, je me dis que c′était une enfant timide quand elle aimait et que c′était pour moi, par amour pour moi, qu′elle était restée avec nous malgré les rebuffades d′Albertine, et qu′elle avait dû être heureuse de pouvoir m′avouer enfin, par ce regard souriant et bon qu′elle, serait aussi douce avec moi que terrible aux autres. Sans doute m′avait-elle remarqué sur la plage même quand je ne la connaissais pas encore et pensa-t-elle à moi depuis; peut-être était-ce pour se faire admirer de moi qu′elle s′était moquée du vieux monsieur et parce qu′elle ne parvenait pas à me connaître qu′elle avait eu les jours suivants l′air morose. De l′hôtel, je l′avais souvent aperçue le soir se promenant sur la plage. C′était probablement avec l′espoir de me rencontrer. Et maintenant, gênée par la présence d′Albertine autant qu′elle l′eût été par celle de toute la bande, elle ne s′attachait évidemment à nos pas malgré l′attitude de plus en plus froide de son amie que dans l′espoir de rester la dernière, de prendre rendez-vous avec moi pour un moment où elle trouverait moyen de s′échapper sans que sa famille et ses amies le sussent et me donner rendez-vous dans un lieu sûr avant la messe ou après le golf. Il était d′autant plus difficile de la voir qu′Andrée était mal avec elle et la détestait. At once kindled by her flame, I said to myself that this was a child who when in love grew shy, that it was for my sake, from love for me that she had remained with us, despite Albertine′s rebuffs, and that she must have rejoiced in the opportunity to confess to me at last, by that smiling, friendly gaze, that she would be as kind to me as she was terrible to other people. Doubtless she had noticed me on the beach, when I still knew nothing of her, and had been thinking of me ever since; perhaps it had been to win my admiration that she mocked at the old gentleman, and because she had not succeeded in getting to know me that on the following days she appeared so morose. From the hotel I had often seen her, in the evenings, walking by herself on the beach. Probably in the hope of meeting me. And now, hindered as much by Albertine′s presence as she would have been by that of the whole band, she had evidently attached herself to us, braving the increasing coldness of her friend′s attitude, only in the hope of outstaying her, of being left alone with me, when she might make an appointment with me for some time when she would find an excuse to slip away without either her family′s or her friends′ knowing that she had gone, and would meet me in some safe place before church or after golf. It was all the more difficult to see her because Andrée had quarrelled with her and now detested her.
«J′ai supporté longtemps sa terrible fausseté, me dit-elle, sa bassesse, les innombrables crasses qu′elle m′a faites. J′ai tout supporté à cause des autres. Mais le dernier trait a tout fait déborder.» Et elle me raconta un potin qu′avait fait cette jeune fille et qui, en effet, pouvait nuire à Andrée. “I have put up far too long with her terrible dishonesty,” she explained to me, “her baseness; I can′t tell you all the vile insults she has heaped on me. I have stood it all because of the others. But her latest effort was really too much!” And she told me of some foolish thing that this girl had done, which might indeed have injurious consequences to Andrée herself.
Mais les paroles à moi promises par le regard de Gisèle pour le moment où Albertine nous aurait laissés ensemble, ne purent m′être dites, parce qu′Albertine, obstinément placée entre nous deux, ayant continué de répondre de plus en plus brièvement, puis ayant cessé de répondre du tout aux propos de son amie, celle-ci finit par abandonner la place. Je reprochai à Albertine d′avoir été si désagréable. «Cela lui apprendra à être plus discrète. Ce n′est pas une mauvaise fille mais elle est barbante. Elle n′a pas besoin de venir fourrer son nez partout. Pourquoi se colle-t-elle à nous sans qu′on lui demande. Il était moins cinq que je l′envoie paître. D′ailleurs, je déteste qu′elle ait ses cheveux comme ça, ça donne mauvais genre.» Je regardais les joues d′Albertine pendant qu′elle me parlait et je me demandais quel parfum, quel goût elles pouvaient avoir: ce jour-là elle était non pas fraîche, mais lisse, d′un rose uni, violacé, crémeux, comme certaines roses qui ont un vernis de cire. J′étais passionné pour elles comme on l′est parfois pour une espèce de fleurs. «Je ne l′avais pas remarqué», lui répondis-je. «Vous l′avez pourtant assez regardée, on aurait dit que vous vouliez faire son portrait», me dit-elle sans être radoucie par le fait qu′en ce moment ce fût elle-même que je regardais tant. «Je ne crois pourtant pas qu′elle vous plairait. Elle n′est pas flirt du tout. Vous devez aimer les jeunes filles flirt, vous. En tous cas, elle n′aura plus l′occasion d′être collante et de se faire semer, parce qu′elle repart tantôt pour Paris.» «Vos autres amies s′en vont avec elle.» «Non, elle seulement, elle et miss, parce qu′elle a à repasser ses examens, elle va potasser, la pauvre gosse. Ce n′est pas gai je vous assure. Il peut arriver qu′on tombe sur un bon sujet. Le hasard est si grand. Ainsi une de nos amies a eu: «Racontez un accident auquel vous avez assisté». Ça, c′est une veine. Mais je connais une jeune fille qui a eu à traiter (et à l′écrit encore): «D′Alceste ou de Philinte, qui préféreriez-vous avoir comme ami?» Ce que j′aurais séché là-dessus! D′abord en dehors de tout, ce n′est pas une question à poser à des jeunes filles. Les jeunes filles sont liées avec d′autres jeunes filles et ne sont pas censées avoir pour amis des messieurs. (Cette phrase en me montrant que j′avais peu de chance d′être admis dans la petite bande, me fit trembler.) Mais en tous cas, même si la question était posée à des jeunes gens, qu′est-ce que vous voulez qu′on puisse trouver à dire là-dessus? Plusieurs familles ont écrit au Gaulois pour se plaindre de la difficulté de questions pareilles. Le plus fort est que dans un recueil des meilleurs devoirs d′élèves couronnées, le sujet a été traité deux fois d′une façon absolument opposée. Tout dépend de l′examinateur. L′un voulait qu′on dise que Philinte était un homme flatteur et fourbe, l′autre qu′on ne pouvait pas refuser son admiration à Alceste, mais qu′il était par trop acariâtre et que comme ami il fallait lui préférer Philinte. Comment voulez-vous que les malheureuses élèves s′y reconnaissent quand les professeurs ne sont pas d′accord entre eux. Et encore ce n′est rien, chaque année ça devient plus difficile. Gisèle ne pourrait s′en tirer qu′avec un bon coup de piston.» Je rentrai à l′hôtel, ma grand′mère n′y était pas, je l′attendis longtemps; enfin, quand elle rentra, je la suppliai de me laisser aller faire dans des conditions inespérées une excursion qui durerait peut-être quarante-huit heures, je déjeûnai avec elle, commandai une voiture et me fis conduire à la gare. Gisèle ne serait pas étonnée de m′y voir; une fois que nous aurions changé à Doncières, dans le train de Paris, il y avait un wagon couloir où tandis que miss sommeillerait je pourrais emmener Gisèle dans des coins obscurs, prendre rendez-vous avec elle pour ma rentrée à Paris que je tâcherais de rapprocher le plus possible. Selon la volonté qu′elle m′exprimerait, je l′accompagnerais jusqu′à Caen ou jusqu′à Évreux, et reprendrais le train suivant. Tout de même, qu′eût-elle pensé si elle avait su que j′avais hésité longtemps entre elle et ses amies, que tout autant que d′elle j′avais voulu être amoureux d′Albertine, de la jeune fille aux yeux clairs, et de Rosemonde! J′éprouvais des remords, maintenant qu′un amour réciproque allait m′unir à Gisèle. J′aurais pu du reste lui assurer très véridiquement qu′Albertine ne me plaisait plus. Je l′avais vue ce matin s′éloigner en me tournant presque le dos, pour parler à Gisèle. Sur sa tête inclinée d′un air boudeur, ses cheveux qu′elle avait derrière, différents et plus noirs encore, luisaient comme si elle venait de sortir de l′eau. J′avais pensé à une poule mouillée et ces cheveux m′avaient fait incarner en Albertine une autre âme que jusque-là la figure violette et le regard mystérieux. Ces cheveux luisants derrière la tête c′est tout ce que j′avais pu apercevoir d′elle pendant un moment, et c′est cela seulement que je continuais à voir. Notre mémoire ressemble à ces magasins, qui, à leurs devantures, exposent d′une certaine personne, une fois une photographie, une fois une autre. Et d′habitude la plus récente reste quelque temps seule en vue. Tandis que le cocher pressait son cheval, j′écoutais les paroles de reconnaissance et de tendresse que Gisèle me disait, toutes nées de son bon sourire, et de sa main tendue: c′est que dans les périodes de ma vie où je n′étais pas amoureux et où je désirais de l′être, je ne portais pas seulement en moi un idéal physique de beauté qu′on a vu, que je reconnaissais de loin dans chaque passante assez éloignée pour que ses traits confus ne s′opposassent pas à cette identification, mais encore le fantôme moral — toujours prêt à être incarné — de la femme qui allait être éprise de moi, me donner la réplique dans la comédie amoureuse que j′avais tout écrite dans ma tête depuis mon enfance et que toute jeune fille aimable me semblait avoir la même envie de jouer, pourvu qu′elle eût aussi un peu le physique de l′emploi. De cette pièce, quelle que fût la nouvelle «étoile» que j′appelais à créer ou à reprendre le rôle, le scénario, les péripéties, le texte même, gardaient une forme ne varietur. But those private words promised me by Gisèle′s confiding eyes for the moment when Albertine should have left us by ourselves, were destined never to be spoken, because after Albertine, stubbornly planted between us, had answered with increasing curtness, and finally had ceased to respond at all to her friend′s remarks, Gisèle at length abandoned the attempt and turned back. I found fault with Albertine for having been so disagreeable. “It will teach her to be more careful how she behaves. She′s not a bad kid, but she′d talk the head off a donkey. She′s no business, either, to go poking her nose into everything. Why should she fasten herself on to us without being asked? In another minute, I′d have told her to go to blazes. Besides I can′t stand her going about with her hair like that; it′s such bad form.” I gazed at Albertine′s cheeks as she spoke, and asked myself what might be the perfume, the taste of them: this time they were not cool, but glowed with a uniform pink, violet-tinted, creamy, like certain roses whose petals have a waxy gloss. I felt a passionate longing for them such as one feels sometimes for a particular flower. “I hadn′t noticed it,” was all that I said. “You stared at her hard enough; anyone would have said you wanted to paint her portrait,” she scolded, not at all softened by the fact that it was at herself that I was now staring so fixedly. “I don′t believe you would care for her, all the same. She′s not in the least a flirt. You like little girls who flirt with you, I know. Anyhow, she won′t have another chance of fastening on to us and being sent about her business; she′s going off to-day to Paris.” “Are the rest of your friends going too?” “No; only she and ‘Miss,′ because she′s got an exam, coming; she′s got to stay at home and swot for it, poor kid. It′s not much fun for her, I don′t mind telling you. Of course, you may be set a good subject, you never know. But it′s a tremendous risk. One girl I know was asked: Describe an accident that you have witnessed. That was a piece of luck. But I know another girl who got: State which you would rather have as a friend, Alceste or Philinte. I′m sure I should have dried up altogether! Apart from everything else, it′s not a question to set to girls. Girls go about with other girls; they′re not supposed to have gentlemen friends.” (This announcement, which shewed that I had but little chance of being admitted to the companionship of the band, froze my blood.) “But in any case, supposing it was set to boys, what on earth would you expect them to say to a question like that? Several parents wrote to the Gaulois, to complain of the difficult questions that were being set. The joke of it is that in a collection of prize-winning essays they gave two which treated the question in absolutely opposite ways. You see, it all depends on which examiner you get. One would like you to say that Philinte was a flatterer and a scoundrel, the other that you couldn′t help admiring Alceste, but that he was too cantankerous, and that as a friend you ought to choose Philinte. How can you expect a lot of unfortunate candidates to know what to say when the professors themselves can′t make up their minds. But that′s nothing. They get more difficult every year. Gisèle will want all her wits about her if she′s to get through.” I returned to the hotel. My grandmother was not there. I waited for her for some time; when at last she appeared, I begged her to allow me, in quite unexpected circumstances, to make an expedition which might keep me away for a couple of days. I had luncheon with her, ordered a carriage and drove to the station. Gisèle would shew no surprise at seeing me there. After we had changed at Doncières, in the Paris train, there would be a carriage with a corridor, along which, while the governess dozed, I should be able to lead Gisèle into dark corners, and make an appointment to meet her on my return to Paris, which I would then try to put forward to the earliest possible date. I would travel with her as far as Caen or Evreux, whichever she preferred, and would take the next train back to Balbec. And yet, what would she have thought of me had she known that I had hesitated for a long time between her and her friends, that quite as much as with her I had contemplated falling in love with Albertine, with the bright-eyed girl, with Rosemonde. I felt a pang of remorse now that a bond of mutual affection was going to unite me with Gisèle. I could, moreover, truthfully have assured her that Albertine no longer interested me. I had seen her that morning as she swerved aside, almost turning her back on me, to speak to Gisèle. On her head, which was bent sullenly over her bosom, the hair that grew at the back, different from and darker even than the rest, shone as though she had just been bathing. “Like a dying duck in a thunderstorm!” I thought to myself, this view of her hair having let into Albertine′s body a soul entirely different from that implied hitherto by her glowing complexion and mysterious gaze. That shining cataract of hair at the back of her head had been for a moment or two all that I was able to see of her, and continued to be all that I saw in retrospect. Our memory is like a shop in the window of which is exposed now one, now another photograph of the same person. And as a rule the most recent exhibit remains for some time the only one to be seen. While the coachman whipped on his horse I sat there listening to the words of gratitude and affection which Gisèle was murmuring in my ear, born, all of them, of her friendly smile and outstretched hand, the fact being that in those periods of my life in which I was not actually, but desired to be in love, I carried in my mind not only an ideal form of beauty once seen, which I recognised at a glance in every passing stranger who kept far enough from me for her confused features to resist any attempt at identification, but also the moral phantom — ever ready to be incarnate — of the woman who was going to fall in love with me, to take up her cues in the amorous comedy which I had had written out in my mind from my earliest boyhood, and in which every nice girl seemed to me to be equally desirous of playing, provided that she had also some of the physical qualifications required. In this play, whoever the new star might be whom I invited to create or to revive the leading part, the plot, the incidents, the lines themselves preserved an unalterable form.
Quelques jours plus tard, malgré le peu d′empressement qu′Albertine avait mis à nous présenter, je connaissais toute la petite bande du premier jour, restée au complet à Balbec (sauf Gisèle, qu′à cause d′un arrêt prolongé devant la barrière de la gare, et un changement dans l′horaire, je n′avais pu rejoindre au train, parti cinq minutes avant mon arrivée, et à laquelle d′ailleurs je ne pensais plus) et en plus deux ou trois de leurs amies qu′à ma demande elles me firent connaître. Et ainsi l′espoir du plaisir que je trouverais avec une jeune fille nouvelle venant d′une autre jeune fille par qui je l′avais connue, la plus récente était alors comme une de ces variétés de roses qu′on obtient grâce à une rose d′une autre espèce. Et remontant de corolle en corolle dans cette chaîne de fleurs, le plaisir d′en connaître une différente me faisait retourner vers celle à qui je la devais, avec une reconnaissance mêlée d′autant de désir que mon espoir nouveau. Bientôt je passai toutes mes journées avec ces jeunes filles. Within the next few days, in spite of the reluctance that Albertine had shewn from introducing me to them, I knew all the little band of that first afternoon (except Gisèle, whom, owing to a prolonged delay at the level crossing by the station and a change in the time-table, I had not succeeded in meeting on the train, which had been gone some minutes before I arrived, and to whom as it happened I never gave another thought), and two or three other girls as well to whom at my request they introduced me. And thus, my expectation of the pleasure which I should find in a new girl springing from another girl through whom I had come to know her, the latest was like one of those new varieties of rose which gardeners get by using first a rose of another kind. And as I passed from blossom to blossom along this flowery chain, the pleasure of knowing one that was different would send me back to her to whom I was indebted for it, with a gratitude in which desire was mingled fully as much as in my new expectation. Presently I was spending all my time among these girls.
Hélas! dans la fleur la plus fraîche on peut distinguer les points imperceptibles qui pour l′esprit averti dessinent déjà ce qui sera, par la dessiccation ou la fructification des chairs aujourd′hui en fleur, la forme immuable et déjà prédestinée de la graine. On suit avec délices un nez pareil à une vaguelette qui enfle délicieusement une eau matinale et qui semble immobile, dessinable, parce que la mer est tellement calme qu′on ne perçoit pas la marée. Les visages humains ne semblent pas changer au moment qu′on les regarde parce que la révolution qu′ils accomplissent est trop lente pour que nous la percevions. Mais il suffisait de voir à côté de ces jeunes filles leur mère ou leur tante, pour mesurer les distances que sous l′attraction interne d′un type généralement affreux, ces traits auraient traversées dans moins de trente ans, jusqu′à l′heure du déclin des regards, jusqu′à celle où le visage passé tout entier au-dessous de l′horizon, ne reçoit plus de lumière. Je savais que aussi profond, aussi inéluctable que le patriotisme juif, ou l′atavisme chrétien chez ceux qui se croient le plus libérés de leur race, habitait sous la rose inflorescence d′Albertine, de Rosemonde, d′Andrée, inconnus à elles-mêmes, tenu en réserve pour les circonstances, un gros nez, une bouche proéminente, un embonpoint qui étonnerait mais était en réalité dans la coulisse, prêt à entrer en scène, tout comme tel dreyfusisme, tel cléricalisme soudain, imprévu, fatal, tel héroî²­e nationaliste et féodal, soudainement issus à l′appel des circonstances d′une nature antérieure à l′individu lui-même, par laquelle il pense, vit, évolue, se fortifie ou meurt, sans qu′il puisse la distinguer des mobiles particuliers qu′il prend pour elle. Même mentalement, nous dépendons des lois naturelles beaucoup plus que nous ne croyons et notre esprit possède d′avance comme certain cryptogame, comme telle graminée, les particularités que nous croyons choisir. Mais nous ne saisissons que les idées secondes sans percevoir la cause première (race juive, famille française, etc.) qui les produisait nécessairement et que nous manifestons au moment voulu. Et peut-être, alors que les unes nous paraissent le résultat d′une délibération, les autres d′une imprudence dans notre hygiène, tenons-nous de notre famille, comme les papillonacées la forme de leur graine, aussi bien les idées dont nous vivons que la maladie dont nous mourrons. Alas! in the freshest flower it is possible to discern those just perceptible signs which to the instructed mind indicate already what will be, by the desiccation or fructification of the flesh that is to-day in bloom, the ultimate form, immutable and already predestinate, of the autumnal seed. The eye rapturously follows a nose like a wavelet that deliriously curls the water′s face at daybreak and seems not to move, to be capturable by the pencil, because the sea is so calm then that one does not notice its tidal flow. Human faces seem not to change while we are looking at them, because the revolution which they perform is too slow for us to perceive it. But we have only to see, by the side of any of those girls, her mother or her aunt, to realise the distance over which, obeying the gravitation of a type that is, generally speaking, deplorable, her features will have travelled in less than thirty years, and must continue to travel until the sunset hour, until her face, having vanished altogether below the horizon, catches the light no more. I knew that, as deep, as ineluctable as is their Jewish patriotism or Christian atavism in those who imagine themselves to be the most emancipated of their race, there dwelt beneath the rosy inflorescence of Albertine, Rosemonde, Andrée, unknown to themselves, held in reserve until the circumstances should arise, a coarse nose, a protruding jaw, a bust that would create a sensation when it appeared, but was actually in the wings, ready to “come on,” just as it might be a burst of Dreyfusism, or clericalism, sudden, unforeseen, fatal, some patriotic, some feudal form of heroism emerging suddenly when the circumstances demand it from a nature anterior to that of the man himself, by means of which he thinks, lives, evolves, gains strength himself or dies, without ever being able to distinguish that nature from the successive phases which in turn he takes for it. Even mentally, we depend a great deal more than we think upon natural laws, and our mind possesses already, like some cryptogamous plant, every little peculiarity that we imagine ourselves to be selecting. For we can see only the derived ideas, without detecting the primary cause (Jewish blood, French birth or whatever it may be) that inevitably produced them, and which at a given moment we expose. And perhaps, while the former appear to us to be the result of deliberate thought, the latter that of an imprudent disregard for our own health, we take from our family, as the papilionaceae take the form of their seed, as well the ideas by which we live as the malady from which we shall die.
Comme sur un plant où les fleurs mûrissent à des époques différentes, je les avais vues, en de vieilles dames, sur cette plage de Balbec, ces dures graines, ces mous tubercules, que mes amies seraient un jour. Mais qu′importait? en ce moment c′était la saison des fleurs. Aussi quand Mme de Villeparisis m′invitait à une promenade, je cherchais une excuse pour n′être pas libre. Je ne fis de visites à Elstir que celles où mes nouvelles amies m′accompagnèrent. Je ne pus même pas trouver un après-midi pour aller à Doncières voir Saint-Loup, comme je le lui avais promis. Les réunions mondaines, les conversations sérieuses, voire une amicale causerie, si elles avaient pris la place de mes sorties avec ces jeunes filles, m′eussent fait le même effet qui si à l′heure du déjeuner on nous emmenait non pas manger, mais regarder un album. Les hommes, les jeunes gens, les femmes vieilles ou mûres, avec qui nous croyons nous plaire, ne sont portés pour nous que sur une plane et inconsistante superficie parce que nous ne prenons conscience d′eux que par la perception visuelle réduite à elle-même; mais c′est comme déléguée des autres sens qu′elle se dirige vers les jeunes filles; ils vont chercher l′une derrière l′autre les diverses qualités odorantes, tactiles, savoureuses, qu′ils goûtent ainsi même sans le secours des mains et des lèvres; et, capables, grâce aux arts de transposition, au génie de synthèse où excelle le désir, de restituer sous la couleur des joues ou de la poitrine, l′attouchement, la dégustation, les contacts interdits, ils donnent à ces filles la même consistance mielleuse qu′ils font quand ils butinent dans une roseraie, ou dans une vigne dont ils mangent des yeux les grappes. As on a plant whose flowers open at different seasons, I had seen, expressed in the form of old ladies, on this Balbec shore, those shrivelled seed-pods, those flabby tubers which my friends would one day be. But what matter? For the moment it was their flowering-time. And so when Mme. de Villeparisis asked me to drive with her I sought an excuse to be prevented. I never went to see Elstir unless accompanied by my new friends. I could not even spare an afternoon to go to Doncières, to pay the visit I had promised Saint-Loup. Social engagements, serious discussions, even a friendly conversation, had they usurped the place allotted to my walks with these girls, would have had the same effect on me as if, when the luncheon bell rang, I had been taken not to a table spread with food but to turn the pages of an album. The men, the youths, the women, old or mature, whose society we suppose that we shall enjoy, are borne by us only on an unsubstantial plane surface, because we are conscious of them only by visual perception restricted to its own limits; whereas it is as delegates from our other senses that our eyes dart towards young girls; the senses follow, one after another, in search of the various charms, fragrant, tactile, savoury, which they thus enjoy even without the aid of fingers and lips; and able, thanks to the art of transposition, the genius for synthesis in which desire excels, to reconstruct beneath the hue of cheeks or bosom the feel, the taste, the contact that is forbidden them, they give to these girls the same honeyed consistency as they create when they stand rifling the sweets of a rose-garden, or before a vine whose clusters their eyes alone devour.
S′il pleuvait, bien que le mauvais temps n′effrayât pas Albertine qu′on voyait souvent dans son caoutchouc, filer en bicyclette sous les averses, nous passions la journée dans le casino où il m′eût paru ces jours-là impossible de ne pas aller. J′avais le plus grand mépris pour les demoiselles d′Ambresac qui n′y étaient jamais entrées. Et j′aidais volontiers mes amies à jouer de mauvais tours au professeur de danse. Nous subissions généralement quelques admonestations du tenancier ou des employés usurpant un pouvoir directorial parce que mes amies, même Andrée qu′à cause de cela j′avais cru le premier jour une créature si dionysiaque et qui était au contraire frêle, intellectuelle, et cette année-là fort souffrante, mais qui obéissait malgré cela moins à l′état de sa santé qu′au génie de cet âge qui emporte tout et confond dans la gaîté les malades et les vigoureux, ne pouvaient pas aller au vestibule à la salle des fêtes, sans prendre leur élan, sauter par-dessus toutes les chaises, revenir sur une glissade en gardant leur équilibre par un gracieux mouvement de bras, en chantant, mêlant tous les arts, dans cette première jeunesse, à la façon de ces poètes des anciens âges pour qui les genres ne sont pas encore séparés, et qui mêlent dans un poème épique les préceptes agricoles aux enseignements théologiques. If it rained, although the weather had no power to daunt Albertine, who was often to be seen in her waterproof spinning on her bicycle through the driving showers, we would spend the day in the Casino, where on such days it would have seemed to me impossible not to go. I had the greatest contempt for the young Ambresacs, who had never set foot in it. And I willingly joined my friends in playing tricks on the dancing master. As a rule we had to listen to admonition from the manager, or from some of his staff, usurping dictatorial powers, because my friends, even Andrée herself, whom on that account I had regarded when I first saw her as so dionysiac a creature, whereas in reality she was delicate, intellectual, and this year far from well, in spite of which her actions were controlled less by the state of her health than by the spirit of that age which overcomes every other consideration and confounds in a general gaiety the weak with the strong, could not enter the outer hall of the rooms without starting to run, jumping over all the chairs, sliding back along the floor, their balance maintained by a graceful poise of their outstretched arms, singing the while, mingling all the arts, in that first bloom of youth, in the manner of those poets of ancient days for whom the different ‘kinds′ were not yet separate, so that in an epic poem they would introduce rules of agriculture with theological doctrine.
Cette Andrée qui m′avait paru la plus froide le premier jour était infiniment plus délicate, plus affectueuse, plus fine qu′Albertine à qui elle montrait une tendresse caressante et douce de grande sur. Elle venait au casino s′asseoir à côté de moi et savait — au contraire d′Albertine — refuser un tour de valse ou même si j′étais fatigué renoncer à aller au casino pour venir à l′hôtel. Elle exprimait son amitié pour moi, pour Albertine, avec des nuances qui prouvaient la plus délicieuse intelligence des choses du cur, laquelle était peut-être due en partie à son état maladif. Elle avait toujours un sourire gai pour excuser l′enfantillage d′Albertine qui exprimait avec une violence naîµ¥ la tentation irrésistible qu′offraient pour elle des parties de plaisir auxquelles elle ne savait pas, comme Andrée, préférer résolument de causer avec moi . . . Quand l′heure d′aller à un goûter donné au golf approchait, si nous étions tous ensemble à ce moment-là, elle se préparait, puis venant à Andrée: «Hé bien, Andrée, qu′est-ce que tu attends pour venir, tu sais que nous allons goûter au golf.» «Non, je reste à causer avec lui», répondait Andrée en me désignant. «Mais tu sais que Madame Durieux t′a invitée», s′écriait Albertine, comme si l′intention d′Andrée de rester avec moi ne pouvait s′expliquer que par l′ignorance où elle devait être qu′elle avait été invitée. «Voyons, ma petite, ne sois pas tellement idiote», répondait Andrée. Albertine n′insistait pas, de peur qu′on lui proposât de rester aussi. Elle secouait la tête: «Fais à ton idée, répondait-elle, comme on dit à un malade qui par plaisir se tue à petit feu, moi je me trotte, car je crois que ta montre retarde», et elle prenait ses jambes à son cou. «Elle est charmante, mais inou#187;, disait Albertine en enveloppant son amie d′un sourire qui la caressait et la jugeait à la fois. Si, en ce goût du divertissement Albertine avait quelque chose de la Gilberte des premiers temps c′est qu′une certaine ressemblance existe tout en évoluant, entre les femmes que nous aimons successivement, ressemblance qui tient à la fixité de notre tempérament parce que c′est lui qui les choisit, éliminant toutes celles qui ne nous seraient pas à la fois opposées et complémentaires, c′est-à-dire propres à satisfaire nos sens et à faire souffrir notre cur. Elles sont, ces femmes, un produit de notre tempérament, une image, une projection renversée, un «négatif» de notre sensibilité. De sorte qu′un romancier pourrait au cours de la vie de son héros, peindre presque exactement semblables ses successives amours, et donner par là l′impression non de s′imiter lui-même mais de créer, puisqu′il y a moins de force dans une innovation artificielle que dans une répétition destinée à suggérer une vérité neuve. Encore devrait-il noter dans le caractère de l′amoureux, un indice de variation qui s′accuse au fur et à mesure qu′on arrive dans de nouvelles régions, sous d′autres latitudes de la vie. Et peut-être exprimerait-il encore une vérité de plus si, peignant pour ses autres personnages des caractères, il s′abstenait d′en donner aucun à la femme aimée. Nous connaissons le caractère des indifférents, comment pourrions-nous saisir celui d′un être qui se confond avec notre vie, que bientôt nous ne séparons plus de nous-même, sur les mobiles duquel nous ne cessons de faire d′anxieuses hypothèses, perpétuellement remaniées. S′élançant d′au delà de l′intelligence, notre curiosité de la femme que nous aimons, dépasse dans sa course, le caractère de cette femme, nous pourrions nous y arrêter que sans doute nous ne le voudrions pas. L′objet de notre inquiète investigation est plus essentiel que ces particularités de caractère, pareilles à ces petits losanges d′épiderme dont les combinaisons variées font l′originalité fleurie de la chair. Notre radiation intuitive les traverse et les images qu′elle nous rapporte ne sont point celles d′un visage particulier mais représentent la morne et douloureuse universalité d′un squelette. This Andrée who had struck me when I first saw them as the coldest of them all, was infinitely more refined, more loving, more sensitive than Albertine, to whom she displayed the caressing, gentle affection of an elder sister. At the Casino she would come across the floor to sit down by me, and knew instinctively, unlike Albertine, to refuse my invitation to dance, or even, if I was tired, to give up the Casino and come to me instead at the hotel. She expressed her friendship for me, for Albertine, in terms which were evidence of the most exquisite understanding of the things of the heart, which may have been partly due to the state of her health. She had always a merry smile of excuse for the childish behaviour of Albertine, who expressed with a crude violence the irresistible temptation held out to her by the parties and picnics to which she had not the sense, like Andrée, resolutely to prefer staying and talking with me. When the time came for her to go off to a luncheon party at the golf-club, if we were all three together she would get ready to leave us, then, coming up to Andrée: “Well, Andrée, what are you waiting for now? You know we are lunching at the golf-club.” “No; I′m going to stay and talk to him,” replied Andrée, pointing to me. “But you know, Mme. Durieux invited you,” cried Albertine, as if Andree′s intention to remain with me could be explained only by ignorance on her part where else and by whom she had been bidden. “Look here, my good girl, don′t be such an idiot,” Andrée chid her. Albertine did not insist, fearing a suggestion that she too should stay with me. She tossed her head. “Just as you like,” was her answer, uttered in the tone one uses to an invalid whose self-indulgence is killing him by inches, “I must fly; I′m sure your watch is slow,” and off she went. “She is a dear girl, but quite impossible,” said Andrée, bathing her friend in a smile at once caressing and critical. If in this craze for amusement Albertine might be said to echo something of the old original Gilberte, that is because a certain similarity exists, although the type evolves, between all the women we love, a similarity that is due to the fixity of our own temperament, which it is that chooses them, eliminating all those who would not be at once our opposite and our complement, fitted that is to say to gratify our senses and to wring our heart. They are, these women, a product of our temperament, an image inversely projected, a negative of our sensibility. So that a novelist might, in relating the life of his hero, describe his successive love-affairs in almost exactly similar terms, and thereby give the impression not that he was repeating himself but that he was creating, since an artificial novelty is never so effective as a repetition that manages to suggest a fresh truth. He ought, moreover, to indicate in the character of the lover a variability which becomes apparent as the story moves into fresh regions, into different latitudes of life. And perhaps he would be stating yet another truth if while investing all the other persons of his story with distinct characters he refrained from giving any to the beloved. We understand the characters of people who do not interest us; how can we ever grasp that of a person who is an intimate part of our existence, whom after a little we no longer distinguish in any way from ourselves, whose motives provide us with an inexhaustible supply of anxious hypotheses which we perpetually reconstruct. Springing from somewhere beyond our understanding, our curiosity as to the woman whom we love overleaps the bounds of that woman′s character, which we might if we chose but probably will not choose to stop and examine. The object of our uneasy investigation is something more essential than those details of character comparable to the tiny particles of epidermis whose varied combinations form the florid originality of human flesh. Our intuitive radiography pierces them, and the images which it photographs for us, so far from being those of any single face, present rather the joyless universality of a skeleton.
Comme Andrée était extrêmement riche, Albertine pauvre et orpheline, Andrée avec une grande générosité la faisait profiter de son luxe. Quant à ses sentiments pour Gisèle ils n′étaient pas tout à fait ceux que j′avais crus. On eut en effet bientôt des nouvelles de l′étudiante et quand Albertine montra la lettre qu′elle en avait reçue, lettre destinée par Gisèle à donner des nouvelles de son voyage et de son arrivée à la petite bande, en s′excusant sur sa paresse de ne pas écrire encore aux autres, je fus surpris d′entendre Andrée, que je croyais brouillée à mort avec elle, dire: «Je lui écrirai demain, parce que si j′attends sa lettre d′abord, je peux attendre longtemps, elle est si négligente.» Et se tournant vers moi elle ajouta: «Vous ne la trouveriez pas très remarquable évidemment, mais c′est une si brave fille et puis j′ai vraiment une grande affection pour elle.» Je conclus que les brouilles d′Andrée ne duraient pas longtemps. Andrée, being herself extremely rich while the other was penniless and an orphan, with real generosity lavished on Albertine the full benefit of her wealth. As for her feelings towards Gisèle, they were not quite what I had been led to suppose. News soon reached us of the young student, and when Albertine handed round the letter she had received, a letter intended by Gisèle to give an account of her journey and to report her safe arrival to the little band, pleading laziness as an excuse for not having written yet to the rest, I was surprised to hear Andrée (for I imagined an irreparable breach between them) say: “I shall write to her to-morrow, because if I wait for her to write I may have to wait for years, she′s such a slacker.” And, turning to myself, she added: “You saw nothing much in her, evidently; but she′s a jolly nice girl, and besides I′m really very fond of her.” From which I concluded that Andrée′s quarrels were apt not to last very long.
Sauf ces jours de pluie, comme nous devions aller en bicyclette sur la falaise ou dans la campagne, une heure d′avance je cherchais à me faire beau et gémissais si Françoise n′avait pas bien préparé mes affaires. Or, même à Paris, elle redressait fièrement et rageusement sa taille que l′âge commençait à courber, pour peu qu′on la trouvât en faute, elle humble, elle modeste et charmante quand son amour-propre était flatté. Comme il était le grand ressort de sa vie, la satisfaction et la bonne humeur de Françoise étaient en proportion directe de la difficulté des choses qu′on lui demandait. Celles qu′elle avait à faire à Balbec étaient si aisées qu′elle montrait presque toujours un mécontentement qui était soudain centuplé et auquel s′alliait une ironique expression d′orgueil quand je me plaignais, au moment d′aller retrouver mes amies, que mon chapeau ne fût pas brossé, ou mes cravates en ordre. Elle qui pouvait se donner tant de peine sans trouver pour cela qu′elle eût rien fait, à la simple observation qu′un veston n′était pas à sa place, non seulement elle vantait avec quel soin elle l′avait «renfermé plutôt que non pas le laisser à la poussière», mais prononçant un éloge en règle de ses travaux, déplorait que ce ne fussent guère des vacances qu′elle prenait à Balbec, qu′on ne trouverait pas une seconde personne comme elle pour mener une telle vie. «Je ne comprends pas comment qu′on peut laisser ses affaires comme ça et allez-y voir si une autre saurait se retrouver dans ce pêle et mêle. Le diable lui-même y perdrait son latin.» Ou bien elle se contentait de prendre un visage de reine, me lançant des regards enflammés, et gardait un silence rompu aussitôt qu′elle avait fermé la porte et s′était engagée dans le couloir; il retentissait alors de propos que je devinais injurieux, mais qui restaient aussi indistincts que ceux des personnages qui débitent leurs premières paroles derrière le portant avant d′être entrés en scène. D′ailleurs, quand je me préparais ainsi à sortir avec mes amies, même si rien ne manquait et si Françoise était de bonne humeur elle se montrait tout de même insupportable. Car se servant de plaisanteries que dans mon besoin de parler de ces jeunes filles je lui avais faites sur elles, elle prenait un air de me révéler ce que j′aurais mieux su qu′elle si cela avait été exact, mais ce qui ne l′était pas car Françoise avait mal compris. Elle avait comme tout le monde son caractère propre; une personne ne ressemble jamais à une voie droite, mais nous étonne de ses détours singuliers et inévitables dont les autres ne s′aperçoivent pas et par où il nous est pénible d′avoir à passer. Chaque fois que j′arrivais au point: «Chapeau pas en place», «nom d′Andrée ou d′Albertine», j′étais obligé par Françoise de m′égarer dans les chemins détournés et absurdes qui me retardaient beaucoup. Il en était de même quand je faisais préparer des sandwichs au chester et à la salade et acheter des tartes que je mangerais à l′heure du goûter, sur la falaise, avec ces jeunes filles et qu′elles auraient bien pu payer à tour de rôle si elles n′avaient été aussi intéressées, déclarait Françoise au secours de qui venait alors tout un atavisme de rapacité et de vulgarité provinciales et pour laquelle on eût dit que l′âme divisée de la défunte Eulalie s′était incarnée plus gracieusement qu′en Saint-Eloi, dans les corps charmants de mes amies de la petite bande. J′entendais ces accusations avec la rage de me sentir buter à un des endroits à partir desquels le chemin rustique et familier qu′était le caractère de Françoise devenait impraticable, pas pour longtemps heureusement. Puis le veston retrouvé et les sandwichs prêts, j′allais chercher Albertine, Andrée, Rosemonde, d′autres parfois, et, à pied ou en bicyclette, nous partions. Except on these rainy days, as we had always arranged to go on our bicycles along the cliffs, or on an excursion inland, an hour or so before it was time to start I would go upstairs to make myself smart and would complain if Françoise had not laid out all the things that I wanted. Now even in Paris she would proudly, angrily straighten a back which the years had begun to bend, at the first word of reproach, she so humble, she so modest and charming when her self-esteem was flattered. As this was the mainspring of her life: her satisfaction, her good humour were in direct ratio to the difficulty of the tasks imposed on her. Those which she had to perform at Balbec were so easy that she shewed almost all the time a discontent which was suddenly multiplied an hundredfold, with the addition of an ironic air of offended dignity when I complained, on my way down to join my friends, that my hat had not been brushed or my ties sorted. She who was capable of taking such endless pains, without in consequence assuming that she had done anything at all, on my simply remarking that a coat was not in its proper place, not only did she boast of the care with which she had “put it past sooner than let it go gathering the dust,” but, paying a formal tribute to her own labours, lamented that it was little enough of a holiday that she was getting at Balbec, and that we would not find another person in the whole world who would consent to put up with such treatment. “I can′t think how anyone can leave things lying about the way you do; you just try and get anyone else to find what you want in such a mix-up. The devil himself would give it up as a bad job.” Or else she would adopt a regal mien, scorching me with her fiery glance, and preserve a silence that was broken as soon as she had fastened the door behind her and was outside in the passage, which would then reverberate with utterances which I guessed to be insulting, though they remained as indistinct as those of characters in a play whose opening lines are spoken in the wings, before they appear on the stage. And even if nothing was missing and Françoise was in a good temper, still she made herself quite intolerable when I was getting ready to go out with my friends. For, drawing upon a store of stale witticisms at their expense which, in my need to be talking about the girls, I had made in her hearing, she put on an air of being about to reveal to me things of which I should have known more than she had there been any truth in her statements, which there never was, Françoise having misunderstood what she had heard. She had, like most people, her own ways; a person is never like a straight highway, but surprises us with the strange, unavoidable windings of his course through life, by which, though some people may not notice them, we find it a perpetual annoyance to be stopped and hindered. Whenever I arrived at the stage of “Where is my hat?” or uttered the name of Andrée or Albertine, I was forced by Françoise to stray into endless and absurd side-tracks which greatly delayed my progress. So too when I asked her to cut me the sandwiches of cheese or salad, or sent her out for the cakes which I was to eat while we rested on the cliffs, sharing them with the girls, and which the girls “might very well have taken turns to provide, if they had not been so close,” declared Françoise, to whose aid there came at such moments a whole heritage of atavistic peasant rapacity and coarseness, and for whom one would have said that the soul of her late enemy Eulalie had been broken into fragments and reincarnate, more attractively than it had ever been in Saint-Eloi′s, in the charming bodies of my friends of the little band. I listened to these accusations with a dull fury at finding myself brought to a standstill at one of those places beyond which the well-trodden country path that was Françoise′s character became impassable, though fortunately never for very long. Then, my hat or coat found and the sandwiches ready, I sailed out to find Albertine, Andrée, Rosemonde, and any others there might be, and on foot or on our bicycles we would start.
Autrefois j′eusse préféré que cette promenade eût lieu par le mauvais temps. Alors je cherchais à retrouver dans Balbec «le pays des Cimmériens», et de belles journées étaient une chose qui n′aurait pas dû exister là, une intrusion du vulgaire été des baigneurs dans cette antique région voilée par les brumes. Mais maintenant, tout ce que j′avais dédaigné, écarté de ma vue, non seulement les effets de soleil, mais même les régates, les courses de chevaux, je l′eusse recherché avec passion pour la même raison qu′autrefois je n′aurais voulu que des mers tempétueuses, et qui était qu′elles se rattachaient, les unes comme autrefois les autres à une idée esthétique. C′est qu′avec mes amies nous étions quelquefois allés voir Elstir, et les jours où les jeunes filles étaient là, ce qu′il avait montré de préférence, c′était quelques croquis d′après de jolies yachtswomen ou bien une esquisse prise sur un hippodrome voisin de Balbec. J′avais d′abord timidement avoué à Elstir que je n′avais pas voulu aller aux réunions qui y avaient été données. «Vous avez eu tort, me dit-il, c′est si joli et si curieux aussi. D′abord cet être particulier, le jockey, sur lequel tant de regards sont fixés, et qui devant le paddock est là morne, grisâtre dans sa casaque éclatante, ne faisant qu′un avec le cheval caracolant qu′il ressaisit, comme ce serait intéressant de dégager ses mouvements professionnels, de montrer la tache brillante qu′il fait et que fait aussi la robe des chevaux, sur le champ de courses. Quelle transformation de toutes choses dans cette immensité lumineuse d′un champ de courses où on est surpris par tant d′ombres, de reflets, qu′on ne voit que là. Ce que les femmes peuvent y être jolies! La première réunion surtout était ravissante, et il y avait des femmes d′une extrême élégance, dans une lumière humide, hollandaise, où l′on sentait monter dans le soleil même, le froid pénétrant de l′eau. Jamais je n′ai vu de femmes arrivant en voiture, ou leurs jumelles aux yeux, dans une pareille lumière qui tient sans doute à l′humidité marine. Ah! que j′aurais aimé la rendre; je suis revenu de ces courses, fou, avec un tel désir de travailler!» Puis il s′extasia plus encore sur les réunions du yachting que sur les courses de chevaux et je compris que des régates, que des meetings sportifs où des femmes bien habillées baignent dans la glauque lumière d′un hippodrome marin, pouvaient être pour un artiste moderne motifs aussi intéressants que les fêtes qu′ils aimaient tant à décrire pour un Véronèse ou un Carpaccio. «Votre comparaison est d′autant plus exacte, me dit Elstir, qu′à cause de la ville où ils peignaient, ces fêtes étaient pour une part nautiques. Seulement, la beauté des embarcations de ce temps-là résidait le plus souvent dans leur lourdeur, dans leur complication. Il y avait des joutes sur l′eau, comme ici, données généralement en l′honneur de quelque ambassade pareille à celle que Carpaccio a représentée dans la Légende de Sainte Ursule. Les navires étaient massifs, construits comme des architectures, et semblaient presque amphibies comme de moindres Venises au milieu de l′autre, quand amarrés à l′aide de ponts volants, recouverts de satin cramoisi et de tapis persans ils portaient des femmes en brocart cerise ou en damas vert, tout près des balcons inscrustés de marbres multicolores où d′autres femmes se penchaient pour regarder, dans leurs robes aux manches noires à crevés blancs serrés de perles ou ornés de guipures. On ne savait plus où finissait la terre, où commençait l′eau, qu′est-ce qui était encore le palais ou déjà le navire, la caravelle, la galéasse, le Bucentaure.» Albertine écoutait avec une attention passionnée ces détails de toilette, ces images de luxe que nous décrivait Elstir. «Oh! je voudrais bien voir les guipures dont vous me parlez, c′est si joli le point de Venise, s′écriait-elle; d′ailleurs j′aimerais tant aller à Venise.» In the old days I should have preferred our excursion to be made in bad weather. For then I still looked to find in Balbec the ‘Cimmerians′ land,′ and fine days were a thing that had no right to exist there, an intrusion of the vulgar summer of seaside holiday-makers into that ancient region swathed in eternal mist. But now, everything that I had hitherto despised, shut out of my field of vision, not only effects of sunlight upon sea and shore, but even the regattas, the race-meetings, I would have sought out with ardour, for the reason for which formerly I had wanted only stormy seas, which was that these were now associated in my mind, as the others had been, with an aesthetic idea. Because I had gone several times with my new friends to visit Elstir, and, on the days when the girls were there, what he had selected to shew us were drawings of pretty women in yachting dress, or else a sketch made on a race-course near Balbec. I had at first shyly admitted to Elstir that I had not felt inclined to go to the meetings that were being held there. “You were wrong,” he told me, “it is such a pretty sight, and so well worth seeing. For one thing, that peculiar animal, the jockey, on whom so many eager eyes are fastened, who in the paddock there looks so grim, a colourless face between his brilliant jacket and cap, one body and soul with the prancing horse he rides, how interesting to analyse his professional movements, the bright splash of colour he makes, with the horse′s coat blending in it, as they stream down the course. What a transformation of every visible object in that luminous vastness of a racecourse where one is constantly surprised by fresh lights and shades which one sees only there. How charming the women can look there, too! The first day′s racing was quite delightful, and there were women there exquisitely dressed, in the misty light of a Dutch landscape, in which one could feel rising to cloud the sun itself the penetrating coldness of the water. Never have I seen women arriving in carriages, or standing with glasses to their eyes in so extraordinary a light, which was due, I suppose, to the moisture from the sea. I should simply have loved to paint it. I came home from the races quite mad, and so keen to get to work! “After which he became more enthusiastic still over the yacht-races, and I realised that regattas, social fixtures where well-dressed women might be seen bathed in the greenish light of a marine race-course, might be for a modern artist as interesting a subject as were the revels which they so loved to depict for a Veronese or Carpaccio. When I suggested this to Elstir, “Your comparison is all the more true,” he replied, “since, from the position of the city in which they painted, those revels were to a great extent aquatic. Except that the beauty of the shipping in those days lay as a rule in its solidity, in the complication of its structure. They had water-tournaments, as we have here, held generally in honour of some Embassy, such as Carpaccio shews us in his Legend of Saint Ursula. The vessels were massive, built up like architecture, and seemed almost amphibious, like lesser Venices set in the heart of the greater, when, moored to the banks by hanging stages decked with crimson satin and Persian carpets, they bore their freight of ladies in cherry-red brocade and green damask close under the balconies incrusted with many-coloured marbles from which other ladies leaned to gaze at them, in gowns with black sleeves slashed with white, stitched with pearls or bordered with lace. You cannot tell where the land ends and the water begins, what is still the palace or already the vessel, the caravel, the galeas, the Bucintoro.” Albertine had listened with the keenest interest to these details of costume, these visions of elegance that Elstir was describing to us. “Oh, I should so like to see that lace you speak of; it′s so pretty, the Venice-point,” she cried. “Besides, I should love to see Venice.”
«Vous pourrez peut-être bientôt, lui dit Elstir, contempler les étoffes merveilleuses qu′on portait là-bas. On ne les voyait plus que dans les tableaux des peintres vénitiens, ou alors très rarement dans les trésors des églises, parfois même il y en avait une qui passait dans une vente. Mais on dit qu′un artiste de Venise, Fortuny, a retrouvé le secret de leur fabrication et qu′avant quelques années les femmes pourront se promener, et surtout rester chez elles dans des brocarts aussi magnifiques que ceux que Venise ornait, pour ses patriciennes, avec des dessins d′Orient. Mais je ne sais pas si j′aimerai beaucoup cela, si ce ne sera pas un peu trop costume anachronique, pour des femmes d′aujourd′hui, même paradant aux régates, car pour en revenir à nos bateaux modernes de plaisance, c′est tout le contraire que du temps de Venise, «Reine de l′Adriatique». Le plus grand charme d′un yacht, de l′ameublement d′un yacht, des toilettes de yachting, est leur simplicité de choses de la mer, et j′aime tant la mer. Je vous avoue que je préfère les modes d′aujourd′hui aux modes du temps de Véronèse et même de Carpaccio. Ce qu′il y a de joli dans nos yachts — et dans les yachts moyens surtout, je n′aime pas les énormes, trop navires, c′est comme pour les chapeaux, il y a une mesure à garder — c′est la chose unie, simple, claire, grise, qui par les temps voilés, bleuâtres, prend un flou crémeux. Il faut que la pièce où l′on se tient ait l′air d′un petit café. Les toilettes des femmes sur un yacht c′est la même chose; ce qui est gracieux, ce sont ces toilettes légères, blanches et unies, en toile, en linon, en pékin, en coutil, qui au soleil et sur le bleu de la mer font un blanc aussi éclatant qu′une voile blanche. Il y a très peu de femmes du reste qui s′habillent bien, quelques-unes pourtant sont merveilleuses. Aux courses, Mlle Léa avait un petit chapeau blanc et une petite ombrelle blanche, c′était ravissant. Je ne sais pas ce que je donnerais pour avoir cette petite ombrelle.» J′aurais tant voulu savoir en quoi cette petite ombrelle différait des autres, et pour d′autres raisons, de coquetterie féminine, Albertine l′aurait voulu plus encore. Mais comme Françoise qui disait pour les soufflés: «C′est un tour de main», la différence était dans la coupe. «C′était, disait Elstir, tout petit, tout rond, comme un parasol chinois.» Je citai les ombrelles de certaines femmes, mais ce n′était pas cela du tout. Elstir trouvait toutes ces ombrelles affreuses. Homme d′un goût difficile et exquis, il faisait consister dans un rien qui était tout, la différence entre ce que portait les trois quarts des femmes et qui lui faisait horreur et une jolie chose qui le ravissait, et au contraire de ce qui m′arrivait à moi pour qui tout luxe était stérilisant, exaltait son désir de peintre «pour tâcher de faire des choses aussi jolies». «Tenez, voilà une petite qui a déjà compris comment étaient le chapeau et l′ombrelle, me dit Elstir en me montrant Albertine, dont les yeux brillaient de convoitise. «Comme j′aimerais être riche pour avoir un yacht, dit-elle au peintre. Je vous demanderais des conseils pour l′aménager. Quels beaux voyages je ferais. Et comme ce serait joli d′aller aux régates de Cowes. Et une automobile! Est-ce que vous trouvez que c′est joli les modes des femmes pour les automobiles» «Non, répondait Elstir, mais cela sera. D′ailleurs, il y a peu de couturière, un ou deux, Callot, quoique donnant un peu trop dans la dentelle, Doucet, Cheruit, quelquefois Paquin. Le reste sont des horreurs.» «Mais alors, il y a une différence immense entre une toilette de Callot et celle d′un couturier quelconque», demandai-je à Albertine. «Mais énorme, mon petit bonhomme, me répondit-elle. Oh! pardon. Seulement, hélas! ce qui coûte trois cents francs ailleurs coûte deux mille francs chez eux. Mais cela ne se ressemble pas, cela a l′air pareil pour les gens qui n′y connaissent rien.» »Parfaitement, répondit Elstir, sans aller pourtant jusqu′à dire que la différence soit aussi profonde qu′entre une statue de la cathédrale de Reims et de l′église Saint-Augustin.» «Tenez, à propos de cathédrales, dit-il en s′adressant spécialement à moi, parce que cela se référait à une causerie à laquelle ces jeunes filles n′avaient pas pris part et qui d′ailleurs ne les eût nullement intéressées, je vous parlais l′autre jour de l′église de Balbec comme d′une grande falaise, une grande levée des pierres du pays, mais inversement, me dit-il en me montrant une aquarelle, regardez ces falaises (c′est une esquisse prise tout près d′ici, aux Creuniers), regardez comme ces rochers puissamment et délicatement découpés font penser à une cathédrale.» En effet, on eût dit d′immenses arceaux roses. Mais peints par un jour torride, ils semblaient réduits en poussière, volatilisés par la chaleur, laquelle avait à demi bu la mer, presque passée, dans toute l′étendue de la toile, à l′état gazeux. Dans ce jour où la lumière avait comme détruit la réalité, celle-ci était concentrée dans des créatures sombres et transparentes qui par contraste donnaient une impression de vie plus saisissante, plus proche: les ombres. Altérées de fraîcheur, la plupart, désertant le large enflammé s′étaient réfugiées au pied des rochers, à l′abri du soleil; d′autres nageant lentement sur les eaux comme des dauphins s′attachaient aux flancs de barques en promenade dont elles élargissaient la coque, sur l′eau pâle, de leur corps verni et bleu. C′était peut-être la soif de fraîcheur communiquée par elles qui donnait le plus la sensation de la chaleur de ce jour et qui me fit m′écrier combien je regrettais de ne pas connaître les Creuniers. Albertine et Andrée assurèrent que j′avais dû y aller cent fois. En ce cas, c′était sans le savoir, ni me douter qu′un jour leur vue pourrait m′inspirer une telle soif de beauté, non pas précisément naturelle comme celle que j′avais cherchée jusqu′ici dans les falaises de Balbec, mais plutôt architecturale. Surtout moi qui, parti pour voir le royaume des tempêtes, ne trouvais jamais dans mes promenades avec Mme de Villeparisis où souvent nous ne l′apercevions que de loin, peint dans l′écartement des arbres, l′océan assez réel, assez liquide, assez vivant, donnant assez l′impression de lancer ses masses d′eau et qui n′aurais aimé le voir immobile que sous un linceul hivernal de brume, je n′eusse guère pu croire que je rêverais maintenant d′une mer qui n′était plus qu′une vapeur blanchâtre ayant perdu la consistance et la couleur. Mais cette mer, Elstir, comme ceux qui rêvaient dans ces barques engourdies par la chaleur, en avait, jusqu′à une telle profondeur, goûté l′enchantement qu′il avait su rapporter, fixer sur sa toile, l′imperceptible reflux de l′eau, la pulsation d′une minute heureuse; et on était soudain devenu si amoureux, en voyant ce portrait magique, qu′on ne pensait plus qu′à courir le monde pour retrouver la journée enfuie, dans sa grâce instantanée et dormante. “You may, perhaps, before very long, be able,” Elstir informed her, “to gaze upon the marvellous stuffs which they used to wear. Hitherto one has seen them only in the works of the Venetian painters, or very rarely among the treasures of old churches, except now and then when a specimen has come into the sale-room. But I hear that a Venetian artist, called Fortuny, has recovered the secret of the craft, and that before many years have passed women will be able to walk abroad, and better still to sit at home in brocades as sumptuous as those that Venice adorned, for her patrician daughters, with patterns brought from the Orient. But I don′t know that I should much care for that, that it wouldn′t be too much of an anachronism for the women of to-day, even when they parade at regattas, for, to return to our modern pleasure-craft, the times have completely changed since ‘Venice, Queen of the Adriatic.′ The great charm of a yacht, of the furnishings of a yacht, of yachting dress, is their simplicity, as just things for the sea, and I do so love the sea. I must confess to you that I prefer the fashions of to-day to those of Veronese′s and even of Carpaccio′s time. What there is so attractive about our yachts — and the smaller yachts especially, I don′t like the huge ones, they′re too much like ships; yachts are like women′s hats, you must keep within certain limits — is the unbroken surface, simple, gleaming, grey, which under a cloudy, leaden sky takes on a creamy softness. The cabin in which we live ought to make us think of a little café. And women′s clothes on board a yacht are the same sort of thing; what really are charming are those light garments, uniformly white, of cloth or linen or nankeen or drill, which in the sunlight and against the blue of the sea shew up with as dazzling a whiteness as a spread sail. You very seldom see a woman, for that matter, who knows how to dress, and yet some of them are quite wonderful. At the races, Mlle. Léa had a little white hat and a little white sunshade, simply enchanting. I don′t know what I wouldn′t give for that little sunshade.” I should have liked very much to know in what respect this little sunshade differed from any other, and for other reasons, reasons of feminine vanity, Albertine was still more curious. But, just as Françoise used to explain the excellence of her soufflés by “It′s the way you do them,” so here the difference lay in the cut. “It was,” Elstir explained, “quite tiny, quite round, like a Chinese umbrella.” I mentioned the sunshades carried by various ladies, but it was not like any of them. Elstir found them all quite hideous. A man of exquisite taste, singularly hard to please, he would isolate some minute detail which was the whole difference between what was worn by three-quarters of the women he saw, and horrified him, and a thing which enchanted him by its prettiness; and — in contrast to its effect on myself, whose mind any display of luxury at once sterilised — stimulated his desire to paint “so as to make something as attractive.” “Here you see a young lady who has guessed what the hat and sunshade were like,” he said to me, pointing to Albertine whose eyes shone with envy. “How I should love to be rich, to have a yacht!” she said to the painter. “I should come to you to tell me how to run it. What lovely trips I′d take. And what fun it would be to go to Cowes for the races. And a motor-car! Tell me, do you think the ladies′ fashions for motoring pretty?” “No”; replied Elstir, “but that will come in time. You see, there are very few firms at present, one or two only, Callot — although they go in rather too freely for lace — Doucet, Cheruit, Paquin sometimes. The others are all horrible.” “Then, is there a vast difference between a Callot dress and one from any ordinary shop?” I asked Albertine. “Why, an enormous difference, my little man! I beg your pardon! Only, alas! What you get for three hundred francs in an ordinary shop will cost two thousand there. But there can be no comparison; they look the same only to people who know nothing at all about it.” “Quite so,” put in Elstir; “though I should not go so far as to say that it is as profound as the difference between a statue from Rheims Cathedral and one from Saint-Augustin. By the way, talking of cathedrals,” he went on, addressing himself exclusively to me, because what he was saying had reference to an earlier conversation in which the girls had not taken part, and which for that matter would not have interested them at all, “I spoke to you the other day of Balbec Church as a great cliff, a huge breakwater built of the stone of the country; now look at this”; he handed me a water-colour. “Look at these cliffs (it′s a sketch I did close to here, at the Creuniers); don′t these rocks remind you of a cathedral?” And indeed one would have taken them for soaring red arches. But, painted on a roasting hot day, they seemed to have crumbled into dust, made volatile by the heat which had drunk up half the sea, distilled over the whole surface of the picture almost into a gaseous state. On this day on which the sunlight had, so to speak, destroyed reality, reality concentrated itself in certain dusky and transparent creatures which, by contrast, gave a more striking, a closer impression of life: the shadows. Ravening after coolness, most of them, deserting the scorched open spaces, had fled for shelter to the foot of the rocks, out of reach of the sun; others, swimming gently upon the tide, like dolphins, kept close under the sides of the moving vessels, whose hulls they extended upon the pale surface of the water with their glossy blue forms. It was perhaps the thirst for coolness which they conveyed that did most to give me the sensation of the heat of this day and made me exclaim how much I regretted not knowing the Creuniers. Albertine and Andrée were positive that I must have been there hundreds of times. If so I had been there without knowing it, never suspecting that one day the sight of these rocks was to inspire me with such a thirst for beauty, not perhaps exactly natural beauty such as I had been seeking hitherto among the cliffs of Balbec, but rather architectural. Above all, I who, having come here to visit the kingdom of the storm, had never found, on any of my drives with Mme. De Villeparisis, when often we saw it only from afar, painted in a gap between the trees, the ocean sufficiently real, sufficiently liquid, giving a sufficient impression that it was hurling its massed forces against the shore, and would have liked to see it lie motionless only under a wintry shroud of fog, I could never have believed that I should now be dreaming of a sea which was nothing more than a whitish vapour that had lost both consistency and colour. But of such a sea Elstir, like the people who sat musing on board those vessels drowsy with the heat, had so intensely felt the enchantment that he had succeeded in transcribing, in fixing for all time upon the painted sheet the imperceptible reflux of the tide, the throb of one happy moment; and one suddenly became so enamoured, at the sight of this magic portrait, that one could think of nothing else than to range the world over, seeking to recapture the vanished day in its instantaneous, slumbering beauty.
De sorte que si avant ces visites chez Elstir, avant d′avoir vu une marine de lui où une jeune femme, en robe de barège ou de linon, dans un yacht arborant le drapeau américain, mit le «ontem» spirituel d′une robe de linon blanc et d′un drapeau dans mon imagination qui aussitôt couva un désir insatiable de voir sur le champ des robes de linon blanc et des drapeaux près de la mer, comme si cela ne m′était jamais arrivé, jusque-là, je m′étais toujours efforcé devant la mer, d′expulser du champ de ma ontem, aussi bien que les baigneurs du premier plan, les yachts aux voiles trop blanches comme un costume de plage, tout ce qui m′empêchait de me persuader que je ontempláis le flot immémorial qui déroulait déjà sa même vie mystérieuse avant l′apparition de l′espèce humaine et jusqu′aux jours radieux qui me semblaient revêtir de l′aspect banal de l′universel été de cette côte de brumes et de tempêtes, y marquer un simple temps d′arrêt, l′équivalent de ce qu′on appelle en musique une mesure pour rien, or maintenant c′était le mauvais temps qui me paraissait devenir quelque accident funeste, ne pouvant plus trouver de place dans le monde de la beauté: je désirais vivement aller retrouver dans la réalité ce qui m′exaltait si fort et j′espérais que le temps serait assez favorable pour voir du haut de la falaise les mêmes ombres bleues que dans le tableau d′Elstir. So that if before these visits to Elstir, before I had set eyes on one of his sea-pictures in which a young woman in a dress of white serge or linen, on the deck of a yacht flying the American flag, had duplicated a white linen dress and coloured flag in my imagination which at once bred in me an insatiable desire to visit the spot and see there with my own eyes white linen dresses and flags against the sea, as though no such experience had ever yet befallen me, always until then I had taken care when I stood by the sea to expel from my field of vision, as well as the bathers in the foreground, the yachts with their too dazzling sails that were like seaside costumes, everything that prevented me from persuading myself that I was contemplating the immemorial flood of ocean which had been moving with the same mysterious life before the appearance of the human race; and had grudged even the days of radiant sunshine which seemed to me to invest with the trivial aspect of the world′s universal summer this coast of fog and tempest, to mark simply an interruption, equivalent to what in music is known as a rest; now on the other hand it was the bad days that appeared to me to be some disastrous accident, a thing that could no longer find any place for itself in the world of beauty; I felt a keen desire to go out and recapture in reality what had so powerfully aroused my imagination, and I hoped that the weather would be propitious enough for me to see from the summit of the cliff the same blue shadows as were in Elstir′s picture.
Le long de la route, je ne me faisais plus d′ailleurs un écran de mes mains comme dans ces jours où concevant la nature comme animée d′une vie antérieure à l′apparition de l′homme, et en opposition avec tous ces fastidieux perfectionnements de l′industrie qui m′avaient fait jusqu′ici bâiller d′ennui dans les expositions universelles ou chez les modistes, j′essayais de ne voir de la mer que la section où il n′y avait pas de bateau à vapeur, de façon à me la représenter comme immémoriale, encore contemporaine des âges où elle avait été séparée de la terre, à tout le moins contemporaine des premiers siècles de la Grèce, ce qui me permettait de me redire en toute vérité les vers du «Père Leconte» chers à Bloch: Nor, as I went along, did I still make a frame about my eyes with my hands as in the days when, conceiving nature to be animated by a life anterior to the first appearance of man, and inconsistent with all those wearisome perfections of industrial achievement which had hitherto made me yawn with boredom at Universal Exhibitions or in the milliners′ windows, I endeavoured to include only that section of the sea over which there was no steamer passing, so that I might picture it to myself as immemorial, still contemporary with the ages in which it had been set apart from the land, or at least with the first dawn of life in Greece, which enabled me to repeat in their literal meaning the lines of ‘Father Leconte′ of which Bloch was so fond:
«Ils sont partis, les rois des nefs éperonnées
«Emmenant sur la mer tempétueuse hélas!
«Les hommes chevelus de l′Héroî°µe Helles.»
‘Gone are the Kings, gone are their towering prows,
Vanished upon the raging deep, alas,
The long-haired warrior heroes of Hellas.′
Je ne pouvais plus mépriser les modistes puisque Elstir m′avait dit que le geste délicat par lequel elles donnent un dernier chiffonnement, une suprême caresse aux nuds ou aux plumes d′un chapeau terminé, l′intéresserait autant à rendre que celui des jockeys (ce qui avait ravi Albertine). Mais il fallait attendre mon retour, pour les modistes — à Paris — pour les courses et les régates, à Balbec où on n′en donnerait plus avant l′année prochaine. Même un yacht emmenant des femmes en linon blanc était introuvable. I could no longer despise the milliners, now that Elstir had told me that the delicate touches by which they give a last refinement, a supreme caress to the ribbons or feathers of a hat after it is finished, would be as interesting to him to paint as the muscular action of the jockeys themselves (a statement which had delighted Albertine). But I must wait until I had returned — for milliners, to Paris — for regattas and races to Balbec, where there would be no more now until next year-. Even a yacht with women in white linen garments was not to be found.
Souvent nous rencontrions les surs de Bloch que j′étais obligé de saluer depuis que j′avais dîné chez leur père. Mes amies ne les connaissaient pas. «On ne me permet pas de jouer avec des israélites», disait Albertine. La façon dont elle prononçait israélite au lieu d′izraélite aurait suffi à indiquer, même si on n′avait pas entendu le commencement de la phrase, que ce n′était pas de sentiments de sympathie envers le peuple élu qu′étaient animées ces jeunes bourgeoises, de familles dévotes, et qui devaient croire aisément que les juifs égorgeaient les enfants chrétiens. «Du reste, elles ont un sale genre, vos amies», me disait Andrée avec un sourire qui signifiait qu′elle savait bien que ce n′était pas mes amies. «Comme tout ce qui touche à la tribu», répondait Albertine sur le ton sentencieux d′une personne d′expérience. A vrai dire les surs de Bloch, à la fois trop habillées et à demi-nues, l′air languissant, hardi, fastueux et souillon ne produisaient pas une impression excellente. Et une de leurs cousines qui n′avait que quinze ans scandalisait le casino par l′admiration qu′elle affichait pour Mlle Léa, dont M. Bloch père prisait très fort le talent d′actrice, mais que son goût ne passait pas pour porter surtout du côté des messieurs. Often we encountered Bloch′s sisters, to whom I was obliged to bow since I had dined with their father. My new friends did not know them. “I am not allowed to play with Israelites,” Albertine explained. Her way of pronouncing the word —‘Issraelites′ instead of ‘Izraelites′— would in itself have sufficed to shew, even if one had not heard the rest of the sentence, that it was no feeling of friendliness towards the chosen race that inspired these young Frenchwomen, brought up in God-fearing homes, and quite ready to believe that the Jews were in the habit of massacring Christian children. “Besides, they′re shocking bad form, your friends,” said Andrée with a smile which implied that she knew very well that they were no friends of mine. “Like everything to do with the tribe,” went on Albertine, in the sententious tone of one who spoke from personal experience. To tell the truth, Bloch′s sisters, at once overdressed and half naked, with their languishing, bold, blatant, sluttish air did not create the best impression. And one of their cousins, who was only fifteen, scandalised the Casino by her unconcealed admiration for Mlle. Lea, whose talent as an actress M. Bloch senior rated very high, but whose tastes were understood to lead her not exactly in the direction of the gentlemen.
Il y avait des jours où nous goûtions dans l′une des fermes-restaurants du voisinage. Ce sont les fermes dites des Ecorres, Marie-Thérèse, de la Croix d′Heuland, de Bagatelle, de Californie, de Marie-Antoinette. C′est cette dernière qu′avait adoptée la petite bande. Some days we took our refreshment at one of the outlying farms which catered to visitors. These were the farms known as Les Ecorres, Marie-Thérèse, La Croix d′Heuland, Bagatelle, Californie and Marie-Antoinette. It was the last that had been adopted by the little band.
Mais quelquefois au lieu d′aller dans une ferme, nous montions jusqu′au haut de la falaise, et une fois arrivés et assis sur l′herbe, nous défaisions notre paquet de sandwichs et de gâteaux. Mes amies préféraient les sandwichs et s′étonnaient de me voir manger seulement un gâteau au chocolat gothiquement historié de sucre ou une tarte à l′abricot. C′est qu′avec les sandwichs au chester et à la salade, nourriture ignorante et nouvelle, je n′avais rien à dire. Mais les gâteaux étaient instruits, les tartes étaient bavardes. Il y avait dans les premiers des fadeurs de crème et dans les secondes des fraîcheurs de fruits qui en savaient long sur Combray, sur Gilberte, non seulement la Gilberte de Combray mais celle de Paris aux goûters de qui je les avais retrouvés. Ils me rappelaient ces assiettes à petits fours, des Mille et une Nuits, qui distrayaient tant de leurs «sujets» ma tante Léonie quand Françoise lui apportait un jour Aladin ou la Lampe Merveilleuse, un autre Ali-Baba, le Dormeur éveillé ou Sinbad le Marin embarquant à Bassora avec toutes ses richesses. J′aurais bien voulu les revoir, mais ma grand′mère ne savait pas ce qu′elles étaient devenues et croyait d′ailleurs que c′était de vulgaires assiettes achetées dans le pays. N′importe, dans le gris et champenois Combray elles et leurs vignettes s′encastraient multicolores, comme dans la noire Eglise les vitraux aux mouvantes pierreries, comme dans le crépuscule de ma chambre les projections de la lanterne magique, comme devant la vue de la gare et du chemin de fer départemental les boutons d′or des Indes et les lilas de Perse, comme la collection de vieux Chine de ma grand-tante dans sa sombre demeure de vieille dame de province. But at other times, instead of going to a farm, we would climb to the highest point of the cliff, and, when we had reached it and were seated on the grass, would undo our parcel of sandwiches and cakes. My friends preferred the sandwiches, and were surprised to see me eat only a single chocolate cake, sugared with gothic tracery, or an apricot tart. This was because, with the sandwiches of cheese or of green-stuff, a form of food that was novel to me and knew nothing of the past, I had nothing in common. But the cakes understood, the tarts were gossips. There were in the former an insipid taste of cream, in the latter a fresh taste of fruit which knew all about Combray, and about Gilberte, not only the Gilberte of Combray but her too of Paris, at whose tea-parties I had found them again. They reminded me of those cake-plates of the Arabian Nights pattern, the subjects on which were such a distraction to my aunt Léonie when Françoise brought her up, one day, Aladdin or the Wonderful Lamp, another day Ali-Baba, or the Sleeper Awakes, or Sinbad the Sailor embarking at Bassorah with all his treasure. I should dearly have liked to see them again, but my grandmother did not know what had become of them, and thought moreover that they were just common plates that had been bought in the village. No matter, in that grey, midland Combray scene they and their pictures were set like many-coloured jewels, as in the dark church were the windows with their shifting radiance, as in the dusk of my bedroom were the projections cast by the magic-lantern, as in the foreground of the view of the railway-station and the little local line the buttercups from the Indies and the Persian lilacs, as were my great-aunt′s shelves of old porcelain in the sombre dwelling of an elderly lady in a country town.
Etendu sur la falaise je ne voyais devant moi que des prés, et, au-dessus d′eux, non pas les sept ciels de la physique chrétienne, mais la superposition de deux seulement, un plus foncé — de la mer — et en haut un plus pâle. Nous goûtions, et si j′avais emporté aussi quelque petit souvenir qui pût plaire à l′une ou à l′autre de mes amies, la joie remplissait avec une violence si soudaine leur visage translucide en un instant devenu rouge, que leur bouche n′avait pas la force de la retenir et pour la laisser passer, éclatait de rire. Elles étaient assemblées autour de moi; et entre les visages peu éloignés les uns des autres, l′air qui les séparait traçait des sentiers d′azur comme frayés par un jardinier qui a voulu mettre un peu de jour pour pouvoir circuler lui-même au milieu d′un bosquet de roses. Stretched out on the cliff I would see before me nothing but grassy meadows and beyond them not the seven heavens of the Christian cosmogony but two stages only, one of a deeper blue, the sea, and over it another more pale. We ate our food, and if I had brought with me also some little keepsake which might appeal to one or other of my friends, joy sprang with such sudden violence into her translucent face, flushed in an instant, that her lips had not the strength to hold it in, and to allow it to escape parted in a shout of laughter. They had gathered close round me, and between their faces which were almost touching one another the air that separated them traced azure pathways such as might have been cut by a gardener wishing to clear the ground a little so as to be able himself to move freely through a thicket of roses.
Nos provisions épuisées, nous jouions à des jeux qui jusque-là m′eussent paru ennuyeux, quelquefois aussi enfantins que «La Tour Prends-Garde» ou «A qui rira le premier», mais auxquels je n′aurais plus renoncé pour un empire; l′aurore de jeunesse dont s′empourprait encore le visage de ces jeunes filles et hors de laquelle je me trouvais déjà, à mon âge, illuminait tout devant elles, et, comme la fluide peinture de certains primitifs, faisait se détacher les détails les plus insignifiants de leur vie, sur un fond d′or. Pour la plupart les visages mêmes de ces jeunes filles étaient confondus dans cette rougeur confuse de l′aurore d′où les véritables traits n′avaient pas encore jailli. On ne voyait qu′une couleur charmante sous laquelle ce que devait être dans quelques années le profil n′était pas discernable. Celui d′aujourd′hui n′avait rien de définitif et pouvait n′être qu′une ressemblance momentanée avec quelque membre défunt de la famille auquel la nature avait fait cette politesse commémorative. Il vient si vite le moment où l′on n′a plus rien à attendre, où le corps est figé dans une immobilité qui ne promet plus de surprises, où l′on perd toute espérance en voyant, comme aux arbres en plein été des feuilles déjà mortes, autour de visages encore jeunes des cheveux qui tombent ou blanchissent, il est si court, ce matin radieux, qu′on en vient à n′aimer que les très jeunes filles, celles chez qui la chair comme une pâte précieuse travaille encore. Elles ne sont qu′un flot de matière ductile pétrie à tout moment par l′impression passagère qui les domine. On dirait que chacune est tour à tour une petite statuette de la gaîté, du sérieux juvénile, de la câlinerie, de l′étonnement, modelée par une expression franche, complète, mais fugitive. Cette plasticité donne beaucoup de variété et de charme aux gentils égards que nous montre une jeune fille. Certes ils sont indispensables aussi chez la femme, et celle à qui nous ne plaisons pas ou qui ne nous laisse pas voir que nous lui plaisons, prend à nos yeux quelque chose d′ennuyeusement uniforme. Mais ces gentillesses elles-mêmes à partir d′un certain âge, n′amènent plus de molles fluctuations sur un visage que les luttes de l′existence ont durci, rendu à jamais militant ou extatique. L′un — par la force continue de l′obéissance qui soumet l′épouse à son époux — semble, plutôt que d′une femme le visage d′un soldat; l′autre, sculpté par les sacrifices qu′a consentis chaque jour la mère pour ses enfants, est d′un apôtre. Un autre encore est, après des années de traverses et d′orages, le visage d′un vieux loup de mer, chez une femme dont les vêtements seuls révèlent le sexe. Et certes les attentions qu′une femme a pour nous, peuvent encore, quand nous l′aimons, semer de charmes nouveaux les heures que nous passons auprès d′elle. Mais elle n′est pas successivement pour nous une femme différente. Sa gaîté reste extérieure à une figure inchangée. Mais l′adolescence est antérieure à la solidification complète et de là vient qu′on éprouve auprès des jeunes filles ce rafraîchissement que donne le spectacle des formes sans cesse en train de changer, à jouer en une instable opposition qui fait penser à cette perpétuelle recréation des éléments primordiaux de la nature qu′on contemple devant la mer. When we had finished eating we would play games which until then I should have thought boring, sometimes such childish games as King of the Castle, or Who Laughs First; not for a kingdom would I have renounced them now; the rosy dawn of adolescence, with which the faces of these girls were still aglow, and from which I, young as I was, had already emerged, shed its light on everything round about them and, like the fluid painting of some of the Primitives, brought out the most insignificant details of their daily lives in relief against a golden background. Even the faces of the girls were, for the most part, clouded with this misty effulgence of a dawn from which their actual features had not yet emerged. One saw only a charming sheet of colour beneath which what in a few years′ time would be a profile was not discernible. The profile of to-day had nothing definite about it, and could be only a momentary resemblance to some deceased member of the family to whom nature had paid this commemorative courtesy. It comes so soon, the moment when there is nothing left to wait for, when the body is fixed in an immobility which holds no fresh surprise in store, when one loses all hope on seeing — as on a tree in the height of summer leaves already brown — round a face still young hair that is growing thin or turning grey; it is so short, that radiant morning time that one comes to like only the very youngest girls, those in whom the flesh, like a precious leaven, is still at work. They are no more yet than a stream of ductile matter, moulded ever afresh by the fleeting impression of the moment. You would say that each of them was in turn a little statuette of childish gaiety, of a child grown earnest, coaxing, surprised, taking its pattern from an expression frank and complete, but fugitive. This plasticity gives a wealth of variety and charm to the pretty attentions which a little girl pays to us. Of course, such attentions are indispensable in the woman also, and she whom we do not attract, or who fails to let us see that we have attracted her, tends to assume in our eyes a somewhat tedious uniformity. But even these pretty attentions, after a certain age, cease to send gentle ripples over a face which the struggle for existence has hardened, has rendered unalterably militant or ecstatic. One — owing to the prolonged strain of the obedience that subjects wife to husband — will seem not so much a woman′s face as a soldier′s; another, carved by the sacrifices which a mother has consented to make, day after day, for her children, will be the face of an apostle. A third is, after a stormy passage through the years, the face of an ancient mariner, upon a body of which its garments alone indicate the sex. Certainly the attentions that a woman pays us can still, so long as we are in love with her, scatter fresh charms over the hours that we spend in her company. But she is not then for us a series of different women. Her gaiety remains external to an unchanging face. Whereas adolescence is anterior to this complete solidification; and from this it follows that we feel, in the company of young girls, the refreshing sense that is afforded us by the spectacle of forms undergoing an incessant process of change, a play of unstable forces which makes us think of that perpetual re-creation of the primordial elements of nature which we contemplate when we stand by the sea.
Ce n′était pas seulement une matinée mondaine, une promenade avec Mme de Villeparisis que j′eusse sacrifiées au «furet» ou aux «devinettes» de mes amies. A plusieurs reprises Robert de Saint-Loup me fit dire que puisque je n′allais pas le voir à Doncières, il avait demandé une permission de vingt-quatre heures et la passerait à Balbec. Chaque fois je lui écrivis de n′en rien faire, en invoquant l′excuse d′être obligé de m′absenter justement ce jour-là pour aller remplir dans le voisinage un devoir de famille avec ma grand-mère. Sans doute me jugea-t-il mal en apprenant par sa tante en quoi consistait le devoir de famille et quelles personnes tenaient en l′espèce le rôle de grand-mère. Et pourtant je n′avais peut-être pas tort de sacrifier les plaisirs non seulement de la mondanité, mais de l′amitié à celui de passer tout le jour dans ce jardin. Les êtres qui en ont la possibilité — il est vrai que ce sont les artistes et j′étais convaincu depuis longtemps que je ne le serais jamais — ont aussi le devoir de vivre pour eux-mêmes; or l′amitié leur est une dispense de ce devoir, une abdication de soi. La conversation même qui est le mode d′expression de l′amitié est une divagation superficielle, qui ne nous donne rien à acquérir. Nous pouvons causer pendant toute une vie sans rien faire que répéter indéfiniment le vide d′une minute, tandis que la marche de la pensée dans le travail solitaire de la création artistique, se fait dans le sens de la profondeur, la seule direction qui ne nous soit pas fermée, où nous puissions progresser, avec plus de peine il est vrai, pour un résultat de vérité. Et l′amitié n′est pas seulement dénuée de vertu comme la conversation, elle est de plus funeste. Car l′impression d′ennui que ne peuvent pas ne pas éprouver auprès de leur ami, c′est-à-dire à rester à la surface de soi-même, au lieu de poursuivre leur voyage de découvertes dans les profondeurs, ceux d′entre nous dont la loi de développement est purement interne, cette impression d′ennui l′amitié nous persuade de la rectifier quand nous nous retrouvons seuls, de nous rappeler avec émotion les paroles que notre ami nous a dites, de les considérer comme un précieux apport alors que nous ne sommes pas comme des bâtiments à qui on peut ajouter des pierres du dehors, mais comme des arbres qui tirent de leur propre sève le nud suivant de leur tige, l′étage supérieur de leur frondaison. Je me mentais à moi-même, j′interrompais la croissance dans le sens selon lequel je pouvais en effet véritablement grandir, et être heureux, quand je me félicitais d′être aimé, admiré, par un être aussi bon, aussi intelligent, aussi recherché que Saint-Loup, quand j′adaptais mon intelligence non à mes propres obscures impressions que c′eût été mon devoir de démêler, mais aux paroles de mon ami à qui en me les redisant — en me les faisant redire par cet autre que soi-même qui vit en nous et sur qui on est toujours si content de se décharger du fardeau de penser — je m′efforçais de trouver une beauté, bien différente de celle que je poursuivais silencieusement quand j′étais vraiment seul, mais qui donnerait plus de mérite à Robert, à moi-même, à ma vie. Dans celle qu′un tel ami me faisait, je m′apparaissais comme douillettement préservé de la solitude, noblement désireux de me sacrifier moi-même pour lui, en somme incapable de me réaliser. Près de ces jeunes filles au contraire si le plaisir que je goûtais était égoî²´e, du moins n′était-il pas basé sur le mensonge qui cherche à nous faire croire que nous ne sommes pas irrémédiablement seuls et qui quand nous causons avec un autre nous empêche de nous avouer que ce n′est plus nous qui parlons, que nous nous modelons alors à la ressemblance des étrangers et non d′un moi qui diffère d′eux. Les paroles qui s′échangeaient entre les jeunes filles de la petite bande et moi étaient peu intéressantes, rares d′ailleurs, coupées de ma part de longs silences. Cela ne m′empêchait pas de prendre à les écouter quand elles me parlaient autant de plaisir qu′à les regarder, à découvrir dans la voix de chacune d′elles un tableau vivement coloré. C′est avec délices que j′écoutais leur pépiement. Aimer aide à discerner, à différencier. Dans un bois l′amateur d′oiseaux distingue aussitôt ces gazouillis particuliers à chaque oiseau, que le vulgaire confond. L′amateur de jeunes filles sait que les voix humaines sont encore bien plus variées. Chacune possède plus de notes que le plus riche instrument. Et les combinaisons selon lesquelles elle les groupe sont aussi inépuisables que l′infinie variété des personnalités. Quand je causais avec une de mes amies, je m′apercevais que le tableau original, unique de son individualité, m′était ingénieusement dessiné, tyranniquement imposé aussi bien par les inflexions de sa voix que par celles de son visage et que c′était deux spectacles qui traduisaient, chacun dans son plan, la même réalité singulière. Sans doute les lignes de la voix, comme celles du visage, n′étaient pas encore définitivement fixées; la première muerait encore, comme le second changerait. Comme les enfants possèdent une glande dont la liqueur les aide à digérer le lait et qui n′existe plus chez les grandes personnes, il y avait dans le gazouillis de ces jeunes filles des notes que les femmes n′ont plus. Et de cet instrument plus varié, elles jouaient avec leurs lèvres, avec cette application, cette ardeur des petits anges musiciens de Bellini, lesquelles sont aussi un apanage exclusif de la jeunesse. Plus tard ces jeunes filles perdraient cet accent de conviction enthousiaste qui donnait du charme aux choses les plus simples, soit qu′Albertine sur un ton d′autorité débitât des calembours que les plus jeunes écoutaient avec admiration jusqu′à ce que le fou rire se saisît d′elles avec la violence irrésistible d′un éternuement, soit qu′Andrée mît à parler de leurs travaux scolaires, plus enfantins encore que leurs jeux une gravité essentiellement puérile; et leurs paroles détonnaient, pareilles à ces strophes des temps antiques où la poésie encore peu différenciée de la musique se déclamait sur des notes différentes. Malgré tout la voix de ces jeunes filles accusait déjà nettement le parti-pris que chacune de ces petites personnes avait sur la vie, parti-pris si individuel que c′est user d′un mot bien trop général que de dire pour l′une: «elle prend tout en plaisantant»; pour l′autre: «elle va d′affirmation en affirmation»; pour la troisième: «elle s′arrête à une hésitation expectante». Les traits de notre visage ne sont guère que des gestes devenus, par l′habitude, définitifs. La nature, comme la catastrophe de Pompeíª comme une métamorphose de nymphe, nous a immobilisés dans le mouvement accoutumé. De même nos intonations contiennent notre philosophie de la vie, ce que la personne se dit à tout moment sur les choses. Sans doute ces traits n′étaient pas qu′à ces jeunes filles. Ils étaient à leurs parents. L′individu baigne dans quelque chose de plus général que lui. A ce compte, les parents ne fournissent pas que ce geste habituel que sont les traits du visage et de la voix, mais aussi certaines manières de parler, certaines phrases consacrées, qui presque aussi inconscientes qu′une intonation, presque aussi profondes, indiquent, comme elle, un point de vue sur la vie. Il est vrai que pour les jeunes filles, il y a certaines de ces expressions que leurs parents ne leur donnent pas avant un certain âge, généralement pas avant qu′elles soient des femmes. On les garde en réserve. Ainsi par exemple si on parlait des tableaux d′un ami d′Elsir, Andrée qui avait encore les cheveux dans le dos ne pouvait encore faire personnellement usage de l′expression dont usaient sa mère et sa sur mariée: «Il paraît que l′homme est charmant.» Mais cela viendrait avec la permission d′aller au Palais-Royal. Et déjà depuis sa première communion, Albertine disait comme une amie de sa tante, je «trouverais cela assez terrible.» On lui avait aussi donné en présent l′habitude de faire répéter ce qu′on disait pour avoir l′air de s′intéresser et de chercher à se former une opinion personnelle. Si on disait que la peinture d′un peintre était bien, ou sa maison jolie: «Ah! c′est bien, sa peinture? Ah! c′est joli, sa maison?» Enfin plus générale encore que n′est le legs familial, était la savoureuse matière imposée par la province originelle d′où elles tiraient leur voix et à même laquelle mordaient leurs intonations. Quand Andrée pinçait sèchement une note grave, elle ne pouvait faire que la corde périgourdine de son instrument vocal ne rendît un son chantant fort en harmonie d′ailleurs avec la pureté méridionale de ses traits; et aux perpétuelles gamineries de Rosemonde, la matière de son visage et de sa voix du Nord répondaient, quoiue elle en eût, avec l′accent de sa province. Entre cette province et le tempérament de la jeune fille qui dictait les inflexions je percevais un beau dialogue. Dialogue, non pas discorde. Aucune ne saurait diviser la jeune fille et son pays natal. Elle, c′est lui encore. Du reste cette réaction des matériaux locaux sur le génie qui les utilise et à qui elle donne plus de verdeur ne rend pas l′uvre moins individuelle et que ce soit celle d′un architecte, d′un ébéniste, ou d′un musicien, elle ne reflète pas moins minutieusement les traits les plus subtils de la personnalité de l′artiste, parce qu′il a été forcé de travailler dans la pierre meulière de Senlis ou le grès rouge de Strasbourg, qu′il a respecté les nuds particuliers au frêne, qu′il a tenu compte dans son écriture des ressources et des limites, de la sonorité, des possibilités, de la flûte ou de l′alto. It was not merely a social engagement, a drive with Mme. de Villeparisis, that I would have sacrificed to the ‘Ferret′ or ‘Guessing Games′ of my friends. More than once, Robert de Saint-Loup had sent word that, since I was not coming to see him at Doncières, he had applied for twenty-four hours′ leave, which he would spend at Balbec. Each time I wrote back that he was on no account to come, offering the excuse that I should be obliged to be away myself that very day, when I had some duty call to pay with my grandmother on family friends in the neighbourhood. No doubt I fell in his estimation when he learned from his aunt in what the ‘duty call′ consisted, and who the persons were who combined to play the part of my grandmother. And yet I had not been wrong, perhaps, after all, in sacrificing not only the vain pleasures of the world but the real pleasure of friendship to that of spending the whole day in this green garden. People who enjoy the capacity — it is true that such people are artists, and I had long been convinced that I should never be that — are also under an obligation to live for themselves. And friendship is a dispensation from this duty, an abdication of self. Even conversation, which is the mode of expression of friendship, is a superficial digression which gives us no new acquisition. We may talk for a lifetime without doing more than indefinitely repeat the vacuity of a minute, whereas the march of thought in the solitary travail of artistic creation proceeds downwards, into the depths, in the only direction that is not closed to us, along which we are free to advance — though with more effort, it is true — towards a goal of truth. And friendship is not merely devoid of virtue, like conversation, it is fatal to us as well. For the sense of boredom which it is impossible not to feel in a friend′s company (when, that is to say, we must remain exposed on the surface of our consciousness, instead of pursuing our voyage of discovery into the depths) for those of us in whom the law of development is purely internal — that first impression of boredom our friendship impels us to correct when we are alone again, to recall with emotion the words uttered by our friend, to look upon them as a valuable addition to our substance, albeit we are not like buildings to which stones can be added from without, but like trees which draw from their own sap the knot that duly appears on their trunks, the spreading roof of their foliage. I was lying to myself, I was interrupting the process of growth in that direction in which I could indeed really be enlarged and made happy, when I congratulated myself on being liked, admired, by so good, so clever, so rare a creature as Saint-Loup, when I focussed my mind, not upon my own obscure impressions which duty bade me unravel, but on the words uttered by my friend, in which, when I repeated them to myself — when I had them repeated to me by that other self who dwells in us and on to whom we are always so ready to transfer the burden of taking thought — I strove to make myself find a beauty very different from that which I used to pursue in silence when I was really alone, but one that would enhance the merit of Robert, of myself, of my life. In the life which a friend like this provided for me, I seemed to myself to be comfortably preserved from solitude, nobly desirous of sacrificing myself for him, in fact quite incapable of realising myself. Among the girls, on the other hand, if the pleasure which I enjoyed was selfish, at least it was not based on the lie which seeks to make us believe that we are not irremediably alone, and which, when we talk to another person, prevents us from admitting that it is no longer we who speak, that we are fashioning ourselves in the likeness of strangers and not of our own ego, which is quite different from them. The words that passed between the girls of the little band and myself were not of any interest; they were, moreover, but few, broken by long spells of silence on my part. All of which did not prevent me from finding, in listening to them when they spoke to me, as much pleasure as in gazing at them, in discovering in the voice of each one of them a brightly coloured picture. It was with ecstasy that I caught their pipings. Love helps us to discern things, to discriminate. Standing in a wood, the lover of birds at once distinguishes the notes of the different species, which to ordinary people sound the same. The lover of girls knows that human voices vary even more. Each one possesses more notes than the richest instrument of music. And the combinations in which the voice groups those notes are as inexhaustible as the infinite variety of personalities. When I talked with any one of my friends I was conscious that the original, the unique portrait of her individuality had been skilfully traced, tyranically imposed on my mind as much by the inflexions of her voice as by those of her face, and that these were two separate spectacles which rendered, each in its own plane, the same single reality. No doubt the lines of the voice, like those of the face, were not yet definitely fixed; the voice had still to break, as the face to change. Just as children have a gland the secretion in which enables them to digest milk, a gland which is not found in grown men and women, so there were in the twitterings of these girls notes which women′s voices no longer contain. And on this instrument with its greater compass they played with their lips, shewing all the application, the ardour of Bellini′s little angel musicians, qualities which also are an exclusive appanage of youth. Later on these girls would lose that note of enthusiastic conviction which gave a charm to their simplest utterances, whether it were Albertine who, in a tone of authority, repeated puns to which the younger ones listened with admiration, until that wild impulse to laugh caught them all with the irresistible violence of a sneeze, or Andrée who began to speak of their work in the schoolroom, work even more childish seemingly than the games they played, with a gravity essentially puerile; and their words changed in tone, like the lyrics of ancient times when poetry, still hardly differentiated from music, was declaimed upon the different notes of a scale. In spite of which, the girls′ voices already gave a quite clear indication of the attitude that each of these little people had adopted towards life, an attitude so personal that it would be speaking in far too general terms to say of one: “She treats everything as a joke,” of another: “She jumps from assertion to assertion,” of a third: “She lives in a state of expectant hesitation.” The features of our face are hardly more than gestures which force of habit has made permanent. Nature, like the destruction of Pompeii, like the metamorphosis of a nymph into a tree, has arrested us in an accustomed movement. Similarly, our intonations embody our philosophy of life, what a person says to himself about things at any given moment. No doubt these peculiarities were to be found not only in the girls. They were those of their parents. The individual is a part of something that is more generally diffused than himself. By this reckoning, our parents furnish us not only with those habitual gestures which are the outlines of our face and voice, but also with certain mannerisms in speech, certain favourite expressions, which, almost as unconscious as an intonation, almost as profound, indicate likewise a definite point of view towards life. It is quite true, since we are speaking of girls, that there are certain of these expressions which their parents do not hand on to them until they have reached a certain age, as a rule not before they are women. These are kept in reserve. Thus, for instance, if you were to speak of the pictures of one of Elstir′s friends, Andrée, whose hair was still ‘down,′ could not yet make use, personally, of the expression which her mother and elder sister employed: “It appears, the man is quite charming!” But that would come in due course, when she was allowed to go to the Palais-Royal. And already, since her first communion, Albertine had begun to say, like a friend of her aunt: “I′m sure I should find that simply terrible!” She had also had given to her, as a little present, the habit of repeating whatever you had just been saying to her, so as to appear to be interested, and to be trying to form an opinion of her own. If you said that an artist′s work was good, or his house nice, “Oh, his work is good, is it?” “Oh, his house is nice, is it?” Last of all, and even more general than the family heritage, was the rich layer imposed by the native province from which they derived their voices and of which indeed their intonations smacked. When Andrée sharply struck a solemn note she could not prevent the Perigordian string of her vocal instrument from giving back a resonant sound quite in harmony, moreover, with the Meridional purity of her features; while to the incessant pranks of Rosemonde the substance of her North-Country face and voice responded, whatever her mood at the time, in the accent of their province. Between that province and the temperament of the little girl who dictated these inflexions, I caught a charming dialogue. A dialogue, not in any sense a discord. It would not have been possible to separate the girl herself and her native place. She was herself; she was still it also. Moreover this reaction of locally procured materials on the genius who utilises them and to whose work their reaction imparts an added freshness, does not make the work any less individual, and whether it be that of an architect, a cabinet-maker or a composer, it reflects no less minutely the most subtle shades of the artist′s personality, because he has been compelled to work in the millstone of Senlis or the red sandstone of Strasbourg, has respected the knots peculiar to the ash-tree, has borne in mind, when writing his score, the resources, the limitations, the volume of sound, the possibilities of flute or alto voice.
Je m′en rendais compte et pourtant nous causions si peu. Tandis qu′avec Mme de Villeparisis ou Saint-Loup, j′eusse démontré par mes paroles beaucoup plus de plaisir que je n′en eusse ressenti, car je les quittais avec fatigue, au contraire couché entre ces jeunes filles, la plénitude de ce que j′éprouvais l′emportait infiniment sur la pauvreté, la rareté de nos propos et débordait de mon immobilité et de mon silence, en flots de bonheur dont le clapotis venait mourir au pied de ces jeunes roses. All this I realised, and yet we talked so little. Whereas with Mme. de Villeparisis or Saint-Loup I should have displayed by my words a great deal more pleasure than I should actually have felt, for I used always to be worn out when I parted from them; when, on the other hand, I was lying on the grass among all these girls, the plenitude of what I was feeling infinitely outweighed the paucity, the infrequency of our speech, and brimmed over from my immobility and silence in floods of happiness, the waves of which rippled up to die at the feet of these young roses.
Pour un convalescent qui se repose tout le jour dans un jardin fleuriste ou dans un verger, une odeur de fleurs et de fruits n′imprègne pas plus profondément les mille riens dont se compose son farniente que pour moi cette couleur, cet arôme que mes regards allaient chercher sur ces jeunes filles et dont la douceur finissait par s′incorporer à moi. Ainsi les raisins se sucrent-ils au soleil. Et par leur lente continuité, ces jeux si simples avaient aussi amené en moi, comme chez ceux qui ne font autre chose que rester, étendus au bord de la mer, à respirer le sel, à se hâler, une détente, un sourire béat, un éblouissement vague qui avait gagné jusqu′à mes yeux. For a convalescent who rests all day long in a flower-garden or orchard, a scent of flowers or fruit does not more completely pervade the thousand trifles that compose his idle hours than did for me that colour, that fragrance in search of which my eyes kept straying towards the girls, and the sweetness of which finally became incorporated in me. So it is that grapes grow sugary in sunshine. And by their slow continuity these simple little games had gradually wrought in me also, as in those who do nothing else all day but lie outstretched by the sea, breathing the salt air and growing sunburned, a relaxation, a blissful smile, a vague sense of dizziness that had spread from brain to eyes.
Parfois une gentille attention de telle ou telle éveillait en moi d′amples vibrations qui éloignaient pour un temps le désir des autres. Ainsi un jour Albertine avait dit: «Qu′est-ce qui a un crayon?» Andrée l′avait fourni. Rosemonde le papier. Albertine leur avait dit: «Mes petites bonnes femmes, je vous défends de regarder ce que j′écris.» Après s′être appliquée à bien tracer chaque lettre, le papier appuyé à ses genoux, elle me l′avait passé en me disant: «Faites attention qu′on ne voie pas.» Alors je l′avais déplié et j′avais lu ces mots qu′elle m′avait écrits: «Je vous aime bien.» Now and then a pretty attention from one or another of them would stir in me vibrations which dissipated for a time my desire for the rest. Thus one day Albertine had suddenly asked: “Who has a pencil?” Andrée had provided one, Rosemonde the paper; Albertine had warned them: “Now, young ladies, you are not to look at what I write.” After carefully tracing each letter, supporting the paper on her knee, she had passed it to me with: “Take care no one sees.” Whereupon I had unfolded it and read her message, which was: “I love you.”
«Mais au lieu d′écrire des bêtises, cria-t-elle en se tournant d′un air impétueux et grave vers Andrée et Rosemonde, il faut que je vous montre la lettre que Gisèle m′a écrite ce matin. Je suis folle, je l′ai dans ma poche et dire que cela peut nous être si utile!» Gisèle avait cru devoir adresser à son amie afin qu′elle la communiquât aux autres, la composition qu′elle avait faite pour son certificat d′études. Les craintes d′Albertine sur la difficulté des sujets proposés avaient encore été dépassées par les deux entre lesquels Gisèle avait eu à opter. L′un était: «Sophocle écrit des Enfers à Racine pour le consoler de l′insuccès d′ Athalie»; l′autre: «Vous supposerez qu′après la première représentation d′Esther, Mme de Sévigné écrit à Mme de La Fayette pour lui dire combien elle a regretté son absence.» Or, Gisèle par un excès de zèle qui avait dû toucher les examinateurs, avait choisi le premier, le plus difficile de ces deux sujets et l′avait traité si remarquablement qu′elle avait eu quatorze et avait été félicitée par le jury. Elle aurait obtenu la mention «très bien» si elle n′avait «séché» dans son examen d′espagnol. La composition dont Gisèle avait envoyé la copie à Albertine nous fut immédiatement lue par celle-ci, car devant elle-même passer le même examen, elle désirait beaucoup avoir l′avis d′Andrée, beaucoup plus forte qu′elles toutes et qui pouvait lui donner de bons tuyaux. «Elle en a eu une veine, dit Albertine. C′est justement un sujet que lui avait fait piocher ici sa maîtresse de français.» La lettre de Sophocle à Racine rédigée par Gisèle, commençait ainsi: «Mon cher ami, excusez-moi de vous écrire sans avoir l′honneur d′être personnellement connu de vous, mais votre nouvelle tragédie d′Athalie ne montre-t-elle pas que vous avez parfaitement étudié mes modestes ouvrages? Vous n′avez pas mis de vers que dans la bouche des protagonistes, ou personnages principaux du drame, mais vous en avez écrit, et de charmants, permettez-moi de vous le dire sans cajolerie, pour les churs qui ne faisaient pas trop mal à ce qu′on dit dans la tragédie grecque, mais qui sont en France une véritable nouveauté. De plus, votre talent, si délié, si fignolé, si charmeur, si fin, si délicat a atteint à une énergie dont je vous félicite. Athalie, Joad, voilà des personnages que votre rival, Corneille, n′eût pas su mieux charpenter. Les caractères sont virils, l′intrigue est simple et forte. Voilà une tragédie dont l′amour n′est pas le ressort et je vous en fais mes compliments les plus sincères. Les préceptes les plus fameux ne sont pas toujours les plus vrais. Je vous citerai comme exemple: «De cette passion la sensible peinture est pour aller au cur la route la plus sûre.» Vous avez montré que le sentiment religieux dont débordent vos churs n′est pas moins capable d′attendrir. Le grand public a pu être dérouté, mais les vrais connaisseurs vous rendent justice. J′ai tenu à vous envoyer toutes mes congratulations auxquelles je joins, mon cher confrère, l′expression de mes sentiments les plus distingués.» Les yeux d′Albertine n′avaient cessé d′étinceler pendant qu′elle faisait cette lecture: “But we mustn′t sit here scribbling nonsense,” she cried, turning impetuously, with a sudden gravity of demeanour, to Andrée and Rosemonde. “I ought to shew you the letter I got from Gisèle this morning. What an idiot I am; I′ve had it all this time in my pocket — and you can′t think how important it may be to us.” Gisèle had been moved to copy out for her friend, so that it might be passed on to the others, the essay which she had written in her certificate examination. Albertine′s fears as to the difficulty of the subjects set had been more than justified by the two from which Gisèle had had to choose. The first was: “Sophocles, from the Shades, writes to Racine to console him for the failure of Athalie“; the other: “Suppose that, after the first performance of Esther, Mme. de Sévigné is writing to Mme. de La Fayette to tell her how much she regretted her absence.” Now Gisèle, in an excess of zeal which ought to have touched the examiners′ hearts, had chosen the former, which was also the more difficult of the two subjects, and had handled it with such remarkable skill that she had been given fourteen marks, and had been congratulated by the board. She would have received her ‘mention′ if she had not ‘dried up′ in the Spanish paper. The essay, a copy of which Gisèle had now sent her, was immediately read aloud to us by Albertine, for, having presently to pass the same examination, she was anxious to have an opinion from Andrée, who was by far the cleverest of them all and might be able to give her some good ‘tips.′ “She did have a bit of luck!” was Albertine′s comment.“It′s the very subject her French mistress made her swot up while she was here.” The letter from Sophocles to Racine, as drafted by Gisèle, ran as follows: “My dear friend, You must pardon me the liberty of addressing you when I have not the honour of your personal acquaintance, but your latest tragedy, Athalie, shews, does it not, that you have made the most thorough study of my own modest works. You have not only put poetry in the mouths of the protagonists, or principal persons of the drama, but you have written other, and, let me tell you without flattery, charming verses for the choruses, a feature which was not too bad, according to all one hears, in Greek Tragedy, but is a complete novelty in France. Nay more, your talent always so fluent, so finished, so winning, so fine, so delicate, has here acquired an energy on which I congratulate you. Athalie, Joad — these are figures which your rival Corneille could have wrought no better. The characters are virile, the plot simple and strong. You have given us a tragedy in which love is not the keynote, and on this I must offer you my sincerest compliments. The most familiar proverbs are not always the truest. I will give you an example: ‘This passion treat, which makes the poet′s art
Fly, as on wings, straight to the listener′s heart.′ You have shewn us that the religious sentiment in which your choruses are steeped is no less capable of moving us. The general public may have been puzzled at first, but those who are best qualified to judge must give you your due. I have felt myself impelled to offer you all my congratulations, to which I would add, my dear brother poet, an expression of my very highest esteem.” Albertine′s eyes, while she was reading this to us, had not ceased to sparkle.
«C′est à croire qu′elle a copié cela, s′écria-t-elle quand elle eut fini. Jamais je n′aurais cru Gisèle capable de pondre un devoir pareil. Et ces vers qu′elle cite. Où a-t-elle pu aller chiper ça?» L′admiration d′Albertine, changeant il est vrai d′objet, mais encore accrue ne cessa pas, ainsi que l′application la plus soutenue, de lui faire «sortir les yeux de la tête» tout le temps qu′Andrée, consultée comme la plus grande et comme plus calée, d′abord, parla du devoir de Gisèle avec une certaine ironie, puis, avec un air de légèreté qui dissimulait mal un sérieux véritable, refit à sa façon la même lettre. «Ce n′est pas mal, dit-elle à Albertine, mais si j′étais toi et qu′on me donne le même sujet, ce qui peut arriver, car on le donne très souvent, je ne ferais pas comme cela. Voilà comment je m′y prendrais. D′abord si j′avais été Gisèle je ne me serais pas laissée emballer et j′aurais commencé par écrire sur une feuille à part mon plan. En première ligne, la position de la question et l′exposition du sujet, puis les idées générales à faire entrer dans le développement. Enfin l′appréciation, le style, la conclusion. Comme cela, en s′inspirant d′un sommaire, on sait où on va. Dès l′exposition du sujet ou si tu aimes mieux, Titine, puisque c′est une lettre, dès l′entrée en matière, Gisèle a gaffé. Ecrivant à un homme du XVIIe siècle Sophocle ne devait pas écrire mon cher ami.» «Elle aurait dû, en effet, lui faire dire mon cher Racine, s′écria fougueusement Albertine. Ç‘aurait été bien mieux». «Non, répondit Andrée sur un ton un peu persifleur, elle aurait dû mettre: «Monsieur». De même pour finir elle aurait dû trouver quelque chose comme: «Souffrez, Monsieur (tout au plus, cher Monsieur) que je vous dise ici les sentiments d′estime avec lesquels j′ai l′honneur d′être votre serviteur.» D′autre part, Gisèle dit que les churs sont dans Athalie une nouveauté. Elle oublie Esther, et deux tragédies peu connues, mais qui ont été précisément analysées cette année par le Professeur, de sorte que rien qu′en les citant, comme c′est son dada, on est sûre d′être reçue. Ce sont: Les Juives, de Robert Garnier, et l′Aman, de Montchrestien.» Andrée cita ces deux titres, sans parvenir à cacher un sentiment de bienveillante supériorité qui s′exprima dans un sourire, assez gracieux, d′ailleurs. Albertine n′y tint plus: «Andrée, tu es renversante, s′écria-t-elle. Tu vas m′écrire ces deux titres-là. Crois-tu quelle chance si je passais là-dessus, même à l′oral, je les citerais aussitôt et je ferais un effet buf.» Mais dans la suite chaque fois qu′Albertine demanda à Andrée de lui redire les noms des deux pièces pour qu′elle les inscrivit, l′amie si savante prétendit les avoir oubliés et ne les lui rappela jamais. «Ensuite, reprit Andrée sur un ton d′imperceptible dédain à l′égard de camarades plus puériles, mais heureuse pourtant de se faire admirer et attachant à la manière dont elle aurait fait sa composition plus d′importance qu′elle ne voulait le laisser voir, Sophocle aux Enfers doit être bien informé. Il doit donc savoir que ce n′est pas devant le grand public, mais devant le Roi-Soleil et quelques courtisans privilégiés que fut représentée Athalie. Ce que Gisèle dit à ce propos de l′estime des connaisseurs n′est pas mal du tout, mais pourrait être complété. Sophocle devenu immortel peut très bien avoir le don de la prophétie et annoncer que selon Voltaire Athalie ne sera pas seulement «le chef-d′uvre de Racine, mais celui de l′esprit humain». Albertine buvait toutes ces paroles. Ses prunelles étaient en feu. Et c′est avec l′indignation la plus profonde qu′elle repoussa la proposition de Rosemonde de se mettre à jouer. «Enfin, dit Andrée du même ton détaché, désinvolte, un peu railleur et assez ardemment convaincu, si Gisèle avait posément noté d′abord les idées générales qu′elle avait à développer, elle aurait peut-être pensé à ce que j′aurais fait, moi, montrer la différence qu′il y a dans l′inspiration religieuse des churs de Sophocle et de ceux de Racine. J′aurais fait faire par Sophocle, la remarque que si les churs de Racine sont empreints de sentiments religieux comme ceux de la tragédie grecque, pourtant il ne s′agit pas des mêmes dieux. Celui de Joad n′a rien à voir avec celui de Sophocle. Et cela amène tout naturellement, après la fin du développement, la conclusion: «Qu′importe que les croyances soient différentes.» Sophocle se ferait un scrupule d′insister là-dessus. Il craindrait de blesser les convictions de Racine et glissant à ce propos quelques mots sur ses maîtres de Port-Royal, il préfère féliciter son émule de l′élévation de son génie poétique.» “Really, you′d think she must have cribbed it somewhere!” she exclaimed, as she reached the end. “I should never have believed that Gisèle could hatch out anything like as good! And the poetry she brings in! Where on earth can she have got that from?” Albertine′s admiration, with a change, it is true, of object, but with no loss — an increase, rather — of intensity, combined with the closest attention to what was being said, continued to make her eyes ‘start from her head′ all the time that Andrée (consulted as being the biggest of the band and more knowledgeable than the others) first of all spoke of Gisèle′s essay with a certain irony, then with a levity of tone which failed to conceal her underlying seriousness proceeded to reconstruct the letter in her own way. “It is not badly done,” she told Albertine, “but if I were you and had the same subject set me, which is quite likely, as they do very often set that, I shouldn′t do it in that way. This is how I would tackle it. Well, first of all, if I had been Gisèle, I should not have let myself get tied up, I should have begun by making a rough sketch of what I was going to write on a separate piece of paper. On the top line I should state the question and give an account of the subject, then the general ideas to be worked into the development. After that, appreciation, style, conclusion. In that way, with a summary to refer to, you know where you are. But at the very start, where she begins her account of the subject, or, if you like, Titine, since it′s a letter we′re speaking of, where she comes to the matter, Gisèle has gone off the rails altogether. Writing to a person of the seventeenth century, Sophocles ought never to have said, ‘My dear friend.′” “Why, of course, she ought to have said, ‘My dear Racine,′” came impetuously from Albertine. “That would have been much better.” “No,” replied Andrée, with a trace of mockery in her tone, “she ought to have put ‘Sir.′ In the same way, to end up, she ought to have thought of something like, ‘Suffer me, Sir,′ (at the very most, ‘Dear Sir′) to inform you of the sense of high esteem with which I have the honour to be your servant.′ Then again, Gisèle says that the choruses in Athalie are a novelty. She is forgetting Esther, and two tragedies that are not much read now but happen to have been analysed this year by the Professor himself, so that you need only mention them, since he′s got them on the brain, and you′re bound to pass. I mean Les Juives, by Robert Gamier, and Montchrestien′s L′Aman.” Andrée quoted these titles without managing quite to conceal a secret sense of benevolent superiority, which found expression in a smile, quite a delightful smile, for that matter. Albertine could contain herself no — longer. “Andrée, you really are a perfect marvel,” she cried. “You must write down those names for me. Just fancy, what luck it would be if I got on to that, even in the oral, I should bring them in at once and make a colossal impression.” But in the days that followed, every time that Albertine begged Andrée just to tell her again the names of those two plays so that she might write them down, her blue-stocking friend seemed most unfortunately to have forgotten them, and left her none the wiser. “And another thing,” Andrée went on with the faintest note in her voice of scorn for companions so much younger than herself, though she relished their admiration and attached to the manner in which she herself would have composed the essay a greater importance than she wanted us to think, “Sophocles in the Shades must be kept well-informed of all that goes on. He must know, therefore, that it was not before the general public but before the King′s Majesty and a few privileged courtiers that Athalie was first played. What Gisèle says in this connexion of the esteem of qualified judges is not at all bad, but she might have gone a little further. Sophocles, now that he is immortal, might quite well have the gift of prophecy and announce that, according to Voltaire, Athalie is to be the supreme achievement not of Racine merely but of the human mind.” Albertine was drinking in every word. Her eyes blazed. And it was with the utmost indignation that she rejected Rosemonde′s suggestion that they should begin to play. “And so,” Andrée concluded, in the same easy, detached tone, blending a faint sneer with a certain warmth of conviction, “if Gisèle had noted down properly, first of all, the general ideas that she was going to develop, it might perhaps have occurred to her to do what I myself should have done, point out what a difference there is between the religious inspiration of Sophocles′s choruses and Racine′s. I should have made Sophocles remark that if Racine′s choruses are instinct with religious feeling like those of the Greek Tragedians, the gods are not the same. The God of Joad has nothing in common with the god of Sophocles. And that brings us quite naturally, when we have finished developing the subject, to our conclusion: What does it matter if their beliefs are different? Sophocles would hesitate to insist upon such a point. He would be afraid of wounding Racine′s convictions, and so, slipping in a few appropriate words on his masters at Port-Royal, he prefers to congratulate his disciple on the loftiness of his poetic genius.”
L′admiration et l′attention avaient donné si chaud à Albertine qu′elle suait à grosses gouttes. Andrée gardait le flegme souriant d′un dandy femelle. «Il ne serait pas mauvais non plus de citer quelques jugements des critiques célèbres», dit-elle, avant qu′on se remît à jouer. «Oui, répondit Albertine, on m′a dit cela. Les plus recommandables en général, n′est-ce pas, sont les jugements de Sainte-Beuve et de Merlet?» «Tu ne te trompes pas absolument, répliqua Andrée qui se refusa d′ailleurs à lui écrire les deux autres noms malgré les supplications d′Albertine, Merlet et Sainte Beuve ne font pas mal. Mais il faut surtout citer Deltour et Gascq-Desfossés». Admiration and attention had so heated Albertine that great drops were rolling down her cheeks. Andrée preserved the unruffled calm of a female dandy. “It would not be a bad thing either to quote some of the opinions of famous critics,” she added, before they began their game. “Yes,” put in Albertine, “so I′ve been told. The best ones to quote, on the whole, are Sainte-Beuve and Merlet, aren′t they?” “Well, you′re not absolutely wrong,” Andrée told her, “Merlet and Sainte-Beuve are by no means bad. But you certainly ought to mention Deltour and Gascq-Desfossés.” She refused, however, despite Albertine′s entreaties, to write down these two unfamiliar names.
Pendant ce temps je songeais à la petite feuille de block-notes que m′avait passée Albertine: «Je vous aime bien», et une heure plus tard, tout en descendant les chemins qui ramenaient, un peu trop à pic à mon gré, vers Balbec, je me disais que c′était avec elle que j′aurais mon roman. Meanwhile I had been thinking of the little page torn from a scribbling block which Albertine had handed me. “I love you,” she had written. And an hour later, as I scrambled down the paths which led back, a little too vertically for my liking, to Balbec, I said to myself that it was with her that I would have my romance.
L′état caractérisé par l′ensemble des signes auxquels nous reconnaissons d′habitude que nous sommes amoureux, tels les ordres que je donnais à l′hôtel de ne m′éveiller pour aucune visite, sauf si c′était celle d′une ou l′autre de ces jeunes filles, ces battements de cur en les attendant (quelle que fût celle qui dût venir), et ces jours-là ma rage si je n′avais pu trouver un coiffeur pour me raser et devais paraître enlaidi devant Albertine, Rosemonde ou Andrée, sans doute cet état, renaissant alternativement pour l′une ou l′autre, était aussi différent de ce que nous appelons amour que diffère de la vie humaine celle des zoophytes où l′existence, l′individualité si l′on peut dire, est répartie entre différents organismes. Mais l′histoire naturelle nous apprend qu′une telle organisation animale est observable et que notre propre vie, pour peu qu′elle soit déjà un peu avancée, n′est pas moins affirmative sur la réalité d′états insoupçonnés de nous autrefois et par lesquels nous devons passer, quitte à les abandonner ensuite. Tel pour moi cet état amoureux divisé simultanément entre plusieurs jeunes filles. Divisé ou plutôt indivisé, car le plus souvent ce qui m′était délicieux, différent du reste du monde, ce qui commençait à me devenir cher au point que l′espoir de le retrouver le lendemain était la meilleure joie de ma vie, c′était plutôt tout le groupe de ces jeunes filles, pris dans l′ensemble de ces après-midi sur la falaise, pendant ces heures éventées, sur cette bande d′herbe où étaient posées ces figures, si excitantes pour mon imagination, d′Albertine, de Rosemonde, d′Andrée; et cela, sans que j′eusse pu dire laquelle me rendait ces lieux si précieux, laquelle j′avais le plus envie d′aimer. Au commencement d′un amour comme à sa fin, nous ne sommes pas exclusivement attachés à l′objet de cet amour, mais plutôt le désir d′aimer dont il va procéder (et plus tard le souvenir qu′il laisse) erre voluptueusement dans une zone de charmes interchangeables — charmes parfois simplement de nature, de gourmandise, d′habitation — assez harmoniques entre eux pour qu′il ne se sente, auprès d′aucun, dépaysé. D′ailleurs comme, devant elles, je n′étais pas encore blasé par l′habitude, j′avais la faculté de les voir, autant dire d′éprouver un étonnement profond chaque fois que je me retrouvais en leur présence. Sans doute pour une part cet étonnement tient à ce que l′être nous présente alors une nouvelle face de lui-même; mais tant est grande la multiplicité de chacun, de la richesse des lignes de son visage et de son corps, lignes desquelles si peu se retrouvent aussitôt que nous ne sommes plus auprès de la personne, dans la simplicité arbitraire de notre souvenir. Comme la mémoire a choisi telle particularité qui nous a frappé, l′a isolée, l′a exagérée, faisant d′une femme qui nous a paru grande une étude où la longueur de sa taille est démesurée, ou d′une femme qui nous a semblé rose et blonde une pure «Harmonie en rose et or», au moment où de nouveau cette femme est près de nous, toutes les autres qualités oubliées qui font équilibre à celle-là nous assaillent, dans leur complexité confuse, diminuant, la hauteur noyant le rose, et substituant à ce que nous sommes venus exclusivement chercher d′autres particularités que nous nous rappelons avoir remarquées la première fois et dont nous ne comprenons pas que nous ayons pu si peu nous attendre à les revoir. Nous nous souvenons, nous allons au devant d′un paon et nous trouvons une pivoine. Et cet étonnement inévitable n′est pas le seul; car à côté de celui-là il y en a un autre né de la différence, non plus entre les stylisations du souvenir et la réalité, mais entre l′être que nous avons vu la dernière fois, et celui qui nous apparaît aujourd′hui sous un autre angle, nous montrant un nouvel aspect. Le visage humain est vraiment comme celui du Dieu d′une théogénie orientale, toute une grappe de visages juxtaposés dans des plans différents et qu′on ne voit pas à la fois. The state of being indicated by the presence of all the signs by which we are accustomed to recognise that we are in love, such as the orders which I left in the hotel not to awaken me whoever might ask to see me, unless it were one or other of the girls, the beating of my heart while I waited for her (whichever of them it might be that I was expecting) and on those mornings my fury if I had not succeeded in finding a barber to shave me, and must appear with the disfigurement of a hairy chin before Albertine, Rosemonde or Andrée, no doubt this state, recurring indifferently at the thought of one or another, was as different from what we call love as is from human life the life of the zoophytes, where an existence, an individuality, if we may term it, is divided up among several organisms. But natural history teaches us that such an organization of animal life is indeed to be observed, and that our own life, provided only that we have outgrown the first phase, is no less positive as to the reality of states hitherto unsuspected by us, through which we have to pass, and can then abandon them altogether. Such was for me this state of love divided among several girls at once. Divided — say rather undivided, for more often than not what was so delicious to me, different from the rest of the world, what was beginning to become so precious to me that the hope of finding it again on the morrow was the greatest happiness in my life, was rather the whole of the group of girls, taken as they were all together on those afternoons on the cliffs, during those lifeless hours, upon that strip of grass on which were laid those forms, so exciting to my imagination, of Albertine, Rosemonde, Andrée; and that without my being able to say which of them it was that made those scenes so precious to me, which of them I was most anxious to love. At the start of a new love as at its ending, we are not exclusively attached to the object of that love, but rather the desire to be loving from which it will presently emerge (and, later on, the memory which it leaves behind) wanders voluptuously through a zone of interchangeable charms — simply natural charms, it may be, gratification of appetite, enjoyment of one′s surroundings — which are so far harmonised among themselves that it does not in the presence of any one of them feel itself out of place. Besides, as my perception of them was not yet dulled by familiarity, I had still the faculty of seeing them, that is to say of feeling a profound astonishment every time that I found myself in their presence. No doubt this astonishment is to some extent due to the fact that the other person on such occasions presents himself in a fresh aspect; but so great is the multiformity of each of us, so abundant the wealth of lines of face and body, lines so few of which leave any trace, once we have parted from the other person, on the arbitrary simplicity of our memory. As our mind has selected some peculiarity that had struck us, has isolated it, exaggerated it, making of a woman who has appeared to us tall, a sketch in which her figure is absurdly elongated, or of a woman who has seemed to be pink-cheeked and golden-haired a pure ‘Harmony in pink and gold,′ so, the moment that woman is once again standing before us, all the other forgotten qualities which restore the balance of that one remembered feature at once assail us, in their confused complexity, diminishing her height, paling her cheeks, and substituting for what we have come to her solely to seek other peculiarities which we remember now that we did notice the first time, and fail to understand how we can so far have forgotten to look out for again. We thought we remembered; it was a peahen, surely; we go to see it and find a peony. And this inevitable astonishment is not the only one; for, side by side with it comes another, born of the difference, not now between the stereotyped forms of memory and reality, but between the person whom we saw last time and him who appears to us to-day from another angle and shews us another aspect. The human face is indeed, like the face of the God of some Oriental theogony, a whole cluster of faces, crowded together but on different surfaces so that one does not see them all at once.
Mais pour une grande part, notre étonnement vient surtout de ce que l′être nous présente aussi une même face. Il nous faudrait un si grand effort pour recréer tout ce qui nous a été fourni par ce qui n′est pas nous — fût-ce le goût d′un fruit — qu′à peine l′impression reçue, nous descendons insensiblement la pente du souvenir et sans nous en rendre compte en très peu de temps nous sommes très loin de ce que nous avons senti. De sorte que chaque entrevue est une espèce de redressement qui nous ramène à ce que nous avions bien vu. Nous ne nous en souvenions déjà tant ce qu′on appelle se rappeler un être c′est en réalité l′oublier. Mais aussi longtemps que nous savons encore voir au moment où le trait oublié nous apparaît nous le reconnaissons, nous sommes obligés de rectifier la ligne déviée et ainsi la perpétuelle et féconde surprise qui rendait si salutaires et assouplissants pour moi ces rendez-vous quotidiens avec les belles jeunes filles du bord de la mer, était faite, tout autant que de découvertes, de réminiscence. En ajoutant à cela l′agitation éveillée par ce qu′elles étaient pour moi, qui n′était jamais tout à fait ce que j′avais cru et qui faisait que l′espérance de la prochaine réunion n′était plus semblable à la précédente espérance mais au souvenir encore vibrant du dernier entretien, on comprendra que chaque promenade donnait un violent coup de barre à mes pensées et non pas du tout dans le sens que dans la solitude de ma chambre j′avais pu tracer à tête reposée. Cette direction-là était oubliée, abolie, quand je rentrais vibrant comme une ruche des propos qui m′avaient troublé, et qui retentissaient longtemps en moi. Chaque être est détruit quand nous cessons de le voir; puis son apparition suivante est une création nouvelle, différente de celle qui l′a immédiatement précédée, sinon de toutes. Car le minimum de variété qui puisse régner dans ces créations est de deux. Nous souvenant d′un coup d′il énergique, d′un air hardi, c′est inévitablement la fois suivante par un profil quasi-languide, par une sorte de douceur rêveuse, choses négligées par nous dans le précédent souvenir, que nous serons à la prochaine rencontre, étonnés, c′est-à-dire presque uniquement frappés. Dans la confrontation de notre souvenir à la réalité nouvelle, c′est cela qui marquera notre déception ou notre surprise, nous apparaîtra comme la retouche de la réalité en nous avertissant que nous nous étions mal rappelés. A son tour l′aspect, la dernière fois négligé, du visage, et à cause de cela même le plus saisissant cette fois-ci, le plus réel, le plus rectificatif, deviendra matière à rêverie, à souvenirs. C′est un profil langoureux et rond, une expression douce, rêveuse que nous désirerons revoir. Et alors de nouveau la fois suivante, ce qu′il y a de volontaire dans les yeux perçants, dans le nez pointu, dans les lèvres serrées, viendra corriger l′écart entre notre désir et l′objet auquel il a cru correspondre. Bien entendu, cette fidélité aux impressions premières, et purement physiques, retrouvées à chaque fois auprès de mes amies, ne concernait pas que les traits de leur visage puisqu′on a vu que j′étais aussi sensible à leur voix, plus troublante peut-être (car elle n′offre pas seulement les mêmes surfaces singulières et sensuelles que lui, elle fait partie de l′abîme inaccessible qui donne le vertige des baisers sans espoir), leur voix pareille au son unique d′un petit instrument, où chacune se mettait tout entière et qui n′était qu′à elle. Tracée par une inflexion, telle ligne profonde d′une de ces voix m′étonnait quand je la reconnaissais après l′avoir oubliée. Si bien que les rectifications qu′à chaque rencontre nouvelle j′étais obligé de faire pour le retour à la parfaite justesse, étaient aussi bien d′un accordeur ou d′un maître de chant que d′un dessinateur. But to a great extent our astonishment springs from the other person′s presenting to us also a face that is the same as before. It would require so immense an effort to reconstruct everything that has been imparted to us by things other than ourselves — were it only the taste of a fruit — that no sooner is the impression received than we begin imperceptibly to descend the slope of memory and, without noticing anything, in a very short time, we have come a long way from what we actually felt. So that every fresh encounter is a sort of rectification, which brings us back to what we really did see. We have no longer any recollection of this, to such an extent does what we call remembering a person consist really in forgetting him. But so long as we can still see at the moment when the forgotten aspect appears, we recognise it, we are obliged to correct the straying line; thus the perpetual and fruitful surprise which made so salutary and invigorating for me these daily outings with the charming damsels of the sea shore, consisted fully as much in recognition as in discovery. When there is added to this the agitation aroused by what these girls were to me, which was never quite what I had supposed, and meant that my expectancy of our next meeting resembled not so much my expectancy the time before as the still throbbing memory of our latest conversation, it will be realised that each of our excursions made a violent interruption in the course of my thoughts and moved them clean out of the direction which, in the solitude of my own room, I had been able to trace for them at my leisure. That plotted course was forgotten, had ceased to exist, when I returned home buzzing like a hive of bees with remarks which had disquieted me when I heard them and were still echoing in my brain. The other person is destroyed when we cease to see him; after which his next appearance means a fresh creation of him, different from that which immediately preceded it, if not from them all. For the minimum variation that is to be found in these creations is duality. If we have in mind a strong and searching glance, a bold manner, it is inevitably, next time, by a half-languid profile, a sort of dreamy gentleness, overlooked by us in our previous impression, that we shall be, on meeting him again, astonished, that is to say almost solely struck. In confronting our memory with the new reality it is this that will mark the extent of our disappointment or surprise, will appear to us like the revised version of an earlier reality warning us that we had not remembered it correctly. In its turn, the facial aspect neglected the time before, and for that very reason the most striking this time, the most real, the most documentary, will become a matter for dreams and memories. It is a languorous and rounded profile, a gentle, dreamy expression which we shall now desire to see again. And then, next time, such resolution, such strength of character as there may be in the piercing eyes, the pointed nose, the tight lips, will come to correct the discrepancy between our desire and the object to which it has supposed itself to correspond. It is understood, of course, that this loyalty to the first and purely physical impressions which I formed afresh at each encounter with my friends did not involve only their facial appearance, since the reader has seen that I was sensible also of their voices, more disquieting still, perhaps (for not only does a voice offer the same strange and sensuous surfaces as a face, it issues from that unknown, inaccessible region the mere thought of which sets the mind swimming with unattainable kisses), their voices each like the unique sound of a little instrument into which the player put all her artistry and which was found only in her possession. Traced by a casual inflexion, a sudden deep chord in one of their voices would astonish me when I recognised after having forgotten it. So much so that the corrections which after every fresh meeting I was obliged to make so as to ensure absolute accuracy were as much those of a tuner or singing-master as a draughtsman′s.
Quant à l′harmonieuse cohésion où se neutralisaient depuis quelque temps, par la résistance que chacune apportait à l′expansion des autres, les diverses ondes sentimentales propagées en moi par ces jeunes filles, elle fut rompue en faveur d′Albertine, une après-midi que nous jouions au furet. C′était dans un petit bois sur la falaise. Placé entre deux jeunes filles étrangères à la petite bande et que celle-ci avait emmenées parce que nous devions être ce jour-là fort nombreux, je regardais avec envie le voisin d′Albertine, un jeune homme, en me disant que si j′avais eu sa place j′aurais pu toucher les mains de mon amie pendant ces minutes inespérées qui ne reviendraient peut-être pas, et eussent pu me conduire très loin. Déjà à lui seul et même sans les conséquences qu′il eût entraînées sans doute, le contact des mains d′Albertine m′eût été délicieux. Non que je n′eusse jamais vu de plus belles mains que les siennes. Même dans le groupe de ses amies, celles d′Andrée, maigres et bien plus fines, avaient comme une vie particulière, docile au commandement de la jeune fille, mais indépendante, et elles s′allongeaient souvent devant elle comme de nobles lévriers, avec des paresses, de longs rêves, de brusques étirements d′une phalange, à cause desquels Elstir avait fait plusieurs études de ces mains. Et dans l′une où on voyait Andrée les chauffer devant le feu, elles avaient sous l′éclairage la diaphanéité dorée de deux feuilles d′automne. Mais, plus grasses, les mains d′Albertine cédaient un instant, puis résistaient à la pression de la main qui les serrait, donnant une sensation toute particulière. La pression de la main d′Albertine avait une douceur sensuelle qui était comme en harmonie avec la coloration rose, légèrement mauve de sa peau. Cette pression semblait vous faire pénétrer dans la jeune fille, dans la profondeur de ses sens, comme la sonorité de son rire, indécent à la façon d′un roucoulement ou de certains cris. Elle était de ces femmes à qui c′est un si grand plaisir de serrer la main qu′on est reconnaissant à la civilisation d′avoir fait du shake-hand un acte permis entre jeunes gens et jeunes filles qui s′abordent. Si les habitudes arbitraires de la politesse avaient remplacé la poignée de mains par un autre geste, j′eusse tous les jours regardé les mains intangibles d′Albertine avec une curiosité de connaître leur contact aussi ardente qu′était celle de savoir la saveur de ses joues. Mais dans le plaisir de tenir longtemps ses mains entre les miennes, si j′avais été son voisin au furet, je n′envisageais pas que ce plaisir même; que d′aveux, de déclarations tus jusqu′ici par timidité, j′aurais pu confier à certaines pressions de mains; de son côté comme il lui eût été facile en répondant par d′autres pressions de me montrer qu′elle acceptait; quelle complicité, quel commencement de volupté! Mon amour pouvait faire plus de progrès en quelques minutes passées ainsi à côté d′elle qu′il n′avait fait depuis que je la connaissais. Sentant qu′elles dureraient peu, étaient bientôt à leur fin, car on ne continuerait sans doute pas longtemps ce petit jeu, et qu′une fois qu′il serait fini, ce serait trop tard, je ne tenais pas en place. Je me laissai exprès prendre la bague et une fois au milieu, quand elle passa je fis semblant de ne pas m′en apercevoir et la suivais des yeux attendant le moment où elle arriverait dans les mains du voisin d′Albertine, laquelle riant de toutes ses forces, et dans l′animation et la joie du jeu, était toute rose. «Nous sommes justement dans le bois joli», me dit Andrée en me désignant les arbres qui nous entouraient avec un sourire du regard qui n′était que pour moi et semblait passer par-dessus les joueurs comme si nous deux étions seuls assez intelligents pour nous dédoubler et faire à propos du jeu une remarque d′un caractère poétique. Elle poussa même la délicatesse d′esprit jusqu′à chanter sans en avoir envie: «Il a passé par ici le furet du Bois, Mesdames, il a passé par ici le furet du Bois joli» comme les personnes qui ne peuvent aller à Trianon sans y donner une fête Louis XVI ou qui trouvent piquant de faire chanter un air dans le cadre pour lequel il fut écrit. J′eusse sans doute été au contraire attristé de ne pas trouver du charme à cette réalisation, si j′avais eu le loisir d′y penser. Mais mon esprit était bien ailleurs. Joueurs et joueuses commençaient à s′étonner de ma stupidité et que je ne prisse pas la bague. Je regardais Albertine si belle, si indifférente, si gaie, qui, sans le prévoir, allait devenir ma voisine quand enfin j′arrêterais la bague dans les mains qu′il faudrait, grâce à un manège qu′elle ne soupçonnait pas et dont sans cela elle se fût irritée. Dans la fièvre du jeu, les longs cheveux d′Albertine s′étaient à demi défaits et, en mèches bouclées, tombaient sur ses joues dont ils faisaient encore mieux ressortir par leur brune sécheresse, la rose carnation. «Vous avez les tresses de Laura Dianti, d′Eléonore de Guyenne, et de sa descendante si aimée de Châteaubriand. Vous devriez porter toujours les cheveux un peu tombants», lui dis-je à l′oreille pour me rapprocher d′elle. Tout d′un coup la bague passa au voisin d′Albertine. Aussitôt je m′élançai, lui ouvris brutalement les mains, saisis la bague, il fut obligé d′aller à ma place au milieu du cercle et je pris la sienne à côté d′Albertine. Peu de minutes auparavant, j′enviais ce jeune homme quand je voyais que ses mains en glissant sur la ficelle rencontrer à tout moment celles d′Albertine. Maintenant que mon tour était venu, trop timide pour rechercher, trop ému pour goûter ce contact, je ne sentais plus rien que le battement rapide et douloureux de mon cur. A un moment, Albertine pencha vers moi d′un air d′intelligence sa figure pleine et rose, faisant semblant d′avoir la bague, afin de tromper le furet et de l′empêcher de regarder du côté où celle-ci était en train de passer. Je compris tout de suite que c′était à cette ruse que s′appliquaient les sous-entendus du regard d′Albertine, mais je fus troublé en voyant ainsi passer dans ses yeux l′image purement simulée pour les besoins du jeu, d′un secret, d′une entente qui n′existaient pas entre elle et moi, mais qui dès lors me semblèrent possibles et m′eussent été divinement doux. Comme cette pensée m′exaltait, je sentis une légère pression de la main d′Albertine contre la mienne, et son doigt caressant qui se glissait sous mon doigt, et je vis qu′elle m′adressait en même temps un clin d′il qu′elle cherchait à rendre imperceptible. D′un seul coup, une foule d′espoirs jusque-là invisibles à moi-même cristallisèrent: «Elle profite du jeu pour me faire sentir qu′elle m′aime bien», pensai-je au comble d′une joie d′où je retombai aussitôt quand j′entendis Albertine me dire avec rage: «Mais prenez-là donc, voilà une heure que je vous la passe.» Etourdi de chagrin, je lâchai la ficelle, le furet aperçut la bague, se jeta sur elle, je dus me remettre au milieu, désespéré, regardant la ronde effrénée qui continuait autour de moi, interpellé par les moqueries de toutes les joueuses, obligé, pour y répondre, de rire quand j′en avais si peu envie, tandis qu′Albertine ne cessait de dire: «On ne joue pas quand on ne veut pas faire attention et pour faire perdre les autres. On ne l′invitera plus les jours où on jouera, Andrée, ou bien moi je ne viendrai pas.» Andrée, supérieure au jeu et qui chantait son «Bois joli» que par esprit d′imitation, reprenait sans conviction Rosemonde, voulut faire diversion aux reproches d′Albertine en me disant: «Nous sommes à deux pas de ces Creuniers que vous vouliez tant voir. Tenez, je vais vous mener jusque-là par un joli petit chemin pendant que ces folles font les enfants de huit ans.» Comme Andrée était extrêmement gentille avec moi, en route je lui dis d′Albertine tout ce qui me semblait propre à me faire aimer de celle-ci. Elle me répondit qu′elle aussi l′aimait beaucoup, la trouvait charmante, pourtant mes compliments à l′adresse de son amie n′avaient pas l′air de lui faire plaisir. Tout d′un coup dans le petit chemin creux, je m′arrêtai touché au cur par un doux souvenir d′enfance, je venais de reconnaître aux feuilles découpées et brillantes qui s′avançaient sur le seuil, un buisson d′aubépines défleuries, hélas, depuis la fin du printemps. Autour de moi flottait une atmosphère d′anciens mois de Marie, d′après-midi du dimanche, de croyances, d′erreurs oubliées. J′aurais voulu la saisir. Je m′arrêtai une seconde et Andrée, avec une divination charmante, me laissa causer un instant avec les feuilles de l′arbuste. Je leur demandai des nouvelles des fleurs, ces fleurs de l′aubépine pareilles à des gaies jeunes filles étourdies, coquettes et pieuses. «Ces demoiselles sont parties depuis déjà longtemps», me disaient les feuilles. Et peut-être pensaient-elles que pour le grand ami d′elles que je prétendais être, je ne semblais guère renseigné sur leurs habitudes. Un grand ami, mais qui ne les avais pas revues depuis tant d′années malgré ses promesses. Et pourtant comme Gilberte avait été mon premier amour pour une jeune fille, elles avaient été mon premier amour pour une fleur. «Oui, je sais, elles s′en vont vers la mi-juin, répondis-je, mais cela me fait plaisir de voir l′endroit qu′elles habitaient ici. Elles sont venues me voir à Combray dans ma chambre, amenées par ma mère quand j′étais malade. Et nous nous retrouvions le samedi soir au mois de Marie. Elles peuvent y aller ici?» «Oh! naturellement! Du reste on tient beaucoup à avoir ces demoiselles à l′église de Saint-Denis du Désert, qui est la paroisse la plus voisine.» «Alors maintenant pour les voir?» «Oh! pas avant le mois de mai de l′année prochaine.» «Mais je peux être sûr qu′elles seront là?» «Régulièrement tous les ans.» «Seulement je ne sais pas si je retrouverai bien la place.» «Que si! ces demoiselles sont si gaies, elles ne s′interrompent de rire que pour chanter des cantiques, de sorte qu′il n′y a pas d′erreur possible et que du bout du sentier vous reconnaîtrez leur parfum.» As for the harmonious cohesion in which had been neutralised for some time, by the resistance that each brought to bear against the expansion of the others, the several waves of sentiment set in motion in me by these girls, it was broken in Albertine′s favour one afternoon when we were playing the game of ‘ferret.′ It was in a little wood on the cliff. Stationed between two girls, strangers to the little band, whom the band had brought in its train because we wanted that day to have a bigger party than usual, I gazed enviously at Albertine′s neighbour, a young man, saying to myself that if I had been in his place I could have been touching my friend′s hands all those miraculous moments which might perhaps never recur, and that this would have been but the first stage in a great advance. Already, by itself, and even without the consequences which it would probably have involved, the contact of Albertine′s hands would have been delicious to me. Not that I had never seen prettier hands than hers. Even in the group of her friends, those of Andrée, slender hands and much more finely modelled, had as it were a private life of their own, obedient to the commands of their mistress, but independent, and used often to strain out before her like a leash of thoroughbred greyhounds, with lazy pauses, long dreams, sudden stretchings of a joint, seeing which Elstir had made a number of studies of these hands. And in one of them, in which you saw Andrée warming her hands at the fire, they had, with the light behind them, the gilded transparency of two autumn leaves. But, plumper than these, the hands of Albertine would yield for a moment, then resist the pressure of the hand that clasped them, giving a sensation that was quite peculiar to themselves. The act of pressing Albertine′s hand had a sensual sweetness which was in keeping somehow with the rosy, almost mauve colouring of her skin. That pressure seemed to allow you to penetrate into the girl′s being, to plumb the depths of her senses, like the ringing sound of her laughter, indecent as may be the cooing of doves or certain animal cries. She was the sort of woman with whom shaking hands affords so much pleasure that one feels grateful to civilisation for having made of the handclasp a lawful act between young men and girls when they meet. If the arbitrary code of good manners had replaced the clasp of hands by some other gesture, I should have gazed, day after day, at the unattainable hands of Albertine with a curiosity to know the feel of them as ardent as was my curiosity to learn the savour of her cheeks. But in the pleasure of holding her hand unrestrictedly in mine, had I been next to her at ‘ferret′ I did not envisage that pleasure alone; what avowals, declarations silenced hitherto by my bashfulness, I could have conveyed by certain pressures of hand on hand; on her side, how easy it would have been for her, in responding by other pressures, to shew me that she accepted; what complicity, what a vista of happiness stood open! My love would be able to make more advance in a few minutes spent thus by her side than it had yet made in all the time that I had known her. Feeling that they would last but a short time, were rapidly nearing their end, since presumably we were not going on much longer with this game, and that once it was over I should be too late, I could not keep in my place for another moment. I let myself deliberately be caught with the ring, and, having gone into the middle, when the ring passed I pretended not to see it but followed its course with my eyes, waiting for the moment when it should come into the hands of the young man next to Albertine, who herself, pealing with helpless laughter, and in the excitement and pleasure of the game, was blushing like a rose. “Why, we really are in the Fairy Wood!” said Andrée to me, pointing to the trees that grew all round, with a smile in her eyes which was meant only for me and seemed to pass over the heads of the other players, as though we two alone were clever enough to double our parts, and make, in connexion with the game we were playing, a remark of a poetic nature. She even carried the delicacy of her fancy so far as to sing half-unconsciously: “The Ferret of the Wood has passed this way, Sweet Ladies; he has passed by this way, the Ferret of Fairy Wood!” like those people who cannot visit Trianon without getting up a party in Louis XVI costume, or think in effective to have a song sung to its original setting. I should no doubt have been sorry that I could see no charm in this piece of mimicry, had I had time to think of it. But my thoughts were all elsewhere. The players began to shew surprise at my stupidity in never getting the ring. I was looking at Albertine, so pretty, so indifferent, so gay, who, though she little knew it, was to be my neighbour when at last I should catch the ring in the right hands, thanks to a stratagem which she did not suspect, and would certainly have resented if she had. In the heat of the game her long hair had become loosened, and fell in curling locks over her cheeks on which it served to intensify, by its dry brownness, the carnation pink. “You have the tresses of Laura Dianti, of Eleanor of Guyenne, and of her descendant so beloved of Chateaubriand. You ought always to wear your hair half down like that,” I murmured in her ear as an excuse for drawing close to her. Suddenly the ring passed to her neighbour. I sprang upon him at once, forced open his hands and seized it; he was obliged now to take my place inside the circle, while I took his beside Albertine. A few minutes earlier I had been envying this young man, when I saw that his hands as they slipped over the cord were constantly brushing against hers. Now that my turn was come, too shy to seek, too much moved to enjoy this contact, I no longer felt anything save the rapid and painful beating of my heart. At one moment Albertine leaned towards me, with an air of connivance, her round and rosy face, making a show of having the ring, so as to deceive the ferret, and keep him from looking in the direction in which she was just going to pass it. I realised at once that this was the sole object of Albertine′s mysterious, confidential gaze, but I was a little shocked to see thus kindle in her eyes the image — purely fictitious, invented to serve the needs of the game — of a secret, an understanding between her and myself which did not exist, but which from that moment seemed to me to be possible and would have been divinely sweet. While I was still being swept aloft by this thought, I felt a slight pressure of Albertine′s hand against mine, and her caressing finger slip under my finger along the cord, and I saw her, at the same moment, give me a wink which she tried to make pass unperceived by the others. At once, a mass of hopes, invisible hitherto by myself, crystallised within me. “She is taking advantage of the game to let me feel that she really does love me,” I thought to myself, in an acme of joy, from which no sooner had I reached it than I fell, on hearing Albertine mutter furiously: “Why can′t you take it? I′ve been shoving it at you for the last hour.” Stunned with grief, I let go the cord, the ferret saw that ring and swooped down on it, and I had to go back into the middle, where I stood helpless, in despair, looking at the unbridled rout which continued to circle round me, stung by the jeering shouts of all the players, obliged, in reply, to laugh when I had so little mind for laughter, while Albertine kept on repeating: “People can′t play if they don′t pay attention, and spoil the game for the others. He shan′t be asked again when we′re going to play, Andrée; if he is, I don′t come.” Andrée, with a mind above the game, still chanting her ‘Fairy Wood′ which, in a spirit of imitation, Rosemonde had taken up too, but without conviction, sought to make a diversion from Albertine′s reproaches by saying to me: “We′re quite close to those old Creuniers you wanted so much to see. Look, I′ll take you there by a dear little path, and we′ll leave these silly idiots to go on playing like babies in the nursery.” As Andrée was extremely nice to me, as we went along I said to her everything about Albertine that seemed calculated to make me attractive to the latter. Andrée replied that she too was very fond of Albertine, thought her charming; in spite of which the compliments that I was paying to her friend did not seem altogether to please her. Suddenly, in the little sunken path, I stopped short, touched to the heart by an exquisite memory of my childhood. I had just recognised, by the fretted and glossy leaves which it thrust out towards me, a hawthorn-bush, flowerless, alas, now that spring was over. Around me floated the atmosphere of far-off Months of Mary, of Sunday afternoons, of beliefs, or errors long ago forgotten. I wanted to stay it in its passage. I stood still for a moment, and Andrée, with a charming divination of what was in my mind, left me to converse with the leaves of the bush. I asked them for news of the flowers, those hawthorn flowers that were like merry little girls, headstrong, provocative, pious. “The young ladies have been gone from here for a long time now,” the leaves told me. And perhaps they thought that, for the great friend of those young ladies that I pretended to be, I seemed to have singularly little knowledge of their habits. A great friend, but one who had never been to see them again for all these years, despite his promises. And yet, as Gilberte had been my first love among girls, so these had been my first love among flowers. “Yes, I know all that, they leave about the middle of June,” I answered, “but I am so delighted to see the place where they stayed when they were here. They came to see me, too, at Combray, in my room; my mother brought them when I was ill in bed. And we used to meet on Saturday evenings, too, at the Month of Mary devotions. Can they get to them from here?” “Oh, of course! Why, they make a special point of having our young ladies at Saint-Denis du Désert, the church near here.” “Then, if I want to see them now?” “Oh, not before May, next year.” “But I can be sure that they will be here?” “They come regularly every year.” “Only I don′t know whether it will be easy to find the place.” “Oh, dear, yes! They are so gay, the young ladies, they stop laughing only to sing hymns together, so that you can′t possibly miss them, you can tell by the scent from the other end of the path.”
Je rejoignis Andrée, recommençai à lui faire des éloges d′Albertine. Il me semblait impossible qu′elle ne les lui répétât pas étant donnée l′insistance que j′y mis. Et pourtant je n′ai jamais appris qu′Albertine les eût sus. Andrée avait pourtant bien plus qu′elle l′intelligence des choses du cur, le raffinement dans la gentillesse; trouver le regard, le mot, l′action, qui pouvaient le plus ingénieusement faire plaisir, taire une réflexion qui risquait de peiner, faire le sacrifice (et en ayant l′air que ce ne fût pas un sacrifice), d′une heure de jeu, voire d′une matinée, d′une garden-party, pour rester auprès d′un ami ou d′une amie triste et lui montrer ainsi qu′elle préférait sa simple société à des plaisirs frivoles, telles étaient ses délicatesses coutumières. Mais quand on la connaissait un peu plus on aurait dit qu′il en était d′elle comme de ces héroî°µes poltrons qui ne veulent pas avoir peur, et de qui la bravoure est particulièrement méritoire; on aurait dit qu′au fond de sa nature, il n′y avait rien de cette bonté qu′elle manifestait à tout moment par distinction morale, par sensibilité, par noble volonté de se montrer bonne amie. A écouter les charmantes choses qu′elle me disait d′une affection possible entre Albertine et moi, il semblait qu′elle eût dû travailler de toutes ses forces à la réaliser. Or, par hasard peut-être, du moindre des riens dont elle avait la disposition et qui eussent pu m′unir à Albertine, elle ne fit jamais usage, et je ne jurerais pas que mon effort pour être aimé d′Albertine, n′ait, sinon provoqué de la part de son amie des manèges secrets destinés à le contrarier, mais éveillé en elle une colère bien cachée d′ailleurs, et contre laquelle par délicatesse elle luttait peut-être elle-même. De mille raffinements de bonté qu′avait Andrée, Albertine eût été incapable, et cependant je n′étais pas certain de la bonté profonde de la première comme je le fus plus tard de celle de la seconde. Se montrant toujours tendrement indulgente à l′exubérante frivolité d′Albertine, Andrée avait avec elle des paroles, des sourires qui étaient d′une amie, bien plus elle agissait en amie. Je l′ai vue, jour par jour, pour faire profiter de son luxe, pour rendre heureuse cette amie pauvre, prendre, sans y avoir aucun intérêt, plus de peine qu′un courtisan qui veut capter la faveur du souverain. Elle était charmante de douceur, de mots tristes et délicieux, quand on plaignait devant elle la pauvreté d′Albertine et se donnait mille fois plus de peine pour elle qu′elle n′eût été pour une amie riche. Mais si quelqu′un avançait qu′Albertine n′était peut-être pas aussi pauvre qu′on disait, un nuage à peine discernable voilait le front et les yeux d′Andrée; elle semblait de mauvaise humeur. Et si on allait jusqu′à dire qu′après tout elle serait peut-être moins difficile à marier qu′on pensait, elle vous contredisait avec force et répétait presque rageusement: «Hélas si, elle sera immariable! Je le sais bien, cela me fait assez de peine!» Même, en ce qui me concernait, elle était la seule de ces jeunes filles qui jamais ne m′eût répété quelque chose de peu agréable qu′on avait pu dire de moi; bien plus si c′était moi-même qui le racontais, elle faisait semblant de ne pas le croire ou en donnait une explication qui rendît le propos inoffensif; c′est l′ensemble de ces qualités qui s′appelle le tact. Il est l′apanage des gens qui, si nous allons sur le terrain, nous félicitent et ajoutent qu′il n′y avait pas lieu de le faire, pour augmenter encore à nos yeux le courage dont nous avons fait preuve, sans y avoir été contraint. Ils sont l′opposé des gens qui dans la même circonstance disent: «Cela a dû bien vous ennuyer de vous battre, mais d′un autre côté vous ne pouviez pas avaler un tel affront, vous ne pouviez faire autrement.» Mais comme en tout il y a du pour et du contre, si le plaisir ou du moins l′indifférence de nos amis à nous répéter quelque chose d′offensant qu′on a dit sur nous, prouve qu′ils ne se mettent guère dans notre peau au moment où ils nous parlent, et y enfoncent l′épingle et le couteau comme dans de la baudruche, l′art de nous cacher toujours ce qui peut nous être désagréable dans ce qu′ils ont entendu dire de nos actions, ou de l′opinion qu′elles leur ont a eux-mêmes inspirée, peut prouver chez l′autre catégorie d′amis, chez les amis pleins de tact, une forte dose de dissimulation. Elle est sans inconvénient si, en effet, ils ne peuvent penser du mal et si celui qu′on dit les fait seulement souffrir comme il nous ferait souffrir nous-mêmes. Je pensais que tel était le cas pour Andrée sans en être cependant absolument sûr. I caught up Andrée, and began again to sing Albertine′s praises. It was inconceivable to me that she would not repeat what I said to her friend, seeing the emphasis that I put into it. And yet I never heard that Albertine had been told. Andrée had, nevertheless, a far greater understanding of the things of the heart, a refinement of nice behaviour; finding the look, the word, the action that could most ingeniously give pleasure, keeping to herself a remark that might possibly cause pain, making a sacrifice (and making it as though it were no sacrifice at all) of an afternoon′s play, or it might be an ‘at home′ or a garden party in order to stay beside a friend who was feeling sad, and thus shew him or her that she preferred the simple company of a friend to frivolous pleasures; these were her habitual delicacies. But when one knew her a little better one would have said that it was with her as with those heroic cravens who wish not to be afraid, and whose bravery is especially meritorious, one would have said that in her true character there was none of that generosity which she displayed at every moment out of moral distinction, or sensibility, or a noble desire to shew herself a true friend. When I listened to all the charming things she was saying to me about a possible affection between Albertine and myself it seemed as though she were bound to do everything in her power to bring it to pass. Whereas, by mere chance perhaps, not even of the least of the various minor opportunities which were at her disposal and might have proved effective in uniting me to Albertine did she ever make any use, and I would not swear that my effort to make myself loved by Albertine did not — if not provoke in her friend secret stratagems destined to bring it to nought — at any rate arouse in her an anger which however she took good care to hide and against which even, in her delicacy of feeling, she may herself have fought. Of the countless refinements of goodness which Andrée shewed Albertine would have been incapable, and yet I was not certain of the underlying goodness of the former as I was to be, later on, of the latter′s. Shewing herself always tenderly indulgent to the exuberant frivolity of Albertine, Andrée would greet her with speeches, with smiles which were those of a friend, better still, she always acted towards her as a friend. I have seen her, day after day, in order to give the benefit of her own wealth, to bring some happiness to this penniless friend take, without any possibility of advantage to herself, more pains than a courtier would take who sought to win his sovereign′s favour. She was charmingly gentle always, charming in her choice of sweet, pathetic expressions, when you said to her what a pity it was that Albertine was so poor, and took infinitely more trouble on her behalf than she would have taken for a wealthy friend. But if anyone were to hint that Albertine was perhaps not quite so poor as people made out, a just discernible cloud would veil the light of Andrée′s eyes and brow; she seemed out of temper. And if you went on to say that after all Albertine might perhaps be less difficult to marry off than people supposed, she would vehemently contradict you, repeating almost angrily: “Oh dear, no; she will never get married! I am quite certain of it; it is a dreadful worry to me!” In so far as I myself was concerned, Andrée was the only one of the girls who would never have repeated to me anything not very pleasant that might have been said about me by a third person; more than that, if it were I who told her what had been said she would make a pretence of not believing it, or would furnish some explanation which made the remark inoffensive; it is the aggregate of these qualities that goes by the name of tact. Tact is the attribute of those people who, if we have called a man out in a duel, congratulate us and add that there was no necessity, really; so as to enhance still further in our own eyes the courage of which we have given proof without having been forced to do so. They are the opposite of the people who, in similar circumstances, say: “It must have been a horrid nuisance for you, fighting a duel, but on the other hand you couldn′t possibly swallow an insult like that, there was nothing else to be done.” But as there, is always something to be said on both sides, if the pleasure, or at least the indifference shewn by our friends in repeating something offensive that they have heard said about us, proves that they do not exactly put themselves in our skin at the moment of speaking, but thrust in the pin-point, turn the knife-blade as though it were gold-beater′s skin and not human, the art of always keeping hidden from us what might be disagreeable to us in what they have heard said about our actions, or in the opinion which those actions have led the speakers themselves to form of us, proves that there is in the other kind of friends, in the friends who are so full of tact, a strong vein of dissimulation. It does no harm if indeed they are incapable of thinking evil, and if what is said by other people only makes them suffer as it would make us. I supposed this to be the case with Andrée, without, however, being absolutely sure.
Nous étions sortis du petit bois et avions suivi un lacis de chemins assez peu fréquentés où Andrée se retrouvait fort bien. «Tenez, me dit-elle tout à coup, voici vos fameux Creuniers, et encore vous avez de la chance, juste par le temps, dans la lumière où Elstir les a peints.» Mais j′étais encore trop triste d′être tombé pendant le jeu du furet d′un tel faîte d′espérances. Aussi ne fût-ce pas avec le plaisir que j′aurais sans doute éprouvé que je pus distinguer tout d′un coup à mes pieds, tapies entre les roches où elles se protégeaient contre la chaleur, les Déesses marines qu′Elstir avait guettées et surprises, sous un sombre glacis aussi beau qu′eût été celui d′un Léonard, les merveilleuses Ombres abritées et furtives, agiles et silencieuses, prêtes au premier remous de lumière à se glisser sous la pierre, à se cacher dans un trou et promptes, la menace du rayon passée, à revenir auprès de la roche ou de l′algue, sous le soleil émietteur des falaises, et de l′Océan décoloré dont elles semblent veiller l′assoupissement, gardiennes immobiles et légères, laissant paraître à fleur d′eau leur corps gluant et le regard attentif de leurs yeux foncés. We had left the little wood and had followed a network of overgrown paths through which Andrée managed to find her way with great skill. Suddenly, “Look now,” she said to me, “there are your famous Creuniers, and, I say, you are in luck, it′s just the time of day, and the light is the same as when Elstir painted them.” But I was still too wretched at having fallen, during the game of ‘ferret,′ from such a pinnacle of hopes. And so it was not with the pleasure which otherwise I should doubtless have felt that I caught sight, almost below my feet, crouching among the rocks, where they had gone for protection from the heat, of marine goddesses for whom Elstir had lain in wait and surprised them there, beneath a dark glaze as lovely as Leonardo would have painted, the marvellous Shadows, sheltered and furtive, nimble and voiceless, ready at the first glimmer of light to slip behind the stone, to hide in a cranny, and prompt, once the menacing ray had passed, to return to rock or seaweed beneath the sun that crumbled the cliffs and the colourless ocean, over whose slumbers they seemed to be watching, motionless lightfoot guardians letting appear on the water′s surface their viscous bodies and the attentive gaze of their deep blue eyes.
Nous allâmes retrouver les autres jeunes filles pour rentrer. Je savais maintenant que j′aimais Albertine; mais hélas! je ne me souciais pas de le lui apprendre. C′est que, depuis le temps des jeux aux Champs-Élysées, ma conception de l′amour était devenue différente si les êtres auxquels s′attachaient successivement mon amour demeuraient presque identiques. D′une part l′aveu, la déclaration de ma tendresse à celle que j′aimais ne me semblait plus une des scènes capitales et nécessaires de l′amour; ni celui-ci, une réalité extérieure mais seulement un plaisir subjectif. Et ce plaisir je sentais qu′Albertine ferait d′autant plus ce qu′il fallait pour l′entretenir qu′elle ignorerait que je l′éprouvais. We went back to the wood to pick up the other girls and go home together. I knew now that I was in love with Albertine; but, alas! I had no thought of letting her know it. This was because, since the days of our games in the Champs-Elysées, my conception of love had become different, even if the persons to whom my love was successively assigned remained practically the same. For one thing, the avowal, the declaration of my passion to her whom I loved no longer seemed to me one of the vital and necessary incidents of love, nor love itself an external reality, but simply a subjective pleasure. And as for this pleasure, I felt that Albertine would do everything necessary to furnish it, all the more since she would not know that I was enjoying it.
Pendant tout ce retour, l′image d′Albertine noyée dans la lumière qui émanait des autres jeunes filles ne fut pas seule à exister pour moi. Mais comme la lune qui n′est qu′un petit nuage blanc d′une forme plus caractérisée et plus fixe pendant le jour, prend toute sa puissance dès que celui-ci s′est éteint, ainsi quand je fus rentré à l′hôtel ce fut la seule image d′Albertine qui s′éleva de mon cur et se mit à briller. Ma chambre me semblait tout d′un coup nouvelle. Certes, il y avait bien longtemps qu′elle n′était plus la chambre ennemie du premier soir. Nous modifions inlassablement notre demeure autour de nous; et, au fur et à mesure que l′habitude nous dispense de sentir, nous supprimons les éléments nocifs de couleur, de dimension et d′odeur qui objectivaient notre malaise. Ce n′était plus davantage la chambre, assez puissante encore sur ma sensibilité, non certes pour me faire souffrir, mais pour me donner de la joie, la cuve des beaux jours, semblable à une piscine à mi-hauteur de laquelle ils faisaient miroiter un azur mouillé de lumière, que recouvrait un moment, impalpable et blanche comme une émanation de la chaleur, une voile reflétée et fuyante; ni la chambre purement esthétique des soirs picturaux; c′était la chambre où j′étais depuis tant de jours que je ne la voyais plus. Or voici que je venais de recommencer à ouvrir les yeux sur elle, mais cette fois-ci de ce point de vue égoî²´e qui est celui de l′amour. Je songeais que la belle glace oblique, les élégantes bibliothèques vitrées donneraient à Albertine si elle venait me voir une bonne idée de moi. A la place d′un lieu de transition où je passais un instant avant de m′évader vers la plage ou vers Rivebelle, ma chambre me redevenait réelle et chère, se renouvelait car j′en regardais et en appréciais chaque meuble avec les yeux d′Albertine. As we walked home the image of Albertine, bathed in the light that streamed from the other girls, was not the only one that existed for me. But as the moon, which is no more than a tiny white cloud of a more definite and fixed shape than other clouds during the day, assumes her full power as soon as daylight dies, so when I was once more in the hotel it was Albertine′s sole image that rose from my heart and began to shine. My room seemed to me to have become suddenly a new place. Of course, for a long time past, it had not been the hostile room of my first night in it. All our lives we go on patiently modifying the surroundings in which we dwell; and gradually, as habit dispenses us from feeling them, we suppress the noxious elements of colour, shape and smell which were at the root of our discomfort. Nor was it any longer the room, still potent enough over my sensibility, not certainly to make me suffer, but to give me joy, the fount of summer days, like a marble basin in which, half way up its polished sides, they mirrored an azure surface steeped in light over which glided for an instant, impalpable and white as a wave of heat, a shadowy and fleeting cloud; not the room, wholly aesthetic, of the pictorial evening hours; it was the room in which I had been now for so many days that I no longer saw it. And now I was just beginning again to open my eyes to it, but this time from the selfish angle which is that of love. I liked to feel that the fine big mirror across one corner, the handsome bookcases with their fronts of glass would give Albertine, if she came to see me, a good impression of myself. Instead of a place of transit in which I would stay for a few minutes before escaping to the beach or to Rivebelle, my room became real and dear to me, fashioned itself anew, for I looked at and appreciated each article of its furniture with the eyes of Albertine.
Quelques jours après la partie de furet, comme nous étant laissés entraîner trop loin dans une promenade nous avions été fort heureux de trouver à Maineville deux petits «tonneaux» à deux places qui nous permettraient de revenir pour l′heure du dîner, la vivacité déjà grande de mon amour pour Albertine eut pour effet que ce fut successivement à Rosemonde et à Andrée que je proposai de monter avec moi, et pas une fois à Albertine, ensuite que tout invitant de préférence Andrée ou Rosemonde, j′amenai tout le monde, par des considérations secondaires d′heure, de chemin et de manteaux, à décider comme contre mon gré que le plus pratique était que je prisse avec moi Albertine à la compagnie de laquelle je feignis de me résigner tant bien que mal. Malheureusement l′amour tendant à l′assimilation complète d′un être, comme aucun n′est comestible par la seule conversation, Albertine eut beau être aussi gentille que possible pendant ce retour, quand je l′eus déposée chez elle, elle me laissa heureux, mais plus affamé d′elle encore que je n′étais au départ et ne comptant les moments que nous venions de passer ensemble que comme un prélude sans grande importance par lui-même, à ceux qui suivraient. Il avait pourtant ce premier charme qu′on ne retrouve pas. Je n′avais encore rien demandé à Albertine. Elle pouvait imaginer ce que je désirais, mais n′en étant pas sûre, supposer que je ne tendais qu′à des relations sans but précis auxquelles mon amie devait trouver ce vague délicieux, riche de surprises attendues, qui est le romanesque. A few days after the game of ‘ferret,′ when, having allowed ourselves to wander rather too far afield, we had been fortunate in finding at Maine-ville a couple of little “tubs” with two seats in each which would enable us to be back in time for dinner, the keenness, already intense, of my love for Albertine, had the following effect, first of all, that it was Rosemonde and Andrée in turn that I invited to be my companion, and never once Albertine, after which, in spite of my manifest preference for Andrée or Rosemonde, I led everybody, by secondary considerations of time and distance, cloaks and so forth, to decide, as though against my wishes, that the most practical policy was that I should take Albertine, to whose company I pretended to resign myself for good or ill. Unfortunately, since love tends to the complete assimilation of another person, while other people are not comestible by way of conversation alone, Albertine might be (and indeed was) as friendly as possible to me on our way home; when I had deposited her at her own door she left me happy but more famished for her even than I had been at the start, and reckoning the moments that we had spent together as only à prelude, of little importance in itself, to those that were still to come. And yet this prelude had that initial charm which is not to be found again. I had not yet asked anything of Albertine. She could imagine what I wanted, but, not being certain of it, would suppose that I was tending only towards relations without any definite purpose, in which my friend would find that delicious vagueness, rich in surprising fulfilments of expectations, which is true romance.
Dans la semaine qui suivit je ne cherchai guère à voir Albertine. Je faisais semblant de préférer Andrée. L′amour commence, on voudrait rester pour celle qu′on aime l′inconnu qu′elle peut aimer, mais on a besoin d′elle, on a besoin de toucher moins son corps que son attention, son cur. On glisse dans une lettre une méchanceté qui forcera l′indifférente à vous demander une gentillesse, et l′amour, suivant une technique infaillible, resserre pour nous d′un mouvement alterné l′engrenage dans lequel on ne peut plus ni ne pas aimer, ni être aimé. Je donnais à Andrée les heures où les autres allaient à quelque matinée que je savais qu′Andrée me sacrifierait, par plaisir, et qu′elle m′eût sacrifiées même avec ennui, par élégance morale, pour ne pas donner aux autres ni à elle-même l′idée qu′elle attachait du prix à un plaisir relativement mondain. Je m′arrangeais ainsi à l′avoir chaque soir toute à moi, pensant non pas rendre Albertine jalouse, mais accroître à ses yeux mon prestige ou du moins ne pas le perdre en apprenant à Albertine que c′était elle et non Andrée que j′aimais. Je ne le disais pas non plus à Andrée de peur qu′elle le lui répétât. Quand je parlais d′Albertine avec Andrée, j′affectais une froideur dont Andrée fut peut-être moins dupe que moi de sa crédulité apparente. Elle faisait semblant de croire à mon indifférence pour Albertine, de désirer l′union la plus complète possible entre Albertine et moi. Il est probable qu′au contraire elle ne croyait pas à la première ni ne souhaitait la seconde. Pendant que je lui disais me soucier assez peu de son amie, je ne pensais qu′à une chose, tâcher d′entrer en relations avec Mme Bontemps qui était pour quelques jours près de Balbec et chez qui Albertine devait bientôt aller passer trois jours. Naturellement, je ne laissais pas voir ce désir à Andrée et quand je lui parlais de la famille d′Albertine, c′était de l′air le plus inattentif. Les réponses explicites d′Andrée ne paraissaient pas mettre en doute ma sincérité. Pourquoi donc lui échappa-t-il un de ces jours-là de me dire: «J′ai justement vu la tante à Albertine.» Certes elle ne m′avait pas dit: «J′ai bien démêlé sous vos paroles jetées comme par hasard, que vous ne pensiez qu′à vous lier avec la tante d′Albertine.» Mais c′est bien à la présence, dans l′esprit d′Andrée, d′une telle idée qu′elle trouvait plus poli de me cacher, que semblait se rattacher le mot «justement». Il était de la famille de certains regards, de certains gestes, qui bien que n′ayant pas une forme logique, rationnelle, directement élaborée pour l′intelligence de celui qui écoute, lui parviennent cependant avec leur signification véritable, de même que la parole humaine, changée en électricité dans le téléphone, se refait parole pour être entendue. Afin d′effacer de l′esprit d′Andrée l′idée que je m′intéressais à Mme Bontemps, je ne parlai plus d′elle avec distraction seulement, mais avec bienveillance, je dis avoir rencontré autrefois cette espèce de folle et que j′espérais bien que cela ne m′arriverait plus. Or je cherchais au contraire de toute façon à la rencontrer. In the week that followed I scarcely attempted to see Albertine. I made a show of preferring Andrée. Love is born; one would like to remain, for her whom one loves, the unknown whom she may love in turn, but one has need of her, one requires contact not so much with her body as with her attention, her heart. One slips into a letter some spiteful expression which will force the indifferent reader to ask for some little kindness in compensation, and love, following an unvarying procedure, sets going with an alternating movement the machinery in which one can no longer either refrain from loving or be loved. I gave to Andrée the hours spent by the others at a party which I knew that she would sacrifice for my sake, with pleasure, and would have sacrificed even with reluctance, from a moral nicety, so as not to let either the others or herself think that she attached any importance to a relatively frivolous amusement. I arranged in this way to have her entirely to myself every evening, meaning not to make Albertine jealous, but to improve my position in her eyes, or at any rate not to imperil it by letting Albertine know that it was herself and not Andrée that I loved. Nor did I confide this to Andrée either, lest she should repeat it to her friend. When I spoke of Albertine to Andrée I affected a coldness by which she was perhaps less deceived that I by her apparent credulity. She made a show of believing in my indifference to Albertine, of desiring the closest possible union between Albertine and myself. It is probable that, on the contrary, she neither believed in the one nor wished for the other. While I was saying to her that I did not care very greatly for her friend, I was thinking of one thing only, how to become acquainted with Mme. Bontemps, who was staying for a few days near Balbec, and to whom Albertine was going presently on a short visit. Naturally I did not let Andrée become aware of this desire, and when I spoke to her of Albertine′s people, it was in the most careless manner possible. Andrée′s direct answers did not appear to throw any doubt on my sincerity. Why then did she blurt out suddenly, about that time: “Oh, guess who′ I′ve just seen — Albertine′s aunt!” It is true that she had not said in so many words: “I could see through your casual remarks all right that the one thing you were really thinking of was how you could make friends with Albertine′s aunt.” But it was clearly to the presence in Andrée′s mind of some such idea which she felt it more becoming to keep from me that the word ‘just′ seemed to point. It was of a kind with certain glances, certain gestures which, for all that they have not a form that is logical, rational, deliberately calculated to match the listener′s intelligence, reach him nevertheless in their true significance, just as human speech, converted into electricity in the telephone, is turned into speech again when it strikes the ear. In order to remove from Andree′s mind the idea that I was interested in Mme. Bontemps, I spoke of her from that time onwards not only carelessly but with downright malice, saying that I had once met that idiot of a woman, and trusted I should never have that experience again. Whereas I was seeking by every means in my power to meet her.
Je tâchai d′obtenir d′Elstir, mais sans dire à personne que je l′en avais sollicité, qu′il lui parlât de moi et me réunît avec elle. Il me promit de me la faire connaître, s′étonnant toutefois que je le souhaitasse car il la jugeait une femme méprisable, intrigante et aussi inintéressante qu′intéressée. Pensant que si je voyais Mme Bontemps Andrée le saurait tôt ou tard, je crus qu′il valait mieux l′avertir. «Les choses qu′on cherche le plus à fuir sont celles qu′on arrive à ne pouvoir éviter, lui-dis-je. Rien au monde ne peut m′ennuyer autant que de retrouver Mme Bontemps, et pourtant je n′y échapperai pas, Elstir doit m′inviter avec elle.» «Je n′en ai jamais douté un seul instant», s′écria Andrée d′un ton amer, pendant que son regard grandi et altéré par le mécontentement se rattachait à je ne sais quoi d′invisible. Ces paroles d′Andrée ne constituaient pas l′exposé le plus ordonné d′une pensée qui peut se résumer ainsi: «Je sais bien que vous aimez Albertine et que vous faites des pieds et des mains pour vous rapprocher de sa famille.» Mais elles étaient les débris informes et reconstituables de cette pensée que j′avais fait exploser, en la heurtant malgré Andrée. De même que le «justement», ces paroles n′avaient de signification qu′au second degré, c′est dire qu′elles étaient celles qui (et non pas les affirmations directes) nous inspirent de l′estime ou de la méfiance à l′égard de quelqu′un, nous brouillent avec lui. I tried to induce Elstir (but without mentioning to anyone else that I had asked him) to speak to her about me and to bring us together. He promised to introduce me to her, though he seemed greatly surprised at my wishing it, for he regarded her as a contemptible woman, a born intriguer, as little interesting as she was disinterested. Reflecting that if I did see Mme. Bontemps, Andrée would be sure to hear of it sooner or later, I thought it best to warn her in advance. “The things one tries hardest to avoid are what one finds one cannot escape,” I told her. “Nothing in the world could bore me so much as meeting Mme. Bontemps again, and yet I can′t get out of it, Elstir has arranged to invite us together.” “I have never doubted it for a single instant,” exclaimed Andrée in a bitter tone, while her eyes, enlarged and altered by her annoyance, focussed themselves upon some invisible object. These words of Andree′s were not the most recent statement of a thought which might be expressed thus: “I know that you are in love with Albertine, and that you are working day and night to get in touch with her people.” But they were the shapeless fragments, easily pieced together again by me, of some such thought which I had exploded by striking it, through the shield of Andree′s self-control. Like her ‘just,′ these words had no meaning save in the second degree, that is to say they were words of the sort which (rather than direct affirmatives) inspires in us respect or distrust for another person, and leads to a rupture.
Puisque Andrée ne m′avait pas cru quand je lui disais que la famille d′Albertine m′était indifférente, c′est qu′elle pensait que j′aimais Albertine. Et probablement n′en était-elle pas heureuse. If Andrée had not believed me when I told her that Albertine′s relatives left me indifferent, that was because she thought that I was in love with Albertine. And probably she was none too happy in the thought.
Elle était généralement en tiers dans mes rendez-vous avec son amie. Cependant il y avait des jours où je devais voir Albertine seule, jours que j′attendais dans la fièvre, qui passaient sans rien m′apporter de décisif, sans avoir été ce jour capital dont je confiais immédiatement le rôle au jour suivant, qui ne le tiendrait pas davantage; ainsi s′écroulaient l′un après l′autre, comme des vagues, ces sommets aussitôt remplacés par d′autres. She was generally present as a third party at my meetings with her friend. And yet there were days when I was to see Albertine by herself, days to which I looked forward with feverish impatience, which passed without bringing me any decisive result, without having, any of them, been that cardinal day whose part I immediately entrusted to the day that was to follow, which would prove no more apt to play it; thus there crumbled and collapsed, one after another, like waves of the sea, those peaks at once replaced by others.
Environ un mois après le jour où nous avions joué au furet, on me dit qu′Albertine devait partir le lendemain matin pour aller passer quarante-huit heures chez Mme Bontemps et obligée de prendre le train de bonne heure viendrait coucher la veille au Grand-Hôtel, d′où avec l′omnibus elle pourrait, sans déranger les amies chez qui elle habitait, prendre le premier train. J′en parlai à Andrée. «Je ne le crois pas du tout, me répondit Andrée d′un air mécontent. D′ailleurs cela ne vous avancerait à rien, car je suis bien certaine qu′Albertine ne voudra pas vous voir, si elle vient seule à l′hôtel. Ce ne serait pas protocolaire, ajouta-t-elle en usant d′un adjectif qu′elle aimait beaucoup, depuis peu, dans le sens de «ce qui se fait». Je vous dis cela parce que je connais les idées d′Albertine. Moi, qu′est-ce que vous voulez que cela me fasse que vous la voyiez ou non. Cela m′est bien égal.» About a month after the day on which we had played ‘ferret′ together, I learned that Albertine was going away next morning to spend a couple of days with Mme. Bontemps, and, since she would have to start early, was coming to sleep that night at the Grand Hotel, from which, by taking the omnibus, she would be able, without disturbing the friends with whom she was staying, to catch the first train in the morning. I mentioned this to Andrée. “I don′t believe a word of it,” she replied, with a look of annoyance. “Anyhow it won′t help you at all, for I′m quite sure Albertine won′t want to see you if she goes to the hotel by herself. It wouldn′t be ‘regulation,′” she added, employing an epithet which had recently come into favour with her, in the sense of ‘what is done.′ “I tell you this because I understand Albertine. What difference do you suppose it makes to me, whether you see her or not? Not the slightest, I can assure you!”
Nous fûmes rejoints par Octave qui ne fit pas de difficulté pour dire à Andrée le nombre de points qu′il avait faits la veille au golf, puis par Albertine qui se promenait en manuvrant son diabolo comme une religieuse son chapelet. Grâce à ce jeu elle pouvait rester des heures seule sans s′ennuyer. Aussitôt qu′elle nous eut rejoints m′apparut la pointe mutine de son nez, que j′avais omise en pensant à elle ces derniers jours; sous ses cheveux noirs, la verticalité de son front s′opposa, et ce n′était pas la première fois, à l′image indécise que j′en avais gardée, tandis que par sa blancheur il mordait fortement dans mes regards; sortant de la poussière du souvenir, Albertine se reconstruisait devant moi. Le golf donne l′habitude des plaisirs solitaires. Celui que procure le diabolo l′est assurément. Pourtant après nous avoir rejoints, Albertine continua à y jouer, tout en causant avec nous, comme une dame à qui des amies sont venues faire une visite ne s′arrête pas pour cela de travailler à son crochet. «Il paraît que Mme de Villeparisis, dit-elle à Octave, a fait une réclamation auprès de votre père (et j′entendis derrière ce mot une de ces notes qui étaient propres à Albertine; chaque fois que je constatais que je les avais oubliées, je me rappelais en même temps avoir entr′aperçu déjà derrière elles la mine décidée et française d′Albertine. J′aurais pu être aveugle et connaître aussi bien certaines de ses qualités alertes et un peu provinciales dans ces notes-là que dans la pointe de son nez. Les unes et l′autre se valaient et auraient pu se suppléer et sa voix était comme celle que réalisera dit-on le photo-téléphone de l′avenir, dans le son se découpait nettement l′image visuelle. «Elle n′a du reste pas écrit seulement à votre père, mais en même temps au maire de Balbec pour qu′on ne joue plus au diabolo sur la digue, on lui a envoyé une balle dans la figure.» «Oui, j′ai entendu parler de cette réclamation. C′est ridicule. Il n′y a pas déjà tant de distractions ici.» Andrée ne se mêla pas à la conversation, elle ne connaissait pas, non plus d′ailleurs qu′Albertine ni Octave, Mme de Villeparisis. «Je ne sais pas pourquoi cette dame a fait toute une histoire, dit pourtant Andrée, la vieille Mme de Cambremer a reçu une balle aussi et elle ne s′est pas plainte.» «Je vais vous expliquer la différence, répondit gravement Octave en frottant une allumette, c′est qu′à mon avis, Mme de Cambremer est une femme du monde et Mme de Villeparisis est une arriviste. Est-ce que vous irez au golf cet après-midi?» et il nous quitta, ainsi qu′Andrée. Je restai seul avec Albertine. «Voyez-vous, me dit-elle, j′arrange maintenant mes cheveux comme vous les aimez, regardez ma mèche. Tout le monde se moque de cela et personne ne sait pour qui je le fais. Ma tante va se moquer de moi aussi. Je ne lui dirai pas non plus la raison.» Je voyais de côté les joues d′Albertine qui souvent paraissaient pâles, mais ainsi, étaient arrosées d′un sang clair qui les illuminait, leur donnait ce brillant qu′ont certaines matinées d′hiver où les pierres partiellement ensoleillées semblent être du granit rose et dégagent de la joie. Celle que me donnait en ce moment la vue des joues d′Albertine était aussi vive, mais conduisait à un autre désir qui n′était pas celui de la promenade mais du baiser. Je lui demandai si les projets qu′on lui prêtait étaient vrais: «Oui, me dit-elle, je passe cette nuit-là à votre hôtel et même comme je suis un peu enrhumée, je me coucherai avant le dîner. Vous pourrez venir assister à mon dîner à côté de mon lit et après nous jouerons à ce que vous voudrez. J′aurais été contente que vous veniez à la gare demain matin, mais j′ai peur que cela ne paraisse drôle, je ne dis pas à Andrée, qui est intelligente, mais aux autres qui y seront; ça ferait des histoires si on le répétait à ma tante; mais nous pourrions passer cette soirée ensemble. Cela, ma tante n′en saura rien. Je vais dire au revoir à Andrée. Alors à tout à l′heure. Venez tôt pour que nous ayons de bonnes heures à nous», ajouta-t-elle en souriant. A ces mots, je remontai plus loin qu′aux temps où j′aimais Gilberte à ceux où l′amour me semblait une entité non pas seulement extérieure mais réalisable. Tandis que la Gilberte que je voyais aux Champs-Élysées était une autre que celle que je retrouvais en moi dès que j′étais seul, tout d′un coup dans l′Albertine réelle, celle que je voyais tous les jours, que je croyais pleine de préjugés bourgeois et si franche avec sa tante, venait de s′incarner l′Albertine imaginaire, celle par qui, quand je ne la connaissais pas encore je m′étais cru furtivement regardé sur la digue, celle qui avait eu l′air de rentrer à contre-cur pendant qu′elle me voyait m′éloigner. We were joined by Octave who had no hesitation in telling Andrée the number of strokes he had gone round in, the day before, at golf, then by Albertine, counting her diabolo as she walked along, like a nun telling her beads. Thanks to this pastime she could be left alone for hours on end without growing bored. As soon as she joined us I became conscious of the obstinate tip of her nose, which I had omitted from my mental pictures of her during the last few days; beneath her dark hair the vertical front of her brow controverted — and not for the first time — the indefinite image that I had preserved of her, while its whiteness made a vivid splash in my field of vision; emerging from the dust of memory, Albertine was built up afresh before my eyes. Golf gives one a taste for solitary pleasures. The pleasure to be derived from diabolo is undoubtedly one of these. And yet, after she had joined us, Albertine continued to toss up and catch her missile, just as a lady on whom friends have come to call does not on their account stop working at her crochet. “I hear that Mme. de Villeparisis,” she remarked to Octave, “has been complaining to your father.” I could hear, underlying the word, one of those notes that were peculiar to Albertine; always, just as I had made certain that I had forgotten them, I would be reminded of a glimpse caught through them before of Albertine′s determined and typically Gallic mien. I might have been blind, and yet have detected certain of her qualities, alert and slightly provincial, from those notes, just as plainly as from the tip of her nose. These were equivalent and might have been substituted for one another, and her voice was like what we are promised in the photo-telephone of the future; the visual image was clearly outlined in the sound. “She′s not written only to your father, either, she wrote to the Mayor of Balbec at the same time, to say that we must stop playing diabolo on the ‘front′ as somebody hit her in the face with one.” “Yes, I was hearing about that. It′s too silly. There′s little enough to do here as it is.” Andrée did not join in the conversation; she was not acquainted, any more than was Albertine or Octave, with Mme. de Villeparisis. She did, however, remark: “I can′t think why this lady should make such a song about it. O′d Mme. de Cambremer got hit in the face, and she never complained.” “I will explain the difference,” replied Octave gravely, striking a match as he spoke. “It′s my belief that Mme. de Cambremer is a woman of the world, and Mme. de Villeparisis is just an upstart. Are you playing golf this afternoon?” And he left us, followed by Andrée. I was alone now with Albertine. “Do you see,” she began, “I′m wearing my hair now the way you like — look at my ringlet. They all laugh at me and nobody knows who′ I′m doing it for. My aunt will laugh at me too. But I shan′t tell her why, either.” I had a sidelong view of Albertine′s cheeks, which often appeared pale, but, seen thus, were flushed with a coursing stream of blood which lighted them up, gave them that dazzling clearness which certain winter mornings have when the stones sparkling in the sun seem blocks of pink granite and radiate joy. The joy that I was drawing at this moment from the sight of Albertine′s cheeks was equally keen, but led to another desire on my part, which was not to walk with her but to take her in my arms. I asked her if the report of her plans which I had heard were correct. “Yes,” she told me, “I shall be sleeping at your hotel to-night, and in fact as I′ve got rather a chill, I shall be going to bed before dinner. You can come and sit by my bed and watch me eat, if you like, and afterwards we′ll play at anything you choose. I should have liked you to come to the station to-morrow morning, but I′m afraid it might look rather odd, I don′t say to Andrée, who is a sensible person, but to the others who will be there; if my aunt got to know, I should never hear the last of it. But we can spend the evening together, at any rate. My aunt will know nothing about that. I must go and say good-bye to Andrée. So long, then. Come early, so that we can have a nice long time together,” she added, smiling. At these words I was swept back past the days in which I loved Gilberte to those in which love seemed to me not only an external entity but one that could be realised as a whole. Whereas the Gilberte whom I used to see in the Champs-Elysées was a different Gilberte from the one whom I found waiting inside myself when I was alone again, suddenly in the real Albertine, her whom I saw every day, whom I supposed to be stuffed with middle-class prejudices and entirely open with her aunt, there was incarnate the imaginary Albertine, she whom, when I still did not know her, I had suspected of casting furtive glances at myself on the ‘front,′ she who had worn an air of being reluctant to go indoors when she saw me making off in the other direction.
J′allai dîner avec ma grand-mère, je sentais en moi un secret qu′elle ne connaissait pas. De même, pour Albertine, demain ses amies seraient avec elle, sans savoir ce qu′il y avait de nouveau entre nous, et quand elle embrasserait sa nièce sur le front, Mme Bontemps ignorerait que j′étais entre elles deux, dans cet arrangement de cheveux qui avait pour but, caché à tous, de me plaire, à moi, à moi qui avais jusque-là tant envié Mme Bontemps parce qu′apparentée aux mêmes personnes que sa nièce, elle avait les mêmes deuils à porter, les mêmes visites de famille à faire; or, je me trouvais être pour Albertine plus que n′était sa tante elle-même. Auprès de sa tante, c′est à moi qu′elle penserait. Qu′allait-il se passer tout à l′heure, je ne le savais pas trop. En tous cas le Grand-Hôtel, la soirée, ne me semblaient plus vides; ils contenaient mon bonheur. Je sonnai le lift pour monter à la chambre qu′Albertine avait prise, du côté de la vallée. Les moindres mouvements comme m′asseoir sur la banquette de l′ascenseur, m′étaient doux, parce qu′ils étaient en relation immédiate avec mon cur, je ne voyais dans les cordes à l′aide desquelles l′appareil s′élevait, dans les quelques marches qui me restaient à monter, que les rouages, que les degrés matérialisés de ma joie. Je n′avais plus que deux ou trois pas à faire dans le couloir avant d′arriver à cette chambre où était renfermée la substance précieuse de ce corps rose, — cette chambre qui même s′il devait s′y dérouler des actes délicieux, garderait cette permanence, cet air d′être, pour un passant non informé, semblable à toutes les autres, qui font des choses les témoins obstinément muets, les scrupuleux confidents, les inviolables dépositaires du plaisir. Ces quelques pas du palier à la chambre d′Albertine, ces quelques pas que personne ne pouvait plus arrêter, je les fis avec délices, avec prudence, comme plongé dans un élément nouveau, comme si en avançant j′avais lentement déplacé du bonheur, et en même temps avec un sentiment inconnu de toute puissance, et d′entrer enfin dans un héritage qui m′eût de tout temps appartenu. Puis tout d′un coup je pensai que j′avais tort d′avoir des doutes, elle m′avait dit de venir quand elle serait couchée. C′était clair, je trépignais de joie, je renversai à demi Françoise qui était sur mon chemin, je courais, les yeux étincelants, vers la chambre de mon amie. Je trouvai Albertine dans son lit. Dégageant son cou, sa chemise blanche changeait les proportions de son visage, qui congestionné par le lit, ou le rhume, ou le dîner, semblait plus rose; je pensai aux couleurs que j′avais eues quelques heures auparavant à côté de moi, sur la digue, et desquelles j′allais enfin savoir le goût; sa joue était traversée du haut en bas par une de ses longues tresses noires et bouclées que pour me plaire elle avait défaites entièrement. Elle me regardait en souriant. A côté d′elle, dans la fenêtre, la vallée était éclairée par le clair de lune. La vue du cou nu d′Albertine, de ces joues trop roses, m′avait jeté dans une telle ivresse, c′est-à-dire avait pour moi la réalité du monde non plus dans la nature, mais dans le torrent des sensations que j′avais peine à contenir, que cette vue avait rompu l′équilibre entre la vie immense, indestructible qui roulait dans mon être et la vie de l′univers, si chétive en comparaison. La mer, que j′apercevais à côté de la vallée dans la fenêtre, les seins bombés des premières falaises de Maineville, le ciel où la lune n′était pas encore montée au zénith, tout cela semblait plus léger à porter que des plumes pour les globes de mes prunelles qu′entre mes paupières je sentais dilatés, résistants, prêts à soulever bien d′autres fardeaux, toutes les montagnes du monde, sur leur surface délicate. Leur orbe ne se trouvait plus suffisamment rempli par la sphère même de l′horizon. Et tout ce que la nature eût pu m′apporter de vie m′eût semblé bien mince, les souffles de la mer m′eussent paru bien courts pour l′immense aspiration qui soulevait ma poitrine. La mort eût du me frapper en ce moment que cela m′eût paru indifférent ou plutôt impossible, car la vie n′était pas hors de moi, elle était en moi; j′aurais souri de pitié si un philosophe eût émis l′idée qu′un jour même éloigné, j′aurais à mourir, que les forces éternelles de la nature me survivraient, les forces de cette nature sous les pieds divins de qui je n′étais qu′un grain de poussière; qu′après moi il y aurait encore ces falaises arrondies et bombées, cette mer, ce clair de lune, ce ciel! Comment cela eût-il été possible, comment le monde eût-il pu durer plus que moi, puisque je n′étais pas perdu en lui, puisque c′était lui qui était enclos en moi, en moi qu′il était bien loin de remplir, en moi, où, en sentant la place d′y entasser tant d′autres trésors, je jetais dédaigneusement dans un coin ciel, mer et falaises. «Finissez ou je sonne», s′écria Albertine voyant que je me jetais sur elle pour l′embrasser. Mais je me disais que ce n′était pas pour ne rien faire qu′une jeune fille fait venir un jeune homme en cachette, en s′arrangeant pour que sa tante ne le sache pas, que d′ailleurs l′audace réussit à ceux qui savent profiter des occasions; dans l′état d′exaltation où j′étais, le visage rond d′Albertine, éclairé d′un feu intérieur comme par une veilleuse, prenait pour moi un tel relief qu′imitant la rotation d′une sphère ardente, il me semblait tourner telles ces figures de Michel Ange qu′emporte un immobile et vertigineux tourbillon. J′allais savoir l′odeur, le goût, qu′avait ce fruit rose inconnu. J′entendis un son précipité, prolongé et criard. Albertine avait sonné de toutes ses forces. I went in to dinner with my grandmother. I felt within me a secret which she could never guess. Similarly with Albertine; to-morrow her friends would be with her, not knowing what novel experience she and I had in common; and when she kissed her niece on the brow Mme. Bontemps would never imagine that I stood between them, in that arrangement of Albertine′s hair which had for its object, concealed from all the world, to give me pleasure, me who had until then so greatly envied Mme. Bontemps because, being related to the same people as her niece, she had the same occasions to don mourning, the same family visits to pay; and now I found myself meaning more to Albertine than did the aunt herself. When she was with her aunt, it was of me that she would be thinking. What was going to happen that evening, I scarcely knew. In any event, the Grand Hotel, the evening, would no longer seem empty to me; they contained my happiness. I rang for the lift-boy to take me up to the room which Albertine had engaged, a room that looked over the valley. The slightest movements, such as that of sitting down on the bench in the lift, were satisfying, because they were in direct relation to my heart; I saw in the ropes that drew the cage upwards, in the few steps that I had still to climb, only a materialisation of the machinery, the stages of my joy. I had only two or three steps to take now along the corridor before coming to that room in which was enshrined the precious substance of that rosy form — that room which, even if there were to be done in it delicious things, would keep that air of permanence, of being, to a chance visitor who knew nothing of its history, just like any other room, which makes of inanimate things the obstinately mute witnesses, the scrupulous confidants, the inviolable depositaries of our pleasure. Those few steps from the landing to Albertine′s door, those few steps which no one now could prevent my taking, I took with delight, with prudence, as though plunged into a new and strange element, as if in going forward I had been gently displacing the liquid stream of happiness, and at the same time with a strange feeling of absolute power, and of entering at length into an inheritance which had belonged to me from all time. Then suddenly I reflected that it was wrong to be in any doubt; she had told me to come when she was in bed. It was as clear as daylight; I pranced for joy, I nearly knocked over Françoise who was standing in my way, I ran, with glowing eyes, towards my friend′s room. I found Albertine in bed. Leaving her throat bare, her white nightgown altered the proportions of her face, which, flushed by being in bed or by her cold or by dinner, seemed pinker than before; I thought of the colours which I had had, a few hours earlier, displayed beside me, on the ‘front,′ the savour of which I was now at last to taste; her cheek was crossed obliquely by one of those long, dark, curling tresses, which, to please me, she had undone altogether. She looked at me and smiled. Beyond her, through the window, the valley lay bright beneath the moon. The sight of Albertine′s bare throat, of those strangely vivid cheeks, had so intoxicated me (that is to say had placed the reality of the world for me no longer in nature, but in the torrent of my sensations which it was all I could do to keep within bounds), as to have destroyed the balance between the life, immense and indestructible, which circulated in my being, and the life of the universe, so puny in comparison. The sea, which was visible through the window as well as the valley, the swelling breasts of the first of the Maineville cliffs, the sky in which the moon had not yet climbed to the zenith, all of these seemed less than a featherweight on my eyeballs, which between their lids I could feel dilated, resisting, ready to bear very different burdens, all the mountains of the world upon their fragile surface. Their orbit no longer found even the sphere of the horizon adequate to fill it. And everything that nature could have brought me of life would have seemed wretchedly meagre, the sigh of the waves far too short a sound to express the enormous aspiration that was surging in my breast. I bent over Albertine to kiss her. Death might have struck me down in that moment; it would have seemed to me a trivial, or rather an impossible thing, for life was not outside, it was in me; I should have smiled pityingly had a philosopher then expressed the idea that some day, even some distant day, I should have to die, that the external forces of nature would survive me, the forces of that nature beneath whose godlike feet I was no more than a grain of dust; that, after me, there would still remain those rounded, swelling cliffs, that sea, that moonlight and that sky! How was that possible; how could the world last longer than myself, since it was it that was enclosed in me, in me whom it went a long way short of filling, in me, where, feeling that there was room to store so many other treasures, I flung contemptuously into a corner sky, sea and cliffs. “Stop that, or I′ll ring the bell!” cried Albertine, seeing that I was flinging myself upon her to kiss her. But I reminded myself that it was not for no purpose that a girl made a young man come to her room in secret, arranging that her aunt should not know — that boldness, moreover, rewards those who know how to seize their opportunities; in the state of exaltation in which I was, the round face of Albertine, lighted by an inner flame, like the glass bowl of a lamp, started into such prominence that, copying the rotation of a burning sphere, it seemed to me to be turning, like those faces of Michelangelo which are being swept past in the arrested headlong flight of a whirlwind. I was going to learn the fragrance, the flavour which this strange pink fruit concealed. I heard a sound, precipitous, prolonged, shrill. Albertine had pulled the bell with all her might.
Â… * * *
J′avais cru que l′amour que j′avais pour Albertine n′était pas fondé sur l′espoir de la possession physique. Pourtant quand il m′eut paru résulter de l′expérience de ce soir-là que cette possession était impossible et qu′après n′avoir pas douté le premier jour, sur la plage, qu′Albertine ne fût dévergondée, puis être passé par des suppositions intermédiaires, il me sembla acquis d′une manière définitive qu′elle était absolument vertueuse; quand à son retour de chez sa tante, huit jours plus tard, elle me dit avec froideur: «Je vous pardonne, je regrette même de vous avoir fait de la peine mais ne recommencez jamais», au contraire de ce qui s′était produit quand Bloch m′avait dit qu′on pouvait avoir toutes les femmes et comme si au lieu d′une jeune fille réelle, j′avais connu une poupée de cire, il arriva, que peu à peu se détacha d′elle mon désir de pénétrer dans sa vie, de la suivre dans les pays où elle avait passé son enfance, d′être initié par elle à une vie de sport; ma curiosité intellectuelle de ce qu′elle pensait sur tel ou tel sujet ne survécut pas à la croyance que je pourrais l′embrasser. Mes rêves l′abandonnèrent dès qu′ils cessèrent d′être alimentés par l′espoir d′une possession dont je les avais crus indépendants. Dès lors ils se retrouvèrent libres, de se reporter — selon le charme que je lui avais trouvé un certain jour surtout selon la possibilité et les chances que j′entrevoyais d′être aimé par elle — sur telle ou telle des amies d′Albertine et d′abord sur Andrée. Pourtant si Albertine n′avait pas existé, peut-être n′aurais-je pas eu le plaisir que je commençai à prendre de plus en plus les jours qui suivirent, à la gentillesse que me témoignait Andrée. Albertine ne raconta à personne l′échec que j′avais essuyé auprès d′elle. Elle était une de ces jolies filles qui, dès leur extrême jeunesse, pour leur beauté, mais surtout pour un agrément, un charme qui restent assez mystérieux, et qui ont leur source peut-être dans des réserves de vitalité où de moins favorisés par la nature, viennent se désaltérer, toujours — dans leur famille, au milieu de leurs amies, dans le monde, ont plu davantage que de plus belles, de plus riches, elle était de ces êtres à qui, avant l′âge de l′amour et bien plus encore quand il est venu, on demande plus qu′eux ne demandent, et même qu′ils ne peuvent donner. Dès son enfance Albertine avait toujours eu en admiration devant elle quatre ou cinq petites camarades, parmi lesquelles se trouvait Andrée qui lui était si supérieure et le savait (et peut-être cette attraction qu′Albertine exerçait bien involontairement avait-elle été à l′origine, avait-elle servi à la fondation de la petite bande). Cette attraction s′exerçait même assez loin dans des milieux relativement plus brillants, où s′il y avait une pavane à danser on demandait Albertine plutôt qu′une jeune fille mieux née. La conséquence était que, n′ayant pas un sou de dot, vivant assez mal, d′ailleurs, à la charge de M. Bontemps qu′on disait véreux et qui souhaitait se débarrasser d′elle, elle était pourtant invitée non seulement à dîner, mais à demeure, chez des personnes qui aux yeux de Saint-Loup n′eussent eu aucune élégance, mais qui pour la mère de Rosemonde ou pour la mère d′Andrée, femmes très riches mais qui ne connaissaient pas ces personnes, représentaient quelque chose d′énorme. Ainsi Albertine passait tous les ans quelques semaines dans la famille d′un régent de la Banque de France, président du Conseil d′administration d′une grande Compagnie de Chemins de fer. La femme de ce financier recevait des personnages importants et n′avait jamais dit son «jour» à la mère d′Andrée, laquelle trouvait cette dame impolie, mais n′en était pas moins prodigieusement intéressée par tout ce qui se passait chez elle. Aussi exhortait-elle tous les ans Andrée à inviter Albertine, dans leur villa, parce que, disait-elle, c′était une bonne uvre d′offrir un séjour à la mer à une fille qui n′avait pas elle-même les moyens de voyager et dont la tante ne s′occupait guère; la mère d′Andrée n′était probablement pas mue par l′espoir que le régent de la Banque et sa femme apprenant qu′Albertine était choyée par elle et sa fille, concevraient d′elles deux une bonne opinion; à plus forte raison n′espérait-elle pas qu′Albertine pourtant si bonne et adroite, saurait la faire inviter, ou tout au moins faire inviter Andrée aux garden-partys du financier. Mais chaque soir à dîner, tout en prenant un air dédaigneux et indifférent, elle était enchantée d′entendre Albertine lui raconter ce qui s′était passé au château pendant qu′elle y était, les gens qui y avaient été reçus et qu′elle connaissait presque tous de vue ou de nom. Même la pensée qu′elle ne les connaissait que de cette façon, c′est-à-dire ne les connaissait pas (elle appelait cela connaître les gens «de tout temps»), donnait à la mère d′Andrée une pointe de mélancolie tandis qu′elle posait à Albertine des questions sur eux d′un air hautain et distrait, du bout des lèvres et eût pu la laisser incertaine et inquiète sur l′importance de sa propre situation si elle ne s′était rassurée elle-même et replacée dans la «réalité de la vie» en disant au maître d′hôtel: «Vous direz au chef que ses petits pois ne sont pas assez fondants.» Elle retrouvait alors sa sérénité. Et elle était bien décidée à ce qu′Andrée n′épousât qu′un homme d′excellente famille naturellement, mais assez riche pour qu′elle pût elle aussi avoir un chef et deux cochers. C′était cela le positif, la vérité effective d′une situation. Mais qu′Albertine eût dîné au château du régent de la Banque avec telle ou telle dame, que cette dame l′eût même invitée pour l′hiver suivant, cela n′en donnait pas moins à la jeune fille, pour la mère d′Andrée une sorte de considération particulière qui s′alliait très bien à la pitié et même au mépris excités par son infortune, mépris augmenté par le fait que M. Bontemps eût trahi son drapeau et se fût — même vaguement panamiste, disait-on — rallié au gouvernement. Ce qui n′empêchait pas, d′ailleurs, la mère d′Andrée, par amour de la vérité de foudroyer de son dédain les gens qui avaient l′air de croire qu′Albertine était d′une basse extraction. «Comment, c′est tout ce qu′il y a de mieux, ce sont des Simonet, avec un seul n.» Certes, à cause du milieu où tout cela évoluait, où l′argent joue un tel rôle, et où l′élégance vous fait inviter mais non épouser, aucun mariage «potable» ne semblait pouvoir être pour Albertine, conséquence utile de la considération si distinguée dont elle jouissait et qu′on n′eût pas trouvée compensatrice de sa pauvreté. Mais même à eux seuls, et n′apportant pas l′espoir d′une conséquence matrimoniale, ces «succès» excitaient l′envie de certaines mères méchantes, furieuses de voir Albertine être reçue comme «l′enfant de la maison» par la femme du régent de la Banque, même par la mère d′Andrée, qu′elles connaissaient à peine. Aussi disaient-elles à des amis communs d′elles et de ces deux dames, que celles-ci seraient indignées si elles savaient la vérité, c′est-à-dire qu′Albertine racontait chez l′une (et «vice versa») tout ce que l′intimité où on l′admettait imprudemment lui permettait de découvrir chez l′autre, mille petits secrets qu′il eût été infiniment désagréables à l′intéressée de voir dévoilés. Ces femmes envieuses disaient cela pour que cela fût répété et pour brouiller Albertine avec ses protectrices. Mais ces commissions comme il arrive souvent n′avaient aucun succès. On sentait trop la méchanceté qui les dictait et cela ne faisait que faire mépriser un peu plus celles qui en avaient pris l′initiative. La mère d′Andrée était trop fixée sur le compte d′Albertine pour changer d′opinion à son égard. Elle la considérait comme une «malheureuse» mais d′une nature excellente et qui ne savait qu′inventer pour faire plaisir. I had supposed that the love which I felt for Albertine was not based on the hope of carnal possession. And yet, when the lesson to be drawn from my experience that evening was, apparently, that such possession was impossible; when, after having had not the least doubt, that first day, on the beach, of Albertine′s being unchaste, and having then passed through various intermediate assumptions, I seemed to have quite definitely reached the conclusion that she was absolutely virtuous; when, on her return from her aunt′s, a week later, she greeted me coldly with: “I forgive you; in fact I′m sorry to have upset you, but you must never do it again,”— then, in contrast to what I had felt on learning from Bloch that one could always have all the women one liked, and as if, in place of a real girl, I had known a wax doll, it came to pass that gradually there detached itself from her my desire to penetrate into her life, to follow her through the places in which she had spent her childhood, to be initiated by her into the athletic life; my intellectual curiosity to know what were her thoughts on this subject or that did not survive my belief that I might take her in my arms if I chose. My dreams abandoned her, once they had ceased to be nourished by the hope of a possession of which I had supposed them to be independent. Thenceforward they found themselves once more at liberty to transmit themselves, according to the attraction that I had found in her on any particular day, above all according to the chances that I seemed to detect of my being, possibly, one day, loved by her — to one or another of Albertine′s friends, and to Andrée first of all. And yet, if Albertine had not existed, perhaps I should not have had the pleasure which I began to feel more and more strongly during the days that followed in the kindness that was shewn me by Andrée. Albertine told no one of the check which I had received at her hands. She was one of those pretty girls who, from their earliest youth, by their beauty, but especially by an attraction, a charm which remains somewhat mysterious and has its source perhaps in reserves of vitality to which others less favoured by nature come to quench their thirst, have always — in their home circle, among their friends, in society — proved more attractive than other more beautiful and richer girls; she was one of those people from whom, before the age of love and ever so much more after it is reached, one asks more than they ask in return, more even than they are able to give. From her childhood Albertine had always had round her in an adoring circle four or five little girl friends, among them Andrée who was so far her superior and knew it (and perhaps this attraction which Albertine exerted quite involuntarily had been the origin, had laid the foundations of the little band). This attraction was still potent even at a great social distance, in circles quite brilliant in comparison, where if there was a pavane to be danced, they would send for Albertine rather than have it danced by another girl of better family. The consequence was that, not having a penny to her name, living a hard enough life, moreover, on the hands of M. Bontemps, who was said to be ‘on the rocks,′ and was anyhow anxious to be rid of her, she was nevertheless invited, not only to dine but to stay, by people who, in Saint-Loup′s sight, might not have had any distinction, but to Rosemonde′s mother or Andrée′s, women who though very rich themselves did not know these other and richer people, represented something quite incalculable. Thus Albertine spent a few weeks every year with the family of one of the Governors of the Bank of France, who was also Chairman of the Board of Directors of a great Railway Company. The wife of this financier entertained people of importance, and had never mentioned her ‘day′ to Andrée′s mother, who thought her wanting in politeness, but was nevertheless prodigiously interested in everything that went on in her house. Accordingly she encouraged Andrée every year to invite Albertine down to their villa, because, as she said, it was a real charity to offer a holiday by the sea to a girl who had not herself the means to travel and whose aunt did so little for her; Andrée′s mother was probably not prompted by the thought that the banker and his wife, learning that Albertine was made much of by her and her daughter, would form a high opinion of them both; still less did she hope that Albertine, good and clever as she was, would manage to get her invited, or at least to get Andrée invited, to the financier′s garden-parties. But every evening at the dinner-table, while she assumed an air of indifference slightly tinged with contempt, she was fascinated by Albertine′s accounts of everything that had happened at the big house while she was staying there, and the names of the other guests, almost all of them people whom she knew by sight or by name. True, the thought that she knew them only in this indirect fashion, that is to say did not know them at all (she called this kind of acquaintance knowing people ‘all my life′), gave Andrée′s mother a touch of melancholy while she plied Albertine with questions about them in a lofty and distant tone, speaking with closed lips, and might have left her doubtful and uneasy as to the importance of her own social position had she not been able to reassure herself, to return safely to the ‘realities of life,′ by saying to the butler: “Please tell the chef that he has not made the peas soft enough.” She then recovered her serenity. And she was quite determined that Andrée was to marry nobody but a man — of the best family, of course — rich enough for her too to be able to keep a chef and a couple of coachmen. This was the proof positive, the practical indication of ‘position.′ But the fact that Albertine had dined at the banker′s house in the country with this or that great lady, and that the said great lady had invited the girl to stay with her next winter, did not invalidate a sort of special consideration which Albertine shewed towards Andrée′s mother, which went very well with the pity, and even repulsion, excited by the tale of her misfortunes, a repulsion increased by the fact that M. Bontemps had proved a traitor to the cause (he was even, people said, vaguely Panamist) and had rallied to the Government. Not that this deterred Andrée′s mother, in her passion for abstract truth, from withering with her scorn the people who appeared to believe that Albertine was of humble origin. “What′s that you say? Why, they′re one of the best families in the country. Simonet with a single ‘n,′ you know!” Certainly, in view of the class of society in which all this went on, in which money plays so important a part, and mere charm makes people ask you out but not marry you, a ‘comfortable′ marriage did not appear to be for Albertine a practical outcome of the so distinguished patronage which she enjoyed but which would not have been held to compensate for her poverty. But even by themselves, and with no prospect of any matrimonial consequence, Albertine′s ‘successes′ in society excited the envy of certain spiteful mothers, furious at seeing her received like one of the family by the banker′s wife, even by Andrée′s mother, neither of whom they themselves really knew. They therefore went about telling common friends of those ladies and their own that both ladies would be very angry if they knew the facts, which were that Albertine repeated to each of them everything that the intimacy to which she was rashly admitted enabled her to spy out in the household of the other, a thousand little secrets which it must be infinitely unpleasant to the interested party to have made public. These envious women said this so that it might be repeated and might get Albertine into trouble with her patrons. But, as often happens, their machinations met with no success. The spite that prompted them was too apparent, and their only result was to make the women who had planned them appear rather more contemptible than before. Andrée′s mother was too firm in her opinion of Albertine to change her mind about her now. She looked upon her as a ‘poor wretch,′ but the best-natured girl living, and one who would do anything in the world to give pleasure.
Si cette sorte de vogue qu′avait obtenue Albertine ne paraissait devoir comporter aucun résultat pratique, elle avait imprimé à l′amie d′Andrée le caractère distinctif des êtres qui toujours recherchés, n′ont jamais besoin de s′offrir (caractère qui se retrouve aussi pour des raisons analogues, à une autre extrémité de la société chez des femmes d′une grande élégance), et qui est de ne pas faire montre des succès qu′ils ont, de les cacher plutôt. Elle ne disait jamais à quelqu′un: «Il a envie de me voir», parlait de tous avec une grande bienveillance, et comme si ce fût elle qui eût couru après, recherché les autres. Si on parlait d′un jeune homme qui quelques minutes auparavant venait de lui faire en tête-à-tête les plus sanglants reproches parce qu′elle lui avait refusé un rendez-vous, bien loin de s′en vanter publiquement, ou de lui en vouloir à lui, elle faisait son éloge: «C′est un si gentil garçon.» Elle était même tellement ennuyée de plaire, parce que cela l′obligeait à faire de la peine, tandis que, par nature, elle aimait à faire plaisir. Elle aimait même à faire plaisir au point d′en être arrivée à pratiquer un mensonge spécial à certaines personnes utilitaires, à certains hommes arrivés. Existant d′ailleurs à l′état embryonnaire chez un nombre énorme de personnes, ce genre d′insincérité consiste à ne pas savoir se contenter pour un seul acte, de faire, grâce à lui, plaisir à une seule personne. Par exemple, si la tante d′Albertine désirait que sa nièce l′accompagnât à une matinée peu amusante, Albertine en s′y rendant aurait pu trouver suffisant d′en tirer le profit moral d′avoir fait plaisir à sa tante. Mais accueillie gentiment par les maîtres de maison, elle aimait mieux leur dire qu′elle désirait depuis si longtemps les voir qu′elle avait choisi cette occasion et sollicité la permission de sa tante. Cela ne suffisait pas encore: à cette matinée se trouvait une des amies d′Albertine qui avait un gros chagrin. Albertine lui disait: «Je n′ai pas voulu te laisser seule, j′ai pensé que ça te ferait du bien de m′avoir près de toi. Si tu veux que nous laissions la matinée, que nous allions ailleurs, je ferai ce que tu voudras, je désire avant tout te voir moins triste» (ce qui était vrai aussi du reste). Parfois il arrivait pourtant que le but fictif détruisait le but réel. Ainsi Albertine ayant un service à demander pour une de ses amies allait pour cela voir une certaine dame. Mais arrivée chez cette dame bonne et sympathique, la jeune fille obéissant à son insu au principe de l′utilisation multiple d′une seule action, trouvait plus affectueux d′avoir l′air d′être venue seulement à cause du plaisir qu′elle avait senti, qu′elle éprouverait à revoir cette dame. Celle-ci était infiniment touchée qu′Albertine eût accompli un long trajet par pure amitié. En voyant la dame presque émue, Albertine l′aimait encore davantage. Seulement il arrivait ceci: elle éprouvait si vivement le plaisir d′amitié pour lequel elle avait prétendu mensongèrement être venue, qu′elle craignait de faire douter la dame de sentiments en réalité sincères, si elle lui demandait le service pour l′amie. La dame croirait qu′Albertine était venue pour cela, ce qui était vrai, mais elle conclurait qu′Albertine n′avait pas de plaisir désintéressé à la voir, ce qui était faux. De sorte qu′Albertine repartait sans avoir demandé le service, comme les hommes qui ont été si bons avec une femme dans l′espoir d′obtenir ses faveurs, qu′ils ne font pas leur déclaration pour garder à cette bonté un caractère de noblesse. Dans d′autres cas on ne peut pas dire que le véritable but fût sacrifié au but accessoire et imaginé après coup, mais le premier était tellement opposé au second, que si la personne qu′Albertine attendrissait en lui déclarant l′un avait appris l′autre, son plaisir se serait aussitôt changé en la peine la plus profonde. La suite du récit fera beaucoup plus loin, mieux comprendre ce genre de contradiction. Disons par un exemple emprunté à un ordre de faits tout différents qu′elles sont très fréquentes dans les situations les plus diverses que présente la vie. Un mari a installé sa maîtresse dans la ville où il est en garnison. Sa femme restée à Paris, et à demi au courant de la vérité se désole, écrit à son mari des lettres de jalousie. Or, la maîtresse est obligée de venir passer un jour à Paris. Le mari ne peut résister à ses prières de l′accompagner et obtient une permission de vingt-quatre heures. Mais comme il est bon et souffre de faire de la peine à sa femme, il arrive chez celle-ci, lui dit en versant quelques larmes sincères, qu′affolé par ses lettres il a trouvé le moyen de s′échapper pour venir la consoler et l′embrasser. Il a trouvé ainsi le moyen de donner par un seul voyage une preuve d′amour à la fois à sa maîtresse et à sa femme. Mais si cette dernière apprenait pour quelle raison il est venu à Paris, sa joie se changerait sans doute en douleur, à moins que voir l′ingrat ne la rendit malgré tout plus heureuse qu′il ne la fait souffrir par ses mensonges. Parmi les hommes qui m′ont paru pratiquer avec le plus de suite le système des fins multiples se trouve M. de Norpois. Il acceptait quelquefois de s′entremettre entre deux amis brouillés, et cela faisait qu′on l′appelait le plus obligeant des hommes. Mais il ne lui suffisait pas d′avoir l′air de rendre service à celui qui était venu le solliciter, il présentait à l′autre la démarche qu′il faisait auprès de lui, comme entreprise non à la requête du premier, mais dans l′intérêt du second, ce qu′il persuadait facilement à un interlocuteur suggestionné d′avance par l′idée qu′il avait devant lui «le plus serviable des hommes». De cette façon, jouant sur les deux tableaux, faisant ce qu′on appelle en termes de coulisse de la contre-partie, il ne laissait jamais courir aucun risque à son influence, et les services qu′il rendait ne constituaient pas une aliénation, mais une fructification d′une partie de son crédit. D′autre part, chaque service, semblant doublement rendu, augmentait d′autant plus sa réputation d′ami serviable, et encore d′ami serviable avec efficacité, qui ne donne pas des coups d′épée dans l′eau, dont toutes les démarches portent, ce que démontrait la reconnaissance des deux intéressés. Cette duplicité dans l′obligeance était, et avec des démentis comme en toute créature humaine, une partie importante du caractère de M. de Norpois. Et souvent au ministère, il se servit de mon père, lequel était assez na en lui faisant croire qu′il le servait. If this sort of select popularity to which Albertine had attained did not seem likely to lead to any practical result, it had stamped Andrée′s friend with the distinctive marks of people who, being always sought after, have never any need to offer themselves, marks (to be found also, and for analogous reasons, at the other end of the social scale among the leaders of fashion) which consist in their not making any display of the successes they have scored, but rather keeping them to themselves. She would never say to anyone: “So-and-so is anxious to meet me,” would speak of everyone with the greatest good nature, and as if it had been she who ran after, who sought to know other people, and not they. If you spoke of a young man who, a few minutes earlier, had been, in private conversation with her, heaping the bitterest reproaches upon her because she had refused him an assignation, so far from proclaiming this in public, or betraying any resentment she would stand up for him: “He is such a nice boy!” Indeed it quite annoyed her when she attracted people, because that compelled her to disappoint them, whereas her natural instinct was always to give pleasure. So much did she enjoy giving pleasure that she had come to employ a particular kind of falsehood, found among utilitarians and men who have ‘arrived.′ Existing besides in an embryonic state in a vast number of people, this form of insincerity consists in not being able to confine the pleasure arising out of a single act of politeness to a single person. For instance, if Albertine′s aunt wished her niece to accompany her to a party which was not very lively, Albertine might have found it sufficient to extract from the incident the moral profit of having given pleasure to her aunt. But being courteously welcomed by her host and hostess, she thought it better to say to them that she had been wanting to see them for so long that she had finally seized this opportunity and begged her aunt to take her to their party. Even this was not enough: at the same party there happened to be one of Albertine′s friends who was in great distress. “I did not like the idea of your being here by yourself. I thought it might do you good to have me with you. If you would rather come away from here, go somewhere else, I am ready to do anything you like; all I want is to see you look not so sad.”— Which, as it happened, was true also. Sometimes it happened however that the fictitious object destroyed the real. Thus, Albertine, having a favour to ask on behalf of one of her friends, went on purpose to see a certain lady who could help her. But on arriving at the house of this lady — a kind and sympathetic soul — the girl, unconsciously following the principle of utilising a single action in a number of ways, felt it to be more ingratiating to appear to have come there solely on account of the pleasure she knew she would derive from seeing the lady again. The lady was deeply touched that Albertine should have taken a long journey purely out of friendship for herself. Seeing her almost overcome by emotion, Albertine began to like the lady still better. Only, there was this awkward consequence: she now felt so keenly the pleasure of friendship which she pretended to have been her motive in coming, that she was afraid of making the lady suspect the genuineness of sentiments which were actually quite sincere if she now asked her to do the favour, whatever it may have been, for her friend. The lady would think that Albertine had come for that purpose, which was true, but would conclude also that Albertine had no disinterested pleasure in seeing her, which was not. With the result that she came away without having asked the favour, like a man sometimes who has been so good to a woman, in the hope of winning her, that he refrains from declaring his passion in order to preserve for his goodness an air of nobility. In other instances it would be wrong to say that the true object was sacrificed to the subordinate and subsequently conceived idea, but the two were so far incompatible that if the person to whom Albertine endeared herself by stating the second had known of the existence of the first, his pleasure would at once have been turned into the deepest annoyance. At a much later point in this story, we shall have occasion to see this kind of incompatibility expressed in clearer terms. Let us say for the present, borrowing an example of a completely different order, that they occur very frequently in the most divergent situations that life has to offer. A husband has established his mistress in the town where he is quartered with his regiment. His wife, left by herself in Paris, and with an inkling of the truth, grows more and more miserable, and writes her husband letters embittered by jealousy. Very well; the mistress is obliged to go up to Paris for the day. The husband cannot resist her entreaties that he will go with her, and applies for short leave, which is granted. But as he is a good-natured fellow, and hates to make his wife unhappy, he goes to her and tells her, shedding a few quite genuine tears, that, driven to desperation by her letters, he has found the means of getting away from his duties to come to her, to console her in his arms. He has thus contrived by a single journey to furnish wife and mistress alike with proofs of his affection. But if the wife were to learn the reason for which he has come to Paris, her joy would doubtless be turned into grief, unless her pleasure in seeing the faithless wretch outweighed, in spite of everything, the pain that his infidelities had caused her. Among the men who have struck me as practising with most perseverance this system of what might be called killing any number of birds with one stone, must be included M. de Norpois. He would now and then agree to act as intermediary between two of his friends who had quarrelled, which led to his being called the most obliging of men. But it was not sufficient for him to appear to be doing a service to the friend who had come to him to demand it; he would represent to the other the steps which he was taking to effect a reconciliation as undertaken not at the request of the first friend but in the interest of the second, an attitude of the sincerity of which he had never any difficulty in convincing a listener already influenced by the idea that he saw before him the ‘most serviceable of men.′ In this fashion, playing in two scenes turn about, what in stage parlance is called ‘doubling′ two parts, he never allowed his influence to be in the slightest degree imperilled, and the services which he rendered constituted not an expenditure of capital but a dividend upon some part of his credit. At the same time every service, seemingly rendered twice over, correspondingly enhanced his reputation as an obliging friend, and, better still, a friend whose interventions were efficacious, one who did not draw bows at a venture, whose efforts were always justified by success, as was shewn by the gratitude of both parties. This duplicity in rendering services was — allowing for disappointments such as are the lot of every human being — an important element of M. de Norpois′s character. And often at the Ministry he would make use of my father, who was a simple soul, while making him believe that it was he, M. de Norpois, who was being useful to my father.
Plaisant plus qu′elle ne voulait et n′ayant pas besoin de claironner ses succès, Albertine garda le silence sur la scène qu′elle avait eue avec moi auprès de son lit, et qu′une laide aurait voulu faire connaître à l′univers. D′ailleurs son attitude dans cette scène, je ne parvenais pas à me l′expliquer. Pour ce qui concerne l′hypothèse d′une vertu absolue (hypothèse à laquelle j′avais d′abord attribué la violence avec laquelle Albertine avait refusé de se laisser embrasser et prendre par moi et qui n′était du reste nullement indispensable à ma conception de la bonté, de l′honnêteté foncière de mon amie) je ne laissai pas de la remanier à plusieurs reprises. Cette hypothèse était tellement le contraire de celle que j′avais bâtie le premier jour où j′avais vu Albertine. Puis tant d′actes différents, tous de gentillesse pour moi (une gentillesse caressante, parfois inquiète, alarmée, jalouse de ma prédilection pour Andrée) baignaient de tous côtés le geste de rudesse par lequel, pour m′échapper, elle avait tiré sur la sonnette. Pourquoi donc m′avait-elle demandé de venir passer la soirée près de son lit? Pourquoi parlait-elle tout le temps le langage de la tendresse? Sur quoi repose le désir de voir un ami, de craindre qu′il vous préfère votre amie, de chercher à lui faire plaisir, de lui dire romanesquement que les autres ne sauront pas qu′il a passé la soirée auprès de vous, si vous lui refusez un plaisir aussi simple et si ce n′est pas un plaisir pour vous. Je ne pouvais croire tout de même que la vertu d′Albertine allât jusque-là et j′en arrivais à me demander s′il n′y avait pas eu à sa violence une raison de coquetterie, par exemple une odeur désagréable qu′elle aurait cru avoir sur elle et par laquelle elle eût craint de me déplaire, ou de pusillanimité, si par exemple elle croyait dans son ignorance des réalités de l′amour que mon état de faiblesse nerveuse pouvait avoir quelque chose de contagieux par le baiser. Attracting people more easily than she wished, and having no need to proclaim her conquests abroad, Albertine kept silence with regard to the scene with myself by her bedside, which a plain girl would have wished the whole world to know. And yet of her attitude during that scene I could not arrive at any satisfactory explanation. Taking first of all the supposition that she was absolutely chaste (a supposition with which I had originally accounted for the violence with which Albertine had refused to let herself be taken in my arms and kissed, though it was by no means essential to my conception of the goodness, the fundamentally honourable character of my friend), I could not accept it without a copious revision of its terms. It ran so entirely counter to the hypothesis which I had constructed that day when I saw Albertine for the first time. Then ever so many different acts, all acts of kindness towards myself (a kindness that was caressing, at times uneasy, alarmed, jealous of my predilection for Andrée) came up on all sides to challenge the brutal gesture with which, to escape from me, she had pulled the bell. Why then had she invited me to come and spend the evening by her bedside? Why had she spoken all the time in the language of affection? What object is there in your desire to see a friend, in your fear that he is fonder of another of your friends than of you; why seek to give him pleasure, why tell him, so romantically, that the others will never know that he has spent the evening in your room, if you refuse him so simple a pleasure and if to you it is no pleasure at all? I could not believe, all the same, that Albertine′s chastity was carried to such a pitch as that, and I had begun to ask myself whether her violence might not have been due to some reason of coquetry, a disagreeable odour, for instance, which she suspected of lingering about her person, and by which she was afraid that I might be disgusted, or else of cowardice, if for instance she imagined, in her ignorance of the facts of love, that my state of nervous exhaustion was due to something contagious, communicable to her in a kiss.
Elle fut certainement désolée de n′avoir pu me faire plaisir et me donna un petit crayon d′or, par cette vertueuse perversité des gens qui, attendris par votre gentillesse et ne souscrivant pas à vous accorder ce qu′elle réclame, veulent cependant faire en votre faveur autre chose: le critique dont l′article flatterait le romancier l′invite à la place à dîner, la duchesse n′emmène pas le snob avec elle au théâtre, mais lui envoie sa loge pour un soir où elle ne l′occupera pas. Tant ceux qui font le moins et pourraient ne rien faire sont poussés par le scrupule à faire quelque chose. Je dis à Albertine qu′en me donnant ce crayon, elle me faisait un grand plaisir, moins grand pourtant que celui que j′aurais eu si le soir où elle était venue coucher à l′hôtel elle m′avait permis de l′embrasser. «Cela m′aurait rendu si heureux, qu′est-ce que cela pouvait vous faire, je suis étonné que vous me l′ayez refusé.» «Ce qui m′étonne, me répondit-elle, c′est que vous trouviez cela étonnant. Je me demande quelles jeunes filles vous avez pu connaître pour que ma conduite vous ait surpris.» «Je suis désolé de vous avoir fâchée, mais, même maintenant je ne peux pas vous dire que je trouve que j′ai eu tort. Mon avis est que ce sont des choses qui n′ont aucune importance, et je ne comprends pas qu′une jeune fille qui peut si facilement faire plaisir, n′y consente pas. Entendons-nous, ajoutai-je pour donner une demi-satisfaction à ses idées morales en me rappelant comment elle et ses amies avaient flétri l′amie de l′actrice Léa, je ne veux pas dire qu′une jeune fille puisse tout faire et qu′il n′y ait rien d′immoral. Ainsi, tenez, ces relations dont vous parliez l′autre jour à propos d′une petite qui habite Balbec et qui existeraient entre elle et une actrice, je trouve cela ignoble, tellement ignoble que je pense que ce sont des ennemis de la jeune fille qui auront inventé cela et que ce n′est pas vrai. Cela me semble improbable, impossible. Mais se laisser embrasser et même plus par un ami, puisque vous dites que je suis votre ami . . . «Vous l′êtes, mais j′en ai eu d′autres avant vous, j′ai connu des jeunes gens qui, je vous assure, avaient pour moi tout autant d′amitié. Hé bien, il n′y en a pas un qui aurait osé une chose pareille. Ils savaient la paire de calottes qu′ils auraient reçue. D′ailleurs ils n′y songeaient même pas, on se serrait la main bien franchement, bien amicalement, en bons camarades, jamais on n′aurait parlé de s′embrasser, et on n′en était pas moins amis pour cela. Allez, si vous tenez à mon amitié, vous pouvez être content, car il faut que je vous aime joliment pour vous pardonner. Mais je suis sûre que vous vous fichez bien de moi. Avouez que c′est Andrée qui vous plaît. Au fond, vous avez raison, elle est beaucoup plus gentille que moi, et elle, elle est ravissante! Ah! les hommes!» Malgré ma déception récente, ces paroles si franches, en me donnant une grande estime pour Albertine, me causaient une impression très douce. Et peut-être cette impression eut-elle plus tard pour moi de grandes et fâcheuses conséquences, car ce fut par elle que commença à se former ce sentiment presque familial, ce noyau moral qui devait toujours subsister au milieu de mon amour pour Albertine. Un tel sentiment peut être la cause des plus grandes peines. Car pour souffrir vraiment par une femme, il faut avoir cru complètement en elle. Pour le moment, cet embryon d′estime morale, d′amitié, restait au milieu de mon âme comme une pierre d′attente. Il n′eût rien pu, à lui seul, contre mon bonheur s′il fût demeuré ainsi sans s′accroître, dans une inertie qu′il devait garder l′année suivante et à plus forte raison pendant ces dernières semaines de mon premier séjour à Balbec. Il était en moi comme un de ces hôtes qu′il serait malgré tout plus prudent qu′on expulsât, mais qu′on laisse à leur place sans les inquiéter, tant les rendent provisoirement inoffensifs leur faiblesse et leur isolement au milieu d′une âme étrangère. She was genuinely distressed by her failure to afford me pleasure, and gave me a little gold pencil-case, with that virtuous perversity which people shew who, moved by your supplications and yet not consenting to grant you what those supplications demand, are anxious all the same to bestow on you some mark of their affection; the critic, an article from whose pen would so gratify the novelist, asks him instead to dinner; the duchess does not take the snob with her to the theatre but lends him her box on an evening when she will not be using it herself. So far are those who do least for us, and might easily do nothing, driven by conscience to do something. I told Albertine that in giving me this pencil-case she was affording me great pleasure, and yet not so great as I should have felt if, on the night she had spent at the hotel, she had permitted me to embrace her. “It would have made me so happy; what possible harm could it have done you? I was simply astounded at your refusing to let me do it.” “What astounds me,” she retorted, “is that you should have thought it astounding. Funny sort of girls you must know if my behaviour surprises you.” “I am extremely sorry if I annoyed you, but even now I cannot say that I think I was in the wrong. What I feel is that all that sort of thing is of no importance, really, and I can′t understand a girl who could so easily give pleasure not consenting to do so. Let us be quite clear about it,” I went on, throwing a sop of sorts to her moral scruples, as I recalled how she and her friends had scarified the girl who went about with the actress Lea. “I don′t mean to say for a moment that a girl can behave exactly as she likes, or that there′s no such thing as immorality. Take, let me see now, yes, what you were saying the other day about a girl who is staying at Balbec and her relations with an actress; I call that degrading, so degrading that I feel sure it must all have been made up by the girl′s enemies, and that there can′t be any truth in the story. It strikes me as improbable, impossible. But to let a friend kiss you, and go farther than that even — since you say that I am your friend . . . ” “So you are, but I have had friends before now, I have known lots of young men who were every bit as friendly, I can assure you. There wasn′t one of them would ever have dared to do a thing like that. They knew they′d get their ears boxed if they tried it on. Besides, they never dreamed of trying, we would shake hands in an open, friendly sort of way, like good pals, but there was never a word said about kissing, and yet we weren′t any the less friends for that. Why, if it′s my friendship you are after, you′ve nothing to complain of; I must be jolly fond of you to forgive you. But I′m sure you don′t care two straws about me, really. Own up now, it′s Andrée you′re in love with. After all, you′re quite right; she is ever so much prettier than I am, and perfectly charming! Oh! You men!” Despite my recent disappointment, these words so frankly uttered, by giving me a great respect for Albertine, made a very pleasant impression on me. And perhaps this impression was to have serious and vexatious consequences for me later on, for it was round it that there began to form that feeling almost of brotherly intimacy, that moral core which was always to remain at the heart of my love for Albertine. A feeling of this sort may be the cause of the keenest pain. For in order really to suffer at the hands of a woman one must have believed in her completely. For the moment, that embryo of moral esteem, of friendship, was left embedded in me like a stepping-stone in a stream. It could have availed nothing, by itself, against my happiness if it had remained there without growing, in an inertia which it was to retain the following year, and still more during the final weeks of this first visit to Balbec. It dwelt in me like one of those foreign bodies which it would be wiser when all is said to expel, but which we leave where they are without disturbing them, so harmless for the present does their weakness, their isolation amid a strange environment render them.
Mes rêves se retrouvaient libres maintenant de se reporter sur telle ou telle des amies d′Albertine et d′abord sur Andrée dont les gentillesses m′eussent peut-être moins touché si je n′avais été certain qu′elles seraient connues d′Albertine. Certes la préférence que depuis longtemps j′avais feinte pour Andrée m′avait fourni, — en habitudes de causeries, de déclarations de tendresses — comme la matière d′un amour tout prêt pour elle auquel il n′avait jusqu′ici manqué qu′un sentiment sincère qui s′y ajoutât et que maintenant mon cur redevenu libre aurait pu fournir. Mais pour que j′aimasse vraiment Andrée, elle était trop intellectuelle, trop nerveuse, trop maladive, trop semblable à moi. Si Albertine me semblait maintenant vide, Andrée était remplie de quelque chose que je connaissais trop. J′avais cru le premier jour voir sur la plage une maîtresse de coureur, enivrée de l′amour des sports, et Andrée me disait que si elle s′était mise à en faire, c′était sur l′ordre de son médecin pour soigner sa neurasthénie et ses troubles de nutrition, mais que ses meilleures heures étaient celles où elle traduisait un roman de George Eliott. Ma déception, suite d′une erreur initiale sur ce qu′était Andrée, n′eut, en fait, aucune importance pour moi. Mais l′erreur était du genre de celles qui, si elles permettent à l′amour de naître, et ne sont reconnues pour des erreurs que lorsqu′il n′est plus modifiable, deviennent une cause de souffrances. Ces erreurs — qui peuvent être différentes de celle que je commis pour Andrée et même inverses — tiennent souvent, dans le cas d′Andrée en particulier, à ce qu′on prend suffisamment l′aspect, les façons de ce qu′on n′est pas mais qu′on voudrait être, pour faire illusion au premier abord. A l′apparence extérieure, l′affectation, l′imitation, le désir d′être admiré, soit des bons, soit des méchants, ajoutent les faux semblants des paroles, des gestes. Il y a des cynismes, des cruautés qui ne résistent pas plus à l′épreuve que certaines bontés, certaines générosités. De même qu′on découvre souvent un avare vaniteux dans un homme connu pour ses charités, sa forfanterie de vice nous fait supposer une Messaline dans une honnête fille pleine de préjugés. J′avais cru trouver en Andrée une créature saine et primitive, alors qu′elle n′était qu′un être cherchant la santé, comme étaient peut-être beaucoup de ceux en qui elle avait cru la trouver et qui n′en avaient pas plus la réalité qu′un gros arthritique à figure rouge et en veste de flanelle blanche n′est forcément un Hercule. Or, il est telles circonstances où il n′est pas indifférent pour le bonheur que la personne qu′on a aimée pour ce qu′elle paraissait avoir de sain, ne fût en réalité qu′une de ces malades qui ne reçoivent leur santé que d′autres, comme les planètes empruntent leur lumière, comme certains corps ne font que laisser passer l′électricité. My dreams were now once more at liberty to concentrate on one or another of Albertine′s friends, and returned first of all to Andrée, whose kindnesses might perhaps have appealed to me less strongly had I not been certain that they would come to Albertine′s ears. Undoubtedly the preference that I had long been pretending to feel for Andrée had furnished me — in the habit of conversation with her, of declaring my affection — with, so to speak, the material, prepared and ready, for a love of her which had hitherto lacked only the complement of a genuine sentiment, and this my heart being once more free was now in a position to supply. But for me really to love Andrée, she was too intellectual, too neurotic, too sickly, too much like myself. If Albertine now seemed to me to be void of substance, Andrée was filled with something which I knew only too well. I had thought, that first day, that what I saw on the beach there was the mistress of some racing cyclist, passionately athletic; and now Andrée told me that if she had taken up athletic pastimes, it was under orders from her doctor, to cure her neurasthenia, her digestive troubles, but that her happiest hours were those which she spent in translating one of George Eliot′s novels. The misunderstanding, due to an initial mistake as to what Andrée was, had not, as a matter of fact, the slightest importance. But my mistake was one of the kind which, if they allow love to be born, and are not recognised as mistakes until it has ceased to be under control, become a cause of suffering. Such mistakes — which may be quite different from mine with regard to Andrée, and even its exact opposite — are frequently due (and this was especially the case here) to our paying too much attention to the aspect, the manners of what a person is not but would like to be, in forming our first impression of that person. To the outward appearance affectation, imitation, the longing to be admired, whether by the good or by the wicked, add misleading similarities of speech and gesture. These are cynicisms and cruelties which, when put to the test, prove no more genuine than certain apparent virtues and generosities. Just as we often discover a vain miser beneath the cloak of a man famed for his bountiful charity, so her flaunting of vice leads us to suppose a Messalina a respectable girl with middle-class prejudices. I had thought to find in Andrée a healthy, primitive creature, whereas she was merely a person in search of health, as were doubtless many of those in whom she herself had thought to find it, and who were in reality no more healthy than a burly arthritic with a red face and in white flannels is necessarily a Hercules. Now there are circumstances in which it is not immaterial to our happiness that the person whom we have loved because of what appeared to be so healthy about her is in reality only one of those invalids who receive such health as they possess from others, as the planets borrow their light, as certain bodies are only conductors of electricity.
N′importe, Andrée, comme Rosemonde et Gisèle, même plus qu′elles, était tout de même une amie d′Albertine, partageant sa vie, imitant ses façons au point que le premier jour je ne les avais pas distinguées d′abord l′une de l′autre. Entre ces jeunes filles, tiges de roses dont le principal charme était de se détacher sur la mer, régnait la même indivision qu′au temps où je ne les connaissais pas et où l′apparition de n′importe laquelle me causait tant d′émotion en m′annonçant que la petite bande n′était pas loin. Maintenant encore la vue de l′une me donnait un plaisir où entrait dans une proportion que je n′aurais pas su dire? de voir les autres la suivre plus tard, et même si elles ne venaient pas ce jour-là de parler d′elles et de savoir qu′il leur serait dit que j′étais allé sur la plage. No matter, Andrée, like Rosemonde and Gisèle, indeed more than they, was, when all was said, a friend of Albertine, sharing her life, imitating her conduct, so closely that, the first day, I had not at once distinguished them one from another. Over these girls, flowering sprays of roses whose principal charm was that they outlined themselves against the sea, the same undivided partnership prevailed as at the time when I did not know them, when the appearance of no matter which of them had caused me such violent emotion by its announcement that the little band was not far off. And even now the sight of one of them filled me with a pleasure into which there entered, to an extent which I should not have found it easy to define, the thought of seeing the others follow her in due course, and even if they did not come that day, speaking about them, and knowing that they would be told that I had been on the beach.
Ce n′était plus simplement l′attrait des premiers jours, c′était une véritable velléité d′aimer qui hésitait entre toutes, tant chacune était naturellement le résultat de l′autre. Ma plus grande tristesse n′aurait pas été d′être abandonné par celle de ces jeunes filles que je préférais, mais j′aurais aussitôt préféré parce que j′aurais fixé sur elle la somme de tristesse et de rêve qui flottait indistinctement entre toutes, celle qui m′eût abandonné. Encore dans ce cas est-ce toutes ses amies, aux yeux desquelles j′eusse bientôt perdu tout prestige, que j′eusse, en celle-là, inconsciemment regrettées, leur ayant avoué cette sorte d′amour collectif qu′ont l′homme politique ou l′acteur pour le public dont ils ne se consolent pas d′être délaissés après en avoir eu toutes les faveurs. Même celles que je n′avais pu obtenir d′Albertine je les espérais tout d′un coup de telle qui m′avait quitté le soir en me disant un mot, en me jetant un regard ambigus, grâce auxquels c′était vers celle-là que, pour une journée, se tournait mon désir. It was no longer simply the attraction of those first days, it was a regular love-longing which hesitated among them all, so far was each the natural substitute for the others. My bitterest grief would not have been to be thrown over by whichever of the girls I liked best, but I should at once have liked best, because I should have fastened on to her the whole of the melancholy dream which had been floating vaguely among them all, her who had thrown me over. It would, moreover, in that event, be the loss of all her friends, in whose eyes I should speedily have forfeited whatever advantage I might possess, that I should, in losing her, have unconsciously regretted, having vowed to them that sort of collective love which the politician and the actor feel for the public for whose desertion of them after they have enjoyed all its favours they can never be consoled. Even those favours which I had failed to win from Albertine I would hope suddenly to receive from one or other who had parted from me in the evening with a word or glance of ambiguous meaning, thanks to which it was to her that, for the next day or so, my desire would turn.
Il errait entre elles d′autant plus voluptueusement que sur ces visages mobiles, une fixation relative des traits était suffisamment commencée, pour qu′on en pût distinguer, dût-elle changer encore, la malléable et flottante effigie. Aux différences qu′il y avait entre eux, étaient bien loin de correspondre sans doute des différences égales dans la longueur et la largeur des traits lesquels eussent, de l′une à l′autre de ces jeunes filles, et si dissemblables qu′elles parussent, eussent peut-être été presque superposables. Mais notre connaissance des visages n′est pas mathématique. D′abord, elle ne commence pas par mesurer les parties, elle a pour point de départ une expression, un ensemble. Chez Andrée par exemple la finesse des yeux doux semblait rejoindre le nez étroit, aussi mince qu′une simple courbe qui aurait été tracée pour que pût se poursuivre sur une seule ligne l′intention de délicatesse divisée antérieurement dans le double sourire des regards jumeaux. Une ligne aussi fine était creusée dans ses cheveux, souple et profonde comme celle dont le vent sillonne le sable. Et là elle devait être héréditaire, les cheveux tout blancs de la mère d′Andrée étaient fouettés de la même manière, formant ici un renflement, là une dépression comme la neige qui se soulève ou s′abîme selon les inégalités du terrain. Certes, comparé à la fine délinéation de celui d′Andrée, le nez de Rosemonde semblait offrir de larges surfaces comme une haute tour assise sur une base puissante. Que l′expression suffise à faire croire à d′énormes différences entre ce que sépare un infiniment petit — qu′un infiniment petit puisse à lui seul créer une expression absolument particulière, une individualité, — ce n′était pas que l′infiniment petit de la ligne, et l′originalité de l′expression, qui faisaient apparaître ces visages comme irréductibles les uns aux autres. Entre ceux de mes amies la coloration mettait une séparation plus profonde encore, non pas tant par la beauté variée des tons qu′elle leur fournissait, si opposés que je prenais devant Rosemonde — inondée d′un rose soufré sur lequel réagissaient encore la lumière verdâtre des yeux, — et devant Andrée — dont les joues blanches recevaient tant d′austère distinction de ses cheveux noirs, — le même genre de plaisir que si j′avais regardé tour à tour un géranium au bord de la mer ensoleillée et un camélia dans la nuit; mais surtout parce que les différences infiniment petites des lignes se trouvaient démesurément grandies, les rapports des surfaces entièrement changés par cet élément nouveau de la couleur lequel tout aussi bien que le dispensateur des teintes est un grand régénérateur ou tout au moins modificateur des dimensions. De sorte que des visages peut-être construits de façon peu dissemblable selon, qu′ils étaient éclairés par les feux d′une rousse chevelure, d′un teint rose, par la lumière blanche d′une mate pâleur, s′étiraient ou s′élargissaient, devenaient une autre chose comme ces accessoires des ballets russes, consistant parfois, s′ils sont vus en plein jour, en une simple rondelle de papier et que le génie d′un Bakst, selon l′éclairage incarnadin ou lunaire où il plonge le décor, fait s′y incruster durement comme une turquoise à la façade d′un palais ou s′y épanouir avec mollesse, rose de bengale au milieu d′un jardin. Ainsi en prenant connaissance des visages, nous les mesurons bien, mais en peintres, non en arpenteurs. It strayed among them all the more voluptuously in that upon those volatile faces a comparative fixation of features had now begun, and had been carried far enough for the eye to distinguish — even if it were to change yet further — each malleable and floating effigy. To the differences that existed among them there was doubtless very little that corresponded in the no less marked differences in the length and breadth of those features, any of which might, perhaps, dissimilar as the girls appeared, almost have been lifted bodily from one face and imposed at random upon any other. But our knowledge of faces is not mathematical. In the first place, it does not begin with the measurement of the parts, it takes as its starting point an expression, a combination of the whole. In Andrée, for instance, the fineness of her gentle eyes seemed to go with the thinness of her nose, as slender as a mere curve which one could imagine as having been traced in order to produce along a single line the idea of delicacy divided higher up between the dual smile of her twin gaze. A line equally fine was engraved in her hair, pliant and deep as the line with which the wind furrows the sand. And in her it must have been hereditary; for the snow-white hair of Andrée′s mother was driven in the same way, forming here a swelling, there a depression, like a snowdrift that rises or sinks according to the irregularities of the soil. Certainly, when compared with the fine delineation of Andrée′s, Rosemonde′s nose seemed to present broad surfaces, like a high tower raised upon massive foundations. Albeit expression suffices to make us believe in enormous differences between things that are separated by infinitely little — albeit that infinitely little may by itself create an expression that is absolutely unique, an individuality — it was not only the infinitely little of its lines and the originality of its expression that made each of these faces appear irreducible to terms of any other. Between my friends′ faces their colouring established a separation wider still, not so much by the varied beauty of the tones with which it provided them, so contrasted that I felt when I looked at Rosemonde — flooded with a sulphurous rose colour, with the further contrast of the greenish light in her eyes — and then at Andrée — whose white cheeks received such an austere distinction from her black hair — the same kind of pleasure as if I had been looking alternately at a geranium growing by a sunlit sea and a camellia in the night; but principally because the infinitely little differences of their lines were enlarged out of all proportion, the relations between one and another surface entirely changed by this new element of colour which, in addition to being a dispenser of tints, is great at restoring, or rather at altering, dimensions. So that faces which were perhaps constructed on not dissimilar lines, according as they were lighted by the flaming torch of an auburn poll or high complexion, or by the white glimmer of a dull pallor, grew sharper or broader, became something else, like those properties used in the Russian ballet, consisting sometimes, when they are seen in the light of day, of a mere disc of paper, out of which the genius of a Bakst, according to the blood-red or moonlit effect in which he plunges his stage, makes a hard incrustation, like a turquoise on a palace well, or a swooning softness, as of a Bengal rose in an eastern garden. And so when acquiring a knowledge of faces we take careful measurements, but as painters, not as surveyors.
Il en était d′Albertine comme de ses amies. Certains jours, mince, le teint gris, l′air maussade, une transparence violette descendant obliquement au fond de ses yeux comme il arrive quelquefois pour la mer, elle semblait éprouver une tristesse d′exilée. D′autres jours, sa figure plus lisse engluait les désirs à sa surface vernie et les empêchait d′aller au delà; à moins que je ne la visse tout à coup de côté, car ses joues mates comme une blanche cire à la surface étaient roses par transparence, ce qui donnait tellement envie de les embrasser, d′atteindre ce teint différent qui se dérobait. D′autres fois le bonheur baignait ces joues d′une clarté si mobile que la peau devenue fluide et vague laissait passer comme des regards sous-jacents qui la faisaient paraître d′une autre couleur, mais non d′une autre matière que les yeux; quelquefois, sans y penser, quand on regardait sa figure ponctuée de petits points bruns et où flottaient seulement deux taches plus bleues, c′était comme on eût fait d′un uf de chardonneret, souvent comme d′une agate opaline travaillée et polie à deux places seulement, où, au milieu de la pierre brune, luisaient comme les ailes transparentes d′un papillon d′azur, les yeux où la chair devient miroir et nous donne l′illusion de nous laisser plus qu′en les autres parties du corps, approcher de l′âme. Mais le plus souvent aussi elle était plus colorée, et alors plus animée; quelquefois seul était rose dans sa figure blanche, le bout de son nez, fin comme celui d′une petite chatte sournoise avec qui l′on aurait eu envie de jouer; quelquefois ses joues étaient si lisses que le regard glissait comme sur celui d′une miniature sur leur émail rose que faisait encore paraître plus délicat, plus intérieur, le couvercle entr′ouvert et superposé de ses cheveux noirs; il arrivait que le teint de ses joues atteignît le rose violacé du cyclamen, et parfois même quand elle était congestionnée ou fiévreuse, et donnant alors l′idée d′une complexion maladive qui rabaissait mon désir à quelque chose de plus sensuel et faisait exprimer à son regard quelque chose de plus pervers et de plus malsain, la sombre pourpre de certaines roses, d′un rouge presque noir; et chacune de ces Albertine était différente comme est différente chacune des apparitions de la danseuse dont sont transmutées les couleurs, la forme, le caractère, selon les jeux innombrablement variés d′un projecteur lumineux. C′est peut-être parce qu′étaient si divers les êtres que je contemplais en elle à cette époque que plus tard je pris l′habitude de devenir moi-même un personnage autre selon celle des Albertine à laquelle je pensais: un jaloux, un indifférent, un voluptueux, un mélancolique, un furieux, recréés, non seulement au hasard du souvenir qui renaissait, mais selon la force de la croyance interposée pour un même souvenir, par la façon différente dont je l′appréciais. Car c′est toujours à cela qu′il fallait revenir, à ces croyances qui la plupart du temps remplissent notre âme à notre insu, mais qui ont pourtant plus d′importance pour notre bonheur que tel être que nous voyons, car c′est à travers elles que nous le voyons, ce sont elles qui assignent sa grandeur passagère à l′être regardé. Pour être exact, je devrais donner un nom différent à chacun des moi qui dans la suite pensa à Albertine; je devrais plus encore donner un nom différent à chacune de ces Albertine qui apparaissaient par moi, jamais la même, comme — appelées simplement par moi pour plus de commodité la mer — ces mers qui se succédaient et devant lesquelles, autre nymphe, elle se détachait. Mais surtout de la même manière mais bien plus utilement qu′on dit, dans un récit, le temps qu′il faisait tel jour, je devrais donner toujours son nom à la croyance qui tel jour où je voyais Albertine régnait sur mon âme, en faisant l′atmosphère, l′aspect des êtres, comme celui des mers, dépendant de ces nuées à peine visibles qui changent la couleur de chaque chose, par leur concentration, leur mobilité, leur dissémination, leur fuite — comme celle qu′Elstir avait déchirée un soir en ne me présentant pas aux jeunes filles avec qui il s′était arrêté et dont les images m′étaient soudain apparues plus belles, quand elles s′éloignaient — nuée qui s′était reformée quelques jours plus tard quand je les avais connues, voilant leur éclat, s′interposant souvent entre elles et mes yeux, opaque et douce, pareille à la Leucothea de Virgile. So it was with Albertine as with her friends. On certain days, slim, with grey cheeks, a sullen air, a violet transparency falling obliquely from her such as we notice sometimes on the sea, she seemed to be feeling the sorrows of exile. On other days her face, more sleek, caught and glued my desires to its varnished surface and prevented them from going any farther; unless I caught a sudden glimpse of her from the side, for her dull cheeks, like white wax on the surface, were visibly pink beneath, which made me anxious to kiss them, to reach that different tint which thus avoided my touch. At other times happiness bathed her cheeks with a clarity so mobile that the skin, grown fluid and vague, gave passage to a sort of stealthy and subcutaneous gaze, which made it appear to be of another colour but not of another substance than her eyes; sometimes, instinctively, when one looked at her face punctuated with tiny brown marks among which floated what were simply two larger, bluer stains, it was like looking at the egg of a goldfinch — or often like an opalescent agate cut and polished in two places only, where, from the heart of the brown stone, shone like the transparent wings of a sky-blue butterfly her eyes, those features in which the flesh becomes a mirror and gives us the illusion that it allows us, more than through the other parts of the body, to approach the soul. But most often of all she shewed more colour, and was then more animated; sometimes the only pink thing in her white face was the tip of her nose, as finely pointed as that of a mischievous kitten with which one would have liked to stop and play; sometimes her cheeks were so glossy that one′s glance slipped, as over the surface of a miniature, over their pink enamel, which was made to appear still more delicate, more private, by the enclosing though half-opened case of her black hair; or it might happen that the tint of her cheeks had deepened to the violet shade of the red cyclamen, and, at times, even, when she was flushed or feverish, with a suggestion of un-healthiness which lowered my desire to something more sensual and made her glance expressive of something more perverse and unwholesome, to the deep purple of certain roses, a red that was almost black; and each of these Albertines was different, as in every fresh appearance of the dancer whose colours, form, character, are transmuted according to the innumerably varied play of a projected limelight. It was perhaps because they were so different, the persons whom I used to contemplate in her at this period, that later on I became myself a different person, corresponding to the particular Albertine to whom my thoughts had turned; a jealous, an indifferent, a voluptuous, a melancholy, a frenzied person, created anew not merely by the accident of what memory had risen to the surface, but in proportion also to the strength of the belief that was lent to the support of one and the same memory by the varying manner in which I appreciated it. For this is the point to which we must always return, to these beliefs with which most of the time we are quite unconsciously filled, but which for all that are of more importance to our happiness than is the average person whom we see, for it is through them that we see him, it is they that impart his momentary greatness to the person seen. To be quite accurate I ought to give a different name to each of the ‘me′s′ who were to think about Albertine in time to come; I ought still more to give a different name to each of the Albertines who appeared before me, never the same, like — called by me simply and for the sake of convenience ‘the sea′— those seas that succeeded one another on the beach, in front of which, a nymph likewise, she stood apart. But above all, in the same way as, in telling a story (though to far greater purpose here), one mentions what the weather was like on such and such a day, I ought always to give its name to the belief that, on any given day on which I saw Albertine, was reigning in my soul, creating its atmosphere, the appearance of people like that of seas being dependent on those clouds, themselves barely visible, which change the colour of everything by their concentration, their mobility, their dissemination, their flight — like that cloud which Elstir had rent one evening by not introducing me to these girls, with whom he had stopped to talk, whereupon their forms, as they moved away, had suddenly increased in beauty — a cloud that had formed again a few days later when I did get to know the girls, veiling their brightness, interposing itself frequently between my eyes and them, opaque and soft, like Virgil′s Leucothea.
Sans doute leurs visages à toutes avait bien changé pour moi de sens depuis que la façon dont il fallait les lire m′avait été dans une certaine mesure indiquée par leurs propos, propos auxquels je pouvais attribuer une valeur d′autant plus grande que par mes questions je les provoquais à mon gré, les faisais varier comme un expérimentateur qui demande à des contre-épreuves la vérification de ce qu′il a supposé. Et c′est en somme une façon comme une autre de résoudre le problème de l′existence, qu′approcher suffisamment les choses et les personnes qui nous ont paru de loin belles et mystérieuses, pour nous rendre compte qu′elles sont sans mystère et sans beauté; c′est une des hygiènes entre lesquelles on peut opter, une hygiène qui n′est peut-être pas très recommandable, mais elle nous donne un certain calme pour passer la vie, et aussi comme elle permet de ne rien regretter, en nous persuadant que nous avons atteint le meilleur, et que le meilleur n′était pas grand-chose — pour nous résigner à la mort. No doubt, all their faces had assumed quite new meanings for me since the manner in which they were to be read had been to some extent indicated to me by their talk, talk to which I could ascribe a value all the greater in that, by questioning them, I could prompt it whenever I chose, could vary it like an experimenter who seeks by corroborative proofs to establish the truth of his theory. And it is, after all, as good a way as any of solving the problem of existence to approach near enough to the things that have appeared to us from a distance to be beautiful and mysterious, to be able to satisfy ourselves that they have neither mystery nor beauty. It is one of the systems of hygiene among which we are at liberty to choose our own, a system which is perhaps not to be recommended too strongly, but it gives us a certain tranquillity with which to spend what remains of life, and also — since it enables us to regref nothing, by assuring us that we have attained to the best, and that the best was nothing out of the common — with which to resign ourselves to death.
J′avais remplacé au fond du cerveau de ces jeunes filles le mépris de la chasteté, le souvenir de quotidiennes passades par d′honnêtes principes capables peut-être de fléchir mais ayant jusqu′ici préservé de tout écart celles qui les avaient reçus de leur milieu bourgeois. Or quand on s′est trompé dès le début, même pour les petites choses, quand une erreur de supposition ou de souvenirs, vous fait chercher l′auteur d′un potin malveillant ou l′endroit où on a égaré un objet dans une fausse direction, il peut arriver qu′on ne découvre son erreur que pour lui substituer non pas la vérité, mais une autre erreur. Je tirais en ce qui concernait leur manière de vivre et la conduite à tenir avec elles, toutes les conséquences du mot innocence que j′avais lu, en causant familièrement avec elles, sur leur visage. Mais peut-être l′avais-je lu étourdiment dans le lapsus d′un déchiffrage trop rapide, et n′y était-il pas plus écrit que le nom de Jules Ferry sur le programme de la matinée où j′avais entendu pour la première fois la Berma, ce qui ne m′avait pas empêché de soutenir à M. de Norpois, — que Jules Ferry, sans doute possible, écrivait des levers de rideau. I had now substituted, in the brains of these girls, for their supposed contempt for chastity, their memories of daily ‘incidents,′ honest principles, liable, it might be, to relaxation, but principles which had hitherto kept unscathed the children who had acquired them in their own respectable homes. And yet, when one has been mistaken from the start, even in trifling details, when an error of assumption or recollection makes one seek for the author of a malicious slander, or for the place where one has lost something, in the wrong direction, it frequently happens that one discovers one′s error only to substitute for it not the truth but a fresh error. I drew, so far as their manner of life and the proper way to behave with them went, all the possible conclusions from the word ‘Innocence′ which I had read, in talking familiarly with them, upon their faces. But perhaps I had been reading carelessly, with the inaccuracy born of a too rapid deciphering, and it was no more written there than was the name of Jules Ferry on the programme of the performance at which I had heard Berma for the first time, an omission which had not prevented me from maintaining to M. de Norpois that Jules Ferry, beyond any possibility of doubt, was a person who wrote curtain-raisers.
Pour n′importe laquelle de mes amies de la petite bande, comment le dernier visage que je lui avais vu, n′eût-il pas été le seul que je me rappelasse, puisque, de nos souvenirs relatifs à une personne, l′intelligence élimine tout ce qui ne concourt pas à l′utilité immédiate de nos relations quotidiennes (même et surtout si ces relations sont imprégnées d′amour, lequel toujours insatisfait, vit dans le moment qui va venir). Elle laisse filer la chaîne des jours passés, n′en garde fortement que le dernier bout souvent d′un tout autre métal que les chaînons disparus dans la nuit et dans le voyage que nous faisons à travers la vie, ne tient pour réel que le pays où nous sommes présentement. Mais toutes les impressions, déjà si lointaines, ne pouvaient pas trouver contre leur déformation journalière, un recours dans ma mémoire; pendant les longues heures que je passais à causer, à goûter, à jouer avec ces jeunes filles, je ne me souvenais même pas qu′elles étaient les mêmes vierges impitoyables et sensuelles que j′avais vues comme dans une fresque, défiler devant la mer. No matter which it might be of my friends of the little band, was not inevitably the face that I had last seen the only face that I could recall, since, of our memories with respect to a person, the mind eliminates everything that does not agree with our immediate purpose of our daily relations (especially if those relations are quickened with an element of love which, ever unsatisfied, lives always in the moment that is about to come)? That purpose allows the chain of spent days to slip away, holding on only to the very end of it, often of a quite different metal from the links that have vanished in the night, and in the journey which we make through life, counts as real only in the place in which we at any given moment are. But all those earliest impressions, already so remote, could not find, against the blunting process that assailed them day after day, any remedy in my memory; during the long hours which I spent in talking, eating, playing with these girls, I did not remember even that they were the same ruthless, sensual virgins whom I had seen, as in a fresco, file past between me and the sea.
Les géographes, les archéologues nous conduisent bien dans l′île de Calypso, exhument bien le palais de Mimos. Seulement Calypso n′est plus qu′une femme; Mimos qu′un roi sans rien de divin. Même les qualités et les défauts que l′histoire nous enseigne alors avoir été l′apanage de ces personnes fort réelles, diffèrent souvent beaucoup de ceux que nous avions prêtés aux êtres fabuleux qui portaient le même nom. Ainsi s′était dissipée toute la gracieuse mythologie océanique que j′avais composée les premiers jours. Mais il n′est pas tout à fait indifférent qu′il nous arrive au moins quelquefois de passer notre temps dans la familiarité de ce que nous avons cru inaccessible et que nous avons désiré. Dans le commerce des personnes que nous avons d′abord trouvées désagréables, persiste toujours même au milieu du plaisir factice qu′on peut finir par goûter auprès d′elles, le goût frelaté des défauts qu′elles ont réussi à dissimuler. Mais dans des relations comme celles que j′avais avec Albertine et ses amies, le plaisir vrai qui est à leur origine, laisse ce parfum qu′aucun artifice ne parvient pas à donner aux fruits forcés, aux raisins qui n′ont pas mûri au soleil. Les créatures surnaturelles qu′elles avaient été un instant pour moi mettaient encore, même à mon insu, quelque merveilleux, dans les rapports les plus banals que j′avais avec elles, ou plutôt préservaient ces rapports d′avoir jamais rien de banal. Mon désir avait cherché avec tant d′avidité la signification des yeux qui maintenant me connaissaient et me souriaient, mais qui, le premier jour, avaient croisé mes regards comme des rayons d′un autre univers, il avait distribué si largement et si minutieusement la couleur et le parfum sur les surfaces carnées de ces jeunes filles qui, étendues sur la falaise me tendaient simplement des sandwichs ou jouaient aux devinettes, que, souvent dans l′après-midi pendant que j′étais allongé comme ces peintres qui cherchent la grandeur de l′antique dans la vie moderne, donnent à une femme qui se coupe un ongle de pied la noblesse du «Tireur d′épine» ou qui comme Rubens, font des déesses avec des femmes de leur connaissance pour composer une scène mythologique, ces beaux corps bruns et blonds, de types si opposés, répandus autour de moi dans l′herbe, je les regardais sans les vider peut-être de tout le médiocre contenu dont l′existence journalière les avait remplis et portant sans me rappeler expressément leur céleste origine, comme si pareil à Hercule ou à Télémaque, j′avais été en train de jouer au milieu des nymphes. Geographers, archaeologists may conduct us over Calypso′s island, may excavate the Palace of Minos. Only Calypso becomes then nothing more than a woman, Minos than a king with no semblance of divinity. Even the good and bad qualities which history teaches us to have been the attributes of those quite real personages, often differ widely from those which we had ascribed to the fabulous beings who bore the same names as they. Thus had there faded and vanished all the lovely mythology of Ocean which I had composed in those first days. But it is not altogether immaterial that we do succeed, at any rate now and then, in spending our time in familiar intercourse with what we have thought to be unattainable and have longed to possess. In our later dealings with people whom at first we found disagreeable there persists always, even among the artificial pleasure which we have come at length to enjoy in their society, the lingering taint of the defects which they have succeeded in hiding. But, in relations such as I was now having with Albertine and her friends, the genuine pleasure which was there at the start leaves that fragrance which no amount of skill can impart to hot-house fruits, to grapes that have not ripened in the sun. The supernatural creatures which for a little time they had been to me still introduced, even without any intention on my part, a miraculous element into the most commonplace dealings that I might have with them, or rather prevented such dealings from ever becoming commonplace at all. My desire had sought so ardently to learn the significance of the eyes which now knew and smiled to see me, but whose glances on the first day had crossed mine like rays from another universe; it had distributed so generously, so carefully, so minutely, colour and fragrance over the carnation surfaces of these girls who now, outstretched on the cliff-top, were simply offering me sandwiches or guessing riddles, that often, in the afternoon, while I lay there among them, like those painters who seek to match the grandeurs of antiquity in modern life, give to a woman cutting her toe-nail the nobility of the Spinario, or, like Rubens, make goddesses out of women whom they know, to people some mythological scene; at those lovely forms, dark and fair, so dissimilar in type, scattered around me in the grass, I would gaze without emptying them, perhaps, of all the mediocre contents with which my everyday experience had filled them, and at the same time without expressly recalling their heavenly origin, as if, like young Hercules or young Telemachus, I had been set to play amid a band of nymphs.
Puis les concerts finirent, le mauvais temps arriva, mes amies quittèrent Balbec, non pas toutes ensemble, comme les hirondelles, mais dans la même semaine. Albertine s′en alla la première, brusquement, sans qu′aucune de ses amies eût pu comprendre, ni alors, ni plus tard, pourquoi elle était rentrée tout à coup à Paris, où ni travaux, ni distractions ne la rappelaient. «Elle n′a dit ni quoi ni qu′est-ce et puis elle est partie», grommelait Françoise qui aurait d′ailleurs voulu que nous en fissions autant. Elle nous trouvait indiscrets vis-à-vis des employés, pourtant déjà bien réduits en nombre, mais retenus par les rares clients qui restaient, vis-à-vis du directeur qui «mangeait de l′argent». Il est vrai que depuis longtemps l′hôtel qui n′allait pas tarder à fermer avait vu partir presque tout le monde; jamais il n′avait été aussi agréable. Ce n′était pas l′avis du directeur; tout le long des salons où l′on gelait et à la porte desquels ne veillait plus aucun groom, il arpentait les corridors, vêtu d′une redingote neuve, si soigné par le coiffeur que sa figure fade avait l′air de consister en un mélange où pour une partie de chair il y en aurait eu trois de cosmétique changeant sans cesse de cravates (ces élégances coûtent moins cher que d′assurer le chauffage et de garder le personnel, et tel qui ne peut plus envoyer dix mille francs à une uvre de bienfaisance, fait encore sans peine le généreux en donnant cent sous de pourboire au télégraphiste qui lui apporte une dépêche). Il avait l′air d′inspecter le néant, de vouloir donner grâce à sa bonne tenue personnelle un air provisoire à la misère que l′on sentait dans cet hôtel où la saison n′avait pas été bonne, et paraissait comme le fantôme d′un souverain qui revient hanter les ruines de ce qui fut jadis son palais. Il fut surtout mécontent quand le chemin de fer d′intérêt local qui n′avait plus assez de voyageurs, cessa de fonctionner pour jusqu′au printemps suivant. «Ce qui manque ici, disait le directeur, ce sont le moyens de commotion.» Malgré le déficit qu′il enregistrait, il faisait pour les années suivantes des projets grandioses. Et comme il était tout de même capable de retenir exactement de belles expressions quand elles s′appliquaient à l′industrie hôtelière et avaient pour effet de la magnifier: «Je n′étais pas suffisamment secondé quoique à la salle à manger j′avais une bonne équipe, disait-il; mais les chasseurs laissaient un peu à désirer; vous verrez l′année prochaine quelle phalange je saurai réunir.» En attendant, l′interruption des services du B.C.B. l′obligeait à envoyer chercher les lettres et quelquefois conduire les voyageurs dans une carriole. Je demandais souvent à monter à côté du cocher et cela me fit faire des promenades par tous les temps, comme dans l′hiver que j′avais passé à Combray. Then the concerts ended, the bad weather began, my friends left Balbec; not all at once, like the swallows, but all in the same week. Albertine was the first to go, abruptly, without any of her friends understanding, then or afterwards, why she had returned suddenly to Paris whither neither her work nor any amusement summoned her. “She said neither why nor wherefore, and with that she left!” muttered Françoise, who, for that matter, would have liked us to leave as well. We were, she thought, inconsiderate towards the staff, now greatly reduced in number, but retained on account of the few visitors who were still staying on, and towards the manager who was ‘just eating up money.′ It was true that the hotel, which would very soon be closed for the winter, had long since seen most of its patrons depart, but never had it been so attractive. This view was not shared by the manager; from end to end of the rooms in which we sat shivering, and and at the doors of which no page now stood on guard, he paced the corridors, wearing a new frock coat, so well tended by the hairdresser that his insipid face appeared to be made of some composition in which, for one part of flesh, there were three of cosmetics, incessantly changing his neckties. (These refinements cost less than having the place heated and keeping on the staff, just as a man who is no longer able to subscribe ten thousand francs to a charity can still parade his generosity without inconvenience to himself by tipping the boy who brings him a telegram with five.) He appeared to be inspecting the empty air, to be seeking to give, by the smartness of his personal appearance, a provisional splendour to the desolation that could now be felt in this hotel where the season had not been good, and walked like the ghost of a monarch who returns to haunt the ruins of what was once his palace. He was particularly annoyed when the little local railway company, finding the supply of passengers inadequate, discontinued its trains until the following spring. “What is lacking here,” said the manager, “is the means of commotion.” In spite of the deficit which his books shewed, he was making plans for the future on a lavish scale. And as he was, after all, capable of retaining an exact memory of fine language when it was directly applicable to the hotel-keeping industry and had the effect of enhancing its importance: “I was not adequately supported, although in the dining room I had an efficient squad,” he explained; “but the pages left something to be desired. You will see, next year, what a phalanx I shall collect.” In the meantime the suspension of the services of the B. C. B. obliged him to send for letters and occasionally to dispatch visitors in a light cart. I would often ask leave to sit by the driver, and in this way I managed to be out in all weathers, as in the winter that I had spent at Combray.
Parfois pourtant la pluie trop cinglante nous retenait, ma grand′mère et moi, le casino étant fermé, dans des pièces presque complètement vides comme à fond de cale d′un bateau quand le vent souffle, et où chaque jour, comme au cours d′une traversée, une nouvelle personne d′entre celles près de qui nous avions passé trois mois sans les connaître, le premier président de Rennes, la bâtonnier de Caen, une dame américaine et ses filles, venaient à nous, entamaient la conversation, inventaient quelque manière de trouver les heures moins longues, révélaient un talent, nous enseignaient un jeu, nous invitaient à prendre le thé, ou à faire de la musique, à nous réunir à une certaine heure, à combiner ensemble de ces distractions qui possèdent le vrai secret de nous faire donner du plaisir, lequel est de n′y pas prétendre, mais seulement de nous aider à passer le temps de notre ennui, enfin nouaient avec nous sur la fin de notre séjour des amitiés que le lendemain leurs départs successifs venaient interrompre. Je fis même la connaissance du jeune homme riche, d′un de ses deux amis nobles et de l′actrice qui était revenue pour quelques jours; mais la petite société ne se composait plus que de trois personnes, l′autre ami était rentré à Paris. Ils me demandèrent de venir dîner avec eux dans leur restaurant. Je crois qu′ils furent assez contents que je n′acceptasse pas. Mais ils avaient fait l′invitation le plus aimablement possible, et bien qu′elle vînt en réalité du jeune homme riche puisque les autres personnes n′étaient que ses hôtes, comme l′ami qui l′accompagnait, le marquis Maurice de Vaudémont, était de très grande maison, instinctivement l′actrice en me demandant si je ne voudrais pas venir, me dit pour me flatter: Sometimes, however, the driving rain kept my grandmother and me, the Casino being closed, in rooms almost completely deserted, as in the lowest hold of a ship when a storm is raging; and there, day by day, as in the course of a sea-voyage, a new person from among those in whose company we had spent three months without getting to know them, the chief magistrate from Caen, the leader of the Cherbourg bar, an American lady and her daughters, came up to us, started conversation, discovered some way of making the time pass less slowly, revealed some social accomplishment, taught us a new game, invited us to drink tea or to listen to music, to meet them at a certain hour, to plan together some of those diversions which contain the true secret of pleasure-giving, which is to aim not at giving pleasure but simply at helping us to pass the time of our boredom, in a word, formed with us, at the end of our stay at Balbec, ties of friendship which, in a day or two, their successive departures from the place would sever. I even made the acquaintance of the rich young man, of one of his pair of aristocratic friends and of the actress, who had reappeared for a few days; but their little society was composed now of three persons only, the other friend having returned to Paris. They asked me to come out to dinner with them at their restaurant. I think, they were just as well pleased that I did not accept. But they had given the invitation in the most friendly way imaginable, and albeit it came actually from the rich young man, since the others were only his guests, as the friend who was staying with him, the Marquis Maurice de Vaudémont, came of a very good family indeed, instinctively the actress, in asking me whether I would not come, said, to flatter my vanity:
— Cela fera tant de plaisir à Maurice. “Maurice will be so pleased.”
Et quand dans le hall je les rencontrai tous trois, ce fut M. de Vaudémont, le jeune homme riche s′effaçant, qui me dit: And when in the hall of the hotel I met them all three together, it was M. de Vaudémont (the rich young man effacing himself) who said to me:
— Vous ne nous ferez pas le plaisir de dîner avec nous? “Won′t you give us the pleasure of dining with us?”
En somme j′avais bien peu profité de Balbec, ce qui ne me donnait que davantage le désir d′y revenir. Il me semblait que j′y étais resté trop peu de temps. Ce n′était pas l′avis de mes amis qui m′écrivaient pour me demander si je comptais y vivre définitivement. Et de voir que c′était le nom de Balbec qu′ils étaient obligés de mettre sur l′enveloppe, comme ma fenêtre donnait, au lieu que ce fût sur une campagne ou sur une rue, sur les champs de la mer, que j′entendais pendant la nuit sa rumeur, à laquelle j′avais, avant de m′endormir, confié, comme une barque, mon sommeil, j′avais l′illusion que cette promiscuité avec les flots devait matériellement, à mon insu, faire pénétrer en moi la notion de leur charme à la façon de ces leçons qu′on apprend en dormant. On the whole I had derived very little benefit from Balbec, but this only strengthened my desire to return there. It seemed to me that I had not stayed there long enough. This was not what my friends at home were thinking, who wrote to ask whether I meant to stay there for the rest of my life. And when I saw that it was the name ‘Balbec′ which they were obliged to put on the envelope — just as my window looked out not over a landscape or a street but on to the plains of the sea, as I heard through the night its murmur to which I had before going to sleep entrusted my ship of dreams, I had the illusion that this life of promiscuity with the waves must effectively, without my knowledge, pervade me with the notion of their charm, like those lessons which one leams by heart while one is asleep.
Le directeur m′offrait pour l′année prochaine de meilleures chambres, mais j′étais attaché maintenant à la mienne où j′entrais sans plus jamais sentir l′odeur du vetiver, et dont ma pensée, qui s′y élevait jadis si difficilement, avait fini par prendre si exactement les dimensions que je fus obligé de lui faire subir un traitement inverse quand je dus coucher à Paris dans mon ancienne chambre, laquelle était basse de plafond. The manager offered to reserve better rooms for me next year, but I had now become attached to mine, into which I went without ever noticing the scent of flowering grasses, while my mind, which had once found such difficulty in rising to fill its space had come now to take its measurements so exactly that I was obliged to submit it to a reverse process when I had to sleep in Paris, in my own room, the ceiling of which was low.
Il avait fallu quitter Balbec en effet, le froid et l′humidité étant devenus trop pénétrants pour rester plus longtemps dans cet hôtel dépourvu de cheminées et de calorifère. J′oubliai d′ailleurs presque immédiatement ces dernières semaines. Ce que je revis presque invariablement quand je pensai à Balbec, ce furent les moments où chaque matin, pendant la belle saison, comme je devais l′après-midi sortir avec Albertine et ses amies, ma grand′mère sur l′ordre du médecin me força à rester couché dans l′obscurité. Le directeur donnait des ordres pour qu′on ne fît pas de bruit à mon étage et veillait lui-même à ce qu′ils fussent obéis. A cause de la trop grande lumière, je gardais fermés le plus longtemps possible les grands rideaux violets qui m′avaient témoigné tant d′hostilité le premier soir. Mais comme malgré les épingles avec lesquelles, pour que le jour ne passât pas, Françoise les attachait chaque soir, et qu′elle seule savait défaire, malgré les couvertures, le dessus de table en cretonne rouge, les étoffes prises ici ou là qu′elle y ajustait, elle n′arrivait pas à les faire joindre exactement, l′obscurité n′était pas complète et ils laissaient se répandre sur le tapis comme un écarlate effeuillement d′anémones parmi lesquelles je ne pouvais m′empêcher de venir un instant poser mes pieds nus. Et sur le mur qui faisait face à la fenêtre, et qui se trouvait partiellement éclairé, un cylindre d′or que rien ne soutenait était verticalement posé et se déplaçait lentement comme la colonne lumineuse qui précédait les Hébreux dans le désert. Je me recouchais; obligé de goûter, sans bouger, par l′imagination seulement, et tous à la fois, les plaisirs du jeu, du bain, de la marche, que la matinée conseillait, la joie faisait battre bruyamment mon cur comme une machine en pleine action, mais immobile et qui ne peut décharger sa vitesse sur la place en tournant sur elle-même. It was high time, indeed, to leave Balbec, for the cold and damp had become too penetrating for us to stay any longer in a hotel which had neither fireplaces in the rooms nor a central furnace. Moreover, I forgot almost immediately these last weeks of our stay. What my mind′s eye did almost invariably see when I thought of Balbec were the hours which, every morning during the fine weather, as I was going out in the afternoon with Albertine and her friends, my grandmother, following the doctor′s orders, insisted on my spending lying down, with the room darkened. The manager gave instructions that no noise was to be made on my landing, and came up himself to see that they were obeyed. Because the light outside was so strong, I kept drawn for as long as possible the big violet curtains which had adopted so hostile an attitude towards me the first evening. But as, in spite of the pins with which, so that the light should not enter, Françoise fastened them every night, pins which she alone knew how to unfasten; as in spite of the rugs, the red cretonne table-cover, the various fabrics collected here and there which she fitted in to her defensive scheme, she never succeeded in making them meet exactly, the darkness was not complete, and they allowed to spill over the carpet as it were a scarlet shower of anemone-petals, among which I could not resist the temptation to plunge my bare feet for a moment. And on the wall which faced the window and so was partially lighted, a cylinder of gold with no visible support was placed vertically and moved slowly along like the pillar of fire which went before the Hebrews in the desert. I went back to bed; obliged to taste without moving, in imagination only, and all at once, the pleasures of games, bathing, walks which the morning prompted, joy made my heart beat thunderingly like a machine set going at full speed but fixed to the ground, which can spend its energy only by turning upon its own axis.
Je savais que mes amies étaient sur la digue mais je ne les voyais pas, tandis qu′elles passaient devant les chaînons inégaux de la mer, tout au fond de laquelle et perchée au milieu de ses cîmes bleuâtres comme une bourgade italienne, se distinguait parfois dans une éclaircie la petite ville de Rivebelle, minutieusement détaillée par le soleil. Je ne voyais pas mes amies, mais (tandis qu′arrivaient jusqu′à mon belvédère l′appel des marchands de journaux, «des journalistes», comme les nommait Francoise, les appels des baigneurs et des enfants qui jouaient, ponctuant à la façon des cris des oiseaux de mer le bruit du flot qui doucement se brisait), je devinais leur présence, j′entendais leur rire enveloppé comme celui des néréides dans le doux déferlement qui montait jusqu′à mes oreilles. «Nous avons regardé, me disait le soir Albertine, pour voir si vous descendriez. Mais vos volets sont restés fermés, même à l′heure du concert.» A dix heures, en effet, il éclatait sous mes fenêtres. Entre les intervalles des instruments, si la mer était pleine, reprenait, coulé et continu, le glissement de l′eau d′une vague qui semblait envelopper les traits du violon dans ses volutes de cristal et faire jaillir son écume au-dessus des échos intermittents d′une musique sous-marine. Je m′impatientais qu′on ne fût pas encore venu me donner mes affaires pour que je puisse m′habiller. Midi sonnait, enfin arrivait Françoise. Et pendant des mois de suite, dans ce Balbec que j′avais tant désiré parce que je ne l′imaginais que battu par la tempête et perdu dans les brumes, le beau temps avait été si éclatant et si fixe que quand elle venait ouvrir la fenêtre j′avais pu toujours sans être trompé, m′attendre à trouver le même pan de soleil plié à l′angle du mur extérieur, et d′une couleur immuable qui était moins émouvante comme un signe de l′été qu′elle n′était morne comme celle d′un émail inerte et factice. Et tandis que Françoise ôtait les épingles des impostes, détachait les étoffes, tirait les rideaux, le jour d′été qu′elle découvrait semblait aussi mort, aussi immémorial qu′une somptueuse et millénaire momie que votre vieille servante n′eût fait que précautionneusement désemmailloter de tous ses linges, avant de la faire apparaître, embaumée dans sa robe d′or. I knew that my friends were on the ‘front,′ but I did not see them as they passed before the links of the sea′s uneven chain, far at the back of which, and nestling amid its bluish peaks like an Italian citadel, one could occasionally, in a clear moment, make out the little town of Rivebelle, drawn in minutest detail by the sun. I did not see my friends, but (while there mounted to my belvedere the shout of the newsboy, the ‘journalists′ as Françoise used to call them, the shouts of the bathers and of children at play, punctuating like the cries of sea-birds the sound of the gently breaking waves) I guessed their presence, I heard their laughter enveloped like the laughter of the Nereids in the smooth tide of sound that rose to my ears. “We looked up,” said Albertine in the evening, “to see if you were coming down. But your shutters were still closed when the concert began.” At ten o′clock, sure enough, it broke out beneath my windows. In the intervals in the blare of the instruments, if the tide were high, would begin again, slurred and continuous, the gliding surge of a wave which seemed to enfold the notes of the violin in its crystal spirals and to be spraying its foam over echoes of a submarine music. I grew impatient because no one had yet come with my things, so that I might rise and dress. Twelve o′clock struck, Françoise arrived at last. And for months on end, in this Balbec to which I had so looked forward because I imagined it only as battered by the storm and buried in fogs, the weather had been so dazzling and so unchanging that when she came to open the window I could always, without once being wrong, expect to see the same patch of sunlight folded in the corner of the outer wall, of an unalterable colour which was less moving as a sign of summer than depressing as the colour of a lifeless and composed enamel. And after Françoise had removed her pins from the mouldings of the window-frame, taken down her various cloths, and drawn back the curtains, the summer day which she disclosed seemed as dead, as immemorially ancient as would have been a sumptuously attired dynastic mummy from which our old servant had done no more than pre-cautionally unwind the linen wrappings before displaying it to my gaze, embalmed in its vesture of gold.